Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Fretel Julien. Le parti comme fabrique de notables. Réflexions sur les pratiques notabiliaires des élus de l'UDF. In: Politix, vol.
17, n°65, Premier trimestre 2004. Trajectoires de la notabilité. I. Pratiques et stratégies pp. 45-72;
doi : https://doi.org/10.3406/polix.2004.1609
https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2004_num_17_65_1609
Abstract
Political Party Shaping Notables. The Case of UDF in France
Julien Fretel
The moderate right or centrist is generally described as a universe composed of notables. Apart from
the problems raised by this word, the purpose of this article is to show that the UDF elected
representatives are likely to gather support outside the party in seemingly roundabout apolitical
matters, but are nevertheless likely to emphasise electoral and partisan stakes. Therefore these
notable coalitions offer the party an opportunity to claim a dedicated and loyal nature towards
numerous fringes of the population. Furthermore, a brief review of their background implies that these
elected representatives, while far from resembling traditional "heirs", are likely to adopt predominantly
catholic militant principles. This is the main reason for their selection by the UDF authorities to
represent the party. In this context, the notable centrists are the resuit of a peculiar kind of partisan
organisation.
Le parti comme fabrique de notables
Julien FRETEL
1.. Weber (M.), Economie et société, vol. 1, Paris, Pion, 1971, p. 298.
de gauche ? Dans ce cas, il est à craindre de voir disparaître alors tous ses
avantages métaphoriques. Enfin, lorsque l'on sait que cette expression
s'invite aussi dans le discours des acteurs politiques eux-mêmes, qu'elle fait
partie des rhétoriques utilisées par les militants contre leurs mandataires ou
par ces derniers pour dénoncer le comportement déloyal d'un des leurs, on a
toutes les raisons de penser que le travail de construction de ce fait social
reste à faire ou du moins à poursuivre2. Ainsi, il nous paraît difficile de
manier sans réserve le terme de notable et de l'appliquer à la droite modérée
ou centriste3 avec quiétude, tellement ses présupposés renvoient à des
réalités variées. Nul doute que le désintérêt de la science politique pour
l'étude de la droite française trouve en partie son origine dans ce quiproquo
notionnel.
Notre propos, pourtant, ne consistera pas à enterrer définitivement les
questions que les nombreux usages du terme de notable ont permis de
poser, fût-ce pour de mauvaises raisons théoriques. Si nous émettons les
plus grandes réserves quant à ses emplois systématiques, surtout lorsqu'ils
ne sont pas justifiés, nous faisons pourtant le pari qu'une réalité politique et
sociale, certes insuffisamment construite scientifiquement, se cache derrière
ce terme et qu'elle mérite toute notre attention. Nos travaux portant sur
l'UDF4 nous amènent en effet à penser qu'une des spécificités de la droite
modérée a quelque chose à voir avec la constitution d'un personnel politique
dont un des aspects relève de la notabilité. Par là, nous voulons affirmer que
les dirigeants centristes ont en commun de présenter des caractéristiques
sociales, relationnelles et partisanes qui ne sont pas sans rappeler certaines
attitudes typiques des notables de la fin du XIXe siècle : relative
indépendance par rapport à leur organisation politique, acquisition d'un
portefeuille relationnel dense et, surtout, propension à constituer des
groupes sociaux réunis autour de causes non politiques mais susceptibles
néanmoins de peser sur les enjeux électoraux et partisans. C'est à la
description de ces soutiens modelés hors du parti que nous voulons nous
2. L'ouvrage d'E. Phélippeau (L'invention de l'homme politique moderne, Paris, Belin, 2002),
contrairement à d'autres analyses, permet d'aborder la question des notables tant du point de
vue de leur capital social que du point de vue de leur organisation, et ce sans tomber dans les
contradictions que l'on vient de dénoncer. Nous avons bien entendu une dette envers certains
auteurs qui ont contribué à faire évoluer les usages de ce terme tels que Grémion (P.), Le pouvoir
périphérique, Paris, Le Seuil, 1976, Worms (J.-P.), « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail, 3,
1966 et Lagroye (J.), Politique et société. Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Paris, Pedone, 1973.
3. Pour éviter les redondances, nous utiliserons successivement ces deux termes pour parler de
la droite non gaulliste et plus précisément de l'UDF.
4. Nous faisons référence à notre travail de thèse en cours sur l'enracinement et la structuration
de la « nouvelle UDF » depuis 1998. C'est ce travail qui nous permet de proposer les
interprétations du terme « notable » suggérées dans le présent article. Il convient à cet égard de
souligner que les exemples cités ici ont pour vocation de rendre perceptibles - ou si l'on préfère,
d'illustrer - les processus dans lesquels ils prennent sens, et non d'en établir, par simple
juxtaposition, la validité, ou même de laisser penser qu'ils sont généralisables.
Le parti comme fabrique de notables 47
attacher dans cet article. Nous essaierons de montrer que ces réseaux d'ordre
notabiliaire, qui ont été construits par les élus centristes en contrechamp du
jeu politique, sont non seulement des lieux essentiels de légitimation de leur
pouvoir mais aussi qu'ils offrent à ces derniers l'occasion de se poser en
dirigeants généreux envers la population. Par ailleurs, nous pourrons nous
apercevoir que ces activités apparemment non politisées ne sont pourtant
pas totalement indépendantes des luttes qui ont lieu au sein de l'UDF. Pour
une part, l'existence de ces ressources extrapartisanes pourra alors être
comprise comme le résultat de l'adaptation de ce personnel aux règles du
jeu qui prévalent dans le parti. Enfin, en nous attardant sur leur carrière,
nous chercherons à démontrer pourquoi, compte tenu de ce que les
« notables » étudiés ici sont socialement et des conditions dans lesquelles ils
ont rejoint l'UDF, ils ont pu et dû se comporter comme des entrepreneurs
politiques5 plus soucieux sans doute de défendre des causes socialement
« désintéressées » que d'endosser le rôle d'homme d'appareil.
Contrairement à une idée reçue, la notabilisation des cadres de l'UDF tient
donc moins au fait « d'être bien né » qu'au mode d'institutionnalisation
d'une formation politique qui sélectionne des dirigeants aptes à construire
leur propre notabilité.
5. Pour une approche rigoureuse de la notion d'entrepreneur politique, cf. Offerlé (M.), Les
partis politiques, Paris, PUF, 2002.
6. Nous parlerons ici des parlementaires UDF qui, bien souvent, cumulent des fonctions de
maire, de président de conseil régional, de conseiller régional, de président de conseil général
ou de conseiller général.
48 Politix n° 65
7. An lendemain de l'élection présidentielle de 2002, P. Herr a quitté l'UDF pour rejoindre l'UMP.
8. Entretien, décembre 2001.
50 Politix n° 65
marre des luttes et des rivalités de personnes. Pour vous dire la vérité, ma
position, je la préfère à un poste de maire. En tant que président de l'Armada,
je vais à New York, dans toutes les grandes capitales du monde, je rencontre
des chefs d'Etat, des ministres, je suis sûrement plus connu que le maire de
Rouen si cela se trouve [Rires]. »
La présidence de l'Armada ne permet pas seulement à P. Herr de
s'affranchir de certaines contraintes du jeu partisan. Elle lui offre une place
prestigieuse d'où il dispense aux administrés quantité d'avantages matériels
et symboliques. Il y développe des politiques publiques en dehors des
circuits traditionnels de l'administration locale. Aux parents en difficulté, il
propose de prendre en charge leurs enfants à la recherche de stages ou
d'activités socialement utiles. Ses bons rapports avec le patronat qui
sponsorise les manifestations nautiques lui donnent un rôle de médiateur
sur le marché secondaire de l'emploi. Bref, la présidence de l'Armada le
place dans une position centrale dans le champ de la solidarité ; surtout, elle
le crédite d'une image d'élu dévoué qui ne cesse de se dépenser et de
trouver des solutions pratiques aux difficultés sociales.
L'institutionnalisation d'espaces de mobilisations d'ordre notabiliaire peut
prendre des formes très variées en fonction des ressources géographiques et
de la carrière professionnelle des élus centristes. A côté de projets de nature
culturelle, on peut en repérer d'autres ayant des objectifs économiques. Les
cas de Pierre Méhaignerie en Ille-et- Vilaine et de Jean François-Poncet dans
le Lot-et-Garonne font partie de ceux-là. Tous deux ont bâti des associations
ayant pour mission de moderniser leur département : « Avenir Bretagne »
pour l'un et « Avenir 47 » pour l'autre. Ces initiatives - qui réunissent ce que
leur territoire compte de chefs d'entreprise, de cadres du secteur privé et
public, de syndicalistes et d'élus locaux - fonctionnent comme des lieux
d'élaboration de projets de développement et leur permettent de démontrer
leur capacité personnelle à tracer les grandes perspectives économiques du
moment. Ici, appeler à la mobilisation des forces vives locales les fait
apparaître comme des élus compétents et, à l'image d'un chef d'entreprise,
fortement investis dans l'action. Les raisons et le contexte de la création de
ces structures, tels que nous les ont expliqués deux dirigeants de l'UDF9,
apportent un éclairage sur la nature de ces réseaux notabiliaires.
P. Méhaignerie rapporte ainsi lors d'un entretien :
« J'ai voulu lancer cette association pour réunir tous les acteurs influents sur le
département et faire émerger des nouveaux responsables économiques et
politiques. Nous avons compté jusqu'à cinq cents membres mais les effectifs
sont variables. C'est comme pour faire fonctionner un parti politique, il faut
activer sans cesse [...]. C'est vrai que j'ai pensé plusieurs fois à transformer
cette structure en une sorte de parti politique local. J'y pense encore10. »
Quant à J. François-Poncet, il déclare :
« Quand je suis arrivé dans le Lot-et-Garonne, je n'avais rien en main.
Seulement l'appui de Maurice Faure et de la Dépêche du Midi. Je me suis dit
que ma seule carte c'était de jouer sur la modernisation du territoire et de
rassembler autour de moi tout ce que le pays compte d'acteurs compétents.
J'avais l'Elysée pour moi pour alimenter les pompes à finance [...]. J'ai créé
"Avenir 47" pour m'ouvrir un espace politique entre le PS et le RPR et j'ai tout
axé sur la modernité. Petit à petit, j'ai rassemblé les notables du coin et les
nouveaux cadres publics et privés qui voulaient se hisser socialement.
Aujourd'hui, c'est un peu comme un parti, sauf que les réunions ont lieu dans
ma propriété11. »
Toutes ces initiatives, qui ont lieu en marge des partis politiques et qui
placent certains élus à la tête de projets locaux, confortent leur image de
dirigeants hyper-actifs bien éloignée de celle de notables « héritiers »
entretenant un capital acquis. Par ailleurs, ces façons de se construire un
leadership non partisan instituent un type d'échange politique fondé sur le
dévouement et la générosité.
Produire du dévouement
« Moi un notable ? Ils me font rire. Autour de Pau, tout le monde m'appelle
Pierrot et me tape sur l'épaule. Je bois des coups au bistrot et je ne fréquente
pas les soirées chic. A l'UDF, je suis toujours assis avec les militants de base,
je n'ai jamais fait une apparition sur la tribune ! Regardez-moi, j'ai l'air d'un
notable ? D'ailleurs, vous pouvez me tutoyer si vous le voulez, cela ne me
gêne pas15. » Mais le fait est qu'il dénote dans le paysage politique local. Ses
concurrents socialistes voient en lui l'expression des vieilles manières de
faire de la politique. Pourtant, cet homme de soixante ans, sans fortune
particulière, issu d'une famille relativement modeste et respectueux des
mots d'ordre venant de sa formation partisane, ne ressemble pas vraiment
aux élus locaux qui se plaisent à se définir comme étant « apolitiques ».
Quand on le suit sur le terrain, cependant, l'énigme que constitue son
stigmate de notable se résout. P. Menjucq ratisse quotidiennement les
campagnes, non pas pour exister en tant que dirigeant politique mais, tel un
travailleur social, pour promouvoir son association d'aide à domicile16.
Depuis plus de dix ans, il dispense des soins aux personnes âgées. Petit à
petit, les activités de son association ont pris de l'ampleur et répondent à
l'ensemble des attentes d'une partie de cette population du troisième âge. De
la restauration à domicile des personnes dépendantes et handicapées à
l'organisation de leurs loisirs (lectures, spectacles, visites au musée, etc.) ou
de leur consommation, P. Menjucq s'applique à faire face à des situations
d'urgence à la manière d'un bienfaiteur. Calquée sur le modèle de
l'ADMR17, son association de service à domicile réunit un nombre
considérable de bénévoles et de professionnels de la santé. Cela lui a donné
une forte notoriété parmi les syndicats de médecins, d'infirmiers, de
kinésithérapeutes et auprès des organismes d'aides ménagères18.
Il va sans dire que dans les zones les plus rurales du pays palois ainsi que
dans les quartiers populaires à la périphérie de Pau, la popularité de
P. Menjucq est grande. Ses engagements auprès des personnes en difficulté
peuvent être mesurés entre autres à l'aune des résultats qu'il a obtenus dans
19. Son attitude n'est pas sans rappeler la démarche du président UDF du Gers qui est
guérisseur - ou « rebouteux » - et qui conçoit la plupart des échanges politiques sur le mode de
l'aide thérapeutique. En quelques années, c'est-à-dire en l'espace de deux ans, il a doté sa
fédération de plus de 250 adhérents alors qu'elle n'en comptait qu'une petite cinquantaine.
54 Politix n° 65
telle sorte qu'ils apparaissent maintenant comme des êtres sensibles aux
problèmes quotidiens des populations. C'est le cas très intéressant du
député de la première circonscription du Gard, Yvan Lachaud20. Ce
proviseur du lycée Emmanuel d'Alzon, le plus gros établissement
d'enseignement privé - catholique et assomptionniste - du département, a
en effet peu à peu conçu son métier de directeur d'établissement comme un
moyen de démontrer ses compétences à représenter ses concitoyens et,
surtout, comme un rôle de pourvoyeur de biens d'assistance. C'est autour de
sa fonction de proviseur qu'il déploie sa générosité et qu'il consolide sa
position d'élu. La plupart des membres de son équipe politique sont des
enseignants ou des cadres administratifs employés dans l'établissement
scolaire. Même au sein de la fédération UDF du Gard, les adhérents les plus
actifs sont soit des enseignants, soit d'anciens élèves du lycée d'Alzon ou des
parents d'élèves voulant le remercier pour avoir pris en charge leurs enfants
en difficulté21. Depuis quelques années, son institution scolaire n'a cessé de
s'étendre et d'orienter une partie de ses activités en direction des publics en
difficulté. Quatre nouvelles antennes ont été créées dont un centre
d'apprentissage. Deux d'entre elles sont destinées à l'accueil des élèves
handicapés mentaux et physiques22.
Ainsi, Y. Lachaud endosse continûment un rôle d'acteur central de l'aide
aux personnes en difficulté, activité qui a pris place dans le champ de
l'engagement catholique ainsi que dans celui de l'aide médico-sociale. Une
grande partie de son temps consiste à recevoir des personnes en attente de
solutions d'urgence. Son engagement personnel a transformé de nombreux
individus en obligés vantant sa gentillesse et sa dévotion. Son ambition en
tant que chef d'établissement - un poste qu'il occupait avant son entrée en
politique - est dès lors devenue indissociable de sa manière d'agir comme
représentant politique. On peut même dire que, depuis ses récentes
élections, il a pris encore plus conscience de l'importance de cette dimension
de son activité23 :
20. Y. Lachaud est député UDF depuis 2002 après avoir été en 1998 conseiller régional et en 2001
adjoint au maire de Nîmes.
21. Parmi ceux-là, nous avons rencontré beaucoup de parents d'origine maghrébine qui, malgré
leurs moyens modestes, ont pu inscrire leurs enfants dans cet établissement privé en ayant
l'assurance qu'ils y recevront une éducation stricte.
22. Son intérêt pour le domaine du handicap physique et mental est également relayé par sa
femme - orthophoniste - qui préside plusieurs associations d'aide aux personnes handicapées.
23. Il va sans dire que cette philosophie sociale s'est beaucoup nourrie de sa socialisation
catholique et des engagements dans les mouvements chrétiens. Son histoire personnelle est
également riche d'enseignements. Très tôt orphelin de père, il a été élevé par sa mère qui était
femme de ménage au lycée Emmanuel d'Alzon. Il a donc passé toute sa jeunesse dans l'enceinte
de cet établissement au contact des sœurs assomptionnistes. Après avoir passé son CAPES de
mathématique, il est revenu au lycée d'Alzon pour y enseigner et en prendre ensuite la direction.
Le parti comme fabrique de notables 55
« Plus j'avance en politique et plus j'ai envie de faire des choses pour les gens
les plus démunis. Pour moi, le handicap est quelque chose d'urgent [...]. Est-
ce que cela me dérange en tant que proviseur ? Non, au contraire, c'est lié. Et
à la limite, c'est absolument complémentaire. Autant on demande aux chefs
d'établissement en général de se mettre à l'écart de la chose publique pour
respecter la neutralité, autant là, j'ai l'impression que l'on m'a demandé de
faire de la politique pour renforcer mon établissement24. »
Ce genre de personnel politique peut alors être défini de la façon suivante.
Plus que de prendre en charge l'administration des instances partisanes pour
se constituer un capital symbolique et bénéficier d'un enracinement social, ces
spécialistes de la représentation ont construit leur rôle politique et plus
généralement leur leadership en s'adossant intuitu personnae à des champs de
l'action sociale, culturelle ou économique, en tant qu'entrepreneurs de cause.
A la tête de ces groupements dévoués à des causes charitables25, ils
constituent les soutiens nécessaires à leurs succès politiques. Il va sans dire
que ces manières de produire du lien social à partir des positions électives et
au sein de structures non partisanes ne sont pas seulement le produit d'une
expertise en matière d'ingénierie sociale. Elles dépendent tout autant des
rapports qu'ils entretiennent avec leur formation politique. En ce sens, s'il y a
quelque chose chez eux qui ressemble aux notables, cela est lié à leur
propension à regrouper une partie de leurs militants à l'écart du parti et à les
rétribuer au travers d'initiatives bénévoles.
26. P. Douste-Blazy qui a pris sa succession a poursuivi la même politique. Sur ce point,
cf. Fretel (J.), « La pérennité de l'héritage centriste », in Dolez (B.), Laurent (A.), dir., Le vote des
villes, Paris, Presses de Sciences Po, 2001.
27. Très tôt, D. Baudis a fait partie des Jeunes MRP dans les années 1960 puis a été un dirigeant
national du CDS et de l'UDF. En 1991, il a échoué de peu à la présidence du CDS. Rien dans ce
parcours militant ne ressemble à la carrière typique du notable - excepté peut-être le fait qu'il a
succédé à son père à la mairie de Toulouse.
28. Outre un Parti socialiste important et une extrême gauche largement ramifiée, le parti gaulliste
n'est pas en reste, loin de là, avec ses adhérents (400 environ à Toulouse), ses multiples clubs de
pensée (Club 89 notamment) et son influence dans le secteur aéronautique à travers le syndicat FO
et la CGC. Les forces partisanes toulousaines pèsent beaucoup dans la configuration sociopolitique
de la ville.
/ Le parti comme fabrique de notables 57
en France et à l'étranger. Plusieurs fois par an, dans la salle des congrès, elle
est réunie pour fêter le passage à la nouvelle année ou la galette des rois, le
début de la période estivale ou la rentrée scolaire. Lorsque les échéances
électorales s'annoncent, ses dirigeants n'hésitent pas à ajouter d'autres
rendez-vous. A chaque fois, la cérémonie respecte le même protocole en
débutant par un discours du maire qui sera suivi par un « pot de l'amitié ».
Cette association qui a son pendant à Paris avec 1'« Association des
Toulousains de Paris », a été créée en 1983, quelques mois après la première
élection de D. Baudis. Dans son esprit, il s'agissait de conserver l'ensemble
des soutiens qui l'avaient aidé pendant sa campagne et dont le slogan était
d'ailleurs : « Toulouse pour tous ». Au fur et à mesure, cette structure d'une
centaine de membres a été étoffée pour rassembler des chefs d'entreprise,
des artistes locaux, des mécènes de la culture, des sportifs (rugbymen
surtout), certains journalistes et un nombre important d'anonymes -
appartenant souvent aux milieux populaires - honorés de rejoindre ce cercle
mondain. Pour ces derniers, l'adhésion s'est faite à la suite d'avantages reçus
par les services de la mairie :
« Quand on donne un coup de main, que l'on fait avancer un dossier pour un
logement, pour une place de crèche, quand on sort un gosse de problèmes
sociaux ou judiciaires, les gens veulent nous remercier. Je n'ai pas besoin de
leur dire ce qu'ils doivent faire. Ils savent qu'ils peuvent adhérer à "Toulouse
pour tous" et d'ailleurs ce sont eux qui le demandent29. »
29. Entretien avec l'une des deux responsables à plein temps de la gestion de « Toulouse pour
tous ». Toutes deux sont rattachées au cabinet du maire (février 2001).
58 Politix n° 65
31. J.-M. Lemétayer est entre autres le président de la FNSEA. Il a été pendant quelques années
adhérent du CDS.
32. Hervé Le Brun a été candidat UDF une première fois en 2001 à l'occasion des élections
municipales contre le maire de Rennes Edmond Hervé. Entretien, février 2002.
33. Il a été aussi le président des adhérents directs - l'une des composantes de l'UDF - du Lot-
et-Garonne jusqu'en 2002. De même, au cours d'un entretien, il nous a confié qu'il s'était
appliqué à placer certains de ses alliés à la tête des autres formations de l'UDF départementale
pour être sûr de garder son poste de président (« J'ai fait en quelque sorte du saupoudrage entre
Force démocrate, le PR, le PPDF et le PSD. Comme ça, j'ai eu la paix »).
Le parti comme fabrique de notables 61
qui est réservé à leurs leaders, doivent aussi leur plasticité à ce qui se joue
dans les arènes du parti et à l'histoire des coups échangés entre tous ses
dirigeants. Selon le sens et l'issue des affrontements pour l'obtention des
postes dirigeants, ces groupements tiennent lieu de base arrière, de lieu de
repli ou de vivier partisan. Ils sont inscrits dans l'ensemble des
interdépendances qui délimitent ce qu'il convient d'appeler la configuration
sociale du parti centriste.
Ces cas de figure rapidement évoqués - et qui auraient pu être multipliés
tellement ces modes de faire caractérisent l'activité des élus de la droite
modérée - permettent de mettre en exergue quelques-unes des propriétés
d'ordre notabiliaire que l'on peut imputer aux élus UDF dont il vient d'être
question. En premier lieu, ces élus sont les fondateurs d'associations à
vocation sociale ou culturelle et bénéficient en retour d'une image publique
de leader dont la légitimité repose sur l'aptitude à « faire » ou à se rendre
généreux, plus qu'à représenter abstraitement leurs concitoyens. Ils sont
perçus comme des « faiseurs de projets » salvateurs pour une ville ou pour
un département. En second lieu, l'animation de ces projets de grande
ampleur à l'échelle d'un territoire les autorise à s'engager dans de nombreux
échanges politiques qui rendent possibles la distribution personnalisée de
faveurs matérielles et de signes de reconnaissance. Enfin, il est clair que loin
de leur assurer une carrière politique solitaire, ces mobilisations sociales
permettent à leurs initiateurs de contrôler avec précision les enjeux
proprement partisans. Ce qui signifie que leur notabilisation ne s'oppose pas
à un destin dans le parti. Bien au contraire, elle est le plus fréquemment un
des moyens pour ces dirigeants d'incarner mieux que d'autres l'idéal
partisan.
II peut être tentant d'interpréter ces carrières notabiliaires comme étant le fait
d'un personnel politique socialement et économiquement privilégié. C'est en
général un des présupposés que véhicule le terme de notable. Nos analyses
concernant les dirigeants de l'UDF nous invitent pourtant à ne pas céder à
cette hypothèse restrictive. Surtout, elles nous incitent à ne pas déduire
mécaniquement leurs manières de vivre, les façons dont ils exercent le métier
politique, etc., de leurs origines sociales. On s'interdirait autrement de
comprendre pourquoi nombre d'entre eux sont issus de milieux plutôt
modestes. Pour tenter de saisir pourquoi ces agents sociaux ont fini par se
comporter en notable, il nous paraît donc plus judicieux de nous arrêter sur
certains aspects de leur parcours où l'apprentissage de savoir-faire militants
paraît plus décisif que le seul héritage économique ou réputationnel - si tant
est qu'il soit possible d'isoler statistiquement ces deux facteurs et d'en mesurer
exactement l'influence. Sans conteste, leur éducation religieuse, leur
Le parti comme fabrique de notables 65
38. Ces données ont été élaborées par nos soins à partir des biographies officielles des députés,
disponibles aux services de documentation de l'Assemblée nationale (à savoir les fiches
individuelles fournies par l'administration, complétées dans certains cas par des données tirées
de la revue Profession politique).
66 Politix n° 65
39. Nos résultats qui portent sur la douzième législature sont à peu près identiques, à ceci près
que la catégorie des agriculteurs et celle des professions libérales ont diminué. Cependant, cette
tendance, voire cette normalisation, est à analyser avec prudence étant donné que le groupe
UDF à l'Assemblée nationale ne compte désormais que trente députés.
40. En ce qui concerne les élus de l'UDF, ils ont été assistants parlementaires ou collaborateurs
d'élus dans telle ou telle collectivité territoriale ; 20 % d'entre eux ont été salariés dans un parti
politique de façon plus ou moins intermittente.
Le parti comme fabrique de notables 67
Notre démarche ici ne consiste pas à nier le poids des origines sociales.
Celles-ci sont déterminantes. Cependant, elles n'épuisent pas les raisons qui
font des élus de l'UDF des agents politiques qui exercent leur profession de
façon assez indépendante en puisant une bonne part de leurs ressources
dans des réseaux autres que partisans. Nous pensons qu'il faut plutôt
rechercher les causes de leur réussite et de leur manière de se comporter en
41. Ce tableau a été réalisé à partir des données concernant, pour la période 1997-2002,
l'ensemble des députés et sénateurs UDF (N = 132) et des présidents des 95 fédérations
départementales du parti qui ne sont pas parlementaires (N = 33), soit un échantillon total de
165 personnes. Notons que les 65 membres du comité exécutif de l'UDF sont soit parlementaires
(55), soit présidents de fédération (10). Ces données proviennent des réponses à un
questionnaire (92 réponses) ainsi que d'entretiens (80) auprès des cadres dirigeants de l'UDF,
complétés par des informations fournies par la direction de l'UDF.
68 Politix n° 65
« Quand j'ai pris la fédération, ça vivotait. J'ai tout relancé et puis j'ai fait de
l'animation, des dîners-débats, des actions dans la ville. Il fallait que les gens
nous voient et nous connaissent, nous avions perdu l'âme militante.
Aujourd'hui, j'ai réussi à remettre de l'ordre et de la joie. Les jeunes que j'ai
amenés y sont pour beaucoup. Maintenant, notre section fait peur à droite. Ils
sont étonnés de voir des centristes aussi actifs et nombreux. Mais je vais vous
dire, il ne faut pas avoir peur de passer l'aspirateur ou de faire les carreaux là-
dedans. Soit on le fait, soit il n'y a rien42 ! »
Faire venir des adhérents en reversant une partie de leurs réseaux associatifs
dans le parti, créer de la convivialité, exhorter les membres de l'UDF locale à
se saisir des problèmes qui traversent le territoire, assumer d'une façon ou
d'une autre les charges d'activité de la fédération et réinsérer l'organisation
dans une formation sociale locale, etc., tels ont été les mérites reconnus à ces
nouveaux entrants par leurs mandants. Ces arrivées triomphales dans le
parti, sans nul doute, sont au principe d'une représentation héroïque du rôle
de dirigeant. Les efforts que ces derniers ont consentis pour redonner à leur
mouvement toutes les marques institutionnelles socialement reconnues aux
groupements politiques les convainquent qu'ils sont les uniques dépositaires
du label partisan. Ces expériences singulières, au cours desquelles ont été
actualisées de fortes dispositions sociales à produire de l'action collective, les
ont définitivement conduit à penser qu'ils ne doivent rien à leur
organisation mais bien au contraire qu'ils lui ont gracieusement tout donné.
Cette conviction tenace s'accorde d'autant mieux avec leurs pratiques
notabiliaires qu'ils se vivent comme des agents politiques indépendants qui
veillent à consolider les frontières symboliques et pratiques des groupes
sociaux qu'ils animent. Ne rien devoir au parti justifie donc de ne pas tout
mélanger. Et ce d'autant plus que les élus UDF que nous avons étudiés sont
persuadés que leur existence publique tient beaucoup plus à ce qu'ils savent
faire au sein de la société civile qu'à ce qu'ils peuvent attendre de leur parti.
L'extrait d'entretien suivant, avec H. Morin, en offre une illustration :
« Cette association [l'"Association pour la réunification de la Normandie"],
c'est mon assurance-vie politique. Si je mets tout dans le parti, je prends le
risque de tout perdre. Et en plus, cette association n'a plus de sens. Si ça va
mal pour moi, je ne peux plus rien faire. Il faut apprendre à être autonome,
surtout à l'UDF où on ne sait jamais si nous allons tenir longtemps ensemble.
Vouloir réunifier la Normandie, et j'y crois, c'est tout de même plus positif
pour les citoyens que d'être président de la fédération UDF dans l'Eure,
non ? »
42. Entretien réalisé en septembre 2002. G. Artigues est adjoint au maire de Saint-Etienne,
chargé des associations et de la démocratie locale. Il est député UDF de la première
circonscription de la Loire. Dans la ville stéphanoise, cet ancien professeur d'histoire-
géographie de l'enseignement catholique est notamment connu pour ses initiatives en faveur
des jeunes des paroisses. Sur le modèle du Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ), il a créé
l'association « Jeunes pour la foi » qui rassemble plus d'une centaine de membres.
Le parti comme fabrique de notables 71
Ainsi, vu sous cet angle, on peut considérer que le parti centriste, en raison
des croyances et des savoir-faire qui sont partagés par ses membres et des
règles qui définissent son inscription sociale dans des territoires donnés,
favorise l'émergence d'un personnel politique fortement notabilisé. Elle
suscite en quelque sorte des destins héroïques en désignant des individus
réputés pour leurs qualités d'entrepreneurs de cause et, à l'image de certains
catholiques, particulièrement habiles dans la gestion différenciée du social et
du politique45. Pour autant, il serait inexact d'affirmer que l'UDF est la seule
formation politique à susciter ce genre de vocation au métier d'élu. Il serait
intéressant alors de montrer comment on devient « notable » dans d'autres
partis politiques pour saisir avec encore plus de finesse les mécanismes qui
sont à l'œuvre dans la production partisane de la notabilité.