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European Journal of Turkish Studies

Social Sciences on Contemporary Turkey

26 | 2018
L'engagement des supporters de football dans
l'espace public
Jean-François Polo (dir.)

Electronic version
URL: http://journals.openedition.org/ejts/5584
DOI: 10.4000/ejts.5584
ISSN: 1773-0546

Publisher
EJTS

Electronic reference
Jean-François Polo (dir.), European Journal of Turkish Studies, 26 | 2018, « L'engagement des supporters
de football dans l'espace public » [Online], Online since 12 June 2018, connection on 22 February
2020. URL : http://journals.openedition.org/ejts/5584 ; DOI:10.4000/ejts.5584

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1

La politisation des supporters de


football et leur engagement dans
l'espace public
Jean-François Polo

1 Ces dernières années, à l’occasion de mouvements de contestation politique de grande


ampleur, des groupes de supporters de sport, le plus souvent de football, se sont
fortement impliqués dans des manifestations et occupations d’espaces publics. Sur les
places de Tahrir (au Caire), de Maïdan (à Kiev) ou de Taksim (à Istanbul), ces
organisations ont su mobiliser et reconvertir des compétences traditionnelles de
supporters (organisation de rassemblement de masse, préparation de banderoles et de
slogans pour soutenir leur équipe ou conspuer l’adversaire, savoir-faire en matière de
confrontation violente avec des supporters adverses ou les forces de l’ordre) en
instruments au service d’une cause politique. Dans des contextes de crises politiques
violentes, ces supporters sont parfois apparus à l’avant-garde des affrontements avec
les forces de l’ordre, ou bien face à d'autres groupes de manifestants.
2 L’anthropologie et la sociologie du sport se sont intéressées depuis longtemps à la
violence des supporters (Mignon 1998), aux logiques de leurs engagements et de leurs
affiliations partisanes (Bromberger 1995). Des travaux ont cherché à catégoriser les
différentes organisations de supporters en distinguant par exemple « Ultras » et
« Hooligans » (Hourcade 2014) ou plus largement entre les supporters occasionnels (les
« flâneurs ») et les passionnés (Giulianotti 2002). Plus récemment, certains auteurs ont
analysé le supportérisme comme forme d’engagement militant (Busset, Besson, Jaccoud
2014 ; Lestrelin 2015). Mais il s’agissait avant tout ici de comprendre et d’expliquer les
logiques du supportérisme, ses évolutions, sa gestion par les autorités publiques.
3 Dans ce numéro d’EJTS, il s’agira d’explorer les formes de politisation des supporters
au-delà du soutien à leur équipe. La question de la dimension politique du sport a
donné lieu à de nombreux débats ou travaux qui trouvent leur place dans les réflexions
plus larges sur « La politique ailleurs » (CURAPP 1998), sur le dépassement des
frontières du politique (Arnaud ; Guionnet 2005), voire « Le politique par le bas »
(Bayart, Mbembe, Toulabor 2008). Contrairement à l’affirmation du monde sportif selon

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laquelle le sport serait apolitique (Defrance 2000), celui-ci est une activité éminemment
politique (Brohm 1992 ; Beichelt 2018), les acteurs politiques ayant compris depuis
longtemps les bénéfices qu’ils peuvent retirer des succès des équipes et athlètes, à tous
les échelons de la scène politique, même si cela peut prendre des formes consensuelles
(Sawicki 2012). Certains vont encore plus loin en avançant que les acteurs politiques
affichent de plus en plus leur proximité avec le monde sportif dont ils adoptent les
normes comportementales dominantes en affichant une gestuelle virile (Beichelt 2018).
Selon J. Lagroye, d’autres formes de politisation peuvent aussi concerner la « tentative
de dépassement des limites assignées par la sectorisation à certains types d’activités.
Elle résulte alors généralement de la “prise de conscience”, chez des acteurs étrangers
aux jeux ordinaires de l’espace politique et à ses enjeux spécifiques, de ce qu’ils
appellent la “dimension” ou la “portée” politique de leurs activités » (Lagroye 2003 :
365). Ce dépassement des limites résulte donc d’une stratégie de requalification par des
groupes non politiques du caractère politique de leur prise de position. Les supporters
de football qui expriment et mettent en scène dans le stade et ses environs (voire dans
l’espace public) des appartenances sportives passionnelles pour soutenir leur équipe
favorite (ou au contraire rabaisser l’adversaire), s’adressent parfois directement au
pouvoir (Busset ; Gasparini 2016). Ils prennent alors conscience de la dimension
politique potentielle de leurs paroles et actions. Leurs expressions politiques renvoient
à trois types de politisation : une politisation idéologique qui peut être le signe d’une
inféodation d’un groupe, d’une association ou d’un collectif à un parti politique, une
idéologie, un mouvement politique, etc. (cf. Testa ; Armstrong 2010) ; une politisation
identitaire au travers de la revendication d’une appartenance identitaire (cf. Moroy
2000 ; Polo 2012 ; Armstrong, Giulianotti 1999) ; enfin une politisation catégorielle pour
faire inscrire sur l’agenda politique des professionnels de la politique ou des dirigeants
sportifs une question relative au supportérisme (comme la dénonciation ou la critique
des lois qui régissent le football, l’organisation des supporters, les questions de
sécurité, la rénovation ou la construction d’un nouveau stade, son accessibilité, le prix
des billets, les relations entre les organisations de supporters et les dirigeants du club
ou les pouvoirs publics, etc.) (cf. Fitzpatrick 2013). Ces expressions politiques peuvent
prendre des dimensions spectaculaires dans des contextes de crise et de contestations
violentes où les supporters apparaissent comme des groupes organisés déployant des
stratégies d’affrontement à l’égard des forces de l’ordre ou de ceux qui sont considérés
comme leurs adversaires.
4 L’analyse de la politisation des supporters nécessite donc de distinguer les autres
acteurs pouvant y être associés comme les organisations de supporters (officielles ou
informelles), les dirigeants sportifs (propriétaires de clubs, présidents et membres des
fédérations), les footballeurs (mais aussi les organisations professionnelles), les
propriétaires des stades et plus largement des infrastructures sportives (entraînement,
centre de formations, centre de soins, etc.), les journalistes sportifs et bien entendu, les
acteurs politiques à tous les échelons territoriaux. Il n’est pas rare d’ailleurs que
certains individus soient multi-positionnés et occupent (ou ont occupé) plusieurs de ses
fonctions, dont chacune permet de renforcer l’autre.
5 Ce numéro d’EJTS est le résultat d’une réflexion collective entamée il y a plusieurs
années avec des sociologues du sport, des politistes, des historiens, des anthropologues
qui a donné lieu à plusieurs manifestations scientifiques dont la dernière en date a été
la session thématique n°60 « L’engagement des supporters de football dans l’espace
public. Une politisation de circonstance ? » au Congrès de l’Association française de

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Science politique (Montpellier, 10 juillet 2017)1. Trois des articles publiés ici avaient été
présentés et discutés à cette occasion. Les autres communications, portant sur les
supporters en Ukraine (Ruzhelnyk 2016), en Serbie (Tregoures 2016), ou en Turquie
(Irak 2017) n’ont pas été intégrées à ce numéro de l’EJTS, car déjà publiées dans d’autres
ouvrages. Il s’agit donc ici, d’analyser et expliquer, dans une perspective comparée, la
politisation des supporters à partir de leur participation à certaines formes de
mobilisation dans des contextes de crises politiques majeures 2.
6 Plusieurs types de questionnements ont orienté cette réflexion et ont guidé les auteurs
des contributions à ce numéro :
- Il a fallu en premier lieu s’interroger sur les facteurs et les contextes favorisant les
différentes formes de politisation. Les situations de crise constituent-elles un moment
particulier propice à des formes de mobilisation politique de types contestataires ?
Peuvent-elles relever de formes alternatives de mobilisation « politique par le bas »
dans des situations de domination hégémonique du pouvoir ? Permettent-elles des
formes de résistance, d’adaptation ou au contraire de consolidation de la domination ?
- La question du lien avec les autorités politiques s’est également posée. Comment
celles-ci s’efforcent-elles de contrôler ou neutraliser ces organisations ? Dans quelle
mesure ces groupes sont-ils autonomes vis-à-vis des acteurs politiques traditionnels ou
leur sont-ils liés à travers des réseaux informels ou des liens personnels ?
- On s’est intéressé aux ressources que peuvent mobiliser ces groupes. Leur savoir-faire
et leur notoriété leur octroient-ils une place prépondérante dans ces protestations ?
Comment parviennent-ils à reconvertir leurs compétences en matière de luttes
physiques en ressources militantes ?
- La question de l’après-mobilisation fut aussi posée. Ces engagements sont-ils
circonstanciels ou parviennent-ils à s’inscrire dans la durée ? Les expériences acquises
dans ces luttes sont-elles à leur tour reconvertibles dans les carrières de supporters ou
dans d’autres secteurs ?
7 Toutes les contributions n’ont pas répondu systématiquement à tous ces
questionnements car elles portent finalement sur des formes de politisation
contrastées et dans des contextes spécifiques. Cependant, on retrouve bien dans chacun
des articles des processus de politisation dans des situations de crise et de contestation
des régimes en place, qui participent à la structuration de groupes de supporters
rassemblés autour d’une cause collective. Dans les cas turc, égyptien et soviétique, le
supportérisme permet de défier le pouvoir en place, d’afficher une identité collective
qui fait sens pour les membres du groupe mais aussi pour le pouvoir qui tente de les
contrôler. Ces activités se déroulent dans des contextes politiques autoritaires et
traduisent des formes d’expression d’opposition, de mise en question de la légitimité
des pouvoirs. Elles prennent ainsi la forme d’un acte de résistance à l’ordre politique, à
la violence policière, au régime en place. Dans le cas grec, les processus d’identification
existent, mais ils sont davantage mobilisés pour appuyer des revendications, afficher
des sensibilités partisanes que pour s’opposer au régime en place. Ce dernier exemple
traduit davantage des formes de coopération et d’instrumentalisation réciproque du
sport par les élites politiques et les groupes de supporters dans le contexte de la
recomposition démographique consécutive à l’arrivée massive des réfugiés grecs
anatoliens à Thessalonique.
8 Les variations sont également observables sur les degrés « d’intensité » de cette
politisation ou pour être plus concret sur ses effets et son coût social, politique,

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humain. On s’est demandé si l’analyse de ces mobilisations politiques de supporters ne


nous conduisait pas à prendre au mot leurs positionnements et ainsi à sur-interpréter
des engagements qui peuvent rester superficiels et participent simplement à l’affichage
d’une attitude rebelle de façade ? Par exemple en Turquie, même si la contribution de
G. Tuncel donne à voir un groupuscule de supporters (les Beleştepe) qui assume et
revendique une forme de radicalité contre des expressions politiques jugées trop
neutres, les supporters de football se délectent également à mettre en scène des
identités politiques qu’il faut veiller à ne pas surévaluer (Polo 2016) car ils participent à
donner l’illusion d’une résistance héroïque, comme lors des événements de Gezi à
Istanbul en mai 2013 (Irak 2016). À l’inverse, en Égypte, S. Gibril rappelle que les
mobilisations de supporters se sont déroulées dans un contexte d’une crise politique
majeure marquée par une violence et une répression extrêmes, certains payant de leur
vie cet engagement.
9 Pour toutes ces contributions, on peut noter l’importance de la dimension spatiale des
mobilisations des supporters. La notion d’espace désigne à la fois une entité physique
au sens géographique, naturelle ou bâtie, par exemple ici le stade, au sens générique ;
et une entité symbolique, socialement construite, par exemple le stade de Beşiktaş, lieu
de mise en scène d’identités sportives et d’expressions/revendications politiques qui
s’inscrit dans un récit, dans des discours. Il incombe aux chercheurs d’établir « des
connexions entre les types d’espaces et les types de luttes politiques qu’ils engendrent
(Tilly 2003). C’est cette relation fondamentale entre l’espace en tant qu’environnement
créé-géographique et l’espace symbolique-socialement construit qu’il est essentiel
d’étudier (Carter 2011). Ainsi l’espace des mobilisations des supporters sont des lieux
où s’encastrent ces différentes dimensions spatiales, du stade à ses abords, du stade
vers d’autres lieux chargés de sens et d’enjeux.
10 Une première dimension concerne l’inscription territoriale du stade. Comme le montre
L. Tsiptsios, en choisissant de construire un stade au cœur de Thessalonique, les
dirigeants vénizélistes du PAOK (Club sportif panthessanolinicien des
Constantinopolitains), soutenus par les supporters, réaffirment symboliquement la
conquête sociale et spatiale de la ville par les réfugiés grecs d’Anatolie installés dans les
bidonvilles de la périphérie urbaine. Le choix de l’emplacement du stade, qui dépend
d’une multitude de facteurs, est encore aujourd’hui source de conflits, de débats, où se
croisent des enjeux d’aménagement territorial, des enjeux économiques et par voie de
conséquences des enjeux politiques (Sawicki 2012), ouvrant la voie à de possibles
contestations et mobilisations de supporters.
11 En outre, l’inscription territoriale du stade a des effets en retour sur le processus
d’identification des supporters du club résident à son environnement. Par exemple, le
principal groupe de supporters du club de Beşiktaş (Istanbul) se nomme les Çarşı (le
marché) car le stade est à proximité d’un ensemble de commerces situés dans des halles
et des rues adjacentes (le çarşı), dans un quartier plutôt populaire où se retrouvent
avant, pendant (pour ceux qui n’ont pas de billets) et après les matches les fans du
Beşiktaş (Erdinç 2010). Quant au groupe de supporters Beleştepe (littéralement la colline
« gratos ») analysé par G. Tuncel, il a adopté ce nom en référence à la colline (tepe) qui
jouxte le stade de Beşiktaş et de laquelle, ils pouvaient suivre les matches (du moins
avant que le stade ne soit refait en 2016). La localisation des stades participe ainsi à
cristalliser les identités territoriales articulées à ces lieux qu’elles soient sociales,
religieuses, ethniques ou politiques.

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12 Le stade lui-même constitue une arène architecturale, à la fois espace géographique et


espace de mises en scène des identités supportéristes, marquées par une narration
héroïque, mais où les expressions peuvent dépasser l’enjeu sportif pour exprimer des
identifications ou des revendications politiques, partisanes, idéologiques (Polo 2016).
Évidemment, il n’est pas rare que ces manifestations débordent du stade, ruissellent
dans ses abords comme par réverbération d’un écho protestataire qui peut s’évanouir
ou au contraire s’amplifier. C’est également les lieux où se poursuivent les
affrontements avec les supporters de l’équipe adverse ou avec les forces de police. Pour
E. Gloriozova, les abords des stades en Russie à l’époque soviétique permettent
également, par le recours à des expressions festives, de défier les autorités par des
messages non directement politiques mais perçues par les autorités comme une forme
de déviance subversive d’une jeunesse occidentalisée et donc une critique du régime
communiste. En Égypte, S. Gibril montre comment les supporters égyptiens
s’approprient les stades (et ses murs), ses environs pour marquer le territoire de leurs
messages contestataires en ayant notamment recours aux graffitis et aux caricatures.
13 Enfin, les mobilisations des supporters peuvent se déplacer au-delà du stade et de ses
abords, dans la participation à des protestations de plus grande ampleur avec la
conquête et l’occupation des places de Tahrir (au Caire) en 2012 ou de Taksim (à
Istanbul) en 2013, des lieux chargés symboliquement de sens. Pour Combes, Garibay,
Goyrand (2016), l’espace physique des places occupées contraint les formes de la
mobilisation qui requièrent dès lors des savoir-faire en matière d’affrontement avec les
forces de l’ordre que les groupes de supporters les plus violents ont déjà éprouvés. Dans
ce contexte, l’expérience déjà vécue de la violence permet de résister, de s’organiser, de
mettre en place des tactiques, d’aller à la confrontation directe (Irak 2017).
14 Ainsi, dotés de ressources spécifiques et de capacités organisationnelles, les groupes de
supporters de football n’hésitent pas à exprimer des revendications politiques, voire à
prendre part à des mobilisations collectives contre les pouvoirs en place (ou parfois en
les servant), dans les arènes sportives et au-delà. Ces formes de politisation, routinisées
ou sporadiques, variables en intensités et en régularités s’articulent d’autant mieux
avec une identité de groupes de supporters qu’elles participent en retour à forger une
réputation dans le champ sportif, avec de potentiels effets de prophéties auto-
réalisatrices. Il revient aux chercheurs d’étudier ces phénomènes en prenant garde à ne
pas tomber dans des analyses qui sur-interprèteraient ces expressions politiques, au
risque de succomber aux récits héroïques qui fondent les légendes du champ
médiatico-sportif.

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NOTES
1. La session thématique avait été organisée par William Gasparini (Université de Strasbourg) et
Jean-François Polo (IEP de Rennes) et avait bénéficié des commentaires critiques de Christophe
Traïni (IEP d’Aix en Provence).
2. Les crises économiques peuvent également déclencher des mobilisations politiques (cf.
Zaimakis 2016).

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AUTEUR
JEAN-FRANÇOIS POLO
Sciences Po Rennes-ARENES (UMR 6051)
jean-francois.polo@sciencespo-rennes.fr

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Quand le supportérisme et la
politique s’imbriquent
Les groupes de supporters Beleştepe et Çarşı

Gökçe Tuncel

Introduction
1 En 2010, quelques supporters de Çarşı (groupes de supporters du club de football
Beşiktaş) forment le groupe Beleştepe (la « colline gratos » en français) afin d’élaborer
une action collective contre l’industrie du football. Le nom de ce groupe vient d’une
colline qui se trouve à côté du stade Inönü. Puisque depuis cette colline, il est possible
de voir 70% de l’intérieur du stade, les supporters qui n’ont pas suffisamment d’argent
pour acheter un ticket s’installent sur cette colline afin de suivre le match.
2 Comme sa maison mère Çarşı (marché en français), qui porte le même nom que son
quartier d’origine, le nom de Beleştepe vient également d’un espace public physique où
il est question de défendre un territoire afin de pouvoir continuer à se rassembler et
partager le plaisir de suivre le match collectivement. Distinct de sa maison mère en
plusieurs points, Beleştepe formule une critique du modèle du football industriel qui
touche aussi bien au football qu’au supportérisme. Le groupe n’hésite pas non plus à
afficher son opposition au gouvernement en place. Aujourd’hui, avec la construction du
nouveau stade, cette colline depuis laquelle les supporters pouvaient regarder le match
gratuitement n’existe plus. En effet le stade d’Inönü, construit en 1947, a été démoli en
2013 pour être remplacé par un nouveau stade appelé Vodafone Arena 1, qui est
également situé dans la commune de Beşiktaş très proche du quartier appelé Çarşı.
Malgré la disparition de la colline « gratos » le groupe Beleştepe persiste. Son objectif est
de soutenir un football inclusif, moins violent qui ne répondrait pas aux normes
restrictives du football industriel.
3 Quel est le rapport de Beleştepe, un groupe de supporters qui affiche sans ambiguïté son
positionnement à gauche, à Çarşı, un groupe hétérogène sans frontières ni
revendications politiques précises. Beleştepe constitue-t-il une scission ou est-ce que sa

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politisation a une place dans Çarşı ? Et dans l'affirmative, comment celle-ci est-elle
vécue au sein de Çarşı ? Afin de répondre à ces questions, nous analyserons dans cet
article les différents modes de politisation de ces deux groupes de supporters de la
même équipe ainsi que leurs points d’articulations.
4 L’article s’organise en trois temps. Dans une introduction théorique sur les supporters
de football, l’article aborde les principales caractéristiques du phénomène du
supportérisme, la relation qu’entretient ce dernier avec la politique ainsi que le
supportérisme dans le contexte turc. Ensuite, il analyse le groupe de supporters Çarşı,
puis celui Beleştepe, pour finir enfin sur leurs interactions. Aborder les deux groupes de
supporters dans ce même article a pour objectif d’une part de mieux faire ressortir les
caractéristiques de chaque groupe et, d’autre part, de montrer la diversité que peut
revêtir le supportérisme dans un même contexte politique et géographique.
5 Cette analyse est fondée sur des observations participantes, durant le mois de février
2016 dans l’un des principaux cafés où les supporters se retrouvent pour se socialiser et
regarder les matchs dans leur quartier. Il s’appuie également sur vingt-cinq entretiens
semi-directifs menés avec les principaux membres de Çarşı et de Beleştepe au cours de la
même période. Nous avons choisi de mener des entretiens semi-directifs puisque nous
avons fait le choix de construire une grille d’analyse à partir des indicateurs qualitatifs
afin de rendre intelligible les perceptions, les opinions, les attitudes et les motivations
des enquêtés. Utiliser des questionnaires ou bien mener des entretiens directifs
s’avéraient incompatibles avec notre terrain de recherche. En effet, l’accès au terrain
était particulièrement difficile puisque quelques membres de Çarşı ont été accusés de
tentative de coup d’État pendant le mouvement Gezi et risquaient d’être condamnés à
l’emprisonnement à perpétuité. À titre d’exemple, nous avons mené un entretien avec
l’un des co-fondateurs de Çarşı en présence de son ami avocat. Alors, en menant des
entretiens semi-directifs, nous avons essayé de favoriser la mise en place d’une
ambiance informelle et amicale pour discuter avec les enquêtés sans leur intimider avec
des questions directes. Nous avons élaboré notre grille d’entretien à travers quatre
thèmes principaux :
1, l’engagement dans le groupe de supporter ;
2, l’engagement politique des supporters ;
3, l’inscription des supporters dans l’espace public (quartier et stade) ;
4, la biographie des supporters.
6 Nous avons découvert la présence du groupe de supporters Beleştepe lors de notre
observation participante dans le café où une des supporters, Aysu, a déclaré s’identifier
simultanément au groupe de supporters Çarşı et Beleştepe. En raison de la situation
politique actuelle de la Turquie, les prénoms des membres de Beleştepe ainsi que de
Çarşı sont modifiés pour maintenir l’anonymat des enquêtés.

Le phénomène du supportérisme

7 Il est possible de distinguer quatre principaux phénomènes de supporters dans le


monde : le hooliganisme anglais, né dans l'Angleterre de l’entre-deux-guerres mais qui
a pris son essor dans les années 1960 ; le mouvement Torcida, né au Brésil dans les
années 1940, Barras Brava émergé en Argentine dans les années 1950 et le mouvement
ultra né en Italie en 1968 avec ‘La Fossa dei Leoni’ (la fosse aux lions) formée à Milan.
Alors que le mouvement ultra est le plus jeune parmi ces quatre, il est le plus présent

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dans le paysage du supportérisme : dans les années 1980, il se répand en Europe du sud
et se trouve complétement européanisé dans les années 1990 (Pays-Bas, Allemagne,
Écosse, pays scandinaves, ex-pays socialistes et Turquie). Depuis les années 2000, le
mouvement ultra a fini par être globalisé (Maghreb, Jordanie, Syrie, Canada, États-Unis,
Japon, Chine, Corée du Sud et Australie) (Battini 2012). Dans le cadre cet article, on ne
discutera que de deux modèles principaux du supportérisme : le modèle britannique
(hooliganisme) et le modèle italien (ultra).
8 Alors qu’en Grande-Bretagne le recrutement des supporters et des hooligans après 1955
est effectué essentiellement parmi la jeunesse ouvrière (Dunning et al. 1988), le style de
supportérisme ultra italien n’a jamais été dominé par une classe sociale ou par une
culture spécifique à la jeunesse. L’élément unificateur des ultras est le supportérisme
lui-même et non pas la consommation, l’idéologie politique ou la classe sociale (Dal
Lago ; De Biasi 1994 : 77). Étant un modèle plus organisé et spectaculaire, chaque club
de football en Italie comprend plusieurs centaines d’associations de supporters avec des
réseaux nationaux et internationaux qui organisent de véritables spectacles dans les
stades avec des chants, fumigènes et bannières aux couleurs du club et de la ville. Les
ultras n’hésitent pas également à rappeler le club et les joueurs à leurs devoirs vis-à-vis
du football et des supporters et à dénoncer l’injustice qui leur est faite. C’est pourquoi
le désir de visibilité des ultras est souvent accompagné de moralisme (Mignon 1998 :
52).
9 Le territoire (bars, quartiers, tribunes) est un élément constitutif de la culture des
ultras et des hooligans. Pour les ultras, c’est le virage (curva) qui indique leurs
géographies sociales par rapport aux supporters ordinaires. Le virage se distingue du
reste du stade et, symboliquement, du reste de la société par la performance
spectaculaire des ultras. L'accès au virage est contrôlé, et les supporters ordinaires
savent que le numéro de siège imprimé sur un ticket ne donne pas nécessairement
l'accès au virage. Pour les hooligans, les tribunes représentent également des
territoires à défendre, au nom de l’honneur du groupe.
10 Les ultras italiens partagent une culture de combat. Quand il s’agit d’un combat dans le
stade, celui-ci reste, la plupart du temps, au niveau symbolique : les ultras s’efforcent
de démontrer leur puissance symbolique par la beauté de leurs chorégraphies afin de
dévaloriser celles des ennemis (groupes ultras adverses) et ainsi accéder à la
reconnaissance du public. En revanche, le combat en dehors du stade peut devenir
violent. Afin de vaincre les ennemis sur le territoire, les ultras ont recours aux
tactiques de guérilla urbaine. Les leaders essaient cependant de contrôler et de limiter
l’intensité et la longueur des combats afin d’éviter des dangers extrêmes pour eux-
mêmes et parfois pour l’ennemi également. Les combats sont d’une importance
capitale, car en participant à une bagarre dans le stade ou dans les rues les ultras
démontrent leur attachement au groupe, délimitent les frontières, créent une mémoire
collective et affirment ainsi l’identité du groupe. Pour les hooligans, le recours à la
violence est plus immédiat et elle n’est pas utilisée dans la construction d’une cause,
comme c’est le cas pour les ultras, mais pour la recherche du plaisir. Cela peut
expliquer la différence du niveau de violence entre l’Italie et la Grande-Bretagne
(Mignon 1998 : 51).

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Les groupes de supporters et la politique

11 Les mouvements sociaux du début des années 2010 ont été marqués par l’apparition de
groupes de supporters qui se sont engagés à défendre des intérêts communs dépassant
le seul cadre sportif (Busset 2014). À titre d’exemple, de nombreux supporters en
Égypte (Gibril 2016 ; Woltering 2013), en Turquie (Irak 2016) et en Ukraine (Ruzhelnyk
2016) ont pris part à des manifestations et ont alors démontré leur capacité à faire
abstraction de leurs rivalités afin de s’engager dans une action collective.
12 Franck Moroy (2000), dans son étude sur les supporters libanais explique comment la
politisation des gradins crée un espace « libéré » où les supporters peuvent exprimer
leurs opinions politiques. De fait, les gradins, en tant qu’espaces autonomes,
fournissent aux supporters un environnement pour l’expression de soi. En revanche, la
culture hégémonique du football dominée par les médias, les propriétaires de club et
les politiciens, peut facilement bloquer et manipuler l’atmosphère de libre expression
des gradins (McLean ; Wainwright 2009 : 68). À titre d’exemple, en Italie, le niveau
d’organisation élevé des ultras et leur réputation aux yeux des supporters de football
leur donnent le rôle d’intermédiaire entre supporters, hommes politiques et clubs de
football. Vincenzo Scalia (2009) montre comment les dirigeants des clubs de football en
Italie ont utilisé les ultras pour transformer le problème financier des clubs en un
problème public et ont ainsi réussi à mobiliser l’intervention politique qui a sauvé les
clubs de l’effondrement financier. Par ailleurs, les stades et les matchs représentent des
cadres symboliques autonomes dans lesquels les références aux autres cadres, y
compris le cadre politique, sont utilisées pour des fins internes à cet événement de
football et elles sont, de fait, partiellement, vidées de leur sens originel (Dal Lago ; De
Biasi 1994 : 79 ). Comme le note Christian Bromberger « il serait tout aussi fâcheux de
décréter l'arbitraire du langage du supportérisme que de lui conférer une excessive
plénitude – politique ou autre » (Bromberger 1996 : 39). En Russie par exemple, les
expressions politiques dans le stade sont souvent utilisées pour disqualifier l’adversaire
(Gloriozova 2016). Nicolas Hourcade (2000) montre également que les ultras français
désirent d’abord être autonomes et utilisent les symboles politiques pour surtout
discréditer et provoquer l’adversaire ; leur culture reste très hétérogène attirant à la
fois des jeunes fascistes, des militants de gauche ou bien des personnes peu politisées.
Cette autonomie du cadre explique alors la coexistence au sein du même groupe de
supporters de symboles politiques contradictoires.

Le football et la politique en Turquie


13 C’est avec la déclaration de la Seconde Période Constitutionnelle en 1908 que sont
fondés les clubs de football turcs et la plupart de ces clubs, en particulier ceux
d’Istanbul (nommés « les trois grands » : Galatasaray, Fenerbahçe et Beşiktaş) ont été
fondés avec des objectifs nationalistes. Après la proclamation de la République, ces
clubs sont devenus les protégés des politiciens. La position privilégiée des trois grands
et leurs liens avec l’élite a mis en place une relation de dépendance en laissant ces clubs
ouverts à l’intervention politique (Irak 2013a). Mais c’est avec le coup d’État du 1980
que le football est devenu de plus en plus dépendant de l’élite politique et économique.
14 Avant le coup d’État de 1980, le peuple ne voyait pas les gradins comme des espaces
pour l’action politique: d’une part, le football en Turquie n’a pas été investi par la

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gauche car il a été considéré comme « opium des masses », (Bostancıoğlu 1993 :
242-244) et, d’autre part, pour la droite, le football représentait des troubles à l’unité
nationale en raison de sa nature qui génère des rivalités (Bora ; Erdoğan 1993 : 231-237).
C’est la raison pour laquelle la junte militaire de 1980, qui visait à dépolitiser les masses
afin de leur imposer sa propre idéologie, a considéré le football comme un terrain idéal.
Le gouvernement de la junte et, juste après, celui d’Özal en 1983, ont beaucoup investi
dans le football et ont activement soutenu sa modernisation : les restrictions des
footballeurs étrangers ont été supprimées, les clubs ont eu désormais des privilèges
d’impôt et il leur a été permis de vendre leurs propres billets pour la saison ainsi que de
définir leur propre prix pour ces billets. Par la mise en place de cette politique néo-
libérale, les grands clubs ont pu accumuler plus de capital que les autres. En 1991 la
première chaine de télévision privée, Magix Box, a été fondée par le fils de Turgut Özal,
le président de la République de l’époque. En 1993, les chaines de télévision cryptées
ont été introduites. Les stades incluaient désormais des boutiques, des restaurants ainsi
que des supermarchés. Le football a été transformé en un divertissement des classes
moyennes et supérieures, considéré comme une solution à l’hooliganisme.
15 Le football a été aussi utilisé comme une distraction afin de détourner l’attention de
l’isolement de la Turquie par rapport au monde occidental, notamment en raison de
l’invasion de Chypre en 1974 et du coup d’État de 1980. Dans les années 1990, le succès
des clubs de football turcs dans les Coupes européennes a déclenché une vague de
nationalisme populaire dans les gradins, le football étant source de fierté nationale
(Irak 2014 : 115-117). Par ailleurs, le nationalisme appliqué pour justifier la formation
de la nouvelle République turque, est devenu par la suite l’idéologie hégémonique
glorifiant le populisme et devenant un outil pour les gouvernements de droite et de
juntes après le coup d’État de 1980 (Bora ; Canefe 2002). Dans les années 1990, avec la
montée du nationalisme populaire, le football est apparu comme un champ fertile pour
la transmission des messages nationalistes. Avec l’élection de l’ancien militant MHP
(Parti d’action nationaliste, Milliyetçi Haraket Partisi en turc) Güven Sazak à la
présidence du club Fenerbahçe en 1993, les nationalistes ont commencé à être visibles
dans le stade de manière organisée. Cette forte présence des nationalistes dans les
stades a engendré une réaction forte, mais limitée, de la part du groupe de supporters
Çarşı, à tendance politique de gauche.
16 Après le référendum de 2010, qui a donné à l’AKP (Parti de la justice et du
développement, Adalet ve Kalkınma Partisi en turc) le pouvoir nécessaire pour faire des
changements importants dans la constitution, l'AKP a tenté d’établir sa propre
hégémonie dans le domaine du football. Le parti a d’abord essayé d'infiltrer le football à
travers les municipalités d’Ankara et d’Istanbul dirigées par l’AKP. Une fois que ces
tentatives eurent échoué, les élites économiques des villes conservatrices comme
Bursa, Sivas et Kayseri ont coopéré avec les municipalités et le gouvernement. Grâce à
cette coopération, Bursaspor (l’équipe de la ville Bursa) a été le cinquième club, dans
l’histoire de la Turquie à remporter la coupe de la Ligue en 2010. Il faut également
rappeler que Kasımpaşa, le club du quartier du président à Istanbul, a été promu à la
Super Ligue en 2007 grâce à l’investissement de quelques hommes d’affaires. La montée
de l’élite pro-gouvernementale dans les clubs provinciaux a également affecté la
Fédération de Turquie de Football (TFF – Türkiye Futbol Federasyonu en turc) et les
candidats pro-gouvernementaux sont devenus des présidents de TFF. En 2010,

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l’administration du logement collectif (TOKİ – Toplu Konut İradesi en turc) a apporté un


soutien financier à la finalisation du nouveau stade de Galatasaray.
17 Le 15 janvier 2011, la domination de l’AKP sur le football a traversé sa première vague
de contestation. Avant l’ouverture du nouveau stade de Galatasaray, le président de
TOKİ Erdoğan Bayraktar a accusé l’ancien président du club Özhan Canaydın
d’incompétence lors d’une déclaration publique suite à laquelle les supporters de
Galatasaray ont hué Bayraktar et Recep Tayyip Erdoğan. Trois mois plus tard, une
nouvelle régulation est entrée en vigueur, punissant gravement les supporters à
l’origine du désordre dans les stades. Le 3 juillet 2011, une opération massive a été
lancée contre le trucage des matchs au sein des clubs Fenerbahçe et Beşiktaş. Opération
suite à laquelle plusieurs représentants du club, y compris le président de Fenerbahçe
Aziz Yıldırım, ont été détenus plusieurs mois. Les supporters de Fenerbahçe frustrés
par l’absence de couverture médiatique de cette opération, ont commencé à utiliser le
fan blog appelé Papazın Çayırı afin de contester et critiquer le système judicaire, le
gouvernement ainsi que la police (Irak 2014). Mais l’exemple le plus emblématique de
l’opposition des supporters turcs au gouvernement en place est celui du mouvement
Gezi2 en 2013 ( Göle 2014). À Istanbul, les supporters se sont réunis sous le nom
d’« Istanbul United » pour soutenir les manifestants, confronter les forces de l’ordre et
contester les politiques de plus en plus autoritaires du gouvernement (Irak 2016).

La culture du supportérisme en Turquie


18 L’arrivée d’internet et des chaînes sportives dans le pays à partir des années 1990 a
véritablement transformé la culture du supportérisme turc. Cette nouvelle génération
de supporters issue de la classe moyenne commence à prendre contact avec les
supporters étrangers à travers les forums en ligne et à s’intéresser à leurs histoires et à
leurs cultures. Attirés par la culture hooligan et ultra, ils adoptent la pratique des
chants et de la chorégraphie dans les stades et commencent à publier des fanzines
comme le Forza Beşiktaş du groupe Çarşı dans les années 1990. La consommation d’alcool
en faisant la fête dans les rues, bars etc. fait également partie de cette nouvelle culture
du supportérisme qui fait écho au style de vie moderne à Istanbul. On peut compter
également l’interaction des supporters turcs avec les ultras italiens pendant les Coupes
européennes à la fin des années 1900 comme un des facteurs qui a favorisé la diffusion
du modèle ultra dans les stades turcs. Il est important de souligner que les supporters
qui définissent les normes du supportérisme turc sont ceux qui ont les ressources
(culturelles et économiques) nécessaires pour se mettre en contact avec les supporters
européens.
19 Selon Adrien Battini (2012), alors que le supportérisme turc est une interprétation du
mouvement ultra à l’italienne, il diffère de ce dernier par une identification forte avec
le club transcendant les identités locales, ethniques, politiques ou religieuses. Ce
supportérisme rejette également les divisions profondes du pays, reproduit les codes et
les croyances nationalistes et peut donc être considéré comme un nouveau modèle de
la communauté nationale. Dağhan Irak (2017) montre que même si culturellement les
supporters en Turquie adoptent l’attitude des « hooligans » (modèle britannique) et des
« ultras » (modèle italien), ils se comportent principalement comme des clients qui
demandent des transferts couteux, achètent les abonnements et les biens officiels du
club et ne contestent jamais la direction du club. Par ailleurs, alors que le

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supportérisme « moderne » domine les stades d’Istanbul, ceci n’est pas le cas pour les
stades dans les villes conservatrices de province qui ont imité les chants des supporters
stambouliotes sans avoir adopté leur style de vie.

« Çarşı est contre tout », la maison mère de Beleştepe


Fondation

20 Quelques supporters de Beşiktaş fondent Çarşı en 1982 dans le quartier appelé Çarşı (en
français : le marché) de la commune de Beşiktaş à Istanbul. Çarşı porte ainsi le même
nom que son lieu d’implantation. Ses fondateurs aux tendances politiques de gauche
appartiennent à la classe moyenne. L’un de ces fondateurs, le plus connu et reconnu
parmi les supporters, décédé en 2007, était professeur de lycée et enseignait l’histoire à
Ankara. Connu comme supporter gauchiste, il avait quitté son travail pour retourner à
Istanbul afin de pouvoir se rendre aux matchs de Beşiktaş dans le stade Inönü. L’autre
fondateur est actuellement le propriétaire d’un pub, situé dans le quartier de Çarşı où
les supporters se retrouvent quotidiennement.
21 À la fin des années 1970, alors que le stade Inönü, également situé dans la commune de
Beşiktaş, est partagé jusqu’en 1981 entre les trois grands clubs de football d’Istanbul,
Beşiktaş, Galatasaray et Fenerbahçe (les stades des deux derniers étant en travaux de
rénovation), deux supporters de Beşiktaş décident de former un groupe pour organiser
des nuits blanches devant le stade afin d’occuper les sièges les plus prestigieux (ceux
qu’on appelle l’honneur du stade qui se situent entre les poteaux dans le coté fermé du
stade) en y entrant les premiers, avant les supporters de Galatasaray et de Fenerbahçe.
Les supporters de ces deux équipes adverses sont également malvenus dans le quartier
de Çarşı, où ceux-ci passent la plus grande partie de leur temps et y organisent leurs
activités de supportérisme (réalisation d’affiches, élaboration de chorégraphie, etc.).
Cette volonté de construire une hégémonie physique à la fois dans le quartier et le
stade engendre des affrontements violents entre ces groupes de supporters jusqu’au
milieu des années 1990. La plupart de ces épisodes violents (notamment les combats
très brutaux dans les rues) prennent fin lorsque les leaders des groupes d’ultras
commencent à fonder leurs familles et signent une trêve.
22 À partir de la fin des années 1990, le répertoire d’action collective 3 de Çarşı commence à
changer. En effet dans les années 1980 et début 1990, son répertoire d’action est
marqué par des chants et des symboles de gauche : sur le logo de Çarşı, visible sur
toutes ses affiches, pancartes, écharpes... le symbole de l’anarchie remplace
systématiquement le « a » de Çarşı (qui est toujours présent). Ils portent des drapeaux à
l’effigie de Deniz Gezmiş, principal leader du mouvement d’extrême gauche exécuté en
1972. Ils adaptent le chant révolutionnaire du mouvement de gauche des années 1970
Gündoğdu pour le stade : ainsi « Nous nous sommes baignés dans le sang pour l’amour
de la révolution » devient « Nous nous sommes baignés dans les drapeaux pour l’amour
de Beşiktaş ». Ils chantent systématiquement cette version avant et après les matchs,
poing gauche levé. Ce n’est pas un choix fortuit : à cette époque, ne pouvant manifester
publiquement leurs opinions politiques de gauche dans les espaces publics de la ville,
les jeunes se tournent vers les stades qui deviennent des arènes politiques. Mais avec le
temps, la participation de supporters de diverses tendances politiques se traduit, à Çarşı
, par une hétérogénéité croissante. Les fondateurs réagissent en modifiant leur

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répertoire d’action collective. Enfin, pour éviter la division de la tribune de Beşiktaş̧


dans le stade, ils cessent de lever le poing gauche en chantant leur version de Gündoğdu.
23 À partir du début des années 2000, Çarşı devient un groupe de supporters connu pour
ses formes d’action collective hautement spectaculaires dans l’enceinte du stade et par
les projets humanitaires qu’il développe. À titre d’exemple, en 2009, pendant le match
de Beşiktaş̧ avec Manchester United, les ultras atteignent 132 décibels dans le stade
Inönü, l’équivalent du bruit généré par un avion au décollage. Comme le modèle ultra à
l’italienne, la forme de supportérisme de Çarşı dans le stade constitue une vraie mise en
scène minutieusement préparée à l’avance, collectivement, sous l’égide de son noyau
dirigeant. Il commence à fonctionner également comme une organisation d’action
civique soucieuse de protéger « les opprimés et défendre ceux qui n’ont pas les moyens
sociaux et/ou économiques suffisants » (extrait de l’entretien avec l’un des fondateurs).
Il devient alors « l’équipe du peuple »4.

L’imaginaire contestataire de Çarşı

24 Même si Çarşı représente un groupe de supporters hautement hétérogène qui n’a pas de
frontière ou d’idéologie politique précise, il serait erroné d’y voir uniquement un
simple groupe de supporters. En effet même si la nature « politique » (ou plutôt
« contestataire ») de Çarşı renvoie plus au passé du groupe qu’à son actualité,
l’imaginaire de cette politisation spécifique reste fort. Cette image de groupe de
supporters de gauche se construit en relation avec le passé du groupe et elle est
pleinement observable chez les supporters peu ou non engagés qui voient dans Çarşı un
groupe de supporters de gauche qui n’hésiterait pas à agir contre l’injustice sociale.
Aujourd’hui, cet imaginaire peut être activé par les actions de certains supporters (ceux
qui ont participé au mouvement Gezi) ou par la capacité d’action de Çarşı (son aisance à
faire l’événement en utilisant ses ressources matérielles et son répertoire d’action
collective de nature spectaculaire). Malgré le fait que les actions humanitaires de Çarşı
et certaines de leurs performances lors des matchs représentent dans la plupart des cas
des causes non conflictuelles, elles rentrent en résonance avec l’image d’un groupe de
supporters politisé de gauche.
25 Pour illustrer cette hypothèse, on peut donner l’exemple du projet humanitaire
organisé en 2011 par les ultras en vue d’aider les victimes du tremblement de terre à
Van. Van est une ville de Turquie à majorité kurde. Cette ville, comme les autres villes
pro-kurdes, a subi plusieurs conflits armés entre l’armée turque et le groupe armé
kurde, PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, Kürdistan İşçi Partisi en turc), depuis le
début des années 1980 (Bozarslan 2003 : 95). Depuis ces années et encore aujourd’hui,
une grande partie de la population turque considèrent les kurdes comme des
terroristes et des ennemis de la Turquie, ou voire de citoyens illégitimes. Cette
perception publique est liée entre autres à la propagande médiatique qui ne traite que
des attaques du PKK envers les soldats turcs et l’État turc considérés comme innocents
et presque pacifistes (ces deux entités nationales seraient obligées d’avoir recours à la
violence uniquement pour se défendre). C’est la raison pour laquelle, après le
tremblement de terre à Van en 2011, qui est l’un des plus grands tremblements de terre
qui ait eu lieu en Turquie depuis 1924, avec plus de 250 morts, il n’était pas inhabituel
d’entendre dans l’opinion publique des appels à une campagne d’aide soulignant
conjointement les crimes que la population kurde de Van5 a commis à l’encontre des

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soldats turcs. Alors, déployer une banderole sur laquelle figure « les enfants de Van ne
doivent pas avoir froid » dans l’enceinte du stade en 2011 peut être considéré comme
un acte de contestation qui met en lumière au sein de l’espace public l’injustice que
subissent les victimes du tremblement de terre en raison de l’identité kurde de la ville.
Autrement dit, bien que soutenir les victimes d’une menace qui plane sur toute la
Turquie soit une cause consensuelle, elle peut être perçue comme un acte contestataire
en raison de l’identité kurde de la ville.
26 Cependant, il convient de nuancer ces propos sur Çarşı en nous référant aux travaux de
Dağhan Irak. Alors que Çarşı n’hésite pas à réagir contre la montée des nationalistes
dans les stades à la fin des années 1900, le manque d’expériences en politique et la
structure dépolitisée appliquée après le coup d’État du 12 septembre 1980 sur la société
turque empêche Çarşı de devenir un groupe politique engagé contre-hégémonique (Irak
2015 : 144). Comme expliqué précédemment dans cet article, depuis leur fondation les
trois clubs d’Istanbul (Beşiktaş, Fenerbahçe et Galatasaray) revêtent progressivement
un caractère nationaliste en incarnant un domaine où s’affiche la fierté nationale. Force
est donc de constater que le groupe de supporters Çarşı reproduit l’idéologie officielle
(la laïcité et le nationalisme) de l’État turc. Leur participation au mouvement Gezi
s’explique alors par l’intégration des idées issues de l’idéologie officielle au
mouvement. Les supporters ne s’identifient pas aux revendications portées par les
groupes politiques de gauche qui composent le noyau dur du mouvement Gezi (Irak
2016 : 113-114).
27 Même si les supporters ont signé une trêve pour diminuer la violence entre groupes de
supporters, celle-ci n’a pas disparu du répertoire d’action collective de Çarşı. On
observe ces dernières années que les supporters ont recours à la violence lorsqu’il s’agit
d’une attaque contre leur style de vie6 et pendant les matchs où Beşiktaş joue contre les
équipes telles que Konyaspor et Bursaspor (deux équipes ayant des supporters
conservateurs et pro-gouvernementaux) afin de provoquer et de discréditer les
supporters adverses. Pendant le match de Konyaspor et Beşiktaş le 6 août 2017, les
supporters de Konyaspor sont descendus sur le terrain avec des objets tranchants pour
en découdre avec Çarşı. Le « PKK dégage » des supporters de Konyaspor à Çarşı en
réponse au chant d’İzmir (un chant nationaliste et kémaliste) chanté par Çarşı a
déclenché cette altercation. La violence et l’utilisation des symboles politiques au sein
du groupe sont donc légitimées pour discréditer les supporters adverses dans le cadre
relativement autonome de l’événement du match.
28 En ce qui concerne son positionnement par rapport au club de Beşiktaş, alors que Çarşı
avait le pouvoir politique dans le club et les ressources économiques nécessaires pour
devenir une force contre-hégémonique face au club de Beşiktaş, le groupe a décidé de
négocier avec les dirigeants du club. À titre d’exemple, en 2012, la direction de Beşiktaş
enregistre le logo et le nom Çarşı comme marque commerciale et interdit alors la vente
des produits portant le logo ou le nom Çarşı sans son accord (Irak 2013b : 150-155). On
peut également donner l’exemple de sa brève dissolution en 2008 en réaction aux
critiques qui l’associent à des groupes politiques de gauche. L’objectif de cette
dissolution était de montrer que Çarşı n’a pas vocation à prendre plus d’importance que
l’équipe de football Beşiktaş en polarisant l’attention publique par des débats
concernant sa nature. La seule condition d’entrée dans Çarşı est en effet le degré de
passion pour l’équipe de Beşiktaş. Cela explique également son approche inclusive par

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rapport à la participation au groupe d’ultras de supporteurs de droite ou d’extrême


droite.
29 En conclusion, Çarşı ne possède pas une vision conflictuelle du monde qui se déploie en
dehors du cadre de supportérisme : il défend un ensemble de codes éthiques et moraux
sans se référer à une idéologie ou à une revendication politique qui serait conflictuelle
et/ou révolutionnaire. Qu’il s’agisse de la participation au mouvement Gezi,
l’affrontement avec les supporters de Konyaspor ou sa relation avec le club de football
Beşiktaş, Çarşı, qui représente plus les supporters de Beşiktaş qu’un groupe de
supporters délimité, mobilise l’idéologie officielle de l’État (laïcité et nationalisme) et la
reproduit. Les causes qu’il défend sont alors consensuelles et, dans la plupart du cas,
restent dans le cadre de l’événement du match de football.

Beleştepe, « un autre type de supportérisme »


Fondation

30 La fondation de Beleştepe s’inscrit dans un contexte plus large de groupes de supporters


en Turquie qui affichent leur tendance politique à gauche et créent des liens avec des
équipes et des groupes de supporters politisés en Europe comme St. Pauli et Livorno. En
effet, de nombreux supporters turcs soutiennent le groupe de supporters de St. Pauli en
raison de son opposition à l’industrie du football, à l’homophobie et à la discrimination.
En 2006, un groupe de supporters politisé, de tendance gauchiste, fasciné par l’identité
communiste de Livorno et par l’attitude antifasciste de son joueur Cristiano Lucarelli,
fonde le forum Forzalivorno (forzalivorno.org). Ce forum, qui revendique sans
ambiguïté son opposition à l’industrie du football, devient progressivement l’endroit
privilégié pour des supporters de différentes équipes d’influence gauchiste qui se
réunissent pour échanger et suivre les développements nationaux et internationaux du
football (Bora et Özgehan 2011 : 49). Forzalivorno produisait le fanzine Sol Açık (Gauche
Ouverte en français, “ouvert” se réfère à la partie ouverte de l’enceinte du stade). Une
tentative de faire abstraction des rivalités entre groupes de supporters pour les
rassembler sous une cause commune, le forum de Forzalivorno n’est plus actif
aujourd’hui. Il semble que leur tentative ait échoué à cause de leur difficulté à dépasser
les conflits entre groupes rivaux. Néanmoins, en ont émergé des groupes de supporters
de tendance/ou d’influence gauchiste comme Halkın Takımı (Beşiktaş), et Tekyumruk
(Galatasaray) et Sol Açık (Fenerbahçe) fondés par les supporters qui ont participé au
forum Forzalivorno. Chacun de ces groupes s’oppose à l’industrie du football tout en
essayant de se coordonner autour d’actions communes. Toutefois en raison de leur
petite taille et du manque de ressources, ils ne sont pas capables en l’état actuel de se
transformer en groupe de pression (Irak 2013b : 150-155). Beleştepe, qui défend « un
autre type de supportérisme »7, est constitué des supporters ayant décidé de quitter
Halkın Takımı jugé trop peu gauchiste.

Profil des membres et mode d’organisation interne

31 Beleştepe est un groupe de supporters actif dans trois villes de Turquie : Istanbul 8,
Ankara et Izmir. À Istanbul le groupe se compose de 25 membres actifs, à Ankara 20 et à
Izmir 13. Il existe au total 15 femmes, 20 étudiants et la plupart des membres ont moins

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de 35 ans et possèdent un diplôme universitaire. Les membres appartenant aux cols


blancs (issus de la classe moyenne et qui travaillent dans les bureaux) représentent
moins de la moitié du groupe. Il existe donc également beaucoup de membres
appartenant aux cols bleus (exécutant des tâches manuelles dans le cadre de leur
travail). Ceux appartenant à la classe moyenne constituent les membres actifs qui
orchestrent les activités et les autres membres du groupe. Concernant les origines
ethniques et religieuses, il apparaît que les kurdes ne sont pas en majorité. Ils sont
néanmoins attirés par le positionnement à gauche du groupe selon les explications d’un
de ses co-fondateurs. La plupart des membres se revendiquent athées, mais il existe par
exemple une supporter femme qui est voilée.
32 Un des co-fondateurs du groupe, Ferkan (29 ans), a un master en commerce
international de l’Université Technique d'Istanbul. Il travaille actuellement dans une
entreprise sidérurgique à Istanbul en qualité de responsable du commerce
international et est rédacteur dans le média alternatif de gauche sendika.org
(syndicat.org). Il écrivait également avant la fondation de Beleştepe dans le journal
politique en ligne HaberSol (Actualités de Gauche, http://haber.sol.org.tr). Un autre
membre actif de Beleştepe, Doğuş (32 ans), est diplômé d’un master en gestion
d’entreprise de l’université privée de Bahçeşehir à Istanbul et travaille en tant que
comptable dans une entreprise. Résidant depuis sa naissance dans un quartier
d’Istanbul connu pour les affrontements entre ses résidents (alévis) et les forces de
l’ordre, Doğuş est un alévi de gauche qui, bien avant son engagement dans le
supportérisme, faisait partie de plusieurs organisations militantes d’extrême gauche. Il
ressort de nos entretiens qu’avant d’être membre de Beleştepe, les supporters avaient
déjà un engagement politique dans des organisations9 d’extrême-gauche. Même après
la fondation de Beleştepe, il reste beaucoup de membres qui participent à des
manifestations politiques à titre personnel. Par exemple Doğuş a participé au
mouvement Gezi non pas avec Çarşı ou Beleştepe mais avec ses amis militants. Il faisait
partie de la première phase du mouvement où les écologistes et les militants de gauche
ont initié le sit-in. Par ailleurs, leur passion pour le football vient d’abord de leurs
familles qui soutiennent activement l’équipe de Beşiktaş en suivant ses matchs à la
télévision, puis de leur participation à l’événement dans le stade de Beşiktaş à Istanbul.
33 Pour ce qui est du mode d’organisation interne de Beleştepe, c’est le groupe d’Istanbul
qui dirige les actions de Beleştepe et l’organisation des membres se trouvant à Ankara et
à Izmir. Les supporters utilisent les technologies numériques comme WhatsApp et
Facebook pour se coordonner et communiquer entre eux. Il existe par exemple un
groupe sur WhatsApp et sur Facebook pour la publication de leur revue, et un autre
pour suivre les matchs amateurs. Beleştepe ne possède pas de local ou de lieu fixe pour
se retrouver. À Istanbul, les supporters se rencontrent dans des cafés selon les
disponibilités de chacun. Le mécanisme de prise de décision est basé, la plupart du
temps, sur la recherche de consensus. Pour organiser une activité, il faut donc que tous
les membres (actifs) soient d’accord. Par l’homogénéité de ses membres et par le mode
d’organisation interne, Beleştepe diffère radicalement de Çarşı; dans ce dernier, c’est
uniquement le noyau dur qui dicte les décisions dans la tribune et sur les réseaux
sociaux en raison de la non-délimitation du groupe : il est impossible de solliciter l’avis
de chaque personne pour une décision car cela reviendrait à contacter un nombre très
élevé des supporters qui se disent « de Çarşı ».

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34 Afin de comprendre et d’analyser la nature de leur engagement nous interrogeons


comment entre-t-on, comment reste-t-on et comment agit-t-on dans Beleştepe. Cela nous
donnera les éléments pour comprendre les modalités d’intégration, d’identification et
d’action des individus au sein du groupe.

Les modalités d’intégration

35 Parmi les quatre modes10 de recrutement (Snow et al. 1980), le « prosélytisme privé » et
la « promotion directe » sont les principaux modes de recrutement utilisés par Beleştepe
. Le premier mode désigne un recrutement sur la base de relations amicales, familiales
ou professionnelles alors que le deuxième décrit un mode de recrutement par un
échange en temps réel, à travers internet. Les supporters souhaitant intégrer Beleştepe,
qui ne font pas partie du prosélytisme privé, écrivent sur la page Facebook du groupe et
par la suite un des administrateurs de la page leur répond pour prendre rendez-vous et
les rencontrer. Si l’échange en tête-à-tête est satisfaisant pour les deux parties, le
supporter en question est alors recruté, intégré dans le groupe général de l’application
WhatsApp. Tandis que chaque supporter qui est passionné par Beşiktaş et qui
fréquente a minima les lieux de socialisation de Çarşı (le quartier, les bars et le stade),
peut revendiquer d’être de Çarşı, ce n’est nullement le cas pour Beleştepe qui choisit ses
membres et qui n’hésite pas à dénoncer les supporters qui expriment une appartenance
à Beleştepe sans l'accord du groupe.
36 Mais pourquoi reste-t-on au sein du groupe Beleştepe ? Il nous semble que
l’investissement dans ce groupe ne relève pas de la poursuite de rétributions
matérielles et/ou symboliques du même ordre que Çarşı. Contrairement à Çarşı,
Beleştepe n’a pas de supporters célèbres et/ou connus et reconnus dans le club de
Beşiktaş qui peuvent négocier avec le club pour acquérir des billets à moindre prix ou
voire à titre gratuit. Beleştepe n’a pas non plus d’endroit privilégié dans le stade depuis
lequel ils peuvent être vus facilement et mettre en scène leur répertoire d’action
spectaculaire. Comme on l’a souligné précédemment, le groupe porte le nom d’une
colline au-dessus du stade depuis laquelle on pouvait voir l’intérieur de celui-ci.
Plusieurs enquêtés ont exprimé leur attachement à cette colline en soulignant qu’ils
prenaient beaucoup de plaisir à suivre d’une part le match de Beşiktaş et d’autre part le
spectacle de Çarşı. De plus, il est rare de voir le déploiement d’une banderole sur
laquelle est inscrit « Beleştepe » dans le stade puisque selon le groupe cela revient à faire
la publicité et obtenir une notoriété comme groupe de supporters uniquement. C’est la
raison pour laquelle, comme on le verra dans la partie suivante, la banderole sur
laquelle est écrit « Beleştepe » apparaît surtout dans les espaces autres que le stade
pendant les manifestations pour s’opposer aux décisions du club de Beşiktaş, au
Passolig11 ou bien pour soutenir les prisonniers politiques. Il nous semble que
l’identification au groupe passe par un ennoblissement du supportérisme parce que
pour Beleştepe le supportérisme doit être au service de grandes causes dignes d'être
défendues : l’opposition au capitalisme, et par conséquent à l’institution du football et
au club de Beşiktaş, qui industrialise le football et marchandise les supporters, ainsi
que les équipes et les joueurs. On observe cet ennoblissement notamment dans les
propos des enquêtés quand il s’agit d’expliquer la raison pour laquelle est fondé
Beleştepe : « montrer que l’amour n’est pas quelque chose qu’on peut acheter avec
l’argent. L’objectif était de soutenir les supporters passionnés [de Beşiktaş] ne pouvant

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pas acheter un ticket de match » (extrait d’entretien avec Ferkan). Afin de rester dans
le groupe, il ne suffit donc pas d’être passionné de l’équipe de Beşiktaş, il faut
également avoir une position critique vis-à-vis du club et du football, vus comme deux
mécanismes au service du capitalisme, ce qui revient à partager les valeurs
fondamentales de Beleştepe12.

L’action collective du groupe : procédé d’identification et de


distinction

37 La place de l’action revêt une importance particulière puisque « […] les actions menées
dans le groupe sont considérées comme gratifiantes et renforcent l’estime de soi et
l’identité sociale de chacun autant qu’elles réaffirment l’identité du groupe et sa
cohésion. » (Trégourès. 2014 : 132). Les actions menées dans le stade constituent les
moyens par lesquels les membres s’identifient au groupe et se distinguent des autres
supporters, notamment de Çarşı. D’une part, ils se montrent de Beleştepe en portant des
vestes/pulls polaires, des écharpes et des bonnets sur lesquels est inscrit le nom
Beleştepe et de petites étoiles rouges, d’autre part, ils se départagent par leur répertoire
d’action collective qui contient des chants non-sexistes et sans insultes. Être ou ne pas
être dans le stade pour regarder les matchs de Beşiktaş est un sujet de discussion dans
le groupe en raison du Passolig qui représente pour eux l’hyper-marchandisation du
football et la réduction des supporters à de simples consommateurs. Si les membres de
Beleştepe ont acheté la carte Passolig qui donne accès au stade, le groupe a décidé de ne
pas déployer la banderole de Beleştepe pendant les matchs pour continuer à protester
contre Passolig. Par ailleurs, les membres de Beleştepe ne font pas partie de la tribune de
Çarşı dans l’enceinte du stade. Ils ne forment pas non plus de tribune à part avec un
emplacement fixe dans les gradins. Ce positionnement s’explique à la fois par leur envie
de se distinguer des membres de Çarşı vus comme les « soldats » de Beşiktaş (parce
qu’ils ne sont pas capables de critiquer publiquement le club de Beşiktaş) qui
dépendent des leaders de la tribune pour agir. On observe la frustration éprouvée vis-à-
vis de l’engagement dans Çarşı qui est jugé dépendant du club et de l’équipe de
Beşiktaş.
38 Enfin, contrairement à Çarşı, Beleştepe n’hésite pas à critiquer les actions du
gouvernement dans le stade. Ils sont capables à ce titre d’agir sur des sujets qui ne sont
pas liés directement à leurs intérêts particuliers et qui ne relèvent pas du
supportérisme. À titre d’exemple, le 6 août 2017, lors du match entre Beşiktaş et
Konyaspor, quelques membres de Beleştepe ont déployé une banderole de soutien à
l’enseignant Semih Özakça et à l’universitaire Nuriye Gülmen, tous les deux en grève de
la faim quasi-totale depuis le 11 mars 2017 après leur radiation de la fonction publique
par le décret émis dans le cadre de l’État d’urgence instauré après la tentative de
putsch du 15 juillet 2016. Le 23 mai 2017, Özakça et Gülmen ont été emprisonnés pour
appartenance au Front du parti révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C),
considéré comme une organisation terroriste par l’État turc, mais aussi par l’Union
européenne et les États-Unis, et d’en faire la propagande 13. Par la suite, dix supporters
ont été arrêtés le 16 août et détenus dix jours en prison avant d’être libérés le 24 août
2017. L’objectif de cette banderole peut être expliqué par le désir de se distinguer des
autres groupes de supporters en affichant publiquement et explicitement leur position
politique. Car soutenir publiquement deux enseignants accusés d’avoir des liens avec le

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DHKP-C pendant un match avec Konyaspor constitue un risque important, dont il serait
naïf de croire que les membres de Beleştepe n’étaient pas conscients et que leur but était
uniquement de provoquer les supporters de Konyaspor.

Figure 1. « Nuriye Semih doivent vivre ! », le 6 août 2017 à Samsun, Turquie.


Source : Bianet. URL : https://m.bianet.org/bianet/insan-haklari/189173-tribunde-nuriye-semih-
yasasin-pankartina-10-tutuklama-daha

39 À propos de la détention des membres de Beleştepe, Çarşı n’a fait aucune déclaration
officielle pour dénoncer le gouvernement ou leur apporter son soutien. La seule
réaction de Çarşı concernant cet événement est venue d’un des leaders de la tribune,
figure respectée par les supporters, qui a défendu le déploiement de la banderole
« Nuriye Semih doivent vivre ! » pour les « deux enseignants qui revendiquent leurs
droits de manière innocente »14. Cet exemple montre selon nous, d’une part, la volonté
de Çarşı, en tant que groupe de supporters, de ne pas être associé à une prise de
position politique « de gauche » (voire d’extrême gauche) et, d’autre part, le degré
d’autonomie et d’engagement politique du groupe de supporters Beleştepe qui n’hésite
pas, comme indiqué dans son manifeste, à afficher publiquement sa vision du monde
dans l’enceinte du stade.
40 L’action collective de Beleştepe se déploie aussi en dehors du stade et constitue un
élément tout aussi important pour se distinguer des autres supporters. L’espace
médiatique et les réseaux sociaux, comme Twitter et Facebook, sont utilisés d’une part,
pour transmettre les activités et l’image du groupe à un public plus large et, d’autre
part, pour protester contre certaines actions du gouvernement en place. La lettre
ouverte rédigée par Beleştepe en est un exemple. Cette lettre rédigée en turc et en
espagnol est adressée au club et à l’équipe FC Barcelona. Avant le référendum 15 qui a eu
lieu le 16 avril 2017, Beleştepe envoie une lettre au FC Barcelona afin de dénoncer Arda
Turan (joueur turc de cette équipe) qui s’est publiquement montré favorable au régime
présidentiel. La lettre indique qu’étant donné qu’Arda Turan soutient une vision du
monde raciste, sexiste et anti-laïque, il entre en pleine contradiction avec la
philosophie du FC Barcelona, laquelle s’est opposée au régime fasciste de Franco avec le

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slogan No Pasaran16. La lettre finit par annoncer que les ultras veulent voir un FC
Barcelona sans Arda Turan.

Figure 2. Lettre ouverte à l’équipe et au club de FC Barcelona « NO PASARAN. Pas de passage/ils ne


passeront pas (Geçit yok) ».
Source : site internet de Beleştepe. URL : http://www.belestepe.com/2017/01/31/no-pasaran/

41 Dans les rues, Beleştepe mènent également des actions avec Tekyumruk et/ou Sol Açık. En
2014, ces groupes de supporters ont co-organisé une manifestation contre la carte
Passolig et ont montré publiquement leur alliance en affichant leurs banderoles
respectives côte-à-côte. Toujours en 2014, est créée l’Initiative de Solidarité des
Supporters17 (Taraftar Dayanışması Dernek Girişimi en turc) afin de former une opposition
unie contre le Passolig. Les membres de Beleştepe nous ont annoncé qu’ils étaient très
déçus par le manque de réaction de Çarşı quand ils leur ont proposé d’organiser une
manifestation contre Passolig: selon eux, Çarşı a fait très peu d’efforts sur cette
question. Car l’objectif de cette manifestation était pour Beleştepe d’initier un grand
mouvement (mouvement de grève et des manifestations) de supporters pour dénoncer
le système du Passolig et réclamer sa suppression.
42 Enfin, la Contre Ligue (Karşı Lig en turc) constitue un autre espace où l’on peut voir la
collaboration de Beleştepe avec d’autres supporters issus d’autres équipes que Beşiktaş.
Juste après le mouvement Gezi en 2013, Beleştepe commence à participer à la Contre
Ligue. Cette organisation est composée de quelques collectivités qui ont participé au
mouvement Gezi. Chaque week-end, les participants de la Contre Ligue organisent des
matchs de football sur un terrain qui leur est prêté par le maire de la commune de
Kadıköy. Cette commune constitue en effet le centre de l’opposition au gouvernement
turc, partant du fait que la majorité de ses résidents vote en faveur du CHP, le parti
politique d’opposition (Parti républicain du peuple, Cumhuriyet Halk Partisi en turc) dont
le maire est lui-même issu. C’est la raison pour laquelle il n’est pas surprenant que le
terrain soit prêté et sans restriction à l’organisation de la Contre Ligue.

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Figure 3. Logo de la Contre Ligue. De l’extérieur à l’intérieur : « Contre le football industriel, le racisme
et nationalisme. Contre le sexisme, toute sorte de discours de la haine et de la discrimination. « Contre
Ligue ».
Source : https://www.facebook.com/karsilig/

43 La Contre Ligue a rédigé un manifeste où sont décrites les règles et les conditions de
participation. Voici quelques principes de son manifeste :
1, chaque équipe de la Contre Ligue doit avoir au moins trois joueurs féminins. Dans le
cas du non-respect de cette règle l’équipe est automatiquement disqualifiée ;
2, chaque équipe doit avoir deux co-capitaines, une femme et un homme ;
3, dans chaque match trois représentants du comité des capitaines doivent être
présents. Leur mission est de pénaliser les joueurs en cas de non-respect des règles de
la Contre Ligue (insulte sexiste, violence, abus des joueurs etc.);
4, La Contre Ligue est écologiste et défend les espaces publics.
44 Parmi les équipes participant à la Contre Ligue, on trouve des équipes telles que
l’équipe des bibliothécaires féministes, l’équipe des LGBTI, l’équipe des Veganspor
(sport vegan) ainsi que l’équipe des Çapultura18. La Contre Ligue joue un rôle très
important pour Beleştepe puisqu’elle concrétise sa vision du football alternatif et
maintient des liens avec d’autres collectivités partageant ses opinions :
Participer à la Contre Ligue est très important pour nous parce que c’est une ligue
qui s’oppose au sexisme, au racisme, à l’industrie du football… À travers la Contre
Ligue, on fait l’expérience d’un football alternatif qui n’est pas basé sur les disputes,
la masculinité, les abus verbaux et physiques. Quand on exprime par exemple nos
idées sur la possibilité d’existence d’un football pacifiste et inclusif, ils nous traitent
d’utopistes. En revanche, avec la Contre Ligue, on leur dit, “regardez, c’est la
concrétisation de nos idées, donc un autre football est possible” (extrait d’entretien
avec Ferkan).
45 Pendant notre entretien, Doğuş attire notre attention sur le caractère communautaire
du football en tant que discipline sportive et sur le plaisir de jouer au ballon, deux

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éléments mis de côté par le développement du football industriel. L’objectif de cette


organisation est alors de mettre en pratique un jeu du football inclusif, communautaire
et non violent, en dehors des règles et des normes restrictives du football industriel.
L’autre objectif de la Contre Ligue est de jouer au football non pas pour gagner mais
pour prendre du plaisir.
46 Le fait de coordonner des actions ponctuelles avec des groupes de supporters d’autres
équipes que celle de Beşiktaş, participer à la Contre Ligue et publier une revue
politique représentent pour Beleştepe des actions par lesquelles le groupe se distingue
de Çarşı et des autres groupes de supporters.

Figure 4. La revue de Beleştepe. Le groupe a édité jusqu’à aujourd’hui trois numéros, de 50 pages
chacun. En titre: « chacun a un Beleştepe ».
Source : Kartalhaber. URL : https://www.kartalhaber.com/belestepeden-dergi-12393.html

47 Enfin, en s’opposant au football industriel et, par conséquent au capitalisme, Beleştepe


fait écho au « mouvement contre le football moderne » (Webber 2015) et « au football
du peuple ». Le Calcio popolare (le football du peuple), se développe en Italie et est
caractérisé par l’organisation des équipes de football dirigées et gérées par les
supporters dans les divisions locales (Androus ; Giudici 2008). Étant la cinquième phase
du mouvement ultra, le mouvement du football du peuple exprime l’aliénation des
supporters face au football professionnel massivement commercialisé et le désir de
faire du football un jeu communautaire qui contribue au bien commun. Il vise donc
éventuellement à reconstruire l’ensemble de la structure du football professionnel.
L’équipe de Beleştepe participe non pas à la division locale, comme Brutium Cosenza ou
CS Lebowski dans le cas italien, mais à la Contre Ligue afin de promouvoir l’idée qu’« un
autre football est possible », ce qui est par ailleurs le slogan de Brutium Cosenza (un
altro calcio è possibile). Conscients du fait que le système capitaliste fait du football et des
supporters une industrie commerciale, Beleştepe construit alors une action collective et

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essaie de dépasser les rivalités afin de bâtir une alternative contre ce système qu’ils
jugent aliénant.
48 Toutefois, il faut souligner l’ambiguïté de sens et d’interprétations qu’il existe autour
de ces mouvements de supporters contre le football moderne et/ou professionnel. Cette
ambiguïté trouve ses racines dans l’hétérogénéité et la complexité des supporters de
football qui interprètent et accommodent de manière différente le slogan et les idées
principales des discours contestataires (Numerato 2014 : 121).

Perceptions et interactions mutuelles


49 Si Beleştepe a une identité et un répertoire d’action collective autonome et indépendant
de Çarşı, on ne peut pas pour autant affirmer qu’il constitue une scission vis-à-vis de ce
dernier. Il ressort des entretiens que nous avons menés que Çarşı marginalisait et
délégitimait le groupe en le qualifiant d’extrême gauche et en l’accusant d’avoir
instrumentalisé l’équipe de Beşiktaş pour faire de la politique. Toutefois, le noyau dur
de Beleştepe à Istanbul fréquente les mêmes endroits que le noyau dur de Çarşı et se
déplace dans des voitures communes pour aller aux matchs de Beşiktaş. Beleştepe
commence alors à générer de la sympathie parmi les leaders et les membres à tendance
politique de gauche de Çarşı. « Ils [le noyau dur de Çarşı] nous regardent comme des
enfants gauchistes. Ils disent par exemple “ils soutiennent aussi Beşiktaş, mais ils sont
un peu trop gauchistes, c’est tout” » (extrait d’un entretien avec Ferkan).
50 Pour les membres de Beleştepe, Çarşı représente tous les supporters de Beşiktaş. Comme
« tous les supporters de Beşiktaş » sont impossibles à identifier, à connaître et à situer,
pour les membres ceux-ci s’approchent d’une entité abstraite. Les membres de Beleştepe
considèrent également l’équipe de Beşiktaş comme quelque chose qui n’est pas assez
tangible sans doute parce que cette équipe représente avant tout les affects (comme
l’amour, la passion, la justice sociale, voire la laïcité et le nationalisme) que les
supporters y investissent pour construire une image de Beşiktaş. Dans cette optique,
Beleştepe est vu alors par ses membres comme l’espace où se concrétise et s’actualise
l’image politique de gauche de Çarşı. Cette concrétisation passe notamment par le
positionnement critique du groupe vis-à-vis du club de Beşiktaş et sa détermination à
être militant de gauche et supporter à la fois, sans qu’une de ces identités entre en
contradiction avec l’autre. C’est la raison pour laquelle pour les membres de Beleştepe,
ne pas être un supporter militant revient à être « les soldats de Beşiktaş », incapables
de décider pour eux-mêmes indépendamment des leaders de tribune ou du club.
51 Pour ce qui est des interactions entre les deux groupes, Çarşı soutient certaines actions
de Beleştepe en faisant par exemple la publicité de leur revue sur ses comptes Twitter et
Facebook ou bien, comme souligné précédemment, lorsqu’un des leaders de Çarşı, à
titre individuel, déclare publiquement son soutien aux membres de Beleştepe détenus
après avoir déployé la banderole de « Nuriye et Semih doivent vivre ! » lors du match
entre Konyaspor et Beşiktaş. Si la plupart du temps, Çarşı n’est pas officiellement
solidaire de Beleştepe, sur les réseaux sociaux ou dans l’espace public, les leaders
expriment leur soutien et donnent des conseils aux membres de Beleştepe pendant les
conversations en tête-à-tête en petit comité. Il semble que Beleştepe ait une place dans
Çarşı : c'est d’abord un groupe de supporters composé de personnes passionnées par
l’équipe de Beşiktaş et ensuite un groupe où se rassemblent « les enfants politiques de

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gauche ». Il s’agit alors pour Çarşı de neutraliser ou de nuancer l’identité militante de


Beleştepe avec celle de supporters pour que les membres de Beleştepe puisse être
acceptés et puissent exister dans son sein.
52 Enfin, sur la scène du supportérisme, Beleştepe est vu comme un groupe de supporters
de gauche comme celui de Sol Açık, Tekyumruk ou encore Halkın Takımı. Beleştepe n’hésite
pas à afficher publiquement son positionnement à gauche, ce que les supporters
nationalistes ou de droite considèrent comme extrémiste, voire illégitime.

Conclusion
53 Force est donc de constater que l’articulation de Çarşı à Beleştepe passe essentiellement
par le supportérisme et par conséquent par la suspension de l’identité politique de
Beleştepe, ce qui ne constitue pas un problème pour les membres de Beleştepe. Si ceux-ci
fréquentent Çarşı, ils ne participent pas à son action collective dans le stade et le voit en
tant que simple groupe de supporters de l’équipe de Beşiktaş. De plus, il apparaît que
les membres de Beleştepe existent au sein de Çarşı à titre individuel et non pas en tant
que Beleştepe. Autrement dit, la double identité des membres de Beleştepe se réduit à une
seule (celle de supporters) quand il s’agit d’être dans Çarşı. Conscients de l’hyper-
marchandisation du football et frustrés de leur engagement dans Çarşı qui n’est pour
eux pas assez contestataire, organisé et intelligible, les membres de Beleştepe
retravaillent la question de la politisation dans le supportérisme en formant un groupe
à part. Dans ce groupe, où existent des barrières d’entrée (fixer un rendez-vous en tête-
à-tête avant de décider d’intégrer la personne dans le groupe), ils tentent de concilier
l’identité militante et l’identité de supporter. Par ailleurs, il nous semble que ce sont les
membres de Beleştepe qui politisent le monde du football et que ce n’est pas par le
football qu’ils se politisent. Ayant des carrières militantes qui précèdent leur
engagement dans Beleştepe, ils vivent leur supportérisme conformément à leur identité
militante.
54 À travers leur répertoire d’action collective qui est guidé plus par leur sensibilité
politique que par le souci d’être le meilleur supporter de l’équipe de Beşiktaş, ils se
distinguent d’abord de Çarşı et ensuite d’autres groupes de supporters. C’est la raison
pour laquelle, alors que Çarşı refuse par exemple d’organiser une manifestation avec
d’autres groupes de supporters (rivaux), Beleştepe n’hésite pas à s’allier avec ceux-ci en
dehors du stade. Par sa vision conflictuelle du monde et son action collective (en
dénonçant le capitalisme jugé responsable de l’industrialisation du football, en
construisant une identité idéologique homogène et en s’efforçant de changer les
conditions à travers ses actions collectives comme la Contre Ligue), Beleştepe se
rapproche d’un groupe de supporters qu’on peut qualifier de contre-hégémonique.
Dans ce groupe, il est question de formuler une critique du statu quo et d’élaborer des
pratiques alternatives afin de montrer qu’un autre type du supportérisme et du football
est possible. Il ne s’agit pas ici de qualifier Çarşı d’« apolitique » par rapport à Beleştepe
mais de montrer deux modes de politisation différents : l’un se référant au
nationalisme (kémalisme) et mobilisant un ensemble de codes humanitaires et moraux,
l’autre élaborant un discours et des pratiques anticapitalistes et communautaires.
55 Toutefois, il est nécessaire de mener des études empiriques auprès d’autres groupes de
supporters similaires à Beleştepe comme Sol Açık, Tekyumruk, Ya Basta ! (Göztepe) ou

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Şimşekler (Adana Demirspor) sur la nature de leur engagement ainsi que leurs
interactions mutuelles afin de voir si ces groupes peuvent coordonner ensemble des
actions qui s’inscrivent dans une continuité. Jusqu’à aujourd’hui, ils ont coordonné des
actions plutôt ponctuelles et ont notamment tenté de dépasser leurs rivalités en
formant l’Initiative de Solidarité des Supporters contre la carte Passolig. Sont-ils en
mesure de construire une action collective sur la longue durée, cela reste à voir. Mais
dans le contexte politique actuel de la Turquie où l’État devient de plus en plus
répressif et autoritaire, l’étude de groupes essayant de construire une résistance et un
contre-pouvoir est selon nous d’un très grand intérêt. Cela peut contribuer à
déterminer et à éclaircir les conditions de possibilités de transformation sociale et
politique par un mouvement d’en bas.

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615195465217969.1073741828.609459542458228/1634645003273005/?type=3&theater

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NOTES
1. Le mot « Arena » (arène) dans Vodafone Arena est récemment supprimé au profit de « Park » à
la suite de la déclaration publique du président turc jugeant l’utilisation du terme inapproprié,
car il renvoie aux combats entre gladiateurs et bêtes féroces. Journal T24 (2017), “TFF, içinde
‘Arena’ ifadesi yer alan 3 stadın ismini değiştirdi” : http://t24.com.tr/haber/tff-icinde-arena-
ifadesi-yer-alan-3-stadin-ismini-degistirdi,406238
2. Le mouvement « Gezi Park » est initié en mai 2013 par une poignée de militants écologistes,
avec la volonté de s’opposer à la décision du gouvernement de détruire le parc Gezi pour y
construire un centre commercial. L’occupation et la défense du parc Gezi – l’un des rares espaces
verts du centre d’Istanbul – illustre notamment la montée des revendications urbaines sous la
bannière d’un droit à la ville et l’opposition à la privatisation de l’espace urbain devenue de plus
en plus écrasante avec l’arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement en 2002
(AKP).
3. La notion de répertoire d’action collective, élaborée par Charles Tilly (1986), désigne un
ensemble de routines plus ou moins rigides par le biais duquel les acteurs contestataires
investissent l’espace public. Un répertoire cadre les manières d’agir(s) et permet aux acteurs de
s’exprimer à travers un certain nombre de pratiques, moyens et modes d’expression. Ainsi, le
répertoire d’action disponible est toujours circonstancié et contextuel.
4. Il s’agit d’une appellation assez courante pour se référer à Çarşı. Il existe également un autre
sous-groupe, plus ancien que Beleştepe au sein de Çarşı qui s’appelle L’équipe du peuple.
5. En 2011, un présentateur de la chaine d’information Habertürk affirme en direct « Même si
c’est à Van, notre souffrance est grande ». Müge Anlı, animatrice des émissions télévisées et
journaliste, affirme en direct lors de son programme télévisé Tatlı Sert « chacun doit connaitre sa
place. Vous lancez des pierres aux soldats, vous les chassez comme des oiseaux et après vous
demandez de l’aide. Ces policiers-là ont tout de suite fait le nécessaire pour les aider. J’espère que
les mains des lanceurs de pierres seront brisées ». « Müge Anlı’nın Van yorumu », Radikal, 24
octobre, 2011 : http://www.radikal.com.tr/turkiye/muge-anliin-van-yorumu-1067323/
6. Le 11 mai 2013, l’équipe de Beşiktaş joue son dernier match au stade Inönü, qui doit ensuite
être détruit pour la construction d’un nouveau stade. Avant ce match important, les supporters
boivent et chantent dans le quartier de Çarşı comme ils le font avant chaque match. Recep Tayyip
Erdoğan, depuis son bureau de Premier ministre également situé à Beşiktaş, ordonne aux
policiers de disperser les ultras qui font beaucoup de bruit. Deux policiers tirent des coups de feu
en l’air à cet effet. Indignés par le comportement des policiers qui perturbent leurs habitudes et
le deuil dans leur propre quartier, les supporters réagissent violemment en leur jetant des
projectiles.
7. C'est le titre du manifeste de Beleştepe qui accentue l’opposition des supporters à l’industrie du
football et leur volonté de montrer qu’une autre forme de football et de supportérisme est
possible.
8. Nous avons mené des enquêtes uniquement auprès des supporters qui se trouvent à Istanbul.
9. Pour protéger nos enquêtés, on a fait le choix de ne pas donner les noms de ces organisations
politiques.
10. Les deux autres modes de recrutement sont le « prosélytisme public » : la mise en scène
publique du groupe à travers divers événements et le « prosélytisme médiatique » qui désigne
toute communication médiatique transmettant un message.
11. Le Passolig est une carte de crédit indispensable pour acheter des billets pour les matchs de
football en Turquie instauré moins d’un an après le mouvement Gezi. C’est un système de fichage
performant qui permet aux autorités publiques d’identifier très rapidement les supporters dans
l’espace des stades.

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12. Ces valeurs fondamentales sont affichées dans son manifeste qui se trouve sur le site-web du
groupe : « Beleştepe intervient dans la vie à travers les rues et les tribunes. Il fait de l’agitation et
de la propagande librement afin de s’exprimer et véhiculer ses idées au public. Il n’hésite pas à
partager les idées qu’il défend avec le public à travers une déclaration sur le web, un chant dans
la tribune et une manifestation. Beleştepe s’oppose à l’industrialisation du football, à la
structuration du sport dans la direction dictée par le capital, à la réification des sportifs et de leur
main-d’œuvre, et au système qui a créé tout cela. Il vise à mettre en œuvre une nouvelle
compréhension du sport qui peut constituer un système alternatif à ce dernier [au sport
industriel] ». « Le manifeste de Beleştepe », http://www.belestepe.com/belestepe-manifesto/
13. Semih Özakça a été libéré le vendredi 20 octobre, mais placé sous contrôle judiciaire à
domicile avec port d’un bracelet électronique. Le 1er décembre 2017, Nuriye Gülmen a été
condamnée à 6 ans et 3 mois d’emprisonnement, mais le tribunal a décidé de la maintenir en
liberté surveillée en attendant le verdict de la Cour d’appel. Le 26 janvier 2018, après 11 mois,
Gülmen et Özakça ont décidé de mettre fin à leur grève de la faim quasi-totale.
14. « Çarşı Nuriye ve Semih'e sahip çıktı: İki öğretmenin masumane hak arayışı », abcgazetesi, le
12 août 2017 : http://www.abcgazetesi.com/carsi-nuriye-ve-semihe-sahip-cikti-iki-ogretmenin-
masumane-hak-arayisi-61580h.htm
15. Le référendum constitutionnel vise à inscrire dans la Constitution les amendements de 2017
qui constituent le passage des institutions d'un régime parlementaire vers un régime
présidentiel.
16. « Beşiktaş taraftarından evet diyen Arda Turan için Barcelona'ya mektup », Cumhuriyet, 31
janvier 2017. http://www.cumhuriyet.com.tr/haber/dunya/668595/
Besiktas_taraftarindan__Evet__diyen_Arda_Turan_icin_Barcelona_ya_mektup.html
17. « Taraftarlar Yasaklara Karşı Biraraya Geldi: Taraftar Dayanışması Dernek Girişimi Kuruldu »,
Toplumsalsol, le 18 septembre, 2014. http://www.toplumsol.org/taraftar-dayanismasi-kuruluyor/
18. Le nom de l’équipe renvoie à Çapulcu et à Sepultura. Çapulcu, qui signifie maraude, vandale,
racaille, est devenu un des symboles du mouvement Gezi suite à la déclaration publique du
Premier ministre de l’époque qui a décrit les manifestants en tant que « quelques çapulcu ». Les
manifestants se sont réapproprié le mot en se définissant eux-mêmes comme çapulcu ainsi que
l’acte de protester comme çapuling (en ajoutant -ing à la fin du mot). Sepultura est un groupe de
heavy metal brésilien formé en 1984. Le groupe s’oppose à la violence étatique et à l’injustice
socio-économique.

RÉSUMÉS
En 2010, quelques ultras du groupe de supporters Çarşı du club de football Beşiktaş forment le
groupe Beleştepe (la « colline gratos » en français) afin d’élaborer une action collective contre le
football industriel capitaliste. Le nom de ce groupe vient d’une colline qui se trouve à côté du
stade İnönü à İstanbul. Depuis cette colline, il est possible de voir 70% de l’intérieur du stade, les
supporters qui n’ont pas suffisamment d’argent pour acheter un ticket s’y installent afin de
regarder le match. La décision de ces supporters de se rassembler en un groupe restreint vient de
leur positionnement politique plus engagé que leur maison mère, Çarşı. Il s’agira dans cet article
d’analyser les différents modes de politisations de Çarşı et de Beleştepe.

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In 2010 a few ultras from Çarşı, a well known fan group of the Beşiktaş football club, formed the
Beleştepe (“Free hill” in English) in order to develop collective action against capitalist and
industrial football. The name of this group comes from a hill next to the İnönü stadium. From
this hill, it is possible to see 70% of the inside of the stadium and fans who do not have enough
money to buy a ticket settle on this hill to watch the match. But above all, their decision to
gather in a separate group came from their political position, which is more explicit and precise
than that of Çarşı. This article will analyse different modes of politization of the two groups.

INDEX
Mots-clés : Beleştepe, Çarşı, Beşiktaş, groupe de supporters, communauté politique, agir
politique, Turquie
Keywords : Beleştepe, Çarşı, Beşiktaş, football fan group, political community, political agency,
Turkey

AUTEUR
GÖKÇE TUNCEL
Doctorante en sociologie
CESPRA (Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron), EHESS
gokcetuncel@gmail.com

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Shifting spaces of contention


An analysis of the Ultras’ mobilization in Revolutionary Egypt

Suzan Gibril

Introduction
1 The emergence of contentious collective action since the early 2000s 1, and especially in
the aftermath of the 2011 popular uprisings has contributed to the transformation of
public space in Egypt, revealing a wide range of political and social actors. The
development of contentious actions, as well as the use of the street as a powerful
political tool encouraged the emergence of new spaces of protest, but also the
development of new strategies of opposition. During and after the events of 2011,
Tahrir Square – and by extension the “street”, understood as the space allowing for the
expression of public opinion – became a symbol of unity, hope, and empowerment, all
the while allowing new actors to appear on the political and social scenes. The
investment in public space has led to an examination of the different ways of thinking,
organizing and staging collective action. Egyptian football supporters in particular, are
known to make use of public space within the framework of their activities, by utilizing
the stadium, the walls and the “territory” surrounding the stadium and their meeting
points. Early in the uprisings, they notably played a central role during the clashes with
the security forces, helping to “bring down the wall of fear”. 2 Their experience in street
fights, their turbulent spirit, their frequent use of violence,3 their audio-visual tools
(flags, songs, banners and graffiti), as well as their practices of public space investment
have contributed to the development and redefinition of collective action in
revolutionary and post-revolutionary Egypt.
2 Beyond the physical investment of Tahrir, it is interesting to look at the occupation of
other spaces by the Ultras groups, particularly their occupation of the different walls
surrounding the stadiums and Tahrir Square. This article aims to examine the
mobilization of the Cairo Ultras groups by looking into their use of space, first within
stadium grounds, and particularly through their use of graffiti art. This choice is
essentially motivated by the fact that their main space of mobilization, the stadium,
was off-limits to them after the events of Port Said,4 which will be discussed below.

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Through an analysis primarily centred on their graffiti, we wish to account for the
evolution in their mobilization, as well as understand the development and
transformation of their messages. On the one hand, the article will focus on the use of
physical space by the Ultras and the messages conveyed within the stadium. On the
other hand, it will address the issue of the rapport with figures of authority, especially
with the police force, and discuss the assimilation of the concept of martyrdom by the
Ultras groups, as well as its evolution.
3 With regard to the structure of the paper, it will be divided into three main parts. The
first part aims at discussing the making of contentious collective action and theorizing
public space within the scope of collective action. How do we define public space and
street politics within authoritarian contexts? The second section focuses on the
stadium as the Ultras’ earliest space of mobilization. Particular attention will be paid to
Port Said and its significance in altering the Ultras groups’ utilization of space. The
third part is based on a thorough analysis of graffiti art as a means of occupying space
and resistance. We will start by focusing on the relationship between the Ultras and the
figures of authority with a special emphasis on the police. Finally, we will discuss the
concept of martyrdom and its use by the Ultras within the framework of their
activities.
4 An examination of the Egyptian case, and particularly the study of a bottom-up case
focusing on traditionally non-political groups (Bayat 2009: 22) such as the Ultras, opens
up new analytical perspectives for the study of contentious politics in the Middle East.
These daily dynamics of resistance are reshaping these societies in a way that is seldom
explored by Western scholars, and discredited by the holders of authoritarian power in
the region (Bayat 209: 23). By recognizing the power of local actors such as the Ultras,
and examining their activities, these “citizen (non)movements” 5 highlight the new
ways by which ordinary individuals can limit state control, and stimulate change
within their respective communities. Moreover, the sports arena and by extension the
Ultras groups can reveal certain social complexities and struggles, particularly in
contexts where the dominant power exerts pressure on its population.
5 Indeed, regimes such as the Mubarak regime in Egypt are characterized by weak
opportunities for the development of opposition movements and collective
mobilization (Bennan-Chraïbi and Filleule 2003; Benin and Vairel 2013; Allal; Cooper
2012), as well as by the quasi-systematic repression of collective mobilization
(Abdelrahman 2013). The lack of political opportunities can therefore lead to the
development of “new spaces of contention”, as a “part of the social world built on at
the same time against and in reference to the political field and its formal institutions”
(Beinin; Vairel 2013: 33). The stadium and its surroundings, as well as the art of graffiti
can be understood as one of these spaces of freedom and autonomy where the
frustrations of humiliation and abuse could be channelled.
6 The majority of the data was gathered around Tahrir Square and Mohammed Mahmoud
Street, as well as around the Ahly and Zamalek stadiums during a series of field trips
conducted between 2012 and the beginning of 2015. Graffiti are of particular interest in
the Egyptian case, most notably because they allow for the expression of a specific
social and/or political reality using precise graphic and discursive rules. We also rely
on a series of interviews conducted between 2013 and 2015, with Ultras of the two main
football clubs in Cairo, namely Ahly and Zamalek. The use of interviews has proven to
be an important tool and asset for making sense of political phenomena, particularly

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when discussing Port Said and the shift in mobilization observed among the Ultras
groups.

Contentious collective action and the making of public


space
7 The Egyptian Revolution has impacted on the dynamics of political participation.
Formal political participation in Egypt was predominantly restricted to regime-
affiliated party activity, co-opted civil society participation, and/or voting in non-
transparent and fraudulent elections (Khatib 2013: 315). This compelled the
development of “underground movements” and alternative spaces of freedom
(Bromberger et al. 2002; Bayat 2009; Atef 2014). The stadium and the football arena as a
whole became one of those spaces, allowing for free expression of opinions and
catalysing social tensions and frustrations, ultimately becoming a space of political
socialization, a space where individuals familiarized themselves with politics and social
issues.6 These spaces defied the coercive measures put in place by the government –
such as the law on political parties7 – to avoid any political opposition and limit the
influence of social movements and opposition forces (Khatib 2013: 322).
8 The concept of space is often debated in the social science literature, showing how it
has shaped political mobilization as well as contentious politics (Moore 1998; Castells
2009; Miller 2000; Martin; Miller 2003). Spatiality is to be understood as multiple and
equally significant, though certain spatialities might be of greater significance in the
articulation of a specific process (Miller 2013). According to Miller, space matters
because it is a “medium through which all social relations are made or broken – and
making and breaking relationships is at the core of collective action” (2013:286). Henri
Lefebvre (1991: 62) adds that underestimating, ignoring or diminishing “space amounts
to the overestimation of texts, written matter, and writing systems, along with the
readable and the visible, to the point of assigning to these a monopoly on
intelligibility”.
9 The conceptualisation of space in dissident contexts has benefitted from a growing
interest in the literature (Bayat 2003; Massey 2007; Rabbat 2011). However, these
authors often focus on the visibility that these spaces provide, the streets being a
“theatre of action and a place to use the power of collectives” 8 rather than the impact it
can have on social actors. Indeed already in 2003, Martin and Miller (2003: 143)
expressed their concern regarding the minimisation of certain aspects “such as the
construction of space or the context that has led to the development of certain
fundamental concepts such as identity, political opportunities, demands and
resources”. According to both authors, it remains essential to think of space, not only
as an instrument of collective action, but also as a constituent element of it (2003: 144).
10 It is in this sense that Tilly has integrated the question of space into the study of
mobilizations by addressing the concepts of “safe spaces” or “control of spaces” as
stakes of contentious politics (Tilly 2000: 136, 149). Tilly states that these safe spaces
are part of the spaces where protesting politics can occur (Tilly 2000: 144). Due to their
location, or their legal status, some spaces are more likely to offer protection against
repression by the security forces.

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11 Atef, on the other hand, added to the definition of public space, specifically in
authoritarian contexts, by introducing the concept of “public policy space” as a place of
struggle between a powerful elite and a weakened population (2014: 69). The public
space then becomes a space for citizens to “practice” their opposition to the
government, actively seeking to increase and challenge the limitations imposed by
political power (2014: 55). Contentious protests are induced through street
demonstrations and public debates organized on various topics relating to government
policy, although also prompted by the mosques, universities (to a certain extent) and
stadia, which, as we will see, offer greater freedom of expression as they are able to
break away from the control networks set up by the regime and its security apparatus.
12 The development of contentious collective action in authoritarian contexts is most
commonly complicated by the regime’s response to counter-powers: strong coercive
agencies who have carte blanche when it comes to defending state interests. These
police forces usually resolve to what they call “routine” forms of repression, such as
surveillance, threats, harassment, detention and “legal persecution” (tax authorities,
extortion) to restrict and discourage any kind of dissident behaviour. The Egyptian case
– at least until 2014 and the rise to power of general Abdel Fattah al-Sisi – is interesting
in this regard; firstly because it sheds light on the weaknesses of such authoritarian
regimes and secondly because it allows for a first-hand analysis of the development of
large-scale mobilization. However, when contentious collective action develops in
authoritarian contexts, a central question that emerges is that of the (in)stability and
sustainability of the democratic process. The political system in Egypt, since the
abdication of King Farouk in 1952, has been a succession of authoritarian rules. The
large-scale popular uprisings of 2011 opened a whole range of possibilities, allowing
different segments of society to come together, express themselves and envisage their
future for the first time in decades.
13 When studying collective action, it is valuable to characterize the form of mobilization
that is being observed in a certain context. To this end, James C. Scott’s concept of
infrapolitics encompasses the wide variety of acts, gestures and thoughts that are not
quite political enough to be perceived as such (1999:183). In the case of collective
action, infrapolitics can refer to forms of mobilization that do not fit into the main
classifications of political action. That is to say it can also include certain forms of
participation that imply a degree of collectiveness but that do not fall into the category
of social movements. Originally, such politics was made up of a number of small
actions, a day-to-day politics that avoided dangerous risks; a politics for those living in
autocratic settings, for the peasantry and the poor. Though made up of thousands of
small acts, this form of infrapolitics had the potential to become an enormous
aggregate consequence (Scott 2012:113). The concept has since been borrowed and
expanded so as to include a wider variety of acts of resistance and/or protest which, for
the most part, do not enter the classic realm of “politics” but whose messages or
consequences are highly political.
14 Indeed, certain infrapolitical forms of mobilization do not enter the category of “failed
movements” or “movements-to-be”, even though they perform a certain symbolic form
of critique and resistance (Marche 2012: 5). That is to say that certain acts of
mobilization, such as street art, cannot be analysed in the same way as lobbying
actions, or political campaigns or demonstrations organised by trade unions or
established social movements. Infrapolitical acts, such as the use of graffiti as a means

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of expression, operate beneath the boundaries of political detectability, which makes


them reliable vehicles of resistance. Infrapolitical forms of resistance can thus be
central in authoritarian contexts because these “offstage discursive practices are
continually pressing against the limit of what is permitted onstage, much as a body of
water might press against a dam” (Scott 1990:196). Among these “alternate” channels
of mobilization, one can list the use of street art, or the use of the stadium – at least in
the early days of the uprisings – as efficiently expressing a resentment towards the
ruling regime, without these acts being considered alarming by the regime authorities.
15 Infrapolitics is of particular interest in the Egyptian case. Because the population is
deprived of legitimate channels of expression, the different active groups do not
express their grievances in a conventional way, favouring other channels of
mobilization aiming at challenging the status quo and/or making a claim for dignity.
This is the case of the Ultras groups whose activities mostly centre on football and their
club, however their acts – especially during and in the aftermath of the uprisings – can
be perceived as highly political. These groups share the common idea that their social
and political reality, whether linked to their activities as supporters or to the events
unfolding (such as the Egyptian uprisings or the events of Port Said), could be changed
through mobilization. Their mobilization takes on several forms, but mostly translates
into the use of chants, slogans and, more importantly, graffiti. The use of alternate
tools of mobilization, and unconventional ways of expressing opinions and grievances
raises the question of whether to address these forms of mobilization as politically
explicit without their means being qualified as “political”, or as practices which are not
political either in terms of content or means (Marche 2012: 4).
16 What is more, one of the key components in the modern interpretation of infrapolitics
is the question of anonymity. When the social actor is able to conceal his identity,
whether by acting in the shadows or within an undistinctive mass, his voice, and
message(s) can be clearer and sharper (Scott 2012). In the Ultras’ case, the use of
graffiti as a means of protest is – among other motives linked to their activities as a
group – essentially motivated by the fact that it guarantees a space for the voicing of
grievances, concerns, opinions when most of the other channels of expression are
blocked, as well as because it preserves the individual’s identity while affirming his/her
allegiance to a particular and identifiable group.
17 Scott’s infrapolitical model of resistance is useful to account for the different forms of
mobilization that do not enter the traditional models of collective action and social
movements, as well as to understand the Ultras’ mobilization within the framework of
their supporting activities. However, it is not sufficient to clarify and explain the
multiple dynamics unravelling within these different groups outside of stadium
grounds, and particularly as of the moment they left the stadium and reclaimed the
street in the early days of the Revolution. Accordingly, Asef Bayat’s concept of “street
politics” is interesting in this sense, mainly because it is concerned with everyday
modes of resistance, and allows an examination of the “the dynamics of free-form activism,
to describe the politics of informal people and the dis-enfranchised” (Bayat 1997, 55-56).
Certain forms of “street politics” allow for an examination of the way people resist
beyond the usual channels of contentious politics (marches, sit-ins, massive protests,
etc.). This concept is particularly suitable for addressing the Ultras’ mobilization during
the uprisings and after the closure of stadium grounds (following the events of Port
Said), as well as their rapport with figures of authority, as we will see how these groups

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“carry out their activities not as conscious political acts”, but “[they] are driven by force of
necessity — the necessity to survive and live a dignified life” (Bayat 1997:57).
18 The element of space in contentious politics distinguishes it from other forms of
resistance such as sit-ins or strikes, mainly because streets are not only where people
protest, but also where they extend their protest beyond their immediate circle (Bayat
2009:167). For this reason, one finds a wide range of actors including the
“marginalized” – the unemployed and the poor9 – as well as other actors such as
students, women, state employees, artists, whose presence on the street is designed to
enhance their struggle. It is the wide spreading of protest that threatens authorities
who make use of violence and intimidation over these spaces – spatial division, police
patrols, and anti-riot squadrons (2009:167). This tactic of encircling and using
intimidation and violence is frequently used during football matches against the Ultras,
mainly to supersede the potential of expansion to other people present in the stadium.
By refusing to withdraw themselves from social and political stages that were
controlled by the regime authorities, these groups of social actors generated and
discovered new spaces to voice their dissent. In such settings, the street becomes the
ultimate arena to communicate discontent and grievances (Bayat 2013:12).
19 But more than just centred on conflict, streets are also spaces of flow and movement,
where identities are forged and solidarities enlarged (Bayat 2013:13). So space does not
simply serve as a stage for contentious collective action, it also shapes its patterns and
resolutions. In this context, the political street (also known as the “Arab Street”), 10
denotes the “collective sentiments, shared feelings, and public opinions of ordinary
people in [their daily] practices that are expressed broadly in public spaces – in taxis,
buses and shops, on street sidewalks, or in mass street demonstrations” (Bayat
2013:14). The concept of political street and street politics will also be applied to other
public spaces than the physicality of the street and the midan, in the form of the walls
and their use by street artists. Indeed graffiti, much like the physical presence on the
street, are efficient ways of utilizing public space to convey a message and take
possession of a given territory in an act of protest.
20 As we will see in the following sections of this paper, the Ultras were able to adapt their
mobilization processes and tools to overcome the stadium ban and police repression by
reclaiming other spaces than their prime spaces of mobilization, namely the stadium.
By reclaiming the street and the walls of the different cities – not only those
surrounding stadium grounds – the Ultras took possession of these areas and made
them their own, thus expanding the conception of contentious politics and the ways by
which they are implemented on the ground.

From stadium to street: the Ultras’ mobilization


processes
Being an Ultra is more than football. Being an Ultra means you respect the code and
5B … 5D Being an Ultra is about loving football, your team and your people.
live by it. F0 F0

You know…we look out for each other.11


21 The first Ultras movement appeared in Italy in the late 1960s, established by a union of
workers who wanted to denounce the shortcomings of the commercialisation of
football (Louis 2008; Armstrong; Testa 2010). Although originally influenced by the
British model of hooliganism, manifested as a sort of extension of the working class

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40

(Roversi; Balestri 2000: 187), the Italian model was closer to the anti-system youth
movements of the 1960s and 1970s, engaged in demonstrations, thus encouraging the
Ultras movements to adopt the same modes of action and forms of organisation
(Balestri; Podaliri 1998).
22 The first Egyptian Ultras groups started forming in the early 2000s via the Internet and
through forums before emerging as distinctive organisations in 2007, based on the
Italian model (Beshir 2011). Other forms of organized support existed prior to the
establishment of the Ultras. Until the end of the 1990s, Egyptian football fans were
known as Tersos, derived from the Italian word Terzo, meaning “Three”. In Egypt,
Terso came to refer to the fans from lower social classes who could only afford to buy
third-class tickets to see the games (El-Zatmah 2012: 801).
23 Appearing as early as the 1920s, the Terso fans shaped Egyptian football with their
chants and songs, making football an integral part of Egyptian national culture (El-
Zatmah 2012). The Terso fan-base consisted of a rather homogenous social group with
regards to age and gender, and cultivated a non-violent culture of support, as opposed
to their Latin American and Northern European counterparts, whose hooligan fan
culture was largely rooted in violence, particularly during the 1970s and 1980s (El-
Zatmah 2012).12 The Terso phenomenon started to disappear at the beginning of the
1980s, mainly due to worsening socio-economic conditions of the lower classes, making
it challenging for the fans to buy tickets. The worsening economic conditions, coupled
with the rise of greater gender segregation measures limiting the presence and
participation of women in the public sphere (brought forth by the rising Islamisation of
the culture),13 contributed to the third-class ticket seats to be mostly dominated by
young males who would later come to form the Ultras (El-Zatmah 2012: 802).
24 The changing structure of football fandom in Egypt at the end of the 1990s, beginning
of the 2000s, was a reflection of both a wider socio-economic and cultural change in the
country, characterised by the rise of neoliberal policies, growing unemployment rates,
and an amplification of social inequalities (immiseration of the middle class, and an
upsurge of people living on less than two dollars a day), 14 as well as a change brought
forth by the development of the Internet and the development of social media channels
such as Facebook, and Twitter.15
25 Different pro-democracy movements started to emerge and formulate demands
(Abdelrahman 2012). These new movements, and especially movements such as Kefaya,
16
were the first movements to transcend ideological divides and overcome this
“general state of political apathy” (Hosseinoun 2015: 43). By breaking the taboo usually
associated with contentious practices, Kefaya opened up new possibilities for
contentious collective action in Egypt (El-Shorbagy 2007).
26 In this context of socio-economic unrest and burgeoning contentious action, 17 the
Egyptian youth – the shabab – found itself directly affected by the lack of job
opportunities related to their fields of specialisation and qualification, forcing them to
seek and accept low paid, precarious and temporary “odd jobs”. Accordingly, it does
not seem surprising that the Ultras groups started to appear at the same time as these
activist groups, the youth finding in football a way to express and channel their
disillusionment and frustration with their situations (El-Zatmah 2012).
27 The social profile of the Ultras is widely representative of the demographics of the
Egyptian youth. Aged between 15 and 35 years old, they sweep through all social classes

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of society, though a large portion of their members belong to the upper classes of
Egyptian society, unlike their European counterparts (Hourcade 2000; El-Zatmah 2012;
Lebrun 2013).18 What is more, many Ultras – regardless of social class – are well
educated and carry a University degree or are currently pursuing studies, as a result of
the free education system for public schools in Egypt, the private system being more
expensive (Cupito; Langsten 2011).19 So the main issue for these young Egyptians
resides in the imposed set of goals to achieve and norms to respect according to their
social status and qualifications. They feel like they are expected to live up to society’s
standards without being given the tools nor the means to properly respond
(Abdelrahman 2012). In this sense, certain sections of the youth find in their
commitment to the Ultras groups an opportunity to counter the denigration. The
Ultras groups in this context, represent an outlet for their frustrations, a way to escape
the realities of their daily lives.
28 The Ultras groups’ organizational chart is said to work “horizontally” by its members,
in order to preserve the logic of sharing and equal participation of each member.
However, a hierarchy does exist, so as to guarantee a flowing and coordinated strategy.
UA and UWK differ slightly in certain ways, however their overall structure is very
similar. The Ultras groups organize around leaders, or kabos (their numbers vary
according to the group), which is the most prestigious position as they act as
choreography coordinators during the matches, as well as manage the daily running of
the group and settle important issues. They are helped and supported by the section
leaders – also called qaïd (commander) or raïs (president) – who relay and apply
decisions within their local sections. Section leaders and kabos meet when important
decisions regarding activities and dakhalat need to be made. In some groups (such as
UWK), there is a distinction between the sections from outside the capital (known as
sections), and those from Cairo, known as dawla (states). The rest of the members are
known as “active Ultras”.20
29 The Ultras’ identity is deeply rooted in football and is revealed most frequently during
the games, but is not limited to the sporting arena. Ultras Ahlawy and Ultras White
Knights were the first groups to appear in Egypt and became the two largest and most
visible organizations in the country (Dunmore 2007; Mazhar 2009). Their activities are
focused on the club and the support for their respective teams and are aimed at
inspiring a sense of belonging among the supporters, impressing spectators with the
flare shows and the chants, and intimidating rival teams’ supporters.
30 Football supporters, and Ultras in particular, may resort to violence in cases of “self-
defense”, notably when they are being hassled by the police at the end of football
matches due to their use of flares and “politically incorrect” slogans (Beshir 2012:36).
Police forces routinely arrest supporters the night before the game for “questioning”,
to ensure that they do not represent a threat to “national security” and release them
the day after, sometimes in bad shape (Beshir 2012; Lebrun 2013). Their use of violence
is not only limited to self-defense. Some of the more “hard-core” fans customarily
organize “street fights” with rival supporter clubs bringing their activities closer to
those of traditional hooligans.21

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The stadium, prime space of the Ultras’ mobilization

31 Focusing on the Ultras groups as social actors who traditionally tend to “steer clear of
the political world”,22 enables the observation of new dynamics of interaction between
these different groups in authoritarian contexts, thus bringing the concept of activism
to the forefront of discussion. The Ultras of Cairo provides a good case study for the
analysis of the “the dynamics that occur outside formal groups” (Aarts; Cavatorta 2011: 3),
understood as social movements, trade-unions, organized movements such as the
Muslim Brothers, etc.
32 A special emphasis is to be put on the role of space in the formation of collective
identity, particularly when studying groups such as the football supporters. Fernando
Bosco (2001) argues that “place-based collective rituals” serve to maintain social network
cohesion both spatially and symbolically. Places that are collectively identified as
meaningful to the cause become symbols to build and maintain existing network
connections (see also Leach; Haunss 2009; Creasap 2012). The concept of territory and
public space is closely related to the Ultras and their activities. As was noted earlier,
Egypt’s authoritarian rule and the overbearing presence of control mechanisms
reduced public space considerably through extensive surveillance techniques and
physical intimidation and abuse (Ismail 2012). The stadium and its surroundings on the
one hand, and the walls surrounding the stadia and Tahrir square on the other, became
virtual spaces of freedom and autonomy for the Ultras groups where the frustrations of
humiliation and abuse could be channelled (figures 1 and 2).

Figure 1. No SCAF (Supreme Council of the Armed Forces).


Source: Kingfut.

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Figure 2. ACAB (All Cops Are Bastards).


Source: UA07.

Figure 3. Zamalek stadium, Cairo, May 2012.

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Figure 4. Anti-media (Ultras White Knights), Zamalek Stadium, 2012.

33 As stated above, the stadium, in contexts like Egypt, can be used as a space of freedom
and dissidence allowing the people to voice certain opinions and grievances. From the
outset of their supporting activities, the Ultras made use of the stadium not only to
express their support for their team (figure 3), but also to express their disapproval of
the figures of authority (club managers, the media, the police, the Ministry of Interior),
may it be by using tifos (displays and banners, as well as choreographies), or by
drawing graffiti on the walls surrounding the stadium (figure 4). In the first days of the
Revolution, the stadia and their walls were used to send messages of unity as well as to
denounce the violence used against the protesters. After the events of Port Said
however, the stadium was off-limits to the public, including the Ultras, giving their
mobilization a new impetus.23

Port Said, a defining moment in the Ultras’ mobilization

34 On 1 February 2012, 74 Ahly fans were killed in what was presented as a “riot between
football fans gone wrong”.24 The Ultras interpret the Port Said clashes as a kind of
vendetta on the part of the security forces for t the Ultras’ participation in the
Revolution. Following the events, massive protests erupted in Cairo and around the
country, with people blaming the security forces for the deadly violence. Ultras in
Egypt have always had a difficult and “dysfunctional” relationship with the security
forces. Many of them, as well as an abundant portion of the protesters, believe the Port
Said clashes to be a way for the security forces – and by extension, the government – to
take revenge for the supporters’ participation in the uprisings (Gibril 2015).
35 More than just a “football riot”, Port Said represents a breaking point in two ways.
First, it reveals a change in the involvement of the Ultras in the large-scale
mobilization. While their participation was undeniable in the first days of the uprisings,

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it was limited to a passive engagement. Their presence in Tahrir Square was specifically
aimed at defending the protesters against police brutality. It is essential to bear in mind
that the Ultras were not one of the leading forces of the movement, merely responding
to a call from the organizing social movements, namely Kefaya and the 6th of April
Movement, as well as the administrators of the “Kullena Khaled Said” Facebook page.
After Port Said, their involvement as a group became clearer, essentially because they
had a common issue and message to carry out to the regime: justice for the fallen of
Port Said. What is more, in a gesture of solidarity and support towards the Ultras
groups, many “civilians”25 took part in the demonstrations, some going as far as joining
the Ultras groups as full members.26
36 Secondly, the forced shutting of the stadiums to the general public – including the
Ultras – after the deadly events, forced the supporter groups to find other spaces and
ways to express their grievances; spaces that most notably included the street (as
regards the demonstrations against the regime after the events), the walls surrounding
the various stadiums, the walls of the different major cities in Egypt, as well as through
the use of songs tackling the issue of martyrdom and the injustice of the events.

Constructing protest through image: The Ultras and


their graffiti
37 Street art, or the art of graffiti, has been considered by social scientists as an efficient
tool of expression, particularly in areas where political activism and resistance is
difficult. For instance, the act of writing on walls was quite common in East Germany,
in Northern Ireland and in the Palestinian territories (Rolston 1987; Peteet 1996;
Crettiez 2014). In the Palestinian case, most notably, the analysis focused on the ability
of street art to strengthen communities, unravel power relations within specific socio-
political contexts such as the Intifada (Peteet 1996), as a form of political discourse and
as a means of resistance (Bseiso 2017). More recent works on street art in Palestine
have mainly focused on the ways in which graffiti is utilized to access a more
international space and network in order to promote a dialogue with a more
international audience (Toenjes 2015).
38 In the Egyptian case, there was a notable lack of academic work on street art prior to
the uprisings though some pieces could be found on the aesthetics and stylistic features
of Arabic graffiti and “street graphics” (Dawson 2003), as well as some rare articles on
blogs and, exceptionally, in newspapers. This gap implies that the study of street art
only came to fame in the aftermath of the Egyptian Revolution, becoming the main
object of a number of graphic books (Gröndahl 2012; Zeitouna 2012; Helmy 2013;
Euverte 2015), essays and magazine articles, as well as documentaries (see for example,
Marco Wilms’ “Art War” 2014). The increase of such research allowed for different
levels of analysis including the different art trends in post-Revolutionary Egypt (Carle;
Huguet 2015; Abaza 2016), the representation of martyrs and the discussion of the
concept of martyrdom in the creation of collective memory (Sharaf 2015). One of the
most recurring themes however, is the understanding of graffiti and street art as a tool
of political struggle and dissent (Khatib 2013). In the context of the Egyptian
Revolution, graffiti – and its space – included the dimension of resistance in addition to
the act of transgressing the rules. Some authors have suggested that its visibility
somewhat extended the public space, creating a “subversive sphere” where people

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could express their opinions, grievances, discontent, anger, distrust, and/or nostalgia
(Abaza 2016; Fahmi 2009; Nicoaerea 2014).
39 Before the uprisings, the Ultras were the prime utilizers of graffiti, using it to mark
their territory, declare their allegiance to their club, criticize their rivals, as well as
oppose the Ministry of Interior, the police and club owners. 27 In the next sections, we
will focus on the Ultras’ use of street art with regard to two main themes that have
become central in their mobilization and identification processes: their rapport with
figures of authority, and the figure of the martyr.

The Ultras’ rapport to figures of authority

40 The police, or dakhlyyia,28 and security forces in Egypt are to be distinguished from the
army. While the army was credited by the population for restoring stability to the
country after the ousting of Mubarak in the wake of the uprisings 29 (Karawan 2011: 45),
the police’s role was that of the oppressor and the physical representative of the
Ministry of Interior. In Egypt, the police act not only as the organization in charge of
public security but first and foremost as an agent of the government. In addition to
ensuring public and national security, the police’s power covers other areas, such as
the market, transport, roads, taxation and public morality (Ismail 2012). The Egyptian
police apparatus is, by design, intrusive, abusive and violent. The organizational chart
of Egypt’s Ministry of Interior is quite revealing with regard to the extensive remit of
the police’s monitoring and surveillance as well as the degree of specialization and
complexity of its departments (Ismail 2012).
41 This intrusiveness can be attributable to several political factors that have aided the
police in consolidating their power, notably the role it was assigned in repressing the
Islamist opposition, dating back to the 1950s and 1960s. Another important factor was
the state’s decision to withdraw from certain welfare provisions and its promotion of
neo-liberal economic policies, which led to the development of an informal labour
market as well as the privatization of social services (Ismail 2012). Both these factors
resulted not only in the heightening of security controls, but also, and more
importantly, it reinforced the existing corrupt system. In addition to serving the
interests of the ruling elite, the security forces developed their own corrupt culture,
instating a system of bribes and placing what is known as “plain-clothes” policemen –
civilians hired by police and security forces to collect information – in neighbourhoods
under the pretence of ensuring stability and peace (Abdelrahman 2015). To do so
without raising suspicion30, the police usually position their undercover informants in
local communities by providing them with a vending kiosk or by appointing them to
the carta system, shuttle buses and vans.
42 One key component of the Ultras’ identity is this intrinsic opposition to police and
security forces. This relationship structures their motives for mobilization as well as
reinforces their sense of belonging to the Ultras as a group. The Ultras’ clashes with the
police are cultivated in a long history of violent encounters, of humiliations (the police
often use the expression “ya walad” meaning “you boy”, closely related to the reference
to “boy” used during the segregationist period in the United States) and harassment
(Ismail 2012). The feeling of anger and humiliation is an important feature of the
relationship between the Ultras and the police, as it contributes to the development of
a sense of injustice, which in turn encourages an upsurge of violence against police

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forces and shapes the supporters’ identity (“I am an Ultra, and as an Ultra, I am
opposed to any kind of figure of authority”) (Gibril 2015: 313):
When one of us is attacked, the whole group is attacked. We don’t use our fists
unless we have to. With the police, we have to be violent because they always attack
us […] we have to defend ourselves and our colours. It’s in our values: “always
sacrifice for the group”. That’s what we do. What am I supposed to do?! Say “no I
can’t fight because I’m going to shock your grandmother?” It doesn’t work like that.
When the group needs you, you immediately react.31
43 Different tools are used to express this opposition, outside of the clashes that take place
in and around stadium grounds on game day. Besides their use of graffiti, which will be
discussed below, the Ultras resort a lot to using slogans, chants and songs to express
their hatred and contempt for police and security forces, may it be through the
proliferation of slogans such as “ACAB [All Cops Are Bastards]” or through the
extensive use of flares and shamarikh which are normally prohibited in the stands. It is
also quite common to find song lyrics referencing the police, the regime and the
security forces, accusing them of high-jacking freedom and cultivating a climate of
repression, as in the case of Ultras White Knights’ song “Shams el Horreya [Sun of
Freedom]”:

“Shams el Horreya” [Sun of Freedom] Ultras White Knights (Zamalek) 32

Gozo’ fi ‘aqleyyti ma fehemhoush el A part of my thinking [is] not understood by the


toghaah oppressors

Qalou shortah fi khedmet sha’ab konna They said “police at the service of the people” [but] we
ehna el ‘abeed were the slaves

Qatalouna wa katamou si soutna belnar


They killed us and silenced us with fire and iron
welhadeed

Gahala welqam’ hayat hom wa khayalhom Ignorance and oppression is their life and they have
mareed sick minds

Eqtel wa sgen eeh el gedeed ebny segounak Kill and imprison, what is new, build your prisons,
‘aleeha make them high

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48

Figure 5. Ultras White Knights, “They have sick minds” Zamalek stadium, 2013.

Figure 6. Ahly stadium, 2013.

44 In their graffiti, figures of authority – regularly represented by the police officer – are
often depicted in seemingly humiliating postures such as here in figure 5. The police
officer is represented as a ballerina, revealing an apparent lack of masculinity
accompanied by the quote ‘They have sick minds’, referring to their weakness and

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deviant ways. The idea here is not to open a debate on the issues of gender in Egypt,
however it is important to bear in mind that Egypt remains a very conservative society
in which any effeminate behaviour is strongly frowned upon and criticized. What is
more, “being gay” and being identified as “gay” is a powerful insult, especially with
regard to men’s behaviours. Still, in this case, the portrayal of the police figures as
“being gay” is to be understood in opposition with the Ultras groups who describe
themselves as the epitome of masculinity, toughness and resistance to these figures of
authority. By using the cultural reference of “homosexuality” and “effeminacy”, they
show their supremacy and their lack of fear towards what is supposed to be the
physical representation of the Law.
45 However, a particular mural painted by the Ultras representing two cops kissing (in
reference to the Banksy stencil) created a few issues and was altered quite quickly.

Figure 7. “Cops are Gays”: center of Cairo, 2013.

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50

Figure 8. “Homophobia is not revolutionary”, Cairo 2013.

46 The two policemen in figure 7 were painted at the same time as the “Never Forget” in
reference to Port Said. The message here, ‘Cops are Gays’, is another attempt to
undermine the authorities by associating them with what they interpret as being a
“weak and effeminate” figure, with deviant ways, hence utilizing, once more, the
gender rhetoric to mock and ridicule the figures of authority. This particular graffiti
was quickly replaced by the mural shown in figure 8, stating ‘Homophobia is not
revolutionary’ thus hindering this homophobic and gender biased repertoire. The
replacement of this particular mural was not the act of Ultra graffiti artists, the use of
gender-biased tropes being an important element of the Ultras’ identification and
oppositional process (“we, the virile and powerful against them, the effeminate and
weak”).

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51

Figure 9. “We hear your fear”, Zamalek stadium, 2013.

Figure 10. “All Cops Are Bastards – The time of silence has ended”, Zamalek stadium, 2013.

47 Ultras also show their opposition to figures of authority by intimidating them either by
letting them know they are aware of their fear of Ultras as a group (figure 9), or by
portraying them as smaller and weaker than them. Figure 10 is quite representative of
this idea that the Ultras – as a group – are by far stronger and braver than the police
forces. This idea is supported by the use of the acronym ‘ACAB’ (All Cops Are Bastards)

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and the quote that reads ‘the time of silence has ended’. It is also emphasized by the police
officer being held in a dominated posture and shedding a tear of fear at the sight of his
attacker (an Ultra).
48 For a great majority of their existence, the Ultras’ repertoire regarding graffiti was
limited to the glorification of the club and team, with a special emphasis on provoking
and insulting the police forces. This was not only limited to the murals, it was also an
essential part of their supporter paraphernalia (banners, scarves, chants, slogans and
songs).

The Ultras and the concept of martyrdom

49 The Egyptian uprising and its aftermath were characterized by a number of violent
events such as the Battle of the Camel on 2 February 2011, the clashes of Mohammed
Mahmoud Street in November 2011, or the Port Said massacre of 2 February 2012. The
question that arises then is who becomes a martyr, and who is simply dead? Martyrdom
is defined as giving one’s life for a cause, a better state of affairs, and simultaneously it
can be about one’s fate in the afterlife. Yet, the “martyr label” is only assigned post
factum (Mittermaier 2015: 588).
50 Katherine Verdery suggests that the true symbolic and political power of the dead lies
specifically in the interpretive malleability and ambiguity of their meaning (Verdery
2004: 306), thus becoming a powerful tool of mobilization for the living. The images of
their wounds, bruises and dead bodies are crucial in the ritualization process of
martyrs. They act as a powerful reminder of the sacrifices that were made in the name
of a greater good as well as raise the question of what these young people died for
(Armbrust 2013). Martyrs can also be objects of admiration or even role models and
heroes, thus contributing to the development of a revolutionary ideal.
51 After Port Said, the issue of martyrdom became very central to the Ultras-related
practices, most notably their slogans, graffiti and demands. A wide variety of graffiti
emerged on the walls of the stadia around the country, but more significantly, the faces
of the different martyrs started to appear on the walls surrounding Tahrir and
Mohammed Mahmoud Street, mostly aided by some prominent graffiti artists such as
Ganzeer, Ammar Abu Bakr and Alaa Awad (Abaza 2016).
52 A whole new series of graffiti, slogans and designs started to integrate the Ultras
mobilization registry after the Port Said events. Among them, the notorious
"Brotherhood in Blood" which appeared on the walls of Cairo (and Egypt as a whole)
soon after the events, epitomizing the peace agreement that had been negotiated
between the two biggest rival clubs, al-Ahly and Zamalek.

Figure 11. ”Brotherhood in blood”, AUC, April 2013.

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53 The colours used here are a reference to both football clubs, Al-Ahly and Zamalek,
although some Ultras give them a special meaning: the red stands for the bloodshed,
the black refers to the colour of grief, and the white stands for both the unity of all
Ultras groups and the purity of the message.33 The concept of "brotherhood in blood"
refers to the unity between the members of the various Ultras groups, whether friend
or foe, as well as to the support given to the families and friends of the martyrs. One of
the leaders of the Ultras White Knights (Zamalek) explains that as an Ultra, “you are
connected to all Ultras of the world. When a group is attacked, it is the entire Ultra identity that
is attacked ... no matter which team you support. In these moments, we are all linked to each
other. We fight together”.34

Figure 12. “Shahid”, Ahly stadium.

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54

Figure 13. “Never Forget”,Ahly Stadium, 2013.

54 Another important set of imagery to make its way into the mobilization tools and
processes of the Ultras was the “Never Forget” along with the number 74, referencing
and remembering the Port Said events and the number of victims. They are often
portrayed together, and sometimes, as shown in figure 13, one can find the names of
the different martyrs, as well as the signature emblem of the Ahlawy Ultras (as shown
in figure 12). Not only did they integrate the graffiti registry, but also the tifos, banners
and songs, all essential elements of the Ultras mobilization paraphernalia.

Figure 14. “Martyrs”, Mohammed Mahmoud, 2012.

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55

Figure 15. Al-Naaehaat (The mourning women), Mohammed Mahmoud, 2012.

55 Finally, and maybe in the most significant way, the concept of martyrdom was
epitomized by the faces of the Ultras – among others – painted on the walls of
Mohammed Mahmoud, also known unofficially as sharei’ uyuun al-huriyyah (the street of
the eyes of freedom35) (Abaza 2013). These can be found in many different forms: in
some case represented abstractly as a winged angel figure, one of graffiti artist Ammar
Abu Bakr’s trademarks. They are sometimes accompanied by a quote such as Kaizer’s
“The meaning of life is that you give it [to life] a meaning” (Abaza 2013: 3). In other
representations, the martyrs are portrayed realistically, surrounded by wings, flowers
and black ribbons.
56 The “al-Ahly Ultras” murals are mostly multi-artist graffiti painted by Ultras members
and well-established graffiti artists such as Abu Bakr, Ganzeer, or Alaa Awad. They
gather a complex amount of works by several artists simultaneously, reflecting the
continuous evolution of the graffiti. In figure 14, in the upper-left corner is an image an
Ahly Ultra (recognizable by the “UA” on his red shirt). Underneath him, a partial fresco
by Ultras artist, “Khaled”. One can decipher the explosion of a firework (used by the
supporters during football matches) pointed towards a military man, represented as a
demonic figure with sharp nails and teeth, accentuating the dichotomy between “good
and evil”. Around the Ultras figure are portraits of the other martyrs, including those
of Mohamed Nasser Hector and Mahmoud Soliman, two civilians killed in the Port Said
massacre.
57 Figure 15, is Alaa Awad’s Al-Naaehaat, or the “Mourning Women” of ancient Egypt, a
fresco depicting a funeral scene where these women are accompanying the
sarcophagus into the afterlife. This particular scene can be found a little further away
from the portraits of figure 8, symbolizing the author’s desire to commemorate the
fallen. According to Awad, the artist, the women on the upper part of the mural
represent the muses receiving the ascending souls of the martyrs. The black flowers
represent Lotus flowers and are a sign of great sorrow. Finally the tiger-like figure is a
symbol of anger for the 74 victims who died in Port Said (Abaza 2016).

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56

Conclusion
58 The objective of this paper was to examine the different spaces favoured by the Ultras,
namely the stadium and the walls, within the general framework of collective action.
By focusing on the Ultras’ graffiti in particular, we aimed at understanding their
mobilization processes within a given space, most notably by analysing their rapport
with figures of authority as well as the ways by which the concept of martyrdom was
integrated into their paraphernalia. Drawing on James Scott’s concept of infrapolitics
and Asef Bayat’s concept of politically charged acts by ordinary actors, this article
further aimed at highlighting the Ultras’ capacity to operationalize and use graffiti and
street art to express a series of grievances without associating themselves with the
conventional forms of political dissent such as social movements.
59 Throughout the paper, it was shown that Ultras groups cultivate a difficult relation to
the different figures of authority, most notably with the police with whom they share a
long history of violence and confrontation. By analysing their graffiti, we were able to
distinguish certain recurring themes and messages including those of weakness, insults
(the reference to “all cops are bastards”), stupidity (the portrayal of the police force as
an animal such as a pig or monkey, revealing their “intellectual limitations”), and more
strikingly, a reference to effeminacy and homosexuality (the portrayal of police officers
as ballerinas or as being gay). This last topic is particularly interesting as it opens up a
whole new debate on the issue of gender in Egypt; an issue that would deserve further
study, not only with regard to the feminine figure in the revolutionary register, but
more importantly the use of feminine and/or homosexual imagery in the development
of an oppositional discourse, within Ultras groups and society as a whole.
60 It was further emphasized that the stadium, in this configuration, acted as the grounds
for the development of a space of resistance; a space that was subtracted from powerful
state control. While most of their actions within the stadium were aimed at supporting
their teams, this space contributed to building and strengthening their identity by
allowing them to express themselves in ways that were not tolerated anywhere else. In
this sense, football and the stadium enabled the Ultras to free themselves from
institutional norms and oppose the general context of control. Indeed, by continuously
challenging and positioning themselves against state regulations, the Ultras were able
to efficiently turn the stadium and its surroundings into unique spaces allowing for the
(relatively) free expression of opinions and grievances.
61 After the events of Port Said, and the subsequent stadium ban, the Ultras turned to
other spaces and tools of mobilization, including the graffiti. And while their messages
prior to Port Said mainly targeted figures of authority in general, their messages after
the events mainly focused on condemning and denouncing the regime and the security
forces for the deaths. Much like the stadium, the arts (street art, music, dance and
theatre) can be understood as efficient means to bypass state repression and create
alternative spaces of expression and contention. This became all the more relevant at a
time when the Ultras’ prime space of mobilization was off-limits to them. What is more,
the centrality of martyrdom and the figure of the martyr in their art, reveals the
centrality of emotions in their repertoires of action, as well as establishes art as
alternative ways of thinking and performing protest and contention.

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62 Following the events of Port Said, both their street art and music were focused on the
idea of provocation and impact with the purpose of generating a reaction from the
audience. By focusing on the register of martyrdom – as opposed to their more general
topics such as their club, their anti-corporate or their anti-media stances – we were
able to associate the Ultras’ mobilisation with the creation of sacralised spaces of
remembrance, whether through image or sound. Port Said brought on a shift in the
messages and themes used in the Ultras’ graffiti and street art (as well as the rest of
their paraphernalia – their slogans, chants, songs, and banners). This revealed a whole
new dimension of their identity, one that was closely related to death and the
remembrance of the martyrs. The 2012-2013 period witnessed a proliferation of winged
portraits, poems and messages demanding justice, not only emanating from the Ultras
groups, but also coming from established graffiti artists. The use of these martyr
figures is quite revealing of what Verdery calls the “powerful tool of mobilization for
the living”. These Ahlawy (supporters of al-Ahly club) martyrs have been risen to the
status of ‘heroes of the Revolution’, thus giving the Ultras a positive image and
contributing to the development of an “idealization” of these groups in revolutionary
collective memory.
63 One question still remains however: what makes the graffiti a distinct place of
contention and what happens once these murals are destroyed and erased? How do
these spaces of contention evolve and subsist to this day? These questions are difficult
to answer as they are being posed at a particular moment that does not give the
retrospection allowed by the passage of time. However, certain elements can be
identified, most notably two. Firstly, graffiti art, by its nature, avoids – at least partially
– the overbearing control of the regime that has obstructed the activities of many
social movements and organizations. Its rapid growth and diversification, paired with
the relative anonymity it guarantees made it one of the most efficient ways to
communicate in the first days of the revolution, not to mention its capacity to
document and relate all important events unfolding fast. In the aftermath of the
uprisings, street art served as a reminder of past events, as well as an efficient medium
of remembrance; it served as an efficient way of memorializing resistance. Secondly,
the graffiti of the Egyptian Revolution benefitted from large-scale publicisation and
diffusion of the works, noticeably by virtue of the sharing and distributing on social
media as well as through the publication of several graphic novels dedicated to the
documentation of these murals, not to mention the increased research conducted on
the significance of graffiti in the studies of contentious politics and resistance. Because
of this attention and wide distribution of pictures, these murals enjoy a certain kind of
immortality and continuity that defies the boundaries set by the Egyptian regime.
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NOTES
1. Mostly through the organisation of labour strikes, demonstrations and sit-ins, especially after
2004. See for example, Beinin; Vairel 2013).
2. The use of these terms was very common among the protesters and the Ultras. The 2011
uprisings represent that moment in time where they “took control over their future”.
3. “Ultras” should not be confused with “hooligans” as they are based on two very different
models. the British model – hooliganism – is characterised by a strong sense of group cohesion
with no durable commitment outside the stadium itself, and is particularly distinguished by a
culture of violence and confrontations with rival groups (Giulianotti 1999; Dunning 2000;
Giulianotti; Armstrong 2002); the Italian model on the other hand – the Ultra phenomenon, is
characterised by a strong sense of community, solid organisational ties, and elaborated
carnivalesque displays in the stadium (Dal Lago; De Biasi 1994). What is more, their use of
violence is seen as means rather than an end, as “a tool among others” (Roversi; Balestri 2000:
188). In other words, though both currents rely on violence, the Ultras tend to use it in a spirit of
“self-defense” rather than as one of the central tools of their mobilisation.
4. The Port Said events refer to the deaths of 74 al Ahly fans during a match opposing Cairo’s al
Ahly and Port Said’s al Masry. For more details on the unravelling of the events, see subsequent
section in this paper, “Port Said, a defining moment in the Ultras’ mobilization”.
5. The concept of “nonmovement” was coined by Asef Bayat to define the large number of citizen
groups that did not fall into the category of social movements, understood as the “organized,
sustained, self-conscious challenge to existing authorities” (Bayat 2013: 20). Nonmovements tend
to be action-driven rather than ideologically driven, as well as they do not have clear leader.
Even though the Ultras tend to be hierarchal and organized (the kabos being their “centres of
authority”), their activities are mainly driven by direct action rather than ideological influence,
as well as they have no desire to influence the political decision making process. For more
information on this particular concept, see Bayat 2013.
6. Most of the Ultras’ use of the stadium before the 2011 uprisings was aimed at mocking the
opposing team as well as provoking the police and security forces present in the stadium. These
“teasing rituals” made use of flares, slogans and chants ridiculing their enemies (police and
opposing team). For further information on the role of the stadium as a space of socialisation, see
Bromberger et al. 2002; Hourcade 2000.
7. This law included certain articles that limited the opposition’s actions thus preventing the new
parties from conducting their activities until the approval was granted by the regime – a lengthy
process more often than not resulting in a rejection (Khatib 2013). The law was notably used for
the elections of October 2010 in which Mubarak’s party got 95 percent of the seats, alienating the
population.
8. Paraphrasing Asef Bayat (2003; 2009).
9. Both categories were coined by Asef Bayat in his study of the “poor-people’s” movement in
Iran. These categories include the underprivileged classes of Iran. We have included the Ultras in
the “marginalized” category mainly because the Ultras members themselves categorize
themselves as marginalized and part of this “disillusioned youth” directly affected by the lack of

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job opportunities and seeking refuge in various channels that allow them to express their
frustrations.
10. Before the Arab uprisings, the term “Arab street” often referred to “a reified and essentially
‘abnormal’ mind-set, as well as a strange place filled with angry people who, whether because
they hate us or just don't understand us, must shout imprecations against us […] Arab or other
Muslim actions are described almost exclusively in terms of ‘mobs, riots, revolts’” (see Satloff
2002; Bayat 2003).
11. Extract from an interview with an Ahly Ultra, 1 June 2013.
12. For further information on the hooligan culture and the socio-economic conditions of its
emergence, see Giulianotti; Bonney; Hepworth 1994. In this particular book, see most notably
Giulianotti 1994 in which he provides the reader with a detailed history of football hooliganism,
thus outlining the production of knowledge on fan violence. See also Giulianotti 2002; Giulianotti;
Armstrong 2002.
13. For more information on the underlying causes of the rise of Islamic movements in the 1970s
and 1980s in Egypt, see Snow; Marshall 1984; Burgat; Dowell 1993; Ibrahim 1980; Kepel 1986.
14. For more information regarding the Egyptian context in the late 90s, early 2000s, Beinin;
Vairel 2013; Boutaleb 2011.
15. See Ghonim 2012; Castells 2009; Herrera 2012.
16. Kefaya (which translates to “Enough”) is and Egyptian movement that emerged in 2004 and
that was most notably opposed to Mubarak’s succession scheme (he wanted to nominate his son,
Gamal, as his successor to the presidency), as well as Mubarak’s fikr jaded or “new thinking”
programme aimed at mass privatisation thus increasing the precarity of many Egyptian workers.
For more information regarding Kefaya and its struggles, see El-Mahdi 2009; Chalcraft 2013; El-
Shorbagy 2007.
17. Throughout the 2000s, one witnessed a recurrence of protests by different social movements
(such as Kefaya, 6th of April movement, Tadamon-Solidarity…) struggling for social rights and
justice for workers by organising sit-ins and strikes among others: see Beinin 2009.
18. European Ultra and/or hooligan group members are usually associated with the lower and
poorer social classes of society. For more information regarding the socio-economic status of the
stadium demographics, see Giulianotti 2002; Bromberger; Hayot; Mariottini 1987.
19. Regarding the public and private education system in Egypt, see Hyde 1978; Arum; Gamoran;
Shavit 2007; Cupito; Langsten 2011.
20. In this regard, see also Lebrun 2013.
21. For further information on hooliganism, consult Hourcade 2002; Bodin et al. 2005.
22. Expression used by many of the respondents. The Ultras members see themselves as
“apolitical actors” in the sense that they do not see themselves as being a part of what they call
the “political game”. Indeed they identify the word “political” with the idea of party politics. In
this sense, they do not understand or interpret their actions as being political, but rather as
being a natural consequence of who they are as a group and what they stand for.
23. Regarding the impact of the Ultras’ mobilization on the existing dynamics, as well as the
interaction with the different actors on the ground, see notably Gibril 2015. See also Lebrun 2013;
Rommel 2014.
24. This reference can be found in papers such as Egypt Independent, The Guardian, The Times, Al-
Jazeera.
25. Civilians as in “non-Ultras”.
26. There was a period between 2012 and 2014 where the Ultras saw their numbers explode due
to a high volume of new affiliations, the word “Ultra” being used as a synonym for
“revolutionary” thus attracting significant portions of the youth.
27. The Ultras were not the only groups to use graffiti, this medium being regularly used by
different activist groups to call protest.

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28. Dakhlyyia literally means “Interior” and refers to the Ministry of Interior. The use of this
term, refers to both the police as an individual and as an institution.
29. At least until the ousting of president Morsi in 2013. Clashes did occur between
demonstrators and the army during the pro-Morsi rallies and demonstrations against the
military coup of June 2013.
30. Although this has never been an official practice, the use of these “agents” is knowledge to
the great majority of the population.
31. Interview with F., UKW, Cairo, April 2014.
32. Song by the Ultras of Zamalek club, 2012. Translated by the author.
33. Based on interviews conducted among al-Ahly and Zamalek supporters between 2013 and
2015. The use of colours could also refer to the colours of the Egyptian flag, further emphasizing
the solidary ties present among the population, however this remains a hypothetical assumption
as it has yet to be confirmed by the Ultras themselves.
34. Zamalek supporter, June 2013.
35. The name of sharei' uyuun al-huriyyah was given to Mohammed Mahmoud Street by a graffiti
artist after the the events of Mohammed Mahmoud street in November 2011, as an act of
remembrance for the people who lost their eyes to the snipers that were positioned at the top of
the buildings surrounding Tahrir. During the November 2011 clashes with the protesters, the
snipers aimed for the protesters’ eyes, hence the popularisation of the name to sharei' uyuun al-
huriyyah among the connoisseurs.

ABSTRACTS
The development of contentious collective action in Egypt has encouraged the emergence of new
spaces of protest, but also the development of new strategies of opposition. This article aims to
investigate the mobilization of the Cairo Ultras groups by examining their use of space, first
within the stadium grounds, and particularly through their use of graffiti art. Through an
analysis primarily centred on their graffiti, we wish to account for the evolution in their
mobilization, as well as understand the development and transformation of their messages. The
present study is, for the most part, based on a thorough analysis of graffiti and street art
collected during a series of field trips conducted between 2012 and the beginning of 2015. The
majority of the data was gathered around Tahrir Square and Mohammed Mahmoud Street, as
well as around the Ahly and Zamalek stadia. Graffiti are of particular interest in the Egyptian
case, most notably because they allow for expression of a specific social and/or political reality
using precise graphic and discursive rules.

Le développement de l’action collective en Egypte a favorisé l’émergence de nouveaux espaces de


contestation mais aussi le développement de nouvelles stratégies d’opposition. Cet article a pour
but d’examiner la mobilisation des groupes Ultras au Caire en procédant à une analyse de leur
utilisation de l’espace, d’abord à l’intérieur des stades, et ensuite à travers leur utilisation de l’art
du graffiti. Par le biais d’une analyse centrée principalement sur leur graffiti, nous souhaitons
rendre compte de l’évolution de leur mobilisation, ainsi que comprendre le développement et la
transformation de leurs messages. La présente étude se base pour l’essentiel sur une analyse
approfondie de graffitis et de fresques collectés lors d’une série de terrains conduits entre 2012 et
le début de l’année 2015. La majorité des données ont été recueillies autour de la place Tahrir et

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de la rue Mohammed Mahmoud ainsi que dans les rues entourant les stades d’al-Ahly et de
Zamalek. Les graffitis sont particulièrement intéressants dans le cas égyptien, notamment parce
qu’ils sont capables d’exprimer une réalité sociale et / ou politique spécifique en utilisant des
règles graphiques et discursives précises.

INDEX
Mots-clés: Ultras, collective action, spaces of contention, Egypt, mobilisation
Keywords: Ultras, collective action, spaces of contention, Egypt, mobilisation

AUTHOR
SUZAN GIBRIL
CEVIPOL-OMAM, Université Libre de Bruxelles
sgibril@ulb.ac.be

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« Bizim PAOK » : réfugiés, sport et


vénizélisme dans la Thessalonique
de l’entre-deux-guerres
Lukas Tsiptsios

1 « Bizim PAOK » [« Notre PAOK » en turc] aurait été le premier slogan du PAOK dans
l’entre-deux-guerres, témoignant du caractère turcophone d’un grand nombre de ses
supporters. Ce sont en effet des Grecs d’Asie Mineure qui, en avril 1926, fondèrent le
PAOK (Πανθεσσαλονίκειος Αθλητικός Όμιλος Κωνσταντινουπολιτών, Panthessalonikeios
Athlitikos Omilos Konstantinoupoliton, Club sportif panthessalonicien des
Constantinopolitains), après une scission avec l’AEK (Αθλητική Ένωση
Κωνστανινουπολιτών, Athlitiki Enosi Konstantinoupoliton, Union sportive des
Constantinopolitains) de Thessalonique, le club fondé quelques mois plus tôt par des
membres de l’Union des Constantinopolitains, une association politique et culturelle,
protégeant les intérêts constantinopolitains de la ville. Aujourd’hui encore, le club
continue de proclamer ses liens avec l’Asie Mineure et ses réfugiés. Que ce soit au nom
du marketing ou pour des raisons identitaires, le PAOK revendique son statut de « club
réfugié ». Le président de l’entreprise anonyme de football, Ivan Savvidis, un Pontique
de Russie, renforce à lui seul les liens entre l’équipe et les communautés pontiques du
nord de la Grèce, par ses financements associatifs ou tout simplement par la présence
dans la salle d’attente des bureaux du PAOK d’une statuette représentant un akrite 1 du
Pont en posture de danse pyrrhique (σέρρα). Le PAOK tout comme l’AEK Athènes, le
Panionios, l’Apollon Smyrne ou l’Apollon Kalamarias, sont des clubs sportifs fondés en
Grèce après la Catastrophe micrasiatique de 1922 (ou Grande Catastrophe) et l’échange
de populations organisé par la convention de Lausanne en 1923. Ils participent à la
diffusion des discours mémoriels sur l’échange de populations et les « patries perdues »
2
, faisant de leur stade un lieu de mémoire qui perpétue un hellénisme micrasiatique,
devenu un hellénisme réfugié.
2 Ce sont 117 041 réfugiés qui arrivent brutalement à Thessalonique dans l’entre-deux-
guerres3, soit 47,8% de la population de la ville. Contrairement aux 551 936 réfugiés qui
sont relogés durablement en zone rurale dès 1926 (Société des Nations 1926) (à 90% en

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Macédoine et en Thrace (Pentzopoulos 1962), l’installation définitive des réfugiés


micrasiates4 en ville prend beaucoup plus de temps. En 1952, 35 248 sont encore en
attente de relogement (Pentzopoulos 1962). Le relogement des réfugiés est un enjeu
majeur des centres urbains de Grèce tout au long de l’entre-deux-guerres, avec la lutte
contre la misère liée à l’extrême précarité de ces populations. Cette situation sociale
s’accompagne d’une forte instabilité politique qui suit la catastrophe militaire de la
campagne d’Asie Mineure, et conduit à un coup d’État militaire vénizéliste 5 en 1922,
puis à la chute de la monarchie en 1923. L’entre-deux-guerres peut dès lors être
considéré comme une « prolongation » (Mavrogordatos 2017) du Schisme national
[Ethnikos Dichasmos, Εθνικός Διχασμός] entamé en 1915. Ce schisme opposait
politiquement et structurellement les royalistes pro-Allemands, en faveur de la
neutralité du royaume et les vénizélistes, philo-britanniques, qui formèrent un
gouvernement de défense nationale à Thessalonique en octobre 1916, divisant le pays
en deux jusqu’au départ forcé du roi Constantin sous la pression des Alliés. Dans
l’entre-deux-guerres, ce clivage ne se fait plus sur des questions diplomatiques, ni sur
l’opposition entre l’accomplissement volontariste de la Grande Idée 6 défendu par
Vénizélos et le nationalisme régional de la Vieille Grèce porté par les royalistes, mais
sur la construction nationale de l’État grec dans ses nouvelles frontières, avec l’arrêt de
toute projection expansionniste après la défaite de 1922. Le clivage se reporte donc sur
le processus d’intégration des nouvelles régions (dites Nouveaux Pays [Νέες Χώρες],
l’Épire, la Macédoine, puis la Thrace occidentale), acquises durant les guerres
balkaniques, et des nouvelles populations venues d’Asie Mineure, à l’État-nation grec
dans ses nouvelles frontières (Mavrogordatos 2017).
3 Les populations réfugiées arrivées dans leur nouvelle patrie, se reconnaissent ainsi
politiquement dans le vénizélisme (dont le Parti libéral est le principal parti de ce
mouvement multiforme) et la figure messianique d’Eleuthérios Venizélos (Kamouzis
2011). Les réfugiés considèrent majoritairement qu’il les aurait sauvés de la
Catastrophe. Ayant acquis automatiquement la citoyenneté grecque, ils deviennent dès
lors indispensables électoralement au vénizélisme. Selon les estimations de
G. Mavrogordatos, 91% des réfugiés ont voté pour les partis vénizélistes en 1928
(Mavrogordatos 1983). C’est ce vote réfugié qui permet au vénizélisme de se maintenir
durant l’entre-deux-guerres, avec son adhésion au projet républicain (au régime dit
non-royal : [Αβασίλευτη Δημοκρατία) – alors que la monarchie est jusqu’ici perçue
comme hostile aux réfugiés et responsable de la Catastrophe de 1922. Le camp royaliste
fait donc le pari de se maintenir électoralement en Grèce du Nord en recherchant le
vote des locaux (dits indigènes, γηγενείς) et des minorités (slavophones, juives) contre les
Micrasiates, décrits comme étrangers.
4 Dans ce contexte, où plus qu’ailleurs, les conditions sociales et démographiques de
Thessalonique se retrouvent totalement transformées, les réfugiés participent au
processus d’hellénisation du nord de la Grèce et de la ville, devenue grecque en 1912 et
majoritairement juive jusqu’alors. L’intégration des réfugiés à l’État-nation grec
concorde ainsi avec l’intégration de la région dans l’État-nation. Pour les vénizélistes
qui ont alors cette ambition pour Thessalonique et la Macédoine, le soutien politique
structuré des réfugiés doit être assuré. Mais l’intégration de ces populations, tout juste
issues de l’Empire ottoman, passe avant tout par leur survie, la réussite de leurs
requêtes bureaucratiques (pour la reconnaissance du statut de réfugié et le
dédommagement qui va avec) et l’insertion dans des réseaux de sociabilité menant à

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une politisation effective. Si les campagnes internationales, notamment américaines,


ont permis la survie des réfugiés par l’aide humanitaire et sanitaire (Rodogno 2014), la
multiplication des associations de réfugiés dès leur arrivée, permet le règlement
collectif des questions bureaucratiques de leur installation (Mazower 2004).
5 Il s’agit ici d’étudier une forme de socialisation et de politisation des réfugiés de
Thessalonique à travers le sport, mais aussi par l’action d’un groupe particulier de
nouveaux arrivants en ville que sont les Constantinopolitains. S’ils ont habité
Constantinople avant le 30 octobre 1918, ceux-là sont en effet exclus de l’échange de
populations de la convention de Lausanne, officiellement considérés comme « établis »
par l’article 2 de la Convention de Lausanne entre la Grèce et la Turquie du 30 janvier
19237. Beaucoup de Constantinopolitains avaient quitté « la Ville » pour Salonique
avant même 1912, à un moment où la Macédoine ottomane s’industrialisait. Mais la
plupart des Constantinopolitains dont il est question ici sont les « absents » [Απόντες],
ceux qui pour des raisons politiques et par peur des représailles kémalistes fuient
Constantinople en 1922 (Kamouzis 2011). Quelque 30 000 Grecs constantinopolitains
quittent Istanbul pour la Grèce entre septembre et octobre 1922 (15 000 en octobre),
pour au total un départ d’environ 40 000 « établis » sur la période allant de septembre
1922 à 1924 (Alexandris 1992). Ces « absents » sont principalement l’élite nationaliste et
vénizéliste de Constantinople, ayant milité durant toute l’occupation de « la Ville » par
les Alliés (1918-1923) pour les intérêts de la Grèce. Arrivés en Grèce, ils gardent
généralement beaucoup de contacts avec les Rums « établis » et leurs intérêts à
Constantinople, tout en s’engageant dans la vie publique de leur nouvelle patrie. Ce
sont eux qui fondent à Thessalonique l’Union des Constantinopolitains et qui sont à
l’origine des clubs comme l’AEK (Union sportive de Constantinople) à Athènes, l’AEK à
Thessalonique, qui donne naissance par la suite au PAOK en 1926.
6 L’étude du PAOK en tant qu’objet, permet ainsi d’observer, à travers lui, à la fois la
politisation vénizéliste des populations réfugiées de Thessalonique, ainsi que les
discours idéologiques façonnant une certaine identité réfugiée, mais aussi les stratégies
individuelles et collectives des Constantinopolitains pour s’insérer dans le champ
politique de l’État-nation grec. Du fait de l’inexistence d’archives du club lui-même,
c’est seulement par une approche prosopographique de ses dirigeants
constantinopolitains et une recherche dans d’autres archives et dans la presse qu’une
histoire de leurs réseaux peut être établie, et avec elle l’esquisse d’une histoire sociale
de la question.

Initiatives privées des Constantinopolitains et lutte


contre l’anomie par le sport. Une gestion libérale de la
crise des réfugiés de 1922
7 L’historiographie récente, à la suite des travaux de Renée Hirschon (1989) sur les
réfugiés au Pirée notamment, s’est progressivement intéressée aux conditions
d’installation des Micrasiates en Grèce. Apparaissent ainsi des travaux sur la pauvreté,
l’humanitaire ou encore les drogues dans la Grèce de l’entre-deux-guerres (Gkotsinas
2015; Manta et al. 2017; Tziaras 2017a), participant à l’analyse de la formation d’une
société à la marge, renouvelée par l’afflux de populations réfugiées extrêmement
précaires, au moment où l’État grec est déjà affaibli (voire exsangue) à la suite de la
défaite de 1922, avant d’être brutalement touché par la crise de 1929. Thessalonique a

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vécu les guerres balkaniques, puis la Première Guerre mondiale aux avant-postes, tout
en subissant un incendie qui calcine son centre-ville historique en 1917 8 (Hastaoglou-
Martinidis 1997). À présent devenue « capitale des réfugiés », selon l’ouvrage éponyme
de Giorgos Ioannou (Ioannou 1984) – et ce, malgré les maisons laissées vides par les
Thessaloniciens musulmans échangés –, elle ne dispose alors pas de moyens pour
reloger décemment la masse de réfugiés. D’après les rapports de la gendarmerie de
Macédoine, les ratios de crime par habitant étaient de 1 pour 44 952 en août 1922, 1
pour 11 283 en septembre 1922 et jusqu’à 1 pour 2 644 en octobre 1922 (Tziaras 2017b).
Devant l’urgence et pour éviter la généralisation d’une situation d’anomie 9 profonde
chez des populations paupérisées, destructurées et souvent brutalisées, les élites
libérales et modernisatrices de la ville, liées au vénizélisme de la même façon que
l’Union des Constantinopolitains, à défaut de participer à l’aide humanitaire (qui reste
presque exclusivement américaine), forment des clubs de sport à destination des
réfugiés. Ainsi, pas moins de 250 clubs réfugiés sont fondés entre 1923 et 1936, avec
l’objectif de « rendre service à l’intérêt et à l’installation des réfugiés » (Ioannidou
2004). Ce sont généralement ces Constantinopolitains « établis » émigrés qui forment
les équipes les plus pérennes, transférant tout un savoir-faire sportif depuis
Constantinople.
8 Dans la logique bourgeoise qu’entretenait l’élite de la communauté grecque de
Constantinople, le sport était vu comme un moyen de propager les vertus hygiénistes,
une activité saine pour une nation saine. Tout comme les activités sportives avaient
accompagné le développement de la bourgeoisie et de ses aspirations nationalistes et
libérales en Grèce à la fin du XIXe siècle (Koulouri 1997), un tel développement avait
également eu lieu – dans une dimension autrement plus grande – à Constantinople à la
même période (Baltas 2015). Le sport d’Istanbul a bénéficié de la forte
internationalisation de « la Ville », influencée par les pratiques sportives britanniques
en Méditerranée orientale (Zaïmakis, Petre 2016) et par les grands établissements
d’éducation comme le Robert College (Türesay 2015). La communauté rum 10 avait
investi le sport de Constantinople dès 1877 avec la fondation du club « Hermès »,
premier de près de 35 clubs grecs-orthodoxes qui s’étaient constitués entre cette date
et le début des années 1920 (Baltas 2015). L’occupation d’Istanbul par les forces alliées
entre 1918 et 1923 intensifie les activités sportives de « la Ville » et notamment du
football, avec de très nombreux tournois (80 matches au total) organisés entre les clubs
locaux et les forces européennes. Ainsi, les Jeux pan-constantinopolitains, inaugurés
pour la première fois en 1910, sont organisés pour la troisième fois en 1920, avec la
participation par exemple de Pantelis Kalpaktsoglou, futur fondateur et président du
PAOK, puis une quatrième en 1921, avec pas moins de 34 équipes et 1447 sportifs. Si les
compétitions qui y ont lieu renforcent le nationalisme turc, elles font de même pour les
équipes grecques, déjà vectrices auparavant du nationalisme grec et de la Grande Idée.
Les Constantinopolitains qui émigrent ou qui fuient à Thessalonique, opèrent donc un
transfert des pratiques, mais aussi des représentations des valeurs sportives qui étaient
les leurs.
9 Les statuts des associations définissent souvent leur objet comme visant à recréer
« l’environnement spirituel constantinopolitain » par l’éducation physique, faire
bénéficier du plus grand nombre d’activités sportives et de loisirs 11. La « transmission
de l’esprit sportif et de ses idées » est également l’argument du PAOK pour convaincre
le Premier ministre Venizélos de financer le club dans un long mémorandum du 11

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décembre 192912. Plus clairement encore, l’éphore du PAOK, responsable du


département sportif, N. Kavounidis, démontre et promeut les vertus sociales de
l’athlétisme dans un article du 25 octobre 1931, écrit en langue démotique (langue de la
bourgeoisie libérale modernisatrice) :
[…] Je vais écrire sur l’athlétisme pour tenter de démontrer sa supériorité, tant
physique que spirituelle et psychique pour la découverte de l’égo humain de notre
jeunesse sportive. Et naturellement, personne ne pourrait contester que l’un des
arguments les plus forts qui surgit spontanément en faveur de l’athlétisme
classique, c’est le fait que lui seul est l’antidote le plus sûr pour la morale et contre
la décomposition sociale qui menace notre époque actuelle. Chez les populations
sportives propres, les dangers des drogues n’apparaissent pas à l’horizon. Chaque
athlète s’isole dans un environnement propre et moral, dans un monde sain et
équilibré, indispensable pour son tranquille développement. Mais le plus grand
danger de nos jours, le communisme, est tout autant neutralisé, grâce à la fraternité
sportive mondiale. Dans chaque association sportive nous voyons des miracles réels
se produire, que les plus grands communistes n’ont jamais pu réussir. Un Lord
Barkley, un vicomte Laudat sont totalement écrasés sur les terrains sportifs par les
éboueurs et les porteurs de Londres et de Paris13. (Kavounidis 1931 : 3).
10 Cela témoigne des perceptions qu’ont les acteurs de leurs propres pratiques. La
fondation de clubs de sport est certes une initiative collective, mais surtout privée, qui
est présentée comme d’utilité publique. Dans les discours qui reconstituent ces
initiatives, le sport à Thessalonique découle de la bonne volonté de notables, qui offrent
à la ville et aux plus démunis, en l’occurrence les réfugiés, un moyen de s’élever –
spirituellement dans un premier temps – par le sport, perçu comme un « instrument
essentiel de la santé mentale » (Elias, Dunning 1994). Par ce biais, ils permettent de
dépasser les tensions sociales liées aux réalités de classes, afin de contrer aussi
l’influence croissante du Parti communiste sur les populations réfugiées. Le sport
permet, dans un esprit libéral, de transmettre les valeurs bourgeoises de compétition,
d’égalité des chances, de mérite, mais aussi de fair play, de discipline et d’hygiène, qui
diffusées auprès des masses réfugiées, sont présentées comme une solution à la misère
des bidonvilles périphériques de la ville. Dans la logique du « processus de civilisation »
tel que le décrit Norbert Elias, la société thessalonicienne pourrait se pacifier par le
sport, réfrénant les passions d’une masse de réfugiés, dont l’exil ou l’échange a
totalement déstructuré le mode de vie traditionnel au sein de l’Empire ottoman. Les
valeurs bourgeoises et modernisatrices transmises par le sport, en contrôlant leur
temps libre, leur éviteraient ainsi de tomber dans la criminalité et les drogues, ou
encore la prostitution pour les centaines de femmes seules pour la première fois de leur
vie, souvent sans mari, père ou frères, perdus ou morts. Les associations sportives entre
autres, recouvreraient ainsi d’un nouveau tissu de sociabilités l’anomie d’une société
réfugiée marginale, installée dans des camps précaires en périphérie de la ville (à
Kalamaria, Neapoli, Toumba etc.).
11 En outre, les initiatives privées des notables constantinopolitains sont décrites comme
utiles pour l’intérêt général : elles apportent une solution à la crise réfugiée, mais
également une impulsion modernisatrice pour la ville elle-même. Ainsi, dans le dernier
paragraphe du mémorandum destiné à Venizélos, les dirigeants du PAOK écrivent :
L’enclosure de la rivière asséchée et le terrassement de celle-ci, contribuent à
l’hygiène de la ville. Le terrassement de deux stades et la transformation de ceux-ci
en lieux d’athlétisme, la construction de tribunes, de préaux indispensables pour les
athlètes et les élèves d’écoles, la construction de vestiaires, la constitution d’un club
[λέσχη] où étudieront les athlètes et les élèves, évitant ainsi les cafés [καφενεία] et

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autres lieux semblables, la construction de l’enceinte du stade, l’enclosure


métallique du stade d’athlétisme, demandent différents devis qui atteignent un
million de drachmes selon les calculs de la comptabilité que le P.A.O.K., se fondant
sur les sentiments philo-athlétiques [υπερφίλαθλα αισθήματα] du soutien des sports
[του αθλητικού υποστηρικτού] et Grand Seigneur Dirigeant [Μεγάλου Κυβερνητού
Κυρίου] Eleuthérios Venizélos et ses conseillers de valeur, croit sincèrement qu’il
concèdera cela auprès de l’honorable Gouvernement [Σεβαστή Κυβέρνηση] 14.
12 Ces initiatives pour l’établissement d’un ordre social bourgeois sur un modèle
occidental qui pourchasse les drogues et les comportements identifiés comme
marginaux concordent avec la perspective hygiéniste que l’on retrouve dans les plans
de modernisation de la ville (Yerolympos 1996) et qu’il faut aussi relier à la politique
nationale vénizéliste de « modernisation bourgeoise universelle » [καθολικού αστικού
εκσυγχρονισμό] (Mavrogordatos, Chatziiosif 1992: 19). Les Constantinopolitains de
Thessalonique réclament tout de même un soutien de la part de l’État pour leurs
entreprises sportives, qui s’ajouterait aux aides de la communauté rum restée à Istanbul
(avec par exemple le Péra Club qui envoie des joueurs de haut niveau comme Raymond
Etienne, Français de Constantinople), afin de pouvoir s’imposer pleinement dans
l’environnement thessalonicien.

Carrières politiques, associatives et sportives :


l’insertion de l’élite constantinopolitaine dans le
champ politique grec
13 La contrainte des sources (bien trop souvent les archives sportives disparaissent) rend
nécessaire une focalisation sur ce groupe particulier que sont les Constantinopolitains,
dirigeant les associations comme l’Union des Constantinopolitains ou le PAOK. Cette
histoire sociale « par le haut » d’une élite a tout de même le mérite de rendre visibles
les concordances entre les stratégies personnelles de ces Constantinopolitains et les
stratégies nationales des vénizélistes. C’est généralement la presse qui permet
d’identifier ces actions et notamment Makedonia, qui devient en quelque sorte l’organe
des vénizélistes à Thessalonique, dirigé par un Constantinopolitain, Petros Levantis. Le
sport et le milieu associatif, créateurs de sociabilités, sont forcément des lieux de
politisation, où se créent des réseaux, des liens faibles (Granovetter 1973),
indispensables à la survie puis l’établissement, voire l’ascension de ceux qui sont dans
un contexte très précaire, mais aussi à la constitution de clientèles pour les notables, en
vue de leurs propres carrières politiques. Ces « pères des réfugiés » prennent ces
derniers sous leur protection, en leur offrant une place dans une équipe s’ils sont jugés
bons sportifs, en leur donnant un lieu d’étude (les statuts des associations donnent
souvent une grande importance aux salles de lecture et aux foyers d’étude), mais aussi
une aide dans les démarches administratives pour le versement des dédommagements
qui leurs sont dus grâce à leur statut de réfugiés. L’Union des Constantinopolitains, qui
se veut être l’élite des Grecs réfugiés, a comme projet dans son règlement publié le 22
avril 1923 :
14 Le but de l’Union des Constantinopolitains est :
a. La communication et l’étroite solidarité des Constantinopolitains et des réfugiés des
banlieues et le soin de ceux-ci ayant fait face à l’injustice du sort.

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b. Le divertissement des membres avec l’éducation morale et la conscience nationale par la


reconstitution de la vie culturelle de Constantinople.
c. La consolidation du monde réfugié dans la voie nationale et humaine qui a été tracée par la
Révolution de 1922.
d. Le rapatriement des réfugiés dans leur foyer.

15 Article 2 :
Les buts de l’Union peuvent être atteints :
a. Par l’entente avec les autres associations de réfugiés à Thessalonique pour constituer une
fédération commune des irrédents.
b. Par les démarches appropriées auprès des responsables [institutionnels/politiques] afin de
protéger les intérêts des membres et la satisfaction autant que possible de leurs différents
besoins.
c. Par la formation d’une bibliothèque, d’une salle de lecture et l’organisation de conférences,
cours populaires, etc.
d. Par la recherche ou l’érection, par l’entente avec d’autres association d’irrédents, d’un
bâtiment approprié pour qu’il soit utilisé comme club [ou foyer, λέσχη] de l’Union et de la
fédération.
e. Par tout autre moyen que l’Union trouverait approprié15.

16 Par ses statuts, l’Union des Constantinopolitains s’inscrit ouvertement dans le camp des
vénizélistes qui ont repris le pouvoir par un coup d’État (décrit comme étant une
« révolution ») après la défaite de 1922. L’association lie ici les conditions du monde
réfugié, avec une politique nationale de reconstruction vénizéliste de l’État-nation grec.
En outre, en tant qu’élite des Micrasiates, les Constantinopolitains ont comme projet de
constituer une « fédération commune des irrédents », dont ils constitueraient
vraisemblablement l’avant-garde. L’Union agit ici comme une entité collective qui fait
office d’intermédiaire entre l’État et les masses réfugiées, afin de faciliter l’insertion de
ces populations dans l’État-nation. L’association regroupe majoritairement des
notables : parmi la douzaine de personnes qui composent le premier conseil
d’administration, trois sont médecins (dont un médecin lieutenant-colonel), trois sont
architectes, deux sont pharmaciens. Installés très vite dans le centre-ville de
Thessalonique, avec boutiques et cabinets, et ayant souvent exercé des responsabilités
publiques à Constantinople, ils sont généralement en capacité de maîtriser les codes de
l’administration et de la vie politique grecque.
17 Le caractère constantinopolitain de l’Union ou des fondateurs de PAOK apparait avant
tout symbolique, représentatif d’un statut social plutôt que d’une réelle appartenance à
« la Ville ». Le premier président de l’Union par exemple, Theofylaktos Theofylaktos,
docteur en chirurgie et maïeutique à l’École de médecine d’Athènes et spécialisé à Paris,
est en réalité Pontique, né dans la région d’Argyroupoli (à Tsiti) en 1885. Il a néanmoins
habité quelques années à Constantinople, avant de retourner au Pont pour des activités
militantes nationalistes. Le simple fait d’avoir habité trois ans à Constantinople suffit
pour être membre de l’Union (et même en être président). L’affichage
constantinopolitain n’a pas empêché Theofylaktos d’avoir un journal appelé le Pont
libre, ou de fonder ensuite le Club euxin de Thessalonique [Εύξεινος Λέσχη
Θεσσαλονίκης] pour les Pontiques. Il en va de même pour Leonidas Iassonidis, président
d’honneur du PAOK, qui a grandi à Poulantzaki du Pont, avant d’étudier le droit à
Constantinople et à Paris, puis s’engager avec Theofylaktos pour l’indépendance du

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Pont durant la Première Guerre mondiale. L’identité constantinopolitaine apparaît


alors assez fluide, reprise aussi par des militants pontiques, qui n’ont fait que séjourner
ou étudier à « la Ville », comme bon nombre de Micrasiates socialement dominants
dans leur communauté. Néanmoins, le fait d’appartenir à une association de
Constantinopolitains une fois en Grèce, confère une valeur symbolique importante,
celle de la vraie capitale, du berceau du genos, ce qui n’est pas négligeable au moment
où les possibilités de projections impériales de la Grèce sont encore toutes récentes et
alors que le retour des réfugiés dans leur lieu d’origine semble encore à l’ordre du jour
jusqu’en 1930. Le réinvestissement de ces capitaux sociaux et symboliques acquis
auprès des réfugiés, dans la vie politique de Thessalonique, ainsi que les compétences
gagnées par un engagement politique nationaliste au sein de l’Empire ottoman, permet
ensuite à une partie de cette élite constantinopolitaine d’entreprendre de grandes
carrières politiques avec les partis vénizélistes.
18 L’implication des Constantinopolitains dans la vie politique locale et nationale se fait
très tôt, presque dès leur arrivée. Leur appartenance préalable au mouvement
vénizéliste leur permet de s’identifier tout de suite aux forces politiques vénizélistes de
Grèce, tout en se regroupant dès la fin 1922 dans l’Union des Constantinopolitains, qui
leur permet d’entretenir des logiques d’entraide dans un groupe assez restreint. Ainsi,
dès 1923, Leonidas Iassonidis est élu député vénizéliste de Thessalonique, tout en
travaillant au ministère du Bien-être social, dont il devient ministre entre 1930 et
193216. Theofylaktos Theofylaktos est lui nommé ministre gouverneur général de
Thrace et de Macédoine orientale en 1928 par Venizélos. Petros Levantis, président
constantinopolitain du PAOK en 1929, directeur du grand journal thessalonicien
Makedonia, est lui aussi élu député vénizéliste du Parti ouvrier et agraire de
Papanastassiou en 1929, avant de devenir ministre des Transports de Venizélos en 1933.
Enfin, Leonidas Karamaounas, président de l’Union des Constantinopolitains à partir de
1924, s’engage pour les élections municipales de Thessalonique en 1925, sur une liste
d’alliance de l’Union avec la corporation des pharmaciens de la ville 17. On y trouve
notamment Fanourios Vyzantios, président du PAOK de 1927 à 1928 et longtemps
secrétaire général de l’équipe, mais aussi Kostas Meletiou, médecin, président du PAOK
de 1928 à 1929. Karamaounas est ainsi élu au conseil municipal cette année, avant
d’être élu député en 1936, la même année que Pantelis Kalpaktsoglou, riche
entrepreneur, financier et dirigeant important du PAOK, qui en devient le président à
deux reprises (en 1930 et pendant l’occupation).
19 En s’attardant sur les actions individuelles de chacun de ces personnages publics, aux
carrières bien souvent transnationales, se découvrent, à travers la presse ou les
échanges épistolaires avec Venizélos, les stratégies individuelles qui se mettent en
place pour structurer un réseau électoral auprès des populations réfugiées. Au-delà des
moyens classiques d’une campagne électorale dans une démocratie libérale, les
dirigeants constantinopolitains s’investissent personnellement pour créer des liens
faibles individuels auprès des électeurs réfugiés. Ainsi, Leonidas Karamaounas, qui
officie aussi en tant que médecin, publie régulièrement des annonces pour son cabinet
dans le journal Makedonia, (parfois avec son frère Stylianos) où il écrit dès 1924 :
« Envers les Constantinopolitains, Thraces, Micrasiates, Pontiques et en général tous les
réfugiés pauvres, examen médical gratuit par des docteurs constantinopolitains
Leonidas et Stylianos Karamaounas de 8 à 10 heures à la pharmacie Ethnikis Amynis 37.
Les médicaments sont sans profit18 ». L’annonce est reproduite régulièrement dans le
journal et évolue : Stylianos n’est plus mentionné, puis apparaît l’annonce de

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Karamaounas officiant dans la pharmacie de Tloupas, membre important de l’Union des


Constantinopolitains. Il est intéressant de noter que lors du conseil municipal du 24
avril 1926, Karamaounas et Meletiou, deux médecins élus au conseil sur la liste de
l’Union des Constantinopolitains et des pharmaciens de la ville, s’opposent à l’existence
des cliniques municipales pour les plus pauvres, qui n’auraient « aucun but 19 », et
proposent de les abandonner. Cette position corporatiste qui suit celle de l’association
des pharmaciens peut être en contradiction avec une politique vénizéliste en faveur des
réfugiés. Mais une augmentation du nombre de cliniques municipales, ainsi que le
proposent d’autres élus (Akritidis, Rodoïnos et Stavrakakis), menace par exemple les
liens interpersonnels directs qu’à son cabinet Karamaounas façonne avec les réfugiés,
qui doivent être indispensables pour sa carrière politique et son statut de notable
reconnu en ville. En revanche, dans le même temps, ils permettent une subvention de
10 000 drachmes de la ville à l’AEK Thessalonique, pour que l’équipe des
Constantinopolitains puisse aller à Athènes pour les Jeux panhelléniques.
20 Lors de la tentative d’assassinat qui le vise le 26 février 1931, Petros Levantis, député et
président du PAOK, est dans son bureau de directeur du journal Makedonia. Il est décrit
en train de recevoir du monde, « citoyens et paysans qui lui font part de leur
reproches », avant que l’homme armé n’entre. Levantis est ensuite soigné dans la
clinique de Meletiou20. Les locaux du journal sont décrits comme « inondés de monde ».
Dans un entrefilet du 20 janvier 1932, Makedonia présente son directeur comme « se
mouvant dans toutes les directions, vers Athènes et vers le Koule Café ». Son activité
surprendrait jusqu’à étourdir les passants de la rue Ermou du centre-ville : il s’occupe
de PAOK le dimanche, reçoit les citoyens du matin jusqu’à 16 heures, avant d’accueillir
les responsables de diverses commissions et représentations de quartiers qui se
plaignent du journal concurrent Makedonikon Neon [Nouvelles macédoniennes] 21.
21 Enfin, Léonidas Iassonidis, figure dominante, est constamment en déplacement auprès
des diverses communautés réfugiées. Un article du 11 mai 1932 décrit ainsi la visite de
l’homme politique dans des quartiers de réfugiés de Thessalonique (Omonia, Saranta
Ekklisies [Quarante Églises], Pavlou Mela et Agion Panton), accompagné de Levantis,
Karamaounas et du président du club des Libéraux de la ville. En tant que ministre du
Bien-être social, il inaugure avec le député Levantis le lotissement d’Omonia, explique
le programme du gouvernement de Venizélos (sous les hourras d’après le journal), tout
en promettant plus de financements pour les travaux municipaux (75 000 drachmes) et
aux associations culturelles des quartiers (15 000 drachmes). Mais c’est au stade du
PAOK que Iassonidis finit sa visite. Devant une « foule concentrée », il fait un discours
sur le nom de Constantinople qui est un « symbole de ce brillant club ». « Dans ce stade,
continue-t-il, se crée en effet une civilisation supérieure », avant de conclure sous les
applaudissements en affirmant qu’il sera toujours aux côtés du club 22. Iassonidis, dont
la carrière avec les vénizélistes est certainement la plus aboutie parmi les
Constantinopolitains de Thessalonique, garde des liens étroits avec le milieu associatif
et sportif réfugié de Thessalonique et s’en réclame protecteur, tout en étant ministre à
Athènes. C’est là un réseau qui se structure et qu’il peut par la suite mobiliser lors de
ses campagnes électorales.
22 Au cours des années 1920 et 1930, se forme donc un groupe de « pères des réfugiés »,
dirigeants de l’Union des Constantinopolitains et du PAOK, qui s’investissent en
politique du côté des vénizélistes et qui disent représenter l’intérêt des populations
réfugiées. Dans les discours ces derniers se donnent à voir comme des dignitaires

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défenseurs, des notables qui choisissent d’investir leur statut social pour protéger les
réfugiés désarmés, mais aussi l’équipe. C’est le sens du paragontas [παράγοντας], qu’on
pourrait traduire par dignitaire, qui est généralement une figure publique qui s’investit
personnellement et économiquement pour la protection et les avancées du club, et qui
en tire des bénéfices symboliques, sociaux, politique (et éventuellement économiques,
mais indirectement). Pour la Grèce, l’entre-deux-guerres est la période où le sport
(surtout le football) se massifie, et se forme le sens de paragontismos [παραγοντισμός] :
d’investissement du sport par des παράγοντες, pour les succès de leur équipe, mais aussi
pour des gains symboliques personnels. Ce phénomène pourrait être comparé avec le
collateralismo italien de l’après-guerre, qu’analyse Fabien Archambault, où « l’inclusion
du football dans les stratégies de pouvoir illustre donc les logiques de l’adaptation au
changement et à la modernité de pratiques de type clientélaire », dont l’analyse doit en
même temps nous porter à faire « crédit à ces hommes politiques de la sincérité »
(Archambault 2012).

« Gagner Thessalonique » : clivages ethniques et


politiques dans la ville et sur le terrain
23 Pour le PAOK, tout comme pour les vénizélistes, Thessalonique est une ville à
conquérir. Grecque depuis seulement 1912, ses habitants, malgré l’échange des
musulmans, ne sont pas tous convaincus de leur intérêt à intégrer cet État-nation. Dans
le processus d’hellénisation de la ville, apparaissent donc de nouveaux clivages, qui
superposent de nouvelles identités politiques à des appartenances dites ethniques.
Celles-là se perçoivent dans le sport, où les oppositions se structurent principalement
autour de ces points. Le clivage indigènes-réfugiés, comme dans quasiment toute la
Grèce, est repris aussi à Thessalonique. La particularité de cette ville est qu’indigène
signifie surtout juif. Les juifs de Thessalonique ont longtemps été la principale
communauté de la ville, jusqu’à l’arrivée massive des réfugiés. Elle était la « Nouvelle
Jérusalem » ou la « ville la plus juive du monde » (Naar 2016). Il est difficile de
retrouver des données démographiques exactes, notamment quand il s’agit de les
traiter par leur caractère dit ethnique, néanmoins les estimations seraient de l’ordre de
60 000 à 100 000 juifs thessaloniciens avant l’échange, alors qu’en 1928 ils ne sont
estimés qu’à 48 078 (63 000 sur toute la Grèce) par les Statistiques générales de Grèce
(Dagkas 2003), et entre 35 000 et 60 000 en 1934 (Naar 2016), sur une population totale
de la ville de 244 680 habitants en 1928, parmi lesquels 117 041 étaient réfugiés et
39 590 étaient émigrés23. Si Venizélos a pour ambition l’assimilation des juifs dans
l’État-nation, cette communauté est accusée de la refuser et d’avoir été complaisante
envers les Turcs. De plus, en tant que communauté très ancienne (depuis la fin du XV e
siècle pour les Sépharades), elle est solidement établie et dispose de forts réseaux
commerciaux, ce que l’élite marchande constantinopolitaine (mais aussi d’autres Grecs)
voit comme une concurrence à déloger (Papamichos Chronakis 2014). Par une alliance
de circonstances, la communauté juive, tout en connaissant un développement sioniste
et socialiste à partir des années 1920 (Mazower 2004), soutient généralement les partis
royalistes, forces traditionnalistes, qui souhaitent une Grèce « petite mais fière »,
limitée à la Vieille Grèce. C’est donc dans une logique électoraliste et par
antivénizélisme que juifs et royalistes se rejoignent à Thessalonique dès 1915
(Mavrogordatos 2003), établissant ainsi un clivage fort entre eux et les réfugiés, très

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largement vénizélistes. Ce clivage apparaît dans le sport, en tant que phénomène social
massifié à cette période, où le PAOK avance ouvertement du côté vénizéliste. Les
clivages politiques et leur violence transparaissent ainsi dans le sport et notamment le
football, devenu loisir de masse par excellence, qui réunit des milliers de supporters
tous les dimanches et dont les concurrences entre clubs, si elles ont aujourd’hui perdu
les fondements politiques de l’époque, restent structurées par les clivages de l’entre-
deux-guerres.
24 L’antisémitisme des vénizélistes qui se développe progressivement à Thessalonique
dans les années 1920, est mobilisé dans l’objectif de gagner et d’helléniser la ville et
surtout son centre, dominé par la communauté juive (Papamichos Chronakis 2014). Il
est fait usage d’un antisémitisme traditionnel, qui se rapproche plutôt d’un
antijudaïsme qu’on peut retrouver à certaines occasions chez les Rum de l’Empire
ottoman (Nahum 1997 : 166-167). Déjà en 1920, les vénizélistes accusaient la
communauté juive d’avoir fait perdre Venizélos aux élections, menant ainsi la Grèce à
la Grande Catastrophe (Mavrogordatos 1983). Malgré une certaine cordialité entre 1928
et 1930 (qui conduit à l’élection de députés vénizélistes chez les juifs
assimilationnistes), se forme en 1927 l’Union nationale de Grèce (Εθνική Ένωσις «
Ελλάς », E.E.E.), mouvement antisémite et anticommuniste, soutenu par les vénizélistes,
présidé par un réfugié turcophone Georgios Kosmidis, commerçant de profession, qui
regroupe un certain nombre de réfugiés d’Asie Mineure (jusqu’à 7 000 en 1931). Ce sont
eux qui organisent en juin 1931 le pogrom de Cambpell, un quartier de juifs pauvres,
rescapés de l’incendie de 1917, qui se retrouve attaqué par une foule de réfugiés venue
de Toumba et Kalamaria. Cette atmosphère est attisée par le journal vénizéliste
Makedonia (toujours dirigé par Levantis) et son rédacteur en chef Nikos Fardis qui écrit
de nombreux articles antisémites appelant à la violence (Mazower 2004). De plus,
Léonidas Iassonidis, en tant que député, puis en tant que ministre, soutient les actions
de la E.E.E., vues comme patriotiques (Tsironis 2002). Ce sont là deux liens importants
qui relient directement le PAOK à l’antisémitisme vénizéliste par ses dignitaires-
protecteurs.
25 La facilité avec laquelle l’antisémitisme est mobilisé est perceptible dans l’entretien de
Kyriakos Bostantzoglou, ancien joueur du PAOK dans les années 1930-1950, né en 1915
en Thrace orientale, venu en Grèce à 6 ans. Il habitait dans un quartier de réfugiés rue
Olymbiadous où devaient se trouver non loin des juifs relogés après l’incendie de 1917.
À la question : « Quand vous finissiez l’école, vous les enfants, comment vous amusiez-
vous ? », il répond :
– Il n’y avait pas de divertissements pour les enfants à l’époque.
– Vous ne jouiez pas dans les terrains vagues ?
– On jouait au foot ici, ou à Syngrou avant le collège sur l’asphalte.
– Vous ne jouiez qu’au foot ? Pas d’autres jeux ? Jeux collectifs ? Un autre sport ? À
cache-cache ?
– Ah on courrait après les juifs par ici. Un peu plus bas, ici dans la ruelle, il n’y avait
que des juifs. On allait devant leurs portes et on mettait une punaise, une ficelle,
une pierre, on cherchait un coin et on tapait tac-tac pour les faire sortir dehors.
– C’est ce que vous faisiez ?
– Oui comme des enfants24.
26 « Courir après les juifs » était vu comme un divertissement, une pratique totalement
intégrée dès le plus jeune âge pour laquelle il parle avec flegme sans que cela ne pose de
cas de conscience ou de tabous. L’archiviste elle-même passe rapidement sur cette

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question, mais on peut y voir un phénomène social assez massif dans les populations
réfugiées.
27 Il semble important de signifier en outre, que le premier stade du PAOK a été construit
sur la place de la fontaine [Πλατεία Σιντριβανιού], auprès du cimetière juif de la ville
(par la suite détruit pendant l’occupation pour y construire l’université). La taille du
terrain n’étant pas suffisante pour avoir un stade aux normes, le PAOK a alors empiété
sur le cimetière, retirant corps et pierres tombales. Un ancien dirigeant du PAOK, Nikos
Zouboulidis, dans un entretien avec le journal Aggelioforos raconte :
Il fallait que ce club ait son propre stade. Ils nous ont donné un terrain un peu plus
bas que le stade d’Iraklis (dans les environs du sintrivani, la fontaine) pour nous
entraîner. Aris qui avait une grande puissance, tout comme Iraklis, ne nous ont pas
laissé faire notre stade. Nous avons décidé de le construire nous-mêmes. Je suis allé
dans les kafeneia [cafés] rassembler tous les daïdes [hommes de la rue querelleurs] de
Vlagas et Kontoskaliou [quartiers de Constantinople]. Des palikaria [braves jeunes
hommes] de Constantinople, tous kountourades et faltsetades [argot pour signifier
leur condition belliqueuse et marginale]. Nous, nous construisions et eux nous
protégeaient. L’espace n’était pas suffisant. À côté il y avait une rivière. En hiver il y
avait de l’eau. En été il était sec. Il nous fallait le recouvrir. Mais que faire de l’eau ?
Nous sommes allés voir le chef du 3e corps d’armée. Il a été ému par notre sort. Il
nous a donné des tuyaux qui étaient restés dans l’entrepôt de l’ingénieur de la
Première Guerre. Nous avons recouvert la rivière, mais même là, le stade était trop
petit. Les larmes nous sont venues. Nous ne pouvions pas croire que le PAOK
n’aurait pas de stade. À côté, il y avait le cimetière juif. Nous en avons pris de force
une partie. Nous avons ensuite commencé le travail. Le matin, les gens nous
voyaient à la banque en costume et le soir nous travaillions avec la pioche 25.
28 Cette source orale, produite 70 ans après les faits ne nous renseigne pas tant sur les
détails de la construction du stade en 1929-1931 que sur le rapport des acteurs du club à
la communauté juive et aux communautés marginales d’Asie Mineure. La bourgeoisie
constantinopolitaine a certes des élans modernisateurs, mais tout comme elle n’hésite
pas à s’associer avec des Micrasiates illettrés de la E.E.E., elle n’hésite pas non plus à
abandonner ses conceptions modernisatrices et se reposer sur le monde souterrain et
méprisé des réfugiés aux kafeneia quand il s’agit de sa protection. Il faut en déduire que
leur condition de Constantinopolitain leur permettait d’avoir un réseau dans ce monde
particulier que le vénizélisme tentait en général de cacher pour ne laisser transparaître
que l’image du réfugié patriote et victime de son sort. En outre, la manière très
parcellaire et flegmatique avec laquelle Zouboulidis présente l’empiètement du stade
sur le cimetière juif (et donc en partie sa destruction), donne à voir le peu de cas qui
était fait des droits de la communauté juive. Le PAOK a disposé de l’appui de Petros
Levantis et du gouvernement Venizélos pour ce qui est de l’acquisition du terrain après
la fusion de l’AEK et du PAOK en 1929 opérée par Karamaounas. Les autorités lui ont
donc laissé le champ libre pour s’implanter au cœur de la ville, entre le stade d’Aris et
d’Iraklis, les anciens clubs de Thessalonique. Un stade construit au cœur de la ville pour
un club qui se présente comme celui des réfugiés représente symboliquement
l’insertion dans le centre historique d’une population marginale des bidonvilles de la
périphérie, ce qui peut être perçu comme une entreprise de conquête à la fois sociale et
spatiale de Thessalonique de la part de ces populations étrangères, contre les indigènes
et surtout les juifs. D’où certaines réactions violentes de la part des supporters d’Aris et
d’Iraklis (dans une moindre mesure), qui se veulent Thessaloniciens dits
« authentiques », garants du centre historique contre les « Turcs », ou « étrangers »,
tels qu’étaient perçus les réfugiés.

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29 C’est ce qui constitue aussi le clivage sur le terrain, entre supporters des équipes,
cristallisant les clivages politiques existant dans la ville. Le club de la communauté
juive, le Maccabi, est mis à l’index par le journal Makedonia, qui l’accuse en juin 1931 de
jouer le jeu des Bulgares et d’avoir des sentiments antipatriotiques, accusations
infondées qui insèrent une dimension antisémite dans le sport de la ville (Mazower
2004). Pour ce qui est des clubs grecs, Aris est généralement considéré comme issu de la
petite-bourgeoisie autochtone (quand bien même ses fondateurs en 1914 portent
souvent des patronymes d’Asie Mineure), quand Iraklis, le plus anciens des clubs (1908),
est présenté comme le club de « l’aristocratie », des anciens Grecs ottomans de la ville.
Il est le club qui a le plus de moyens et des gradins en ciment. La première preuve
d’animosité avec les Constantinopolitains apparaît dès 1924 quand des sportifs d’Asie
Mineure quittent ces deux clubs pour rejoindre l’équipe de l’Union des
Constantinopolitains. Ils l’auraient fait par fidélité pour le club des
Constantinopolitains, par fidélité à l’héritage sportif qu’ils auraient connu à
Constantinople. Il est fort probable que les Constantinopolitains soient les seuls
dirigeants sportifs en mesure de payer les joueurs, comme c’est le cas avec Raymond
Etienne, qui obtient le premier contrat professionnel de Grèce, signé le 5 septembre
1928 et payé 4 000 drachmes par an26. Ainsi également, des grands joueurs de football
comme Georgiadis, Batzoglou, Sarantidis, Sotiriou, Stropios, Stanitsas de Iraklis, et
Armas, Skebris, Pagalos et Ventourelis d’Aris, rejoignent le PAOK. Ventourelis a même
été capitaine d’Aris avant de faire une grande carrière avec le PAOK (Centre d’histoire
de Thessalonique 2005). Cette désertion des joueurs a alors laissé une grande rancœur
chez les supporters qui commencent petit à petit à s’identifier à des clubs particuliers.
Le PAOK a l’ambition d’être le club des Constantinopolitains (après la fusion avec l’AEK
en 1929), mais aussi de tous les réfugiés. Les animosités à l’égard des réfugiés, se
cristallisent alors dans le sport à travers les autres équipes, dans un contexte où se
développent le supportérisme et la dimension carnavalesque des stades.
30 Des milliers de supporters se rendent au stade le dimanche, venus des quartiers
réfugiés, dès le midi pour voir les autres équipes du club, avant le match de l’équipe
première en début d’après-midi. D’où l’expression « Le PAOK et du pain dur » qui nous
est restée : les morceaux de pain qu’ils apportent pour tenir la journée se durcissaient
jusqu’au match du PAOK. Ainsi, le dimanche 15 décembre 1929 à 15h 30, 8 000
supporters du PAOK se retrouvent au stade d’Aris pour une confrontation avec l’équipe
Megas Alexandros (Alexandre le Grand), rencontre que le PAOK gagne 1-0 avec un but
du Français de Constantinople Raymond Etienne. La rencontre se déroule normalement
jusqu’à ce qu’un défenseur de Megas Alexandros soit insulté par un supporter. Il se
retourne alors et lui jette une pierre, ce qui provoque son exclusion. Le capitaine de
Megas Alexandros demande à son équipe de quitter le terrain alors que les supporters
du PAOK « très justement se plaignent du comportement de Megas Alexandros », écrit
Makedonia ; l’équipe propose quant à elle de rejouer le match 27. Ce genre d’articles est
courant dans les journaux de la ville et témoigne de tensions et de violences existant
dans les stades, dès la fondation des clubs. Cette violence, en fonction de qui l’exerce,
peut être justifiée par les médias, comme dans cet exemple de 1929. Par l’intermédiaire
des joueurs, les dirigeants du PAOK s’assurent de la fidélité de leurs proches et de leur
quartier, qui soutiennent leur vedette familiale et locale, et leurs dignitaires à travers
eux. En se présentant comme les garants des succès de l’équipe, ils gagnent les faveurs
populaires en cas de victoire. En cas de difficultés, notamment juridiques, ce sont ces
dignitaires qui s’interposent et défendent le club. C’est ainsi en défenseur du club et de

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tout son monde social, constitué par les supporters, que se présente ouvertement un
dirigeant du PAOK, Theodoridis, à la suite de violences entre les supporters du PAOK et
d’Iraklis :
Le paragontas du club, Eustr. Theodoridis, a écrit dans Makedonia d’aujourd’hui un
article dont le titre est « Pour la victoire » et s’adressant aux joueurs du PAOK : “Il
reste deux jours avant la grande rencontre de dimanche. Le PAOK avec ses braves
garçons, va venir fièrement pour gagner son honorable victoire qu’on lui a volée de
manière si peu virile. Et victorieux après le match, il se moquera et ressentira du
mépris pour ceux qui veulent gagner sur le papier. Avec enthousiasme et confiance
envers les garçons du PAOK qui savent gagner et prendre leur revanche, je salue la
victoire de dimanche qu’ils donneront à des milliers de supporters et au club, et la
vengeance et la honte à ceux qui ont pensé que les braves garçons du PAOK sont
timides et non combattants.” L’auteur dit en outre qu’il voudrait que le PAOK
“fouette” ceux qui le diffament en disant qu’il a avec lui des “porteurs de bâtons, de
coupe-jarrets et d’assassins28”.
31 On peut apprécier ici une certaine démagogie passionnée de la part d’un dignitaire du
club qui est prêt en quelque sorte à se sacrifier pour protéger et faire gagner l’équipe.
Par ses déclarations, il donne raison à la violence des supporters et se dit même en
faveur d’une certaine manière, et compte les remercier par une victoire. La violence, la
virilité, l’humiliation de l’adversaire sont des répertoires à mobiliser pour le bien de
l’équipe. Theodoridis paraît même prêt à assumer ce dont Iraklis l’accuse (d’être
entouré de « porteurs de bâtons, de coupe-jarrets et d’assassins ») si c’est pour la
victoire de l’équipe. Par l’expression d’un tel discours dans le quotidien principal de la
ville, il semblerait qu’il veuille à la fois galvaniser l’équipe et son monde, mais aussi
apparaître en tant que dignitaire protecteur d’une communauté imaginée du PAOK, qui
réclamerait vengeance. C’est là le rôle du paragontas et c’est ainsi qu’il lui est possible
de tisser des liens faibles avec une communauté de supporters aux intérêts de classe
très éloignés des siens, mais qu’il contribue à structurer en tant que telle et qu’il
pourrait être en mesure de mobiliser pour d’autres fins par la suite C’est finalement par
la confrontation que se construit l’identité d’un club, a fortiori pour le PAOK, qui bien
que soutenu par Makedonia et une kyrielle d’hommes politiques, se présente comme
étant seul dans un environnement sportif et institutionnel hostile.
32 Enfin, si la conquête de Thessalonique par le PAOK, son élite constantinopolitaine et ses
réfugiés, passe par sa reconnaissance sportive et son accès aux stades, ainsi que par
leur établissement au centre-ville, la stratégie du club passe aussi par une implantation
dans tous les lieux de vie des réfugiés thessaloniciens. Comme l’indique son nom, le
PAOK est une équipe panthessalonicienne, visant à regrouper tous les sportifs réfugiés
de la ville et au-delà. Elle constitue donc un réseau d’équipes de quartier formelles et
informelles, ainsi que d’observateurs des jeunes qui jouaient au football dans les
terrains vagues, en vue de les recruter au club en fonction de leurs performances. Dans
le mémorandum pour Venizélos, le président Levantis indique que le PAOK a fondé
neuf clubs officiels en Macédoine :
Actions du club :
Le Club sportif panthessalonicien des Constantinopolitains souhaite élargir ses
actions dans tout Thessalonique et ses quartiers, c’est pourquoi malgré ces
difficultés financières, il a de manière ininterrompue agi pour la fondation de
nouvelles associations sportives.
À Thessalonique : Le club sportif byzantin (BAO)
• Au quartier de St. Demetrios et Cassandre : L’Union des réfugiés

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• Dans les quartiers :


• Toumba : Aetideus et Aetos
• Tsinar : Kanaris
• Kalamaria : Apollon
• Dépôt : Panmacédonien
• Katirli : Club sportif de Katirli
• Kouri: Marathon
Toutes ces associations sont reconnues et inscrites à la Fédération grecque de
football et certaines d’entre elles sont à la Ligue des Associations sportives de Grèce.
En plus de celles-ci, le Panthessalonicien participe à la fondation de plusieurs
associations non-officielles pour la transmission de l’esprit et de l’idéal sportif.
Pour toutes ces raisons, le Panthessalonicien, dans la mesure de ses pauvres
moyens, ne cesse d’aider ces associations matériellement et moralement 29.
33 Par la multiplication de petits clubs, insérés dans chaque quartier de la ville, le PAOK
apparaît comme le club-père, qui peut recruter les meilleurs joueurs pour s’imposer
progressivement dans le championnat de Macédoine. Chaque club de quartier peut par
la suite développer sa propre identité, comme l’Apollon Kalamarias, qui connaît un
certain succès dans l’après-guerre et qui s’identifie aux Pontiques de Kalamaria,
devenue une commune distincte de Thessalonique. Cependant, pendant longtemps, ses
dirigeants restent liés aux Constantinopolitains du PAOK. Par ce réseau de clubs, pour
lesquels ils œuvrent aussi en mettant à leur disposition argent public et terrains
d’entraînement, l’élite des Constantinopolitains a accès à des populations éloignées du
centre, avec qui ils ne peuvent développer quotidiennement des liens forts. C’est par le
sport que des populations marginales peuvent ainsi avoir accès à ces personnes
publiques, qui apparaissent comme protecteurs, se font connaître et politisent la
condition de réfugié au sein des réseaux vénizélistes. Par ces clivages avec les
populations dites indigènes et la politisation d’une identité de réfugié en construction,
les Constantinopolitains jouent finalement le jeu d’entrepreneurs identitaires (Saada
1993), dans le but de s’insérer eux-mêmes dans le champ politique local et national et
construire leurs carrières politiques personnelles.

Conclusion
34 Le cas du PAOK et de ses dirigeants constantinopolitains dans l’entre-deux-guerres
permet de mieux comprendre les conditions sociales de l’arrivée massive des réfugiées
d’Asie Mineure et les transformations fondamentales qu’elles ont entraînées sur le plan
urbain et politique. Le sport apparaît comme une des réponses à la question sociale des
réfugiés, qui dans l’environnement urbain semble très peu maîtrisée par les autorités
grecques. C’est le choix que font les libéraux constantinopolitains pour s’insérer dans
un milieu réfugié qui n’est pas le leur, gagnant ainsi par des réseaux de clientèle une
manne électorale qui leur permet d’entrer le champ politique de leur nouvel État-
nation. Le renforcement politique des Constantinopolitains renforce également le club,
vite devenu massif et vecteur des discours idéologiques vénizélistes, afin de capter un
vote réfugié crucial, prompt à basculer progressivement dans les années 1930 vers le
communisme30. La condition sociale de réfugié est ainsi mobilisée et en devient un
critère identitaire, qui établit un clivage dans la ville entre réfugiés et indigènes – un
clivage mobilisé sur le terrain et qui structure les rivalités entre les clubs « indigènes »
et « réfugiés » de la ville. L’enjeu étant pour les nouveaux venus de gagner leur place en

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ville (sportivement, spatialement ou politiquement), quitte à mobiliser violence et


antisémitisme. Ces pratiques et ces discours qui entretiennent clivages et amorcent un
processus d’identification toujours perceptible en Grèce du Nord, trouvent ainsi leur
genèse dans l’entre-deux-guerres. Le PAOK est alors un club réfugié et vénizéliste, en
opposition aux clubs indigènes à tendance royaliste. Depuis, le PAOK se veut aussi
macédonien, le club des Grecs du Nord, sportivement (et socialement) marginalisés, en
opposition avec une Vieille Grèce et surtout Athènes, toujours largement dominante.

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NOTES
1. Soldat chargé de garder la frontière orientale de l’Empire byzantin du IX e au XIe siècle dont la
représentation est réutilisée pour caractériser les maquisards pontiques à la toute fin de l’Empire
ottoman.
2. C’est ainsi que sont décrits les lieux d’origine des réfugiés dans les discours mémoriels.
3. Selon le recensement de 1928. Des premiers flux de réfugiés sont à prendre en compte dès
1914, mais ils ne sont pas recensés avant l’entre-deux-guerres et la massification du phénomène.
Elisabeth Kontogiorgi en compte environ 115 000 en Macédoine venus de Thrace orientale : voir
Kontogiorgi 2006. L’annuaire statistique de Grèce de 1930 compte 20 016 réfugiés avant 1922 à
Thessalonique et 97 025 après, tableau 7 dans la thèse de Tziaras (2017a).
4. Un Micrasiate est un Grec d’Asie Mineure.
5. Le vénizélisme est un mouvement politique libéral et nationaliste grec de la première moitié
du XXe siècle, dominé par la figure d’Eleuthérios Venizélos, Premier ministre à plusieurs reprises
entre 1910 et 1933. Il se caractérise par « une modernisation selon le modèle occidental dans le
cadre du capitalisme et de l’économie libérale occidentale », voir Mavrogordatos, Chatziiosif
1992.
6. [Megali Idea, Μεγάλη Ιδέα] Idéologie expansionniste et nationaliste grecque développée par Jean
Colettis en 1844 qui visait à réunir tout le genos grec (ou l’hellénisme) dans un seul État.
7. « Art. 2. – Ne seront pas compris dans l’échange prévu à l’article premier : a) les habitants
grecs de Constantinople ; b) les habitants musulmans de la Thrace occidentale. Seront considérés
comme habitants grecs de Constantinople tous les Grecs déjà établis avant le 30 octobre 1918
dans les circonscriptions de la Préfecture de la ville de Constantinople, telles qu’elles sont
délimitées par la loi de 1912 », in « Convention concernant l’échange des populations grecques et
turques et Protocoles signés le 30 janvier 1923 », Traité de Lausanne, reproduit dans Oriente
Moderno 7, 15 décembre 1923, p. 514 [Texte en français]. URL : http://www.jstor.org/stable/
25807251.
8. L’incendie touche principalement la communauté juive. 50 000 juifs se retrouvent alors sans
logement.
9. Concept durkhémien de l’effacement progressif des liens traditionnels (religion, famille,
morale) qui structurent la société, menant à un affaissement de l’ordre social. Cf. (Durkheim

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2007) Cette anomie mène aussi à ce que Engels appelle « la guerre de tous contre tous », Engels
1960.
10. Rum ou Romaioi, Grecs-orthodoxes de l’Empire ottoman relevant du patriarche de
Constantinople.
11. Archives historiques de Macédoine – Archives générales de l’État, archives du tribunal de
première instance de Thessalonique, dossiers 321 ; 385 ; 1338 ; 1352 ; 1376 ; 1457.
12. Archives historiques du musée Benaki, fonds Eleutherios Venizélos, dossier 166-35-36,
« Mémorandum de Petros Levantis président du PAOK et député de Thessalonique à Venizélos ».
13. En grec à l’origine, comme tous les textes qui suivent. La traduction a été effectuée par moi-
même.
14. Archives historiques du musée Benaki, fonds Eleutherios Venizélos, dossier 166-35-36,
« Mémorandum de Petros Levantis président du PAOK et député de Thessalonique à Venizélos »,
p. 6.
15. Archives historiques de Macédoine – Archives générales de l’État, archives du tribunal de
première instance de Thessalonique, dossiers 321 : « Union des Constantinopolitains », Règlement
de l’Union des Constantinopolitains, Thessalonique 1923.
16. « Remaniement hier du gouvernement », Madekonia, 23 décembre 1930.
17. « L’action pré-électorale pour les municipales. Le programme d’une nouvelle organisation
politique : annonce de l’Union des Constantinopolitains », Makedonia, 30 septembre 1925.
18. Makedonia, 3 juillet 1924.
19. Makedonia, 25 avril 1926.
20. Makedonia, 27 février 1931.
21. Makedonia, n°6979, 20 janvier 1932.
22. Makedonia, 11 mai 1932.
23. En se fondant sur le recensement de 1928, voir Manta et al. 2017.
24. Entretien de Kyriakos Bostantzoglou, réalisé par Maria Kazantzidou des Archives historiques
de l’hellénisme réfugié, le 28 août 2003, minutes 5-6.
25. Entretien de Nikos Zouboulidis, publié dans Aggelioforos, puis reproduit dans Agis
Kynigopoulos et Lakis (Theofilos) Ioannidis, Ιστορία του αθλητισμού της Θεσσαλονίκης [Histoire du
sport de Thessalonique], Ministère de la Culture, vice-ministère du Sport.
26. Son contrat est reproduit plusieurs fois sur internet, sans qu’il ne soit réellement possible
d’en identifier le fonds d’archive. Ce site de fan qui sert de source à Wikipédia en est un exemple :
http://www.paokmania.gr/stiles/arxeio/aspromavres-istories/40904-ο-άγνωστος-ραϊμόν-ετιέν.
27. Makedonia, 16 décembre 1929.
28. Athlitika Chronika, 5 septembre 1932.
29. Archives historiques du musée Benaki, fonds Eleutherios Venizélos, dossier 166-35-36,
« Mémorandum de Petros Levantis président de PAOK et député de Thessalonique à Venizélos »,
p. 2-3.
30. 5% du vote réfugié en 1928, 14% en 1932, 16% en 1934 et 1936, voir Mavrogordatos 1983.

RÉSUMÉS
Cet article a pour objet le PAOK, un club sportif fondé par des Constantinopolitains à
Thessalonique en 1926. À travers une analyse prosopographique des fondateurs et dirigeants, il

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s’agit d’étudier les trajectoires et les moyens utilisés par l’élite des Constantinopolitains pour
politiser plus largement les masses de réfugiés venus d’Asie Mineure, afin de les inscrire
durablement dans le camp vénizéliste dans le contexte grec du Schisme national. Ainsi peut se
faire une histoire sociale « par le haut », où le sport peut être perçu comme une réponse libérale
à l’anomie sociale de la Thessalonique de l’entre-deux-guerres, mais aussi comme un moyen de
s’insérer dans les réseaux politiques vénizélistes de la Grèce en tant qu’élite politique des
réfugiés. Enfin, étant vecteur de discours idéologiques vénizélistes structurant l’identité réfugiée,
le club structure également les antagonismes politiques de Thessalonique entre locaux et
Micrasiates, de sorte que l’antisémitisme vénizéliste, diffusé auprès des quartiers réfugiés, est
parfois mobilisé par l’élite du club, afin de gagner par la violence le centre de la ville et y imposer
son hégémonie au niveau local puis national.

The historical object of the article is PAOK, a sports club founded in 1926 by Constantinopolitans
in Thessaloniki. Through a prosopography of the founders and the directors, this essay aims at
studying the paths taken and the means used by the Constantinopolitan elite to widely politicize
the masses of refugees from Asia Minor, to enrol them durably in the Venizelist camp during the
National Schism. In this way, a social history “from above” can be made, addressing sports as an
answer to Thessaloniki’s social anomy in the Interwar Period, and the Venizelist political
networks in Greece as a political elite among the refugees. Considering the club as a vector of
ideological Venizelist speeches structuring a refugee identity, eventually allows us to highlight
the construction of political antagonism through sports, between the locals and the refugees, and
the mustering of antisemitism and violence by the elite of PAOK, in order to conquer the heart of
Thessaloniki, in a procedure to gain a local and then a national hegemony.

INDEX
Keywords : Sport, Football, Venizelism, Greece, Constantinopolitans, Thessaloniki, Population
Exchange, Refugees, Politicization, Antisemitism
Mots-clés : sport, football, vénizélisme, Grèce, Constantinopolitains, Thessalonique, échange de
populations, réfugiés, politisation, antisémitisme

AUTEUR
LUKAS TSIPTSIOS
lukas.tsiptsios@ens.fr
ENS, Paris

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Le football en URSS
Une passion subversive ?

Ekaterina Gloriozova

Introduction
1 Cet article a pour objectif d’interroger la dimension subversive de la passion pour le
football en Russie soviétique, depuis la période poststalinienne jusqu’à la chute de
l’Union soviétique1. Dans ce contexte, notre problématique s’inscrit tout d’abord dans
un questionnement sur la place et les fonctions occupées par les loisirs au sein de
l’URSS. Comme le remarquent D. Crowley et S. Reid, la vie quotidienne en Union
soviétique a surtout été analysée sous le signe du manque, de la pénurie et de
l’uniformité, tandis que les aspects liés au divertissement et au plaisir ont souvent été
négligés (Crowley ; Reid 2010 : 9-10). Comme dans toutes les sociétés humaines, les
loisirs y occupent toutefois une place importante et comportent des significations
éminemment politiques. Ensuite, la question qui nous occupe est plus spécifiquement
liée aux fonctions politiques attribuées au sport en URSS. Si l’histoire du sport
soviétique est avant tout celle de son instrumentalisation par l’État, nous avons voulu
nous placer du côté des « consommateurs » sportifs. Nous avons ainsi cherché à étudier
les diverses appropriations, par les amateurs de football, de significations politiques
imposées au sport « par le haut ».
2 Ces questions seront abordées au sein de deux parties, pour lesquelles nous
mobiliserons des sources différentes. Nous retracerons tout d’abord les diverses
significations politiques de la passion du football dans la société poststalinienne en
prêtant notamment attention aux écarts entre d’une part, les valeurs officielles
assignées au sport et d’autre part, les pratiques des passionnés de football. Pour cela,
nous nous appuierons sur les travaux d’historiens russes et occidentaux consacrés au
sport, aux pratiques culturelles et aux spectacles sportifs en Union soviétique. Ensuite,
nous nous intéresserons à la période allant du début des années 1970 jusqu’à la fin de
l’URSS, qui correspond à l’émergence de groupes de supporters organisés en tant que
subculture2 (Hebdige 1979) spécifique. Si les diverses subcultures apparues à la fin de
l’Union soviétique ont souvent été décrites comme contestataires, voire comme ayant

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précipité la chute de l’URSS, nous montrerons l’ambiguïté du supportérisme 3 de cette


époque, qui se présente tantôt comme une forme de résistance symbolique ou violente
au régime soviétique, tantôt comme un exemple d’adaptation négociée avec le pouvoir
en période de changements politiques majeurs. Pour cela, nous nous fonderons sur cinq
entretiens menés avec des leaders supportéristes et douze entretiens avec de simples
supporters, âgés entre 40 et 56 ans au moment de l’entretien4, actifs à la fin de l’Union
soviétique, issus de différents clubs de Moscou (Spartak, Dinamo et Torpedo). Ces
entretiens seront complétés par six interviews réalisées par des médias sportifs russes
avec des leaders supportéristes de cette période (voir références en fin de
bibliographie).

I. Les supporters de football en URSS poststalinienne :


le plaisir et l’indiscipline comme formes de subversion
Les significations officielles du sport dans une société de loisirs
régulés

3 La période qui suit la mort de Staline en 1953 et l’arrivée au pouvoir de N.


Khrouchtchev est très propice au développement du football. Au niveau interne, cette
période, dite de Dégel, s’accompagne d’une libéralisation relative de la vie politique 5,
d’une croissance économique et d’une augmentation significative du niveau de vie.
Après la guerre civile, les ravages de la collectivisation forcée, la terreur stalinienne et
le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques commencent à jouir
d’une forme de stabilité. Ils profitent de la mise en place progressive d’un « welfare state
à la soviétique » (Caroli 2013), orienté vers la satisfaction des besoins, ne serait-ce que
minimaux. La diminution légale du temps de travail (qui passe à 7 heures par jour),
l’instauration de la semaine des 5 jours ouvrables et l’augmentation des salaires
permettent le développement d’une forme soviétique de société de loisirs et de
consommation (Dumazedier ; Markiewicz-Lagneau 1970). Cette dernière est par ailleurs
encouragée par l’État qui investit dans les installations sportives et différentes
infrastructures consacrées aux divertissements (Dumazedier ; Markiewicz-Lagneau
1970 : 218 ; Crowley ; Reid 2010 : 11).
4 Le développement des loisirs est également lié à une réorientation de la politique
extérieure, guidée par deux principes. Le premier prône la coexistence pacifique avec
les pays capitalistes, ce qui permet d’intensifier les échanges et les contacts culturels
avec l’extérieur. Le deuxième principe instaure l’idée d’une compétition entre deux
systèmes, qui encourage les réformes pour relever le niveau de vie et le prestige du
socialisme mis à mal par la déstalinisation (Zakharova 2011 : 16-17). Une attention
accrue est dès lors portée à la consommation en tant que manifestation de la puissance
et de la supériorité du régime socialiste (Zakharova 2011 : 305-314). La réhabilitation de
la consommation – auparavant fustigée en tant que pratique bourgeoise –
s’accompagne de l’émergence de loisirs plus individuels, domestiques et passifs – en
particulier la télévision qui, en 1963, avait déjà pénétré un tiers des foyers 6.
5 Toutefois, si les pratiques et intérêts plus individuels et familiaux (comme la possession
de voitures ou de datchas) sont davantage acceptés (Shlapentokh 1989 : 154), l’idée que
les loisirs comportent avant tout une visée méliorative de la société et des individus n’a
jamais été aussi prégnante. La période du Dégel se caractérise en effet par un nouveau

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paradigme politique qui, après les dérives du stalinisme, entend renouer avec les
idéaux communistes de la révolution. Tout comme dans les années 1920, le temps libre
et les loisirs doivent contribuer à l’accomplissement de l’homme soviétique :
As the 1961 pronouncement made clear, virtuous socialist leisure was understood in
communist morality as productive or reproductive activity. It was distinguished from the
alienated forms of “amusement” that prevailed under capitalism in that it was to contribute
to the integration of the individual, to allow her full self-possession and realization of her
human essence […].7 (Crowley ; Reid 2010 : 30)
6 Les loisirs, en particulier ceux de la jeunesse, focalisent ainsi une attention croissante
du Parti et du Komsomol – régulièrement enjoint de récolter des informations sur les
différentes pratiques des jeunes – ainsi que de la sociologie soviétique qui se saisit
intensivement de cette question (Crowley ; Reid 2010 : 30).
7 Parallèlement, le football, déjà très populaire avant la guerre, devient un véritable
phénomène de masse. D’un engouement propre à la classe ouvrière urbaine, il se
transforme – notamment grâce à la télévision – en une passion partagée par les
hommes de toutes catégories sociales et s’étendant à l’ensemble du pays, y compris les
campagnes (Edelman 1993 : 92). Le journal Sovetskiï sport dépeint ainsi en 1952 une
image idéalisée d’un public particulièrement bigarré :
Il fut un temps où le football était considéré comme un jeu pratiqué par des jeunes
pour les jeunes. À présent, le stade du Dinamo accueille la population d’une ville
entière…. Vous pouvez y rencontrer des personnes de tout âge et d’une grande
variété de professions. Un jeune Stakhanoviste côtoie un compositeur connu de
tous8. Un pionnier9 est assis à côté d’un artiste célèbre ; un travailleur plus âgé à
côté d’un jeune avec une broche universitaire sur le revers.10
8 La popularité et la visibilité croissante du football en font un enjeu d’autant plus
important que le pouvoir soviétique l’investit de significations particulières. Si les
succès des joueurs soviétiques11 sont présentés comme une preuve de la supériorité du
modèle socialiste, le sport, et en particulier le football, sont perçus par les autorités
comme un moyen de lutter contre l’individualisme, le repli croissant sur la sphère
privée, les comportements déviants chez les jeunes ou encore l’alcoolisme (Edelman
1993 : 92-93 ; Riordan 1977 : 198).

Des spectateurs rétifs aux significations assignées au sport par les


autorités
Le caractère subversif du plaisir

9 L’attitude des citoyens soviétiques face aux significations imposées par le pouvoir fait
l’objet de diverses interprétations. Dans un premier temps, les travaux sur l’Union
soviétique se sont concentrés sur la nature du régime et les mécanismes de pouvoir,
dépeignant une société atomisée et martyrisée. À cette vision proche de l’école dite
« totalitaire », s’opposent des travaux centrés sur l’histoire du quotidien (Lüdtke1994),
inspirés par la montée en puissance du courant révisionniste 12 dans les années 1970 et
dont les hypothèses seront confirmées par l’ouverture des archives au début des années
1990 (Zakharova 2013 : 305-306). Ces approches « par le bas » mettent l’accent sur les
diverses stratégies de résistance, de subversion ou de mise à distance des normes
soviétiques imposées par le régime et battent ainsi en brèche les représentations d’une
société soviétique intégrant de manière mécanique les significations culturelles
imposées par l’État.

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10 Parmi ces travaux, on retrouve ceux de D. Crowley et S. Reid, consacrés au plaisir en


URSS. Selon eux, au sein du système de valeurs soviétique, le plaisir – associé au futile
et à l’éphémère – est dévalorisé au profit de l’ascétisme et l’abnégation, nécessaires à
l’accomplissement « du plus grand bonheur pour le plus grand nombre » dans le futur
(Crowley ; Reid 2010 : 4). Crowley et Reid montrent toutefois que le plaisir, toujours
produit in fine par les individus eux-mêmes, ne peut être entièrement régulé ou
planifié :
pleasure – as a concept that encapsulates voluntary and sometimes irrational and
unregulated behavior and attitudes – emphasizes subjective experience. Understood in these
terms, pleasure could be a wayward aspect of everyday life in an environment that claimed
to be governed by collective reason and consciousness rather than spontaneity. (Crowley ;
Reid 2010 : 6)
11 Le caractère potentiellement subversif du plaisir se retrouve également au cœur des
travaux de Robert Edelman sur les spectacles sportifs en URSS. Le titre de son ouvrage,
Serious Fun. A History of Spectator Sports in the URSS (1993), reflète bien la dichotomie
entre les « sérieuses » fonctions politiques assignées au sport soviétique et le vécu
subjectif des passionnés de sport, dont les pratiques sont motivées par la recherche de
plaisir procuré par les matchs de football ou de hockey. S’arrêter à la première
dimension et ne pas considérer le sport sous l’angle de la consommation et du spectacle
donnerait selon lui une vision très incomplète des significations politiques du sport en
URSS (Edelman 1993 : 10). R. Edelman s’attache ainsi à déceler les comportements
déstabilisateurs ou subversifs encouragés par le spectacle footballistique :
Everywhere, spectator sports have allowed people to carve out what Eric Dunning has called
“enclaves of autonomy”, where “mass audiences” can evade the goals of those who seek to
control them. (Edelman 2002 : 1467)
12 En plus d’offrir un espace-temps échappant aux significations imposées, le football
donnait aux Soviétiques la possibilité de choisir, non seulement leur loisir mais aussi
l’équipe qu’ils décidaient de soutenir :
In looking for entertainment, Soviet citizens were doing more than simply avoiding the
messages of the state. They were also making choices about which entertainments they
accepted and which they rejected. By doing this, they could, in limited but important ways,
impose their own meanings and derive their own lessons from sports and from other forms of
popular culture as well. (Edelman 1993 : 13).
13 Pour R. Edelman, le choix de l’équipe était chargé de significations particulières : la
préférence pour le Spartak au détriment d’équipes patronnées par des structures
étatiques (CSKA et Dinamo), s’apparentait, selon lui, à une forme de contestation ou de
rejet symbolique de l’État et de ses émanations (Edelman 2002). Si cette interprétation
nous paraît peu convaincante13, R. Edelman met en avant d’autres caractéristiques de la
passion footballistique susceptibles de revêtir une dimension subversive.

L’indiscipline comme forme de subversion

14 Malgré toutes les tentatives des autorités de faire du football un moyen de promouvoir
les valeurs d’ordre et de discipline, l’incivilité et la violence dans les stades augmentent,
au point de devenir un véritable problème public. La violence émane tout d’abord des
joueurs eux-mêmes : les bagarres sur le terrain, les attaques contre les arbitres ou les
comportements agressifs des entraîneurs sont monnaie courante dans le football
d’après-guerre (Edelman 1993 : 96). La violence des joueurs contamine les tribunes
comme l’illustre un match à Moscou en 1960, opposant le CSKA au Dinamo Kiev, où les

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supporters envahissent le terrain à la suite d’une échauffourée entre les joueurs et


l’arbitre (Edelman 1993 : 190). Ce problème est identifié par les membres du Parti et la
presse comme un manque « d’éducation (vospitanie) politico-idéologique » (Edelman
1993 : 96). Les autorités lancent des campagnes éducatives à destination des joueurs,
largement relatées par des médias abondant d’images de footballeurs dans les musées
ou assistant à des séances de lectures obligatoires. (Edelman 1993 : 97) Comme
l’explique Edelman, ces campagnes éducatives sont avant tout destinées aux
spectateurs :
Even if the players never read a book, it was crucial that the link between ideology and
victory, politics and order should be firmly established in the minds of those who watched
the games. Player behavior was therefore the key element. If soccer were gentlemanly, then
the audience could perhaps be persuaded to take seriously the lessons the authorities sought
to inculcate. (Edelman 1993 : 98).
15 Les comportements des spectateurs contredisent toutefois les appels à la discipline. En
2014, nous nous sommes entretenue avec Lev qui a hérité de sa passion pour le Dinamo
de son grand-père. Il nous avait alors transmis le récit de sa grand-mère sur l’ambiance
qui régnait durant les matchs d’après-guerre :
Ils [ses grands-parents] se sont rencontrés au front, il était officier d’artillerie, ma
grand-mère racontait qu’il avait une valisette en bois avec une image du Dinamo
collée sur le couvercle. Après la guerre, il emmenait ma grand-mère aux matchs.
[…] D’après les récits de ma grand-mère, les supporters au stade ne se contenaient
pas. Il y avait surtout des hommes, c’était très turbulent, on criait, on insultait, il y
avait même des affrontements physiques. Il n’y avait pas de séparation comme
maintenant, entre les supporters du Dinamo d’un côté et les autres de l’autre, tout
le monde était mélangé. Tout le monde fumait. Ma grand-mère n’aimait pas y aller
parce que tout le monde fumait, criait, insultait, se poussait, ça se bousculait de
partout, ce n’était pas très … confortable, en tout cas pour les femmes. 14
16 S’il est vrai que certains comportements (comme les jurons) sont moins tolérés en URSS
que dans certains pays d’Europe de l’Ouest à la même époque, la presse soviétique
d’après-guerre dénonce les fréquents sifflements, insultes et invectives des supporters
telles que « cassez-les ! » ou « videz-les de leur sang ! » (Edelman 1993 : 190). En effet,
l’urbanisation croissante s’accompagne de l’importation de comportements plus
incivils dans les stades par les nouveaux arrivants des campagnes ; tandis que la
popularité du football rassemble des foules de plus en plus importantes, provoquant
agitations et bousculades à l’intérieur et aux alentours des stades (transports en
commun, files d’attente) :
Sports crowds, especially for soccer, have hardly been paragons of propriety in any country,
but the jostling, pushing, and shoving typical of any pregame crowd were probably more
intense in the USSR than elsewhere. Anyone who has spent time on Soviet transport knows
that passengers have rarely made a fetish of avoiding bodily contact. Ilf and Petrov were
probably far from wrong when they compared entering a Soviet stadium to “ten rounds of
boxing.” […] Clearly attending a game in postwar Moscow was far from a “cultured”
activity. (Edelman 1993 : 190).
17 Enfin, alors que dans l’esprit des autorités, le sport est censé combattre l’alcoolisme, les
matchs de football s’accompagnent par une consommation importante d’alcool chez les
spectateurs. Si celle-ci est interdite dans les stades, les magasins de bières et de vodka
avoisinants deviennent fréquemment un lieu d’attroupement et de désordres. (Edelman
1993 : 191).
18 Sur la question de savoir quelles significations accorder aux comportements
indisciplinés des spectateurs dans la société poststalinienne, il faut avoir à l’esprit que

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ce sont les autorités soviétiques elles-mêmes qui leur accolent une étiquette politique.
Un grand nombre de pratiques illicites, hooliganisme y compris, sont en effet qualifiées
par les autorités comme « antisoviétiques », en tant que portant atteinte à la sécurité
de l’État (LaPierre 2012). Certains travaux interprètent dès lors les divers délits et
comportements déviants en URSS comme des actes de contestation politique, voire de
dissidence, sans forcément interroger les significations que leurs auteurs attribuent à
leurs actions (Chiama ; Soulet 1982). V. A. Kozlov, dans une étude fouillée sur les
désordres de masse en Union soviétique sous Khrouchtchev et Brejnev, conclut que des
motifs contestataires – au sens d’une opposition au pouvoir soviétique – sont rarement
à l’origine des actes des individus condamnés pour hooliganisme et qualifiés par les
autorités et la presse comme « antisoviétique » (Kozlov 1999 : 120). N’ayant
malheureusement pas les moyens d’accéder aux représentations des supporters de
cette période, nous nous contenterons de qualifier leurs comportements de subversifs
dans la mesure où ils contredisent les valeurs et objectifs politiques assignés au football
par les autorités soviétiques.

II. Le supportérisme à la fin de l’Union soviétique : une


subculture entre contestation et conformisme
Les fanaty ou l’émergence d’une subculture soviétique
Caractère artisanal du soutien et pratiques centrées sur la violence

19 Les années 1970 donnent lieu à l’émergence de nouvelles formes de pratiques au sein de
la jeunesse soviétique, encouragées par un contexte de dégradation des conditions
socio-économiques et un sentiment général de lassitude et de désillusion envers les
idéaux soviétiques. Ces pratiques correspondent à une tentative de reproduction des
différentes subcultures15 occidentales qui émergent dans les années 1960 16. Tout comme
leurs modèles occidentaux, les subcultures soviétiques se caractérisent tout d’abord par
une rupture plus prononcée avec les normes et valeurs des générations précédentes :
the younger generation seems to have felt, more than ever before, the “hypocrisy,
artificiality and dishonesty” of the lifestyles of the older generation – those seemingly
intelligent, refined and good-natured people, the former “romantic” youth of the 1960s.
(Frisby 1989 : 4).
20 De plus, l’appartenance au groupe17 constitué autour de ces pratiques y est
particulièrement importante. Ainsi, le journaliste Iouri Chtchekotchikhin constate-t-il
en 1987 :
De tous temps, les jeunes se sont regroupés […] mais jamais auparavant
l’appartenance à un groupe ou à une équipe n’a soumis avec autant de force les
individus aux règles et normes adoptés dans ces groupes : des goûts musicaux et
vestimentaires à la manière de penser et de s’exprimer, le plus souvent
incompréhensibles pour la génération précédente. (Chtchekotchikhin 1987 : 89).
21 Malgré leur grande popularité, les médias d’avant la perestroïka n’évoquent que très
occasionnellement ces subcultures soviétiques en les présentant comme des cas isolés
(Yvert-Jalu 1991 : 28). Par ailleurs, à chaque congrès de l’Union des jeunesses
communistes, les Komsomols sont appelés à « lutter contre toute forme de déviance »
parmi lesquelles figuraient « le hooliganisme, la mode vestimentaire occidentale, la
musique et les danses modernes » (Yvert-Jalu 1991 : 28)

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22 C’est également à cette époque que se forment les premiers groupes de supporters,
désignés par le substantif fanaty (fanat au singulier). Emprunté de l’anglais, ce terme se
distingue de celui de bolel’ŝik18 en faisant référence aux supporters organisés, affichant
un soutien visible pour leur équipe. Les rencontres et les liens se tissent pendant les
matchs, les groupes se constituant et se perpétuent selon une logique d’appropriation
d’une partie du stade. Se regroupant dans les tribunes, les supporters commencent
également à se doter d’attributs supportéristes (écharpes, pins), confectionnant de
manière artisanale des drapeaux ou banderoles à la gloire de leurs équipes et faisant
des graffitis aux initiales de leur club sur les murs de la ville 19 :
[…] à 100 km de Moscou, il y avait un petit village, Mikhnëvo. Là, il y avait une
bonneterie où on fabriquait des vêtements, des tissus, tout ce qu’il y a de plus banal.
Quelqu’un avait sa mère qui travaillait là-bas, et qui a fabriqué une écharpe rouge et
blanche. Cela a commencé en février 1985, c’était incroyable, ça coûtait 12 roubles,
c’était très cher à l’époque, je leur ai donné 12 roubles et demandé qu’ils me
ramènent une écharpe. Je l’attendais avec impatience, je comptais les secondes
avant qu’il ne me la ramène avant le prochain match. C’était une telle fierté de
porter une écharpe, faite non pas à la main mais tissée finement à la machine : tout
le monde te regarde, tout le monde t’envie.20
23 Les activités des fanaty se caractérisent également par un degré de violence élevé. Si
cette dernière est souvent présente au sein du supportérisme en général (en particulier
dans sa version hooligan21), il convient de prendre en compte la place spécifique des
pratiques de violence au sein de la jeunesse soviétique de cette période. L’extrait
suivant illustre ce que la plupart des supporters interrogés nous ont confié sur les
fréquentes bagarres de leur enfance et dont les affrontements supportéristes ne
constituaient qu’un prolongement :
Avant, on se battait cour contre cour (dvor na dvor)22. Quand j’avais 10-12 ans, on se
battait entre raïons 23. Il y avait 200 gars qui venaient chez leurs ennemis avec des
bâtons et tout le reste, soi-disant pour défendre des idéaux. En grandissant, la mode
des bagarres entre cours est passée, remplacée par la mode supportériste. C’étaient
les mêmes gars mais cette fois-ci, leurs mères leurs cousaient les écharpes et ils
allaient se battre pour leurs clubs. Ce n’était pas la pire option et il y avait un
certain patriotisme qui était inculqué à ce moment-là.24
24 La violence était orientée contre les autres supporters mais aussi contre les forces de
l’ordre25, dont l’attitude envers les fanaty est perçue comme ambiguë. Dans les années
1970 et au tout début des années 1980, la police semblait ne pas savoir comment réagir
à ces nouvelles formes de pratiques, comme l’explique Konstantin « Kastet », fanat du
Zénit de Saint-Pétersbourg :
Je pense qu’ils ne savaient pas trop quoi faire de nous vu qu’on était une
organisation informelle (neformal’noe obedenenie) et que ça ne pouvait pas exister
sous le régime communiste. On n’existait pas, tout comme il n’existait pas de sexe !
Donc on nous embarquait, nous inscrivait dans les registres et puis, comme ils ne
savaient pas quoi faire, ils nous relâchaient.26
25 Un fanat du Torpedo, décrit lui aussi des autorités au départ plutôt permissives,
quoique méfiantes :
Le pouvoir soviétique luttait contre toute concurrence concernant le contrôle de la
jeunesse. Il y avait les pionniers, les komsomols27 et c’est tout. En principe, la
jeunesse ne devait pas dévier, le pouvoir soviétique avait un rapport tendu vis-à-vis
de ça, il y avait une pyramide. Donc quand des leaders essayaient de détourner la
jeunesse de ça, on leur tapait sur les doigts. Mais on a eu de la chance parce que le
mouvement supportériste est apparu à la fin du pouvoir soviétique. Sous Staline, on

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nous aurait tous enfermés. Mais à la fin de l’ère brejnévienne, on nous regardait à
travers les doigts de la main, on ne nous punissait pas vraiment. 28
26 L’attitude des autorités se durcit fortement à la suite du drame survenu au stade
Loujniki, le 20 octobre 1982 lors du match opposant le Spartak au club néerlandais
Haarlem, où un mouvement de foule cause la mort de nombreux supporters 29. S’il sera
prouvé bien plus tard que les forces de police étaient responsables de ce drame, les
autorités de l’époque rejettent la faute sur les supporters et en profitent pour resserrer
les vis30 :
Les autorités n’ont rien trouvé de mieux que de rejeter la faute de la mort des
supporters sur les fanaty eux-mêmes. Ils ont commencé à serrer les vis, faire des lois
sur le comportement des spectateurs pendant les événements sportifs restreignant
le droit des supporters. Par exemple, pour les matchs du soir (ce qui était le cas de
95% des matchs), ils ne laissaient pas venir les adolescents de moins de 16 ans non
accompagnés. Les trois derniers matchs de 1982, toute l’année 1983 et une partie de
l’année 1984, la police faisait tout pour que les adolescents ne puissent pas venir
aux matchs. Ils réprimaient les leaders en les embarquant fréquemment au poste de
police. Après, ils envoyaient des rapports dans les lieux d’étude ou de travail,
gâchant la vie de beaucoup de gens. Il y avait des matchs où la police embarquait les
fanaty en masse, sans chercher à déterminer qui avait fait quoi. Les drapeaux et les
écharpes aux couleurs des clubs étaient interdits. Pour des cris d’encouragement ou
des slogans, on pouvait être embarqué au poste pour 24 heures. La fréquentation
des stades à Moscou a chuté et le mouvement supportériste a commencé à décliner.
31

L’adoption des codes occidentaux comme forme de provocation

27 Si les subcultures américaines ou européennes expriment de manière symbolique les


différentes contradictions et tensions propres aux sociétés capitalistes occidentales
(Hebdige 2008 : 52), leurs avatars soviétiques correspondent à la reprise d’une mode
dont les significations ne peuvent être que toutes autres. Ces subcultures sont moins
reproduites par la jeunesse soviétique en tant que telles (pour leurs significations
initiales) que parce qu’elles symbolisent l’adoption d’un mode de vie occidental. Un
fanat du Torpedo décrit ainsi l’intérêt pour les supporters européens manifesté dans ses
rangs :
Aller à l’étranger pour suivre son équipe favorite était le rêve de tous les fanaty
soviétiques. L’intérêt pour tout ce qui était occidental était énorme […]. N’importe
quelle info sur les supporters anglais, allemands, italiens étaient discutée jusqu’à en
perdre la voix. En automne 1990, le club des supporters de Torpedo a été créé et une
de nos premières actions a été l’organisation d’un déplacement à Séville pour un
match de la coupe UEFA. C’était la première fois que des fanaty d’URSS se
déplaçaient dans un pays capitaliste.32
28 Cet intérêt était souvent le fruit d’une image idéalisée du supportérisme occidental, une
fascination pour quelque chose d’inaccessible :
Certaines choses, on les voyait à la télé, on voyait les slogans, les chants mais on n’y
avait pas vraiment d’accès donc on ne pouvait pas comprendre comment ça se
passait réellement. C’est pour ça que j’essayais d’aller voir les clubs anglais, en
Pologne, en Tchécoslovaquie, pour voir comment ça se passait. Ils nous semblaient
irréels ! On nous montrait les tribunes, 20 000 personnes qui chantent, comment
c’est possible ? Chez nous, 100 personnes n’arrivent pas à crier correctement et là-
bas il y avait ce truc incroyable. Après, quand on a réellement vu, on s’est un peu
calmé.33

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29 Comme pour les autres subcultures, le mode de vie occidental était associé chez tous les
supporters à l’idée de liberté et d’insoumission, comme l’exprime Ioura « Lemon »,
fanat du Zénit de Saint-Petersbourg dans les années 1980 :
À l’école, j’ai toujours été un neformal 34 et un hooligan, je me passionnais et me
passionne toujours pour la musique occidentale. Quand j’ai vu de loin le secteur 33
[tribune des fanaty], où la jeunesse du stade ne portait pas les couleurs grises
habituelles, mais agitait des drapeaux et se comportait de manière libre et
provocatrice, j’ai compris que c’était là que je devais être ! 35
30 Andreï Malosolov, fanat du CSKA, confie que c’est cet esprit de contradiction et de
provocation qui l’a conduit vers le rock et le football :
Même le fait de porter un banal jean était considéré comme indécent. Mais nous, au
contraire, on portait des vêtements qui choquaient et provoquaient les hypocrites –
des cheveux longs, on écoutait du rock, surtout au nez et à la barbe des moutons. La
présence de nos couleurs, le rouge et le bleu était pour provoquer les moutons et la
racaille […].36

Le caractère contestataire des fanaty en question : deux profils de


leaders supportéristes de la fin de l’URSS

31 Expressions d’une rupture générationnelle, d’une opposition à l’hypocrisie de l’époque


soviétique ou d’une fascination pour l’Occident, les subcultures de la fin de l’URSS ont
souvent été décrites comme contestataires – c'est-à-dire véhiculant une forme de
contestation de l’ordre social et politique établi (Yvert-Jalu 1991). Pour interroger cette
dimension dans le cas des fanaty de la fin de l’Union soviétique, nous avons choisi de
présenter le profil et les représentations de deux fanaty particuliers. Il s’agit de deux
figures reconnues dans le milieu supportériste en tant qu’« anciens », décrits comme
des avtoritety (autorités), des « légendes » ou comme d’anciens « leaders » 37. Ce statut
leur est accordé en référence d’une part, à leurs « exploits » supportéristes – nombre de
déplacements ou participation dans les affrontements physiques – et d’autre part, à
leur implication personnelle dans l’émergence et la consolidation du mouvement –
création de structures, recherche de fonds financiers, organisation d’activités de
soutien ou recrutement et formation des jeunes.

Un « îlot de liberté » : une version idéalisée du supportérisme soviétique38

32 A., né en 1965, a grandi dans une famille d’ouvriers ; sa mère vient de la campagne près
de Nijni-Novgorod et son père est un Moscovite d’origine tatare. Ardent supporter du
Spartak, ce dernier transmet sa passion à son fils, qui commence à assister aux matchs
de manière autonome à partir de 12 ans. Pour qu’on le laisse entrer au stade (interdit
aux enfants non accompagnés), A. n’hésite pas à accoster des supporters plus âgés à
l’entrée pour leur demander de se faire passer pour un membre de la famille. Son
assiduité dans la fréquentation des matchs lui permet d’intégrer un groupe de
supporters plus âgés, ce qui le poussera à parfaire ses connaissances footballistiques.
Vers 16-17 ans, ses connaissances, son ancienneté et son habilité à manier les mots lui
permettent de jouir d’une certaine popularité auprès des supporters de son âge et de
s’imposer peu à peu comme une figure centrale du mouvement. A. dit ne pas aimer se
positionner en tant que leader mais se présente comme « un supporter connu » et
comme « l’idéologue » du mouvement spartakiste. Lors de notre premier entretien, il
m’assure d’entrée de jeu que c’est dans son intérêt de me rencontrer et que donner des

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interviews fait partie du « travail de propagande » qu’il mène pour son club. Son
discours vise clairement à convaincre – de la supériorité des supporters du Spartak sur
les autres – et à construire une image idéalisée du supportérisme et des fanaty en
général.
33 La catégorie centrale dans sa définition du fanat est la capacité de résistance face aux
difficultés, le supportérisme soviétique étant présenté comme un « îlot de liberté » au
sein d’un régime soviétique répressif. À travers ce discours, qui met en avant les
nombreuses qualités des fanaty, va se dessiner une perception particulière des
conditions de vie sous le régime soviétique. La véracité des faits relatés n’a pas ici
beaucoup d’importance – d’autres supporters (y compris du Spartak) m’ont souvent
présenté A. comme quelqu’un qui « aime raconter des histoires » ou même
franchement comme un « baratineur » – ce qui nous importe, c’est de dégager ses
représentations de l’époque soviétique et de ce que « résister » ou « contester » peut
vouloir dire.
34 Malgré sa réputation parfois sulfureuse, A., à travers sa présence dans les médias et sa
participation aux activités supportéristes (à plus de 50 ans, il lui arrive encore de
prendre part à des affrontements physiques) a incontestablement exercé (et exerce
toujours) une influence au sein du milieu des fanaty. Nous avons dès lors choisi de
présenter ses propos en tant que « discours qui compte » et comme étant
particulièrement emblématiques d’une vision idéalisée du supportérisme soviétique,
vision que certains fanaty souhaitent projeter, à l’extérieur et à l’intérieur de leurs
rangs.
35 Ainsi, dans son discours, l’apparition du fanatisme est d’abord présentée comme une
rupture avec la morosité du quotidien soviétique, à l’image d’une femme épuisée par les
tâches domestiques :
On ne laissait pas les gens vivre au quotidien, par exemple laisser les femmes avoir
une machine à laver plutôt que de tout laver à la main, pour qu’elles puissent se
reposer. Les gens étaient mal habillés, ils étaient tous gris. Et là, tout d’un coup
apparaissent les supporters qui essaient de mettre de la couleur dans leur vie.
36 Cette vie aux couleurs du club chéri prend des allures de fête et se place sous le signe de
la spontanéité et du naturel, opposée à la duplicité et au cynisme des autorités :
[…] les conducteurs de train klaxonnaient sur les chansons du Spartak, on avait un
accord de ne pas casser les fenêtres, c’était vraiment la fête, les gens inventaient
des chansons. On prenait des mélodies connues et on inventait les paroles. Les
autorités et la police à ce moment-là, ont essayé d’appliquer le principe « si tu
n’arrives pas à lutter contre, prends la tête et détruit de l’intérieur ». Il y avait ce
Kanevskiï, du Komsomol. Vous savez, ce milieu il est naturel, tout ce qui était
artificiel était rejeté. […] ils ont essayé de nous l’imposer pour qu’il dirige tout
comme au Komsomol mais ça n’a pas marché.
37 Le supportérisme décrit par A. s’oppose à « l’hypocrisie du régime » que la génération
de ses parents n’a pas su combattre et porte un attachement aux droits humains :
Vous comprenez, tout autour de nous était faux, tous ces fonctionnaires corrompus
du Parti qui ne pensaient pas au bien du peuple mais à leurs propres intérêts. Nos
pauvres parents qui avaient peur de cette pression de l’État, qui avaient peur de
parler. Nous, on sentait toute la fausseté de ce pouvoir, tous ces belles paroles sur le
bien-être du peuple, on savait que c’était fini depuis longtemps. Je crois que c’est
Talleyrand qui a dit que la révolution se fait par de grands hommes mais que c’est
les lâches qui en jouissent. […] Nous, même si c’était avec des méthodes populaires,
on a gardé nos droits humains et moraux […].

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38 Et de décrire plus loin la liberté confisquée, selon lui, par le régime soviétique :
La liberté c’est quand ma liberté s’arrête où commence la liberté d’autrui. Quand je
fais pression sur vous moralement, psychologiquement, c’est de la dépendance,
c’est le malheur. Oui, l’État doit remplir certaines fonctions mais il ne doit pas
prendre la responsabilité de penser à notre place. C’est absurde. Et notre État
essayait de penser à notre place. On essayait de nous imposer certaines valeurs […].
39 Notre interlocuteur insiste particulièrement sur l’attitude répressive des autorités à
l’égard des fanaty, qu’il qualifie de « pression terrible » ou de « vraie terreur ». Il
attribue cette situation à la peur des autorités face à ce qu’ils percevaient comme une
menace politique potentielle :
Cette force incontrôlable, les autorités ne pouvaient plus la tolérer, d’autant plus
qu’elle n’était pas politisée et pouvait se retourner contre le pouvoir. Ils ont d’abord
commencé une guerre verbale contre nous, ils ont mobilisé la presse, on nous
diabolisait de toutes les façons. Ils ont essayé d’introduire les Komsomols, les
syndicats. […] Les autorités ont commencé à nous casser psychologiquement,
beaucoup ont craqué, parce qu’ils faisaient pression sur la famille, […] tout le
monde n’a pas pu le supporter.
40 Pour lui, ces conditions difficiles ont été à l’origine d’un renforcement physique et
mental des fanaty à travers les épreuves, susceptible d’être reconverti en ressource
politique. Encore une fois, le discours d’A. sert à construire son propre mythe :
Ceux qui ont résisté à la pression de l’État, ceux-là ne craqueront plus jamais. […] Et
ceux-là peuvent emmener avec eux de grandes masses. Les leaders ont toujours
émergé des masses.
41 Si A. relate en détails les nombreux affrontements physiques des fanaty avec la police,
au stade et dans la rue, il nous fait également part de ses stratégies individuelles pour
faire face à ce qu’il appelle la répression : « c’était presque impossible de faire valoir ses
intérêts, je veux dire de façon collective, c’était possible seulement à un niveau
individuel ». Ces tactiques reposent tout d’abord sur la ruse et la tromperie des forces
de l’ordre, présentées systématiquement comme « stupides », « lâches » et finalement
incompétentes. Cet extrait montre par exemple le recours à une version russe du casual
style, stratégie des supporters britanniques qui consiste à renoncer à porter les couleurs
du club au profit d’habits de marque afin de passer inaperçu :
On avait une bagarre avec des Lituaniens en 1989. À cette époque, on mettait
l’écharpe de l’ennemi et la sienne autour de la taille, c’est comme ça qu’on
cherchait des ennemis. Alors que moi, j’avais mis une écharpe en cachemire. La
police m’a arrêté deux fois et moi je leur ai dit « les gars, je suis en train d’attendre
ma copine mais j’ai vu des idiots courir par-là ! ». Alors que j’étais le principal
organisateur de la bagarre : j’avais allongé un flic et un officier et eux, ces cons, ils
ont embarqué deux gars qui portaient simplement les couleurs du club. […] Cette
écharpe en cachemire … pour les autorités, c’était seulement les miséreux qui se
battaient.
42 Un autre type de stratégie consistait à révéler, de manière pacifique, l’incohérence ou
l’absurdité de la logique répressive par le recours à l’argument juridique, c'est-à-dire
par l’invocation des lois soviétiques elles-mêmes :
[…] moi, je connaissais les lois, je me baladais avec la Constitution de l’Union
soviétique. Quand on me demandait d’enlever mon écharpe, je répondais
« montrez-moi, s’il vous plaît, où dans la Constitution c’est interdit de porter les
couleurs rouge et blanc ! ». Ils étaient perdus, ils ne savaient pas quoi faire parce
que généralement, dans la police on recrutait des gens pas très éduqués, de la
province. C’étaient des chiens du système, ils ne savaient qu’aboyer. Alors que dans

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le débat, ils étaient faibles. On m’amenait au commissariat, chez des officiers, qui
généralement étaient éduqués, et même eux n’étaient pas à la hauteur. On me
détestait parce que je ne buvais pas, parce qu’une personne qui a bu on pouvait la
condamner… mais si la personne est sobre…
43 On voit donc se dessiner un rapport négatif aux autorités soviétiques, en particulier la
police et les représentants des institutions étatiques (Parti, Komsomols, syndicats) qui
souligne, a contrario, les qualités des supporters (sincérité, intégrité, courage, ruse en
opposition à des autorités lâches, malhonnêtes, cyniques et stupides). Si ce discours
peut être suspecté de servir une rhétorique consistant à construire une image idéalisée
du supportérisme soviétique, d’autres propos d’A. trahissent une bienveillance ou
même une forme de nostalgie de l’époque soviétique.
44 Une tendresse et une émotion particulières se dégagent lorsque A. aborde cette époque
de sa vie, contrastant avec une expression plus dure qui accompagne ses récits des
années 1990 ou de la période contemporaine. Si ces sentiments ont sans doute à voir
avec une nostalgie pour ses années adolescentes, ils laissent transparaître un
attachement à une période perçue comme plus authentique et sans artifices. Le
discours d’A. est ainsi truffé de souvenirs attendris d’une époque où la joie résidait dans
des choses simples, empreint d’une forme de naïveté enfantine :
À l’époque, personne ne faisait de supports sophistiqués, tout était bricolé. Quand
ça a commencé, les supporters avaient beaucoup de respect pour leurs sœurs,
mères, femmes, ou les petites filles à l’école qui savaient coudre et réaliser ton rêve
en te fabriquant une écharpe, une « rosette » 39.
45 Cette nostalgie transparaît également dans l’identification personnelle avec cette
période – A. parle des années 1980 comme de « son époque » – alors même que
sa trajectoire supportériste continue bien au-delà (il utilise le pronom « nous » pour
évoquer le supportérisme soviétique et parle de « ce fanatisme-là » pour les années
1990 et « du fanatisme d’aujourd’hui gravement malade »). « Son époque » est aussi
celle des oppositions territoriales entre groupes de jeunes, formés autour du raïon, qui
préfigurent les confrontations supportéristes. A. présente cet univers violent comme
étant régi par une forme de justice populaire, guidée par des principes honorables :
[…] on avait des principes : si je me ballade avec une fille dans un autre raïon, on va
me détester mais on ne me touchera pas. Un jour on m’a volé mon vélo, des jeunes
de 16 ans [d’un autre raïon]. Les combattants de notre raïon l’ont raconté à ceux de
l’autre, ces derniers ont attrapé les jeunes, les ont punis et ont rendu le vélo en
s’excusant. […] Vous comprenez, ces combattants, ils étaient prêts à défendre leurs
idéaux avec leurs poings, même si ces idéaux peuvent sembler inventés ou tirés par
les cheveux.
46 En plus de cette forme de nostalgie qui se dégage en filigrane, A. affirme aussi avoir de
tout temps éprouvé de la fierté pour l’histoire de l’URSS et son statut de grande
puissance militaire et sportive :
J’ai toujours été fier de l’équipe de mon pays ; quand j’étais petit, je pensais qu’on
était tellement grand qu’on devait toujours avoir la première place, dans toutes les
compétitions, et que les autres équipes, elles se débrouillaient comme elles
pouvaient... Ensuite, en grandissant, j’ai réalisé que ce n’était pas toujours le cas,
malheureusement. Je suis fier de mon pays, oui, il y a beaucoup de mauvais chez
nous mais une histoire comme la nôtre … personne ne peut… […] Il y avait beaucoup
de bonnes choses pendant l’URSS. Si on a perdu la guerre contre l’Occident, en
exagérant un peu, on peut dire que c’est à cause des slips et des chewing-gums. […]
Tout le monde nous craignait alors maintenant on nous donne des ordres avec
toutes ces aides humanitaires, c’est n’importe quoi !40

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47 Cet attachement à l’État en tant que puissance explique sans doute la distinction faite
par A. dans son appréciation de l’attitude des autorités soviétiques face aux fanaty :
Du point de vue de la sécurité de l’État c’est sans doute juste, mais sur le plan des
restrictions des libertés individuelles, c’est absurde.
48 Si la sensibilité particulière d’A. au sujet de l’atteinte aux libertés individuelles ainsi
que ses représentations très négatives de la police s’expliquent par ses nombreuses
confrontations avec les forces de l’ordre, on peut penser qu’elles sont également liées
au fait qu’il a personnellement été confronté au drame du stade Loujniki en 1982,
évoqué plus haut. Ce jour-là, A. perd sa petite amie, qui décède dans le mouvement de
foule. Dans le récit d’A., cet épisode tient une place particulière et devient le point
central autour duquel s’articule l’expression d’un sentiment d’injustice et d’une
rancœur envers les autorités.

Supportérisme patriotique et soutien au régime soviétique41

49 V. me donne rendez-vous au club des supporters du Torpedo, situé dans le quartier


historique du club, à proximité du stade Edouard Streltsov42 (anciennement stade
Torpedo). Il s’agit d’une petite pièce dans les locaux d’une association de vétérans, très
peu visible de l’extérieur et difficile à trouver. Les murs sont entièrement remplis
d’emblèmes, de posters ou de photos liés au club ou à ses supporters, le décor est
simple, bricolé, un peu vieillot. La discussion prend une autre tonalité qu’avec A.
Contrairement à ce dernier qui cherchait à vanter la supériorité des fanaty du Spartak
dans tous les domaines, V. reconnaît d’emblée que le Torpedo ne jouit pas de la même
popularité : « j’ai connu l’époque où on était 20 personnes alors que des Spartakistes, il
y en avait 20 000. Au tout début, on n’était pas des pionniers, on regardait ce qui se
passait au Spartak, au CSKA, au Dinamo. ». Il commence par me parler des nombreuses
difficultés rencontrées par le club, sa descente en division inférieure, le manque de
moyens ; il semble presque désolé de me recevoir dans des locaux aussi modestes.
Contrairement à A., qui m’associait à une journaliste, V. prend le temps de comprendre
les objectifs de l’entretien et me pose beaucoup de questions sur ma recherche, tout en
s’étonnant que je puisse m’intéresser à lui. Deux autres fanaty du Torpedo de la même
génération que lui sont également présents et assistent à l’entretien, rejoints par un
troisième, plus jeune. Lorsqu’il hésite sur certains faits ou interprétations, V. cherche
leur approbation et ils n’hésitent pas à intervenir pour le contredire ou rajouter des
éléments à ses réponses.
50 V. naît en 1968 et grandit dans une ville de la périphérie nord-est de Moscou. Même si
ses parents sont tous les deux ingénieurs, il se plaît à mettre en avant une identité
ouvrière, particulièrement valorisée en URSS et dans sa famille, mais aussi dans les
rangs des supporters du Torpedo43 :
À l’époque soviétique, on était fiers … bon, mes parents étaient ingénieurs, on vivait
bien, ils gagnaient de l’argent. Mais je disais toujours que je venais d’une famille
ouvrière : un de mes grands-pères était militaire et l’autre ouvrier. Mais ça m’est
resté : nous, on est des ouvriers ! Sur le tombeau de mon grand-père, il avait fait lui-
même une pierre tombale avec une étoile rouge, il disait : je suis ouvrier, je ne veux
pas de croix ! […] Bon, c’est vrai que je suis de la troisième génération, je ne suis pas
ouvrier mais c’est comme ça, le grand-père, il faut s’en souvenir.
51 À 7 ans (en 1975), il accompagne son père à un match de football pour la première fois
et fréquente les stades de Moscou de manière autonome dès l’âge de 13 ans (en 1981).

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Sa mère ne voit pas sa passion d’un très bon œil mais comme V. est un bon élève et se
comporte bien, elle finit par comprendre que c’est important pour lui et l’accepte. À
14 ans, pour le récompenser de ses résultats scolaires, son père l’emmène pour la
première fois en déplacement. Pendant son temps libre, V. fréquente une école de
musique (il joue du piano), fait du ski, de la natation et un peu de football. Comme
souvent, il fait d’abord partie d’un petit groupe de supporters de son âge qui jouent
ensemble au football, se rendent au stade et s’amusent à dessiner la lettre T sur les
murs de la ville. Son groupe s’agrandit petit à petit et, profitant du départ à l’armée des
supporters plus âgés en 1984, il finit par devenir le « noyau central » des fanaty du
Torpedo.
52 Contrairement à A., chez qui certains sentiments négatifs pour le régime soviétique
sont liés à l’attitude répressive des forces de l’ordre, pour V., le pouvoir soviétique était
trop fort pour susciter une quelconque contestation. La sévérité de la police, plutôt que
de créer un sentiment de révolte, avait au contraire un effet dissuasif :
- [Moi :] J’aimerais revenir sur la période qui suit le drame du Loujniki de 1982, vous
expliquez que la répression contre vous a commencé suite à ce drame. J’aimerai
savoir comment cette répression a influé sur le rapport des fanaty au pouvoir : est-
ce que cela a créé de votre part de la rancœur ou de l’hostilité envers les autorités ?
- [V.] Non, à l’époque on ne critiquait pas le pouvoir parce que le pouvoir était fort.
Il y a eu une baisse très importante au sein de la jeunesse … ceux qui se sont fait
choper. […]
- Donc il n’y avait pas vraiment de critique du pouvoir à ce moment-là ?
- C’était plus difficile à l’époque, peut-être qu’il y avait une critique mais d’abord, il
n’y avait pas internet, et puis, on ne pouvait pas s’opposer directement au pouvoir
soviétique. La police était plus dure à l’époque, il m’est arrivé d’en faire moi-même
les frais. Après t’être fait passer à tabac par la police, tu n’avais plus aucune pensée
négative envers le pouvoir soviétique.
53 Si les propos d’A. reflètent une nostalgie pour l’époque soviétique (liée à ses souvenirs
de jeunesse et aux débuts du supportérisme), V. exprime un attachement plus affirmé
non seulement à l’époque mais aussi à l’ordre social et politique de l’URSS. Ce soutien
peut tout d’abord s’expliquer par la biographie de V. et ses perceptions sur la manière
dont la chute de l’URSS a influencé sa trajectoire personnelle. En effet, s’il parle
ouvertement de ses aventures supportéristes ponctuées de bagarres, V. met également
en avant un parcours personnel conforme aux normes sociales de l’époque : il se
présente spontanément comme ayant été un « bon élève », atteignant de « bon
résultats sportifs » et titulaire d’un diplôme d’études supérieures. Sa vision de l’Union
soviétique est liée au sentiment qu’il a perdu au change, que son parcours personnel
méritant l’aurait mené à une position meilleure si l’URSS ne s’était pas effondrée. Si
dans le cas d’A., les institutions soviétiques sont présentées avant tout comme des
instances d’oppression, elles sont pour V. les garants d’une stabilité et d’une forme de
méritocratie :
Tout était sous contrôle, […] depuis le jardin d’enfants on te chante des chansons
sur la jeunesse de Lénine et tout ça, les pionniers, les komsomols. […] À l’époque, les
gens gravissaient ces paliers et obtenaient quelque chose. Tu étudies bien, t’es un
pionnier, un komsomol, ensuite tu rentres au Parti, et puis dans 20 ans, tu te
retrouves à occuper une position de dirigeant. Tout était clair. C’était clair aussi
pour la plupart des gens qu’il y avait des failles dans le système, mais au moins il y
avait quelque chose. Après la chute de l’Union soviétique, il n’y a plus eu d’escalier
du tout. Tu pouvais bien travailler, mais le pouvoir n’appartenait qu’aux voleurs et
aux escrocs alors que les gens honnêtes, il n’y en avait plus nulle part. […] Moi-

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même, j’ai un diplôme d’enseignement supérieur, j’étais bon élève mais ceux qui
ont obtenu de bons postes c’est des gens qui étaient mauvais et qui avaient des
parents hauts placés, tout était acheté, corrompu. […] [En URSS] si tu travaillais
pendant deux ans, tu avais une voiture, si tu travaillais encore quelques années à
l’usine, tu avais un appartement. Et maintenant, ça fait déjà 22 ans que l’URSS
n’existe plus, donc il y a déjà toute une génération de gens qui a grandi et qui a
compris qu’avec un travail honnête tu n’arrives à rien.
54 Par ailleurs, la trajectoire de V. illustre les efforts mis en place par les autorités
soviétiques de la fin des années 1980 pour instaurer un contrôle sur les groupes de
jeunesse informels. H. Yvert-Jalu décrit les fréquentes injonctions aux Komsomols « de
noyauter les associations autonomes de jeunesse » (Yvert-Jalu 1991 : 34) ou établir des
liens en fournissant des locaux ou une aide matérielle. Le bon rapport de V. vis-à-vis du
« pouvoir soviétique » s’explique aussi sans doute par les avantages matériels mis à
disposition des fanaty en échange de sa collaboration :
[…] il y avait des répressions mais à un moment ils ont dit « ok, faites vos affaires,
on ne vous touche plus ». Ils ont décidé de diriger cette affaire. En 1987, la décision
a été prise qu’auprès de chaque club de football serait organisé un club de
supporters, donc c’est les autorités soviétiques qui ont donné un local, du personnel
[…]. Je suis revenu de l’armée et on m’a dit : allez, travaille avec les supporters ! On
m’a donné un local, de l’argent, et donc on a commencé à organiser un vrai club de
supporters. […] Il y avait un très grand contrôle des gens qui travaillaient avec les
supporters. […] Je peux dire qu’[…] on avait des données sur tous nos gars. […]
55 Cette collaboration avec les autorités est par ailleurs présentée comme quelque chose
de bénéfique, non seulement pour les supporters mais pour l’ensemble de la
communauté :
On avait 3 ou 4 fois moins de criminalité que la moyenne du quartier. Les gens
viennent au football, rejettent toutes leurs émotions, et ensuite rentrent
tranquillement chez eux, ils ne traînent pas dans les cours, ne dévalisent pas les
mamies. La criminalité dans le milieu supportériste avait diminué. Et les autorités
soviétiques le comprenaient. […] On peut critiquer tant qu’on veut le pouvoir
soviétique, mais il nous a donné un local, de l’argent, du personnel, nous a aidés. On
avait un bon bureau, bien aménagé, etc. Après [en 1992], on s’est fait virer de là, on
a proposé de payer mais on nous a dit « on n’a pas besoin de vous, il y a trop de
jeunes qui viennent chez vous », ils ont ouvert un restaurant à la place. On s’est
retrouvés à la rue, heureusement, les vétérans nous ont aidés mais sinon comment
travailler dans la rue ? […] Les autorités soviétiques nous donnaient quelque chose
et nous demandaient des trucs en retour alors que là, on ne te donne rien, on
interdit tout, et après son s’étonne que les supporters d’aujourd’hui n’obéissent
plus à la police, n’aident personne…

Conclusion
56 Ainsi, le supportérisme de la fin de l’URSS comporte des dimensions à la fois
contestataires et conformistes. Concernant le premier plan, les expériences
supportéristes de confrontation avec la police permettent de développer une sensibilité
particulière à l’atteinte aux libertés individuelles. Ces expériences correspondent à des
moments où les supporters ont personnellement été confrontés à des situations
labélisées comme injustes et qui les amènent à forger des représentations négatives
concernant les forces de l’ordre, et même à énoncer des critiques d’ordre plus général.
Si ces représentations sont en grande partie mythifiées et puisent dans l’imaginaire
d’un héroïsme contestataire, elles signalent toutefois la présence d’une forme de

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politisation des discours supportéristes44. En effet, on constate que les récits


d’expériences supportéristes deviennent des ressources mobilisées par les supporters
dans la construction de jugements à caractère politique : « fonctionnaires corrompus » ;
« fausseté de ce pouvoir ». Par ailleurs, les confrontations avec les forces de l’ordre sont
susceptibles de mener à l’apprentissage de diverses stratégies de contournement ou de
résistance face à la répression, s’inspirant de pratiques étrangères (casual style) ou
exploitant les failles et incohérences internes du régime soviétique à travers la
mobilisation d’un « répertoire normaliste légaliste », au sens de Lascoumes et Bezes
(2009 : 123) : « où dans la Constitution c’est interdit de… ?». Enfin, de manière plus
générale et à l’instar d’autres subcultures, le supportérisme se présente comme un
univers empli d’émotions, d’aventures et de représentations idéalisées de l’Occident qui
font res-sortir/sentir par contraste un quotidien soviétique morose et suffocant.
57 En même temps, le supportérisme soviétique s’avère indéniablement conformiste – non
seulement à l’égard de certains codes culturels soviétiques (caractère artisanal, bricolé
ou s’inscrivant dans des pratiques de violence particulières) – mais également face aux
stratégies de négociation mises en place par les autorités pour s’assurer un contrôle sur
les organisations de jeunesse.

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professor_v_konce_70kh_na_vyezd_gonyalo_2030_chelovek_na_perekladnykh_i_avtostopom/

Amir Khouslioudinov, interview, 13 décembre 2013:

https://www.eurosport.ru/football/russian-premier-league/2013-2014/story_sto4045692.shtml

Vadim Sidorov, interview, 2009:

http://www.spartakworld.ru/fans-spartak/4910-vadim-sidorov-intervyu-s-fanatom-foto.html

Vassili Petrakov, interview, décembre 2013 :

http://ofnews.info/intervyu-s-petrakovym-chb/

Ioura « Limon », interview, octobre 2013 :

http://ofnews/intervyu-s-limonom-sbg/

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Andreï Malosolov, interview, 6 octobre 2012:

http://fans-edge.info/intervyu-batumskogo/

NOTES
1. Cette recherche a été réalisée grâce à la Bourse de recherche João Havelange du Centre
international d’Étude du Sport (CIES).
2. Nous avons préféré garder le terme anglais de subculture plutôt que de parler de « sous-
culture » qui comporte une connotation péjorative en français.
3. Nous désignons par supportérisme l’ensemble des activités, expériences et modes de
communication particuliers, relatif à la passion et au soutien portés à une équipe de football,
laquelle acquiert une dimension symbolique et identificatoire.
4. Les entretiens ont été réalisés à Moscou entre mars 2013 et juillet 2016.
5. Le XX e Congrès du PCUS qui se tient du 14 au 25 février 1956 officialise un mouvement
réformiste appelé « déstalinisation » en référence au démantelement de la machinerie politique
mise en place par Staline (voir Carrère d’Encausse 1984 ; Breslauer 1982).
6. En 1963, 37,5% des Soviétiques regardaient la télévision chaque jour et 78,9% écoutaient la
radio (Dumazedier ; Markiewicz-Lagneau 1970 : 218). Voir également Roth-Ey 2007.
7. En 1972, L. Brejnev déclare en effet que « dans une société socialiste, le temps libre est une
affaire de santé publique. Mais il ne peut être considéré comme tel que s’il est utilisé dans
l’intérêt du développement de l’individu dans son ensemble, de ses capacités, et par là-même
pour un accroissement encore plus grand du potentiel matériel et spirituel de notre société. »
(21 mars 1972, in Riordan 1977 : 199).
8. Fait référence au compositeur russe D. Chostakhovitch, grand amateur de football,
qu’il qualifie de « ballet de masses » et auquel il consacre un ballet : L’Âge d’or [Zolotoj
vek], voir Braginsky 2014.
9. Les Pionniers soviétiques étaient une organisation de jeunesse dont faisait partie la plupart des
enfants soviétiques de 9 à 14 ans. Ils étaient par la suite pris en charge par le Komsomol.
10. Sovetskiï sport in Edelman 1993 : 86.
11. L’équipe nationale d’URSS est médaillée d’or aux Jeux olympiques de Melbourne en 1956,
vainqueur du championnat d’Europe en 1960 et finaliste en 1964. En 1963, Lev Iachine, le gardien
de but du Dinamo Moscou reçoit le ballon d’or.
12. Pour une présentation du débat entre les tenants de l’école dite « totalitaire » et ceux du
courant « révisionniste », voir Werth 2001 : 125-135.
13. Si R. Edelman nuance cette vision romantique du Spartak comme « équipe du peuple » dans
une série de travaux postérieurs (Edelman 2009 ; Edelman 2012), celle-ci sera particulièrement
réactivée dans les années 1980 et après la chute de l’URSS. Elle consiste à présenter le Spartak
comme la seule équipe indépendante vis-à-vis du pouvoir, voire opposée au régime soviétique.
Les écrits littéraires et journalistiques des frères Starostin (fondateurs du Spartak) ont d’ailleurs
particulièrement nourri cette reconstruction mémorielle (voir par exemple Starostin 1992).
Contrairement aux autres aspects de la recherche d’Edelman, ces interprétations se fondent
uniquement sur des témoignages des frères Starostin et sur des récits de supporters datant de la
période postsoviétique. Par ailleurs, aucune source ne permet de conclure que le choix de
soutenir le Dinamo ou le CSKA (qui rassemblaient également un très grand nombre de
supporters) s’apparentait à une quelconque sympathie pour les ministères dont ces deux équipes
étaient issues. Enfin, si le Spartak était effectivement l’équipe la plus populaire, elle jouissait
également de patronage dans les plus hautes sphères du Parti (Dietschy 2010 : 214).
14. Lev, entretien à Moscou, 22 août 2014.

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15. Ce concept se réfère à des expressions visuelles ou « styles » adoptés par les jeunes,
articulés à des biens culturels (en premier lieu la musique) qui véhiculent un ensemble
de valeurs et de normes sociales. Dans son ouvrage Subculture, the Meaning of Style, paru
en 1976, Dick Hebdige analyse ces subcultures comme des formes d’ajustement, de
négociation, de subversion ou de résistance à une culture dominante (Hebdige 1979).
16. Voir Fürst 2006. Sur la subculture hyppie en URSS, voir Fürst 2014 ; sur le rock soviétique, voir
Zaytseva 2008.
17. Une caractéristique essentielle de la passion du football réside dans l’émergence de groupes
de supporters organisés, dont les effets de socialisation ont particulièrement attiré l’attention
des sociologues du sport (voir entre autres Bromberger 1995 ; Hourcade 2004 ; Nuytens 2004 ;
Lestrelin 2010).
18. Qui se rapporte au simple supporter ou amateur de football (dérivé du substantif bolezn’ – la
maladie – et du verbe bolet’ qui se présente uniquement sous une forme active et peut se traduire
par « souffrir de » ou « être malade »).
19. Sur les graffitis des supporters de football soviétiques, voir Bushnell 1990 : 205-235.
20. A., fanat du Spartak, entretien à Moscou le 27 mai 2013.
21. La violence est une donnée constitutive du supportérisme hooligan. Le hooliganisme
correspond à la forme qui s’est développée en Angleterre dans les années 1960, où les jeunes
supporters se regroupent au sein de bandes informelles. Leurs pratiques se centrent
principalement autour de la violence, le but principal étant de défendre les couleurs du club en
affrontant les supporters des équipes adverses (voir Armstrong 1998 ; Perryman 2001).
22. Les habitations soviétiques à plusieurs étages étaient pour la plupart construites autour de
cours intérieures (dvor) souvent aménagées en aires de jeux, petits commerces ou espace de
promenade qui étaient (et sont toujours) des lieux de sociabilité importants, créateurs de
sentiment d’appartenance et d’identification pour les jeunes Soviétiques.
23. Subdivision administrative des villes russes ou partie d’une ville ayant une certaine unité,
peut être traduit par « quartier ».
24. Stepan, entretien, Moscou, 23 mai 2016.
25. L’opposition à la police est un élément central de la subculture supportériste au
niveau mondial (voir Gibril 2015).
26. Konstantin Kasetov, interview, 2013, http://ofnews.info/intervyu-s-konstantinom-
kastetom-sbg/.
27. Organisations de jeunesse du Parti communiste de l’Union soviétique (acronyme de
Kommounistitcheski soïouz molodioji).
28. V., entretien, Moscou, 22 avril 2014.
29. Officiellement (selon les autorités soviétiques de l’époque), 66 supporters ont péri ce soir-là
mais certaines enquêtes indépendantes présentent le chiffre de 350 morts
(www.theguardian.com/football/2008/may/04/championsleague).
30. Si l’année 1982 a certainement constitué un point de rupture dans l’attitude des autorités vis-
à-vis des fanaty, ce changement s’inscrit également dans le contexte d’un durcissement politique
général qui fait suite à la mort de Brejnev le 10 novembre 1982 et l’arrivée au pouvoir
d’Andropov. En politique intérieure, le bref passage d’Andropov (resté 15 mois au pouvoir) a été
marqué par une volonté de lutter activement contre toute forme d’activité illicite, à travers
notamment l’adoption d’une série de lois répressives et par l’engagement en faveur d’une
« moralisation de la vie politique » (Werth 2001 : 531).
31. Vassili Petrakov, interview, http://ofnews.info/intervyu-s-petrakovym-chb/.
32. Vassili Petrakov, interview, http://ofnews.info/intervyu-s-petrakovym-chb/.
33. V., entretien, Moscou, 22 avril 2014.

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34. Le substantif neformal désigne un membre d’une organisation « informelle » de jeunesse,


c'est-à-dire autre que les organisations officielles, contrôlées par l’État, comme le Komsomol.
35. Ioura « Limon », interview, octobre 2013, http://ofnews/intervyu-s-limonom-sbg/.
36. Andreï Malosolov, interview, 6 octobre 2012, http://fans-edge.info/intervyu-
batumskogo/.
37. Termes utilisés par des fanaty de leur génération ou par les médias supportéristes.
38. Profil d’A., rencontré à deux reprises à Moscou : le 27 mai 2013 et 15 avril 2014.
39. Terme du langage supportériste qui désigne une écharpe aux couleurs du club.
40. Ce passage fait écho au constat de Myriam Désert concernant l’importance, au sein
des discours patriotiques en Russie postsoviétique, d’accepter le passé soviétique dans
son ensemble, de concevoir une « non-rupture de l’histoire » en acceptant ce qui est
« grand dans chaque moment historique de la Russie, par-delà les jugements de valeur
sur telle ou telle période » (Désert 2013 : 63).
41. Profil de V., rencontré les 18 et 22 avril 2014 à Moscou.
42. Né en 1937, Edouard Streltsov est une légende du football soviétique qui a joué pour le
Torpedo de 1953 à 1958 et de 1965 à 1970. Le stade du Torpedo est renommé en son honneur en
1996, soit 6 ans après sa mort.
43. Situé à proximité de l’usine automobile ZIL et longtemps patronné par cette dernière, le
Torpedo est par ailleurs le seul club de Moscou où l’on retrouve la mise en avant d’une
appartenance sociale et géographique chez les supporters, qui revendiquent souvent, et encore
aujourd’hui, une identité ouvrière.
44. Sur ce point, on peut suivre les auteurs qui adoptent une définition élargie de la politisation
des discours, tels que N. Eliasoph qui retient comme critères principaux l’expression d’un
sentiment d’injustice et la désignation de responsables ou encore S. Duchesne et F. Haegel qui
envisagent la politisation comme un processus de conflictualisation qui comprend une montée en
généralité et la reconnaissance d’un clivage sur la question évoquée : voir Eliasoph 1996 ;
Duchesne ; Haegel 2001.

RÉSUMÉS
Diverses fonctions politiques ont été attribuées au sport en URSS : moyen d’améliorer la force
physique et la productivité, outil de promotion des idéaux communistes ou vitrine de la
puissance de l’État soviétique. Dans ce contexte, cet article porte sur la passion du football en
tant que pratique de consommation et spectacle sportif susceptibles de contourner, limiter ou
subvertir les significations imposées au sport par l’État autoritaire. Pour cela, nous retracerons
tout d’abord les diverses appropriations du football par ses passionnés dans la société
poststalinienne en montrant la manière dont celles-ci s’écartent des objectifs idéologiques
poursuivis par l’État. Ensuite, nous nous intéresserons à la période allant du début des années
1970 à la fin de l’URSS qui correspond à l’émergence de la subculture supportériste avec la
constitution des premiers groupes de supporters organisés. Si les diverses subcultures
soviétiques ont souvent été décrites comme contestataires, nous montrerons l’ambiguïté du
supportérisme de l’époque, qui se présente tantôt comme une forme de résistance (symbolique

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ou violente) au régime soviétique, tantôt comme un exemple d’adaptation négociée en période de


changements politiques majeurs.

During the Soviet period, sports have been invested with several political meanings: it was
conceived as a way to enhance the physical force and productivity, to promote the communist
ideals, and to demonstrate the power of the Soviet state. In this context, this article deals with
the passion of football as a consumption practice and spectacle, with the power to limit or
subvert the official meanings imposed to sports by the authoritarian state. First, it analyses the
specific appropriation of football by its fans during the post-Stalinist period by showing how it
moves away from the state’s ideological objectives. Second, it focuses on the period from the
early 1970’s to the end of the Soviet Union, which corresponds to the emergence of a Soviet
supporters’ subculture. Despite the idea that subcultures of the end of the Soviet Union have
often been described as contentious, this article shows the ambiguity of Soviet fandom, which
can both be seen as a form of symbolic or violent resistance, or as a way of negotiated adaptation
during major political change.

INDEX
Mots-clés : supporters de football, URSS, contestation, autoritarisme, sports
Keywords : Football supporters, Fandom, Soviet Union, Resistance, Sports, Authoritarianism

AUTEUR
EKATERINA GLORIOZOVA
CEVIPOL/Université libre de Bruxelles
eglorioz@ulb.ac.be

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