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1. RÉSUMÉ :
Paul Ricœur, s'inscrivant dans la lignée de la philosophie réflexive française, a élaboré une
herméneutique complexe au cours de sa carrière étalée sur près de soixante ans. Contrairement à
Gadamer, Ricœur a abordé le conflit entre l'herméneutique et la critique des idéologies en
distinguant deux types d'herméneutique : celle de la confiance et celle du soupçon. Cette idée
fondamentale l'a amené à chercher une conciliation entre les pensées de Gadamer et de Habermas.
Le parcours herméneutique de Ricœur, bien distinct de celui de Gadamer, s'est développé à partir
d'œuvres des années 1950 et 1960, explorant des domaines variés tels que la philosophie de
l'existence, la théorie de la connaissance historique, l'interprétation biblique, la psychanalyse, la
théorie linguistique, la théorie de l'action, la phénoménologie du temps, de la mémoire, et de la
reconnaissance, ainsi que l'éthique. Ricœur a cherché à réconcilier ces approches diverses, adoptant
une approche « hégélienne » tout en résistant à la notion de synthèse totalisante.
Son parcours herméneutique a débuté avec une influence marquée par la philosophie de
l'existence et la radicalisation éthique. Ricœur a ensuite opéré un « tournant herméneutique » en
greffant l'herméneutique sur la phénoménologie, mettant en lumière son idée que l'ego ne peut se
comprendre que par l'interprétation des grands symboles. Ce « détour herméneutique » se distingue
de celui de Heidegger et Gadamer, privilégiant l'interprétation comme déchiffrement des symboles
plutôt que l'ontologisation de l'existence. Ricœur a résisté à la tendance de Heidegger à confondre
l'herméneutique avec l'accomplissement fondamental de l'existence, préservant ainsi son
orientation épistémologique et critique.
Paul Ricœur, bien qu'ayant résisté à l'herméneutique de Heidegger, défend l'idée d'un "tournant
herméneutique" dans la phénoménologie, se démarquant ainsi de l'interprétation idéaliste de
Husserl. Il soutient que l'herméneutique a ruiné certaines notions de la phénoménologie, dont l'idéal
de scientificité, la primauté de l'intuition, et le primat de l'immanence du sujet. Ricœur propose une
phénoménologie herméneutique qui considère les objectivations comme essentielles à la
connaissance de soi. Il qualifie ainsi sa phénoménologie de herméneutique. Contrairement à
Gadamer, qui prône une herméneutique phénoménologique, Ricœur parle d'un "tournant
herméneutique de la phénoménologie" et d'un "tournant phénoménologique de l'herméneutique"
chez Gadamer. Bien que Ricœur insiste sur l'infléchissement herméneutique, il souligne également
les présuppositions phénoménologiques de l'herméneutique, telles que la prééminence du sens sur la
conscience de soi et la nécessité de prendre en compte l'expérience de la "distanciation". En dépit de
certaines divergences avec Gadamer sur l'autonomie de l'ordre linguistique, Ricœur conclut que
l'expérience du monde passe par une herméneutique interprétant les objectivations de sens.
Paul Ricœur souligne le débat entre deux approches apparemment incompatibles : une
herméneutique de la confiance, axée sur la compréhension du sens tel qu'il se donne, et une
herméneutique du soupçon, méfiante envers le sens apparent, cherchant à dévoiler des erreurs,
mensonges ou déformations. Ricœur, bien que issu de la philosophie réflexive et de
l'existentialisme, montre une ouverture équilibrée envers les deux approches, reconnaissant la
nécessité du soupçon pour déconstruire les illusions de la conscience naïve. Il résiste à la tendance
de subordonner tout à une herméneutique ontologique de la compréhension, privilégiant une
approche qui tient compte des objectivations et des constructions de sens. Enfin, il souligne l'idée
que "expliquer plus, c'est comprendre mieux."
Dans son exploration de l'herméneutique, Paul Ricœur revisite la distinction entre l'explication
des sciences exactes et la compréhension des sciences humaines, s'inspirant de Dilthey. Pour lui, il
s'agit moins d'une distinction méthodologique que de deux opérations complémentaires dans l'arc
herméneutique de l'interprétation. La conscience doit se méfier de l'évidence immédiate du sens et
accepter qu'une explication puisse mettre à distance les illusions. Ricœur associe Habermas à une
herméneutique de la distanciation et Gadamer à une herméneutique de l'appartenance, soulignant la
nécessité d'intégrer les leçons de l'herméneutique du soupçon. Une nouvelle herméneutique émerge,
influencée par la notion de texte, étendant la compréhension au-delà du déchiffrement des
symboles. Ricœur intègre les approches structurales et sémiotiques, considérant le texte comme une
unité autoréférentielle, mais souligne que le monde d'un texte s'ouvre, pouvant être habité par la
conscience. Cette dialectique de l'explication et de la compréhension conduit à une conception plus
ample de l'herméneutique, définie comme la théorie des opérations de la compréhension en relation
avec l'interprétation des textes. La notion de texte s'étend à tous les éléments compréhensibles, y
compris l'action humaine et l'histoire, conduisant Ricœur à définir l'herméneutique comme la
théorie des opérations de compréhension en relation avec l'interprétation de tous les textes. Cette
conception élargie de l'herméneutique culmine dans la reconnaissance de l'identité humaine comme
une identité essentiellement narrative, répondant à la question fondamentale de l'identité humaine à
travers la théorie du récit historique.
Dans son ouvrage "Temps et récit" (1982-1985), Paul Ricœur propose une nouvelle conception
de l'herméneutique qui émerge de ses réflexions sur la conscience historique. Il affirme que le soi
qui émerge des herméneutiques du soupçon et de la distanciation est inévitablement un "cogito
brisé". Malgré l'abandon de l'idéal de transparence intégrale, le soi ne peut s'empêcher de se
comprendre à partir des objectivations de sens présentes dans les grands textes littéraires,
philosophiques, et religieux transmis par l'histoire de l'humanité.
Ricœur insiste sur l'importance de la temporalité dans cette nouvelle herméneutique, affirmant
que le soi ne peut donner sens à son expérience radicale du temps que par le biais de la
configuration narrative. Le "soi brisé" peut ainsi reconnaître ses modestes mais réelles "capacités"
de reconfigurer son propre monde.
Dans le dernier tome de "Temps et récit," Ricœur développe une "herméneutique de la
conscience historique," rejoignant ainsi la perspective de Gadamer sur l'herméneutique de la
conscience du travail de l'histoire. Ricœur souligne la condition langagière de l'homme, dépendant
du langage et des "choses déjà dites, entendues et reçues." Il se rapproche de Gadamer,
reconnaissant que la compréhension ne peut pas être simplement une prise de distance, mais doit
également intégrer l'appartenance à une tradition.
La notion d'identité narrative héritée de l'histoire, bien que dépendante de la tradition, n'est jamais
stable ni fermée. Elle dépend également de la réponse que l'individu peut y apporter. Ricœur
souligne la capacité de réponse et l'initiative, introduisant ainsi une dimension éthique à
l'herméneutique. La question fondamentale devient alors non seulement "Qui suis-je ?" mais aussi
et surtout "Que puis-je ?"
Paul Ricœur propose une phénoménologie herméneutique de l'homme capable, soulignant que
nous ne sommes pas simplement les héritiers passifs de l'histoire, mais que nous conservons un
espace d'initiative. Cette approche se situe dans la continuité de son projet philosophique, marqué
par une herméneutique du soi.
Ricœur insiste sur l'idée que le soi de la connaissance de soi n'est pas un moi égoïste et
narcissique dénoncé par les herméneutiques du soupçon, mais plutôt le résultat d'une vie examinée.
Cette vie examinée est largement influencée et épurée par les récits historiques et fictifs transmis
par la culture. Ainsi, l'ipséité, ou l'identité narrative du soi, est formée par les œuvres culturelles qui
ont été assimilées.
L'identité narrative peut varier entre les communautés et les individus, et le soi a la capacité de
reconfigurer dans une certaine mesure son identité narrative. Ricœur aborde la phénoménologie de
l'homme capable en se basant sur les usages du « je peux » en français, englobant les domaines de
la philosophie du langage, de la philosophie de l'action, de la théorie narrative et de la philosophie
morale.
Le projet philosophique de Ricœur, intitulé « herméneutique du soi », rappelle l'idée
heideggérienne d'une herméneutique de la facticité. Cette herméneutique ne se concentre plus sur
les symboles ou les textes, mais sur le soi-même. Elle prend la forme d'une ontologie
herméneutique privilégiant les notions d'acte, de puissance et de possibilité.
Cette ontologie herméneutique représente l'aboutissement du parcours de Ricœur, combinant les
leçons de l'école du soupçon avec une reconnaissance des ressources éthiques du « soi capable ».
Elle souligne que, en tant qu'êtres historiques, nous sommes les héritiers de promesses fondatrices
et d'espérances, et que l'herméneutique du soi sert de mémoire à ces fondements éthiques. Pour
Ricœur, une éthique sans herméneutique est aveugle, et cette approche offre un équilibre entre
l'analyse critique et la perspective éthique.
2. FICHES :
j) Résistance à l'Ontologisation
• Résistance à l'ontologisation de l'herméneutique par Heidegger.
• Importance du maintien de l'orientation épistémologique et critique.
➢ Idéalisme Husserlien :
➢ Scientificité Absolue :
➢ Primauté de l'Intuition :
▪ Husserl accordait une primauté à l'intuition comme moyen direct d'accès aux
phénomènes, considérant l'intuition comme une source fondamentale de
connaissance.
➢ Immanence et Sujet :
➢ Statut du Sujet :
➢ Décentrement du Sujet :
➢ Introduction:
i. Herméneutique de la Confiance:
➢ Concept fondamental:
➢ Fondements de l'approche:
➢ Conclusion:
i. Associations Conceptuelles:
• Habermas à une herméneutique de la distanciation.
• Gadamer à une herméneutique de l'appartenance.
• Correspondance avec les herméneutiques du soupçon et de la confiance
respectivement.
e) Conclusion :
• La nouvelle herméneutique de Ricœur, guidée par la notion de texte, transcende la
distinction entre expliquer et comprendre.
• Elle offre une approche dialectique, enrichie par la lecture et l'extension de la notion de
texte à toutes les facettes de la réalité humaine, marquant ainsi une évolution significative
dans sa pensée herméneutique.
e) Conclusion :
• L'herméneutique de la conscience historique chez Ricœur explore la complexité du soi à
travers la temporalité, l'héritage des textes, et la réponse éthique. C'est un appel à la capacité
de l'homme capable dans le dialogue entre tradition et innovation.
f) Conclusion
• L'herméneutique du soi souligne que l'être-affecté-par-le-passé n'est pas la seule
détermination de la conscience.
• Elle permet de redécouvrir les ressources éthiques du « soi capable » face au mal et à
l'injustice, en se référant à la mémoire des promesses fondatrices.
3. CITATIONS :
• Suivant ce que Ricœur a plus tard appelé sa « première définition de l'herméneutique »,
celle-ci était alors expressément conçue comme un déchiffrement des symboles, entendus
eux-mêmes comme des expressions à double sens » Dans cette perspective, l'interprétation
est « le travail de pensée qui consiste à déchiffrer le sens caché dans le sens apparent, à
déployer les niveaux de signification impliqués dans la signification littérale »
• «Ce que l'herméneutique a ruiné, ce n'est pas la phénoménologie, mais une de ses
interprétations, à savoir son interprétation idéaliste par Husserl lui-même »
• « Toute question portant sur un étant quelconque est une question sur le sens de cet étant ».
• « Le choix pour le sens est donc la présupposition la plus générale de toute herméneutique. »
Seulement, cela « n'implique aucunement qu'une subjectivité transcendantale ait la maîtrise
souveraine de ce sens vers quoi elle se dirige. Au contraire, la phénoménologie [peut] être
tirée dans la direction opposée, à savoir du côté de la prééminence du sens sur la conscience
de soi »
• «Expliquer plus, c'est comprendre mieux. »
• « Une nouvelle époque de l'herméneutique est ouverte par le succès de l'analyse structurale :
l'explication est désormais le chemin obligé de la compréhension »
• «L'interprétation d'un texte s'achève dans l'interprétation de soi d'un sujet qui désormais se
comprend mieux, se comprend autrement, ou même commence de se comprendre»
• « La tâche essentielle de l'herméneutique sera donc double : il s'agit de «reconstruire la
dynamique interne du texte [et de] restituer la capacité de l'œuvre à se projeter au-dehors
dans la représentation d'un monde que je pourrais habiter ».
• « La dialectique nouvelle affrontait deux opérations (l' expliquer et le comprendre] que W.
Dilthey avait fortement opposées au début du siècle. Or le traitement de cette situation
conflictuelle entraînait un remaniement de ma conception antérieure de l'herméneutique qui
etait restée jusque-là solidaire de la notion de symbole, comprise comme expression à
double sens, et avait trouvé son style conflictuel dans la concurrence entre interprétation
réductrice et interprétation amplifiante. La dialectique entre expliquer et comprendre ,
déployée au niveau du texte en tant qu'unité plus grande que la phrase, devenait la grande
affaire de l'interprétation et constituait desormais le thème et l'enjeu de l'herméneutique. »
• Ricœur adopte dès lors la définition suivante de l' herméneutique : elle est «la théorie des
opérations de la compréhension dans leur rapport avec l'interprétation des textes ».
• «Nous ne sommes les agents de l'histoire que pour autant que nous en sommes les patients »,
car « nous ne sommes jamais en position absolue d'innovateurs, mais toujours d'abord en
situation d'héritiers».
• « Le langage est la grande institution - l'institution des institutions - qui nous a chacun dès
toujours précédés. »
• « La prise de distance, la liberté à l'égard des contenus transmis ne peuvent être l'attitude
première »
• « Le soi de la connaissance de soi n'est pas le moi égoïste et narcissique dont les
herméneutiques du soupçon ont dénoncé l'hypocrisie autant que la naïveté [ ... ]. Le soi de la
connaissance de soi est le fruit d'une vie examinée, selon le mot de Socrate dans l'Apologie.
Or une vie examinée est, pour une large part, une vie épurée, clarifiée, par les effets
cathartiques des récits tant historiques que fictifs véhiculés par notre culture. L'ipséité est
ainsi celle d'un soi instruit par les œuvres de la culture qu'il s'est appliquées à lui-même »
• «Je peux parler, je peux agir, je peux raconter, je peux me tenir responsable de mes actions,
me les laisser imputer comme à leur véritable auteur. »