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Book review : Qu'est-ce que le libéralisme ? Ethique, politique, société, by C.


Audard

Article · February 2010

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Naël Desaldeleer
Université Paris-Est Créteil Val de Marne - Université Paris 12
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Publié sur www.raison-publique.fr en février 2010

Book Review :
Qu’est-ce que le libéralisme ?
Ethique, politique, société1
De Catherine Audard

Par Naël Desaldeleer

« Le libéralisme contemporain semble être à la fois omniprésent et introuvable »2.


Aujourd'hui triomphant comme politique économique mais largement remis en question comme
force politique, le libéralisme constitue pour nous un objet problématique. Que penser lorsque l'on
considère à la fois la « philosophie libérale », qui défend la liberté de l'individu, les « partis
politiques libéraux », avec la polysémie bien connue de ce terme entre les espaces politiques
anglophones et français, et « l'économie libérale » qui apparaît comme inséparable du capitalisme et
de la mondialisation ? C'est à partir de ce constat que Catherine Audard se demande si
« libéralisme » n'est que le nom d'un monstre, informe à force d'être protéiforme. Ce que l'on
désigne habituellement par « libéral » est si confus, renfermant tant de différences, que l'on peut en
arriver à s'interroger : doit-on exclure certains de ces sens au profit de certains autres ? Existe-t-il
quelque chose que nous puissions à juste titre appeler le « libéralisme », ou n'est-ce là qu'une
coquille vide, un « abus de langage » ? Pour le comprendre, Audard se propose de suivre l'histoire
de ce que nous avons appelé « libéral ». Il apparaîtrait alors que, malgré de nombreux avatars, nous
pouvons identifier une unité autour de la défense constante de certains principes, proprement
libéraux.
Mais l'ouvrage d’Audard n'est pas uniquement animé de ce désir d'explication
intellectuelle. C'est aussi un travail inquiet de la survie de ces idées. Alors que depuis sa naissance
au XVIIe siècle, le libéralisme n'avait cessé de gagner en influence, le XXe siècle lui a retiré sa
place dominante en tant que force politique. Le libéralisme a été réduit à un mouvement intellectuel,
de plus en plus décrié. A tel point qu'aujourd'hui il ne semble nulle part en odeur de sainteté. S'en
réclamer est même risqué, jusque dans l'espace politique américain3. Il peut sembler paradoxal,
dans le cadre de la philosophie politique actuelle, de terminer l'introduction d'un ouvrage sur le
libéralisme en proposant comme horizon l'évaluation de ses « chances de survie », tant il est
incontestablement une de nos références majeures. Toutefois Audard montre que la question se pose
réellement : si le libéralisme a joué un rôle majeur dans la constitution de la modernité, aujourd'hui
où nous ne serions plus modernes mais « postmodernes », le temps du libéralisme ne serait-il pas
passé ?
La thèse d’Audard est donc double. D'une part, elle entend prouver l'existence d'un
ensemble cohérent d'idées que l'on peut nommer « libéralisme ». Au cours de ses trois siècles
d'existence, le libéralisme a évolué avec les conditions historiques, ce qui explique ses différentes
formes, du libéralisme classique au néolibéralisme de la fin du XXe siècle, en passant par le
« nouveau libéralisme » du début du XXe siècle. Mais d'autre part, il ne s'est pas désagrégé pour
autant, et le réaliser permet de comprendre sa véritable force potentielle pour le débat actuel. Cet
objectif s'exprime dans la structure de l'ouvrage : les trois premiers chapitres présentent la
constitution du paradigme du libéralisme classique aux XVIIe et XVIIIe siècles, tandis que les trois
chapitres suivant expliquent comment le libéralisme a fait face aux nouvelles problématiques, liées

1
Qu’est-ce que le libéralisme ?, Paris, Gallimard coll. Folio Essais, 2009.
2 Qu'est-ce que le libéralisme ? p.18.
3 Audard fait ainsi plusieurs fois référence à Hillary Clinton qui, pendant la campagne présidentielle de 2008 trouva
plus prudent de refuser cette appellation de « libéral » pour celle de « progressiste », quand B.Obama pris ce risque.
Op. cit. p.349, ainsi que note 39 p.774.

1
à l'explosion du social dans le domaine politique, au cours du XXe siècle. Enfin, les quatre derniers
chapitres mettent en rapport les questionnements contemporains avec cet invariant libéral identifié
dans les deux premières parties, et montrent comment l'évolution du libéralisme lui permet
aujourd'hui encore de pouvoir proposer des idées pertinentes.

*
Pour comprendre les transformations de cette pensée, Audard s'appuie sur les travaux de
Michael Freeden4, qui analysent la structure des champs idéologiques. Ceux-ci se définissent par
des concepts-clés, constitutifs de leur identité, auxquels s'ajoutent des concepts adjacents, issus de
rapprochements logiques ou de réponses aux circonstances historiques. Enfin, des concepts
périphériques, souvent empruntés aux autres idéologies, contribuent à rendre les frontières floues.
Ainsi toute idéologie politique est, en grande partie, relationnelle. Si son noyau reste identique, les
concepts adjacents et périphériques représentent une source de modifications et de confusions
possibles. Ce qui importe, c'est d'abord d'identifier les concepts-clés, seuls éléments fixes
permettant de différencier ce qui respecte une idéologie ou non. En appliquant cette analyse méta-
théorique, Audard en vient à la conclusion qu'il n'y a pas trois objets distincts – une théorie
purement intellectuelle, un discours politique, une politique effective ou un type de raisonnement
économique – se réclamant du nom de libéralisme. C'est là le sens du sous-titre de l'ouvrage. Le
véritable « libéralisme » les comprend tous et ne saurait se réduire à un seul de ces aspects : c'est
une théorie éthique, qui s'incarne en politique, et qui se développe en programmes d'actions sociales
et économiques.
Audard identifie comme concept-clé du libéralisme celui de souveraineté individuelle,
selon lequel « il n'existe pas de subordination naturelle des êtres humains et chaque individu est
souverain et libre de décider pour lui-même face à toutes les autorités [...] Cette souveraineté
illimitée est fondée sur une conception de la nature humaine qui est individuée avant d'être
sociale »5. Il implique donc deux principes fondamentaux, la liberté et l'égale dignité des personnes,
et repose sur un individualisme. Mais notre auteur prend soin de bien distinguer deux types
d'individualisme. Il existe un individualisme méthodologique, descriptif et atomiste, que l'on trouve
par exemple chez Hobbes, et qu'il ne faut pas confondre avec l'individualisme éthique et normatif
de Locke. Seul le second appartient à la tradition libérale, et c'est dans cette confusion que réside la
source de la critique triviale du libéralisme comme individualisme égoïste. Selon cette tradition, le
sujet est désubstantialisé et l'individualisme libéral, sous l'influence du sentimentalisme de
Hutcheson et Shaftesbury, ainsi que des Lumières Écossaises de Hume et Adam Smith, se définit
comme individualisme moral et relationnel. On en trouve la forme aboutie chez John Stuart Mill.
Contre une idée fréquemment répandue, Audard explique que le libéralisme ne défend pas un
individu asocial ; bien que la nature de l'individu soit en droit présociale, le libéralisme est fondé sur
une thèse qui fait de la nature humaine un concept normatif, moral et politique. Il pose un nouveau
rapport à soi et à autrui, fondé sur le droit de propriété, dans le cadre d'un sujet juridicisé, mais dont
l'identité est toujours relationnelle.
Le respect de la souveraineté individuelle passe alors par l'autonomie de la société civile
et par l'Etat de droit. En effet, rendre possible cette « souveraineté illimitée » de l'individu nécessite
une souveraineté limitée de l'Etat. Le libéralisme se définit donc comme une volonté de résistance
au pouvoir politique, s'exprimant dans la constitution d'un espace différent de l'Etat où placer la
liberté des individus : la société civile. C'est ce qu'Audard décrit comme la « liberté des
Modernes », selon laquelle l'ordre social est avant tout non-intentionnel et où la coopération résulte
d'une « passion compensatrice » inspirée de Hume, créant un effet similaire à la « main invisible »
de Smith. La société se définit alors comme ordre spontané, et toute contrainte par l'Etat serait
contraire à son bon fonctionnement. Cependant, cela ne signifie pas pour autant un refus de tout rôle
à l'Etat. Audard insiste sur ce point : le libéralisme n'est pas un anarchisme, bien qu'il existe une
tradition anarcho-libérale, qui s'exprime parfois dans le libertarisme. La solution libérale repose sur

4 Et plus précisément sur Ideologies and Political Theory, Oxford University Press, 1996.
5 Op. cit., p.29.

2
l'intuition, centrale selon l'auteur, de la distinction entre la loi du législateur et la loi supra-juridique,
que l'on retrouve dans le principe du constitutionnalisme. Il existe des lois qui fixent la structure des
rapports entre société et Etat, et auxquelles l’Etat lui-même, pourtant source des lois civiles, se plie.
En étudiant l'histoire de ces droits constitutionnels, ou « Common Laws », depuis la Magna Carta
jusqu'aux Déclarations du XXe siècle, Audard montre comment le libéralisme a pu fonder ce
paradoxe de l'Etat protecteur de la liberté. Elle suit ainsi la formation du paradigme du libéralisme
classique, et le développement de son influence, jusqu'à ce qu'il devienne la force politique majeure
de la fin du XIXe siècle.

Mais la seconde révolution industrielle ouvre une nouvelle ère. Les circonstances
historiques transforment les termes des questions les plus pressantes. La critique du libéralisme se
fait de plus en plus vive, car il apparaît clairement qu'il sous-estime la nature sociale des intérêts
individuels. Le libéralisme classique comporte en réalité un élément aristocratique : il défend une
égalité formelle et justifie les inégalités sociales. Or, à l'âge de l'ouvrier, ce discours perd de sa
séduction face au concurrent socialiste. Il est obligé de changer de forme et, de position politique
dominante, le libéralisme devient un mouvement d'idées. Il présente alors de multiples visages, de
la théorie du laissez-faire à l'acceptation de l'autorité régulatrice de l'Etat. C'est de cette remise en
question qu'émerge le « nouveau libéralisme ». Selon Audard, on en trouve la meilleure
représentation chez Keynes, qui associe libéralisme économique et interventionnisme étatique. Le
nouveau libéralisme insiste sur la sociabilité de l'individu et tente de réconcilier libéralisme et
démocratie, pour répondre aux manques du libéralisme classique. Il s'associe alors avec les théories
welfaristes, défendant l'Etat-providence. Audard montre pourquoi nous pouvons en parler comme
d'un « libéralisme social ». Il est d'abord bien un libéralisme, car seule une représentation erronée
du libéralisme le conçoit comme absolument opposé à l'Etat. Le libéralisme classique lui-même
reconnaissait l’importance du rôle de l’Etat comme protecteur de la liberté. Ensuite, il ne s'agit pas
d'un « socialisme libéral », car il est bien fondé sur la souveraineté individuelle, typiquement
libérale, quand un « socialisme libéral » donnerait la priorité au groupe sur l'individu. En reprenant
les termes de Freeden, nous pouvons voir ici comment s'introduit un nouveau concept adjacent :
l'égalité comme égalité réelle des chances.
Cependant, la solution proposée par le « nouveau libéralisme » ne parvient pas à se
maintenir. Lié à la théorie de l'Etat-providence, il s'écroule avec lui. Emporté par la crise des années
1970 et la fin des Trente Glorieuses, il devient évident que sa promesse selon laquelle l'intervention
de l'Etat-providence dans l'économie permettrait la prospérité de tous ne faisait que masquer la
véritable cause de la prospérité économique : la reconstruction de la Seconde Guerre Mondiale. De
cette remise en question profonde surgissent deux retours proclamés au libéralisme classique, mais
contraires. Tout d'abord, dans la lignée de Hayek, la critique néolibérale se réclame à nouveau de la
souveraineté individuelle pour attaquer l'interventionnisme étatique. La planification est
épistémiquement impossible, et pratiquement inefficace. Cependant, il faut distinguer différentes
versions de cet argument. Selon Audard, le néolibéralisme à proprement parler n'est que celui de
Hayek, qui influence ensuite le libertarisme d'un Nozick, posant la liberté individuelle comme un
absolu. Mais il ne faut pas les confondre avec l'ultralibéralisme d'un Milton Friedman, ou ce que les
gouvernements Thatcher et Reagan ont appelé « néolibéralisme ». Ces deux cas abandonnent la
liberté individuelle comme principe central, pour ne conserver de la tradition libérale que la défense
de la liberté économique dans la société civile. Si cet élément est compatible avec le libéralisme
lorsqu’il est rattaché au concept-clé, il ne l’est plus lorsque l’on fait de la liberté du marché un
véritable dogme, comme Friedman, Thatcher et Reagan. Ce ne sont donc plus des libéralismes,
malgré le nom dont ils se parent, mais de véritables trahisons de l'idéal libéral.
La seconde réponse à cette crise est la philosophie de Rawls, qui assume à la fois
l'héritage du libéralisme classique et du nouveau libéralisme. Mais il critique également les
insuffisances sur la question des inégalités sociales, et la citoyenneté passive dont il a permis le
développement. Réaffirmant la priorité de la justice et l'égale dignité des citoyens, il se place
clairement dans la lignée du libéralisme classique, mais il critique l'utilitarisme présent dans le

3
welfarisme de l'Etat-providence dont le nouveau libéralisme s'était accommodé. Rawls développe
une théorie à la fois anti-utilitariste, procédurale, égalitariste et républicaine, qui distingue les
inégalités injustes des inégalités nécessaires mais améliorant le sort de tous, et surtout celui des plus
mal lotis. Là où le nouveau libéralisme a pêché par économisme, Rawls rappelle les aspects
proprement politiques du bien-être, modifiant ainsi le libéralisme classique en libéralisme
démocratique. En développant l'idée de raison publique, Rawls rencontre les théories de Habermas
sur l'éthique de la discussion, et ouvre un espace où déployer cette liberté individuelle réelle
envisagée depuis le XVIIe siècle. On comprend alors pourquoi, dans la vision d’Audard, il peut
être présenté comme la réalisation de l'effort originel du nouveau libéralisme, et donc de
l'adaptation du libéralisme classique aux termes du XXe siècle.

*
Qu'est-ce que le libéralisme s'attaque à une tâche fort ardue, et parvient à mettre en
valeur la continuité de la tradition libérale, en signalant les courants qui se sont indûment emparés
de ce nom. Si la pensée libérale a bel et bien « inventé l'idiome moral de la politique moderne »6, en
exprimant la nouvelle conception de la liberté qui s'est ensuite imposée, il continue pourtant d'être
une force active : conformément à son projet initial, Audard réussit donc à mettre en lumière la
« stabilité structurale » du libéralisme, allant pourtant de pair avec une « flexibilité diachronique »7,
source des confusions dénoncées dans l'ouvrage. Elle montre comment, contrairement aux idées
reçues, le libéralisme n'est pas opposé au social, et que toute son histoire illustre la tentative de
résolution de cette tension initiale. Alors que le libéralisme classique propose une égalité formelle,
et s'ancre dans un terreau aristocratique, le libéralisme du XXe siècle adapte le concept-clé de
souveraineté individuelle aux concepts adjacents d'Etat, d'égalité, de bien commun et de démocratie.
Audard opère donc une véritable réorientation de la compréhension ordinaire du champ libéral, non
centré sur l'économie. Ce point est implicite dans le sous-titre : la « société » représente
l'investissement par la pensée libérale des domaines du social et de l'économie ; mais pour bien
marquer sa différence avec l'erreur habituellement commise, Audard ne met pas l'aspect
économique au premier plan. Le coeur du libéralisme est normatif : il est à chercher dans l'éthique.
Plus encore, la réorientation n'est pas seulement négative, mais également positive. Il ne s'agit pas
seulement de purger le libéralisme de l'ultralibéralisme, mais aussi de réorienter la tradition libérale
un peu à contre-courant des façons habituelles : à partir des développements du « nouveau
libéralisme », qui est un libéralisme social, le libéralisme contemporain se situerait plutôt comme
une pensée de gauche, si l'on devait utiliser les repères de la vie politique française. C'est le sens de
la position centrale donnée à Rawls, qui offre la version la plus aboutie de résolution de la tension
aristocratique et de l'insuffisance du libéralisme classique face aux problèmes des inégalités
sociales. Mais Audard ne commet pas l'erreur de s'arrêter à cette conception figée du libéralisme : la
théorie de Rawls occupe une place centrale, sans être l'arrêt du mouvement d'adaptation du
libéralisme. Ainsi, la présentation de la prégnance du libéralisme actuel face aux problèmes
contemporains, qui terminent cet ouvrage, montre que le dialogue avec cette pensée, à partir de la
synthèse du libéralisme démocratique rawlsien, est toujours aussi vivace, que ce soit par rapport à la
question de la place de la solidarité, nationale comme internationale, du communautarisme, de la
tolérance religieuse et de la question de la neutralité, des crises de la démocratie élective et des
promesses de la théorie de la démocratie délibérative. Audard indique le chemin parcouru tout
comme le chemin à parcourir.

Deux critiques principales peuvent néanmoins être adressées à cette importante


contribution. Tout d'abord, nous pourrions souligner un certain optimisme d’Audard. Bien qu'il lui
arrive de remarquer les failles du paradigme libéral, au fur et à mesure de l'ouvrage, cet aspect se
fait plus discret. Si la théorie rawlsienne s'attaque à la réconciliation du libéralisme et du social, cela
ne signifie pas pour autant que les présupposés du libéralisme sur la nature humaine sont fondés.

6 Op. cit., p.25


7 Op. cit., p.333-334.

4
Audard réfute la critique du libéralisme comme utopie, et pourtant, elle parle toujours, au détour
d'une phrase de sa conclusion, d'un « pari » libéral8. On peut alors se demander si la mise en valeur
de la continuité libérale autour du concept-clé identifié ne provoque pas l’éclipse partielle de la
continuité de certaines failles, qui ont été des axes moins centraux de l’évolution libérale.
En outre, tout au long de cet ouvrage, Audard revient fréquemment à la distinction entre
deux types de libéralismes, moniste et pluraliste. Le premier serait l'expression de la pensée
rationaliste arrogante des Lumières : il existe une rationalité qu'il sera meilleur pour tous de suivre.
A l'opposé, le libéralisme pluraliste se montre plus tolérant et reconnaît la diversité irréductible de
l'humain. Parfois ces deux types s'incarnent de façons plus précises, dans les formes du
« libéralisme du bonheur », qui est intimement lié à l'utilitarisme, et le « libéralisme de la liberté »9.
Selon le libéralisme du bonheur, le bonheur est le bien premier. Il peut alors être libéral, lorsqu'il
comprend la liberté comme un moyen nécessaire. Le libéralisme de la liberté, quant à lui, conserve
la liberté individuelle comme objectif primordial. Plus l'ouvrage avance, et plus le trait est clair :
seul le libéralisme de la liberté est véritablement libéral. C'est d'ailleurs la conclusion d’Audard : le
libéralisme est par essence pluraliste, comme le montrent les inflexions qu'il a prises tout au cours
du XXe siècle, jusqu'aux « penseurs de la guerre froide », Berlin, Popper et Aron et à la philosophie
de Rawls. Mais dans ce cas, pourquoi continuer à en parler comme de « libéralismes » ? Si la thèse
principale est claire, qui montre le chemin continu parcouru de Locke et Mill jusqu'à Rawls et aux
développements actuels, on peut regretter que la dénonciation de ces abus de langage ne soit pas
plus marquée. Bien que la conclusion de l'ouvrage reconnaisse qu'il faudrait parler de plusieurs
« libéralismes », le but est de montrer l'existence d'une tradition continue, et pertinente. Parler du
« libéralisme » n'est pas un abus de langage, au sens général, mais la défense de cette position
amène peut-être Audard à ne pas appuyer assez sur les abus de langage particuliers que sont le
« libéralisme du bonheur » et plus généralement tout « libéralisme moniste ». Pourquoi continuer à
parler de « libéralisme moniste », si le libéralisme est pluraliste ?

8 Op. cit., p.731.


9 Audard reprend ces formules à Rawls, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Paris, La Découverte, 2002.

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