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LES DESSOUS DE L'INTERPRÉTATION

Pierre Bruno

Érès | « Psychanalyse »

2011/3 n° 22 | pages 5 à 11
ISSN 1770-0078
ISBN 9782749214511
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-psychanalyse-2011-3-page-5.htm
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Les dessous de l’interprétation


Pierre BRUNO

J’aurais pu dire les dessus-dessous de l’interprétation, dans la mesure où ce que


nous dénommons « interprétation » en psychanalyse ne peut pas ne pas être sans rela-
tion avec la topologie du nœud borroméen, développée par Lacan à partir du
séminaire Encore, en 1973. J’ai cependant gardé le titre initial pour ne pas affaiblir
l’équivoque « dessous », qui évoque en français la lingerie féminine.

Pour tenter d’expliciter au mieux l’enjeu de cet exposé, je dirai qu’une certaine
pente nous incite à considérer la question de l’interprétation sans nous interroger sur
le statut de ce qui est à interpréter, que ce soit un rêve, un lapsus, des propos, ou autre
chose. Or, je voudrais m’intéresser au temps d’avant, c’est-à-dire au processus de fabri-
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cation de la formation de l’inconscient à interpréter. Pour étudier ce temps d’avant,
nous disposons de quelques coordonnées. Elles concernent d’abord le rêve, mais nous
savons que le processus primaire n’est pas seulement en action dans le rêve et qu’il a
des effets dans toute parole. La première coordonnée est que le travail du rêve consiste
à transformer en rêve justement des pensées (Gedanken) inconscientes. Je corrige aus-
sitôt, et cette correction n’est pas indifférente : Freud ne dit pas inconscientes, mais
latentes. J’emprunte la deuxième coordonnée à Lacan, soit à une formule qui me ser-
vira de boussole : le rêve est ce qui permet à la jouissance de passer à l’inconscient,
formule que je complète d’une autre, que l’on trouve dans Télévision (1973) et que je
résume : la jouissance ne se chiffre pas, elle se déchiffre.

Cela posé, c’est la lecture de Finnegans Wake, de Joyce, qui m’a conduit à inter-
roger ce temps d’avant, pour faire référence au titre de notre colloque 1. Avant

Pierre Bruno <pierre.bruno@wanadoo.fr>


1. Journées d’études Le temps de l’interprétation, organisées par l’Assoziation für die Freudsche Psycho-
analyse et l’Association de psychanalyse Jacques Lacan, à Berlin, du 2 au 4 juin 2011.
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l’interprétation, que se passe-t-il ? Ce qui frappe en effet dans ce roman sans pareil,
c’est qu’on assiste, dans le temps réel de la lecture, à la fabrication d’un rêve, au tra-
vail même du rêve. Pourquoi Joyce, au lieu de raconter sa vie comme tout le monde,
construit-il, à force de paronomases, de synecdoques, de métonymies et j’en passe, un
contenu (Inhalt) qui se présente comme le récit manifeste d’un rêve, dont il faudrait
déchiffrer les pensées latentes ? Faut-il considérer qu’il y a là la traduction d’une
langue, celle des pensées latentes, dans une autre, celle du texte manifeste, ce qui vou-
drait dire que l’interprétation consisterait à retraduire le manifeste pour retrouver le
latent ? On pourrait être tenté par cette solution en pensant aux deux versions dont
nous disposons d’un des chefs-d’œuvre de Céline, Féerie pour une autre fois. La pre-
mière version est écrite dans la langue commune, la seconde, la définitive, est trans-
figurée par le travail qu’effectue Céline sur la ponctuation, qui signe son style. On
reste cependant perplexe : quel serait le statut de cette « langue des pensées latentes »,
pour reprendre ce syntagme de Freud dans la Traumdeutung ? Il faut en effet suppo-
ser que cette langue n’est pas commandée par le processus primaire.

Quelle est exactement la position de Freud ? Je le cite : « Pensées de rêve et


contenu de rêve s’offrent à nous comme deux présentations de même contenu en deux
langues distinctes, ou pour mieux dire, le contenu de rêve nous apparaît comme un
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transfert des pensées de rêve en un autre mode d’expression dont nous devons appren-
dre les signes et les lois d’agencement par la comparaison de l’original et de sa traduc-
tion 2. » Cette phrase, apparemment simple à comprendre, recèle cependant une devi-
nette. D’une part, le rêve manifeste résulte d’un « transfert » des pensées latentes, ce
qui pourrait nous conduire à douter que le rêve est bien l’original, mais, d’autre part,
ce rêve manifeste est bien affirmé comme « l’original » tandis que les pensées latentes
sont une « traduction ». Freud infère ainsi de l’interprétation qu’elle nous permettrait
de retrouver, et donc après le rêve, les pensées latentes qui étaient au départ de celui-
ci et que celui-ci aurait rendues méconnaissables. La métaphore de l’écriture de rébus
confirme clairement cette conception : il y a le rébus, soit le rêve en tant qu’« écriture
en images », et la solution du rébus. Bien sûr, Freud lui-même fait une entorse fon-
damentale à cette conception en introduisant l’ombilic du rêve, mais il n’en reste pas
moins qu’il accrédite l’idée d’un « original » et de sa « traduction ».

2. S. Freud, Œuvres complètes, tome IV, Paris, PUF, 2003, p. 322.


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Cette présentation n’est pas sans créer une difficulté : la langue du contenu du
rêve est celle du processus primaire, dont Freud détaille les neuf caractéristiques dans
la partie VI de la Traumdeutung (condensation, déplacement, et ainsi de suite). La
question qui se pose alors est la suivante : devons-nous considérer qu’il y a, en amont
du rêve, les pensées latentes, avec leur langue, puis le « transfert » dans le contenu
manifeste du rêve au moyen de ces neuf caractéristiques (« signes et lois d’agence-
ment »), ou bien devons-nous considérer que ces pensées latentes, telles que nous les
découvrons après interprétation, ne préexistent pas au rêve mais deviennent pensa-
bles grâce au rêve, donc au processus primaire ? Le travail du rêve fabriquerait de l’in-
conscient, c’est-à-dire rendrait possible une interprétation qui serait sans objet, qui
serait sans rien à interpréter tant que le rêve n’aurait pas été fabriqué et rêvé. C’est
pourquoi nous sommes en droit de nous interroger non seulement sur l’interprétation
elle-même, mais sur ce passage, dont fait état Lacan, de la jouissance à l’inconscient,
grâce au rêve.

Si, par ailleurs, la jouissance ne se chiffre pas, c’est parce qu’elle n’est pas une
langue qu’on pourrait tenir pour équivalente à la langue des pensées latentes. Là,
nous devons rompre avec l’idée jungienne d’une langue archétypale, idée qui fait l’im-
passe sur la jouissance. Ainsi, les pensées latentes (donc pas forcément inconscientes),
celles qui seraient là avant le rêve, peuvent bien obéir à une langue dont le fonction-
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nement ne relève pas du processus primaire, elles ne sont en tout cas que le matériau
du rêve. Prenons un exemple minimaliste : une rêveuse rêve à l’image d’une muraille
circulaire. Dès la première association, la rêveuse prononce le mot « enceinte » pour
décrire l’image de cette muraille circulaire. On peut bien penser que l’idée d’être
enceinte la préoccupait avant le rêve et on peut même penser que cette idée était soit
consciente, soit inconsciente, mais pourquoi, dans le rêve, cette présentation sous
forme d’image apparemment sans rapport avec l’idée d’être enceinte ? Pourquoi une
représentation de chose se substitue-t-elle à une représentation de mot, à rebours de
ce que nous imaginons être le trajet de mise en place du langage ?

Je récapitule : si nous lisons Freud d’une certaine façon, celle dont je ne me satis-
fais pas, nous pouvons nous représenter trois étapes du travail du rêve : 1. Les pensées
latentes ; 2. La transformation (le « transfert ») des pensées latentes par le processus
primaire (par exemple, la pensée « être enceinte » devient une image de muraille cir-
culaire) ; 3. L’interprétation permet de retrouver les pensées latentes. À la question
qui ne peut manquer de se poser sur la raison de ce détour, il y a une réponse « prêt-
à-porter », celle des psychologues, ou moralistes : c’est la censure. Or, un tel résumé
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de la théorie freudienne du rêve est radicalement fautif, en ce sens qu’il fait l’impasse
sur la vraie raison du rêve, à savoir accomplir un souhait (einen Wunsch erfülhen).
Aussi me paraît-il nécessaire de remplacer cette conception fautive par celle-ci : la rai-
son du détour est dans l’accomplissement d’un souhait qui n’est aucunement présent
dans le premier temps, celui des pensées latentes supposées en amont du rêve. Faire
passer la jouissance à l’inconscient est donc équivalent à former, dans le rêve et par le
rêve, un souhait inconscient qui n’existait pas auparavant. Cette nouvelle perspective
est l’occasion de souligner que la fonction du rêve est de tourner une page, au moyen
de cet accomplissement de souhait. Ce souhait a été gagné sur la jouissance et n’a plus
besoin, je me risque à le dire ainsi, d’être réalisé comme désir (als Begehren reali-
siert). Je laisse en suspens la question de savoir quelle est la part du rêve en tant que
tel et celle de l’interprétation dans la cession de jouissance.

Lorsque Lacan, reprenant un vers de Valéry dans La jeune Parque, énonce que
la jouissance est un défaut dans la pureté du non-être, dont l’absence rendrait vain
l’univers, il ne propose pas une formule hermétique. Le non-être, ce n’est rien d’autre
que ce que nous pouvons éventuellement supposer avant le langage, puisque le lan-
gage est ce qui permet aux « choses », quelles qu’elles soient, d’accéder à l’être. Le
résultat est de mettre le non-être en défaut, et du même coup de situer la jouissance
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dans sa contradiction : elle naît de se révéler impossible, puisque, grâce au langage,
toutes les choses peuvent accéder à l’être, sauf elle, qui n’est rien, comme chose sup-
posable, avant le langage. La jouissance est interdite, d’être dite 3. Qu’est-ce qui fait
alors que l’univers n’est pas vain, c’est-à-dire que nous pouvons plus ou moins jouir ?
La réponse vient, initialement, de Freud : c’est le phallus. Le phallus en effet est en
somme ce qui, dans l’océan des mots qui se vouent à faire accéder les choses à l’être,
se saisit d’une chose, l’organe sexuel mâle, pour le retenir dans le non-être. Le phal-
lus est, non pas le symbole du pénis, mais le signifiant d’un défaut dans l’être. C’est
le signifiant d’un défaut dans l’être de la jouissance qui libère celle-ci de son inexis-
tence, sous réserve qu’elle soit marquée de sa perte originelle par ce redoublement
comme défaut d’être.

C’est ce qui fait dire à Lacan dans Les non-dupes errent, à la leçon du 11 juin
1974, que la jouissance phallique est celle qui « est en somme apportée par les sèmes ».
Qu’est-ce à dire ? Le sème, ajoute Lacan, « c’est ce qui fait sens. Tout ce qui fait sens

3. Il y a eu au Moyen Âge un débat philosophique soutenu portant sur la référence vide, dont le para-
digme est : tout homme est nécessairement animal, aucun homme n’existant. On pourrait dire que la
jouissance est une référence vide : la jouissance est un défaut dans le non-être, aucune jouissance n’exis-
tant. Or, la jouissance, pourtant, existe.
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dans lalangue s’avère lié à l’ek-sistence de cette langue, à savoir […] que c’est pour
autant que cette jouissance phallique, que cette jouissance sémiotique se surajoute au
corps qu’il y a un problème ». Il me semble qu’il est possible de déduire de ces énon-
cés que la jouissance phallique est la jouissance qui a lieu du fait que le corps, notre
corps, rencontre lalangue qui est au-dehors de lui. Il n’y a donc pas, si ma lecture est
juste, de jouissance antérieure à la jouissance phallique, ou de jouissance qui serait
primaire par rapport à celle-ci (thèse qu’on trouve dès les années 1930 dans le débat
sur la phase phallique et qui est encore en cours aujourd’hui). Autrement dit encore,
le sujet, qu’il soit névrosé, pervers ou psychotique, a affaire à cette jouissance, la ques-
tion de lui conférer ou non une signification étant d’un autre niveau (le niveau qui
permet de distinguer névrose de psychose). C’est de cette jouissance-là qu’il s’agit
quand nous voulons savoir comment elle passe, grâce au processus primaire du rêve,
à l’inconscient.

Vous avez sans doute l’intuition, comme je l’ai eue, que nous abordons alors la
rive mystérieuse de l’origine du langage, puisque si l’inconscient, dans le rêve, est arti-
culable en tant que symbolique, la jouissance, elle, relève du réel. Je sais bien que,
dans ses derniers séminaires, Lacan dit que l’inconscient est réel, mais c’est pour insis-
ter sur le fait qu’aucune interprétation ne peut le dissoudre (ce que Freud avait déjà
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noté avec l’ombilic du rêve).

Nous pouvons donc traduire notre question comme concernant le passage d’un
réel à un symbolique. Précisons cependant un point : le réel, ce n’est pas la réalité des
choses, c’est ce qui s’avère au contraire impossible, à partir de l’émergence du langage,
à être saisi par le langage au même titre que la réalité des choses. Pour nous approcher
maintenant de cette rive d’où nous entendons les premiers mots nous parvenir, je ferai
appel à une dernière citation de Lacan, dans Le savoir du psychanalyste (leçon du
3 mars 1972) : « Ce que je suis, pour moi, en train pour vous d’avancer, c’est quelque
chose qui, foncièrement, s’attache à l’origine purement topologique du langage. »
Cette notation est une clef, mais où est la serrure ? Il faut noter que, en 1972, Lacan
n’a pas encore fait état du nœud borroméen, c’est-à-dire de cet assemblage de ficelles
qui répond au principe de la liaison du un et du deux au moyen du trois. Peut-être l’a-
t-il déjà en réserve, puisque c’est dans l’année suivante qu’il en parlera, je ne sais.

De toute façon, dans sa première topologie, nous trouvons déjà la problématique


anti-deux, si j’ose dire, à savoir le refus de partir de l’opposition extérieur-intérieur.
Dans une bande de Möbius, quel que soit le point que vous choisissez sur la surface
de cette bande, vous pouvez, sans discontinuité, rejoindre son point antipodal, celui
qui se trouve au même endroit, mais à l’envers. Si vous faites se rejoindre les deux
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bords de la bande de Möbius, vous ne pouvez y arriver que par un autotraversement


des surfaces. Le phallus est alors le point dit de réversion, celui où la surface endroit
devient la surface envers. Quant à la topologie borroméenne, il suffit de reprendre la
définition du phallus comme signifiant d’un défaut dans l’être pour faire valoir
qu’entre deux ronds de ficelle entrecroisés, il est en mesure de passer comme droite
infinie pour produire un vrai trou. Notons cependant qu’il peut effectuer ce passage
au moins de deux façons, en nouant les ronds soit borroméennement, soit olympique-
ment. Dans les deux cas il y aura du sème, soit du sens, mais dans le second cas un
sens que je dirai erratique, dans la mesure où la signification (Bedeutung) du phallus
serait en suspens, faute que la structure soit borroméenne. La question qui découle
de cette remarque est la suivante : peut-il y avoir travail du rêve, à savoir passage du
réel au symbolique, sans cette entremise du phallus ?

Une solution désormais se profile si nous partons de ceci que le phallus, signi-
fiant du défaut d’être, est la condition de ce passage de la jouissance à l’inconscient,
et ce que la signification phallique ait été ou non produite. Dans l’espèce animale, la
sexualité s’exerce, dans la réalité des choses, par couplage : un se noue directement à
un autre un, comme deux anneaux olympiques. Pour l’homme et la femme, à cause
du langage, la sexualité ne peut s’exercer que subordonnée à un souhait inconscient,
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quel qu’il soit, dont la forme primordiale et définitive, pour qu’il y ait cession de jouis-
sance, doit justement ne pas se conformer à ce type de couplage. Pourquoi ? Parce que
ce type de couplage, dans la mesure où il relève d’un lien direct entre un et un autre
un, fait l’impasse sur ce qui caractérise la sexualité humaine dès lors qu’elle est com-
mandée par le régime du langage, à savoir : comment faire lien quand l’autre un n’est
pas seulement autre mais Autre, c’est-à-dire relève du symbolique ? J’ai déjà noté que
le phallus, en tant que droite infinie, est ce qui permet de lier deux ronds qui sont
non pas liés mais seulement superposés, tout en vérifiant qu’il y a entre eux un vrai
trou, puisque, sans cette corde qui les lie, il y aurait entre eux non pas un trou, qui
implique un bord, mais un espace non bordable.

Reprenons ce fragment de rêve. L’interprétation qui consiste à extraire le signi-


fiant « enceinte », là où il y avait l’image d’une muraille circulaire, est bien l’index
qu’il y a du sexe en jeu et que le souhait du rêve, quel qu’il soit, n’a de raison que
comme réponse à un questionnement qui n’a lieu que parce que le couplage ne va pas
de soi. J’explicite : quand l’advenue de la jouissance subvertit, chez l’humain, le rap-
port au sexe. Les bergers pyrénéens, paraît-il, disposaient d’un langage par sifflement
qui leur permettait de s’entendre quand ils étaient l’un sur une crête, l’autre sur une
autre. Peut-être est-ce l’image onirique qui est la meilleure Darstellung du souhait
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que vous ayez entendu quelque chose de ce que je viens de vous dire. Le berger d’en
face c’est l’autre, la crête d’en face c’est l’Autre, qui transforme le berger en bergère.

J’ajoute, sous forme de codicille ou plutôt de programme, un mot : le rêve est le


lieu où le je n’est plus là où il est dans le souvenir. C’est en quoi il permet la récusa-
tion des identifications et pose le problème de la dissolution du je, de la distinction
entre le un différentiel du trait unaire (le un en tant que nom du zéro) et le un insé-
cable de l’individu. Sur ce dernier point d’ailleurs, je soutiens que l’un et l’autre uns
ne sont pas en mesure de soutenir une identification satisfaisante en fin d’analyse.
Cette fin exige une identification au seul un qui vaille, celui du symptôme.
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