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politique
Gaxie Daniel. Économie des partis et rétributions du militantisme. In: Revue française de science politique, 27ᵉ année, n°1,
1977. pp. 123-154;
doi : https://doi.org/10.3406/rfsp.1977.393715
https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1977_num_27_1_393715
Abstract
PARTY ECONOMY AND REWARDS FOR MILITANCY, by DANIEL GAXIE
Political parties spread, often successfully, the ideology of the devoted and disinterested militant.
Partisan activity is described in such cases as action in support of a cause. However, analysis of the
workings of political organisations points to the existence of mainly symbolic rewards. In addition to
positions in the machinery of State and official internal responsibilities, parties do in fact provide their
members with opportunities of social advancement and, above all, integration. These bonuses explain
in turn the structural characteristics of parties such as the strong organisation, the strict hierarchy, the
role of ideology and the small size of basic units in collective organisations. They also throw light on the
laws governing the way they work, in particular the factors affecting membership or militancy and the
logic behind splits or the constitution of factions.
[Revue française de science politique XXVII (1), février 1977, pp. 123-154.]
ÉCONOMIE DES PARTIS
ET RÉTRIBUTIONS DU MILITANTISME *
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C'est ainsi que le leader est élu par le groupe parlementaire et les
membres du gouvernement ou du shadow cabinet sont désignés selon les
partis par le leader ou le groupe parlementaire, que le chef conservateur
a la responsabilité exclusive de la formulation de la politique de son
parti alors que, dans ce domaine, les parlementaires travaillistes « reçoivent
les conseils qu'ils veulent entendre » 4 des organes nationaux du parti
dont ils ont d'ailleurs le contrôle effectif et définissent en réalité eux-
mêmes le programme du Labour.
Au-delà des particularités de l'exemple britannique, tous les partis
connaissent à des degrés divers et sous des formes variées l'omnipotence
et l'indépendance de leurs chefs et une soumission de leur
fonctionnement aux objectifs de ces derniers.
La tendance à l'oligarchie analysée par Roberto Michels résulterait
ainsi directement de la réalité objective de tout parti comme entreprise
de conquête des moyens de domination politique par et pour leur groupe
dirigeant.
Mais la définition wébérienne conduit alors à se demander comment
les dirigeants vont réunir les moyens nécessaires à cette entreprise et
s'assurer notamment les concours humains indispensables à l'exécution des
tâches politiques.
Dans les sociétés occidentales où la conquête des moyens de
domination politique s'effectue à travers l'élection aux postes de direction de
l'appareil d'Etat, on sait que les hommes politiques ont, jusqu'à présent,
trouvé trois types de réponse à ce problème5.
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campagne. C'est par ces moyens que sont également recrutés les
spécialistes des « relations publiques », les professionnels des sondages, des
communications de masse, des campagnes de publicité ou des
circonscriptions livrées « clés en main ».
Cette façon de procéder est rationnelle en ce qu'elle permet à des
candidats à des postes étatiques électifs, de recruter un personnel
intérimaire en fonction des besoins, sans consacrer une part importante de
leur énergie et de leur temps à créer et à animer une organisation
complexe et permanente qui n'est vraiment utile qu'en de rares occasions.
Ce type d'organisation suppose par contre des moyens financiers
importants qui expliquent peut-être en partie que ses dirigeants soient
généralement issus des groupes sociaux dominants et en expriment les
intérêts.
Une deuxième méthode consiste à s'assurer les services d'un
personnel permanent en échange d'un emploi à la discrétion du parti. On aura
reconnu le parti de patronage qui réserve à ses membres les nombreux
postes de l'appareil administratif soumis à l'élection6, utilisés dès lors
comme rémunération indirecte de l'activité proprement politique des
adhérents. Ces derniers se trouvent ainsi attachés (au double sens) à leur
parti et fournissent, au moment des consultations électorales ou chaque
fois que cela apparaît nécessaire, les concours nécessaires à la conquête
et à l'exercice du pouvoir politique par les dirigeants.
Ce type de parti ne peut évidemment fonctionner que si un grand
nombre de postes administratifs subalternes sont pourvus par voie
d'élection ou sont laissés à la discrétion du parti en application du
système des dépouilles. On comprend alors qu'il ait tendu à décliner au
fur et à mesure que la généralisation des règles de recrutement propres à
la fonction publique tendait à faire disparaître le type d'échange sur
lequel il reposait.
Enfin, pour les organisations politiques qui ne peuvent pas
rémunérer leurs collaborateurs ou recourir au patronage, il n'est d'autre
solution que de créer une organisation de masse regroupant des militants
animés par la défense d'une « cause ».
Adhérant fortement aux objectifs de leur parti, ces militants vont se
consacrer au développement de son implantation politique et électorale
tout en contribuant à son financement.
L'attachement à la cause, la satisfaction de défendre ses idées,
constituent ainsi des mécanismes de rétribution de l'activité politique au
même titre que la rémunération financière ou l'obtention d'un emploi. A
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7. Sur ces problèmes, nous nous permettons de renvoyer à notre thèse : Gaxie
(Daniel), Indifférence et politisation, Thèse pour le doctorat en science politique, Paris,
Université de Paris I, 1975, 843 pages, reprogaphié.
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8. Ainsi, alors que plus de 20 °?o des personnes en âge de voter adhèrent à un parti
politique en Norvège ou en Grande-Bretagne, 3 °7o des Britanniques et 4 % des Norvégiens
participent d'une manière active aux campagnes électorales. Sur ce point, cf. Rokkan
(Stein), Campbell (Angus), « Norvège et Etats-Unis d'Amérique », Revue internationale
des sciences sociales, XII, 1, 1960, p. 88 ; Rose (Richard), Politics in England, Boston,
Little, Brown and company, 1964, p. 89 ; Butler (David), Stokes (Donald), Political change
in Britain, London, MacMillan, St-Martin's Press, 1969, p. 25.
9. Barnes (Samuel H.), Party democraty and the logic of collective action, in Crotty
(William J.) editor, Approaches to the study of party organization, Boston, Allyn and
Bacon Inc. 1968, pp. 105-138.
10. Olson (Mancur), The logic of collective action. Public goods and the theory of
groups, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 4e éd. 1974, (lre éd. 1965),
186 pages.
1 1 . Samuel Barnes a procédé à une tentative de ce genre dans son article déjà cité.
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Conquête des postes et créations d'emplois
14. Le rôle joué par les employés communaux au sein du mouvement ouvrier français
est bien connu. Claude Willard note par exemple qu'ils représentent déjà 10 °7o des
adhérents du parti ouvrier français à Lille et 16 % à Narbonne entre 1892 et 1900.
Cf. Willard (Claude), « Contribution au portrait du militant guesdiste dans les dix
dernières années du 19e siècle », Le Mouvement social, 33-34, oct. 1960 - mars 1961, pp. 55-
66.
15. L'observation d'une organisation étudiante de base d'un parti français fait
ressortir que plus du quart des militants, parmi les plus actifs, avaient trouvé leur premier
emploi à l'intérieur du parti.
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20. Sauf si l'organisation leur fournit des gratifications ou remplit des fonctions
indépendantes de la position hiérarchique. Sur ce problème, cf. infra.
21. Rappelons par exemple que plus de la moitié des adhérents du parti communiste
français, en 1976, ont adhéré depuis 1968.
22. Ainsi peut-on comprendre que les effectifs du parti communiste français soient
restés à peu près stables sous la Cinquième République malgré plusieurs dizaines de
milliers d'adhésions chaque année.
23. Que l'on songe à l'explication de la chute des effectifs du PCF sous la Quatrième
République par la guerre froide, les révélations du XXe congrès ou les événements de
Hongrie.
24. La chute des effectifs des partis français sous la Quatrième République peut être
ainsi déduite des conditions mêmes de l'adhésion à la Libération.
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25. Bien que les partis fortement disciplinés et les organisations divisées en tendances
soient généralement opposés pour des raisons politiques, leurs organisations contribuent
également à la rétribution du militantisme et présentent ainsi des homologies
fonctionnel es. De la même façon, les scissions ou la prolifération des petites sectes politiques peuvent
s'expliquer par les exigences de la rémunération des activités partisanes et peuvent donc
être considérés comme des équivalents fonctionnels de la stricte hiérarchie des partis
disciplinés.
26. Les délégations nationales du parti socialiste français paraissent répondre à une
nécessité de cet ordre.
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27. Cette caractéristique des partis de masse a été soulignée par Maurice Duvercer.
Cf. Duverger (Maurice), Les partis politiques, Paris, A. Colin, 8e éd., 1973, pp. 59 et
suivantes.
28. La subordination du groupe parlementaire à la direction du parti que l'on
constate par exemple dans les partis communistes ne peut donc être imputée à un effet
miraculeux de l'idéologie ou à la vertu disciplinaire de la « discipline » mais résulte d'un
ensemble de mécanismes qui tendent à maximiser le rendement symbolique des postes de la
hiérarchie interne et à dévaloriser les fonctions parlementaires aux yeux des membres du
parti comme à ceux des titulaires de ces fonctions. Il n'est qu'à reprendre la liste
(incomplète) des mécanismes de différenciation des gratifications énumérée plus haut pour
voir que les parlementaires communistes retirent beaucoup moins de satisfactions de
l'exercice de leur mandat que les membres du bureau politique ou la plupart des membres du
comité central.
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29. C'est ainsi qu'Olgierd Lewandowski a pu vérifier à travers une étude du Who's
who que « les parlementaires sont en bas de toutes les hiérarchies établies à partir des
grandes caractéristiques objectives, origine sociale, niveau scolaire, origine géographique
[et qu'ils] constituent ainsi une des rares catégories ... où l'on puisse trouver des
personnalités cumulant tous les désavantages, naissance provinciale, origine populaire, absence
d'études supérieures ». Cf. Lewandowski (Olgierd), « Différenciation et mécanismes
d'intégration de la classe dirigeante », Revue française de sociologie, XV, 1, janv.-mars
1974, pp. 62-63.
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31. L'hypothèse d'une telle relation a été formulée par Maurice Duverger qui n'en a
toutefois pas fourni de vérification empirique ni d'explication. (Cf. Duverger (Maurice),
op. cit., pp. 34 et suivantes). Dans une recherche portant sur 277 partis et 77 pays,
Kenneth Janda a montré que cette relation pouvait être considérée comme vérifiée puisque
68 % des partis qui adoptent le principe du comité se limitent à la participation électorale,
contre 2 % de ceux qui sont organisés en section et 5 °/o de ceux qui reposent sur des
unités de base du type cellule ou milice. A l'inverse, le pourcentage des partis dont
l'activité plus importante et plus diversifiée ne se limite pas aux tâches électorales et inclut un
travail d'éducation politique voire les prestations de certains services sociaux passe
respectivement de 0 °7o, à 13 °7o et 60 °7o. Cf. Janda (Kenneth), « Retrieving information for a
comparative study of political parties », in Crotty (William J.) editor, Approaches to the
study of party organisation, Boston, Allyn and Bacon Inc, 1968, p. 164.
32. Il ne s'agit évidemment ici que d'un facteur parmi d'autres. Les partis politiques
véhiculent des idéologies inégalement éloignées des modes de pensée dominants et doivent
consentir par conséquent un travail d'inculcation inégalement soutenu. C'est donc,
également, du fait des nécessités stratégiques résultant d'une position dominée que certains
doivent en permanence développer une activité politique alors que d'autres plus favorisés
peuvent se limiter aux campagnes électorales.
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33. Ce qui n'implique pas que toutes leurs actions soient rationnelles et qu'on ne
puisse trouver des comportements étrangers à la logique coûts-profits dont il faudrait alors
dégager les conditions de possibilité.
34. Bailey (F. G.), Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971, p. 58.
35. Ibid., p. 57. Bailey appelle relation morale toute relation au sein d'une équipe
animée par des convictions éthiques ou religieuses par opposition aux équipes
contractuel es dont le ressort est davantage instrumental.
36. Ibid., p. 58.
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Militantisme et orthodoxie
Ainsi, la mise en relation des gratifications perçues par les militants
et du coût de l'activité partisane permet de rendre compte de la
probabilité pour un adhérent de rester fidèle à une organisation et d'y être actif.
Nous avons, par exemple, observé que ceux qui sont les moins intégrés
dans les organisations locales37, se caractérisent par une participation
moins régulière aux réunions, un niveau d'activité plus faible, une
attitude plus fréquemment critique à l'égard des prises de position de leur
parti et une adhésion plus instable marquée par des démissions plus
nombreuses. La vérité objective du militantisme comme intégration à un
groupe peut être d'ailleurs vérifiée a contrario quand la démission d'une
organisation ou l'adhésion à un parti concurrent s'accompagnent de
sanctions sociales comme la mise en quarantaine ou l'expression d'une
hostilité marquée qui prennent toujours la forme du refus des
satisfactions symboliques associées à l'appartenance et sont d'autant plus fortes
que l'intégration a été plus intense.
De la même façon, ceux qui trouvent un emploi grâce à leur parti se
caractérisent toujours par une forte participation à son fonctionnement.
Dans ce dernier cas, tout semble se passer comme si, intensément
engagés politiquement et faute souvent de pouvoir investir dans d'autres
champs d'activités, ils s'étaient entièrement consacrés à leur organisation
adoptant ainsi l'attitude conforme, capable de maximiser la rentabilité
de leur militantisme. Plus généralement, si la plupart des perdants de la
lutte pour le pouvoir interne s'empressent de démissionner après le
dénouement des crises qui la révèlent, c'est bien que leur activité
partisane est liée à l'obtention de gratifications et, dans le cas présent, à
l'exercice de responsabilités hiérarchiques.
Nombre de stratégies concernant la participation aux activités des
organisations ou les prises de position politique doivent pouvoir ainsi
s'expliquer par l'intériorisation — souvent inconsciente — de la possibilité
de s'approprier quelque avantage non collectif. On comprendrait mieux
la logique des positions adoptées dans les controverses politiques
internes si l'on pouvait prendre en considération les avantages que chaque
membre retire de son militantisme.
L'approbation ou la critique des positions officielles, le choix d'une
tendance, la décision de provoquer une scission doivent en effet sans
doute toujours quelque chose à la comparaison plus ou moins incon-
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38. Samuel Barnes note par exemple que, au sein de la fédération d'Arezzo du PSI,
les dirigeants qui occupaient des postes de responsabilité dans la CGIL influencée par les
communistes étaient beaucoup plus favorables à l'alliance avec le PCI que les autres
responsables fédéraux (op. cit., p. 133).
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44. Bien des adhésions au parti communiste ont certainement été davantage
provoquées par l'euphorie d'une fête de L'Humanité, par la chaleureuse ambiance d'une réunion
de remise de cartes, par le souci de « plaire » à un ami ou à un parent ou de s'intégrer à
un milieu donné que par des préoccupations strictement politiques. De la même façon, si
dans l'enquête de Samuel Barnes 67 % des adhérents totalement inactifs ont au moins un
membre de leur famille inscrit au parti contre 36 °/o des militants réguliers, si les premiers
mentionnent beaucoup plus souvent que les seconds que leur adhésion a été influencée par
la famille ou par les amis et comprennent un pourcentage important de femmes faiblement
politisées, c'est bien que certaines adhésions ont été provoquées par des raisons affectives
et remplissent alors des fonctions d'intégration familiale ou sociale. Cf. op. cit., p. 122.
On comprend alors que ces facteurs viennent renforcer l'instabilité de l'adhésion et que
bien des adhérents ayant pris leur carte à la fête de L'Humanité ne deviennent jamais des
militants et même, dans certains cas, ne se présentent même pas aux réunions des
organisations de base auxquelles ils ont été convoqués.
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45. Agulhon (Maurice), La République au village, Paris, Pion, 1970, 543 pages.
Michel Offerlé nous a fait remarquer que ces institutions avaient été précédées par les sociétés
secrètes ou le compagnonnage et relayées par les sociétés de résistance, les sociétés de
production ou les chambres syndicales. On remarquera que toutes ces associations offraient
des avantages personnels à leurs membres.
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48. Leon Epstein note que Keir Hardie, Arthur Henderson et Ramsay Mac Donald
ont fondé ou rejoint le parti travailliste britannique dont ils deviendront les principaux
dirigeants après s'être vu refuser l'investiture électorale par les organisations locales du parti
libéral auquel ils ont d'abord appartenu (op. cit., p. 174).
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49. Certaines sectes politiques situées aux marges du champ politique n'en sont
pourtant pas très éloignées.
50. A la différence des autres partis qui ne sont réellement actifs que dans ces
circonstances.
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51. Op. cit., pp. 231 et suivantes. Leon Epstein soutient que, compte tenu des
conditions modernes de la concurrence politique, les partis de cadres (comme les partis
américains) sont mieux armés que les partis de masse (comme les partis ouvriers européens) qui
doivent dès lors subir une « contagion par la droite » et se rapprocher des premiers.
Cependant, faute d'analyser les mécanismes réels du fonctionnement des partis de
masse, Leon Epstein ne peut voir que cette « irrationalité » est une condition nécessaire
de leur existence et que cette « contagion par la droite » devient dès lors peu probable.
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sont plus souvent obtenues que recherchées, c'est dans la logique des
buts de l'organisation que s'opère la rémunération des services rendus.
C'est en cherchant à être les plus efficaces pour la réalisation de leurs
idéaux que les militants reçoivent les contreparties objectives de leur
activité. C'est en se voulant des « militants vingt-quatre heures sur vingt-
quatre », en se donnant totalement à ce qui constitue le but de leur vie
que les plus actifs éprouvent les grandes satisfactions que procure le
sentiment d'être « un artisan de l'histoire » et d'appartenir à un groupe
combattant pour des objectifs nobles et désintéressés. C'est enfin parce
qu'aux yeux de leurs camarades comme aux leurs, ils sont les plus
efficaces et les plus dévoués que certains se voient confier un poste de
permanent ou une responsabilité. Quand bien même chercheraient-ils
consciemment à augmenter les gratifications liées à leur activité, leur
comportement serait rapidement perçu comme « carriériste » par leurs
compagnons plus attachés aux idéaux proclamés de l'organisation, et leur
projet s'en trouverait du même coup ruiné.
En empêchant les adhérents de prendre conscience des intérêts qui
sont au fondement de leur désintéressement, le sentiment de défendre
une cause occulte donc les mécanismes d'échange sur lesquels repose
l'existence des partis de masse et contribue ainsi au fonctionnement de
ces mécanismes.
C'est parce qu'ils participent à la vie de leur organisation sans
pouvoir avouer ni s'avouer les rétributions qu'ils en retirent que les militants
vivent leur adhésion et leur action comme un engagement politique
désintéressé et c'est en ce sens précis que les mobiles politiques peuvent
être tenus pour un facteur du militantisme.
Plus l'existence d'un parti dépend des gratifications offertes à ses
membres, plus le problème de leur occultation se trouve dès lors posé et
plus l'idéologie qui définit « la cause » du parti jouera un rôle
déterminant dans son fonctionnement.
Corrélativement, plus une organisation attache de l'importance à ses
objectifs doctrinaux, moins les relations objectives qui lient l'activité
dans le parti à sa rétribution seront perçues comme telles. De même,
plus l'engagement sera intense, plus forte sera l'identification aux buts
de l'organisation et plus grande sera la probabilité que l'activité
partisane soit vécue dans la logique de la défense de la « cause » 52.
52. La force avec laquelle les partis réussissent à faire accepter leur propre idéologie
d'institution est d'ailleurs telle que cette dernière s'impose parfois en dehors de leurs
rangs.
Ainsi, lorsque des militants favorisent la nomination d'un des leurs à un poste
quelconque pour « renforcer l'implantation du parti » et lorsque leurs adversaires y voient une
tentative de noyautage, les deux conceptions font couple et ont toutes les deux pour
résultat d'empêcher la perception de l'obtention du poste en elle-même.
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