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L’évolution des notions de privilège du

fermier et de droits des agriculteurs

Alicia Rudaz & Thierry Savioz


Table des Matières

Table des Matières 1

Index 1

Introduction 2

La construction de la notion de privilège du fermier 2

La restriction progressive du privilège du fermier 3

Critiques et limites de la gestion internationale 7

Conclusion 9

Bibliographie 11

Index
ADPIC Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle Applicable au Commerce

CDB Convention sur la Diversité Biologique

COV Certificat d’Obtention Végétale

GFOD Group of Friends of Development

OMC Organisation Mondiale du Commerce

OMPI Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle

PED Pays En Développement


PMA Pays les Moins Avancés

PVP Plant Variety Protection (ou Protection des Obtentions Végétales)

TIRPAA Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et


l’Agriculture de la FAO

UPOV Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales

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Introduction
Le privilège du fermier et les droits des agriculteurs ont grandement évolué depuis leur
émergence. La notion de privilège du fermier signifie que les agriculteurs peuvent conserver
et échanger leurs semences, ce qui recouvre une partie des droits des agriculteurs 1.
Cependant, au fil des décennies et des contextes socio-politiques, ce privilège est de plus
en plus restreint dans les traités internationaux. Davantage réglementée qu’auparavant,
l’institutionnalisation de la notion a contribué à sa délimitation. Cette tendance est visible
dans les accords et conventions, alors que certains pays s’élèvent contre cette restriction
progressive pour faire entendre les intérêts des communautés et des Etats ainsi lésés. Suite
à une revue de la littérature sur le sujet, nous allons exposer comment la notion de privilège
du fermier a évolué. Pour ce faire, il faut bien comprendre la complexité du sujet, notamment
dûe à la multiplicité et l'enchevêtrement des traités et conventions. Nous commencerons par
nous intéresser aux fondements du privilège du fermier tel qu’il est construit au travers de
l’Engagement International pour les ressources génétiques et du Traité International sur les
Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture (TIRPAA). Ensuite, nous
verrons comment les textes internationaux, dont les conventions de l’Union Internationale
pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) et l’Accord sur les Droits de Propriété
Intellectuelle Applicable au Commerce (ADPIC), et plus particulièrement l’interprétation de
son Article 27.3 b) restreignent ce privilège. A travers ce chapitre, nous mettrons en
évidence le rôle des Etats-Unis et de l’Union Européenne et celui de l’Organisation Mondiale
de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Nous mentionnerons ensuite des dispositions
juridiques qui menacent ces droits. Enfin, nous consacrerons un chapitre à une critique de la
gestion internationale.

La construction de la notion de privilège du fermier


D’après Carlos Correa, c’est l’Engagement International sur les ressources génétiques de
1989 qui reconnaît sur la scène internationale le droit des agriculteurs2. Ces ressources
étaient alors considérées comme des biens communs en libre-accès entre Etats membres.
La notion de privilège du fermier est ici implicite. Cela a provoqué des tensions car ce
modèle a été jugé incompatible avec l’UPOV 1961 qui comprend le droit des obtenteurs.
Une interprétation concertée a simplement conclu que ce n’était pas le cas. Mais cela a
soulevé la question du droit des agriculteurs, C’est ainsi que ceux-ci ont été “reconnus dans
l’objectif principal de constituer un contrepoids aux droit de propriété intellectuelle”3.

En 2001, le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et


l’Agriculture de la FAO (TIRPAA) entre en vigueur. Ce traité multilatéral reprend des points
de l’approche de patrimoine commun4. En effet, le traité prévoit que 65 espèces vivrières et
fourragères soient en accès libre. Pour le reste, c’est la souveraineté nationale qui est
1Correa Carlos M., Concrétiser le droit des agriculteurs relatifs à l’utilisation des semences, Centre
SUD, Document de recherche, mars 2017, p. 10
2Ibidem, p. 2
3Ibidem, p. 3
4Brush Stephen B., “Farmers’ Rights and Protection of Traditional Agricultural Knowledge”, World
Development, Vol. 35, No. 9, 2007, p. 1507

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retenue. L’article 9 du traité est consacré aux droits des agriculteurs. Le préambule de cet
article reconnaît le droit des agriculteurs “de conserver, utiliser, échanger et vendre des
semences de ferme”5. Ceci constitue la base du privilège du fermier. L’alinéa 1 justifie ces
droits par la reconnaissance de la contribution des agriculteurs dans la conservation et le
développement des ressources génétiques, ce qui joue un rôle pour la sécurité alimentaire.
Le reste de l’article mentionne les autres droits des agriculteurs tels que le droit à un partage
juste et équitable des avantages issus de l’utilisation des ressources et le droit de participer
à la prise de décisions.

Ces deux textes internationaux pose les fondements du privilège du fermier. Cependant,
nous allons voir que d’autres éléments vont progressivement restreindre cette notion.

La restriction progressive du privilège du fermier


L’évolution de la convention de l’Union Internationale pour la Protection des Obtentions
Végétales (UPOV) traduit une réduction du droit des agriculteurs relatif à l’utilisation des
semences de ferme.
Dans la première convention UPOV de 1961, la protection des variétés végétales
s’apparente au système de copyright. En effet, le monopole est limité dans le temps et
l’obtenteur ne peut contrôler que la commercialisation et le marketing6. Le certificat peut être
obtenu sous quatre conditions. La variété doit être nouvelle, distincte, homogène et stable.
Selon Laurence Boy, la “convention ménageait le privilège de l’agriculteur et la réserve de
l’obtenteur”7. Les agriculteurs pouvaient conserver et utiliser leurs récoltes sans restriction.
Tandis que les obtenteurs n’avaient pas de droit sur le contenu génétique d’une variété, et
donc, cette variété protégée était donc utilisable par un tiers. L’UPOV 1961 propose un
système sui generis.
Par la suite, deux révisions subsidiaires ont été effectuées en 1972 et 1978. Il est écrit dans
la convention de 1978 que la vente d’une variété protégée doit être autorisée par l’obtenteur.
Cette révision comprend donc une restriction mais demeure tout de même plus flexible que
la prochaine.
Effectivement, c’est la révision de la convention de l’UPOV de 1991 qui change la donne.
Dès lors que celle-ci entre en vigueur, l’adhésion à celle de 1978 n’est plus possible. De
plus, il existe une forte pression de la part des Etats-Unis et de l’Union Européenne pour
adhérer à la version de 1991 qui est bien plus restrictive. Elle étend les droits des obtenteurs
au grand détriment du droits des agriculteurs8. Un document de l’organisation internationale
non-gouvernementale GRAIN reprend cinq moyens de pression internationale pour la
privatisation des semences, en dénonçant l’UPOV de 1991 et le lobbying de l’industrie des
semences. GRAIN est une organisation qui soutient les petits agriculteurs et les

5Correa Carlos, op. cit., p. 5


6Boy Laurence, « L'évolution de la réglementation internationale : vers une remise en cause des
semences paysannes ou du privilège de l'agriculteur », Revue internationale de droit économique,
2008/3, p. 300
7Ibidem, p. 300
8Shashikant Sangeeta, Meienberg François, ”International contradictions on farmer’s right : The
interrelations between the International Treaty, its Article 9 on Farmers’ Rights, and Relevant
Instruments of UPOV and WIPO”, Déclaration de Berne, octobre 2015, p. 7

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mouvements sociaux pour renforcer les systèmes alimentaires basés sur la biodiversité 9. Le
document mentionne tout d’abord les interdictions ou restrictions sur l’utilisation et l’échange
de semences privatisées10. La convention UPOV de 1991 permet aux compagnies d’avoir
des droits de propriété sur des nouvelles variétés de plantes. Ainsi, elles sont les seules à
pouvoir les utiliser et tous les autres doivent par exemple payer des frais ou royalties. Vient
ensuite la privatisation des semences de ferme11. Celle-ci peut se faire par deux
mécanismes. Les obtenteurs commerciaux peuvent homogénéiser des semences et
privatiser cette nouvelle variété uniformisée et étendre ensuite leurs droits de propriété à
une autre variété similaire. Troisièmement, il existe des limites et interdictions à la
conservation, échange et vente de semences12. Quatrièmement, des amendes et peines de
prison peuvent punir le fait de conserver et échanger des semences13. Enfin, on assiste à
une inversion de la charge de la preuve 14. C’est-à-dire qu’un obtenteur n’a pas besoin de
beaucoup de preuves pour accuser un agriculteur de contrefaçon. En bref, la privatisation
des semences conduit à un monopole de l’industrie des semences et menace fortement le
droits des agriculteurs.

Toutefois, une exception facultative au droit des obtenteurs est introduite. Ainsi, les
agriculteurs peuvent utiliser leur récolte uniquement pour la reproduction et la multiplication
sur leurs propres terres. Cependant, selon Patrice Reis, cela induit deux problèmes
principaux. Tout d’abord, l’exception ne permet que l’utilisation des semences sur sa propre
exploitation. Ceci interdit la vente et même l’échange des semences entre agriculteurs.
Pourtant, ces pratiques sont couramment utilisées par les producteurs ruraux et sont
garantes d’une agriculture durable, de la sécurité alimentaire et d’une indépendance relative
par rapport aux obtenteurs commerciaux. On voit ainsi que la version UPOV de 1991
restreint considérablement le privilège du fermier. Deuxièmement, les “autorités étatiques
ont le pouvoir exclusif de définir, l‘existence ou non de cette exception et ensuite la portée
de cette dernière ”15. Les Etats peuvent décider de ne pas reconnaître le privilège du fermier
ou soumettre les agriculteurs à une compensation envers les obtenteurs, ce qui lèsent donc
les petits exploitants. Si l’Etat ne reconnaît pas ce privilège, la semence utilisée est
assimilée à une contrefaçon16. L’UPOV désapprouve même les législations nationales
reconnaissant le droit des agriculteurs. On peut prendre ici le cas des Philippines. L’UPOV
avait jugé que la PVP (Plant Variety Protection) choisie n’était pas compatible avec la
convention de 1991 car elle autorise les agriculteurs à échanger et vendre leurs semences
entre eux. L’UPOV a demandé à ce que la section concernée soit amendée17.
Au fil des révisions de la convention de l’UPOV, on constate en effet que les droit des
agriculteurs sont de plus en plus remis en cause et que la portée du privilège du fermier est
sérieusement limitée.

9https://www.grain.org
10GRAIN, UPOV 91 and other seed laws: a basic primer on how companies intend to control and
monopolise seeds, octobre 2015, p. 5
11Ibidem, p. 7
12Ibidem, p. 9
13Ibidem, p. 12
14Ibidem, p. 14
15Reis Patrice, “Les exceptions au monopole dans le Traité UPOV : le cas des semences de ferme
ou le prétendu privilège de l’agriculteur”. Universidad de Costa Rica. Les aspects juridiques de la
valorisation des denrées alimentaires, SIEDEN COSTA RICA, 2011, p. 4
16Ibidem, p. 4
17Shashikant, Meienberg, op.cit, p. 9

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En 1994, l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle Applicable au Commerce (ADPIC)
est conclu. Cet accord favorise implicitement l’adhésion à la convention de l’UPOV de 1991,
principalement au travers de l’interprétation de son article 27.3.b).
L’accord ADPIC de 1994 porte véritablement sur le plan international la protection des
inventions touchant les végétaux18. L’ADPIC est un accord conclu lors des accords de
Marrakech en 1994 et fondant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Cet accord
oblige les Etats à décider d’une protection mais leur laisse choisir le mode qu’ils désirent.
C’est donc la souveraineté nationale qui prédomine. Selon l’article 27, les pays peuvent
choisir le brevet, un système sui generis, tel que le Certificat d’Obtention Végétale (COV), ou
une combinaison des deux. Ainsi, les Etats bénéficient d’une grande marge de manoeuvre.
Pourtant, et sans que l’UPOV ne soit mentionnée explicitement, c’est bien à ce système que
les pays en développement vont majoritairement adhérer. Cela peut paraître étonnant car
l’UPOV de 1991 est défavorable aux agriculteurs.

Mais cela peut s’expliquer par la pression exercée par les Etats-Unis et l’Union Européenne.
Pour ce faire, les deux puissances vont choisir la voie du bilatéralisme. Ainsi, dans les
accords internationaux, ils tenteront d’imposer l’UPOV de 1991. Cette voie s’oppose au
cadre multilatéral de l’OMC19. L’avantage du bilatéralisme est qu’il peut cibler les Etats ayant
des intérêts communs et les isoler d’autres Etats ou ONGs. L’Union Européenne aussi opte
aussi pour le bilatéralisme. Ils imposent ainsi leur propres modèles et posent comme
condition préalable à la signature de traités, l’adhésion à l’UPOV de 199120.
Dès 2001, des Etats et ONGs dénoncent les risques du bilatéralisme pour les pays en
développement (PED) et les pays les moins avancés (PMA). Cette voie représente un
désavantage considérable pour le développement et l’environnement de ces pays. Les PED
et PMA vont donc se mobiliser pour défendre leurs intérêts. Ces pays “souhaitent élargir le
corpus juris de l’OMC pour en faire un véritable système de commerce mondial loyal” 21. Ils
désirent intégrer au commerce les considérations relatives au développement durable et à la
protection de l’environnement. Concernant la protection sui generis, les PED et PMA veulent
ajouter des éléments à l’article 27.3.b) de l’ADPIC. Ils proposent notamment une protection
conforme à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) et à l’Engagement International
et l’ajout des droits d’utiliser, d’échanger et de vendre sa récolte. Contrairement aux idées
reçues, les pays en développement utilisent désormais sciemment les instruments juridiques
à leur disposition. Laurence Boy précise qu’au vu de cette utilisation judicieuse et de l’intérêt
général croissant pour l’environnement et le développement durable, cela laisse espérer une
évolution positive du privilège du fermier22.

L’adhésion relativement massive à l’UPOV de 1991 peut aussi s’expliquer par le manque
d’informations et d’assistance technique sur le sujet 23. On peut s’intéresser ici à
l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Cet organe est censé informer
et assister techniquement les Etats sur les possibilités de propriété intellectuelle. Or, cette

18Boy Laurence, op. cit., p. 296


19Ibidem, p. 305
20Ibidem, p. 306
21Ibidem, p. 308
22Ibidem, p. 312
23Ibidem, p. 293

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organisation est décriée en raison de la qualité toute relative de ses services. Un groupe de
pays en développement, le Group of Friends of Development (GFOD), met en avant
plusieurs problèmes tels que l’exagération de l’avantage apporté par la propriété
intellectuelle, le peu d’attention accordé aux niveaux de développement et des différences
culturelles et le faible nombre d’évaluations indépendantes de ses activités 24. Des
recherches indépendantes ont permis de démontrer un manque de transparence, une
gestion et une coordination biaisée des activités d’assistance et des déficiences dans
l’orientation. En effet, alors que l’article 27.3.b) permet d’adopter un système sui generis,
l’OMPI ne promeut que les PVP fondées sur l’UPOV de 1991. Les réalités de terrain sont
ignorées, rien n’est mentionné sur le secteur informel des semences et sur les fermes à
petite échelle, ni sur les autres options de protection ou que l’UPOV de 1978 n’est plus
ratifiable. Pire, l’organisation avance des informations erronées, notamment en déclarant
que l’agriculture traditionnelle a conduit à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire25.

Hormis l’évolution des traités et conventions et leur contradiction, des mécanismes de type
juridiques sont également à l’oeuvre et minimisent le privilège du fermier.
Le premier mécanisme est la certification des semences à des fins de commercialisation.
Ces ressources doivent être répertoriées dans un catalogue, mais l’inscription est onéreuse.
De plus, les critères de certification ne correspondent pas toujours aux spécificités des
semences de ferme. Si la certification n’est pas obtenue, les agriculteurs n’ont alors pas le
droit de les vendre26. Ce mécanisme lèse considérablement les fermiers.
L’outil contractuel est un autre moyen de maintenir les semences de ferme sous contrôle.
Cet outil est nommé “contribution volontaire obligatoire” 27. Cela signifie que de l’argent est
prélevé automatiquement si l’agriculteur ne peut prouver l’achat de ses semences. Les petits
fermiers en sont exemptés mais Patrice Reis déclare que ce genre d’accord pourrait se
généraliser.
Un troisième mécanisme est la menace technologique dûe au cumul des protections,
autorisé par l’UPOV de 1991. En effet, le brevet permet d’utiliser des marqueurs génétiques
pour identifier une semence et déceler une contrefaçon 28. Cette pratique tend à mettre en
péril les semences de ferme.
Toutes ces dispositions juridiques favorisent les obtenteurs et menacent le privilège du
fermier.

Critiques et limites de la gestion internationale


De nombreux auteurs s’accordent sur le fait que la convention de l’UPOV et ses différentes
révisions n’ont pas été établies de façon internationale et pour le bien de tous, Elle est née
au sein de l’Union européenne et a été élaborée entre pays industrialisés et l’industrie
semencière de ces pays. Ainsi ces auteurs déplorent le manque de considération de ces

24Shashikant, Meienberg, op. cit, p. 16


25Shashikant, Meienberg, op. cit, p. 18
26Correa Carlos, op. cit., p. 15
27Reis Patrice, op. cit., p. 9
28Ibidem, p. 11

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textes pour les communautés locales et les pays en développement, qui sont pourtant les
garants de la biodiversité agricole. Cette convention, souvent implicitement imposée au pays
du Sud, n’est pas en adéquation avec leur système traditionnel et ne permet pas de protéger
leurs agriculteurs, mais les soumet au marché et aux lois de l’industrie. Imposer des
standards aux fermiers bloque leur capacité à développer de nouvelles variétés et par cela
érode la biodiversité, ce qui représente un danger non négligeable pour la sécurité
alimentaire, augmente l’incertitude économique et menace la viabilité et la durabilité des
systèmes agraires de ces populations29. C’est cela que va montrer ce chapitre au travers la
lecture de différents auteurs cités ci-dessous.

La Convention de l’UPOV a été en grande partie définie et conçue par et pour les intérêts
commerciaux européens du secteur de la sélection, prenant en compte ceux des
agriculteurs européens.30 Si ni l’UPOV 1991, ni l’Accord sur les ADPIC n’empêchent les non-
membres de l’UPOV d’adopter des régimes de Protection d’Obtention Végétale (POV)
autres que l’UPOV, les pays en développement, bien souvent incités par nécessité pour des
accords commerciaux avec les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon ou l’Association
européenne de libre échange, optent généralement pour l’adhésion à l’UPOV plutôt que
d’autres approches.31 Cependant, des règles de POV conformes à l’UPOV sont souvent
inadéquates pour les conditions et les besoins locaux, ce que nous montre Graham Dutfield
dans les sections 3 et 4 de son étude sur le rôle de l’UPOV.32

C’est précisément ce que nous explique Vandana Shiva à propos de l’Inde dans les lignes
suivantes: ”Furthermore, the draft act has in any case introduced core elements of UPOV
91, e g, the category of essentially derived varieties. The UPOV system is in any case totally
inappropriate for us since it has been evolved in the industrialised countries context. It is not
suited to our conditions of peasant agriculture, in which 80 per cent of the seed supply is still
farmers seed supply. The real basis of farmers rights is in the recognition of the collective
innovation by farming communities embodied in farmers varieties, and evolving a
jurisprudence that protects and rewards this collective jurisprudence.” 33 Dans deux articles
parus dans la revue “Economic and Political Weekly”34, Vandana Shiva nous explique
comment les conventions, les institutions internationales et les droits de propriété
intellectuelle, initiés et rédigés par les grandes puissances industrielles sous la pression du
lobbying de l’industrie des semences, imposent un régime monopolistique de l’industrie
semencière et restreignent les droits et privilèges des fermiers et des communautés locales,
menaçant ainsi la diversité agriculturelle et la sécurité alimentaire de toute la planète. C’est
pourquoi l’Inde a choisi de créer son propre système de législation sui generis appelé “The
Plant Varieties Act”, dont Vandana Shiva nous explique les raisons, les buts et le
fonctionnement dans son deuxième article35.

29Eyzaguirre Pablo B., Dennis Evan M., The Impacts of Collective Action and Property Rights on
Plant Genetic Resources, World Development Vol. 35, No. 9, 2007, p.1489
30Dutfield Graham, “Food, Biological Diversity and Intellectual Property: The Role of the International
Union for the Protection of New Varieties of Plants (UPOV)”, Global Economic Issue Publications,
Intellectual Property Issue Paper Number 9, février 2011, p.7
31Ibidem, p.8
32Ibidem, pp.9-12
33Vandana Shiva, Biodiversity Totalitarianism: IPRs as Seed Monopolies, Economic and Political
Weekly, Vol. 32, No. 41 (Oct. 11-17, 1997), p.2585
34Ibidem, pp.2582-2585
35Vandana Shiva, Agricultural Biodiversity, Intellectual Property Rights and Farmers' Rights,
Economic and Political Weekly, Vol. 31, No. 25 (Jun. 22, 1996), pp. 1621-1623+1625- 1631

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Plus spécifiquement au sujet du privilège du fermier, la convention UPOV révisée en 1991
autorise chaque état membre à reconnaître la pratique de la semence fermière et à en fixer
les modalités d’application36. Mais concrètement, les Etats ne peuvent pas faire ce qu’ils
veulent car ils sont implicitement obligés de s’aligner avec leurs partenaires commerciaux et
donc de se soumettre aux plus puissants. De plus, suite à l’affirmation de souveraineté
nationale sur la diversité génétique faite à l’occasion de la conférence de Rio en 1992, le
transfert des semences entre les pays devient difficile37 et ainsi le contexte communautaire
accentue encore la fragilité des positions nationales.

Cela amène Carine Bernault à se demander si l’entrée des semences de ferme dans le
Code de la propriété intellectuelle français en 2011, progrès en interne car la pratique de ces
dernières constituait jusqu’alors un acte de contrefaçon, ne serait pas, dans une perspective
internationale et historique, une régression qui limite la possibilité d’y recourir 38. Son article
porte donc sur l’interrogation de I) la nature du privilège de l’agriculteur, partie qu’elle
conclura pas ces mots: “La nature actuelle de ce privilège de l’agriculteur implique donc une
évolution profonde du droit des obtentions végétales dans un sens défavorable aux intérêts
des agriculteurs. Ce droit conçu à l’origine dans une recherche d’équilibre entre tous les
intérêts en présence paraît aujourd’hui privilégier nettement ceux des obtenteurs. Ce
constat se vérifie lorsque l’on envisage la mise en oeuvre du privilège de l’agriculteur” 39; II) la
mise en oeuvre du privilège de l’agriculteur où elle met en avant le fait que les pays en
développement souhaitaient autoriser l’usage des semences de ferme dans les
communautés locales lors de la dernière révision de la convention UPOV. L’enjeu est très
important dans les pays du Sud mais le texte final de l’article 15-2° ne permet pas d’étendre
la pratique des semences de ferme à l’ensemble de la communauté à laquelle appartient
l’agriculteur. Cet article de la convention UPOV limite effectivement cette pratique au cercle
familial, cadre qui, malgré la possibilité d’interprétation, reste trop restrictif. 40

D’autres auteurs ont montré le rôle des accords internationaux et des droits de propriété sur
l’érosion génétique et ainsi sur les dangers liés à la perte de biodiversité agricole. C’est le
cas notamment de deux articles complémentaires parus dans une même revue (World
Development Vol. 35, No. 9). Le premier, écrit par Pablo Eyzaguirre, Monica Di Gregorio et
Ruth Meinzen-Dick, est une introduction au rôle double, et souvent interdépendant, des
droits de propriété et de l'action collective pour la gestion au niveau local et la conservation
des ressources génétiques dans les pays en développement 41. Le second, par Pablo
Eyzaguirre et Evan M. Dennis, présente des exemples de gestion collective de ressources
génétiques à travers le monde et discute de l’impact que peut avoir la législation des droits

36Metay Philippe, Semences de ferme et droit d’obtention végétale : vers une solution au conflit ?,
Revue de droit rural, mars 2009, p.14
37Sagnard Fabrice, Gallais André, Chaïr Hana, Desclaux Dominique, Sekloka Emmanuel, Vaksmann
Michel, Weltzien Eva, Complémentarité des gestions in situ et ex situ des ressources génétiques
dans les programmes de sélection participative, Lançon J., Floquet A., Weltzien E., (éditeurs
scientifiques), 2006. Partenaires pour construire des projets de sélection participative. Actes de
l’atelier recherche, 14-18 mars 2005, Cotonou, Bénin. Cirad, Inrab, Coopération française,
Montpellier, France, p.128
38Bernault Carine, Le cas des semences de ferme : indice d’une dérive du droit des obtentions
végétales. Mélanges en l’honneur du professeur Raymond Le Guidec, LexisNexis, 2014, p.573
39Ibidem, p.581
40Ibidem, p.582
41Eyzaguirre Pablo B., Di Gregorio Monica, Meinzen-Dick Ruth, Introduction to the Special Issue on
‘‘Property Rights, Collective Action, and Local Conservation of Genetic Resources’’, World
Development Vol. 35, No. 9, 2007, p.1482

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de propriété sur cela42.

On voit donc à travers ces auteurs que la gestion internationale des ressources génétiques
n’est pas toujours en adéquation avec ses objectifs et qu’une législation établie par des
industries et des pays industriels ne peut pas s’appliquer tel quel sur un système traditionnel
sans nuire à ce dernier.

Conclusion
En conclusion, nous avons vu que la multiplicité des traités concernant le privilège du
fermier en fait un thème complexe. La contradiction des textes entre eux menace ce
privilège au profit des obtenteurs. De plus, des mécanisme juridiques pénalisent encore
davantage les agriculteurs. Patrice Reis prétend que la prochaine étape de la réforme de
l’UPOV sera “l’abolition du privilège de l’agriculteur”43.

Afin d’éviter cette issue dramatique, Carlos Correa avance trois solutions : la modification
des lois nationales pour qu’elles favorisent davantage le droits des agriculteurs, la révision
de l’UPOV 1991 pour l’ajuster aux dispositions du TIRPAA et l’autorisation renouvelée
d’adhérer à l’UPOV 1978 qui est plus avantageux pour les agriculteurs44.

L’analyse des aspects clés du système de l’UPOV et de ses impacts de Graham Dutfield l’a
également amené à émettre des conclusions et recommandations pour l’UPOV qui
s’articulent en trois points. Premièrement, il faut plus de transparence vis-à-vis du public et
cela passe par octroyer le statut d’observateur aux ONG de manière non-arbitraire et il faut
augmenter la participation des nouveaux membres qui sont principalement des pays en
développement, qui n’ont pas participé à l’élaboration de la convention. Deuxièmement, il
faut mettre en place un agenda au développement. Enfin, il faut offrir plus de flexibilité par
rapport à la convention UPOV, voire l’adapter aux questions actuelles à travers une nouvelle
révision qui aura comme avantage de prendre en considération les problématiques du 21e
siècle et de ne pas être élaborée uniquement par les pays industrialisés45.

Comme le précise Laurence Boy, l’article 27.3.b) de l’ADPIC est en cours de réexamen 46.
Cela prend du temps car il est difficile de conclure une version qui contente tout le monde.
Cependant, les pays en développement se saisissent désormais de la problématique et font
entendre leur voix. On peut espérer que cette mobilisation et l’utilisation judicieuse des
instruments juridiques aboutiront à une plus grande prise en compte des besoins de ces
pays et de leur communauté.

42Eyzaguirre, Dennis, op. cit., p.1489


43Reis Patrice, op. cit., p. 12
44Correa Carlos, op. cit., p. 17
45Dutfield, op. cit., p.19
46Boy Laurence, op. cit., p. 306

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Bibliographie
● Bernault Carine, Le cas des semences de ferme : indice d’une dérive du droit des
obtentions végétales. Mélanges en l’honneur du professeur Raymond Le Guidec,
LexisNexis, pp.573, 2014.

● Boy Laurence, « L'évolution de la réglementation internationale : vers une remise en


cause des semences paysannes ou du privilège de l'agriculteur », Revue
internationale de droit économique, 2008/3 (t. XXII, 3), p. 293-313.

● Brush Stephen B., Farmers’ Rights and Protection of Traditional Agricultural


Knowledge, World Development Vol. 35, No. 9, pp. 1499–1514, 2007 Elsevier Ltd.

● Correa Carlos M., Concrétiser le droit des agriculteurs relatifs à l’utilisation des
semences, Centre SUD, Document de recherche, mars 2017.

● Dutfield Graham, Food, Biological Diversity and Intellectual Property: The Role of the
International Union for the Protection of New Varieties of Plants (UPOV), Global
Economic Issue Publications, Intellectual Property Issue Paper Number 9, février
2011.

● Eyzaguirre Pablo B., Dennis Evan M., The Impacts of Collective Action and Property
Rights on Plant Genetic Resources, World Development Vol. 35, No. 9, pp. 1481–
1488, 2007

● Eyzaguirre Pablo B., Di Gregorio Monica, Meinzen-Dick Ruth, Introduction to the


Special Issue on ‘‘Property Rights, Collective Action, and Local Conservation of
Genetic Resources’’, World Development Vol. 35, No. 9, pp. 1481–1488, 2007

● GRAIN, UPOV 91 and other seed laws: a basic primer on how companies intend to
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