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Rimhe 007 0061
Rimhe 007 0061
Laurent BIBARD1
• les effets négatifs d’un stress individuel excessif sans partage collectif suffisant
des enjeux d’une situation et du stress qu’elle implique,
• le caractère déterminant du partage d’information et de diagnostic au sein d’une
organisation, aussi provisoire soir-elle et quelle qu’en soit la taille,
• la nécessité concomitante d’un haut niveau de compétence et d’expérience, et
d’une capacité de doute respectueux et bienveillant au sein des organisations,
• l’importance cruciale de rapports hiérarchiques souples en particulier en situations
de crises ou de situations extrêmes,
• le rôle déterminant du management sur la culture organisationnelle pour en
favoriser la capacité de prise en compte de l’incertitude dans un contexte de
complexité croissante.
La conséquence fondamentale de la prégnance ces thématiques est que le
management joue un rôle déterminant dans le degré de probabilité de sauvetage de
situations hautement problématiques voire urgente, qu’ainsi une capacité objective
de « résilience » des organisations est possible, et qu’elle est plus que hautement
conditionnée par la capacité des femmes et des hommes – autrement du management
en règle générale – à « manager » leurs organisations de manière « éclairée »
(Weick, 1998). Un management « éclairé » ou un « mindful » management au
sens des organisations à haute fiabilité revient, avons-nous montré dans l’horizon
des problématisations managériales du courant des High Reliability Organizations
(Bibard, 2012), à équilibrer continûment compétence et prise de distance eu égard
aux évidences sur lesquelles toute organisation est tôt ou tard posée. La difficulté
peut ici être décrite de la manière suivante, qui engage la thématisation de la
notion d’« éthique » organisationnelle, et nous conduit à la problématisation de
l’humanisme telle qu’envisagée en introduction. Du fait, tous postes confondus,
de la simple répétition des tâches au sein des organisations, les « routines » non
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et néo-testamentaire, et d’autre part les textes grecs et latins. Telles sont les deux
« racines » de l’Occident, dont les « humanistes » cherchent à retrouver la vérité
originaire, malgré et au travers des interprétations prohibitives qu’en donne alors
l’église pour asseoir son pouvoir et son autorité. En retrouvant cependant les textes
d’origine – c’est-à-dire dans leur langue propre – et en les traduisant, s’opère une
dynamique d’appropriation qui conduit, pour diverses raisons que nous en pouvons
donner ici, par-delà la redécouverte de la « nature » telle que les Grecs et les Romains
pré-chrétiens la comprennent et y vivent, au projet fondamental de la « maîtriser et
posséder » (Descartes, 1956). Autrement dit, le projet initial de donner sa place aux
humains en regard d’une église surpuissante, se complète d’un projet tout aussi décisif
voire plus encore que le premier, de donner sa place à l’humanité en subsumant la
« nature » sous la volonté des hommes. Très précisément, Descartes (1956, p. 188-
189) dit ceci, dans le très célèbre passage concerné de son Discours de la méthode :
« Mais sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et
que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué
jusques où elles peuvent conduire et combien elles diffèrent des principes dont on
s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher
grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien
général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir
à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie
spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par
laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des
cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous
connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même
façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres
et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention
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Une ambiguïté se glisse dans cette affirmation de Descartes, laissant penser que
l’esprit est la fin ou le but de la science, autrement dit, la connaissance pour elle-
même. Mais Descartes précise comme en passant que : « Ce qui n’est pas seulement
à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices qui feraient qu’on jouirait sans
aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent,
mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le
premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ; car même l’esprit
dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du corps, que, s’il
est possible de trouver quelques moyen qui rende communément les hommes plus
sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine
qu’on doit le chercher ». Nous avons ici une illustration décisive de la manière
d’écrire cachée de Descartes. Car qui a jamais, jusqu’à lui et ses alliés humanistes,
cherché à défendre – serait-ce par la négative – la légitimité de « jouir des fruits de
la terre » ici-bas et non d’une vie bienheureuse après la mort ? Autrement dit : en
affirmant par la négative et comme en passant que l’on peut pour autant tirer des
conséquences techniques significatives pour jouir des fruits de la terre ici-bas des
découvertes qu’autorise la nouvelle science, que pour cultiver son esprit ou l’esprit,
Descartes libère l’espace de ce nouvel usage des sciences et des techniques qu’elles
rendent possibles. Nous sommes ici au cœur de l’humanisme comme revendication
que l’humanité, par devers les autorités à la fois du dieu judéo-chrétien et de sa
« nature » ou de la nature qu’il est censé avoir créée, prenne sa place dans le monde
d’ici-bas. Car la « nature » est à la vérité à la fois ingrate et imprévisible. L’on y naît
sans doute, mais de façon fort inégale, l’on y pâtit ou souffre, l’on y tombe tôt ou tard
malade, et l’on y meurt toujours – voire l’on en meurt toujours. C’est en tout cas ce
que pensent la plupart des artistes et philosophes qui redécouvrent la nature, et qui,
par-delà l’adoption à nouveaux frais d’un œil « grec » porté sur le monde, se mettent
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Conclusion
En conclusion, donnons maintenant une version managériale de ces trois
enseignements. L’on y apprend tout d’abord que le dialogue est capital pour faire
fonctionner un collectif, qui suppose que toute opinion a un sens du moment qu’elle
est émise – ne serait-ce que comme « problème » qu’il faut considérer. Ce parti
pris méthodologique ouvre la porte à ce qu’on appelle actuellement entre autres
l’« empowerment », mais également, depuis l’affaire Enron et le Sarbanes-Oxley
Act qui en est résulté en 2002 aux Etats-Unis, à la légitimité des « whislteblowers ».
L’on peut formuler autrement en disant qu’il est capital de créer les conditions d’une
confiance suffisante au sein des organisations, des entreprises ou des institutions,
pour que quiconque s’y sente le droit – voire le devoir alors conforme à l’essence
même de l’homme au sens de Heidegger, de prendre la parole. Evidemment, les
conditions d’une prise de parole efficace et pertinente, légitime et libératrice pour
une action collective sensée doivent être préparées avec le plus grand soin par le
management. Un deuxième enseignement est que s’il faut innover, il faut le faire
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d’ignorance pour lequel, en disciple discipliné de Socrate sur ce point nous plaidons,
est capital pour que soient libérés les rapports que l’on peut entretenir alors avec
l’altérité comme telle donc avec les « autres », comme avec l’inconnu bien sûr, enfin
en conséquence l’avenir. Dans le cas contraire, l’écoute de l’altérité comme donc
car sa simple reconnaissance (sur les plans cognitif et humain), l’écoute des signaux
faibles témoignant de situations d’action inédites, enfin la libération de l’avenir par-
delà les catégories que nous y projetons sont plus que compromises a priori. Cette
toute dernière manière de présenter la docte ignorance pour laquelle, à la suite de
Nicolas de Cues (1930) nous plaidons, nous conduit enfin à l’entrelacs indispensable
entre humanisme et management, entre management et humanisme. Car c’est à se
débarrasser des « catégories » comme telles que nous invite un tel principe. Les
mots, les « logiques », les présupposés opérationnels, les évidences et « labels » ou
canevas d’interprétation de la réalité dont nous disposons toujours déjà au quotidien,
loin d’exclusivement nous seconder – du fait de leur spontanée émergence au
cœur, et comme un aspect décisif de nos routines -, nous aliènent tout autant, ou
aliènent notre capacité de réception du nouveau, et d’adaptation à ce qui vient et
qui est parfois encore sans catégorie et sans nom. L’on peut dire, dans l’horizon
de notre discussion en Partie II, que la question ontologique de l’essence la plus
haute de l’humanité se pose au quotidien le plus ordinaire de la vie des entreprises,
des institutions et de toute organisation. C’est là même que se joue le rapport de
l’homme à son authenticité comme à son inauthenticité. Cela se joue et peut être
favorisé de se jouer en douceur, au travers d’un réapprentissage incessamment remis
sur le métier. Si cela est vrai, le seul tort du philosophe de la Forêt Noire est, comme
nous l’anticipions tout à l’heure, non seulement d’être venu trop tôt, mais d’avoir
pensé – et sans doute éprouvé - par trop abruptement la disruption ontologique
entre l’être et l’étant sur la base de l’interrogation sur ce qu’il en est de l’essence de
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Références
Bacon F. (1603), Philosophy of Francis Bacon. An essay on its development from 1603 to 1609, with new
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Bibard L. (2005), The Ethics of Capitalism, in Ethical Boundaries of Capitalism, in D. Daianu et R.
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Bibard L. (2007), Towards a Phenomenology of Management : From Modelling to Day-to-day Moral
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Bibard L. (2012), Revisiting the Classic Tension Between Hierarchy and Freedom, ESSEC Leadership
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Descartes R. (1956), Discours de la méthode, Gallimard, La Pléiade.
Eliade M. (1962), Méphistophélès et l’androgyne, Paris, Gallimard.