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Chapitre 3: bulles de prix d’actifs et crises bancaires

L’histoire est remplie de crises financières marquantes dont l’impact macroéconomique a été
sévère. Les pays avancés ont connu des crises financières caractérisées par des faillites
bancaires multiples amenant à un effondrement du crédit (crise bancaire) ainsi que l’explosion
de bulles de prix d’actifs. Généralement, les crises ont la plupart du temps fait suite à des
périodes où le crédit ainsi que certains prix d’actifs avaient évolué au-delà des niveaux
justifiés par leurs fondamentaux économiques (comme les rendements anticipés par exemple).

Nous présentons d’abord les théories de formation et l’éclatement des bulles avant les théories
de déclenchement des crises bancaires

1. Théorie des bulles de prix d’actifs


a) Définition

« Une bulle est un « mouvement de prix à la hausse sur une période étendue de temps de 15 à
40mois et qui explose ensuite » (Kindleberger, 1978). Pour Brunnermeier (2008), « les bulles
se réfèrent à des prix d’actifs qui dépassent leur valeur fondamentale parce que leurs
détenteurs croient pouvoir les revendre à un prix encore plus élevé ». Enfin, pour Schiller
(2012), il s’agit d’une « épidémie sociale dont la contagion dépend des mouvements de prix».

On distingue 5 phases dans la formation des bulles (Brunnermeier et Oehmke, 2013) :

• La phase d’innovation (displacement) qui crée des anticipations de profits plus élevés
et de croissance économique plus forte ;
• La phase de boom (boom phase) caractérisée par une faible volatilité, une expansion
du crédit et des hausses de l’investissement. Les prix des actifs augmentent lentement
au début, puis une dynamique explosive les amène largement au-dessus de leur valeur
fondamentale ;
• La phase d’euphorie (euphoria) dans laquelle les investisseurs échangent l’actif
surévalué avec frénésie. Les prix augmentent de façon explosive et le volume
d’échange et la volatilité augmentent ;
• La phase de prise de profit (profit taking) par les investisseurs les plus avisés, qui
réduisent leurs positions. La demande pour l’actif demeure importante du fait de
nouveaux investisseurs moins avisés ;
• La phase de panique (panic) déclenchée par les premières baisses de prix qui amènent
les investisseurs à se débarrasser de l’actif, ce qui provoque une spirale baissière des
prix.
b) Classification des bulles

Brunnermeier (2008) recense quatre grandes catégories de modèles de bulles :

• Bulle rationnelles sans friction : Les bulles avec investisseurs rationnels peuvent
apparaître car ces investisseurs souhaitent continuer à détenir l’actif tant qu’ils
anticipent que son prix va continuer de croître dans le futur. Dans le cas d’un modèle à
anticipations rationnelles, le prix d’une action est égal à la valeur actualisée de la
somme de son prix anticipé pour la période suivante, augmentée du dividende attendu
pour cette période. Pour le montrer, rappelons que le rendement net d’une action à la
période suivante est :
(𝑑𝑡+1 + 𝑝𝑡+1 )
𝑟𝑡+1 = −1
𝑝𝑡
𝑝𝑡 = 𝑝𝑟𝑖𝑥 𝑑𝑒 𝑙 ′ 𝑎𝑐𝑡𝑖𝑜𝑛 𝑒𝑡 𝑑𝑡 = 𝑑𝑖𝑣𝑖𝑑𝑒𝑛𝑑𝑒 à 𝑙𝑎 𝑝é𝑟𝑖𝑜𝑑𝑒 𝑡

En prenant cette expression en anticipations rationnelles on obtient :

𝑑𝑡+1 + 𝑝𝑡+1
𝑝𝑡 = 𝐸𝑡 [ ]
1 + 𝑟𝑡+1

On voit que l’on est en présence d’une équation déférentielle où le prix d’une action dépend
du prix futur anticipé. Cette équation admet une infinité de solution. En supposant, pour
simplifier, que 𝐸𝑡 [𝑟𝑡+1 ] = 𝑟 on peut résoudre l’équation différentielle par substitutions
itératives et obtenir :

𝑇−𝑡
𝑑𝑡+1 𝑝𝑇
𝑝𝑡 = 𝐸𝑡 [∑ 𝑡 ] + 𝐸𝑡 [ ]
(1 + 𝑟) (1 + 𝑟)𝑇−𝑡
𝑡=1

Le prix de l’action à la période t est donc la somme actualisée des dividendes futurs plus la
valeur actualisée de la valeur de l’action à la période T. Si l’on impose la condition de
𝑝
transversalité, lim 𝐸𝑡 [(1+𝑟)𝑇𝑇−𝑡 ] = 0 , alors le prix correspondra à la somme actualisée des
𝑇→∞

dividendes futurs, que l’on appelle aussi la valeur fondamentale 𝑣𝑡 .


Si la condition de transversalité n’est pas imposée, alors 𝑝𝑡 = 𝑣𝑡 n’est qu’une solution parmi
une infinité et un prix vérifiant 𝑝𝑡 = 𝑣𝑡 + 𝑏𝑡 est aussi une solution avec 𝑏𝑡 une composante
bulle telle que :

𝑏𝑡+1
𝑏𝑡 = 𝐸𝑡 [∑ ]
(1 + 𝑟)

La croissance anticipée de la bulle est égale au taux d’intérêt 𝑟 et l’existence de la bulle se


justifie par l’anticipation auto-réalisatrice que le prix de l’actif croît à ce taux. Par ce
mécanisme, le prix de l’actif peut s’éloigner durablement de sa valeur fondamentale.

Les bulles de ce type sont déterministes et n’éclatent jamais. Blanchard et Watson (1982)
introduisent une probabilité 𝜋 que la bulle persiste à chaque période et 1 − 𝜋 qu’elle explose.
Ainsi, pour que la croissance anticipée de la bulle soit toujours égale au taux d’intérêt, la bulle
(1+𝑟)
doit croître dans ce cas au taux pour compenser le risque d’explosions. En
𝜋
conséquence, tant que la bulle demeure, elle doit croître de manière explosive.

Les bulles rationnelles ne peuvent être que positives car, étant de nature explosive, elles
pourraient rendre le prix négatif, ce qui est impossible. De même, s’il existe un substitut à
l’actif, dans le cas des matières premières par exemple, son prix ne peut pas être explosif car à
un certain niveau il sera substitué par un autre bien.

• Bulles avec asymétrie d’information

En présence d’asymétrie d’information, une condition pour qu’une bulle existe est qu’elle ne
soit pas connue de tous (Brunnermeier, 2001). Ainsi, des bulles peuvent apparaître parce que
les investisseurs ne connaissent pas les croyances des autres investisseurs (absence de
connaissance commune). S’il était au contraire communément connu que l’économie se
trouve initialement à un optimum de Pareto, alors des bulles rationnelles ne pourraient pas se
former car tout le monde saurait qu’il n’y a aucun gain à l’échange et l’acheteur d’un actif
surévalué saurait que le vendeur rationnel ferait un gain à ses dépens (Tirole, 1982). Si, au
contraire, il n’est pas communément connu que l’on se trouve à l’équilibre (asymétrie
d’information), alors même si tous les investisseurs croient que la valeur d’un actif est
supérieure à sa valeur fondamentale, ils peuvent tous croire rationnellement qu’ils pourront la
revendre à quelqu’un d’autre à un prix plus élevé.
• Bulles dues aux limites d’arbitrage

Les bulles dues aux limites d’arbitrage apparaissent dans les modèles dans lesquels les
investisseurs ont des anticipations hétérogènes. Deux types d’investisseurs interagissent : des
investisseurs avisés, rationnels et bien informés qui connaissent les fondamentaux et des
investisseurs non-rationnels qui réagissent aux bruits («noise traders») et sont influencés par
des motifs psychologiques. Sous l’hypothèse d’efficience des marchés, les bulles ne
pourraient pas apparaître car les investisseurs rationnels réagiraient avant même que la bulle
n’apparaisse. Par contre, en présence de limites d’arbitrage, les bulles peuvent persister car
trois grandes raisons peuvent empêcher les arbitragistes rationnels de corriger complètement
la bulle (Brunnermeier, 2008). Premièrement, la présence d’un risque fondamental pourrait
rendre risqué d’aller contre la bulle car une amélioration des fondamentaux pourrait annuler la
surévaluation initiale. Deuxièmement, les investisseurs rationnels font face à un risque lié à la
présence de noise traders (De Long et al., 1990), puisque ceux-ci peuvent alimenter la bulle et
élargir l’écart avec les fondamentaux. Des arbitragistes rationnels investissant sur des
horizons courts n’auraient donc pas intérêt à aller contre une bulle qui risque de perdurer au-
delà de leur horizon d’investissement. Enfin, il existe un risque de synchronisation. Puisqu’un
investisseur ne peut pas corriger une bulle à lui seul, il faudrait qu’il existe un effort de
coordination parmi les investisseurs rationnels, et un problème de synchronisation peut les
empêcher de lutter contre la bulle. Ceci amène à une situation où chaque investisseur rationnel
essaie d’éviter la chute du prix tout en profitant de la bulle le plus longtemps possible
(«bubble riding»). Abreu et Brunnermeier (2003) montrent qu’il est optimal de profiter de la
bulle pendant un certain temps, ce qui prolonge la vie de la bulle et justifie d’en profiter
encore plus longtemps.

• Bulles avec croyances hétérogènes

Enfin, les bulles peuvent émerger lorsque les investisseurs ont des croyances hétérogènes
(certains investisseurs étant plus optimistes que d’autres) et font face à des contraintes liées
aux ventes à découvert. En effet, la présence d’optimistes pousse les prix à la hausse, alors
que les pessimistes ne peuvent pas rééquilibrer le marché puisqu’ils sont contraints par les
ventes à découvert. Scheinkman et Xiong (2003) montrent que les bulles liées aux croyances
hétérogènes donnent lieu à de grands volumes d’échange et une forte volatilité des prix. La
bulle Internet est un bon exemple de ce type de bulle. Les croyances sur les perspectives de
rendement des titres liés aux nouvelles technologies étaient très hétérogènes, avec un fort
désaccord entre les défenseurs du nouveau paradigme, la «nouvelle économie», et ceux qui,
moins optimistes, avaient une opinion moins favorable sur les perspectives de rendement de
ces titres. La bulle Internet a également été associée avec de forts volumes échangés et une
forte volatilité des cours.

2. Théories des crises bancaires

Deux grands types de théories expliquent le déclenchement de crises bancaires. Le premier


définit des modèles basés sur les croyances (« belief-based models of banking crises »), dans
lesquels des faillites bancaires multiples résultent d’une modification des anticipations des
conditions économiques et financières futures (Diamond et Dybvig, 1983). Le second propose
des modèles basés sur les fondamentaux (« fundamentals-based models of banking crises »),
dans lesquels ces faillites bancaires résultent d’une modification des fondamentaux financiers
des banques à la suite de chocs.

a) Le modèle de Diamond et Dybvig (1983)

Pour Diamond et Dybvig (1983), une fonction importante de la banque est de créer de la
liquidité, c’est-à-dire d’offrir des comptes de dépôts qui sont plus liquides que les actifs
qu’elle détient. Les agents font face à des chocs aléatoires qui affectent leur consommation.
Certains vont vouloir consommer tout de suite ; d’autres vont pouvoir attendre jusqu’à la
période suivante. Pour financer leur consommation, ils peuvent soit retirer leurs dépôts
bancaires, soit liquider leurs investissements de long terme mais cette liquidation est coûteuse.
En raison de cette incertitude sur leurs besoins futurs de consommation, et ainsi sur la durée
de détention des actifs, les agents demandent de la liquidité et, pour cette raison, préfèrent
investir via une banque en ouvrant un compte de dépôts plutôt que de détenir les actifs
directement. En créant des dépôts qui sont plus liquides que les actifs détenus, les banques
offrent donc une assurance contre le risque de liquider un actif trop tôt avec la perte qui
s’ensuit. Ce modèle présente plusieurs équilibres en fonction du type de croyance des agents.
Parmi les équilibres existe un équilibre défavorable avec une panique bancaire.

Formellement :

On raisonne sur 3 périodes (T=0, 1, 2). Il existe un ensemble infini d’agents. La période à
laquelle un individu désire consommer est incertaine :

𝑈(𝑐1) 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡é 𝑡


{ )
𝑈(𝑐2) 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑢𝑛𝑒 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡é (1 − 𝑡
où c1 et c2 sont les consommations aux périodes 1 et 2 respectivement. Les agents qui
désirent consommer en T = 1 sont de type 1, et ceux qui désirent consommer en T = 2 sont de
type 2. Les agents sont informés de leur type en T = 1, et cette information est privée. A la
période 0, chaque individu est doté d’une unité de bien et il existe la technique :

T=0 T=1 T=2


0 R
-1
1 0

Ou R>1 et le choix entre les profils (0, R) et (1, 0) est effectué en T=1.

Supposons que les individus forment une banque, c’est-à-dire qu’ils mettent en commun leurs
dotations, les investissent dans la technologie, et obtiennent en contrepartie un contrat de
dépôt à vue qui spécifie le nombre d’unités du bien qu’ils puissent retirer en T = 1 ou en T =
2, notés respectivement r1 et r2. Afin de financer les retraits en T = 1, la banque liquide L
unités par tête en T = 1 et reçoit donc R (1 – L) unités par tête en T = 2. Comme en vertu de la
loi des grands nombres une proportion t des déposants sera de type 1, la banque émet le
contrat qui résout :

𝑚𝑎𝑥 {𝑡𝑈(𝑐11 ) + (1 − 𝑡)𝑈(𝑐22 )}


𝑠𝑜𝑢𝑠 𝑐𝑜𝑛𝑡𝑟𝑎𝑖𝑛𝑡𝑒𝑠
𝑡𝑐11 = 𝐿
(1 − 𝑡)𝑐22 = 𝑅(1 − 𝐿)
{ 𝑐22 > 𝑐11
2
Avec 𝑐2 = 𝑟2 et 𝑐11 = 𝑟1
On remarque qu’en plus de sa contrainte de budget, la banque fait face à la contrainte
incitative r2 > r1, c’est à dire qu’aucun agent de type 2 ne doit avoir intérêt à retirer en T = 1.
Si le coefficient d’aversion relative à l’égard du risque est supérieur à 1, c’est à dire si :

−𝑋𝑈′′(𝑋)
>1
𝑈′(𝑋)
Cela signifie que 𝑋𝑈 ′ (𝑋) est une fonctionne décroissante de 𝑋 d’où 𝑅𝑈 ′ (𝑅) < 𝑈′(1) . Or à
l’équilibre (condition d’allocation optimale) 𝑈 ′ (𝑟1) = 𝑅𝑈′(𝑟2). Il s’ensuit donc à l’équilibre
𝑟1 > 1 et 𝑟2 < 𝑅. En Outre 𝑅 > 1 implique que 𝑈′(𝑟1) > 𝑈′(𝑟2) d’où 𝑟2 > 𝑟1. Pour
assurer les déposants contre le risque d’être de type 1, la banque se met en position
d’illiquidité.

Le fait que les types des agents sont des informations privées implique que la banque ne peut
assurer les déposants contre le risque d’être de type 1 qu’en les laissant choisir librement la
période à laquelle ils retirent et en leur procurant le rendement promis. Mais si beaucoup de
déposants désirent retirer en T = 1, tous ne pourront pas être remboursés car r1 > 1, en
d’autres termes la banque est illiquide. Seuls les premiers s’étant présentés à la banque le
seront. Les déposants font donc face à une contrainte de service séquentiel qui s’écrit
formellement :

1
̃={ 𝑟1 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑙𝑎 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡é 𝑝 = min (1, )
𝑟1 𝑤
0 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑙𝑎 𝑝𝑟𝑜𝑏𝑎𝑏𝑖𝑙𝑖𝑡é 1 − 𝑝

où w sont les demandes totales de retraits et 1 est la valeur liquidative de la banque en T = 1.


Si w < 1 chaque déposant désirant retirer en T = 1 obtient avec certitude le rendement r1,
alors que si w > 1 chaque déposant désirant retirer en T = 1 obtient r1 avec la probabilité 1/w
et 0 avec la probabilité 1 − 1/w.

Si l’on note 𝜃𝑖𝑗 la proportion des agents de type i qui déclarent être de type j, alors :

𝑤 = {𝑡𝜃11 + (1 − 𝑡)𝜃21 }𝑟1 = 𝑓𝑟1

et les déposants qui retirent en T = 2 obtiennent :

0 𝑠𝑖 𝑤 ≥ 1
̃ = {𝑅 (1 − 𝑤)
𝑟2
𝑠𝑖 𝑤 < 1
1−𝑓

𝑅(1−𝑤)
̃
En d’autres termes : 𝑟2 = max (0, )
1−𝑓

L’illiquidité de la banque implique qu’en T = 1 les déposants sont dans une situation
d’interaction stratégique car le rendement que chaque déposant perçoit dépend des types que
les autres déposants ont déclarés, ou en d’autres termes r1 et r2 sont fonctions des 𝜃𝑖𝑗 . Le jeu
de révélation des types auquel jouent les déposants possède deux équilibres de Nash en
stratégies pures qui sont :

• L’équilibre de vérité dans lequel chaque agent déclare sont vrai type : cela
correspond à 𝜃11 = 1, 𝜃21 = 0, 𝜃12 = 0, 𝜃22 = 1 . Il implique que 𝑤 = 𝑡𝑟1 = 𝐿 < 1
Il s’ensuit que 𝑝 = 1. Donc chaque déposant maximise son utilité attendue en
déclarant son vrai type.
• L’équilibre de panique : qui correspond à 𝜃11 = 1, 𝜃21 = 1, 𝜃12 = 0, 𝜃22 = 0 . Cela
implique que 𝑤 = 𝑟1 . Or la contrainte d’illiquidité impose 𝑟1 > 1. Il s’ensuit que
𝑤 > 1. D’où 𝑟2 = 0. Ainsi chaque déposant de type 2 maximise son espérance
d’utilité en paniquant, c'est-à-dire en déclarant d’être de type 1.

La sélection entre l’équilibre de vérité et l’équilibre de panique peut dépendre d’une variable
aléatoire dont la réalisation est une information publique, telle par exemple une panique sur
une autre banque ou une tache solaire (« sunspot »). Les sunspots sont pratiques d’un point de
vue pédagogique mais ils n’ont pas de pouvoir prédictif. En d’autres termes, comme il n’y a
pas de véritables déterminants à la crise bancaire, il est difficile d’utiliser la théorie pour faire
des recommandations de politique économique. Il existe néanmoins trois façons d’éliminer
l’équilibre défavorable :

- La suspension de convertibilité ;
- L’assurance des dépôts ;
- Le prêteur en dernier ressort

b) Modèles basés sur les fondamentaux

Les théories expliquant les crises bancaires en se basant sur les fondamentaux avancent que
les faillites bancaires résultent de chocs qui modifient les fondamentaux financiers de la
banque. Empiriquement, les ruées bancaires sont en effet liées à la détérioration des
fondamentaux économiques. Gorton (1988) démontre que les paniques bancaires apparaissent
habituellement après de mauvaises nouvelles sur la santé d’une banque ou sur le système
financier. Un retournement cyclique réduira la valeur des actifs de la banque, ce qui
augmentera la probabilité que celle-ci soit incapable de faire face à ses engagements. Si les
déposants ont connaissance du retournement cyclique à venir, ils anticiperont les difficultés
financières du secteur bancaire et essaieront de retirer leurs dépôts. Cette tentative précipitera
la crise. Ainsi, les crises ne sont plus des événements aléatoires, comme dans les théories vues
précédemment, mais une réponse des déposants à une information économique.

De nombreux modèles font le lien entre les informations sur les fondamentaux et les paniques
bancaires (par exemple Chari et Jagannathan, 1988). Le point commun de tous ces modèles
est que l’information préliminaire sur les paramètres du modèle transforme un modèle à
équilibres multiples en un modèle d’amplification à équilibre unique, dans lequel une panique
bancaire peut apparaître avec une certaine probabilité (Brunnermeier et Oehmke, 2013). Dans
ces modèles, les ruées bancaires émergent lorsqu’une variable fondamentale atteint un certain
seuil, ce qui signifie que de petits changements dans l’ensemble d’information des agents peut
impliquer de grands changements dans leurs comportements et dans les mécanismes
d’amplification.

Allen et Gale (1998 et 2004) ont proposé un modèle dans lequel les déposants peuvent
observer un indicateur avancé de l’activité économique qui fournit de l’information publique
sur les futurs rendements des actifs bancaires. En partant du modèle de Diamond et Dybvig
(1983), Allen et Gale (1998) introduisent donc une incertitude supplémentaire: non seulement
le niveau de consommation est incertain mais le rendement des actifs bancaires l’est
également. Cette dernière incertitude introduit la possibilité d’avoir des ruées bancaires pour
des raisons fondamentales (le rendement dépend des conditions économiques et financières),
si les déposants décident de retirer leurs dépôts lorsque les rendements sont inférieurs ou
égaux à une certaine valeur-seuil. Dans ce modèle, les ruées bancaires ne sont pas des
phénomènes inefficients dans la mesure où les pertes engendrées par une liquidation
prématurée, lorsque les conditions économiques deviennent défavorables, sont plus que
compensées par les gains, lorsque les conditions économiques redeviendront favorables.
Cependant, si l’on reconnaît que les crises bancaires peuvent être coûteuses (en raison des
coûts de liquidation des actifs) ou si l’on introduit dans le modèle des marchés financiers sur
lesquels les actifs bancaires peuvent être liquidés lorsque les perspectives de rentabilité se
détériorent (provoquant une baisse de prix des actifs lors de liquidations simultanées), alors la
panique bancaire n’est plus forcément optimale et une intervention appropriée de la banque
centrale peut améliorer le bien-être. Allen et Gale (2004) introduisent ce mécanisme dans un
modèle d’équilibre général afin d’étudier les propriétés des systèmes financiers en termes de
bien-être et fournir les conditions dans lesquelles la réglementation peut améliorer l’allocation
des ressources. Ils montrent qu’en présence de chocs globaux et sous l’hypothèse que les
marchés sont incomplets, les crises financières sous forme de défauts en chaîne peuvent
refléter une défaillance de marché, nécessitant une intervention du régulateur.

3. De l’illiquidité d’une banque à une crise du système bancaire : les canaux de


transmission

L’illiquidité d’une banque, liée à un choc idiosyncratique, peut se généraliser à l’ensemble du


système bancaire lors d’une crise via deux canaux de transmission :

• Le marché interbancaire :

Les banques sont liées entre elles par un marché commun pour la liquidité (Diamond et Rajan,
2005). Les faillites de banques individuelles peuvent réduire la mise en commun de liquidités
(« common pool ») et ainsi propager une pénurie de liquidité à d’autres banques, en raison des
fortes interconnexions existant entre elles, et par la suite, créer une contagion de défauts et
transformer les problèmes individuels en problème de liquidité généralisé. De telles
interconnexions peuvent devenir un canal de propagation de crises car les craintes de risques
de contrepartie sont exacerbées par la présence de marchés incomplets (impossibilité de se
couvrir contre le risque de liquidité futur) et d’asymétries d’information sur la solvabilité des
banques (impossibilité de distinguer si une banque est illiquide ou insolvable). Dans ce
contexte, Bhattacharya et Gale (1987) montrent que, même en l’absence d’un choc de
liquidité commun, les banques sont incitées à sous-investir dans les actifs liquides et profiter
en passager clandestin (« free rider ») de la mise en commun de liquidités en raison des
rendements plus faibles rapportés par les actifs liquides. Ces auteurs montrent aussi que la
banque centrale peut amoindrir ce problème en surveillant les choix de portefeuille d’actifs
des banques. Les opérations d’open-market de la banque centrale sont ainsi suffisantes pour
gérer le risque de liquidité sur le marché interbancaire, notamment en temps de crise, en
fournissant une option externe aux banques en manque de liquidités (Acharya et al., 2012).

• Les marchés de capitaux

Les marchés des capitaux peuvent être un autre canal de propagation de risque de liquidité.
Lorsque le fonctionnement du marché interbancaire comme fournisseur de liquidités est
entravé, le risque de liquidité peut migrer vers les marchés des capitaux car les banques vont
récupérer de la liquidité en vendant des actifs en catastrophe ou ventes forcées («fire sales»),
ce qui va avoir un impact sur les prix d’actifs et la liquidité de marché, aggravant encore plus
la situation initiale. La propagation opère via l’actif des banques, puisque les banques ont
besoin de restructurer leurs portefeuilles et ainsi trouver des acheteurs pour leurs actifs
relativement plus liquides afin d’éviter la liquidation physique de la banque (Rochet et Vives,
2004). Comme les marchés sont incomplets, l’offre et la demande de liquidités ont tendance à
être inélastiques à court terme et les marchés n’ont qu’une capacité limitée à absorber les
ventes d’actifs. Ceci entraîne une plus forte volatilité des prix d’actifs et des prix de ventes
forcées à des niveaux inférieurs à leur valeur fondamentale (Allen et Gale, 1998 et 2004).

4. Facteurs déclenchant les crises financières

Mishkin (2018) récence quatre grands type de facteurs :

• Processus de libéralisation ou d’innovation financière mal maîtrisée

Alors que le développement des systèmes financiers peut améliorer l’efficacité d’une
économie en facilitant une allocation optimale des ressources, un processus de libéralisation
ou d’innovation financière mal maîtrisé peut amener les institutions financières à une trop
grande prise de risque. Les approches réglementaires et la surveillance prudentielle sont
également insuffisantes pour éviter les prises de risque. Cette prise de risque se traduit par un
emballement ou boom du crédit, le plus souvent par effet de levier, sachant que la collecte de
dépôts ne suit pas le même rythme Lorsque la prise de risque s’accompagne des premières
pertes, les banques procèdent à une réduction de l’octroi de prêts (« deleveraging ») entraînant
une contraction du crédit aux conséquences macroéconomiques négatives.

• Boom de crédit et explosion de bulles de prix d’actifs

Alors que le secteur spécifique qui connaît un boom peut varier entre les crises (immobilier,
Bourse), les bulles de prix d’actifs ont des conséquences similaires sur l’économie. Le boom
du crédit alimente les achats d’actifs financiers dont les prix s’éloignent de leur valeur
fondamentale. Lorsque la bulle éclate, les emprunteurs voient leur richesse nette diminuer,
réduisant par conséquent leur capacité d’emprunter. Ceci se traduit par une baisse du crédit et
des dépenses. De même, la chute des prix d’actifs détériore le bilan des institutions
financières, les obligeant à réduire leur levier et amplifiant, via la baisse du crédit, le
ralentissement économique.

• Hausse des taux d’intérêt

L’emballement du crédit et la hausse des prix d’actifs amènent la banque centrale à resserrer
sa politique monétaire. La hausse des taux d’intérêt a dans de nombreux cas été à l’origine du
déclenchement des crises financières aux États-Unis. Le manque de liquidités entraîne
également des hausses rapides de taux d’intérêt sur les marchés interbancaires. La hausse des
taux d’intérêt réduit l’investissement et la consommation, augmente les problèmes
d’asymétrie d’information et contribue à précipiter la crise financière.

• Montée de l’incertitude

Les crises financières aux États-Unis ont presque toujours débuté par une période de montée
de l’incertitude liée à une récession ou à un krach boursier et souvent renforcée par des
défaillances d’institutions financières (Mishkin, 2018). Cette incertitude aggrave les
problèmes d’asymétrie d’information avec des conséquences sur la distribution de crédit en
ayant des impacts négatifs sur l’activité économique. À la suite de la détérioration de l’activité
économique et des premières défaillances d’entreprises et/ou de banques, les déposants se
ruent aux guichets des banques et initient la panique bancaire. Les paniques bancaires étaient
typiques des crises financières jusqu’à la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis. Comme
vu précédemment, l’introduction d’assurance de dépôts et le rôle des banques centrales en tant
que prêteur en dernier ressort ont amoindri les conséquences des crises bancaires sur
l’économie. Une fois le système bancaire assaini et les défaillances d’entreprises moindres,
l’incertitude sur le système financier se résorbe et l’économie peut entamer sa phase de
reprise. Cependant, si la crise économique entraîne une baisse des prix (déflation), le
processus de déflation par la dette s’enclenche, aggravant la situation d’endettement et de
solvabilité des entreprises. Le besoin de désendettement dure plus longtemps et l’impact
négatif sur le crédit, et ses conséquences sur l’investissement et la croissance, peuvent alors
générer une dépression du type de la Grande Dépression des années 1930 ou, dans une
moindre mesure, la crise japonaise des années 1990-2000.

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