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QUAND LA POLITIQUE FAIT APPEL AU CYNISME.

ESSAI SUR LA RELATION


ENTRE POLITIQUE ET ETHIQUE AU SENEGAL.

Par Serigne SYLLA


Master 1 Sociologie, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Sénégal.
serignesylla@gmail.com
http://serignesylla.unblog.fr

Effectivement, les interrogations sur la politique restent très abondantes. Dès lors, au
moment où certaines se sont intéressées à son exercice et ses conséquences sur la vie sociale,
d’autres se sont questionnées sur la problématique inhérente à sa conceptualisation. Effet, il
importe de noter que ce notion et/ou ce concept demeure un terme passe partout. Toutes les
sciences humaines et sociales s’en servent pour des problématiques épistémiques qui se
découvrent très différentes pour ne pas dire conflictuelles. Cela vient de confirmer notre
assertion de base qui prend la « politique » comme un objet dynamique et aléatoire.

Si l’on en croit Maurice Duverger, « la politique est d’une part une lutte, un combat
entre des individus et des groupes, pour la conquête d’un pouvoir que les vainqueurs utilisent
à leur profit et au détriment des vaincus, et d’autre part, en même temps, un effort pour
réaliser un ordre social qui profite à tous ». Cette définition nous a fourni deux conceptions
de l’activité politique. D’une part la politique est une action orientée à la lutte et au conflit
guidée par une rationalité se positionnant aux antipodes de l’éthique. D’autre part, elle peut
être considérée comme une entreprise de gestion de la cité et de garant de la stabilité et de la
cohésion sociale.

Par ailleurs, l’éthique peut être définie naïvement comme tout ce qui a trait à la morale
et la vertu. Elle est l’ensemble des conduites et règles qui orientent l’action de l’individu à
faire le bien et à éviter le mal.

Dès lors, l’actualité pousse aujourd’hui à s’interroger sur la relation entre la politique
et l’éthique dans un cadre général et plus particulièrement au Sénégal qui vient de traverser
une phase importante de son histoire politique.

L’année 2012 constitue indubitable une étape cruciale de l’histoire politique du


Sénégal. En effet, en plus d’avoir enregistré deux élections1 très importantes pour le devenir

1
E , le S gal a o u deu tours d’ le tio pr side tielle 7 f vrier et 5 Mars et des le tio s
er
législatives (le 1 Juillet).
1
d’un pays, elle a offert une autre configuration du champ politique sénégalais et un visage
typique du Sénégalais.

LES POLITIQUES ET LE POUVOIR

 Le pouvoir à tout prix :

Le pouvoir politique est probablement l’appareil le plus prestigieux d’une nation. Cela
étant, sa conquête n’est pas quelque chose dans laquelle l’on s’investit n’importe comment.
Elle demande des moyens à la hauteur, des ressources humaines et financières. Elle exige
aussi une expertise. Elle demande de parler à des publics différents et hétérogènes. Dès lors, si
cela peut sembler facile, les convaincre pour espérer d’eux une confiance peut rester quand
même un travail laborieux. Ce phénomène parait ainsi être compris par bon nombre d’acteurs
politiques. En effet, chacun a manifestement une propre stratégie pour mener des actions
politiques à part quelques rares exceptions du fait d’idéologies partagées.

Par ailleurs, nous avons vu que la méthode la plus partagée est la descente sur le
terrain, aller à la rencontre des populations leur présentant un programme. Cependant, celle-ci
n’était pas la seule stratégie. D’autres y associent d’autres moyens qu’ils jugent très rationnels
car pouvant leur permettre l’accès à l’appareil politique suprême. C’est pourquoi, si nous
prenons le cas du Sénégal, nous pouvons noter le tour des familles ou foyers religieux2. De ce
fait, la quête de consignes de vote ou d’un « Ndigël » pouvant venir d’un chef religieux fait
toujours couler beaucoup d’encres et salives. Elle devient à cet effet le maître-mot des débats
politiques au Sénégal à chaque période pré-électorale. Ainsi, c’est cette relation de compromis
que l’homme politique sénégalais tente toujours d’avoir avec le pouvoir religieux et qui a été
plus noté sous le magistère d’Abdoulaye Wade (2000-2012) que Alioune Badara Diop évoque
comme une des « dérives du ‘’Sopi’’ »3. Ceci remet en cause, selon lui, les fondements de la
démocratie représentative.

En plus, il importe, semble-t-il, de noter que ces actions ne sont pas seulement
orientées aux citoyens mais aussi à leurs pairs. Chacun profite de ce moment pour divulguer
les tares réelles ou supposées de ses adversaires. Autrement dit, c’est la période préférée pour
se traiter tous de tous les noms d’oiseaux. Nous nous souvenons encore des nombreuses
2
Ce ph o e a t surtout ot lors du deu i e tour de l’ le tio pr side tielle de . Il faisait partie
des stratégies des candidats surtout le président sortant de faire le tour des familles des chefs religieux.
3
DIOP A. B., « Nation, identité et ito e et au S gal. Histoire et e jeu d’u e i stitutio alisatio de la
d o ratie repr se tative et d’u e o stru tio de l’espa e pu li », in Revue sénégalaise de sociologie,
n°07/10, Janvier 2004/2010, p. 422.
2
accusations qui viennent de tous les côtés. Leur mot d’ordre semble donc être le pouvoir à
tout prix.

Partant, si l’on interroge la sociologie de Vilfredo Pareto, ce phénomène peut ne pas


poser problème à la compréhension. En effet, Pareto, avec son concept d’ « optimum social »
nous renseigne sur le fait que parfois la réussite d’individu dans ses entreprises peut dépendre
de l’échec de l’autre. De ce fait, ces deux peuvent entrer en conflit et chacun se servira des
moyens qui sont à sa portée afin d’optimiser ses chances pour sortir vainqueur.

Cependant, dans un autre registre, ne peut-on pas considérer ces phénomènes comme
seulement la partie visible de l’iceberg ? De fait, si l’on se réfère à un politiste, Smith,
l’ennemi politique n’est qu’un ennemi public. Autrement dit, il peut ne pas être celui qu’on
haït en privé. Il peut être un parent, un ami, etc. Cela nous pousse dès lors à poser une
hypothèse selon laquelle, les hommes politiques ne sont pas, pour la plus grande partie, des
ennemis mais des partenaires déguisés en adversaires. Donc, pourquoi le peuple alors ? Ceci
revient à appeler la masse à plus d’attentions afin de pouvoir cerner la logique d’action de ces
acteurs.

Comme autre phénomène jugé très étique, noté souvent durant les périodes de
campagnes électorales surtout en Afrique, reste la fameuse histoire de sacrifices humains et
des assassinats4. En tout cas, même s’il n’existe pas encore une lumière sur ce phénomène,
beaucoup de sang a coulé et continue de couler et toujours les commanditaires et les motifs
restent ignorés. Mais ce qui est sûr et certain est que les politiciens demeurent les principaux
suspects.

Par conséquent, l’analyse qualitative de ces interactions notées entre les hommes
politiques manifestées de même dans les discours pré-électoraux confirme que la course au
leadership serait carrément contraire à la morale.

 Le « nomadisme » politique :

La transhumance des hommes politiques aussi est un fait caractéristique du champ


politique sénégalais. Nous sommes toujours témoins des alliances qui se font et se défont et
même parfois se refont et plus souvent de manière très éphémère.

4
Ce ph o e ’est souve t noté que durant les périodes précédant des élections.
3
Partant de ce constat, les hommes politiques sont pour la plupart sans référence
politique. En effet, nous voyons souvent d’acteurs politiques formés à l’école marxiste-
communiste rejoindre le camp des libéraux et vice versa. Ce qui nous amène à avancer l’idée
que les systèmes d’alliances notés dans l’arène politique ne sont pas tous guidés par la
conviction et une vocation de politique mais plutôt par l’intérêt personnel et une rationalité
instrumentale qui ne fixent leurs regards que sur le résultat final de leurs actions. D’ailleurs, si
l’on se réfère à Adolphe Dansou Alidjinou, ce fait date de longtemps. De fait, il faisait partie
de la stratégie du président Senghor de mettre en place un processus d’ « assimilation
réciproque ». Selon lui, « En 1966, des hommes n’appartenant pas au départ au parti du
Président accèdent au gouvernement à la suite de la fusion de leur parti avec celui du pouvoir
en place »5.

De surcroît, pour saisir la cause efficiente de ce phénomène, la conception


wébérienne6 sur le métier de politique semble très pertinente. Selon le sociologue allemand,
tout homme politique doit éviter de vivre « de la politique » pour vivre « pour la politique ».
Cela veut dire que l’homme politique doit être « économiquement disponible » et
indépendant. Il ne doit aucunement dépendant des revenus que son activité politique
« pourrait lui procurer ». Pour ce faire, il doit trouver à côté de son « métier d’homme
politique » une autre activité pouvant lui permettre d’avoir des revenus. A défaut de cela, il ne
lui reste que faire le tour des familles politiques en visant toujours celle qui est au sommet.

De ce fait, nous pouvons en déduire que la politique n’est pas un métier qui suppose
une activité régulière pour gagner sa vie mais plutôt un service à rendre à la république pour
diriger ou contribuer à son développement et à son rayonnement. Cependant, cela reste rare au
Sénégal, pays où la politique demeure la principale source de revenus de beaucoup d’acteurs
politiques. C’est pourquoi, ayant comme seule arme la parole, ils occupent toujours la Une
des médias. En réalité, pour la plupart d’entre eux, ils n’ont pas d’autres préoccupations autres
que la politique. Ainsi, un proverbe wolof l’explique bien : « ku woddo lamégne bu noppé
raflé »7.

Ces faits très révélateurs devraient être un moyen pour le peuple d’avoir une meilleure
compréhension du comportement de leurs hommes politiques.

5
ALIDJINOU Adolphe Dansou, « Militantisme et accès à la dignité gouvernante au Sénégal de 1960 à nos jours :
le désenchantement dans la continuité » in Revue Sénégalaise de Sociologie n°07/10, Janv. 2004/2010, p. 375.
6
Weber M., Le Savant et le politique, 1919.
7
Qui fait de la parole son habit, se taire lui vaudra la nudité.
4
En conséquence, il semble que les politiques sénégalais n’ont aucune connaissance de
ce que Max Weber, appelle « l’éthique de la conviction ». Weber a présenté deux conceptions
de l’homme politique. Pour ce sociologue, il y a d’abord celui qui agit toujours en fonction de
choix éthiques, celui dont les actions sont toujours guidées par la morale : c’est « l’éthique de
la conviction ». Il y a ensuite « l’éthique de la responsabilité » qui caractérise l’homme
politique conduit par des actions contraires à la morale mais conformes aux objectifs
politiques poursuivis : la fin justifie les moyens. Ainsi, Weber conclut que ces deux
conceptions ne sont pas absolument contraires, mais elles se convergent et constituent
ensemble l’homme politique authentique.

Cette analyse fait savoir, en fait, qu’au Sénégal, il n’est pas encore trouvé cet homme
authentique qui a la « vocation pour la politique » pour citer Weber8. Car, ce qui se laisse voir
est que le politique sénégalais est celui qui est uniquement animé par cette « éthique de la
responsabilité ». Ce qui l’amène toujours à agir de manière cynique.

LE POLITIQUE, LES CITOYENS ET L’ARGENT

L’autre phénomène qui joue un grand rôle dans le champ politique est l’argent, le
« putain universel » dixit Karl Marx.

Il est remarqué qu’il fait partie des stratégies de beaucoup d’hommes politiques de
procéder à ce qu’on appelle « l’achat de conscience ». Cela consiste à se servir de l’argent
pour influencer les choix électoraux des citoyens. Cet outil est souvent aussi utilisé pour
semer l’éparpillement au sein d’une même collectivité et en profiter pour diviser des
communautés : « Diviser pour mieux régner », soutiennent certains. Mais ce phénomène ne se
limite pas seulement au niveau des « simples citoyens » qui restent toujours en proie de la
corruption. Pis, il connait, de nos jours, une plus grande échelle. De ce fait, les élections sont
l’occasion de voir certains chefs religieux carrément érigés en directeur de campagne d’un
candidat et n’hésitent point à donner des consignes de vote en faveur de celui-ci.

Par conséquent, l’argent devient maintenant une des principales armes de guerre des
hommes politiques sénégalais. Et le peuple, restant toujours hypnotisé et berné par les
discours politiques cajoleurs, l’accepte en le prenant pour normal et naturel. Beaucoup de
personnalités charismatiques se sont ainsi laissées démystifiées par leur « cupidité » de cet
outil que la majeure partie prend pour une fin en soi. Partant, il continue d’affaiblir et de

8
Weber M., idem.
5
détruire les normes et valeurs sociales (ngor, djom, kérsa 9, etc.) qui constituent le socle et le
ciment de la société sénégalaise.

Aussi, parler de ‘‘milliard’’ devient-il un fait presque banal. L’argent ne manque


toujours pas de montrer sa puissance destructrice. Il a beaucoup contribué à la
« désacralisation » d’un bon nombre de leaders d’opinion au Sénégal.

Enfin, il est important de noter que l’année très politique 2012, en plus d’avoir permis
manifestement une seconde alternance politique au Sénégal, montre dans une autre facette,
peut-être de manière latente, que tout le monde aime l’Argent.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ALIDJINOU Adolphe Dansou, « Militantisme et accès à la dignité gouvernante au Sénégal de


1960 à nos jours : le changement dans la continuité. », in Revue sénégalaise de Sociologie,
N°07/10, UGB, Janvier 2004/2010, pp. 335-383.

DIOP Alioune Badara, « Nation, identité et citoyenneté au Sénégal. Histoire et enjeux d’une
institutionnalisation de la démocratie représentative et d’une construction de l’espace
public. », in Revue sénégalaise de Sociologie, N°07/10, Janvier 2004/2010, pp. 385-444.

TINE Antoine, « Cours de Science politique » de L1 et L2 Sociologie, UGB, 2009/2010.

WEBER Max (1919), Le savant et le politique, Edition électronique réalisée par Jean-Marie
Tremblay.

9
Ces concepts signifieront respectivement : dignité, bravoure, discrétion.
6

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