Vous êtes sur la page 1sur 4

See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.

net/publication/280022255

Accroissement gingival médicamenteux : un effet indésirable parfois majeur

Article in Sang thrombose vaisseaux · January 2010


DOI: 10.1684/stv.2010.0451

CITATIONS READS

0 722

6 authors, including:

Arnaud Gauthier Pierre Boutouyrie


Institut Curie French Institute of Health and Medical Research
45 PUBLICATIONS 976 CITATIONS 627 PUBLICATIONS 45,088 CITATIONS

SEE PROFILE SEE PROFILE

Philippe Bouchard

19 PUBLICATIONS 132 CITATIONS

SEE PROFILE

All content following this page was uploaded by Arnaud Gauthier on 13 July 2015.

The user has requested enhancement of the downloaded file.


Mini-revue
Sang Thrombose Vaisseaux 2010 ;
22, n° 1 : 44-6

Accroissement gingival médicamenteux :


un effet indésirable parfois majeur
Iatrogenic gingival hypertrophy: sometimes a major indesirable side effect
Arnaud Gauthier1, Cécile Rupin2, Philippe Rosec2, Sadika Hessaine1, Pierre Boutouyrie1,3,
Philippe Bouchard2,4
1
Hôpital Européen Georges Pompidou, service de Pharmacologie et Inserm U970, Paris, France
2
Hôtel-Dieu, AP-HP, Département de parodontologie, Service d’odontologie, Paris, France
3
Université Paris Descartes Paris 5, Paris, France
<pierre.boutouyrie@egp.aphp.fr>
4
Université Denis Diderot Paris 7, Paris, France

U
n homme de 34 ans, d’origine haïtienne est adressé en octobre 2008, par son
chirurgien-dentiste dans le département de parodontologie du service d’odonto-
logie de l’Hôtel-Dieu Garancière (université Denis Diderot Paris 7, Paris,
France) pour la prise en charge d’un accroissement gingival d’apparition récente.

Observation
Le patient consulte en novembre 2008 pour des saignements gingivaux, accentués lors du
brossage et d’halitose. L’anamnèse révèle une hypertension artérielle connue depuis septem-
bre 2007, insuffisamment contrôlée par valsartan (160 mg). En décembre 2007, un traitement
en bithérapie d’association fixe par amlodipine/valsartan (5 mg, 80 mg, respectivement) est
introduit, avec un excellent contrôle tensionnel. Le patient, n’ayant jamais fumé et ne
consommant pas d’alcool, ne présente aucun antécédent médico-chirurgical en dehors d’anté-
cédents familiaux de parodontite chronique.
L’examen clinique exobuccal ne révèle pas de signes généraux ni d’adénopathie. À l’examen
clinique endobuccal, il existe une inflammation sévère et généralisée de la gencive associée à
un accroissement gingival marqué (figure 1). On observe des suppurations et un saignement
profus et douloureux au sondage parodontal qui consiste à placer une sonde millimétrée entre
la gencive et la dent.
Une numération formule sanguine et un bilan inflammatoire permettent d’écarter les diagnos-
tics d’hémopathies ou de maladies inflammatoires chroniques.
Le diagnostic retenu est donc celui de parodontite agressive généralisée sévère compliquée
d’accroissement gingival dû à l’administration d’antagonistes calciques [1]. Le cas est
aggravé par la présence de prothèses dentaires iatrogènes.
doi: 10.1684/stv.2010.0451

Traitement et évolution

Contrôle de la pression artérielle


Tirés à part : En raison des effets secondaires gingivaux, un relais par une association d’un antagoniste de
P. Boutouyrie l’angiotensine II et d’un diurétique (candesartan 16 mg/hydrochlorothiazide 12, 5 mg) est ins-

44 STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010


Figure 1. Aspect des arcades dentaires lors de la première consultation : noter l’aspect prolifératif, hémorragique du tissu parodontal,
notamment à la mâchoire supérieure.

tauré par le médecin généraliste en décembre 2008. En Évolution


février 2009, devant l’absence de contrôle tensionnel, il
En mai 2009, la pression artérielle est stabilisée. Le
est adjoint un antihypertenseur d’action centrale (rilméni-
patient perçoit une très nette amélioration (arrêt des
dine 1 mg), triple association bien tolérée mais insuffisam-
saignements, patient non algique). L’examen endobuccal
ment efficace. En mars 2009, un bêtabloquant (nébivolol
confirme l’absence de saignement et de suppurations et
5 mg®) est ajouté. Devant l’absence de stabilisation tension-
montre la régression complète de l’accroissement gingival
nelle, le patient est orienté en consultation spécialisée. Une
(figure 2).
bithérapie associant bêtabloquant et diurétique thiazidique
(nébivolol 5 mg® et indapamide 1, 5 mg) est instaurée, per-
mettant l’atteinte des objectifs tensionnels. Discussion

Traitement de la maladie parodontale L’accroissement gingival est le plus souvent médicamenteux.


Trois classes de médicaments peuvent déterminer cette
Un traitement parodontal reposant sur une information spé- pathologie : 1) les antagonistes calciques ; 2) certains immu-
cifique concernant les mesures d’hygiène bucco-dentaire et nosuppresseurs (principalement la ciclosporine) et (3) les
un simple détartrage est instauré en première intention afin anticonvulsivants (principalement phénytoïne). Cet accrois-
de soulager le patient. En mars 2009, une thérapeutique sement est parfois favorisé ou secondaire à une modification
parodontale non chirurgicale est mise en place : technique hormonale (ménopause ou grossesse), une hémopathie (leu-
rapide de désinfection globale mécanique (détartrage cémie aiguë monoblastique) ou le saturnisme. C’est un effet
profond) et chimique (bain de bouche de chlorhexidine à indésirable des inhibiteurs calciques considéré comme rare,
2 %). Une prescription d’antibiotiques vient compléter le intéressant pourtant près de 3 à 6 % des sujets traités dans
traitement (amoxicilline). certaines séries [2]. La maladie parodontale est liée à la mala-

Figure 2. Aspect des arcades dentaires après arrêt des antagonistes calciques et traitement intensif médico-chirurgical. A noter
l’absence de saignements et de suppuration. A noter la nature prothétique iatrogène des incisives et canines supérieures.

STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010


45
die athéromateuse [3] ; de fait, les lésions parodontales obtenue en trois à six mois. En cas de résultats insuffisants,
surviennent fréquemment chez des patients traités par des particulièrement en cas de pathologie gingivale ou paro-
médicaments cardiovasculaires. Morisaki rapporte en 2001, dontale sous-jacente, un traitement parodontal chirurgical
qu’il est retrouvé plus fréquemment dans les suites d’un trai- ou non peut s’avérer nécessaire.
tement par nifédipine que par amlodipine [4] ; cependant, il
semble bien qu’il s’agisse d’un effet classe des antagonistes
calciques car rapporté avec les autres représentants (diltiazem Conclusion
et vérapamil). Dans l’étude menée par Ellis et al. en 1999, il
est montré que la prévalence du trouble chez les patients trai- Le suivi des patients sous inhibiteurs calciques demande
tés par amlodipine ne diffère pas significativement du groupe l’observation de la cavité buccale pour permettre de dépis-
de sujets hypertendus non traités par inhibiteurs calciques [2]. ter précocement cet effet indésirable. En cas de pathologie
L’accroissement gingival est secondaire à un processus chro- gingivale sous-jacente, un traitement local spécialisé peut
nique entraînant des réparations exubérantes d’origine incon- être nécessaire. ■
nue. Cette réponse est un continuum car il a été montré que
cet effet indésirable intéresse la quasi totalité des patients, et
n’atteint un seuil symptomatique que chez une minorité [5].
On retrouve histologiquement une abondance de collagène. Références
Les fibroblastes sont nombreux et associés à des cellules
1. Armitage GC. Development of a classification system for periodontal
inflammatoires non spécifiques. L’épithélium de surface est diseases and conditions. Ann Periodontol 1999 ; 4 : 1-6.
souvent acanthosique. Ces lésions ne sont pas spécifiques. 2. Ellis JS, Seymour RA, Steele JG, Robertson P, Butler TJ,
La biopsie ne se justifie qu’en cas de doute diagnostique Thomason JM. Prevalence of gingival overgrowth induced by calcium
persistant, particulièrement en cas d’hémopathie. channel blockers : a community-based study. J Periodontol 1999 ; 70 :
63-7.
Ellis et al. ont recherché des facteurs prédictifs de ce genre
d’effets indésirables au sein desquels l’âge, le sexe, la durée 3. Friedewald VE, Kornman KS, Beck JD, Genco R, Goldfine A, Libby P,
et al. The american journal of cardiology and journal of periodontology
du traitement, la dose du traitement, la classe sociale, editors’ consensus : Periodontitis and atherosclerotic cardiovascular
l’indice de saignement et l’indice de plaque. Seul le sexe disease (diamond). Journal of Periodontology 2009 ; 80 : 1021-32.
présente un risque significatif (p = 0,02) : les hommes 4. Morisaki I, Dol S, Ueda K, Amano A, Hayashi M, Mihara J.
sont 3,3 fois plus touchés que les femmes [2]. Amlodipine-induced gingival overgrowth : periodontal responses to
stopping and restarting the drug. Spec Care Dentist 2001 ; 21 : 60-2.
La prise en charge consiste le plus souvent en l’arrêt du
5. Meisel P, Schwahn C, John U, Kroemer HK, Kocher T. Calcium
médicament causal et en un contrôle de l’hygiène bucco- antagonists and deep gingival pockets in the population-based SHIP
dentaire. La régression des symptômes est généralement study. Br J Clin Pharmacol 2005 ; 60 : 552-9.

46 STV, vol. 22, n° 1, janvier 2010

View publication stats

Vous aimerez peut-être aussi