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Littérature

Séminaire de poétique
Henri Meschonnic

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Meschonnic Henri. Séminaire de poétique. In: Littérature, n°34, 1979. pp. 48-68;

doi : https://doi.org/10.3406/litt.1979.2105

https://www.persee.fr/doc/litt_0047-4800_1979_num_34_2_2105

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SÉMINAIRE DE POÉTIQUE

1. Historique

Henri Meschonnic :
Le séminaire de poétique a commencé dès la création de Vincennes. Dans
une première formule, il était collectif et ouvert à tous, collègues et étudiants.
Il a été le lieu de débats avec, entre autres, Jean-Claude Chevalier, Jean-Claude
Coquet, Julia Kristeva, Elisabeth Roudinesco, Tzvetan Todorov. Une formule
restreinte s'est imposée à partir de 1971-1972, comme lieu de discussion
théorique pour les étudiants préparant une thèse ou une maîtrise, confrontant
les travaux individuels et la lecture critique des publications de l'actualité.
Cette formule est en cours de transformation depuis 1976-1977.
La maturation et le déplacement même de la poétique, autant que
l'évolution des participants au séminaire, le mènent, particulièrement cette année
1977-1978, à viser une démarche plus synthétique qu'analytique : non plus
à partir de telle ou telle publication, mais, à partir de telle question, vers une
interrogation-bilan des concepts majeurs de la poétique et de leur caractère
opératoire. Cette évolution est celle de la demande des participants au
séminaire.

Jean-Louis Chiss :
1973-1974 : Le séminaire tourne autour du problème de la spécificité de
la poétique, de son rapport avec la sémiotique et ses « régions » (sémiotique
littéraire, sémiotique narrative, sémiotique poétique...). Spécificité de la poétique
en tant qu'elle est aussi méconnue par la linguistique et la philosophie. Henri
Meschonnic présente le livre de I. Lotman La structure du texte artistique;
problème de la situation faite à la sémiotique en U.R.S.S. Le séminaire étudie
aussi le n° 31 de Langages « Sémiotiques textuelles ». Cette même année,
sont évoqués les travaux de Fonagy et de Kristeva sur l'expressivité, la moti-

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vation, avec la critique que fait Meschonnic de leur arrière-plan philosophique
(problème de l'origine du langage, etc.).
1974-1975 : Le séminaire tourne en grande partie autour du problème
des rapports théorie du langage/pratique du langage (écriture, traduction).
L'examen des travaux de J. Derrida occupe une grande place. D'abord
Saussure et Derrida : la question de l'écriture dans le Cours de linguistique
générale et De la Grammatologie. Quelle est la grille conceptuelle de Derrida? Le
débat prend en compte le point suivant, essentiel : Comment l'assimilation
du projet saussurien à la science et l'assimilation de la science à la
métaphysique (fondée sur la conception heideggerienne du rapport
science/philosophie) interdit à Derrida de comprendre la spécificité, la nouveauté de
Saussure? Cette lecture philosophique déshistoricise le discours saussurien,
l'ôte à la situation culturelle, oublie ses cibles (philologie, comparatisme, etc.).
Cela amène d'une manière générale à s'interroger (c'est, me semble-t-il, une
constante de l'orientation théorique et critique du séminaire) sur un
certain type de lecture, la lecture immanente (« lire Hegel du dedans » par
exemple), l'herméneutique héritée de l'absence de la dimension du discours
dans la phénoménologie.
Ensuite, le séminaire s'oriente vers la lecture que fait Derrida de Levinas
(écriture et violence/métaphysique). La question du sacré est au centre du
débat. La phénoménologie ne peut pas accepter l'arbitraire du signe. Elle est
par là, ce que laissent intouché les structuralismes linguistique et littéraire
dont le séminaire critique les concepts fondateurs. Un exposé retient le livre
de René Girard La violence et le sacré comme un exemple révélateur des
idéologies contemporaines du sacré (qui noient en particulier la spécificité du
littéraire dans la sacralisation). Meschonnic pose comme une proposition à
démontrer l'existence d'universaux anthropologiques dans la structure du
signe.
1975-1976 : Le séminaire est consacré à Humboldt et Saussure,
linguistique et poétique. Quelques questions, qui commandent l'activité du
séminaire, trouvent à se formuler ainsi : faut-il passer « à travers » Saussure ou
« par-dessus » Saussure pour retrouver Humboldt? Que signifie la reprise de
Humboldt par Chomsky dans une stratégie qui exclut Saussure? Qu'en est-il
chez Humboldt, contre Hegel, du rapport entre langue et culture pour une
poétique de la langue. D'où ce problème : quelle poétique peut entrer en
rapport avec quelle théorie du langage et réciproquement?
Pendant cette année 75-76, le séminaire fonctionne six séances sans
Meschonnic parti aux États-Unis. Les participants décident de consacrer ces
séances à une pratique de l'analyse de textes poétiques, et ceci en liaison avec
leurs propres travaux. Successivement, tel ou tel présente et analyse des textes
de Jacques Roubaud, Pierre Reverdy, Claude Royet-Journoud, Lionel Ray,
Lautréamont. Les points essentiels d'interrogation et de discussion sont les
suivants : les problèmes du rythme et de la métrique; que veut dire « le

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rythme comme signifiant majeur »? Les notions de connotation, de signifiance.
Qu'est-ce qu'une « écriture intransitive »? Toujours reviennent les questions
sur le métalangage critique, sur l'interprétation, sa pertinence, sur la lecture-
écriture. Qu'est-ce qu'expliquer un texte? Une séance prépare une discussion
avec Henri Meschonnic sur Le signe et le poème. Les enjeux du débat se
circonscrivent, pour une grande part, sur les rapports entre la théorie du
langage, la phénoménologie et le marxisme. Un autre enjeu de cette discussion
est le problème posé par la généralisation contemporaine du terme de texte
et la critique de la sémiotique. Le séminaire réfléchit sur les notions d'altérité,
de spécificité, d'historicité.
1976-1977 : Le séminaire a pour intitulé La syntaxe et l'Histoire dans la
poétique. La réflexion se nourrit d'exposés sur les théories linguistiques de
G. Guillaume, sur Mimologiques de G. Genette, sur l'ouvrage collectif
Mimésis des articulations, sur Linguistique et poétique de D. Delas et
J. Filliolet, sur Le marxisme et la philosophie du langage de M. Bakhtine.
Deux thèmes sont débattus, dont on s'essaie à penser le rapport 1° Quelle
est la place faite à la syntaxe dans l'analyse du texte poétique, et quelle syntaxe?
2° Quels rapports entre la poétique et les théories de l'histoire?
1977-1978: Le séminaire s'intéresse, dès son début, aux travaux récents
de Meschonnic (La demande de ce point de vue est unanime lors de la réunion
préparatoire au séminaire en septembre). Au centre du débat, il y a le rapport
au marxisme, le problème posé par le discours théorique en référence
contradictoire à l'opposition science/idéologie, la question de la dialectique, de son
contenu, de ses liens avec le matérialisme. Le séminaire s'est nourri d'exposés
sûr le concept de mimésis, sur Peffet-V chez Brecht, sur les nouveaux
philosophes, sur le livre de J.-L. Houdebine, Langage et marxisme.

2. La stratégie du séminaire dans ses enjeux


et son fonctionnement

Jean-Michel Baudrier :
Ma présence au séminaire d'Henri Meschonnic se justifie par la place
décisive qu'il me semble occuper dans le champ universitaire. Je voudrais
montrer que l'originalité de sa visée, la nécessité de sa fonction, dans la crise
que traverse aujourd'hui l'université, comme la spécificité de son mode de
fonctionnement sont inséparables de la conception de l'activité théorique qui
le sous-tend.
L'affirmation de la nécessité d'une visée radicalement « théorique » est
sa première caractéristique; face à deux stratégies plus ou moins explicites, la
première étant sans doute la conséquence de la seconde :
— la disqualification de l'activité théorique, au nom d'une prétendue
« inflation théorique » (où ne se cache, en fait, que le laxisme théorique

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régnant). Conséquence : la « recherche » se trouve rejetée du scientisme
(le formalisme structuraliste) où la mode l'enfermait naguère à l'historicisme —
(l'histoire des théories sans théorie de l'histoire, ni théorie du sens); à moins
que ce ne soit à l'empirisme...
— l'hyper-théoricisme (entendons le blocage théorie-science vs
université = idéologie). Il fait de l'institution « séminaire » une sorte de refuge
élitiste dont la seule finalité semble être la satisfaction narcissique de quelques
initiés (les « intellectuels »), venant y contempler le spectacle de leur propre
« dissidence ». Par là, il maintient la crise de l'université, alors qu'il croit
faire une « entreprise à contre-courant » (J. Kristeva) * :
« l'enseignement qui ne m'a jamais beaucoup intéressée me paraît être une
entreprise archaïsante et conservatrice qui fait fleurir les petits " moi " des nouveaux
mandarins et les fantasmes communautaires de leurs jeunes disciples bercés par
l'illusion de totaliser un savoir, peut-être ésotérique, mais néanmoins accessible
à tous [...] Un seul domaine dans l'édifice universitaire me semble garder une
certaine valeur épistémologique : la "recherche" puisqu'elle s'efforce d'ouvrir
des voies et de susciter ou d'encourager des exceptions [...] »

Le mot « séminaire » y prend son sens religieux (la mission « apostolique » en


moins, peut-être!) : toute clôture est sacralisation, et le motif de 1' « élection »
y a son double politique : la sélection.
Dénominateur commun de recherches différentes, le séminaire d'H. M.
me semble être au contraire un lieu ouvert. D'abord parce qu'il appelle une
pluralité de discours : aux propositions théoriques dont l'élaboration revient
à H. M. lui-même (en quoi le séminaire n'est pas un « groupe de recherche »),
répond un questionnement multiple (l'an dernier sur des publications récentes,
cette année sur le travail en cours de quelques-uns d'entre nous, et sur celui
d'H. M. lui-même). La diversité des participants me semble être source de
tensions fécondes, même si elle donne parfois à notre démarche une allure
fragmentaire cahotique... Elle évite le piège de l'illusion d'un sujet «
collectif» qui réinstaurerait le dogmatisme de la visée unitaire-totalitaire propre
à la rationalité métaphysique; tandis que l'existence d'un enjeu théorique
commun et d'une plate-forme métathéorique commune évite le piège inverse,
celui de l'amalgame empirique ou pragmatique.
Cette « ouverture » du séminaire doit lui assigner un rôle de
transformation idéologique au sein de l'université, qui, pour l'instant, reste plutôt virtuel :
il faudrait qu'il se donne pour tâche (lorsque l'élaboration théorique sera plus
avancée?) d'articuler le discours théorique et le discours pédagogique, non pas
pour les « concilier » (on a vu les impasses récentes d'une telle tentative), mais
pour les dialectiser.
La seconde caractéristique de ce séminaire tient au contenu même de sa
visée théorique : il est le seul lieu où se manifeste l'exigence, et où se prenne le
1. Entretien avec V. Forrester, La Quinzaine Littéraire n° 224 (1er- 15 janvier 1976). C'est nous qui
soulignons.

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risque, de penser ensemble le langage et l'histoire, sans quoi on manque
nécessairement, comme on l'a fait' jusque-là, la spécificité du poétique.
Aussi l'activité théorique y a-t-elle une fonction essentiellement critique :
les questions qu'il est le seul à poser ( — et, sur ce point, on ne peut dissocier le
travail du séminaire de celui d'H. M. lui-même — ) ne viennent pas combler des
« lacunes » dans le champ du savoir : c'est la tâche que s'assignent la plupart
des autres séminaires de recherche. Elles ne peuvent s'élaborer que contre
les autres discours qui en occultent l'évidente nécessité (évidence non pas
donnée, bien sûr, mais construite). Et je dois dire que cette fonction critique
du séminaire a été décisive pour moi, n'ayant rien d'autre, lorsque j'y suis
arrivé l'an dernier, qu'une insatisfaction mal formulée, mais de plus en plus
nettement ressentie devant la gratuité des discours prétendument « novateurs »
(des démontages textuels du formalisme aux jeux « charmeurs » sur le
signifiant) et leur inadéquation à la pratique de la lecture qui me semblait devoir
requérir une rationalité nouvelle.
Il résulte de cette fonction critique que le séminaire n'est pas un lieu
d'enseignement : il faudrait plutôt dire un lieu de (trans-)formation individuelle/
collective. Parce que la théorie n'y est pas conçue comme l'énoncé d'un savoir
acquis, mais comme l'effort mené en commun vers une rigueur spécifique. Non
que le savoir n'intervienne pas : la circulation des informations venant des
lectures ou des travaux de chacun lui fait jouer son rôle, qui est dialectique
(émergence de questions et de propositions nouvelles...) C'est que l'activité
théorique s'y exerce, non pas au nom d'une vérité, mais d'une recherche :
celle d'un « faire-sens » — le sens n'est pas un « il y a », dit H. M., mais « un
faire, un agir... » explicitant elle-même sans cesse sa propre théorie du sens.
D'où les diverses procédures qui règlent le fonctionnement de ce
séminaire : contre-questionnement (interne autant qu'externe), remise en question
permanente dans la formulation des règles de méthode (l'une et l'autre
collectives)... qui me semblent être autant de garanties effectives contre tout risque
d'adhésion « spontanée ou dogmatique ». Je dirais, sans moralisme aucun,
mais comme exigence de la théorie elle-même, qu'elles dessinent une sorte
d' « éthique » du séminaire : l'honnêteté et la modestie intellectuelles doivent
y être — et y sont, je crois — à la mesure de la gravité des enjeux de ce
séminaire. Inversement, une espèce d' « orgueil » signale le discours qui,
prétendant parler au nom de la totalité, se prend pour le telos de tous ceux
qui l'ont précédé, dans une globale négation de l'histoire, du discours, du
sujet.
A propos du contre-questionnement, qui prend souvent la forme d'un
« mais-qu'entends-tu par... », je crois qu'il faut signaler une des difficultés
auxquelles se heurte actuellement le séminaire — peut-être nécessairement,
étant donné la nouveauté radicale de la rationalité qu'il met en œuvre et
des présupposés métathéoriques qu'il implique. S'il est nécessaire de
maintenir à tout moment le contrôle de la cohérence et l'exigence d'explicitation

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et si la confiance personnelle ne doit pas remplacer l'analyse, l'historicité
même du (faire-) sens doit proscrire la hâte à vouloir dé-finir (à vouloir en
finir?). Or, l'idée que le « non-encore-défini » de certaines notions
n'hypothèque nullement leur opérativité dans le champ d'une problématique en
gestation est encore l'objet de certaines « résistances ». Le risque est alors
de bloquer la démarche du séminaire dans un formalisme de l'identité
— « qu'est-ce que?... » — contraire à une de ses visées théoriques majeures :
le travail de la contradiction dans le « faire ».
Reste cette difficile exigence, que la démarche de chacun doive se situer
en explicitant à tout moment ses présupposés et sa visée : « vers quoi, avec
qui, et contre qui » (H. M.). Parce que les enjeux sont tels — une conception
dialectique du langage et de la vie — qu'ils ne peuvent se définir qu'en termes
de stratégie. Autant dire aussi, et ceci a son importance pour la « vie » du
séminaire, que l'intérêt qu'ils appellent (pour ou contre) ne peut être que
passionné, puisque, comme le dit H. M., la poétique ne tient pas un discours
« sur » la poésie, mais avec, dans, à partir de la poésie. Passionné au sens
où Baudelaire (neutralisant dans son discours critique, l'opposition subjectif/
objectif, par une double théorie de la stratégie et de la transsubjectivité)
disait :

« pour être juste, c'est-à-dire pour avoir sa raison d'être, la critique doit être
partiale, passionnée, politique, c'est-à-dire faite à un point de vue qui ouvre le
plus d'horizons 2 ».

En quoi le séminaire me semble interdire la neutralité prudente, l'éclectisme,


la spéculation ludique, le dilettantisme curieux de tout ce qui brille...

Ma contribution personnelle au séminaire n'a pris jusque-là que la forme


de quelques interventions ponctuelles, assez limitées : questions,
suggestions de réponse... (L'inégalité de participation dans un séminaire ne me
paraît pas nécessairement regrettable, dès lors que ceux qui, de par leur
avance théorique sur les autres, se posent en « interlocuteurs privilégiés »
ne confondent pas la mise en avant de leurs concepts ou de leurs critiques,
avec un faire-valoir personnel : là encore, c'est l'éthique du séminaire qui
est en jeu). Ce n'est donc pas que le mode de circulation de la parole dans
le groupe me fasse considérer mon degré de maturation théorique comme
un obstacle à une véritable prise de parole : je pense simplement que mon
projet de recherche, tout récent, est encore insuffisamment consolidé pour
donner lieu à l'exposé d'une problématique constituée. Je me contenterai
donc ici d'indiquer les points d'ancrage de ce projet dans la problématique
d'ensemble du séminaire, avec toutes les réserves que mérite une
formulation provisoire.

2. Ch. Baudelaire, Œuvres complètes, Gallimard, Bibl. de la Pléiade, p. 877.

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Ce travail, dont l'idée est née d'une interrogation sur la fonction que la
« modernité » assigne au concept de négativité, porte sur les rapports de
la poétique et de ce concept, sur l'éventuelle pertinence de celui-ci pour
celle-là, et par là même sur le rapport poésie/philosophie.
1. Ce travail passe d'abord par une critique des discours
(philosophiques, sémiotiques, etc.) de la négativité, de par la métaphysique du signe
qu'ils véhiculent (le mythe du signe-mort, depuis Hegel). Une telle critique
ne peut éviter de poser la question de son propre rapport à la philosophie.
(En ce sens, le travail effectué, l'an dernier, par le séminaire, sur Mimesis
des articulations m'a paru exemplaire de la façon dont la poétique peut
poser à la philosophie des questions qui la gênent sans être elle-même un
discours philosophique.) Rapport à problématiser, à transformer...
2. D'autre part ce travail implique la recherche d'une théorie du rap-
port entre spécificité et historicité. L'épistémologie de la question de la
négativité ne peut se constituer qu'à partir, ou plutôt, au fur et à mesure
de l'étude de certaines pratiques poétiques spécifiques (P. Reverdy, R. Char,
Y. Bonnefoy, J. Dupin). Y joue son rôle leur non-appartenance à la
catégorie des « textes-limites » (Mallarmé, Lautréamont, Artaud, Bataille)
sacralisés par Tel Quel qui universalise à partir d'eux pour étendre la négativité
à une théorie générale de la signifiance. En questionnant ces œuvres, il
s'agit de tenir la multiplicité des formes de négativité, par quoi celles-ci,
structurant autrement chaque écriture, apparaissent chaque fois comme
autant de « formes-sens » spécifiques. Au point, peut-être, où cette
spécificité et cette multiplicité ruinent le « mythe » de la négativité, dernier avatar
des universaux d'une métaphysique (dont la poésie déjoue, par avance, par
sa pratique même la stratégie d' « enveloppement »), alors même qu'elle
programme encore ce qu'on peut appeler les rhétoriques de la négativité. Ce
travail contribuerait ainsi à historiciser la notion encore mythique de «
modernité ».
3. La recherche de cette spécificité nécessite une théorie du sujet dans
son rapport au langage, au social, à l'histoire. Si, comme l'a montré H. M.,
ce rapport ne peut se penser que par une dialectique non hégélienne, il
s'agit alors de se demander, en postulant une négativité non métaphysique,
quel rôle cette notion peut jouer dans cette nouvelle rationalité (comment
opère-t-elle dans le travail du signifiant sur le signe, de l'inconscient sur
le sujet, etc.) Que signifie à cet égard le renvoi de cette notion à
l'idéologique dont L. Althusser fait une des conditions du passage de la conception
métaphysique (Hegel) de la dialectique à sa définition « théorique » (Pour
Marx, p. 220-221)?

Morim de Carvalho :
La première caractéristique du séminaire, c'est d'être un lieu ouvert
où l'on assiste à un questionnement pluriel et divergeant, lequel néanmoins

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recoupe un certain nombre d'enjeux : ceux du poétique, de la langue, de
l'histoire, du politique, etc. Parmi ces enjeux se détache celui du poétique
dans sa confrontation avec le statut du langage, avec l'enracinement
historique, avec les affrontements idéologiques du politique, avec les clivages
théoriques du métalangage.
Mes interventions (animation d'une séance du séminaire plus une thèse
d'État en cours de finition sur la mimésis) se placent dans le cadre d'un
questionnement de la métaphysique dans ses rapports au langage et au
poétique, même si nous ne nous limitons pas strictement à ces rapports.
La mimésis est la pièce théorique à partir de laquelle nous entamons une
contestation de la métaphysique passée et actuelle, c'est-à-dire du système
du Maître (sa stratégie, ses ruses théoriques) tel qu'il fonctionne par exemple
dans les textes aristotélicien ou platonicien, dans le marxisme, dans le
structuralisme, dans les théories modernes sur la textualité, dans les
apologies du libidinal « schizo-mortuaire ».
Cette mise en question débute par une analyse de la métaphysique en
termes stratégiques (la métaphysique étant pour nous un « système
d'enveloppement ») et se poursuit par une lecture de la mimésis dans son enjeu
intra (et extra) aristotélicien. Dans ce début d'analyse, le texte de référence
est celui d'Aristote, auquel nous joignons Pascal, Groddeck, Platon,
Heidegger, Hegel, etc. Nous discuterons ensuite la reconduction de la stratégie et
du système d'enveloppement en d'autres textes (Brecht, Lénine, Plotin,
Bakhtine, Kristeva, Lyotard, Girard, Lecourt, Derrida, Deleuze, etc.), la
mimésis, concept qu'il faut rendre pluriel, et ses enjeux, restant le point
de convergence et de divergence de toutes ces lectures et analyses.

Diogenes Cespedes :
Je diviserai en deux points les remarques sur le Séminaire : a) ce qu'il est
au juste selon moi et ce qu'il devra être un jour; et, b) ce que je propose
d'y faire.
a) L'enjeu théorique du Séminaire vise, de par sa pratique, à construire
une poétique de l'écriture qui tienne compte surtout et d'abord de la
matérialité de l'œuvre, laquelle prend et donne du (des) sens seulement dans le
discours. Discours produit par une pratique qui rend compte, explicitement
ou implicitement, de la conception théorique du langage et de l'histoire.
D'où en découlent une politique et, à l'intérieur de ce discours, une théorie
de renonciation et du sujet.
On comprend donc la portée d'un tel enjeu, surtout en ce qui concerne
les différentes approches qui visent aujourd'hui l'analyse littéraire à
caractère structuraliste où le sens n'y est pas. Analyses qui se doivent de construire
des artefacts formels-logicistes ou historiques voire franchement performan-
ciels, de par leur attachement à une certaine rhétorique/poétique. Toutes
ces théories, si intéressantes et si astucieuses soient-elles, ne peuvent pas

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de par leur défaillance, concevoir une poétique du langage, de l'histoire et
du politique. Car ceux-ci n'entrant pas dans leurs projets, elles s'emploient
plutôt à dissocier dans l'œuvre ce qui est indissociable.
On a donc bien vu, d'après les exposés présentés sur des travaux en
cours, qu'en dépit des difficultés rencontrées, il prévaut à l'intérieur du
Séminaire, autant qu'il se peut, un souci primordial : celui de rendre compte
d'un travail qui poserait en premier lieu une théorisation du langage, c'est
dire comment le langage est pensé par ce qui en est l'utilisateur, comment
l'écriture qui en est le produit le travaille. Une stratégie se dégage à partir
d'ici : dis-moi quelle théorie du langage tu as et je te dirai quelle théorie
de l'histoire et du politique tu pratiques. Autant de manques dans l'écriture
autant de points aveugles. L'absence d'une théorie du langage est le maillon
faible de la politique et de l'histoire. Si on les pense comme une seule et
même théorie.
Construire une théorie du langage qui ne dissocie pas celle de l'histoire
et du politique c'est jeter par le même coup la base d'une pratique
matérialiste de l'écriture dont la visée serait de ruiner toute pensée qui ferait du
langage un impensable, une nature allant de soi.
Ainsi le Séminaire devra-t-il se diriger vers la construction de cette
poétique qui n'est qu'à ses débuts. Les travaux d'Henri Meschonnic ont commencé,
depuis peu, à mettre en œuvre les principes théoriques et la pratique
indissociables de cette poétique dont nous parlons. Mais encore bien des textes, sauf
Le Signe et le Poème et peut-être quelques essais très facilement repérables,
font état d'une théorisation très compacte et serrée et qui ferait, de par son
technicisme, perdre haleine au lecteur inaccoutumé à ce rythme-prosodie
rendant l'économie théorique. Les hypothèses sont construites elles aussi, en
général, comme autant de formes elliptiques qu'une pensée ultérieure devrait
développer en partant d'une syntaxe plus souple sans que l'exposition perde
pour autant en rigueur et cohérence. Le champ de concepts et de notions
utilisés par la démarche de Meschonnic doit être élargi et enrichi. Il est vrai que
son métalangage prend un sens et une valeur spécifiques au fur et à mesure
que la recherche de cette poétique se fait. C'est dans cette voie qu'il nous
semble souhaitable que des termes tels que langage, histoire, politique, énon-
ciation, sujet et social, par exemple, puissent être largement théorisés et
pratiqués, car ils font problème. De même que certaines notions telles que
vivre et dire, décomposées à leur tour (vivre du vivre, dire qui inclut le
dire du dire). C'est dans ce sens que nous parlons d'une critique du
métalangage meschonnicien. Non pas pour un désir d'expansion ou d'assurance
théoriques, mais dans le seul but de réussir l'efficacité propre d'un tel
métalangage.

b) Je suis venu au Séminaire cette année et je compte y rester encore


deux ans. Mais je n'ai expressément pas voulu intervenir avec un exposé de

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plus, car j'ai préféré d'abord bien y regarder de près, dans son espace propre,
le fonctionnement du Séminaire. Écouter surtout. Suivre les discussions afin
de bien mesurer la qualité des participants et pour voir comment les choses
se passaient. Encore que je n'avais rien de nouveau à dire si ce n'était que de
répéter le déjà dit dans le cadre du Séminaire. Étant donné que je suis en
DEA, je n'avais rien de concret à proposer sur mon propre travail de recherche
qui demeurait à l'état d'ébauche.
Démarche du Séminaire : Si le Séminaire est ce lieu de confrontation où
doit travailler une interaction critique centrée sur la théorie et la pratique
proposées par H. Meschonnic, sa démarche devrait viser le développement et
l'élargissement de cette interaction. Interaction qui se reconnaît, non pas dans
une parole de maître, mais plutôt dans une orientation qui tient compte de ses
limitations. Une telle orientation se voit ainsi subir le retour de la critique des
participants, ce qui est peut-être la meilleure voie de transformer les
connaissances toujours vouées, par l'inertie, au fixisme facile. L'orientation est centrée
ainsi sur des problèmes théoriques dont la solution ne ferait que clore toute
recherche, cette dernière se présentant toujours comme désir permanent de
savoir plutôt que volonté d'affirmation d'un savoir. Si la « communauté
intellectuelle » ou le « groupe de travail » se rendent théoriquement et pratiquement
impossibles étant donné qu'il n'y a de sujet qu'individuel, quoique lié
étroitement au social ou collectif, la démarche du Séminaire peut-elle suivre une autre
voie que celle de l'exposition personnelle, toujours soumise à la critique et à
la contradiction?
L 'enjeu du Séminaire : Étant donné qu'il n'y a pas de théorie du langage
et de l'histoire qui puisse éluder la politique, toute poétique étant en rapport
avec le langage et l'histoire on ne saurait la théoriser et la pratiquer en dehors
du politique.
En ce sens donc l'enjeu du Séminaire est politique et maints silences sur
son développement et son prolongement ailleurs que dans son lieu ne
constituent que la preuve d'un refoulement. D'où vient ce refoulement? Des
appareils idéologiques et culturels (d'État ou non peu importe) chargés de
reproduire la dépolitisation et la déshistoricisation de l'écriture? De la critique
jouant le rôle d'appareil d'appui?
Le Séminaire devra poursuivre le développement et l'élargissement de sa
stratégie politique, tout en prenant conscience de son enjeu. Et puisqu'il s'agit
d'un enjeu politique l'État est, au même titre que le langage et l'histoire, visé;
mais dans et par une poétique du politique, de l'histoire et du langage (sans
risque de tomber dans le chomskisme qui mise un État idéal-abstrait lié à son
locuteur idéal). La poursuite de cette stratégie et de ses tactiques travaillant
à montrer la non-contradiction et la non-dialectisation qui rongent toute
pratique idéologique de la littérature.

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Jean-Louis Chiss :
Sur mon bilan d'activités, quelles sont les illusions de l'exposé
rétrospectif? Je ne sais. Il s'agit en tout cas clairement de ma mise en perspective
avec son caractère forcément partiel et partial.
Sur le fonctionnement du séminaire, il est difficile d'avancer des idées
sans le situer par rapport à d'autres. Mais c'est justement là que les difficultés
commencent : existe-t-il un modèle de séminaire, une norme, un
fonctionnement traditionnel? Mes quelques expériences me font penser qu'il existe une
grande diversité : il y a le séminaire qui fonctionne comme un groupe de
travail, le séminaire-club de discussions dans lequel un conférencier chaque fois
différent expose des thèses ou des travaux ensuite débattus, tous les
séminaires où dominent les mondanités et qui vivent des effets de mode, laissant
aux auditeurs les jouissances de la glose et de la répétition. De l'éternel
passant qui, de séminaires en séminaires, fabrique sa culture ou son vernis au
disciple fervent définitivement rivé à la parole du maître, la figure du
séminariste me semble passible d'une enquête sociologique sans doute fort
instructive pour juger de la circulation du savoir dans notre université française en
crise.
En ce qui concerne notre séminaire, on peut rapidement poser qu'il n'est
pas réductible à un lieu d'enseignement même si l'aspect acquisition de
connaissances me semble essentiel. Il s'agit d'une instance dans laquelle se
confrontent des démarches théoriques et critiques en référence au
développement du travail de Henri Meschonnic dont la problématique reste le point
nodal du séminaire. La maturation du travail de Meschonnic ne peut
qu'influencer le développement du séminaire et l'on peut penser en retour que
les confrontations du séminaire influent en quelque manière sur son travail
personnel.
On doit distinguer plusieurs phases dans le déroulement du séminaire
depuis cinq ans ou tout au moins une évolution : dans un premier temps, il
s'est agi d'un séminaire de lectures critiques, les publications récentes ayant
eu souvent la vedette. L'orientation s'est faite ensuite plus nettement sur des
thèmes ou des problèmes et moins sur des textes. La pratique, qui s'est
institutionnalisée depuis deux ans au moins, de confier à un rapporteur le soin de
présenter les problèmes posés par la lecture de tel livre ou par tel travail
personnel me semble enrichissante. Elle permet de centrer le débat sur un ensemble
de questions à discuter. Cette fonction questionnante de l'exposé initial est
essentielle. La circulation de contributions — et pas simplement celles de
Meschonnic — me semble souhaitable. Elle s'est déjà réalisée mais insuffisamment
encore. Le séminaire n'a jamais été confronté, sauf pendant le séjour de
Meschonnic aux États-Unis, à la pratique de la lecture et de l'analyse de textes
poétiques ou romanesques. Cette exclusion, peut-être provisoire, n'est pas une
simple modalité technique mais renvoie à une somme de problèmes théoriques

58
concernant les conditions de possibilité d'une lecture faite en commun. Est-ce
que cela existe et comment?
Il me semble qu'il est difficile de séparer la question des enjeux de ce
séminaire de celle de son fonctionnement. Je dirai que le séminaire pose dans la
pratique un ensemble de questions théoriques comme le rapport des sujets
au discours théorique (quels sont les intérêts enjeu? Les places d'où se tiennent
les discours critiques?). Comment situer le rapport entre le discours
didactique, pédagogique et le discours théorique?
Je situerai rapidement mon intérêt pour le séminaire dans les termes
suivants : les études littéraires (agrégation de lettres modernes) et une formation
en linguistique m'amènent à rencontrer le problème du rapport entre la
littérature et les théories du langage. Cette « rencontre » se fait initialement à
travers la grille conceptuelle de la « sémiotique littéraire ». La démarche
critique de Meschonnic intervient alors pour « démonter » les présupposés
théoriques et idéologiques des procédures techniques et descriptives de la sémiotique
narrative et poétique. La critique du structuralisme, de son corrélat
phénoménologique, le « combat pour dégager l'autre impensé du langage, qui se situe
dans Marx » constituent les lignes de force d'une recherche — et d'une pratique
— qui essaie de théoriser le rapport entre le poétique et le politique. Une telle
orientation ne pouvait qu'influer de manière approfondie et contradictoire (il
est impossible d'en tirer ici toutes les implications) sur le développement de
mes propres travaux et réflexions : ainsi, pour ce qui concerne le rapport entre
la théorie du langage et le marxisme, les avancées de Meschonnic m'ont permis
de discuter et de préciser certaines questions qui commandaient ou commandent
mon activité dans différents organes tels la revue Littérature/ Science/ Idéologie
(dont le n° 6 publiait un entretien avec Meschonnic « Problèmes pour une
théorie matérialiste de l'écriture ») ou la commission littéraire de La Nouvelle
Critique. De même, les séminaires consacrés à Saussure ont été pour moi
l'occasion de confronter une problématique d'histoire de la linguistique avec la
stratégie de lecture de Meschonnic (j'avais travaillé sur le Cours de linguistique
générale et sur Humboldt dans un séminaire de Parix X avec C. Normand et
P. Caussat).
Pendant l'année 1975-1976, j'ai eu, à plusieurs reprises, l'occasion de
participer à l'U.V. de Meschonnic Littérature et théorie du langage qui
examine « quelques raisons pour l'échec de l'interdisciplinarité en ce domaine ».
Le n° 19 de Littérature «Enseigner le français», dans lequel j'ai écrit un
article sur les Français fictifs de R. Balibar, est travaillé par les participants
en fonction même des « positions » qu'il implique sur la littérature (autonomie
relative ou spécificité). Ces questions, posées à travers la médiation de la
pédagogie, se retrouvent formulées plus théoriquement dans le séminaire. Je pointe
quelques autres interventions personnelles dans le séminaire :
— Commentaire d'un article de C. Clément dans le n° 31 de Langages
« Sémiotiques textuelles ». L'exposé tourne autour des rapports entre l'ima-

59
ginaire et le symbolique et le texte littéraire. Comment situer le concept
d'idéologie?
— Présentation dans le cadre du séminaire sur Saussure et Derrida, d'un
petit travail sur Hjemslev qui prend en compte la question suivante : comment
le formalisme glossematique reconnaît-il (ou pas) la spécificité de l'écriture?
— Présentation, dans le cadre du séminaire sur Saussure et Humboldt,
d'un article de A. Martinet (Le Monde, janvier 1971) qui critique le concept
chomskien de créativité (créativité au sens linguistique et dérive vers
créativité poétique : le séminaire s'interroge sur cette « double mystification ».
— Dans le cadre du séminaire sur La syntaxe et l'Histoire dans la poétique
je présente des éléments de réflexion à partir du livre de Delas et Filliolet
Linguistique et poétique. Je me sers du débat sur Mimologiques de Genette
dans un article consacré à ce livre (La Nouvelle Critique, n° 109).
— Cette année, j'interviens sur « quelle " théorie " du langage chez les
nouveaux philosophes? »
La critique comme fondement d'une connaissance, le caractère
indissociable du discours théorique et du discours polémique font de la pensée de
Henri Meschonnic une pensée intervenante, interlocutrice de taille pour le
marxisme. Son séminaire me semble acquérir de plus en plus les caractéristiques
d'un lien d'échanges féconds qui permettent de poser les questions qui rendent
et la réflexion et la pratique possibles ici, aujourd'hui.

Jean Patrice Courtois et Olivier-René Veillon :


Nous voudrions examiner la « stratégie de l'historicité » avec Meschonnic.
L'historicité est indissociable de l'enjeu théorique. Elle est la rationalité
nouvelle à construire historiquement et dialectiquement 3 en travaillant les
difficultés du marxisme dont la crise peut être féconde. Ces difficultés touchent
à la théorie des idéologies, à la théorie du langage et à la dialectisation
manquante de ces deux termes. Constater l'absence de cette dialectisation revient
à poser la question de la dialectique et à interroger son statut dans le marxisme
au nom de ce qu'elle a permis et de ce qu'elle n'a pas permis. D'où une lecture
critique de Engels (Anti-Dùhring et Dialectique de la Nature) dont Althusser,
Macherey et Raymond nous donnent les éléments. Ainsi que Brecht. Raymond,
analysant les pratiques scientifiques, et les idéologies de la rigueur qui leur
sont conjointes, redécouvre, sous la logicisation de la dialectique en ses lois
chez Engels, et sous le discours philosophique qui en découle nécessairement,
le matérialisme dialectique, le travail de « dialectiques réelles » (Matérialisme
dialectique et logique) sans lesquelles Engels n'aurait pu asseoir sa rigueur.
Brecht, par de tout autres voies, à partir des pratiques artistiques, en arrive
à constater le statut exclusivement philosophique d'une dialectique de la Nature
et à critiquer Engels : « On réussira sans doute à prouver par d'audacieux

3. Cf. Pour la poétique 1, 2, 3, 4, 5, Le signe et le poème.

60
raisonnements que la nature se comporte de manière dialectique, mais il est
bien plus aisé de montrer les résultats tangibles et indispensables qu'a déjà
permis d'atteindre un comportement dialectique, c'est-à-dire l'application de
méthodes dialectiques aux faits et aux événements sociaux, donc à la nature de
la société, nommément de notre société » 4, pour retrouver les dialectiques réelles
dans ses pratiques : « clair que le théâtre de la distanciation est un théâtre
de la dialectique. Néanmoins, je n'ai vu jusqu'ici aucune possibilité d'expliquer
ce théâtre en faisant usage du matériel conceptuel de la dialectique : il serait
pour les gens de théâtre plus facile de comprendre la dialectique à partir du
théâtre de la distanciation que le théâtre de la distanciation à partir de la
dialectique 5 ». Aussi la philosophie s'en trouve-t-elle réduite au statut de rigueur
sans objet que seule « la pensée intervenante » peut historiciser. En effet la
pensée intervenante ré-énonce historiquement l'historicité des pratiques et, par
là même, est synonyme de dialectique.
L'historicité n'est pas une. Il y a une historicité de l'énoncé et une
historicité de renonciation. L'historicité de l'énoncé est celle qui marque le texte
d'une époque par l'idéologie qui s'y manifeste. L'historicité de renonciation
historicise l'énoncé, en tant qu'il est discours, par les « formes sens » qui font
le texte. Ainsi l'admirable démonstration d'Antoine Vitez dans les Burgraves,
restituant la double historicité de Hugo dont Henri Meschonnic a montré
l'enjeu pour Châtiments dans Écrire Hugo, mettait pratiquement en jeu une
dialectique réelle de l'Histoire et du texte. Antoine Vitez ne tente pas de mettre en
scène l'historicité de l'énoncé, mais il la théâtralise dans renonciation qui lui
est irréductiblement contemporaine. C'est le choc de deux historicités qui fait
la violence de cette mise en scène où l'alexandrin n'est jamais réconcilié avec
la signification de sa frappe parce que, toujours, la signifiance excède le plein
sens visé par cette frappe. La violence est alors pure historicisation d'un texte
qui s'écrit théâtralement.
La dialectique comme pratique se théorise dans la pratique théorique et
peut légitimement être dite réelle. En ce sens, penser les dialectiques comme
réelles suppose de construire le dispositif théorique par lequel les effets de
savoir des pratiques seront historiquement historicisés : c'est là qu'est l'enjeu
de la réénonciation historique. C'est pourquoi le travail d'Henri Meschonnic,
quand il pense l'historicité comme le rapport de l'historique et du spécifique,
nous aide à mieux saisir ce qui, dans les pratiques, est dialectique : les
techniques, les opérations, le travail.
Il est en effet aujourd'hui nécessaire d'échapper à la métaphore du mode
de production, pour penser les pratiques artistiques, particulièrement les
pratiques littéraires, dans leur travail, c'est-à-dire dans leurs opérations
spécifiques qui ne sont telles que dans l'Histoire. L'écriture ne se produit pas en
vue d'œuvres : la littérature n'est pas sa fin. Elle ne se produit pas en vue
4. Écrits sur la politique et la société, p. 119, l'Arche, Paris, 1970.
5. Journal de travail, p. 154, l'Arche, Paris, 1976.

61
d'elle-même : sa fin n'est pas son but. Penser le travail littéraire c'est penser
le rapport entre ce qui est travaillé et ce qui travaille effectivement comme le
rapport de deux instances dont la tension contradictoire fait texte. Ces deux
instances sont les termes d'une double historicité : celle d'une pratique
(historicité de renonciation) qui, dialectiquement, maîtrise, par son enjeu, les
modalités de transformations qu'elle met en œuvre et celle du texte présupposé
(historicité de l'énoncé) contre lequel elle écrit. Ce texte présupposé est la
formation idéologique au sein de laquelle et contre laquelle une pratique se
spécifie en s'historicisant. Ainsi l'écriture de Balzac est-elle antérieure au
projet balzacien tout en lui étant également postérieure. « La comédie humaine »
est une ruse de la pratique qui assume les implications idéologiques des
conditions du travail littéraire pour leur faire écrire l'histoire de cette
idéologie. Balzac compromet « la littérature » dans son projet, jusqu'à risquer la
vulgarité d'un style, pour mieux écrire la fable de l'écriture bourgeoise,
misérable splendeur d'une illusion perdue.
La notion de dialectique, étant l'enjeu principal de notre travail théorique,
il nous a semblé nécessaire de repérer les textes où la théorie est indissociable
de son exploration. Dans cette entreprise, la lecture critique ^Héritage de ce
temps d'Ernst Bloch (Payot, 1977., trad. J. Lacoste) mise en rapport avec les
textes de Brecht déjà cités, a donné lieu à un exposé au séminaire. La lecture
tfHéritage de ce temps nous a permis de voir les difficultés qu'il y a à sortir
de la dialectique hégélienne, même en mobilisant pour cela le double recours
aux pratiques et au marxisme. La notion d'héritage consiste à transformer le
passé dans le présent pour que le futur arrive, c'est donc une notion
dialectique. Ainsi la dialectique, selon Bloch, permet d'éviter à la fois l'historicisme,
conçu comme restitution du passé « dans une polyphonie infinie, mais sans
voix dominante », et le sociologisme qui résulte de l'application au passé de
lois identiques, ce qui équivaut politiquement à un formalisme. Bloch éprouve
ses thèses sur le terrain du roman de colportage et du roman populaire en
prenant le risque d'une homologie entre la dialectisation de l'Histoire et la
dialectisation des contenus qui fondent l'analyse de ces textes. En fait, cette
dialectisation des contenus n'est rien d'autre que leur simple « ambiguïsation »
en tant que contenus. L'homologie est développée dans l'analyse d'un élément
formel : le montage. Pour Bloch, le montage, dont Joyce est le principal
représentant, est un produit de la bourgeoisie mais peut être utilisé dans un autre
sens d'où sa distinction entre un usage joycien et un usage brechtien du
montage, et ce contre Lukacs pour qui Joyce et Brecht sont également
« décadents ». Le formalisme de Lukacs était une évaluation politique de
l'œuvre sur de simples critères formels. Cependant, si Bloch évite le
formalisme de Lukacs, c'est pour retomber dans une conception miraculante de la
révolution, ce qui lie. la lecture du politique dans l'œuvre de Brecht à sa téléo-
logisation en vue d'une fin du théâtre homologue d'une fin de l'Histoire.
Autrement dit, l'effort de Bloch pour rendre dialectique sa conception de

62
l'Histoire (en héritant réellement du passé, pour lire l'avenir dans le présent
et le rendre présent dans le présent) aboutit ensuite à des thèses sur la
littérature qui elles ne sont ni historiques ni dialectiques, en ce qu'elles manquent
le politique du poétique.
Contrairement à Bloch, Brecht écarte le formalisme de la méthode qui
pose l'homologie entre le récit brisé et l'unité brisée de la réalité, formalisme
que Bloch n'évite pas quand il écrit : « le style d'Ulysses correspond de toute
façon à un monde sans contrôle » (p. 223, op. cit.) Selon Bloch, Brecht veut
une langue parcimonieuse et des phrases bien nettes, en quoi il s'opposerait à
Joyce. Bloch tombe ici dans la fiction juridique d'un bon droit du langage
lié au bon sens des mots, des mots qui font sens dans la bonne direction. Cette
théorie du langage instrumentalise le langage au service du sens et donc, fait
l'absence d'une théorie de la métaphore, de la figure dans le langage. En
définitive, la théorie qui fait effort pour dialectiser l'Histoire et la littérature reste
prise dans une conception hégélienne de la dialectique qui ne peut penser le
politique de l'écriture car elle ne la place que dans l'historicité de l'énoncé.
La lecture de Brecht s'oriente donc pour nous, dans son rapport
contemporain à celle d'Henri Meschonnic, par la recherche d'une dialectique qui
permette de penser le politique de l'écriture par l'historicité de renonciation,
cela par la dialectique conçue elle-même comme « l'extraction de la
composante politique » (Brecht) dans l'écriture en travail.

Michel de Fornel :
La visée du séminaire, à travers la focalisation sur des points partiels
(Humboldt et Saussure, la syntaxe et l'histoire dans la poétique) est bien la
fondation d'une théorie de la poétique reprenant le projet formulé par Henri
Meschonnic dans Pour la poétique. Une telle élaboration ne peut se faire,
semble-t-il, que par l'inter-action entre (1) la réflexion/lecture (ou re-lecture)
critique et (2) l'élaboration systématique proprement dite.
C'est par rapport à cette visée que chacun a eu et a à se situer. Pour moi,
cette visée est nécessaire, tant pour un travail « concret », en particulier sur la
poésie de R. Char, que pour l'interrogation qu'elle m'oblige à avoir, de
manière encore plus nette que la socio-linguistique, dans le champ de la
linguistique.
La manière dont se concrétise plus ou moins cette visée a impliqué des
fonctionnements différents du séminaire, sans que pour autant les attentes des
participants soient nettement explicitées. Il était seulement clair que le
séminaire ne pouvait fonctionner de manière traditionnelle. Pour certains, le
séminaire devait plutôt être le lieu permettant de donner une « assise » théorique
à un travail concret sur la poésie ou sur la traduction (cf. par exemple
la demande souvent formulée de travail sur des textes) et ayant alors
plutôt le rôle de théorisation méthodologique, et technique. Pour d'autres, plutôt
comme un lieu critique dans un champ théorique donné.

63
La force théorique et polémique des propositions de Meschonnic qui font
qu'elles ne peuvent avoir le statut des simples contributions au débat et qu'elles
sont bien des propositions théoriques qui ont orienté et orientent le séminaire,
a tendu à privilégier un fonctionnement du séminaire axé autour du point (1).
On l'a vu en particulier quand le travail du séminaire a été de faire surtout
l'analyse critique de livres, par exemple, en 76-77, Guillaume, Delas et Fil-
liolet, Bakhtine, Lacoue-Labarthe... L'interaction entre les deux points (1) et
(2) tendrait à rapprocher le séminaire d'un groupe de recherches, mais
impliquerait une prise de position théorique et pratique, au-delà d'une adhésion
spontanée ou dogmatique, sur les propositions fondamentales communes qui
peuvent orienter l'élaboration d'une théorie de la poétique.
Le travail actuel du séminaire, axé autour d'exposés sur les travaux
propres de chacun, apparaît comme un compromis, peut-être nécessaire,
entre les deux.

Marie-Christine Hamon :
H. Meschonnic citait Deleuze : « ... On n'écrit qu'à la pointe de son
savoir, à cette pointe extrême qui sépare notre savoir et notre ignorance, et qui
fait passer l'un dans l'autre. » Et dans Po&sie 1 (correspondance sur la
poésie p. 83) : « ... Que fait l'activité théorique? Elle cherche un savoir qu'elle
n'a pas. Elle n'est pas l'énoncé d'un savoir acquis, mais l'exploration des
marges de l'ignorance. Elle en est, aussi, l'écriture. On théorise ce qu'on ne
connaît pas [...]. »
C'est cette situation de 1' « activité théorique » — ni « scientifique » ni
« didactique » que je retiendrai. Parce qu'elle m'apparaît une des propositions
les plus pertinentes pour éclairer la question — et le statut — d'un discours
« théorique » (où certains/certaines voient encore une « terreur »). Mais aussi
parce qu'elle me semble qualifier, en même temps que l'important travail de
Meschonnic (de sa pratique de la poésie, de la traduction, des textes —
d'Apollinaire, Nerval, Éluard, Hugo... — à la théorie de cette pratique; théorisation
qui oblige aux détours et critiques qu'on sait de la linguistique, de la philosophie
du langage, de la « théorie du langage » à l'œuvre dans tout texte et toute
théorie...) le mouvement même d'aller-retour incessant, et nécessaire sans
doute — de pratique des textes à la théorisation de cette pratique, de la théorie
à la théorie du « théorique », des mises à l'épreuve de la théorie par et dans les
textes..., — qui caractérise le séminaire, et l'empêche... d'être un lieu de savoir
constitué. Le questionnement ne cesse pas. De là, me semble-t-il, la difficulté
extrême. S'il y a des inquiétudes décisives (pour la théorisation) aucune
réponse d'avance, aucune clôture (qui rassurerait). Mais un suspens, indéfini
(?). L'impatience (théorique) en est pour ses frais. On y perd le triomphe.
La question qui est la mienne (sous forme de l'énoncé freudien) de
« Quelques conséquences de la différence anatomique des sexes... » dans le
discours — en examinant des pratiques de discours « féminin » — prend place

64
dans une visée théorique ainsi définie : comme avancée contre les « marges de
l'ignorance », et comme recherche d'une « signifiance », qui englobe le plus de
« langagier » possible (selon les termes de Meschonnic). A savoir — pour
moi — si dans la signifiance, entendue comme rapport entre une subjectivité et
la structure du langage, on peut cerner des effets, ou un « procès » de la
différenciation sexuelle. Question qui ne s'écrase pas dans l'examen de l'énoncé
mais touche, dans les voies ouvertes par Freud et certaines avancées de la
linguistique, au problème de renonciation.
Avec la nécessité d'un certain nombre de niveaux d'analyses (recherche
des champs lexicaux, sémantiques; analyses prosodiques, rythmiques,
syntaxiques) indiquées par la « poétique » qui, constituant une syntagmatique des
signifiants, hors la dichotomie signifiant/signifié, permettrait une
conceptualisation des effets et des liens entre un sujet pris dans un langage comme système,
un inconscient comme système, une idéologie comme système. Pour repérer
selon quelles modalités s'inscriraient les déterminations historiques, sociales,
mais aussi libidinales, sexuelles — et sexuées — d'un « texte » de sujet-femme...
C'est assez dire, je crois, la relation au travail que mène H. Meschonnic,
et à celui qu'il provoque dans le séminaire...

Annie Lambert :
Quelques points au sujet du séminaire :
1) sa structure :
— ouverte, non d'une manière laxiste, mais en assemblant des gens
d'horizons et de formations diverses, aux intérêts divers. (La variété des thèmes
d'exposés ainsi que celle des perspectives choisies rendent compte de cela.)
— centrée, sinon sur une problématique, du moins sur une série de
questions, que l'on retrouve le plus souvent dans les discussions qui suivent les
exposés. C'est sur ce point qu'il faut interroger la fonction du « texte-Meschon-
nic ».
2) la place du « texte-Meschonnic » dans le séminaire.
— centrale, en tant qu'il est l'objet de références constantes, beaucoup
d'interventions s'y rapportant, que ce soit pour aller dans sa direction ou pour
s'en séparer.
Mais ce n'est pas en tant que système clos et déjà tout constitué qu'il
occupe cette place, plutôt en tant que dispositif théorique en élaboration qui
s'efforce de penser, aujourd'hui, un certain nombre de questions. Par exemple,
de Marx et du marxisme : l'enjeu d'une pareille question est déterminant pour
la conception des rapports du politique, du poétique, du sujet.
— excentrique : il ne s'agit pas d'une table-ronde d' « adeptes » ou de «
disciples » (même si une certaine fonction de maîtrise s'exerce). Nous venons ici
par intérêt pour des questions stratégiques qui traversent tout ou partie des
champs dans lesquels nous travaillons.
3) l'utilité que je trouve au séminaire, ou la raison de ma présence.

65
Le « texte-Meschonnic » travaille sur des points que l'on ne peut éluder, il
permet de « faire le point » sur ce qui a été acquis ou non, réglé ou occulté,
dans ces dix dernières années.
Le séminaire est de plus un lieu à partir duquel il est possible de réfléchir
et de travailler, car c'est essentiellement un lieu d'échanges.
4) position face au « texte-Meschonnic ».
Intérêt-curiosité. Par exemple, j'attends avec impatience le livre sur le
rythme. Ce sentiment est motivé par la volonté de travailler dans un champ
semblable ou parallèle, sur des notions qui me paraissent décisives comme
celles de rythme-sens, ou des problèmes comme ceux que pose le rapport
langage/histoire.

Eve Malleret :
Je suis présente au séminaire parce que je travaille sur la poétique d'une
poétesse russe, Tsvétaïeva, et les problèmes de poétique de la traduction. La
recherche théorique qui se poursuit au séminaire me concerne donc et
m'intéresse en particulier par la volonté manifeste de poser les problèmes de
l'écriture en termes matérialistes et de chercher la place du poétique par
rapport au langage et à l'histoire selon une dialectique encore inédite.
Je suis « présente » plutôt que je n'y participe essentiellement à cause de
manques théoriques personnels. D'où mon « aphasie », un sentiment fréquent
de parasitisme.
Peut-être ma gêne tient-elle aussi, et c'est pourquoi finalement j'en parle,
à certaines caractéristiques du séminaire, à l'étape où il se trouve. Il s'y mène,
depuis deux ans en tout cas, une réflexion critique sur des pratiques théoriques
autres que celle de Meschonnic, ou bien sur celle de Meschonnic, à un degré
de théorisation très réflexif, et je fais mal la jonction avec les problèmes de
la construction d'une poétique et d'autre part avec mes préoccupations de
poétique particulières, comme le rythme par exemple. A la première séance du
séminaire j'avais entendu dire que plusieurs participants travaillaient sur des
poètes, comme Reverdy, Char, Apollinaire et depuis, sans le savoir, il serait
impossible de le deviner.
Cela n'est peut-être pas étranger au fait que depuis Pour la poétique I
jusqu'aux parutions récentes dans la NRF : Langage, histoire, une même
théorie, l'itinéraire de Meschonnic et ses visées se sont constamment élargis —
depuis le problème posé de la poétique à des problèmes d'épistémologie de
l'écriture et de philosophie du langage. Avec l'exigence d'un travail théorique,
philosophique, logicien, le lien avec tel point particulier de poétique se fait
difficilement, le plus souvent pas du tout.
Cela tient peut-être également à la poétique propre du poète qui
m'occupe : sa pratique poétique n'étant pas explicitement implantée dans
l'histoire comme par exemple celle de son contemporain, Maïakovski, il est
particulièrement difficile de déceler le rapport de cette poétique à l'histoire.

66
Or la tentative de cerner ce rapport dialectique, mis en jeu dans mon travail,
est, au stade où j'en suis, souvent paralysée.

Henri Meschonnic :
Le séminaire n'est pas un lieu d'enseignement, mais de recherche et de
critique collective. Il a sans doute été nécessaire à l'animateur comme aux
participants de passer par quelques années de critique de l'actualité pour
circonscrire une visée et son extension. Tel qu'il a évolué depuis deux ans, le
séminaire est devenu ou vise essentiellement à devenir un lieu d'échange,
d'interaction critique, dont personnellement j'attends la mise à l'épreuve et la
discussion des propositions théoriques de ma recherche propre. La critique
porte donc aussi sur le séminaire lui-même, sur son fonctionnement et sur son
enjeu. Je distinguerais ainsi l'autorité et la recherche d'une maîtrise. Ce n'est
pas un séminaire d'autorité. Mais il recherche la maîtrise. C'est-à-dire l'épisté-
mologie des questions du langage et de la littérature.

3. Conclusion (texte commun)

1' « inflation
Le séminaire
théorique
dénonce
». Notion
l'idée
quireçue,
situe un
y compris
rejet de laà théorie,
Vincennes,
où sequ'il
caractérise
y a de
la répétition de schémas sans analyse, aboutissant par exemple à la notion
connue d'articulation entre marxisme et psychanalyse comme, un peu plus tôt,
à celle ^interdisciplinarité. C'est parce qu'il n'y a pas assez de théorie que
certains parlent d'inflation théorique. La critique de la pédagogie de la littérature
ne peut pas se faire sans l'élaboration en cours de la théorie. Dès que ce travail
s'arrête, l'empirisme des idéologies régnantes (modernistes ou traditionalistes)
est le maître. De ce point de vue, Vincennes n'est plus Centre Expérimental,
mais un lieu de répétition comme n'importe quel autre.
La vocation critique du séminaire ne peut pas ne pas ouvrir sur l'examen
de ses propres contradictions. En ce sens, une des tâches du séminaire est la
mise en garde contre toute adhésion spontanée, quelle qu'elle soit, puisque
celle-ci supprimerait l'interaction, et referait du séminaire un lieu
d'enseignement, équivalent du transport au lieu du rapport en traduction. Il ne s'agit
donc pas de faire un séminaire de disciples. La difficulté du séminaire est de
conjuguer l'apport individuel des participants que réunissent leurs recherches
dans la poétique avec la visée synthétique actuelle du séminaire. C'est le reflet
des rapports entre les pratiques particulières et l'activité théorique. Seulement
il n'y a d'activité théorique que dans et par des pratiques. C'est peut-être quand
il n'y a pas encore de pratique réelle qu'il n'y a pas de rapport à la théorie.
Tout ceci étant, bien sûr, indéfiniment en cours.
Vincennes occupe une place à part dans l'Université et c'est seulement en
envisageant cette place et ses caractéristiques que l'on peut définir une stratégie

67
dans un séminaire. Cette place résulte largement de la situation de Vincennes
qui est doublement politique : d'une part directement politique et d'autre part
indirectement politique. Directement politique, en ce qu'elle fut créée juste
après les événements de mai 1968, et que son objectif était et est toujours
d'accueillir les étudiants salariés. Indirectement politique, en ce que tout
département, et ici le Département de Littérature en particulier, peut se
concevoir selon diverses stratégies. Il semble, à partir de là, que la stratégie dans
Vincennes est celle de l'activité théorique comme volonté majeure, ce qui la
différencie d'autres facultés. Il est vrai que « le côté faculté de troisième cycle »
est un danger réel, mais l'absence de théorisation des pratiques engagées ne
peut en aucun cas constituer un remède. Dans ces conditions, le diagnostic
« d'inflation théorique », dont il a déjà été question, isole le Département de
Littérature ou tend à l'isoler, ce qui ressemble plutôt à une stratégie
administrative qu'à une stratégie théorique. Comme si, de plus, pas de théorie, pouvait
constituer un mot d'ordre sans aucun effet politique6. La situation implique
donc une stratégie précise, tant d'une part, cette situation est complexe dans
les rapports de Vincennes avec l'extérieur et à l'intérieur de Vincennes même,
et tant, d'autre part, toute stratégie ou absence de stratégie est porteuse de
conséquences à tous les niveaux sur les situations à venir. Si donc il n'est pas
de prise sur une situation sans une stratégie, dont on dira juste ici qu'elle doit
être théorique et politique, il faut en déduire que tout séminaire doit porter sa
propre stratégie qui définit sa nature propre. Ici, l'accord se fait sur un
séminaire qui est un espace de la contradiction réelle, tenue et affinée à l'intérieur
d'enjeux communs définis plus haut, plutôt que sur un « espace libéral » où les
enjeux s'éparpillent avec les contradictions. Autrement dit, les questions
auxquelles il faut tenter de répondre, inlassablement, peuvent se formuler ainsi :
quel séminaire pour quelle stratégie? et quelle stratégie pour quelle situation?

Jean-Michel Baudrier, Morim de Car-


valho, Diogenes Gespedes, Jean-Louis
Chiss, Jean-Patrice Courtois, Michel de
Fornel, Marie-Christine Hamon, Annie
Lambert, Eve Malleret, Henri Mes-
chonnic, Olivier-René Veillon.

6. Comme le rappelle L. Althusser : « La théorie est hautement politique.

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