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OPINION
Depuis le début des hostilités, les taux d'intérêt à 10 ans français ont remonté
de 0 % à près de 3 %. Nous sommes fin 2021, et la crise sanitaire semble
enfin dans le rétroviseur. Les taux d'intérêt de long terme sont alors aspirés
par une accélération fulgurante de l'inflation, et l'anticipation d'une remontée
des taux d'intérêt directeurs des Banques centrales. La hausse des taux
marque la fin d'une décennie de politique monétaire ultra - accommodante.
Les taux retrouvent des niveaux qu'ils n'avaient plus connu depuis 2012. Mais
cela ne suffit pas, loin de là.
Cela fait un moment que la recherche académique bataille avec les niveaux
de taux observés. Déjà dans les années 80, on parlait de l'énigme de la prime
du taux sans risque (Philippe Weil, The Equity risk premium puzzle and the
risk free rate puzzle , 1989). On ne comprenait pas comment les taux
pouvaient être si bas, à moins de supposer que l'agent économique éprouve
une aversion pour le risque démesurément faible, voire négative ! Mais à
l'époque, on mettait cela sur le compte d'un formalisme excessif de la théorie.
Le problème ne pouvait pas venir du fait observé, c'est le modèle qui devait se
tromper. Depuis, la théorie a fait preuve d'une imagination débordante, mais
au prix d'une technicité rebutante, et sans jamais vraiment convaincre son
auditoire.
Des années plus tard, rien n'a changé ou pire. Crise financière, embellie
économique, ou aujourd'hui inflation galopante, rien n'y fait. Les taux restent
toujours trop bas. Ce constat peut heurter celui qui cherche vainement un
crédit immobilier depuis 1 an. Pourtant, avec des taux 10 ans à près de 3 %
mais une inflation à 6 %, il est bien difficile de soutenir que les conditions de
financement soient vraiment restrictives. Le coût de l'argent reste bien
inférieur au coût de la vie. Mieux encore, avec un taux réel (taux moins
l'inflation) négatif à près de - 3 %, le cout de financement de l'économie est
bien inférieur au taux de croissance de cette même économie plus proche de
1 %. En caricaturant, cela signifie que l'économie se finance à « bon prix ».
Il ne semble pas que la situation évoluera beaucoup pour les mois qui
viennent. En effet, les taux semblent déjà à bout de souffle, en témoigne leur
relative stabilité depuis le début de l'année avec l'anticipation d'une Banque
centrale en fin de course. D'autre part, l'inflation cœur (hors prix de l'énergie et
de l'alimentaire) ne montre toujours pas de signe d'essoufflement. Enfin, la
croissance du PIB devrait rester proche de 1 % avec l'éloignement du risque
de récession. Au total, les taux réels resteraient donc négatifs, et bien
inférieurs à la croissance. Des taux bas, trop bas, qui posent un problème aux
marchés financiers.
Jusqu'à présent, les experts des deux camps s'opposaient sur le choix du taux
adéquat (Christian Gollier & Co., The discounting premium puzzle : survey
evidence from professional economists , 2022). Les experts souhaitant des
réformes au plus vite proposaient un taux socialement responsable faible, plus
faible que le taux de marché. Mais l'autre camp, dont le prix Nobel récent
William Nordhaus, proposait un taux plus élevé, plus proche du taux de
marché. Or, il semblerait bien que ce fameux taux de marché soit aujourd'hui
devenu aussi faible que le taux socialement responsable défendu par le camp
favorable à des réformes plus tôt. Autrement dit, l'argument du camp des
réformes plus tard est caduc. Une aubaine pour justifier le financement d'une
transition énergétique au plus vite.
Karl Eychenne