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C’est dans cette optique que Décider ensemble a décidé de coordonner une
réflexion autour de la question « Quel renouvellement pour notre démocratie et
nos systèmes de décisions ? ». Cet ouvrage compile 19 contributions écrites par
des personnalités diverses : chercheurs, élus locaux ou nationaux, représentants
du monde syndical, etc.
Ce travail de réflexion lancé début 2020 nous semblait une priorité, la crise du
Covid-19 en a fait une nécessité. Plus que jamais, nous devons renouveler notre
système de gouvernance et penser l’après en associant l’ensemble des citoyens
et des parties prenantes.
Nous vous invitons à découvrir les contributions constituant le début d’un exer-
cice que nous souhaitons poursuivre dans les prochains mois et les prochaines
années. Nous souhaitons enrichir ces premières réflexions et propositions en
publiant régulièrement de nouveaux textes. Ainsi, nous pourrons faire entendre
des voix diverses, parfois en désaccord sur les solutions à mettre en œuvre mais
avec un objectif commun : renouveler notre démocratie et renforcer la partici-
pation des citoyens à la prise de décision.
Le cese de demain, un trait d’union entre les citoyens et les pouvoirs publics 75
Patrick BERNASCONI, Président du Conseil économique, social et environnemen-
tal
« Pour une plus grande implication des corps intermédiaires dans les dispositifs
participatifs » 80
Barbara SERRANO, Consultante en stratégies de conduite de changement
préambule de
bertrand pancher
5
POUR UN CHANGEMENT
DE SOCIÉTÉ RÉEL
diverses personnalités d’écrire sur les bitieuse pour réduire les inégalités
renouvellements possibles de notre sociales, engager enfin une réelle
démocratie et de nos systèmes de transition écologique et instaurer un
décisions. Je les remercie d’avoir été nouveau rapport de confiance entre
nombreux à accepter ce challenge et gouvernants et gouvernés.
à nous livrer leurs propositions pour
construire le monde d’après. C’est un virage à 180 degrés que nous
devons prendre en y associant les
citoyens afin que chacun consente
« Cette crise doit être un
à réorienter notre organisation éco-
point de départ pour instaurer nomique et sociale vers un dévelop-
un nouveau rapport de pement enfin équilibré et humain
confiance entre gouvernants et protégeant nos biens communs.
gouvernés. » De nombreux appels ont été lan-
cés dans ce sens, j’en ai moi-même
Ces mots résonnent d’autant plus été signataire. Cependant, ils ne ser-
fort aujourd’hui que nous traversons viront à rien si ces débats ne sont
une crise sanitaire sans précédent. pas généralisés et structurés, et s’ils
Elle nous a fait prendre conscience n’aboutissent pas à de nouveaux pro-
du centralisme de notre vie politique, cessus de décisions, mais aussi à de
de l’agilité des collectivités territo- nouvelles orientations en termes de
riales et des acteurs locaux et donc développement.
de la nécessité de changer en profon-
deur non seulement notre système Ne répétons pas les erreurs du pas-
de prise de décisions mais aussi notre sé en proposant aux Françaises et
mode de vie et notre organisation so- aux Français des « consultations sans
ciale. Elle présente pour chacun un issues » que nous ne voudrons ja-
défi de taille : celui de ne pas se re- mais matérialiser par des décisions
plier sur nous-même ou de vouloir à concrètes. Informer, faire débattre,
tout prix préserver le statu quo. Elle concerter ne sont qu’une étape. Ce
doit, au contraire, servir de déclen- qui compte c’est de décider ensuite
cheur pour penser l’après et anticiper en tenant compte des opinions et
de nouvelles crises notamment liées des contributions de chacun, tran-
au dérèglement climatique. Cette cher bien entendu et revenir vers nos
crise doit être un point départ pour concitoyens pour expliquer les choix
prendre une nouvelle trajectoire am- et comment leur participation a per-
6
PRÉMBULE DE
BERTRAND PANCHER
7
POUR UN CHANGEMENT
DE SOCIÉTÉ RÉEL
8
l’impératif délibératif
comme condition de la
transition écologique
en guise d ’ introduction
entretien avec
loïc blondiaux
9
L’IMPÉRATIF DÉLIBÉRATIF
COMME CONDITION DE LA
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
10
ENTRETIEN AVEC
LOÏC BLONDIAUX
1 Enquête Sciences Po CEVIFO En quoi les français ont-ils confiance aujourd’hui ? Février 2020 https://www.
sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/OpinionWay%20pour%20le%20CEVIPOF-Barome%C-
C%80tre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague11%20-%20Comparaison-1.pdf
11
L’IMPÉRATIF DÉLIBÉRATIF
COMME CONDITION DE LA
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
opter pour le même scénario. A mains d’un petit nombre. Les déci-
ceux qui aspirent à plus de délibé- sions qui ont été prises pour faire
ration et de participation citoyenne face à la pandémie, faute d’avoir été
s’opposent ceux pour qui compte discutées par les acteurs sociaux et
avant tout l’eff icacité, l’autorité ou co-élaborées avec les citoyens, se
la compétence. sont révélées souvent ineff icaces.
Pour mener à bien la transition né-
« La décision peut être à la cessaire de nos sociétés vers des
fois plus juste et plus efficace formes de vie plus résilientes vis-à-
s’il elle a pu être débattue au vis du changement climatique et
préalable ou co-construite de l’érosion de la biodiversité, il fau-
dra également associer les citoyens
avec les citoyens. »
12
ENTRETIEN AVEC
LOÏC BLONDIAUX
13
L’IMPÉRATIF DÉLIBÉRATIF
COMME CONDITION DE LA
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
14
ENTRETIEN AVEC
LOÏC BLONDIAUX
15
L’IMPÉRATIF DÉLIBÉRATIF
COMME CONDITION DE LA
TRANSITION ÉCOLOGIQUE
16
LA DÉMOCRATIE BOUSCULÉE
section 1
17
pour une démocratie
écologique
entretien avec
dominique bourg
résumé
Nos institutions sont décalées tant par rapport aux aspirations démocratiques
des citoyens que vis-à-vis d’une donne écologique désormais suicidaire. Le
Covid-19 nous rappelle quant à lui le coût imprévisible et non calculable de la
destruction des écosystèmes. De quelles institutions avons-nous besoin pour
faire front face à cette accumulation de difficultés ?
18
POUR UNE DÉMOCRATIE
ÉCOLOGIQUE
19
ENTRETIEN AVEC
DOMINIQUE BOURG
crise que nous traversons avec le tions plus ouvertes sur le long terme,
Covid est une crise écologique. Plus tenant compte des rapports du GIEC
vous détruisez le vivant et la biodi- et de l’IPBES. Avec la modernité,
versité, plus vous créez des circula- nous avions pour objectif d’accumu-
tions possibles notamment de virus, ler les richesses matérielles et de les
l’augmentation des populations pa- redistribuer en « s’écharpant » sur les
thogènes… Nous sommes rentrés critères. Aujourd’hui, l’objectif, c’est
dans une période où nous sommes de régénérer la nature. Il faudra donc
rendus à notre vulnérabilité biolo- produire beaucoup moins. Et comme
gique. ceux qui détruisent le plus, sont ceux
qui ont les plus hauts niveaux de vie,
Aujourd’hui, c’est une attaque sa- la deuxième obligation, c’est de res-
nitaire, demain ce sera l’augmenta- serrer les écarts de revenu. Il nous
tion de la température. En Austra- faut des institutions capables de se
lie, en 2019-2020, le rendement du donner cette double finalité et les
riz et du sorgho a baissé de 66%... moyens de l’atteindre.
Nous rentrons dans le deuxième
degré d’augmentation de la tem-
« Il n’y aura pas d’après Covid,
pérature par rapport à la f in du XIXe
nous sommes rentrés de plein
siècle avec les « méga-feux », les cy-
pied dans une période de
clones au plafond de la catégorie 5,
déstabilisation du système-
les inondations hors normes, etc.
Terre. »
C’est en sens-là qu’il n’y aura pas
d’après Covid, nous sommes ren- J’ai, avec d’autres, détaillé ces insti-
trés de plein pied dans une période tutions notamment dans Inventer
de déstabilisation du système-Terre. la démocratie du XXIe siècle. Ces
Dans ces conditions, le producti- institutions doivent nous ouvrir aux
visme, la croissance indéfinie des grands enjeux et être plus participa-
flux de matières ou d’énergie sont tives pour entrainer la population.
absurdes. C’est ce qui va nous tuer.
Une démocratie écologique vise à Le maximum de la canicule de 1976
remettre les institutions et les mo- sur le territoire français était de 36°.
des de vie dans les limites plané- En juin 2019, la température de 46°
taires. Nous avons besoin d’institu- était atteinte dans un petit village de
20
POUR UNE DÉMOCRATIE
ÉCOLOGIQUE
l’Hérault. Un mois plus tard, il faisait énorme, et ceux qui doivent changer
43° en banlieue parisienne. Nous al- le plus ce sont ceux qui bénéficient
lons enregistrer une nouvelle hausse, le plus du système actuel. Il y a aussi
nous ne pouvons plus y échapper, de des cadres, des dirigeants, des gens
0,9° non pas en 40 ans mais en 20 de droite – c’est pour cela que je ne
ans. Il y aura probablement autour veux pas idéologiser ma réflexion –
de 2050 des pointes de température qui sont d’accord avec ce constat.
autour de 50° à Paris. Nous voyons Pour ce grand changement, il fau-
bien que la ville telle qu’elle est, sera drait donc se lancer dans une consti-
totalement invivable. Nous avons tuante et la période actuelle s’y prête
donc besoin de réorienter nos activi- avec la crise que nous vivons.
tés économiques vers des infrastruc-
tures revisitées. Nous disposons de Pour aller plus loin, au-delà du ni-
sols avec un bilan de biomasse qui veau national, le niveau européen,
ne cesse d’être déficitaire. Nous ne qui est essentiel, n’évoluera pas si
pouvons pas continuer indéfiniment un certain nombre de pays, dont la
sous peine de mourir de faim. Et l’on France, ne se transforme pas.
sait aussi que l’on disposera de moins
d’énergie, il faudra donc réallouer
une main d’œuvre plus importante
à l’agriculture. Notre agriculture est
non résiliente au changement clima-
tique, à la différence de l’agriculture
paysanne. Nous avons besoin d’ins-
titutions pour assumer ces change-
ments. Et il est déjà très tard !
21
la démocratie à
l’épreuve des crises
contribution de
marie - pierre bresson
résumé
22
LA DÉMOCRATIE À
L’ÉPREUVE DES CRISES
23
CONTRIBUTION DE
MARIE-PIERRE BRESSON
24
LA DÉMOCRATIE À
L’ÉPREUVE DES CRISES
25
pour une décentralisation
participative
contribution de
patrice carré
résumé
26
POUR UNE DÉCENTRALISATION
PARTICIPATIVE
27
CONTRIBUTION DE
PATRICE CARRÉ
1 http://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique
2 Au profit de ce que Brice Teinturier a appelé le PRAF, Plus rien à faire, plus rien à foutre, la vraie crise de la
démocratie ; Paris 2017 ; Robert Laffont.
3https://www.publicsenat.fr/article/politique/sondage-68-des-francais-considerent-que-leur-maire-est-l-
elu-qui-comprend-le-mieux
4 Blondiaux L., Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, 2008, Seuil.
28
POUR UNE DÉCENTRALISATION
PARTICIPATIVE
5 Dominique Bourg (l.s.d.) Pour une 6èmeRépublique écologique. Paris 2011 ; Odile.
29
CONTRIBUTION DE
PATRICE CARRÉ
30
pour une démocratie
tournée vers l’avenir
contribution de
paula forteza
résumé
1 http://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique
32
CONTRIBUTION DE
PAULA FORTEZA
2 https://www.ecologie-democratie-solidarite.fr/wp-content/uploads/2020/06/EDS_Nos-propositions-pour-
d%C3%A9confiner-le-parlement-2.pdf
33
POUR UNE DÉMOCRATIE
TOURNÉE VERS L’AVENIR
3 https://www.leparisien.fr/paris-75/530-parisiens-candidats-au-tirage-au-sort-des-listes-de-villani-pour-les-
municipales-15-01-2020-8236386.php
34
CONTRIBUTION DE
PAULA FORTEZA
35
contre la défiance
démocratique : cohérence,
proximité et transparence
contribution de
chantal jouanno
résumé
36
CONTRE LA DÉFIANCE
DÉMOCRATIQUE : COHÉRENCE,
PROXIMITÉ ET TRANSPARENCE
37
CONTRIBUTION DE
CHANTAL JOUANNO
ces projets, mais d’améliorer les dé- Ceci explique que les titulaires offi-
cisions en y associant le public. Et ciels du pouvoir de décision tentent
pourtant, cette institutionnalisation depuis 25 ans de supprimer cette
de la participation, particulièrement institution si dérangeante, la CNDP.
ambitieuse, n’a pas suffi à restaurer Une institution dérangeante car elle
la confiance réciproque. incarne et défend la légitimité de la
parole du public en dehors de toute
Notre « participation à la Française » médiation qu’elle soit politique ou
est en effet particulièrement ambi- via les acteurs de la société civile
tieuse dans ses objectifs. Elle impose organisée (associations, syndicats,
une totale transparence aux maîtres etc.)
d’ouvrage qui souhaitent réaliser de
grands projets. La CNDP a toute lati-
« Une institution dérangeante
tude pour retoquer une information
car elle incarne et défend la
incomplète ou trop « obscure ». Elle
légitimité de la parole du public
décide des modalités et du calen-
en dehors de toute médiation. »
drier du débat public. Elle peut mo-
biliser les publics « plus éloignés »,
les oubliés de la République comme En 25 ans, la participation du public
les plus contestataires. La CNDP n’a ni amoindri, ni accru la conflic-
garantit de retranscrire fidèlement tualité autour des grands projets.
toutes les paroles, les arguments, Cette conflictualité était déjà très
les opinions, sans les interpréter. Et forte. Sans doute la participation
les décideurs sont dans l’obligation a-t-elle évité une explosion de cette
de rendre public ce qu’ils ont retenu conflictualité et que trop de projets
du débat public. Ce droit à l’informa- inutiles voient le jour. On ne saurait
tion et à la participation du public mesurer la conflictualité autour des
est garanti par l’article 7 de la Charte grands projets par le seul exemple
constitutionnelle de l’environne- de Notre-Dame-des-Landes qui
ment. Il est porteur d’un message était un projet très ancien, héri-
politique fondamental : si la démo- tier de nombreuses tergiversations
cratie représentative et les acteurs et indécisions. En conclusion, et
de la société civile sont légitimes à contrairement à un discours trop
décider, toute personne quelle que convenu, il serait donc hâtif et erro-
soit sa condition a le droit de s’ex- né de considérer que nos sociétés
primer et de participer à cette déci- sont plus conflictuelles et opposées
sion, même en dehors des élections. aux grands projets. J’ajoute que l’ar-
38
CONTRE LA DÉFIANCE
DÉMOCRATIQUE : COHÉRENCE,
PROXIMITÉ ET TRANSPARENCE
39
CONTRIBUTION DE
CHANTAL JOUANNO
40
pour un droit de la
démocratie participative
contribution de
camille morio
résumé
1 Blondiaux L., Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, 2008, Seuil, p. 38.
2 Les développements qui suivent reprennent des réflexions que j’ai eu l’occasion de formuler par ailleurs : E.
Buge et C. Morio, « Le Grand débat national, apports et limites pour la participation citoyenne », Revue du
droit public et de la science politique, no 5 (2019): 1205-1239 et C. Morio, « Pour un statut du participant », AJDA,
no 32 (2019): 1 ; C. Morio, Guide pratique de la démocratie participative locale, Berger-Levrault, 2020, 352 p.
3 Comme l’a relevé le vice-président du Conseil d’Etat, l’« importance [des principes généraux de la décision
publique] pour la bonne application des droits fondamentaux ne fait plus de doute » : J.-M. Sauvé, « Les
nouveaux modes de décision publique », Les Petites Affiches, n° 130, 2012, pp. 18-24.
42
CONTRIBUTION DE
CAMILLE MORIO
4 20 décembre 2018, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, no 2018-773 DC, considérant
16.
5 A l’image du droit de pétition locale constitutionnalisé en 2003 : Ivanovitch, Sarah, Décentralisation et
démocratie locale, Éditions du Papyrus, coll. « Collectivités territoriales », 2016, p. 389.
6 J.-F. Kerléo, « Réforme territoriale et démocratie locale », Les Petites Affiches, no 47, 2015, p. 4.
7 CE, ass., 12 juillet 2017, nos 403928 et 403948, Association citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et
autres. 43
POUR UN DROIT DE LA
DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE
8 https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/charte-participation-du-public
9 Pour des cas de systèmes de pétition : CAA Lyon, 24 avril 2012, Préfet de la région Rhône-Alpes, no 12LY00203 ;
TA Caen, 27 juin 2012, Préfet de la région Basse-Normandie, no 1200440 ; CAA Versailles, 6 novembre 2014,
Département de l’Essonne, no 13VE03124 ; TA Montreuil, 29 septembre 2015, Préfet de la Seine-Saint-Denis,
no 1410108 ; TA Grenoble, 24 mai 2018, Préfet de l’Isère, no 1701663.
44
CONTRIBUTION DE
CAMILLE MORIO
pation vue comme faisant partie de pour une large part insuffisantes, les
« l’exercice des libertés publiques » dispositions constitutionnelles sur
dont les garanties fondamentales la participation seraient revues pour
devraient être fixées par le législa- rendre la participation effective dans
teur en vertu de l’article 34, al. 2 de la les référendums (article 11) et en ma-
Constitution et non pas par le pou- tière de révision constitutionnelle
voir réglementaire au titre de son (article 89).
pouvoir autonome. Cela conduirait
le juge à ouvrir davantage son pré- La Convention citoyenne pour le
toire, sans pour autant abandonner climat montre qu’il n’est pas néces-
son approche raisonnée de la sanc- saire qu’un cadre juridique abouti
tion10. existe pour mener des initiatives in-
novantes. La pérennisation et l’am-
plification de ce genre de réussites
« Un véritable statut de
ne peut néanmoins pas se passer du
participant émergerait, avec droit. En témoigne le projet de ré-
des droits mais aussi des vision constitutionnelle, qui prévoit
obligations. » de créer un titre dédié à la « partici-
pation citoyenne » dans la Constitu-
Nombre des propositions formu- tion11. La participation comme véri-
lées ici seraient amplifiées par une table cause juridique, le droit comme
ultime action : l’inscription, dans la véritable arme pour une participa-
Constitution, d’un droit de partici- tion juste et effective. Tel serait un
per à l’élaboration voire à l’adoption renouvellement possible, parmi tant
des décisions publiques, à côté de ce d’autres, pour notre démocratie et
qui existe déjà en matière environ- nos systèmes de décisions.
nementale. Une autorité adminis-
trative indépendante pourrait être
la garante de ce droit et de son ef-
fectivité. Composée d’experts de la
procédure participative, ouverte à la
multiplicité des méthodes et des ini-
tiatives, elle assurerait le respect des
règles de droit dur et la diffusion des
bonnes pratiques. Par cohérence, et
car les règles actuelles paraissent
45
LA DÉMOCRATIE BOUSCULÉE
section 2
46
une nouvelle vague de
démocratie délibérative
contribution de
claudia chwalisz
résumé
Le parlement d’Ostbelgien est l’un des dispositifs les plus aboutis de la nouvelle
vague de démocratie délibérative contemporaine. Celle-ci traverses les
sociétés occidentales et pourrait transformer l’architecture de la démocratie
représentative. Cependant, pour appréhender ses effets, il est nécessaire de
faire un examen constant et cohérent des procédés et résultats. L’OCDE a
publié, en juin 2020, un rapport évaluant près de 300 processus représentatifs
et délibératifs et proposant des critères d’exemplarité. Il suggère aussi des
chemins vers leur institutionnalisation.
Cette contribution est une traduction éditée de l’article publié par Carnegie
Europe, le 26 novembre 2019. Cet article fait partie du projet de Carnegie Europe
« Reshaping European Democracy », une initiative du programme de travail de
Carnegie Europe sur la démocratie, le conflit, et la gouvernance.
47
UNE NOUVELLE VAGUE DE
DÉMOCRATIE DÉLIBÉRATIVE
1 Notez que des changements aux règles de fonctionnement du conseil ont été faits depuis cette annonce ; ils
ont été pris en compte dans cet article.
2 D’après l’interview réalisée par l’auteure avec un représentant des organisations G1000, les 24 membres
initiaux du Conseil Citoyen comprennent six participants sélectionnés de manière aléatoire au sein de
la première Assemblée Citoyenne d’Ostbelgien en 2017, et six représentants des partis politiques (un de
chaque). Les membres des partis politiques seront parmi les premiers à céder leur place au profit de citoyens
ordinaires. Les 12 restants proviennent d’une « loterie civique » effectuée parmi la population. Près de mille
lettres d’appel à candidature ont été envoyées, et 115 citoyens ont répondu positivement. Parmi ces 115, un
échantillon aléatoire stratifié a été choisi afin de sélectionner les 12 membres.
3 Chaque assemblée est constituée d’un maximum de cinquante citoyens tirés au sort et se réunit au
48
moins trois fois sur une période de trois mois.
CONTRIBUTION DE
CLAUDIA CHWALISZ
4 Cet article se base sur les conclusions du prochain rapport de l’OCDE sur les processus et institutions
représentatifs et délibératifs, dont Claudia Chwalisz est l’auteure principale.
49
UNE NOUVELLE VAGUE DE
DÉMOCRATIE DÉLIBÉRATIVE
50
CONTRIBUTION DE
CLAUDIA CHWALISZ
51
vers une culture
de la coopération
entretien avec
eric piolle
résumé
Face aux crises qui traversent notre société, nous devons entrer en résistance
contre le repli sur soi. Pour cela, la démocratie doit se réinventer, s’expérimen-
ter, s’essayer, notamment à l’échelle locale. A Grenoble, plusieurs expériences
de participation citoyenne ont été lancées depuis 2015 : un dispositif d’interpel-
lation et de votation citoyenne, des Budgets participatifs, des chantiers partici-
patifs et solidaires, etc. L’objectif est d’apprendre à passer de la confrontation à
la coopération, de construire une nouvelle culture démocratique.
52
VERS UNE CULTURE
DE LA COOPÉRATION
53
ENTRETIEN AVEC
ERIC PIOLLE
54
VERS UNE CULTURE
DE LA COOPÉRATION
pour une ville solidaire, accueillante vies des habitant-es. Ils font évoluer
et attentive aux autres, résiliente, qui les usages, développent une vision
redonne de la place à la nature. commune des espaces et modifient
profondément les relations entre
Grenoble a ainsi accueilli « Drac la les habitant-es et les agent-es de la
Dragonne », une monumentale aire Ville.
de jeux en bois en forme de dra-
gonne conçue avec les habitant-es, Fabrication de mobilier ludique, em-
unique en son genre, avec sur son bellissement d’une place ou encore
dos les mots et les rêves des enfants la réalisation par un groupe d’enfants
du quartier. C’est aussi un théâtre de d’une fresque choisie par près de 200
verdure pour partager des manifesta- habitant-es : autant de projets qui ont
tions culturelles en plein air, l’appari- permis la réappropriation conviviale
tion de plus de 500 nichoirs partout de lieux par les habitant-es. L’espace
dans la ville, ou encore du mobilier au public appartient à tou-tes, chacun
bord de l’eau pour reconquérir nos doit pouvoir contribuer à l’embellir
berges. Ce sont encore des frigos so- et l’agrémenter, dans un cadre bien-
lidaires, des cuisines fixes et mobiles veillant et sécurisé par la collectivité.
pour les personnes en précarité, ou Petit à petit émerge une culture de
encore des lieux d’accueil solidaires l’espace public comme bien com-
proposés par et pour des habitant-es mun. Ici, l’intérêt général s’incarne et
de la rue. se partage.
55
ENTRETIEN AVEC
ERIC PIOLLE
56
pour un renouvellement
de notre démocratie :
quelques inspirations belges
contribution de
min reuchamps
résumé
57
POUR UN RENOUVELLEMENT DE
NOTRE DÉMOCRATIE : QUELQUES
INSPIRATIONS BELGES
58
CONTRIBUTION DE
MIN REUCHAMPS
59
POUR UN RENOUVELLEMENT DE
NOTRE DÉMOCRATIE : QUELQUES
INSPIRATIONS BELGES
60
faire confiance aux territoires
pour réenchanter notre démocratie
contribution de
jean rottner
résumé
Nos territoires, l’âme de notre beau pays, voilà l’une des solutions pour
réenchanter notre démocratie. Ils ne doivent pas être un gros mot, ni être perçus
comme des concurrents qui feraient mieux ou qui attendent tout de l’Etat. Au
contraire, ils pourraient être la solution si on leur faisait confiance. Voilà en
quelques lignes ma conception d’une démocratie renouvelée pour demain.
C’est un pays dans lequel exigence et bienveillance iraient de pair, c’est un
pays dans lequel chacun pourrait contribuer à la redéfinition d’un nouveau
pacte social absolument nécessaire, c’est un pays ou la décentralisation ne
serait pas « moins » d’Etat mais tout simplement « mieux » d’Etat en régions.
61
FAIRE CONFIANCE AUX
TERRITOIRES POUR RÉEN-
CHANTER NOTRE DÉMOCRATIE
1 Société d’économie mixte locale ayant pour objectif d’assurer l’approvisionnement du territoire en kits de
tests sérologiques Covid-19
62
CONTRIBUTION DE
JEAN ROTTNER
63
FAIRE CONFIANCE AUX
TERRITOIRES POUR RÉEN-
CHANTER NOTRE DÉMOCRATIE
64
pour une
démocratie-construction
contribution de
joseph spiegel
résumé
65
POUR UNE DÉMOCRATIE-
CONSTRUCTION
66
CONTRIBUTION DE
JOSEPH SPIEGEL
1 Nous avons décidé de décider ensemble, aux Editions de l’Atelier, parution en Octobre 2020
67
POUR UNE DÉMOCRATIE-
CONSTRUCTION
Ils sont constitués à l’issue d’une accueillies et vécues dans un lieu dé-
première réunion publique qui est dié aux pratiques démocratiques :
l’acte I de toute séquence démocra- la Maison de la Citoyenneté. C’est
tique de notre commune. Ils sont là que se réunissent toutes les res-
composés de toutes les ressources sources démocratiques : celles des
d’intelligence, de sens et d’expertise citoyens, celles des organisations et
concernées par la question. Ils sont des experts, celles des élus. C’est là
organisés en 4 collèges qui se réu- que s’épanouissent les 3 fonctions
nissent de plain-pied : celui des habi- essentielles de la démocratie : celle
tants volontaires et tirés au sort, celui de la décision assumée par le Conseil
des organisations (associations, par- Municipal, et celles du débat et de
tenaires institutionnels, personnes l’élaboration collective, portées par
ressources, etc.), celui des élus (issus tous dans les processus de concerta-
de tous les groupes) et celui des ex- tion que nous voulons décisifs pour
perts (collaborateurs et experts invi- la décision.
tés).
La Ville de Kingersheim a ainsi opéré
Leur philosophie est précisément un véritable renouvellement démo-
de chercher à fertiliser les points de cratique en élaborant un écosystème
vue différents et de construire des basé sur ces 3 leviers fondamentaux :
compromis dynamiques. Ils reven- un lieu, la Maison de la Citoyenneté ;
diquent d’aller au fond du sujet, de un principe : tout projet fait l’objet
prendre le temps de la maturation, d’une séquence démocratique com-
d’accepter de débattre de plain-pied, plète ; un outil : le conseil participatif.
d’avoir le souci du bien commun. Les
conseils participatifs sont donc à la
« Le covid19 s’est invité
phase décisive de co-construction
au monde comme un
ce que le Conseil Municipal est à la
avertissement et nous incite à
phase de décision. Durant ces 15 der-
une conversion en profondeur,
nières années, plus de 40 conseils
participatifs différents ont traité plus
celle du changement de
de 40 sujets, et impliqué près de 800 paradigme démocratique. »
acteurs. Toutes les séquences qui
visent à mieux décider ensemble et Pour conclure, la crise actuelle a fait
à encourager le pouvoir d’agir sont émerger, d’une manière violente et
68
CONTRIBUTION DE
JOSEPH SPIEGEL
69
LA DÉMOCRATIE BOUSCULÉE
section 3
PARTICIPATION CITOYENNE
ET CORPS INTERMÉDIAIRES
70
faisons le choix de
l’intelligence collective
contribution de
laurent berger
résumé
71
FAISONS LE CHOIX DE
L’INTELLIGENCE COLLECTIVE
72
CONTRIBUTION DE
LAURENT BERGER
73
FAISONS LE CHOIX DE
L’INTELLIGENCE COLLECTIVE
main, nous devons tous pouvoir en as- peuvent alerter sur de possibles
sumer la responsabilité. Mais à nous, risques sanitaires mais aussi faire
acteurs démocratiques, de montrer des propositions d’aménagement
que nous en sommes capables. Elus de leur poste de travail. L’actualité a
politiques, syndicaux ou patronaux, montré l’utilité du dialogue social. Là
représentants d’associations, à nous où la reprise a été négociée avec les
de faire preuve de nuance pour coller salariés, l’entreprise a pu progressi-
au mieux à la réalité. A nous de savoir vement relancer sa production dans
écouter ce que les autres ont à dire, un climat de confiance. A contrario,
sans considérer qu’on aurait raison là où la direction a voulu passer en
contre tous les autres. Le monde de force, des blocages sont apparus, al-
demain, il ne peut pas être construit lant parfois jusqu’à nécessiter une
par des gagnants et subi par des per- intervention judiciaire.
dants. Il ne peut être que le fruit d’un
compromis.
« La démocratie ne doit
pas s’arrêter à la porte des
A l’image de notre société, les en-
treprises sont aussi traversées par
entreprises. »
des intérêts divergents. Ceux des sa-
lariés ne sont pas moins légitimes Les incertitudes de la période, ses
que ceux des directions. C’est pour dangers et ses inconnues, nous
cela que la CFDT revendique une incitent à beaucoup d’humilité.
vraie codétermination à travers une Compte tenu des risques sociaux, en-
meilleure implication des salariés vironnementaux et démocratiques,
dans les conseils d’administration la sortie de crise doit reposer sur une
et par un dialogue social renforcé. pratique démocratique exemplaire
La démocratie ne doit pas s’arrêter qui associe les acteurs économiques
à la porte des entreprises. Dans la et sociaux comme les territoires. Fai-
période, c’est par le dialogue social sons le choix de l’intelligence collec-
qu’il est possible de concilier reprise tive.
de l’activité et protection de la santé
des travailleurs et des clients (dans
les entreprises comme les adminis-
trations). Qui mieux que les salariés
connaissent la réalité du travail et
son organisation ? Les travailleurs
74
le cese de demain, un trait
d’union entre les citoyens
et les pouvoirs publics
entretien avec
patrick bernasconi
résumé
Le CESE est l’assemblée de la société toutefois pas d’innover dans nos dé-
civile organisée, dont la mission pre- marches et de prendre en compte la
mière est de représenter les corps parole citoyenne. Ainsi, nous avons
intermédiaires, au travers des plus fait évoluer nos méthodes de tra-
de 80 organisations la composant. vail afin de contribuer à l’élabora-
Depuis le début de ma mandature, tion des politiques publiques, en
j’ai engagé avec les groupes du CESE transmettant la vision de la société
une réflexion sur la nécessité d’ouvrir civile organisée qui dans certains
notre assemblée et les organisations cas est élargie à celle des citoyens.
sur des nouvelles modalités de travail Par cette vision partagée, le CESE
et de prise de décision. Aujourd’hui, devient l’assemblée d’expression de
les adhérents d’organisations, les la société civile, étape intermédiaire
citoyens souhaitent participer plus indispensable à une vision partagée
activement à l’élaboration des dé- des politiques publiques, échelon
cisions publiques. Nous avons senti fondamental pour plus de cohésion
comme une nécessité de répondre sociale.
à cette attente forte de participation
citoyenne. « Le CESE devient l’assemblée
d’expression de la société
Le Président de la République a civile, étape intermédiaire
annoncé son souhait de faire une indispensable à une vision
réforme constitutionnelle dans la- partagée des politiques
quelle le CESE serait concerné. En publiques. »
plus de se voir saisi sur tous les su-
jets sociaux, économiques et envi-
ronnementaux, un chapitre entier Le premier acquis de cette man-
du projet de réforme constitution- dature a été de très vite chercher à
nelle est consacré à la participation traiter des pétitions – une trentaine
citoyenne dont notre Conseil, qui – ce qui a permis au CESE de don-
voyait également clarifié son rôle, ner une portée institutionnelle à des
devient l’élément central. C’est au- propositions de citoyens engagés.
jourd’hui pour nous un acquis im- Notre rôle sur les pétitions a ainsi été
portant mais qui, pour le moment, reconnu dans le projet de réforme
n’a pas pu trouver de traduction ins- constitutionnelle, avec une « sortie
titutionnelle. Cela ne nous empêche institutionnelle » plus forte à l’heure
actuelle.
76
ENTRETIEN AVEC
PATRICK BERNASCONI
Nous avons aussi utilisé d’autres ou- lise en effet 150 citoyens et dispose
tils tels que les plateformes de parti- d’une portée différente, avec l’enga-
cipation citoyenne pour rendre cer- gement du Président de reprendre
tains « Avis », tel celui sur l’orientation un certain nombre de propositions.
des jeunes, qui ont également mon- Plusieurs options ici seraient pos-
tré toute leur efficacité. sibles : soit de les porter vers les deux
autres assemblées qui composent le
Nous avons été encore un peu plus Parlement, soit pour certaines de les
loin dans l’exercice de cette parti- reprendre sous forme de décret ou
cipation citoyenne puisque nous même de les proposer à référendum.
avons exploré le sujet du tirage au
sort dans le cadre du Grand débat. Nous engrangeons de l’expérience.
Cette expérience, une trentaine de Ce qui m’importe pour le CESE, c’est
citoyens tirés au sort, a été jugée po- bien de trouver la bonne forme de
sitivement par chacun d’entre eux. participation selon le problème qui
Elle est majeure car nous avons as- nous est soumis, notamment sur
socié citoyens et conseillers pour des projets sociétaux. Nous avons
rendre un avis au gouvernement aujourd’hui un certain nombre d’ou-
dans le cadre du Grand débat, qui tils à disposition qu’il faut continuer
exprime cette vision partagée des à évaluer, à parfaire. Il faut renfor-
corps intermédiaires et des citoyens. cer leur légitimité et leur donner un
Nous avons travaillé ensemble, en- cadre institutionnel afin que notre
gagé une réflexion commune afin assemblée incarne véritablement le
de dégager des principes d’intérêts trait d’union entre les citoyens et les
généraux : c’est cela la valeur ajoutée pouvoirs publics.
du CESE. Nous faisons évoluer notre
dispositif à partir de cette expérience
« Le CESE peut agréger
pour penser un mécanisme encore
cette parole individuelle,
plus efficace.
créer du collectif et chercher
l’intérêt général à travers la
Ily a enfin un autre outil que nous
participation citoyenne et les
expérimentons : la Convention ci-
corps intermédiaires. »
toyenne pour le climat, annoncée
par le Président de la République
et organisée par le CESE. Elle mobi- Les événements actuels vont sans
doute remettre ces sujets sur le de-
77
LE CESE DE DEMAIN, UN TRAIT
D’UNION ENTRE LES CITOYENS
ET LES POUVOIRS PUBLICS
78
ENTRETIEN AVEC
PATRICK BERNASCONI
79
pour une plus grande implication
des corps intermédiaires dans les
dispositifs participatifs
contribution de
barbara serrano
résumé
80
POUR UNE PLUS GRANDE IMPLICATION
DES CORPS INTERMÉDIAIRES DANS
LES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS
81
CONTRIBUTION DE
BARBARA SERRANO
82
POUR UNE PLUS GRANDE IMPLICATION
DES CORPS INTERMÉDIAIRES DANS
LES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS
pour intéresser les syndicats organi- cements publics. Pour ce faire, tous
sés au niveau territorial. Ces derniers se technicisent, se sur-spécialisent,
avaient tout pour « politiser », au sens travaillent en silo et se dépolitisent.
noble du terme, ces débats : quelle Et c’est ainsi qu’au fil du temps ces
métropole et quelle périurbanisation grandes organisations ont tourné le
voulons-nous ? Dans quelles condi- dos à des sujets transversaux et/ou
tions les salariés peuvent-ils encore de long terme (ainsi qu’à nombre de
« vivre et travailler au pays » ? sujets sociétaux) et se sont éloignées
de certaines préoccupations des po-
Or, mis à part quelques syndicats pulations qui constituent leur public,
d’entreprises qui ont accepté d’orga- au risque que ces dernières se mobi-
niser des débats dans leurs établis- lisent en dehors d’elles comme on l’a
sements, la société civile organisée vu avec les « gilets jaunes ».
du territoire ne s’est impliquée qu’a
minima, à travers les représentants « Les grandes organisations
des différents CODEV. ont tourné le dos à des sujets
transversaux et se sont éloignées
Pourquoi ces rendez-vous man- de certaines préoccupations
qués ? Plutôt que de faire le procès despopulations qui constituent
des corps intermédiaires, il faut in-
leur public. »
sister sur les contraintes qui pèsent
sur eux. En perte de vitesse depuis
plusieurs décennies et s’étant beau- Cet état de fait conforte le monde de
coup professionnalisés, ils n’ont sou- la participation dans l’idée que ces
vent pas d’autres choix que de se organisations font partie du passé et
concentrer quasi exclusivement sur que l’on peut – voire que l’on doit –
leur « cœur de métier ». Dans le mi- faire à côté d’elles, sinon sans elles.
lieu syndical, cela signifie contenter
leurs adhérents, ne pas les froisser La méfiance est réciproque. Syndi-
(surtout sur des sujets qui ne seraient cats et fédérations associatives ont
pas « rentables » à court terme) et longtemps montré les mêmes réti-
redoubler d’efforts pour en gagner cences que les élus politiques envers
de nouveaux. Pour le milieu asso- la montée de « l’impératif participa-
ciatif, cela se traduit par une dépen- tif ». Ils renvoient aux tenants de la
dance croissante vis-à-vis des finan- démocratie participative la même
83
CONTRIBUTION DE
BARBARA SERRANO
84
LA DÉMOCRATIE BOUSCULÉE
section 4
85
une urgence démocratique,
repolitiser la participation
entretien avec
alice mazeaud
résumé
87
ENTRETIEN AVEC
ALICE MAZEAUD
matrice mais elles ont été dépoliti- Aussi la proposition que j’aurais
sées, absorbées par les institutions envie d’émettre, c’est de dépenser
en place plus qu’elles ne sont par- moins d’effort intellectuel, moins
venues à les transformer. Les pro- d’énergie à essayer d’améliorer tou-
cédures participatives sont le plus jours un peu plus le design ou la qua-
souvent totalement déconnectées lité de ces procédures, que d’essayer
des arènes décisionnelles au sein de réfléchir aux conditions dans les-
desquelles les élites, et en premier quelles on peut repolitiser l’action
lieu économiques, n’ont jamais eu publique. Les enjeux contemporains
autant de pouvoir. Le problème est de nos sociétés, et en premier lieu
que des pans entiers de l’action pu- l’enjeu écologique, sont puissam-
blique demeurent totalement hors ment politiques car ils interrogent la
de portée de la démocratie, fusse-t- matrice de l’ordre social capitaliste.
elle participative. Cela implique de reconnaître et d’as-
sumer une conception plus agonis-
Trop souvent, la participation ci- tique de la politique qui admettrait
toyenne n’est pas conçue comme que la démocratie, c’est aussi du
une démarche visant à construire un conflit, des rapports de force et non
débat démocratique sur les choix qui simplement un échange raisonné
engagent la société et les types de d’arguments entre personnes de
solidarité qui doivent s’y construire, plus ou moins bonne volonté.
mais comme un ensemble d’instru-
ments destinés à impliquer le plus De ce point de vue, la question cen-
grand nombre, voire à responsabi- trale à se poser est comment trans-
liser les individus. C’est particuliè- former les rapports de pouvoir et
rement visible sur les enjeux écolo- donc la distribution des ressources
giques. Le débat ne porte jamais sur au sein de la société. Cela suppose
les structures sociales qui façonnent de réfléchir à comment créer ces
les comportements jugés néfastes conditions, à comment faire pour
pour l’environnement. C’est la mo- que ceux qui sont dominés aient
bilisation des gilets jaunes qui d’un enfin les moyens de faire entendre
coup est venue mettre un coup de leur voix et de peser dans le rap-
projecteur sur les problématiques de port de force. Les propositions de
justice sociale et environnementale création de fonds de mobilisation
qui sont pourtant fondamentales et d’interpellation citoyenne sont
dans la transition écologique.
88
UNE URGENCE DÉMOCRATIQUE,
REPOLITISER LA PARTICIPATION
89
ENTRETIEN AVEC
ALICE MAZEAUD
90
regard québécois sur la
participation citoyenne
entretien avec
dominique ollivier
résumé
Nous aurions réalisé cet entretien Les conseils municipaux ont tous une
il y a un mois, j’aurais eu un regard période de questions réservée au
complétement différent. Pré-crise public. Il existe également, dans cer-
Covid-19, à Montréal, la démocratie taines municipalités et à l’Assemblée
se portait plutôt bien. En temps nor- nationale, un droit de pétition pour
mal, nous sommes dans un cadre où forcer des consultations publiques
l’administration municipale montré- sur des sujets de bien commun qui
alaise mais aussi les gouvernements ne font pas déjà l’objet de politiques
québécois et canadien ont largement ou de lois… Ce sont des dispositifs qui
embrassé, du moins dans le discours sont courants et assez utilisés par les
normatif, la notion que la démocratie citoyens.
participative complète la démocratie
représentative. De plus, le Québec s’est doté en 2017
d’un cadre de référence gouverne-
mental sur la participation publique.
« Pré-crise Covid-19, à Il a modifié en 2018 sa loi sur l’amé-
Montréal, la démocratie se nagement urbain afin que toutes les
portait plutôt bien. » villes, quelles que soient leurs tailles,
mettent sur pied des dispositifs de
Il faut dire qu’au Québec, nous avons consultation des citoyens. L’ambition
une longue tradition de concerta- est de mettre en avant les notions de
tion des parties prenantes pour faire bien commun et d’avenir collectif.
face à des problèmes collectifs. Les
citoyens, les grandes organisations A l’Office de consultation publique
de la société civile et le gouverne- de Montréal, nous intervenons sur le
ment collaborent assez bien. Nous plan municipal et métropolitain. Avec
disposons d’institutions qui sont des des mandats qui nous sont octroyés
mécanismes permanents de concer- par la Charte constitutive de la Ville,
tation qui regroupent à la fois l’éco- nous sommes aux premières loges
nomie sociale, le patronat, l’éducation pour constater comment se décline la
formelle, l’éducation populaire, les or- participation citoyenne. Dans la der-
ganismes communautaires, les syn- nière décennie, nous avons vu à la fois
dicats, les grands employeurs… au- une explosion et une diversification
tour d’une même table pour discuter de la participation. Par exemple, les
des « grandes politiques » ensemble. femmes représentaient 18% des par-
92
ENTRETIEN AVEC
DOMINIQUE OLLIVIER
ticipants en 2014. Après avoir identifié plus grande inclusion et une prise de
les principaux freins à leur participa- parole des individus pour incarner
tion et mis en place des mesures de leur « droit à la ville ».
corrections, nous constatons depuis
deux ans que nous sommes dans la
zone de parité, entre 46 et 48%. Au- Ça, c’était avant cette période de
jourd’hui, nous nous intéressons par- confinement…. Le Covid-19 bous-
ticulièrement à la participation des cule tout. Cette crise nous fait com-
jeunes - la participation numérique prendre que nous sommes tous sur
aide beaucoup - mais aussi à celle la même planète et égaux devant la
des sans voix, des sans-abris, des po- maladie… Cette situation amène aus-
pulations autochtones. Nous les en- si une suspension de droits fonda-
courageons beaucoup à participer à mentaux préoccupante. Elle donne
nos processus, que nous adaptons des pouvoirs extraordinaires aux gou-
constamment pour faciliter leur prise vernements. Les événements de la
de parole. vie quotidienne sont autant de tests
pour la démocratie représentative
Le droit d’initiative transforme aus- qui expérimente en direct l’ire des ci-
si notre démocratie. Nous sortons toyens quant à leur gestion. Il y a là
d’une consultation, de plus d’un an sans doute un parallèle à établir avec
et demi, sur la question du racisme votre mouvement des Gilets jaunes.
et de la discrimination systémiques. Il A un moment, quand les personnes
y a eu des milliers de personnes qui ont le sentiment de n’être plus en-
ont participé dans le cadre d’un pro- tendues, elles réclament autre chose
cessus vraiment enrichissant. Avant que le modèle classique de repré-
cela, avant que notre maire n’aille à la sentation pour amener des solutions
COP21, les citoyens avaient « forcé », plus collectives.
par le droit d’initiative, un débat pour
lui donner une sorte de mandat, pour « Quand les personnes ont
qu’il puisse dire : « j’ai l’appui de ma le sentiment de n’être plus
population sur ces mesures de réduc- entendues, elles réclament
tion de GES ». J’oserais dire que nous autre chose que le modèle
sommes véritablement à Montréal classique de représentation
engagés dans une construction col- pour amener des solutions plus
lective avec comme objectif final une collectives. »
93
REGARD QUÉBÉCOIS SUR LA
PARTICIPATION CITOYENNE
1 45% de la population québécoise « ne se sent pas apte à faire des recherches sur Internet pour obtenir
l’information qu’ils désirent et interagir avec les administrations », un foyer sur dix n’est pas branché, une
personne sur cinq n’a pas accès aux technologies, etc. »
94
ENTRETIEN AVEC
DOMINIQUE OLLIVIER
Notre défi devrait être comment gé- voir d’usage des citoyens. Ce qu’on
rer cet appétit de participation ? Plus constate, chez nous, c’est qu’après
les gens participent, plus ils veulent avoir réfléchi, décrit des problèmes,
participer ! Plus l’on mobilise en amené des solutions, délibéré, les
amont de la décision, plus il y a chez personnes veulent aussi s’inscrire
ceux que l’on a mobilisé, une volonté dans la mise en œuvre. C’est nou-
d’action. Et moins ils supportent que veau comme phénomène. Je pense
la consultation devienne une mesure que cela va de pair avec l’avènement
dilatoire. Il faut révéler l’ensemble des de la ville intelligente qui a comme
possibles, il ne faut pas forcément postulat de départ que personne n’a
chercher la loi du nombre comme toute la solution mais tout le monde
dans un référendum ou une élection. dispose d’un petit bout de la solu-
Il faut également éviter une démo- tion. C’est vraiment un nouveau pa-
cratie qui serait à l’image des médias radigme.
sociaux. Nous devons ramener des
éléments de délibérations pour at-
teindre des objectifs collectifs.
95
démocratiser par en haut
et par en bas
entretien avec
julien talpin
résumé
Pour répondre à la crise profonde que traverse notre démocratie, il est nécessaire
de travailler sur les deux piliers de l’expérience démocratique : d’une part
démocratiser les institutions représentatives et développer les mécanismes
de démocratie participative pour que les citoyens puissent peser davantage,
et d’autre part donner les moyens aux associations, aux collectifs qui jouent
un rôle important dans l’organisation et la cristallisation des intérêts sociaux,
d’une meilleure auto-organisation citoyenne.
96
DÉMOCRATISER PAR EN
HAUT ET PAR EN BAS
97
CONTRIBUTION DE
JULIEN TALPIN
98
DÉMOCRATISER PAR EN
HAUT ET PAR EN BAS
aux pouvoirs publics est très forte ministratifs, des personnes tirées au
et grève les capacités d’auto-orga- sort pour attribuer des subventions
nisation des citoyens. Pour disposer au niveau municipal.
de subventions ou de locaux pour se
réunir il faut apparaître inoffensif ou Les deux piliers de l’expérience dé-
vassalisé, alors qu’on aurait besoin mocratique doivent s’alimenter :
d’autonomie. c’est en ayant des associations et
des collectifs forts que les dispositifs
Comme le soulignait déjà le rapport participatifs que l’on aura créés - RIC,
Bacqué-Mechmache sur la partici- budgets participatifs, jurys citoyens -
pation dans la Politique de la ville en pourront mieux vivre. C’est typique-
2013, il faut redéfinir les modalités de ment ce que l’on avait observé à
financement de la vie associative afin Porto Alegre au Brésil avec le bud-
d’assurer des conditions propices à get participatif, dont l’importation
l’autonomie des collectifs citoyens. Ils française l’a dépecé de ses capacités
faisaient à l’époque la proposition de décisionnelles et subversives.
création d’un Fonds d’interpellation
citoyenne, l’idée étant d’une certaine Aujourd’hui, la démocratie française
façon d’autonomiser le financement fonctionne mal car elle pêche sur
de la vie associative des élus, qui se ces deux tableaux : des instances de
trouvent souvent dans une situa- participation qui ne sont pas suffi-
tion de juges et parties. Via ce fonds, samment dotées de pouvoirs et une
le choix et la répartition des finan- société civile trop faible voire atta-
cements seraient à la charge d’une quée. Il faut jouer sur ces deux as-
commission autonome ou d’une Au- pects si l’on veut sortir de l’ornière
torité administrative indépendante. dans laquelle nous nous trouvons
Les élus ne seraient plus en situation aujourd’hui.
de mettre sous l’éteignoir les cri-
tiques émanant de la société. Le rap-
port Bacqué-Mechmache proposait
l’instauration de ce fonds au niveau
national mais il pourrait être décliné
au niveau local via des commissions
mixtes comprenant des élus, de la
majorité et de l’opposition, des ad-
99
LA DÉMOCRATIE BOUSCULÉE
www.deciderensemble.com