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Mort et chagrin : la fin du lien ?

Une perspective constructionniste narrative


Deuil et construction sociale

Les gens construisent les événements qui se produisent autour d’eux et le font sur la base de croyances
et de valeurs propres à leur culture. De plus, l’état émotionnel lui-même renforce ces croyances et
celles-ci façonnent à leur tour la manière dont l’émotion est exprimée.

La construction de la mort et les processus qui en découlent (chagrin et deuil) placent alors le sujet dans
un contexte affectif permis et attendu pour l'élaboration de son conflit humain et existentiel.

Historiquement, les rites autour de la mort, du deuil et du deuil avaient pour objectif de prolonger le
lien avec nos morts dans une relation nouvelle, basée sur l'absence physique. D'autres rites renforçaient
le sens du partage de la douleur avec la communauté, c'était un appel qui montrait la douleur et exigeait
la compréhension sociale. La mort était un événement public. Ces rites se perdent aujourd'hui.

On ne parle plus de la mort ni de sa douleur, on ne nomme plus non plus les maladies qui y conduisent,
le langage de la mort est remplacé par des euphémismes, les cimetières disparaissent et se transforment
en parcs sans tombes. Quel impact ces changements ont-ils sur la façon dont les gens se rapportent à
leurs morts ?

Ces nouvelles pratiques culturelles nous obligent à laisser nos morts derrière nous, à cesser de nous
connecter avec eux et pire encore : elles nous obligent à garder le silence.

J'attribue ces changements à 3 facteurs :


a) la pathologisation du deuil,
b) le déni de la mort et
c) sa commercialisation

La pathologisation du deuil

La douleur était auparavant considérée comme une condition de l’esprit humain. Quand et pourquoi
cette condition est-elle modifiée ? La médicalisation de la société, amorcée à la fin du XIXe siècle,
conduit à considérer une partie importante de l’expérience humaine habituelle comme la manifestation
d’une pathologie qu’il faut prévenir ou guérir. Ainsi, le deuil est passé d’un acte public et
communautaire à un acte individuel et privé, d’un rituel établissant une nouvelle relation entre les
vivants et les morts, à une expérience de douleur personnelle qu’il fallait taire.

Lindermann et Kubler-Ross ont établi les étapes bien connues du deuil. Botella et Herrero critiquent
cette perspective qui considère le deuil comme une réalité objective et universelle, qui sous-estime la
signification personnelle de la perte et réduit la possibilité d'action tant pour le thérapeute que pour le
consultant.

Robert Neimeyer propose de considérer la variabilité limitée à la personne qui subit la perte, en
fonction de ses qualités personnelles, socioculturelles et historiques. Il rejette les étapes du deuil
établies par les auteurs précédents ainsi que l'hypothèse selon laquelle le deuil doit nécessairement se
terminer par un « rétablissement ».
Ne pas éprouver de deuil comme le dit la norme n’est pas synonyme de pathologie.
Le déni de la mort

On évite de parler de la mort, cela nous met mal à l'aise d'être devant quelqu'un qui subit une perte sans
savoir quoi dire pour le consoler, on préfère changer de sujet ou sortir la personne en deuil de son état,
l'endormir. l'amener à dormir avec de la drogue ou une conversation banale.

L'attitude de la personne en deuil, quant à elle, est la cause et la conséquence de ce fait, elle résiste aux
pleurs même si parfois elle ne peut pas l'empêcher, elle évite de parler de sa douleur, arguant souvent
qu'elle ne veut pas déranger ses proches, ce qui pourrait accroître la souffrance d'une autre personne
touchée par l'événement. Il n’y a donc aucun espace pour partager cette expérience et le deuil est vécu
en silence.
Quelles sont les conséquences de ce silence de deuil ?

Aznar souligne que l’acte de raconter structure la vie de l’individu. Raconter est un acte relationnel qui
nous aide à nous rapprocher du monde des autres et aide également les autres à collaborer à
l'organisation de notre esprit, nous permettant de trouver un sens qui donne un sens à l'expérience de la
perte. Le silence culturel du deuil finit alors par causer davantage de douleur chez la personne en deuil,
car moins on peut donner de sens à la perte, plus la douleur est ressentie.

Cet auteur rappelle 3 facteurs qui peuvent compliquer le déroulement de cette élaboration : que l'on ne
peut pas parler socialement de la perte, que l'environnement fonctionne comme si la perte ne s'était pas
produite et qu'il n'existe pas de réseau de soutien social. Mais quelles pratiques sociales contribuent à
préserver ce silence ?

Votre commercialisation

Walter suggère que la notion de deuil compliqué sert les intérêts des agences funéraires, des agences de
santé (psychiatres et psychologues) et des industries pharmaceutiques. Le déni de la mort amène les
personnes en deuil à chercher d’autres personnes pour régler le problème.

Le transfert des rituels de deuil à des entreprises spécialisées entrave leur fonction de facilitation et de
promotion d'un nouveau lien. La seule chose importante est de dire au revoir le plus tôt possible,
comme si c'était le seul moyen.

On pense que le DSM intégrera un trouble de deuil prolongé, qui considérera 6 mois de souffrance
comme la limite du deuil non pathologique. Cela renforcera sa dissimulation en tant qu’expérience,
favorisera la commercialisation des médicaments et rendra encore plus difficile sa fonction de
modification du lien.
Serait-il possible d’aborder le deuil sous un autre angle ? Il est temps de revoir les implications
cliniques de la compréhension du deuil du point de vue du constructionnisme social.

La culture impose aux gens des manières correctes de traverser ce processus, ce qui empêche ceux qui
sont en deuil de pouvoir vivre ce processus à leur manière. Il est courant de pathologiser les gens en
attendant quelque chose d'impossible à réaliser : on s'inquiète si le malade ne montre pas de douleur,
mais s'il l'exprime, on essaie de le faire taire rapidement. Ainsi, de cette manière, rares sont ceux qui
évitent d’être considérés comme malades ou en train de le devenir.
Marques suggère que nous devons rétablir la vision de la douleur humaine comme quelque chose de
naturel et nécessaire. Selon cet auteur, les êtres humains souffrent parce qu’ils sont vivants et non parce
qu’ils sont malades.

Une intervention thérapeutique basée sur le constructionnisme social implique les termes suivants :

• L’être humain comme agent actif de son propre processus de deuil. Neimeyer souligne que
l’expérience n’est pas quelque chose qui vous arrive, mais plutôt ce que vous faites de ce qui
vous arrive.

• Worden, plutôt que de parler d'étapes de deuil, préfère proposer des tâches et l'être humain doit
se conformer à 4 : accepter la réalité de la perte, exprimer ses émotions et sa douleur, s'adapter à
un environnement sans le défunt et le relocaliser émotionnellement pour continuer à vivre. .

• SH comme reconstruction de sens : la perte d’un être cher constitue une véritable rupture
narrative dans l’histoire que les gens ont projetée pour leur vie. Le besoin de réorganiser
l’expérience est satisfait par une recherche active de sens.

• Le deuil nous permet de commencer à raconter une nouvelle histoire, créant un nouveau
chapitre, co Construisez un lien entre le passé et le présent pour continuer vers le futur. Selon
les mots de Liberman : « c'est le passage de l'absence de sens au sens de l'absence ».

• Dites bonjour au lieu d'au revoir : M. White, un pionnier de la thérapie narrative, a remis en
question la tendance de la psychothérapie moderne à aborder le deuil avec la métaphore du «
dire au revoir », ce qui implique non seulement de dire au revoir, mais aussi d'exclure, ce que
toutes les personnes en deuil ne sont pas prêtes à faire. . White recommande de remplacer la
métaphore du fait de dire au revoir par celle de dire à nouveau bonjour, ce qui implique
d'intégrer la personne perdue dans nos vies, dans un autre lieu et avec d'autres significations.
Pour White, une relation ne se termine pas avec la mort, elle se modifie seulement.

*Mme M. Son mari avait un cancer. Elle et ses enfants ont décidé de ne pas lui parler de sa maladie,
pour éviter de souffrir davantage, jusqu'à sa mort. Plus tard, cette décision de ne pas le lui dire est
devenue une faute qui les a culpabilisés. Après sa mort, ni elle ni ses enfants n’en ont parlé ni montré
leur douleur. On voit ainsi comment le déni de la mort conduit, d'une part, à cacher la maladie au mari
et, d'autre part, à conclure implicitement un pacte de silence sur la mort. Les comportements liés aux
crises de panique et à l'abus d'alcool de sa part semblent être des exutoires alternatifs et pathologiques
par rapport à un deuil normal qui n'a aucun canal d'expression.
Deux tâches sont réalisées : redéfinir la culpabilité et le chagrin, et générer un rituel familial qui permet
au mari décédé de s'intégrer depuis une autre position dans le fonctionnement familial. Ils ont choisi
d'aller ensemble au cimetière pour voir leur père, et là, ils ont simplement parlé et pleuré sans
inhibition. Ils ont décidé de mettre un portrait de lui dans le salon de la maison. De retour à la maison,
ils ont continué à parler de leur père, ils avaient déjà surmonté la peur de leur propre douleur et de celle
des autres. À ce moment-là, le deuil avait été redirigé vers un processus normal, qui ne nécessitait
qu’un accompagnement.

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