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Ann Gerontol 2010 ; 3(1) : 15-21

Synthèse

Frédérique Retornaz1,2
Conduite à tenir devant
Isabelle Potard2,3
Caroline Franqui2,3
Luc Benezech3
la découverte d’un pic monoclonal
Philippe Halfon2,4,5
Frédérique Rousseau4
à l’électrophorèse des protéines
Michelle Merlin5
Catherine Molines3 Diagnosis and management of monoclonal
1
Centre gérontologique départemental ;
1 rue Elzeard, 13012 Marseille
gammopathies detected on electrophoresis
<fretornaz@cgd13.fr>


2
Pôle de médecine interne et maladies
infectieuses, Hôpital Ambroise Paré, Résumé La prévalence des dysglobulinémies monoclonales augmentant avec l’âge,
Marseille le clinicien est souvent confronté à cette anomalie biologique chez le sujet âgé. La décou-
3
Centre gérontologique départemental, verte d’un pic monoclonal lors d’une électrophorèse des protéines sanguines impose de
Marseille réaliser un bilan biologique et radiologique a minima afin d’éliminer une hémopathie
4
Institut Paoli Calmettes, Marseille maligne tout en évitant certains examens inutiles et potentiellement coûteux. Actuelle-
5
Laboratoire Alphabio, Marseille ment, le myélogramme n’est plus systématique si le patient est asymptomatique sur le
plan clinique et biologique, et que le pic monoclonal est faible. Lorsque ce bilan complé-
mentaire est négatif, on parle alors de gammapathie monoclonale de signification indéter-
minée (GMSI). Le diagnostic de GMSI implique une surveillance régulière afin d’identifier
précocement les signes de transformation maligne. Cette dernière étant estimée à 1 % par
an. Cependant, l’évaluation du risque individuel reste difficile, notamment chez les sujets
âgés. Certains facteurs de risque de transformation maligne ont été identifiés, comme le
taux de composant monoclonal initial, la présence d’immunoglobuline monoclonale non
IgG et le dosage des chaînes légères libres sériques (CLL). L’intérêt du dosage des CLL
reste à définir, particulièrement chez le sujet âgé, de même que l’abandon d’anciens
marqueurs comme la protéinurie de Bence Jones.

Mots clés électrophorèse des protéines, gammapathie monoclonale de signification indéterminée,


immunoglobuline monoclonale, sujet âgé


Abstract As the prevalence of dysglobulinemia increase with age, physicians are becoming
more involved in the management of this pathology especially in older patients. When a serum
monoclonal protein is detected, it leads to at least laboratory and x-ray tests to ruled out hema-
tologics malignancies. However some inappropriate or potentially expensive tests need to be
avoided. Today, bone marrow aspiration is still not necessary if the patient is asymptomatic, if
the other laboratory tests are normal, and if the level of serum monoclonal protein is low.
When all these tests are normal, the diagnosis of monoclonal gammopathy of undetermined
significance (MGUS) is proposed. Diagnosis of MGUS implicates a regular follow-up to detect
malignant transformation which develops at the rate of roughly 1% per year. However this
estimated risk is hardly to appreciate especially in older patients. Level of serum monoclonal pro-
tein, non type-G immunoglobulin, and dosages of serum free light chain ratio (FLC) are conside-
red as main risk factors for progression in MGUS. Usefulness of FLC needs to be validated in older
patients as well as the abandon of some older markers such as urine Bence-Jones protein.
Tirés à part : F. Retornaz Key words aged, monoclonal gammopathy of undetermined significance, monoclonal protein,
proteins electrophoresis
doi: 10.1684/age.2010.0083

L
a prescription d’une électrophorèse des protéines séri- gammaglobulines ou des bêta 2-globulines [1, 2]. Dans 25 %
ques (EPS) tend à devenir courante et entraîne fréquem- des cas, la présence d’une immunoglobuline monoclonale est
ment la découverte de pics monoclonaux au niveau des associée à une hémopathie maligne (myélome multiple,

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macroglobulinémie de Waldenström, leucémie lymphoïde électrique. Elle permet de révéler un pic monoclonal (présence
chronique, lymphome, amylose…), dans 25 % des cas elle d’une bande étroite) dans la zone de migration des gammaglo-
est associée à une pathologie dysimmunitaire ou infectieuse, bulines (figure 2A) le plus souvent, ou en zone des bêta
mais dans 50 % des cas elle n’est associée à aucune maladie 2-globulines (figure 2B), plus rarement en bêta 1-globulines
sous-jacente. On retient alors le diagnostic de gammapathie de ou en alpha 2-globulines (figure 2C). L’EPS permet également
signification indéterminée (GMSI, ou MGUS pour monoclonal de quantifier le pic par lecture densitométrique du gel (mesure
gammopathy of undertermined significance chez les Anglo- de l’aire sous la courbe) [4]. En France, la nomenclature auto-
saxons). Considérées comme des états pré-tumoraux, les rise le laboratoire mettant en évidence un pic monoclonal à
GMSI doivent faire l’objet d’une surveillance régulière en rai- l’EPS à réaliser systématiquement une IFS.
son de leur risque de transformation maligne. L’objectif de cet
article est de discuter la conduite à tenir face à un pic mono-
clonal découvert chez le sujet âgé, en soulignant l’importance
de la hiérarchisation des explorations complémentaires.
A

Biologie utile au diagnostic


des immunoglobulines monoclonales
Immunoglobuline monoclonale
Une immunoglobuline monoclonale est produite par un même
clone de cellules lymphoïdes B et elle est constituée de 2 chaî-
nes lourdes et de 2 chaînes légères identiques (figure 1) [2].
Il existe fréquemment une synthèse accrue de chaînes légères B
par rapport à la synthèse de chaînes lourdes.
Théoriquement, afin d’affirmer la monoclonalité d’une immu-
noglobuline, il faudrait démontrer l’identité isotypique, alloty-
pique et idiotypique [2]. En pratique, le diagnostic d’immuno-
globuline monoclonale repose actuellement sur la triade [3] :
– détection d’un pic par l’EPS correspondant à une homo-
généité de charge de l’immunoglobuline ;
– intégration de ce pic par densitométrie ;
– typage par immunofixation sanguine (IFS).

Électrophorèse des protéines sériques


C
L’électrophorèse des protéines sériques (EPS) consiste à faire
migrer les protéines du sérum sur un gel d’agarose où elles
se séparent en fonction de leur poids et de leur charge

Chaînes légères (types κ et λ)

Chaînes lourdes (types G, A, M, E et D)

Figure 2. Électrophorèses des protéines sanguines. A : migration du pic


monoclonal dans la zone des gammaglobulines. B : migration du pic
monoclonal dans la zone des bêtaglobulines. C : migration du pic mono-
clonal dans la zone des alpha 2-globulines.
Figure 2. Electrophoresis of blood proteins. A: monoclonal peak of migration
Figure 1. Immunoglobuline. in the area of gamma globulin. B: monoclonal peak of migration in the area of beta-
Figure 1. Immunoglobulin. globulins. C: monoclonal peak of migration in the area of alpha 2-globulins.

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CONDUITE À TENIR DEVANT LA DÉCOUVERTE D’UN PIC MONOCLONAL À L’ÉLECTROPHORÈSE DES PROTÉINES

Immunofixation des protéines sériques des immunoglobulines de même classe, monoclonales et


ou sanguines polyclonales. Il évalue la présence ou non d’une diminution
des autres classes d’immunoglobulines.
L’immunofixation des protéines sériques ou sanguines (IFS) est
la technique de référence. L’IFS permet de confirmer la clona-
lité de la bande détectée à l’EPS et d’identifier l’immunoglobu- Analyse des urines
line monoclonale (figure 3). Elle est réalisée par électropho- Dans les urines, la « classique » recherche d’une protéinurie
rèse (capillaire automatisé) sur gel d’agarose. L’IFS consiste à de Bence Jones (PBJ) sur 24 heures associe une électrophorèse
séparer les protéines, puis à précipiter in situ les immunoglo- et une immunofixation. Le pic de PBJ doit être quantifié sur
bulines avec des immunsérums spécifiques (chaîne lourde μ, l’électrophorèse. Il est exprimé en grammes par 24 heures.
α, γ et de la chaîne légère λ ou κ) incubés à la surface du gel.
Les chaînes lourdes δ et ε peuvent être également recherchées
en fonction du contexte. La protéine monoclonale précipite Conduite à tenir face à une
avec l’anticorps multivalent considéré. La révélation se fait à immunoglobuline monoclonale
l’aide d’un colorant des protéines. L’immunoglobuline mono-
clonale apparaît sous forme d’une seule bande. Contrairement Trop souvent, l’EPS est prescrite systématiquement, amenant un
à l’EPS, l’IFS ne permet pas la quantification du composant lot de consultations supplémentaires pour le patient et le méde-
monoclonal. L’immunoélectrophorèse des protéines sériques cin lorsqu’une immunoglobuline monoclonale est découverte.
(IEPS) n’est plus utilisée. La prescription d’une EPS devrait se limiter à des indications
L’immunotypage est une autre technique adaptée à partir de bien précises :
l’électrophorèse capillaire. Il s’agit d’une immunosoustrac- – accélération de la vitesse de sédimentation sans syndrome
tion : on cherche à voir disparaître le pic monoclonal constaté inflammatoire ;
à l’électrophorèse. Cette technique a l’avantage d’être automa- – anomalie de l’hémogramme de type insuffisance de
tique, mais elle est moins sensible que l’IFS, notamment en cas production ;
d’hypogammaglobulinémie. – douleurs osseuses inexpliquées ;
– lésions ostéolytiques ou fractures ;
– infections à répétitions ;
Dosage pondéral des immunoglobulines – neuropathie sensitivomotrice ;
Le dosage pondéral des immunoglobulines (DPIG) est souvent – hypercalcémie ;
confondu avec l’IFS. Il s’agit d’un dosage quantitatif spécifique – insuffisance rénale ;
des immunoglobulines G, A et M qui mesure la quantité – bilan d’une pathologie lymphoïde ou auto-immune ;
d’immunoglobulines de même isotype. Il ne permet pas de – asthénie inexpliquée.
quantifier le composant monoclonal car il mesure la totalité Cette liste n’est pas exhaustive.
Lorsqu’une immunoglobuline monoclonale est mise en évi-
dence, un examen clinique complet et des dosages biologiques
(hémogramme, calcémie corrigée en fonction de l’albuminé-
+ +
mie, créatinémie) sont recommandés. Si l’immunoglobuline
HYDRAGEL IF
monoclonale est de type IgG ou IgA, des radiographies du
squelette doivent être réalisées (recherche en priorité de
géodes ou de déminéralisation diffuse dans le cadre d’un
myélome). S’il s’agit d’une IgM, une radiographie du thorax et
une échographie abdominale devront être réalisées (recherche
d’une organomégalie dans le cadre d’une maladie de
Waldenström ou d’un lymphome en priorité) (figure 4). Pour
certains, la réalisation d’un scanner thoraco-abdominal
d’emblée est justifiée car plus sensible pour diagnostiquer
une organomégalie. Cependant, le bilan est à moduler en
ELP G A M K L
- - fonction de l’âge et de l’état de santé sous-jacent du patient
Sebla (co-morbidités, statut fonctionnel, espérance de vie globale…).
Figure 3. Immunofixation des protéines sanguines (IFS) : protéine mono-
La réalisation systématique d’un myélogramme chez tous
clonale de type IgG kappa. les patients ayant une immunoglobuline monoclonale n’est
Figure 3. Immunofixation blood proteins (IFS): protein monoclonal IgG kappa. pas indispensable. L’observation au microscope permet d’ana-
lyser la morphologie et l’équilibre des différentes cellules

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Interrogatoire + examen clinique


Biologie :
hémogramme, calcémie, créatininémie
Imagerie :
• si IgG, IgA = radiographie du squelette axial
• si IgM = radiographie du thorax, échographie abdominale

Anormal : myélogramme ± BOM

Normal + pic faible Plasmocytose médullaire < 10 %


IgG < 15 g/L IgG < 30 g/L
IgA < 10 g/L IgA < 20 g/L
IgM < 5 g/L IgM < 10 g/L
PBJ < 0,3 g/24 h PBJ < neg, autres Ig < 25 %


Si oui : GMSI/MGUS Si non : hémopathie maligne

Figure 4. Conduite à tenir après la découverte d’une immunoglobuline monoclonale.


Figure 4. Management after the discovery of a monoclonal immunoglobulin.

présentes dans la moelle osseuse. Cet examen est théorique- – les immunoglobulines monoclonales qui s’observent au cours
ment indispensable afin de distinguer une immunoglobuline d’autres pathologies sous-jacentes (infections virales, maladies
monoclonale bénigne d’une immunoglobuline monoclonale auto-immunes, reconstitutions immunitaires post-greffe…).
associée à une hémopathie maligne, et tout particulièrement
le myélome. Nous aborderons dans le chapitre des GMSI
les situations où l’on peut éventuellement se passer du Tableau 1. Étiologie des gammapathies monoclonales.
myélogramme. Table 1. Etiology of monoclonal gammopathy.

IgM IgG, IgA,

Étiologies des immunoglobulines Maladie de Waldenström Myélome multiple


Lymphome lymphoplasmocytaire LMNH
monoclonales Leucémie lymphoïde chronique Leucémie lymphoïde chronique
Myélomes à IgM Immunoglobulines réactionnelles
(VIH, greffe, immunodépression,
Les dysglobulinémies monoclonales (communément appelées infection virale VHB, VHC,
gammapathies monoclonales) sont la conséquence de la maladies de système)
prolifération excessive et incontrôlée d’un clone de cellules B Syndrome de Schnitzler GMSI/MGUS
[4]. La présence d’un pic monoclonal ne signifie pas obligatoi- Immunoglobulines réactionnelles –
(VIH, greffe, immunodépression,
rement malignité. On distingue schématiquement 3 groupes de infection virale VHB, VHC,
pathologies avec immunoglobulines monoclonales (tableau 1) : maladies de système)
– les pathologies malignes (myélome multiple, macroglobuli- GMSI/MGUS –
némie de Waldenström, leucémie lymphoïde chronique, GMSI/MGUS : gammapathie monoclonale de signification indéterminée/monoclonal gam-
mopathy of undertermined significant ; Ig : immunoglobuline ; LMNH : lymphome malin
lymphome, amylose…) ; non hodgkinien ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; VHB : virus de l’hépatite B ;
– les GMSI ; VHC : virus de l’hépatite C.

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CONDUITE À TENIR DEVANT LA DÉCOUVERTE D’UN PIC MONOCLONAL À L’ÉLECTROPHORÈSE DES PROTÉINES

Dans la suite de cet article, nous avons choisi d’aborder Évolution vers une hémopathie maligne
uniquement les GMSI chez le sujet âgé.
Compte tenu du caractère incurable de certaines hémopathies
malignes, il est important d’identifier les patients à risque de
transformation. Plusieurs études ont permis de retenir certains
Gammapathies monoclonales facteurs de risque, et notamment [8-11] :
de signification indéterminée – le taux de composant monoclonal initial ;
– la présence d’immunoglobuline monoclonale non IgG ;
– la plasmocytose médullaire.
Le terme de gammapathie monoclonale de signification indé-
terminée (GMSI) désigne la présence d’une immunoglobuline Cependant, l’évaluation du risque individuel est difficile,
monoclonale intacte sérique, chez des individus n’ayant pas notamment chez les sujets âgés.
d’autres arguments cliniques, radiologiques ou biologiques Depuis 2001, il est possible de doser les chaînes légères libres
(myélogramme notamment), en faveur : (CLL) par immunonéphélémétrique. Ce test est commercialisé
– d’une pathologie myélomateuse ; sous le nom de FreeLiteTM. Son intérêt dans le diagnostic et le
– d’une maladie de Waldenström ; pronostic des gammapathies monoclonales associées aux
– d’une amylose ; myélomes à CLL, aux myélomes à immunoglobuline intacte,
– de désordres lymphoprolifératifs de la lignée B. aux myélomes non sécrétants, aux amyloses AL ou dans cer-
taines GMSI a été démontré [12]. Les valeurs normales séri-
Il s’agit d’un diagnostic d’élimination.
ques sont, pour les CLL kappa, de 3,3 à 19,4 mg/L, pour les
La définition de la GMSI repose sur 3 critères [5, 6] :
CLL lambda de 5,7 à 26,3 mg/L et pour le rapport kappa/
– faible concentration de protéine monoclonale dans le
lambda de 0,26 à 1,65 [13]. En 2004, Rajkumar et al. [14]
sang (IgG < 30 g/L, IgM ou IgA < 10 g/L) ou dans les urines
ont souligné la valeur prédictive d’un rapport kappa/lambda
(< 1 g/24 h) ;
anormal dans les GMSI. Le risque relatif de progression
– moins de 10 % de plasmocytes sur l’examen de la moelle
lorsque le rapport kappa/lambda est anormal a été évalué à
osseuse ;
2,5 (IC 95 % 1,4-4,0 ; p < 0,001). Plus récemment, la même
– calcémie, créatinémie, hémoglobinémie normales, et absence
équipe [15] a montré, sur une cohorte de 1 148 patients
d’anomalie osseuse sur les radiographies du squelette ou sur les
avec une GMSI suivie sur une durée de 15 ans, que 7,6 %
autres examens radiographiques.
des sujets développaient une hémopathie maligne. En analyse
Cependant, cette définition varie suivant les articles publiés multivariée, le risque de transformation maligne était plus
sans aucun critère absolu. élevé en cas de rapport kappa/lambda anormal. Le risque évo-
Les GMSI sont la cause la plus fréquente des gammapathies lutif a été estimé à 5 % à 10 ans et 13 % à 20 ans pour les
monoclonales et représentent environ 50 à 60 % de celles-ci. patients ayant un rapport kappa/lambda normal, alors qu’il a
Pour la chaîne lourde, l’isotype IgG est le plus fréquent, suivi été estimé à 17 % à 10 ans et 35 % à 20 ans pour les patients
des IgM et des IgA (respectivement 55 à 65 %, 15 à 20 % ayant un rapport kappa/lambda anormal. Cette équipe a éga-
et 10 à 15 % [5, 6]). La présence d’un double pic est rare lement proposé un score prédictif prenant en compte trois
(2-3 %). Pour la chaîne légère, l’isotype kappa est trouvé facteurs de risque de progression :
dans environ deux tiers des cas et l’isotype lambda dans un – une concentration de l’immunoglobuline monoclonale
tiers des cas. supérieure ou égale à 15 g/L ;
La prévalence des GMSI augmente avec l’âge. La fréquence – un isotype non IgG ;
dans la population générale est estimée entre 1,5 et 3 % à – un rapport kappa/lambda anormal.
50 ans, avec une prédominance masculine [7, 8]. Ainsi, dans Quatre groupes de patients ont ainsi été définis (0, 1, 2 ou
une étude récente portant sur 21 463 sérums, Kyle et al. ont 3 facteurs de risque), avec un risque de transformation maligne
trouvé une prévalence de 1,7 % à 50 ans, 5,3 % à 70 ans et à 20 ans très différent, estimé respectivement à 5, 21, 37 et
7,5 % à 85 ans [7]. 58 %. Les patients avec un faible risque de progression pour-
Les GMSI doivent être considérées comme des états pré- raient bénéficier d’un suivi différent : une évaluation à 6 mois,
tumoraux. En effet, le risque de transformation maligne est puis tous les 2 ans ou au moment de symptômes de progres-
estimé à 1 % par an [9]. Ce risque persiste avec le temps. Envi- sion, tandis que les autres groupes nécessiteraient un suivi tous
ron 25 % des patients avec une GMSI restent stables, tandis les 6 mois [16].
que 25 % évoluent vers une hémopathie maligne et 50 % En raison de la fréquence des GMSI dans la population âgée,
décèdent d’une autre cause [9]. Dans une étude française la généralisation du dosage des CLL sériques entraînerait un
rétrospective réalisée sur 190 patients, le risque de transforma- coût important et il n’y a pas d’indication actuellement à le
tion en hémopathie maligne a été estimé à 13 % à 5 ans et prescrire systématiquement en cas de GMSI [3]. Il paraît
25 % à 10 ans [8]. cependant intéressant de le réaliser en cas de GMSI avec

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mauvais pronostic (isotype non IgG, taux de composant mono- diagnostique des gammapathies monoclonales. Récemment,
clonal supérieur à 15 g/L et/ou plasmocytose médullaire supé- Katzmann et al. [20] ont étudié rétrospectivement 428 patients
rieure à 5 %), ou diagnostiquée chez des sujets de moins de ayant une immunoglobuline monoclonale (GMSI, myélome,
65 ans [4]. Son intérêt chez le patient âgé devra être évalué amylose…) avec composant monoclonal urinaire identifié.
spécifiquement. De plus, le dosage des CLL est un acte non Tous ces patients avaient eu également une IFS et une recher-
inscrit à la nomenclature et il est assimilé à un BHN 140, che de CLL sérique. Le rapport kappa/lambda était anormal
soit 37,80 euros. dans 85,7 % des cas, l’EPS dans 80,8 % et l’IFS dans
93,5 %. Les trois analyses sériques (CLL, EPS et IFS) étaient
normales chez seulement deux patients. Le premier patient
Intérêt d’un myélogramme systématique avait une GMSI avec une PBJ idiopathique, et le second
La plupart des livres, des guidelines et des articles recomman- avait probablement eu une erreur technique dans les urines.
dent la réalisation d’un examen de la moelle osseuse dans Les auteurs concluaient que la combinaison des examens
sanguins (EPS, IFS, CLL) était plus intéressante que les dosages
l’évaluation initiale d’une GMSI [17]. La question de l’intérêt
urinaires, et qu’avec cette combinaison, on ne manquait seu-
du myélogramme pour estimer le risque de progression vers le
lement que 0,5 % des patients dont aucun n’avait eu besoin
myélome a été posée. Les études les plus récentes montrent
d’une intervention médicale. Actuellement, il n’y a pas de
qu’il n’est pas prédictif de transformation maligne [9, 18]. Plu-
consensus sur l’abandon des dosages urinaires lors de l’explo-
sieurs auteurs se sont interrogés récemment sur la pertinence
ration initiale ou du suivi d’une immunoglobuline monoclo-
de cet examen pour les patients ayant un faible taux de pro-
nale. Cependant, d’autres études en cours devraient préciser
téine monoclonale et répondant aux critères stricts de GMSI
la supériorité du dosage de CLL sériques en combinaison
(hors cytologie) [9].
avec les autres marqueurs.
Dans l’étude de Elis et al. [19], 57 patients ayant une
immunoglobuline monoclonale et qui satisfaisaient initiale-
ment à tous les critères de GMSI (IgG < 30 g/L ou Surveillance des GMSI
IgA < 20 g/L ou IgM < 10 g/L, hémoglobine, créatinémie et
calcémie normales, et radiographies normales) ont été suivis Le diagnostic de GMSI implique une surveillance régulière
durant 2 ans. Seulement deux patients avaient un myélome afin d’identifier précocement les signes de progression et
dont le stade ne nécessitait pas de traitement et deux mettre en place un traitement approprié. Cette surveillance
patients ont développé un myélome dans les 2 ans. La réali- est biannuelle, clinique et biologique (EPS, hémogramme,
sation du myélogramme n’a modifié l’attitude thérapeutique calcémie, créatininémie). Pour certains [16], elle pourrait être
dans aucun des cas. davantage espacée chez les patients ayant un faible risque de
progression.
En théorie, le myélogramme reste indispensable devant toute
immunoglobuline monoclonale diagnostiquée. Cependant,
chez le sujet âgé de plus de 80 ans, il faudrait réaliser un
myélogramme chez presque 10 % de cette population. Conclusion
Il semble préférable de moduler les indications de cet
examen, en particulier devant une immunoglobuline mono- Compte tenu de l’augmentation de la prévalence des GMSI
clonale isolée ou avec un pic faible. En pratique, chez le avec l’âge, il est important de ne pas réaliser des EPS systéma-
sujet âgé de plus de 80 ans, on peut se contenter d’une tiques chez les sujets âgés en l’absence de contexte évocateur.
surveillance biologique régulière et ne réaliser ce geste que Lorsqu’une immunoglobuline monoclonale est découverte, il
s’il existe une augmentation significative du taux d’immuno- faut savoir en revanche compléter le bilan biologique et radio-
globulines ou devant l’apparition de signes cliniques ou logique afin d’éliminer une hémopathie maligne. Pour cer-
biologiques [2]. tains, le myélogramme n’est plus systématique si le patient
est asymptomatique et que le pic est faible.
Le suivi des GMSI est clinico-biologique et biannuel. L’inté-
Utilité des dosages urinaires rêt et la place de nouveaux marqueurs pronostiques comme
le dosage des chaînes légères dans le sang restent à définir,
En gériatrie, la réalisation de dosages urinaires sur 24 heures
particulièrement chez le sujet âgé, de même que l’abandon
est problématique. Le recueil des urines est souvent incom-
d’anciens marqueurs comme la protéinurie de Bence Jones.
plet, nécessitant la pose d’une sonde urinaire avec toutes
ses complications potentielles. De plus, la protéinurie est
très dépendante des fonctions glomérulaires et tubulaires,
souvent altérées chez le sujet âgé [12]. Certains auteurs Remerciements et autres mentions. Financement : aucun ; conflit
suggèrent l’abandon des dosages urinaires dans l’algorithme d’intérêts : aucun.

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CONDUITE À TENIR DEVANT LA DÉCOUVERTE D’UN PIC MONOCLONAL À L’ÉLECTROPHORÈSE DES PROTÉINES

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• Annales de Gérontologie • vol 3, n° 1, mars 2010 • 21

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