Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Cartographie génétique
de la pathologie osseuse
V Cormier-Daire R é s u m é. – Les maladies osseuses constitutionnelles forment un groupe hétérogène de
A Munnich maladies souvent responsables d’insuffisance staturale associée ou non à des déformations.
L’identification d’un grand nombre de gènes à leur origine a permis de montrer que des
phénotypes différents peuvent être liés à des mutations différentes d’un même gène
(hétérogénéité allélique), et qu’une même affection peut être secondaire à des mutations
dans des gènes différents (hétérogénéité génétique). Elle ouvre de nouvelles perspectives
dans la compréhension des mécanismes de croissance osseuse, puisque ces gènes sont
impliqués dans la matrice osseuse ou cartilagineuse, la prolifération cellulaire ou la
différenciation terminale du chondrocyte dans la zone de croissance. Enfin, elle offre la
possibilité d’une confirmation moléculaire d’un diagnostic suspecté cliniquement et
radiologiquement, et parfois aussi la possibilité d’un diagnostic prénatal.
Tableau I. – Principales localisations et identifications de gènes dans les maladies osseuses constitutionnelles.
– achondrogenèse de type II, nanisme létal caractérisé par des os très courts – dysplasie de Stickler, caractérisée par une dysplasie polyépiphysaire, une
et un défaut d’ossification des corps vertébraux ; myopie, une surdité et un syndrome de Pierre Robin.
– dysplasie de Kniest, nanisme sévère caractérisé par de grosses épiphyses Les mutations en cause sont très variées et touchent tous les exons sans qu’il
des genoux, une absence de développement des épiphyses fémorales soit possible d’établir des corrélations génotype-phénotype. Cependant, le
supérieures, une myopie sévère, parfois une surdité et une dysmorphie syndrome de Stickler semble plutôt lié à des mutations entraînant l’apparition
faciale [15] ; d’un codon stop et donc à un raccourcissement de la protéine alors que dans
page 2
Appareil locomoteur CARTOGRAPHIE GÉNÉTIQUE DE LA PATHOLOGIE OSSEUSE 14-011-B-10
les autres affections une mutation faux sens transformant une glycine en COMP (« cartilage oligomeric matrix protein »)
sérine est souvent identifiée. Comme dans l’ostéogenèse imparfaite, la et pseudoachondroplasie
glycine joue un rôle important dans la stabilité de la triple hélice et toute
anomalie la concernant rend la protéine fragile. La pseudoachondroplasie est transmise sur un mode autosomique dominant
et est caractérisée par une micromélie, une brièveté de la main et une
incurvation en varus des membres inférieurs avec radiologiquement une
Autres collagènes dysplasie épiphysaire marquée et des limites métaphysaires irrégulières.
Des études de liaison ont permis la localisation de la maladie en 19p12-13.1
Des mutations dans les collagènes IX, X et XI ont été identifiées dans puis des mutations dans le gène COMP (délétion ou substitution) ont été
différentes chondrodysplasies [14] : identifiées [7] chez les patients.
– collagène X et dysplasie métaphysaire de Schmid ; Une mutation du gène COMP a également été identifiée dans la dysplasie
– collagène XI et dysplasie spondyloépiphysaire ; polyépiphysaire de Fairbanks, caractérisée par un défaut de croissance des
– collagène IX et dysplasie polyépiphysaire. épiphyses, des mains courtes et des anomalies de la tête fémorale, suggérant
que, pseudochondroplasie et dysplasie polyépiphysaire de Fairbanks sont
alléliques. COMP est composée de plusieurs domaines calmoduline-like et
EGF-like mais sa fonction n’est pas encore bien définie.
Récepteurs de facteurs de croissance
fibroblastiques DTDST, transporteur de sulfate exprimé
L’achondroplasie est transmise sur un mode autosomique dominant et se
dans le cartilage
caractérise par un nanisme rhizomélique avec hyperlordose lombaire, main Le nanisme diastrophique est caractérisé par une insuffisance staturale, des
courte en « trident », arcature des membres inférieurs et par une pieds bots, une hypoplasie du premier métacarpien, une déformation du
macrocéphalie avec racine du nez aplatie. Radiologiquement, les os sont poignet et des kystes des pavillons de l’oreille. L’évolution est marquée par
courts, les métaphyses larges, la hauteur du bassin est réduite et les toits du une scoliose évolutive, un défaut de croissance de la tête fémorale et une
cotyle horizontaux, les distances des dernières vertèbres lombaires sont insuffisance staturale. En 1990, une localisation en 5q est mise en évidence et,
réduites et les pédicules courts [9]. en 1994, un gène codant pour un transporteur de sulfate est identifié. La
L’âge paternel élevé et le caractère sporadique de l’affection sont en faveur protéine DTDST est particulièrement abondante dans le cartilage. Des
de mutations récentes qui représentent 90 % des cas d’achondroplasie. Une mutations ponctuelles conduisant à des codons stop ou à une mutation
étude de liaison a permis de localiser le gène à l’origine de l’achondroplasie d’épissage sont retrouvées chez des patients affectés de dysplasie
en 4p16 [8] et, parmi les gènes de la région, le gène FGFR3 (fibroblast growth diastrophique [5]. Curieusement, des mutations dans ce même gène ont ensuite
factor receptor 3) paraissait un bon gène candidat en raison de son expression été identifiées dans deux affections létales très différentes, l’achondrogenèse
dans les chondrocytes et également parce qu’une stimulation excessive des de type Ib et l’atélostéogenèse de type II ou dysplasie de de la Chapelle [6, 13].
L’analyse rétrospective montre cependant qu’il s’agit d’un même spectre
chondrocytes b-FGF semble entraîner l’inhibition de la différenciation
d’anomalies de gravité variable.
terminale du chondrocyte. Une même mutation dans le domaine
transmembranaire au codon 380 (transition G-A) conduisant à la substitution
d’une glycine en arginine a été identifiée chez tous les achondroplases étudiés
•
à ce jour [10]. • •
L’hypochondroplasie est une affection voisine caractérisée par une Le tableau I récapitule les gènes identifiés à ce jour dans les
micromélie plus modérée et des signes radiologiques proches (diaphyses ostéochondrodysplasies [3, 4]. La découverte de ces gènes ouvre de
trapues, doigts courts, col du fémur court, diminution des distances nouvelles perspectives dans la compréhension des mécanismes de
interpédiculaires) et une mutation dans le domaine tyrosine kinase (codon croissance et de différenciation osseuse, en objectivant l’intervention
540) du gène FGFR3 a été retrouvée chez certains hypochondroplases, mais de protéines de structure, de récepteurs de croissance fibroblastique,
il semble exister une hétérogénéité génétique. d’enzymes ou de facteurs de transcription. Elle illustre aussi
l’hétérogénéité génétique et l’hétérogénéité allélique observées dans
Des mutations de FGFR3 ont également été identifiées dans le nanisme ces affections. En effet, un même gène peut être associé à des
thanatophore, caractérisé par une micromélie extrême, une étroitesse du phénotypes très différents (famille des FGFR, gène DTSDT, gène
thorax, une macrocéphalie majeure avec parfois crâne en « trèfle » et COMP) et un même phénotype peut être associé à des mutations dans
anomalies cérébrales et radiologiquement par des diaphyses courtes, des des gènes différents (hypochondroplasie, ostéogenèse imparfaite,
métaphyses larges, des côtes courtes et élargies, une platyspondylie. Des Crouzon…).
mutations dans la région extracellulaire et dans la région tyrosine kinase du Enfin, il faut souligner que, dans la majorité de ces affections, le
gène FGFR3 y ont été identifiées [11]. diagnostic positif reste clinique et radiologique, et que le diagnostic
Des mutations dans le gène FGFR2 (10q26) ont ensuite été rapportées dans la moléculaire ne fait que confirmer un diagnostic déjà fortement
maladie de Crouzon, le syndrome de Pfeiffer et d’Apert alors que des suspecté. Ce diagnostic moléculaire offre maintenant parfois la
mutations de FGFR1 (8p11) sont responsables du syndrome de Pfeiffer. possibilité d’un diagnostic prénatal qui ne facilite pas toujours le conseil
Enfin, dans certaines formes de craniosténose (Crouzon avec acanthosis génétique lorsque ces affections ne sont ni létales ni associées à un
nigricans...), des mutations dans FGFR3 ont également été identifiées [1]. retard mental.
Références ➤
page 3
14-011-B-10 CARTOGRAPHIE GÉNÉTIQUE DE LA PATHOLOGIE OSSEUSE Appareil locomoteur
Références
[1] Bellus GA, Gaudenz K, Zackai EH, Clarke LA, Szabo J, [6] Hätsbacka J, Wilcox WR, Superti-Furga A, Rimoin DL, Colin [11] Rousseau F, Saugier P, Le Merrer M, Munnich A et al. Stop
Francomano CA et al. Identifical mutations in the three diffe- DH, Lander ES. Atelosteogensis type II is caused by muta- codon FGFR3 mutations in thanatophoric dysplasia type 1.
rent fibroblast growth factor receptor genes in autosomal tions in the diastrophic dysplasia sulfate transporte gene Nat Genet 1995 ; 10 : 357-359
dominant craniosyostosis syndromes. Nat Genet 1996 ; 14 : (DTDST). Am J Hum Genet 1996 ; 58 : 255-262
174-176 [12] Spranger J, Winterpatcht A, Zabel B. The type II collageno-
[7] Hecht JT, Nelson LD, Crowder E, Wang Y, Elder FF, Harri- pathies : a spectrum of chondrodysplasias. Eur J Pediatr
[2] Byers PH, Wallis GA, Willing MC. Osteogenesis imperfecta :
son WR et al. Mutations in exon 17b of cartilage oligomeric 1994 ; 153 : 56-65
translation of mutation to phenotype. J Med Genet 1991 ;
28 : 433-442 matrix protein (COMP) cause pseudoachondroplasia. Nat [13] Superti-Furga A. Defect of sulfation of proteoglycan in
[3] Frezal J. GID (Genome Interactive Database). London :
Genet 1995 ; 10 : 325-329 achondrogenesis type IB is caused by mutation of DTST
John Lilley, 1995 gene. Am J Hum Genet 1995 ; 55 : 127-133
[8] Le Merrer M, Rousseau F, Legeai-Mullet L et al. A gene for
[4] Frezal J, Le Merrer M, Chauvet ML. Osteochondrodyspla- achondroplasia-hypochondroplasia maps to chromosome [14] Vikkula M, Mariman E, Lui V, Zhidkova N, Tiller G, Goldring
sias, dysostoses, disorders of calcium metabolism, congeni- 4p. Nat Genet 1994 ; 6 : 318-321 M et al. Autosomal dominant and recessive osteochondrod-
tal malformations with skeletal involvement mapped on hu- ysplasias associated to the COL11A2 locus. Cell 1995 ; 80 :
man chromosomes. Pediatr Radiol 1997 ; 27 : 366-387 [9] Maroteaux P. Les maladies osseuses de l’enfant. Paris : 431-437
[5] Hästbacka J, De La Chapelle A, Mahtani MM, Clines G, Flammarion, Médecine-Sciences, 1995
Reeve-Daly MP, Daly M et al. The diastrophic dysplasia [15] Winterpacht A, Hilbert M, Schwaerze U, Mundlos S, Spran-
gene encodes a novel sulfate transporter : positional cloning [10] Rousseau F, Bonaventure J, Legeai-Mallet L et al. Muta- ger J, Zabel B. Kniest and stickler dysplasia phenotypes
by fine-structure linkage disequilibrium mapping. Cell 1994 ; tions in the gene encoding fibroblast growth factor receptor caused by collagen type II gene (COL2A1) defect. Nat Ge-
78 : 1073-1087 3 in achondroplasia. Nature 1994 ; 371 : 252-254 net 1993 ; 3 : 323-326
page 4