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Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis Sofien DHIF

Cours n°1 : Aux origines de l’avènement du mouvement moderne (1890-


1914)

Introduction
Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, le monde occidental connut un nouveau tournant dans
son histoire économique, propulsé principalement par la révolution industrielle qui s’est
déclenchée en premier lieu en Angleterre
(en Wallonie), où des retentissements
immédiats furent remarqués dans les pays
voisins, telle que la France (début XIXe
siècle). En conséquence, un nouveau stade
de développement des sociétés
occidentales a été promulgué grâce aux
mutations induites par cette révolution et
l’industrialisation d’une part, mais aussi
par la mise en place du capitalisme1 d’autre
part. Le travail en usine vers la fin du xixe siècle
Adolph von Menzel (1872-1875)

De 1870 à 1914, nous assistons alors aux diverses transformations dans le domaine technique,
à l’instar de l’usage des nouvelles forces motrices, développement intense du machinisme,
renouvellement et perfectionnement des techniques grâce aux applications pratiques de la
science et une extension et une rapidité croissante des moyens de transport.
Cette nouvelle modernité naissante dans les grandes villes européennes aura pour conséquence
une mutation sociale et démographique accrue, générée par l’expansion rapide de sa population.
Ainsi, un monde nouveau prend place, dans lequel une nouvelle configuration sociale émerge
et formée par les capitalistes (ou les bourgeois) et le prolétariat (ou la classe ouvrière) :
principaux acteurs de l’industrialisation. Tous ces facteurs poussent ainsi à démanteler les
formes anciennes de la vie sociale communautaire d’un temps révolu.
1- Naissance de la ville industrielle
Avec l'arrivée massive et rapide des populations rurales (paysans et travailleurs agricoles) dans
les villes, les grandes villes européennes arrivent mal à développer les infrastructures (routes,
logements, aqueducs, etc.) nécessaires pour les accueillir. De façon générale, cette population
pauvre se retrouve alors dans des quartiers entassés et dans des logements insalubres. De plus,
les quartiers ouvriers se situent près des usines dans un environnement pollué par les émanations
de charbon et les déversements de produits toxiques dans les eaux.
Un nouveau débat s’inaugure en conséquence face aux nouveaux défis lancés par la nouvelle
ville industrielle et la manifestation de besoins grandissants de logements soumis aux nouvelles
préoccupations de qualité de vie, d’hygiène et d’équipements nécessaires.

1
Capitalisme : Système économique caractérisé par la concentration de gros capitaux en vue de promouvoir la
production et les échanges commerciaux.

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« En 1870, Londres est une immense ville, dont la


population croît à une vitesse phénoménale. Alors
qu’elle comptait à peine 1 million d’habitants en
1801 elle en cumulera 3 800 000 en 1881. Cette
croissance est en grande partie due à la migration
de travailleurs depuis toute l’Angleterre et
l’Irlande, alors que la capitale s’impose comme le
plus grand centre industriel d’Europe. Les
nouveaux venus grossissent les quartiers est de la
ville, cloaques où s’entassent les travailleurs des
docks, les ouvriers des usines mais aussi vendeurs
ambulants, chiffonniers, prostituées, mendiants et
délinquants ».
Extrait du livre London, a pilgrimage par Gustave
Doré and Blanchard Jerrold

Gustave Doré, Ludgate Hill,


Planche pour London, a pilgrimage, 1872

Un quartier ouvrier en Grande-Bretagne

2- Progrès techniques de la construction et architecture de l’ingénieur


Au XIXe siècle, la révolution industrielle voit la création de nouveaux matériaux fabriqués en
usine, rapidement et en grandes quantités. Grâce aux recherches des ingénieurs, ils sont de plus
en plus solides, économiques et permettent de véritables prouesses architecturales. Trois d’entre
eux sont particulièrement plébiscités par les architectes modernes : le métal, le verre et le béton.
a- Nouveaux matériaux de construction
• Le métal
Le XIXe siècle est l’âge d’or du fer dans la construction, en raison des progrès des techniques
de la sidérurgie. Le métal commence à être utilisé dans l’architecture et le génie civil dès la fin
du XVIIIe siècle. En même temps que progresse la révolution, qui permet la production et la
commercialisation du fer et de la fonte, le métal est de plus en plus massivement utilisé.

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L’architecture, dans ses formes et sa pratique, en est profondément transformée. D’abord


employée pour des raisons techniques, l’architecture métallique est utilisée pour les halles,
les gares, les ponts, les passages couverts, les grands pavillons des Expositions Universelles et
tous bâtiments de transit.
En Angleterre, le premier pont de fer est construit en 1779 par Wilkinson à Coalbrookdale. En
France, il faut attendre 1801 et la réorganisation de l’industrie du fer nécessaire aux guerres de
Napoléon accompagnée d’une production massive de fer. Notons également que le
développement de l’industrie sidérurgique en France s’est propulsé grâce à la création de
l’Ecole des Ponts et chaussées à Paris en 1847. Le 1er pont métallique à Paris (pont des Arts)
date de 1803 et est conçu par Louis-Alexandre de Cessart et Jacques Dillon.

1er pont de fer en Angleterre (pont de 1er pont de fer à Paris (pont des Arts) 1803 par Louis-
Coalbrookdale) en 1779 par Wilkinson. Alexandre de Cessart et Jacques Dillon.

• Le verre
Les innovations techniques fondées sur les progrès réalisés dans le domaine de la chimie et de
la connaissance des matériaux au XIXe siècle ont non seulement donné naissance à des
applications architecturales nouvelles, mais aussi
à des typologies totalement inédites. Galeries
commerciales, grands magasins, marchés
couverts et serres, halls de gare et d’exposition,
etc. qui symbolisent cette nouvelle architecture
entièrement placée sous le signe de la
transparence et de la légèreté.
En Angleterre, le Crystal palace de Sir Joseph
Paxton (1851) résume ces expériences et marque
le début de la série des grandes galeries vitrées du
XIXe siècle.
Le Crystal Palace - Sir Joseph Paxton 1851, en
Angleterre
• Le ciment
Nous devons à Joseph Aspdin qui a fait breveter le ciment « Portland » en 1824, obtenu à partir
d'un procédé de calcination combinant la cuisson de calcaire et d'argile dans des fours alimentés

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au charbon. Dès la fin du XIXe siècle, le béton moderne à base de ciment Portland devient ainsi
un matériau de construction largement répandu.
Par ailleurs, François Coignet,
François Hennebique, puis Auguste
Perret et ses frères entrepreneurs sont
les inventeurs du béton armé. Ce
dernier (Auguste Perret) compte
parmi les piliers fondateurs dans cette
voie révolutionnaire de l’art de
construire et occupe une place
incontournable dans l’histoire de
l’architecture contemporaine. Parmi
les contributions de plus importantes
aux architectures de béton armé avant
1914, nous citons l’immeuble du 25
bis rue franklin à Paris. Immeuble Auguste Perret, 25 bis Rue Franklin - Paris

Ce haut bâtiment parisien, réalisé en 1903, présente des caractéristiques tout à fait novatrices
pour l’époque, qui lui ont valu d’être considéré comme une prouesse de l’architecture moderne.
En effet, son ossature est entièrement constituée de béton armé ; l’immeuble entier repose sur
un squelette de poteaux en béton et ne comporte aucun mur porteur, ce qui permet à chaque
étage de profiter d’un « plan libre ».
b- Architecture de l’ingénieur XIXe siècle
Le XIXe siècle voit s’affirmer le personnage de l’ingénieur-constructeur qui, aux côtés de
l’architecte, va promouvoir les technologies et les matériaux nouveaux, engageant ainsi l’art de
bâtir dans un processus de remise en question propre à l’orienter dans l’architecture
rationaliste2. Celui-ci (le personnage de l’ingénieur), par son souci constant de rationalité, a
joué un rôle clef dans le débat art-industrie, suscité par l'intégration progressive de la science
dans la société. C’est ainsi que nous assistons à l’élaboration de nouveaux programmes pour
l’ingénieur, tels que les fermes métalliques, viaducs et ponts.
« L’arrivée de l’ingénieur spécialisé dans le champ de la structure, armé de
techniques industrialisés et plus rapides de recherches formelles, a fait éclater la
boursouflure artistique, mis en pièce la position privilégiée de l’architecte, et donné
une base nouvelle aux développements actuels ».
Siegfried Geidon, Espace, temps et architecture, 1941.
A titre d’exemple, nous citons la Bibliothèque Sainte Geneviève de Paris, conçu par Henri
Labrouste entre 1843-1855. À l’issue d’un travail de programmation inédit, l’architecte choisit

2
L'architecture rationaliste est un nom donné par la suite à un mouvement architectural qui s'épanouit pendant
les siècles de Lumières (plus particulièrement le Néoclassicisme) avançant que les bases intellectuelles de
l'architecture sont avant tout la science, en opposition avec le respect et l'imitation des traditions et croyances
archaïques. Les notions architecturales de l'époque gravitaient de plus en plus autour de la croyance que la raison
et les formes naturelles sont intimement liées, et que la rationalité de la science devrait servir de base pour
concevoir et agencer les éléments structurels.

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le métal pour sa résistance au feu mais aussi pour son esthétique nouvelle : les grands arcs en
berceau et les fines colonnes de fonte font partie intégrante du décor.

Bibliothèque Sainte Geneviève, Paris, Henri Labrouste


Architecte 1843-1855
c- Les expositions universelles
L’événement des expositions universelles, en tant que tel, est à chaque fois un épisode
historique révélateur d’ambitions sociales et politiques et il donne une bonne idée des rapports
de force internationaux, voire de la marge économique d’un pays. En outre, elles recèlent, par
définition, des ensembles de productions très diversifiées, dans les domaines artistiques et
techniques.
La première exposition universelle s'est tenue à Londres en 1851 et elle a été distingué par
l’œuvre du Crystal Palace qui marque à l'évidence un tournant par le changement d'échelle
qu'elle manifeste. En 1850, un concours est organisé pour la construction du palais à l’occasion
de l’exposition à Londres. Sur les deux cent quarante-cinq projets examinés, aucun n’est jugé
conforme aux exigences du programme. Joseph Paxton décide donc de soumettre un projet en
s’appuyant sur son expérience en matière de serre agricole. En sept jours et sept nuits, il imagine
une boîte de construction composée de deux éléments de base : des poteaux et un châssis. Ce
projet provoque immédiatement l’enthousiasme du Comité de l’Exposition qui l’accepte sans
réserve. Par ailleurs, l’importance
du Crystal Palace ne réside pas dans
la solution d’importants problèmes
de statiques, ni dans la nouveauté
des procédés de préfabrication, ni
encore dans les trouvailles
techniques, mais plutôt dans le
nouveau rapport qui s’établit entre
les moyens techniques et les
objectifs de la représentation et
d’expression assignés à l’édifice.
Le Crystal Palace - Sir Joseph Paxton 1851, en Angleterre

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Aussi, il serait inconvenant de ne pas citer l’Exposition universelle de Paris datant de 1889, qui
a été marqué par l’édification de la Tour Eiffel. Au départ, cette œuvre n’était pas prévue pour
durer. A l’occasion du centenaire de la Révolution française, un grand concours avait été
organisé, qui avait pour objet la « possibilité d’élever sur le Champ de Mars une tour de fer, à
base carrée, de 125 mètres de côté et 300 mètres de hauteur ». Sur les 107 projets, celui
de Gustave Eiffel est retenu.
Cependant, le projet a soulevé à l’époque de nombreux détracteurs qui considéraient la Tour
comme une menace pour l’esthétique de la ville. Une tour en fer, érigée en plein cœur de Paris,
ne convenait pas selon eux, trop en contraste avec l’élégance et la beauté raffinée de la ville.

Tour de Paris ou tour Eiffel – Exposition universelle Paris 1889

d- Nouvelle modernité naissante associant Art et Techniques


Quels impacts aurait-elle la révolution industrielle sur l’art et l’architecture ? La rencontre de
l'art et de l'industrie représente un fait dominant du XIXe siècle qui conditionne les
transformations matérielles et sociales du monde en transformant inéluctablement les finalités,
les valeurs et les moyens d'action humains.
Désormais, la machine détermine soudainement et absolument les conditions de l'existence
humaine, et c'est pendant la première moitié du XIXe siècle que les hommes vont prendre
conscience de leur entrée dans un système d'action sur la matière complètement différente ;
s'instaure alors une opposition violente entre les Beaux-Arts et l’industrie. William Blake3
indiquait, dès le début du siècle, qu’« une machine n'est pas un Homme, ni une Œuvre d'Art ;
elle détruit l'Humanité et l'Art ». Dans cette perspective paraît la revue L'Art au XIXe siècle en
1856, qui prône très vigoureusement l'alliance entre art et technique.
Pour rappel, dans l’architecture de la première moitié du XIXe siècle, la tendance néoclassique4
s’imposa d’abord, déjà présente dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, mais
3
Artiste peintre, graveur et poète britannique.
4
Néoclassicisme : une réaction contre le style rococo correspondant au goût de l’aristocratie : le néoclassicisme
était lié aux évènements politiques de l’époque (révolution française et le règne de Bonaparte). Il a été pris comme
art officiel des nouvelles républiques issu des révolutions américaine et française. La République romaine devient
le symbole d’un Etat parfait où l’art peut s’épanouir dans l’expression des plus nobles sentiments humains. Les
architectes français représentatifs de ce mouvement sont en particulier : Etienne Louis Boulée et Claude Nicolas
Ledoux.

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concomitamment avec la diffusion de la sensibilité romantique et l’intérêt historique pour


l’historicisme5.

Panthéon de Paris, Jacques-germains Soufflot Jean-Baptiste Rondelet,


1756-1790 (Architecture néoclassique)

Opéra Garnier, 1875, Paris du style néo-baroque

Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XIXe siècle où nous assistons à la naissance d’une
nouvelle modernité associant l’art aux techniques contrairement à la tradition classique fondée
sur la culture humaniste de la Renaissance.

5
L’historicisme qui désigne un mouvement qui, à partir de 1850, aboutit à la renaissance (revival) de différents
styles architecturaux et artistiques ; L'historicisme atteignit son apogée vers 1860 avec une architecture caractérisée
par un pluralisme stylistique (on parle aussi d'éclectisme), qui, puisant librement, comme le prônait César Daly,
dans toute l'histoire de la construction, avait pour but de créer un style en adéquation avec la société bourgeoise
du XIXe siècle.

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3- Défaite de l’éclectisme
Les premières prémisses d’un art moderne s’est établi en rupture avec l’académisme6
occidentale des siècles précédents.
A partir de 1830, le développement industriel de l’Europe met d’autant plus les ingénieurs au
premier plan, leur conférant un rôle économique et social important et entraînant ainsi
l’augmentation rapide du nombre de diplômés. En parallèle de cela, le conflit ingénieur-
architecte ne s’affaiblit pas et la tendance générale des architectes est à la réduction du champ
d’actions des ingénieurs. En effet, alors que le rôle des premiers ingénieurs des Ponts et
Chaussées était de recenser et réorganiser le royaume, les compétences des ingénieurs civils se
sont peu à peu étendues à l’architecture des ouvrages d’art, mais également de toutes sortes de
bâtiments dont la conception était jusqu’à lors réservée aux architectes.
C’est ainsi que, dans le but de défendre leur savoir-faire et leur accès à la commande, les
architectes cherchent à mettre en lumière l’illégitimité des ingénieurs à produire des œuvres
esthétiquement signifiantes. D’ailleurs, ce n’est qu’au XXe siècle que les choses changent. Les
ingénieurs entrent dans la classe des rationalistes et se voient inconsciemment crédités de la
capacité à aborder l’esthétique dans les projets.
Cependant, les grandes transformations qui se préparent sont, dès ce moment, signalées par la
percée d’une approche « technologique » de l’architecture (les procédés de construction en
acier, en béton armé), et par les nouvelles formes de l’habitat : la « villa » et le début du
logement social. Ce grand déplacement de la demande d’architecture, entre 1890 et 1914, en
dehors des territoires balisés par l’architecture monumentale, est à la base d’un «
protorationalisme » (d’après le critique italien Persico, en 1935), qui conduit à écarter les
conceptions architecturales traditionnelles. Le luxe de la profusion cède la place au luxe du
confort, l’éclectisme à l’innovation. Moyens techniques, et programmes nouveaux, dans cette
période, commencent à stimuler les transformations radicales de l’offre, c’est-à-dire des
pratiques et des doctrines.
En Europe, dans un contexte social et politique marqué à gauche (radicaux en France,
coopérateurs et syndicalistes en Allemagne, réformateurs sociaux à Vienne, travaillistes en
Angleterre), à partir des années 1880, plusieurs manifestations collectives, toutes situées à
l’écart des institutions académiques existantes, donnent des directions d’avenir : promotion
des arts mineurs (le mouvement Arts and Crafts), création des Wiener Werkstätte (1903),
du Deutscher Werkbund (1907). Aux États-Unis, le développement d’une économie
industrielle puissante donne le coup d’envoi à de nouvelles performances dans la construction
des immeubles utiles au monde des affaires et à de nouveaux critères pour l’architecture de
l’habitation.
a- Contestation et tentatives de réconciliation
Ce vent de liberté conduit aussi à la contestation des modèles canoniques : repris des traités
d'architecture italiens, en particulier celui d'Alberti, font référence, à côté des monuments
d'Italie - ceux qu'a laissés la Rome antique comme ceux que les maîtres de la Renaissance ont

6
Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées,
habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits
conformément à ces principes par des académiciens ;

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édifiés -, à l'emploi conforme des ordres de l'architecture : le dorique, l'ionique et le corinthien


et, bientôt, leur imitation pure et simple est discutée.
Le règne naissant du fer et de la science trouve ainsi un magnifique témoignage dans la
Bibliothèque Nationale que nous devons à Labrouste, architecte de formation classique ouvert
aux progrès de la technique. En associant la pierre, la fonte et le fer pour la réalisation des
grandes salles de lecture de cet édifice, Labrouste apportait une solution techniquement et
plastiquement appropriée à un programme très symbolique. Toutefois, la rencontre qu'il réalise
ici, entre la rigueur du classicisme et l'innovation portée par la science, ne trouvera guère de
suite dans le milieu des architectes. Beaucoup manifesteront un dédain pour le fer qui les
conduira, comme Victor Laloux à la gare d'Orsay et à la fin du XIXe siècle, à masquer, derrière
des caissons de plâtre, l'ossature métallique des édifices modernes qui leur seront confiés en
grand nombre.
• Proposition de Jean Louis Nicolas Durand à l’Ecole polytechnique Royale en 1819
Jean Louis Nicolas Durand critique les ordres dans leur prétendue universalité en proposant un
« système de règles raisonnables et pratiques » dans ses leçons à l’école polytechnique. Selon
lui, la traduction architecturale de ces principes n'est possible que par la systématisation. Il a
développé une méthode qui a établi une grille carrée comme base pour la disposition des murs
et des parties porteuses. Ensuite, différents groupes constructifs sont ajoutés dans le cadre
contenant le programme, un processus similaire à un ensemble de construction. La grille de
base détermine le système constructif, qui peut être composé de murs, d'arcades, de cours
intérieures, etc. C’est ainsi qu’il a proposé une théorie combinatoire permettant d’associer entre
eux divers éléments (formes, matériaux et proportions) de toutes les manières possibles.

Système de « règles raisonnables et pratiques »

• Eugène Viollet Le Duc (1814-1879)


Parmi les tentatives de rationalisation et de conciliation du classicisme avec un rationalisme
constructif, on retient l’approche d’Eugène Emmanuel Viollet Le Duc. Ce dernier associe à
l’élan romantique, qui remet au goût du jour le gothique, une démonstration raisonnée de la
grande maîtrise des bâtisseurs des cathédrales. Utilisant des matériaux de son temps, il s’oppose

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au néoclassicisme pour produire traités et projets fondés


sur les connaissances qu’il a acquises dans les travaux
de restauration d’édifices médiévaux. Ce sera alors
autant l’importance de ses constructions que celle de ses
théories qui lui vaudront une telle notoriété. « Notre
Dame de Paris » fut depuis 1844 jusqu’à la fin de sa vie,
son chantier de prédilection. Il y a fait ses preuves et y a
acquis une vision globale de l'architecture médiévale.
Il analysa dans ses écrits les formes gothiques pour
établir un ensemble de principes pour l'architecture de
son temps qui emploiera des matériaux nouveaux, acier,
fonte. Il propose sa propre définition de l’architecture
qui serait alors une réponse à un problème structurel
posé par des besoins fonctionnels.
Les théories développées par Viollet Le Duc ne seront
jamais appliqués mais plusieurs de ses structures
montrées comme efficaces avec les matériaux modernes
furent construites par des architectes d’Art Nouveau.
Salle à voûtes d’arêtes de fer et de
maçonnerie
• John Ruskin (1819-1900) : Gothic Revival (néo-gothique)
Inspiré des traités d’Eugène Viollet Le Duc, John Ruskin se débarrasse progressivement de
l’idée du « néo » et de la simple copie des formes gothiques pour établir un ensemble de
principes pour son mouvement néo-gothique.
Au XIXe siècle, des styles néogothiques de plus en plus rigoureux et documentés visent à faire
revivre des formes médiévales qui contrastent avec les styles classiques dominants de l'époque.
Ruskin croyait que les valeurs spirituelles et les réalisations artistiques les plus élevées de
l'homme s'exprimaient non seulement dans l'architecture de maçonnerie élaborée et lourde de
l'Europe médiévale, mais aussi dans le système de travail des guildes de l'époque où les artisans
formaient des associations et coordonnaient leurs méthodes non mécanisées afin de construire
des choses : une croyance dans les guildes gothiques qi correspond à un rejet de la mécanisation
- la révolution industrielle - et une appréciation pour l'artisanat.
• Arts and Crafts (1860-1910) – William Morris
Le fervent débat qui confronte art et artisanat face à l’industrie trouve sa motivation dans l’idée
d’une menace inévitable de l’ère industrielle sur la nature. Le mouvement Arts and Crafts fut
une des manifestations qui y répondent en luttant contre la déqualification de la main d’œuvre
et de l’artisanat résultante du nouveau contexte de l’époque.
Parmi ses principes, nous citions :
- Un artisan ne peut être heureux que s’il participe à chaque étape de la réalisation de son
produit (du dessin aux finitions) ;
- Pour réaliser une belle œuvre, il faut travailler dans un environnement sain et agréable ;

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- L’art n’a pas vocation à être admiré, il doit se retrouver partout, même dans les objets
fonctionnels du quotidien ;
En effet, William Morris refuse la production industrielle et envisage la machine comme étant
l’antithèse du travail et des possibilités de l’art. Selon lui, seul le travail fait à la main peut
permettre un rendu de qualité. Un positionnement osé à une époque où la majorité prône
l’industrialisation.
Au niveau politique, il associe production mécanique et système capitaliste et pense que la
révolution socialiste mettra fin à cette mécanisation et remplacera les grandes agglomérations
par des petites communautés dans lesquelles l’ouvrier heureux produira des objets utiles par
des procédés artisanaux. Dans cette optique, William Morris crée sous une forme coopérative
un atelier d’arts décoratifs Arts and Crafts (1861-1940), qui produit des papiers peints, de la
verrerie, des meubles, des vitraux d’arts.
Les successeurs de William Morris reconnaitront plus tard que la civilisation moderne repose
sur la machine et qu’il n’est pas possible de stimuler et d’encourager l’enseignement artistique
sans reconnaitre cette réalité. Parmi ces œuvres, nous mentionnons « Red House », dont le nom
provient de l'utilisation de briques rouges avec, pour la première fois, une structure organique
et où tous les éléments sont artisanaux.

« Red House » de William Morris: son premier projet

4- Art Nouveau et essoufflement de l’éclectisme


L’art nouveau est un courant artistique international. Il naît du mouvement Arts and crafts, dont
la figure centrale est le britannique William Morris (1834 – 1896), qui prône, dans les années
1860, un retour à la nature, aux ondulations, à la délicatesse, défend l’artisanat contre la
production industrielle, et remet au goût du jour la tapisserie.
Vers les 1900, l’art nouveau intervient comme « un geste magnifique » et continue dans la
mouvance des Arts and Crafts, de confronter les traditions artisanales à l’industrialisation. Sont
réunis sous cette orientation, Henri Van De Velde, Hoffmann, Otto Wagner, Adolf Loos, Victor
Horta.
L’art nouveau réintroduit la nature dans un monde industriel à la rationalité asséchante. À la
dureté angulaire des machines en métal, aux lignes droites sans surprise, à la monochromie, les

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artistes de l’art nouveau préfèrent les courbes, les ondes, les arabesques, la polychromie, les
sinuosités, l’asymétrie, les lignes longues. Ils utilisent comme motifs des animaux, des oiseaux
ou des insectes, des figures mythologiques, des plantes, des feuilles, et même des motifs
orientaux, comme les feuilles de palmier ou le papyrus. Il favorise les couleurs pastel (couleurs
aux tons doux), il utilise le verre, la pierre (alliance nouvelle), mais aussi des matériaux
modernes, comme le chrome ou l’acier inoxydable. Ici, les architectes de l’art nouveau
recoupent la nouvelle culture technologique qui met à leur disposition : métal, verre, céramique
et ciment.
• Victor Horta (1861-1947) : chef de file du mouvement Art Nouveau en Belgique,
Projet phare : Maison Tassel Bruxelles
Cet hôtel de maître, construit en 1893 par Victor Horta pour
son ami le professeur Émile Tassel, occupe une place majeure
dans l'histoire de l'architecture et a d'ailleurs été inscrit en
2000 sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. C'est
en effet la première manifestation de l'Art nouveau bruxellois.
La maison individuelle bourgeoise se simplifie et devient plus
confortable.

Maison Tassel – Bruxelles – 1892-1893

• Josef Maria Olbrich (1867-1908) : l’un des fondateurs de l’Art nouveau en


Autriche – Projet Phare : Atelier des artistes de la colonie

Atelier des artistes de la colonie, 1901, Joseph Maria Olbrich (1867-1908) appelé la Maison d'Ernst Ludwig
(Ernst-Ludwig Haus)

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Ce bâtiment comprenait des ateliers et un hall d'exposition. Il a été le lieu de la première


exposition de la colonie en 1901. Détruit par les bombardements alliés en 1944, il a été
reconstruit à l'identique en 1990.
Le style viennois Sécession, de J. M. Olbrich (l'architecte du pavillon de la Sécession à Vienne)
est décelable dans le décor de l'entrée, encadrée par deux sculptures de Ludwig Habich (un des
membres de la colonie) représentant la Force et la Beauté.
• Henri Van De Velde (1863-1957) : l’un des fondateurs de l’Art nouveau Belge –
Projet Maison R. Springmann à Hagen

Maison R. Springmann à Hagen (Allemagne) 1907

• Josef Hoffman (1870-1956) – Vienne : Charnière entre l’Art nouveau et l’Art


déco – Projet : Palais Stoclet – Bruxelles 1905-1914

Palais Stoclet – Bruxelles 1905-1914

Il s’agit de l’une des charnières entre l’Art Nouveau et l’Art Déco. Le séjour de Hoffman en
Italie avait influencé son style qui se caractérise par un style clair géométrique renforcé par des
ornements. Œuvre d’anticipation, témoignant d’un véritable échange de culture, le Palais
Stoclet, conçu en 1905 à la demande du banquier et collectionneur Adolphe Soclet étonne tant

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par ses formes géométriques qui annoncent le mouvement moderniste que par la richesse et la
qualité de sa mise en œuvre. Dès sa conception il offre à ses occupants amoureux des arts et de
la musique un cadre de vie idéal et un confort exceptionnel.
Le palais Stoclet est un témoin exceptionnel du génie créateur de la Wiener Werkstätte. Il a été
conçu et réalisé à Bruxelles de 1905 à 1911, par l’un des fondateurs du mouvement, l’architecte
autrichien Josef Hoffman, dont c’est le chef-d’œuvre. Le mouvement de la Sécession viennoise
témoigne d’un renouvellement conceptuel et stylistique profond de l’Art nouveau. Dès sa
création, le palais Stoclet apparaît comme l’une des réalisations les plus abouties et les plus
emblématiques de ce mouvement artistique, caractéristique des recherches esthétiques et du
renouveau de l’architecture et de la décoration en Occident, au début du XXe siècle.
5- Nouvelle demande en Architecture : l’habitat
Depuis que la question du logement est devenue une des préoccupations politiques et sociales
majeures de la fin XIXe et du début XXe siècle, les solutions fleurissent et déplacement les axes
d’intervention de l’architecture vers l’habitat, quelle qu’en soit la forme, maisons de périphérie,
ou logement social en collectif. Elle aura à répondre aux défis d’extension urbaine et ceux du
logement pour le plus grand nombre.
Dès lors, des nouveaux défis seront posés à la société industrielle :
• Affronter les nouvelles nécessités d’extension urbaine ;
• Recherche de commodité et de confort en associant des plans asymétriques et diversifiés ;
• Penser le rapport entre architecture et industrie moyennant des techniques et une esthétique
nouvelle ;
• Répondre aux problèmes du logements pour le plus grand nombre ;
• Renouveler les rapports entre architecte et constructeur ;
La « maison moderne des catalogues et des revues répond à une demande culturelle qui se
détourne du passé. Elle fixe la recherche de la commodité, du confort et associe des plans
asymétriques et diversifiés. La villa bourgeoise en 1900 prend sa place dans les périphéries
urbaines les cités jardins et banlieues résidentielles ou les sites de vacances de la classe de
loisir ». Le développement des lotissements stimule pour la bourgeoise des villes ce programme
nouveau : la maison construite par son propriétaire.
Aux USA, Frank Lloyd Wright et la mise au point d’une nouvelle architecture domestique
adapté au paysage de la prairie et un nouveau mode de vie.
• Logement social
Après l’angleterre où en 1890 est votée « the Housing of the Working Classe Act », les Pays-
Bas sont à la pointe de la démarche avec la loi de 1901 qui donne aux communes le droit de
subventionner le logement social et un pouvoir de contrôle sur les promoteurs et les
propriétaires. En France la loi de 1906 favorise la création d’organisme constructeurs du
logement social.
La création en France de la société d’habitations à bon marché et toutes les avancées qui l’ont
précédée en Europe25, sont pour beaucoup dans la stimulation des nouveaux systèmes
constructifs où l’ossature en béton armé, et le remplissage en brique offrent un nouveau look
aux habitations en immeubles et aux groupements de constructions et de coopératives.

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Ecole Nationale d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis Sofien DHIF

À Paris, Henri Sauvage dessine en 1909 un immeuble à gradins qui sera réalisé en 1912.
L’immeuble rue Vavin fera à la fois, la signature de Sauvage et la singularité de Paris, du point
de vue de la forme. Il sera pour ce fait, cité par des critiques et des artistes dans le monde entier,
sans qu’il en fasse un brevet ou qu’il se réclame d’une quelconque notoriété, ce qui est rare
dans la pratique des architectes. Cependant, Tony Garnier projette dans son étude de la cité
industrielle, une ville de béton et de fer et de verre.

Expérience Parisienne avec Henri Sauvage - Immeuble en gradins - 1912

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