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Swingewood Alan, Sonolet Daglind, Lorenceau Annette. La théorie de la littérature de Lukács. In: L'Homme et la société, N.
26, 1972. Art littérature créativité. pp. 19-44.
doi : 10.3406/homso.1972.1719
http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1972_num_26_1_1719
de la littérature de lukacs
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l'accent sera mis sur la théorie littéraire comme un tout. Ce que nous voulons
montrer, c'est que la théorie de la Uttérature de Lukacs s'est développée et a
été systématisée en opposition avec une théorie révolutionnaire et dialectique
véritable, et que ses travaux sur l'esthétique relèvent plus du rationalisme et
de l'éclectisme que du marxisme.
I. LUKACS ET LE MARXISME
(4) Voir L. Goldmann, « Introduction aux Premiers Ecrits de Lukacs », préface de La Théorie du
roman, Paris, 1963, sur l'appréciation de ces écrits pré-marxistes.
(5) Lénine a défini le marxisme « comme une analyse concrète d'une situation concrète ». Dans son
essai sur Lénine (1924) Lukacs parle du marxisme de Lénine de façon abstraite sans voir combien est
riche et dialectique son approche de situations historiques concrètes.
(6) Dans son essai, Mein Weg zu Marx, 1933 ; voir sa Préface de 1967 à Histoire et conscience de
classe, (HCC).
(7) Lénine a sévèrement critiqué Lukacs dans La maladie infantile du communisme, 1921.
LA THEORIE DE LA LITTERATURE DE LUKACS 21
(19) Voir par exemple, « Taktik und Ethik », 1919, G. Lukacs, Werke, vol. 2, Neuwied, 1968, et les
articles écrits pour la revue Kommunismus, publiés dans la partie « Fruhschriften 1919-1922 » dans
Werke, vol. 2, Neuwied, 1968. ,
(20) Voir T. B. Bottomore, ,« Class Structure and Social Consciousness », dans I. Mészàros, Aspects
of History and Class Consciousness, Londres, 1971.
(21) Ceci illustre l'unité fondamentale de la pensée de Lukacs et il est inadmissible de la séparer en
« bonnes » et « mauvaises » parties.
(22) « Neuland unterme Pflug », dans G. Lukacs Werke, vol. 5, Neuwied, 1964 ; S. 501 ; souligné
par nous.
(23) Ibid., souligné par nous.
LA THEORIE DE LA LITTERATURE DE LUKACS 25
des produits d'autres circonstances et d'une éducation modifiée, oubUe que ce sont
précisément les hommes qui transforment les circonstances et que l'éducateur a
lui-même besoin d'être éduqué. C'est pourquoi eUe tend inévitablement à diviser la
société en deux parties dont l'une est au-dessus de la société. La coïncidence du
changement des circonstances et de l'activité humaine ne peut être considérée et
comprise rationnellement qu'en tant que pratique révolutionnaire » (24).
Comme dans la philosophie des Lumières, objet de la critique de Marx,
l'appréhension mécaniste du rapport de l'individu à la société, conduit à une
forte méfiance envers les masses qui, si elle n'est jamais clairement exprimée
dans les écrits de Lukacs, est impUcite dans l'accent qu'U met sur le rôle de
guide du Parti communiste, dans sa direction morale et politique et comme
seule incarnation des valeurs révolutionnaires. Dans la philosophie des
Lumières, la bourgeoisie défend ses privilèges contre les masses par un appel
philosophique à la responsabilité morale des dirigeants de la société. Pour
Lukacs, le rôle du Parti dans les questions poUtiques et sociales, et des
intellectuels dans le domaine intellectuel (art et Uttérature, etc.) est d'éduquer
les masses incultes. Les grands écrivains réalistes doivent être lus comme des
exemples ; leurs uvres doivent être acceptées en raison de leur pouvoir
moral sur le lecteur. Pour Lukacs, l'art de Tolstoï est un « moyen » de
communiquer un certain contenu, un sermon tendant à tourner l'humanité
vers un renouveau (25) ; Gottfried Keller est féhcité pour avoir réalisé
« l'union de l'aspect poétique avec l'aspect d'éducation populaire » (26), alors
que Thomas Mann devient « l'éducateur de son peuple » (27).
Il est clair que Lukacs voit la société en termes de lutte entre raison et .
déraison, d'où des contradictions qui ne peuvent être surmontées que par la
suprématie des éléments rationnels, c'est-à-dire par l'humanisme. Il cherche
donc des alliés dans tous les hommes éduqués, « éclairés », et fait appel à la
bourgeoisie aussi bien qu'aux sociaUstes. Pour lui, le véritable ennemi n'est
pas la société bourgeoise, mais la déraison incarnée dans la décadence de la
bourgeoisie moderne et dans certaines pratiques staUniennes. Il cherche une
troisième voie et la découvre dans l'humanisme. C'est pourquoi la Uttérature
peut montrer le chemin qui sauvera l'homme de la déraison grâce aux
principes du réalisme critique qui permettra de venir à bout des mauvais
côtés de la littérature du réaUsme socialiste comme de ceux de la Uttérature
de la bourgeoisie décadente. Aussi Lukacs recommande-t-il aux écrivains
modernes de suivre le conseil de Hamlet de présenter un miroir au monde et
d'aider l'humanité à progresser grâce à l'image ainsi réfléchie ; d'aider les
principes humanistes à s'imposer dans une société pleine de contradictions,
qui d'un côté engendrent l'idéal de l'homme complet mais qui en même
temps, dans la pratique, le détruit (28).
Paris.(24)
1966,
Engels,
p. 88.Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande. Editions Sociales,
(25) Lukacs, Studies, op. cit., p. 193.
(26) Lukacs, Die Grablegung des alten Deutschland, Hambourg, 1967, S. 45.
(27) Thomas Mann, op. cit., p. 34.
(28) Lukacs. Balzac et le réalisme français, Paris, Maspcro, 1968.
26 ALAN SWINGEWOOD ET DAGLIND S0N0LET
(29) « Einfuhrung in die Asthetik Tschernyschewskis », dans G. Lukacs, Werke, vol. 10, p. 107.
(30) Lukacs, Studies, op. cit., p. 107.
vol. (31)
10, S.« Einfuhrung
205. in die àsthetischen Schriften von Marx und Engels », dans G. Lukacs, Werke,
(32) Marx, Introduction à la critique de l'économie politique, 1859, Préface, 1857, Moscou, 1971,
p. 215.
On trouve dans les écrits de Trotsky sur la littérature une théorie très complexe de la médiation. Il
constate, comme Marx, le développement inégal de la littérature et de la société. L'activité artistique,
dit-il, « par sa nature même, retarde par rapport aux autres modes d'expression de l'esprit humain et
encore plus par rapport à l'esprit de classe ». (Trotsky, On Literature and Art, New York, 1970,
pp. 67-68). Dans la création littéraire, des éléments de caractère universel (la peur de la mort, l'amour
LA THEORIE DE LA LITTERATURE DE LUKACS 27
De même, Engels note dans ses remarques sur la culture et l'économie qu'en
ce qui concerne ce qu'il appelle « les idéologies les plus élevées » * (la
philosophie, la théologie, etc.) c'est l'économie qui influence les idées d'une
façon décisive, mais que « les Uens entre les idées et leur base matérielle
d'existence deviennent de plus en plus compUqués, obscurcis de plus en plus
par des chaînes intermédiaires » (33). Engels écrit que la philosophie et la
Uttérature sont influencées par des traditions qui, se rattachant à la division du
travail dans chaque branche, permettent à partir de la base le développement
d'une certaine autonomie : le rapport de la Uttérature avec la société est
essentiellement un rapport dialectique (34).
Contrairement à Lukacs, qui par sa théorie du reflet fait disparaître
l'écrivain derrière une création Uttéraire immédiate, ou qui le transforme en
simple observateur du typique, c'est-à-dire, des rapports sociaux les plus
importants et de leur potentiaUté à l'intérieur d'une époque d'un certain type, Marx
et Engels ont compris la créativité en tant que forme d'activité Ubre. Il ressort
clairement des remarques acerbes que Marx fait sur le célèbre roman
d'Eugène Sue, Les mystères de Paris (35) que si la Uttérature reflète les
intérêts de classes, donc est Uée directement à la structure économique de la
société, elle devient de l'idéologie, un simple épiphénomène, qui ne peut
servir que de document à l'information historique ; elle devient du mauvais
art. Ce n'est qu'en transcendant le point de vue de sa propre classe que
l'écrivain devient le critique de la société précisément parce que l'art s'oppose
à l'idéologie en tant qu'activité libre. Balzac par exemple, bien que
sympathisant sur le plan personnel avec l'aristocratie française, transcende son point
de vue idéologique étroit pour exprimer le triomphe historique nécessaire de
la bourgeoisie. Cette activité critique n'a nullement besoin d'être « positive » ;
Marx dans son commentaire du chef-d'uvre de Diderot, Le Neveu de
Rameau, juge l'uvre de façon dialectique comme une structure à la fois
positive et négative, ayant suivi expUcitement l'interprétation de Hegel. Le
roman dans son essence était « le pessimisme ressortant implicitement de la
conscience de soi », une structure de l'ironie et du pessimisme qui contre-
entre individus) se combinent avec le choix spécifique que fait l'écrivain du matériel historique concret
et de la sélection qu'il opère dans la tradition culturelle antérieure. Pour Trotsky, « la création
artistique... est une trame très complexe qui ne se tisse pas automatiquement... mais vient à jour à travers
des inter-relations très compliquées... » (Ibid., p. 70).
Voronsky (1884-1943), qui a soutenu Trotsky contre Staline et qui fut membre de l'Opposition de
gauche (1925-27) critiqua les théories bassement utilitaires de l'art qui se développèrent en Russie
pendant les années 1920 (par ex. la tendance Proletcult, Le Front de gauche de l'Art), défendant les
qualités littéraires de base de la littérature. Il fut arrêté en 1935 et mourut en camp de concentration
en 1943.
Plus récemment L. Goldmann a tenté d'élaborer une véritable méthode marxiste ; elle met l'accent
sur la cohérence d'une uvre littéraire et sur son rapport avec les affiliations de groupe particulières à
chaque écrivain, essayant de faire ressortir « Fhomologie des structures » entre l'uvre et le groupe
social de l'écrivain et d'expliquer ainsi l'ensemble du texte. Voir surtout Le Dieu caché, (Paris, 1955) ;
Structures mentales et création culturelle (Paris, 1970).
(33) Lettre à J. Bloch, dans Marx et Engels, Selected Works, Moscou. 1962, vol. 11, pp. 488-489.
(34) Ibid., pp. 493-495 ; voir Trotsky, Littérature et Révolution, éd. 10/18, Paris, 1971.
(35) Marx et Engels, Im sainte famille, ch. VIII.
28 ALAN SWINGEWOOD ET DAGLIND SONOLET
(36) Marx et Engels, Ecrits sur l'art, éd. sociales, Paris. Hegel discute du roman de Diderot dans
Phénoménologie de l'esprit, éd. Aubier-Montaigne, Paris.
(37) Marx, Manuscrits économiques et philosophiques, 1944.
(38) G. Lukacs, Werke, vol. 10, p. 219. Cf. aussi, p. 219.
LA THEORIE DE LA LITTERATURE DE LUKACS 29
(39) Voir Taine, Introduction à l'histoire de la littérature anglaise, 1864, et plus récemment, R. Escar-
pit, Le littéraire et le social, Paris, 1970.
(40) Lukacs, Studies, op. cit., p. 119.
(41) Ibid., p. 141.
30 ALAN SWINGEWOOD ET DAGLIND SONOLET
que les classes et les groupes à l'intérieur des classes. La classe se définit par
la position dans la production économique et sociale, par le comportement,
les idéaux, les aspirations ; la conscience de classe se développe parce qu'une
classe s'oppose nécessairement à une autre.
L'écrivain du XIXème siècle appartient à une classe sociale, la
bourgeoisie. C'est précisément cette médiation qui manque à la théorie de la
Uttérature de Lukacs. L'écrivain ne transpose pas sur le plan de la littérature
une vision du monde d'une classe, mais plutôt les forces progressistes de la
société, à condition toujours qu'il ait les qualités morales nécessaires ou la
chance de pouvoir refléter directement ces tendances progressistes. La
structure de classe historiquement complexe du capitaUsme n'apparaît pas dans
cette analyse, et Lukacs ne peut donc distinguer de façon critique entre
les écrivains réaUstes (Tourgueniev, Dostoievsky, Tolstoï par exemple) qu'en
analysant leur point de vue personnel, puisque pour lui, la bourgeoisie est un
bloc non-différencié et non pas un groupe particuUer.
Parce qu'il n'a pas réussi entre autres choses à définir clairement la
position sociale particuUere d'un écrivain par rapport à la classe sociale ni
à étabUr une relation spécifique entre l'uvre Uttéraire et la société, Lukacs a
été conduit à ignorer le problème de l'aUénation. Aussi, alors qu'il affirme
que le déclin du vrai réalisme après 1848 est Ué à l'isolement croissant des
écrivains dans la vie sociale il donne en particulier Flaubert et Zola comme
exemple de ce processus il pense que les romans de Thomas Mann La
montagne magique en particuUer reflètent adéquatement la nature de la
société bourgeoise grâce aux « tendances progressistes » de Mann, et parce
qu'il a eu en tant qu'individu écrivant, une expérience « profonde » et
« radicale », des problèmes fondamentaux de la société allemande. Lukacs
déclare qu'après 1918, Mann a compris ce fait essentiel que, sans démocratie
« une culture véritablement allemande ne pourrait pas renaître » ; « le combat
pour la démocratie se transforme dès lors chez lui, en un combat contre la
décadence » (42).
Les uvres de Mann reflètent la société comme un tout ; la grande
Uttérature est le miroir du mouvement social progressiste. Mais comment
cela est-il possible ? Lukacs a écrit expressément que la tendance de la
société capitaUste dans les dernières décennies du XIXème siècle et les
premières du XXème était d'aUéner l'écrivain et d'en faire un spectateur. En
voulant expliquer pourquoi Mann peut être un grand écrivain réaUste à une
époque où les conditions sociales qui rendent possible le vrai problème ont
disparu, Lukacs est contraint d'aboutir à une interprétation tout à fait
individuaUste. Il soutient qu'en Allemagne, la révolution de 1848 et les
répercussions de la Commune de Paris ont eu pour effet de réduire
« également à l'extrême cette marge permettant une interaction vivante entre
l'art moderne et la vie sociale » (43). Il donne donc une réponse simple aux
ne veut pas dire que chaque oeuvre d'art doit tendre à refléter la totalité
objective, extensive de la vie, car la totalité artistique est intensive.
« En représentant des hommes et des situations individueUes, l'artiste donne l'illusion
de la vie... il fait vivre "son propre monde" comme un reflet de la vie dans son
mouvement total, comme processus et totalité, en intensifiant et surpassant dans sa
totaUté et dans ses particularités, le reflet totaUsant des événements de la vie » (48).
(48) Lukacs, Writer and Critic, Londres, 1971 (W. C), p. 39.
(49) Lukacs, Studies, ch. 6.
(50) Ibid., p. 70, édition française : Balzac et le réalisme français, Maspero, Paris, 1969, p. 75.
LA THEORIE DE LA LITTERATURE DE LUKACS 33
« Balzac fait partie de ces écrivains chez lesquels cet accueil du romantisme, et en
même temps l'essai de le surmonter, se présentent sous la forme la plus large et la
plus consciente, Stendhal, par contre, rejette consciemment le romantisme de prime
abord. » (51)
Le romantisme, dit Lukacs, bien que réactionnaire, n'en est pas moins
une protestation contre le développement capitaliste et c'est du rejet ou de
l'acceptation du romantisme que dépend l'aptitude de l'écrivain à faire un
portrait fidèle du monde bourgeois. D'après Lukacs, Balzac, bien que
personnellement favorable au romantisme, le dépasse sur le plan artistique en
montrant la transformation de la société française en une société entièrement
capitaUste :
« L'opposition profonde entre Balzac et Stendhal réside en ceci que la conception
du monde de Balzac fut touchée et influencée de façon capitale par tous ces
courants, tandis que la conception du monde de Stendhal était pour l'essentiel une
continuation conséquente et intéressante de l'idéologie rationaUste d'avant la
Révolution » (52),
Ainsi Balzac « sur la base de sa vision du monde beaucoup plus confuse,
carrément réactionnaire à maints égards, a reflété plus complètement et plus
profondément la période comprise entre 1789 et 1848 » que Stendhal
pourtant plus progressiste dans ses idées. Ainsi Balzac pouvait mettre en scène les
nouveaux capitaUstes en pleine ascension, alors que l'unique capitaUste de
Stendhal, Leuwen, est « beaucoup moins profond et moins ample »,
apparaissant comme « une transposition extraordinairement fidèle de traits empruntés
au siècle des Lumières dans la monarchie de Juillet » (53). .
Lukacs découvre aussi qu'alors que les héros de chacun de ces auteurs
entrent « dans le jeu de l'arrivisme et de la corruption », ceux de Stendhal
restent purs et insensibles alors que ceux de Balzac deviennent tout à fait
corrompus (54), et Lukacs en conclut qu'U y a « un élément profondément
romantique » dans Stendhal, mais s'il en était ainsi, cela voudrait dire que
toute l'uvre de Stendhal est romantique.
Lukacs a séparé des éléments qui, à première vue, apparaissent comme
romantiques de leur contexte particuUer, et les a traités en les isolant des
autres parties du tout Uttéraire. Cet éclectisme montre qu'il n'y a pas de vue
englobante qui pourrait intégrer et expliquer ces éléments apparemment
contradictoires. Stendhal est donc considéré comme réaliste, parce qu'il
dépeint de façon réaliste les aspirations des romantiques et son romantisme
est attribué à son refus d'accepter « que la période héroïque de la bourgeoisie
avait pris fin », alors que Balzac avait compris » que la Restauration n'est
qu'une coulisse de la capitalisation croissante de la France.» englobant la
noblesse avec une force irrésistible » (55). Mais Lukacs ne pose jamais la
(56) Avec le livre de I. Watt qui eut beaucoup d'influence, The Rise of the Novel, 1956, les
différences entre les structures romantiques se réduisirent à de simples différences individuelles étant donné
que l'argument de Watt est que les classes moyennes ont créé la forme du romantisme. Voir
A. Swingewood and D. Laurenson, Sociology of Literature, Londres, 1972, ch. 8 : « Fielding, Tom
Jones and the Rise of the Novel », où on essaie de rattacher concrètement le roman de Fielding au
déclin de la gentry.
(57) Lukacs, Studies, op. cit., p. 60.
(58) Ibid.
(59) Ibid., p. 135.
LA THEORIE DE LA LITTERATURE DE LUKACS 35
(60) Ibid., voir Lénine, Léon Tolstoï et son époque », dans Trotsky, Art et Littérature, Moscou, 1970.
(61) Lukacs, « Dostoievsky » 1943,. dans R.Wellek, Dostoievsky, New-Jersey, 1962, pp. 154-155.
36 ALAN SWINGEWOOD ET DAGLIND SONOLET
contemporains que Lukacs quaUfie de réalistes ne sont pour lui que des
différences d'origine sociale, d'éducation et d'idéologie : il ne fait jamais la
liaison entre un texte particuUer et le mode particuUer d'existence d'un
écrivain. Il n'y a pas de médiations.
Lukacs élude trop facilement le vrai problème en parlant de l'autonomie
partiale des idéologies, de l'interaction complexe des causes et des effets et en
citant la remarque d'Engels qu'en dernier ressort, le facteur économique est le
facteur décisif. A un endroit, Lukacs écrit que le problème du développement
inégal entre l'art et la société ne peut être résolu que « sur la base d'une
analyse concrète d'une situation concrète », et il cite Marx :
« La difficulté vient avant tout de la formulation générale de ces contradictions. Dès
qu'on peut les décrire de façon spécifique, eUes sont immédiatement résolues » (62).
Dans tout ce qu'a écrit Lukacs sur le roman, U n'y a pas un seul
exemple d'analyse concrète, seulement une discussion générale et éclectique.
c) Partialité et littérature
Un des points essentiels de la théorie Uttéraire de Lukacs est son
affirmation que, depuis 1848, les conditions sociales qui étaient nécessaires au
réalisme en Uttérature ont disparu, les écrivains étant devenus de « simples
spectateurs » et non plus les « acteurs du processus social qu'ils décrivent
dans leur art » (88). En Russie, le mouvement social après 1848 était
suffisamment révolutionnaire dans son contenu pour influencer de façon
décisive les écrits de Tolstoï mais ailleurs le réalisme était en déclin. Dans
ces circonstances l'engagement de l'écrivain prend de plus en plus
d'importance. Nous avons déjà vu que Lukacs insiste de façon permanente sur le
caractère personnel de la vision du monde générale d'un écrivain, en le
distinguant de la vision d'un groupe ou d'une classe. Dans sa définition du
réalisme, il affirme que l'auteur doit rendre l'expérience honnêtement et sans
crainte, mais que cet élément subjectif « ne peut engendrer un véritable
réalisme que si c'est l'expression littéraire d'un mouvement social assez fort
pour que les problèmes de ce mouvement amènent l'auteur à observer et à
décrire ses aspects les plus importants... et pour lui donner assez de force et
de courage pour rendre fertile sa sincérité » (89). En bref, l'écrivain doit
s'associer au progrès : car le grand réalisme n'est possible que si les écrivains
CONCLUSION