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Jean Marion

Note sur la contribution de la numismatique à la connaissance


de la Maurétanie tingitane
In: Antiquités africaines, 1,1967. pp. 99-118.

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Marion Jean. Note sur la contribution de la numismatique à la connaissance de la Maurétanie tingitane. In: Antiquités africaines,
1,1967. pp. 99-118.

doi : 10.3406/antaf.1967.885

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/antaf_0066-4871_1967_num_1_1_885
Antiquités africaines
t. 1, 1967, p. 99-118

NOTE SUR LA CONTRIBUTION

DE LA NUMISMATIQUE A LA CONNAISSANCE

DE LA MAURÉTANIE TINGITANE

par
Jean MARION

Le nettoyage et le classement des monnaies contenues dans les réserves du musée L. Châtelain à Rabat,
aussi bien que le développement des fouilles de Volubilis et de Thamusida, et la révision complète des
monnaies déjà répertoriées, ont accru notablement le nombre de monnaies antiques découvertes dans
l'intérieur de la Ma-urétanie tingitane, dans un périmètre délimité approximativement par Arbaoua,
Thamusida, Rabat et la région de Meknès.
Restent donc en dehors de cette étude les monnaies trouvées dans l 'ex-zone Nord (Lixus, la zone du
détroit, Tanger, Tamuda etc.) et à Sala ; les résultats des travaux qui y ont été effectués étant encore inédits,
c'est à leurs auteurs qu'il appartiendra naturellement d'en donner connaissance. J'ai d'autre part, tota
lement négligé les monnaies trouvées au sud de la ligne Rabat-Meknès, c'est-à-dire en dehors du Maroc
romain (l). Par ailleurs les trouvailles de l'intérieur de la Tingitane présentent peut-être plus d'intérêt, au
moins relativement à la question, toujours débattue, de l'évacuation de ce territoire par les Romains au
début du règne de Dioclétien.
Même réduit à la Tingitane intérieure, le relevé des monnaies inventoriées à la date du 1er mars 1963
porte sur 15 730 pièces qui se répartissent comme suit (2).

(*) Qu'il s'agisse du trésor découvert « au sud de la province de Maurétanie tingitane » et publié par J. Maurice dans
le Bulletin de la Société des Antiquaires de France (1902, pp. 261-267), du trésor des monnaies de la seconde moitié du IVe
siècle trouvé près de Safi et signalé par R. Thouvenot dans Hespéris (t. XIX, 1934, p. 127), des deniers consulaires mis au
jour sur la plage des Roches Noires à Casablanca et qui ont fait partie de la collection Brethes (J.D. Brethes, Contribution
à Γ histoire du Maroc par ¡es recherches numismatiques, Casablanca, 1939), des monnaies autonomes de Gadès découvertes à
Témara, au sud de Rabat (R. Thouvenot, Essai sur la province romaine de Bétique, Paris, 1940, p. 244, note 3) et de bien
d'autres trouvailles sporadiques publiées ici ou là, notamment par R. Thouvenot (Hespéris, loc. cit.) ou inédites. Presque
toujours il s'agit de monnaies trouvées sur les côtes ou à proximité des côtes océanes, fréquentées par les Gaditains, puis par
les Romains jusqu'à une époque tardive (cf infra).
(2) Quand il y a deux chiffres, le premier représente le nombre total des pièces, le second, entre parenthèses, celui des
pièces en argent (ou en billon). Ainsi par exemple 20(4) signifie : 20 pièces dont 4 en argent (ou en billon). De la sorte un
simple coup d'oeil indique le pourcentage de métal précieux par rapport au nombre de pièces découvertes. Mais ce compte n'a
été fait que d'Auguste à Valerien inclus, puisqu'à partir de Gallien, en 260 exactement, le monnayage de bronze est exceptionn
el (Michael Grant, Roman Imperial Money, London, 1954, p. 242), et les sesterces et les as, par conséquent, extrêmement
rares. C'est ainsi que nous avons 9 sesterces et 1 as de Gallien sur 308 pièces à Volubilis, 1 sesterce sur 307 pièces à Banasa.
Antérieurement à Auguste, les monnaies de la République romaine sont presque toutes en argent (48 deniers sur 52 pièces), les
100 J. MARION

Localités nance
Volubilis Banasa 0)
Thamusida diverses Prove Total
inconnue

Grèce
Egypte et Cyrénaïque
Gaule Celtique
ESPAGNE
Acinipo ? 1 1
Baléares 1 1
Carteia 5 3 1 10
Carthago nova 1 1
Gadès 10 18 37(3) 12 77
Laelia 1 1
Malacca 1 1
Searo 1
Hispaniques indéterminées 3

pièces hispaniques sont toutes en bronze, les pièces africaines, maurétaniennes et néo-puniques le sont presque toutes, sauf
quelques très rares pièces d'argent de Juba II ou de Ptolémée. Signalons enfin qu'à Banasa ont été trouvés 1 aureus de Juba
II et 2 de Vespasien.
Je dois signaler que l'état de conservation des pièces de bronze étant souvent très mauvais, surtout pour les monnaies des
réserves, une bonne partie des identifications a été faite d'après les portraits impériaux. La classification est par suite malheureu
sement plus iconographique que chronologique, et je suis le premier à le déplorer. Ainsi je signale 1 1 pièces posthumes d'Aug
uste, mais ont-elles été émises par Tibère ou par Caligula et Claude, chacun de ces deux derniers empereurs ayant frappé
un dupondius posthume au nom d'Auguste? Parmi les pièces de Domitien, combien ont été frappées sous le règne de Domi-
tien seul, et combien du vivant de Vespasien ou de Titus ? Même question pour Marc-Aurèle et Faustine la Jeune, au nom
desquels tant de pièces ont été émises sous Antonin, puis pour Caracalla, etc. Il en est de même pour Gallien et Salonine.
On peut bien dire que la même question se pose d'un bout à l'autre de la liste qui suit. Encore une fois je le déplore, mais qu'y
puis-je ? J'ai été trop heureux bien souvent d'arriver à reconnaître sans erreur une effigie impériale précise. N'oublions pas
qu'il y a des centaines et des centaines de pièces qu'un long séjour dans un sol peu propice à leur conservation a rendu abso
lument indéchiffrables.
(x) Diverses localités, toutes situées dans la Tingitane intérieure, entre Arbaoua, Thamusida et Volubilis, soit Souk el
Arba (75 pièces), dont le relevé a été donné dans mon article précédent, Note sur les séries monétaires de la Maurétanie Tingi
tane, {BAM, IV, 1960, pp. 455-456), Rirha (6 pièces), Sidi Slimane (2 pièces), Sidi Kacem (14 pièces), environs de Meknès
(4 pièces, don Delpit), région de Mechra bel Ksiri (2 pièces), Khemisset des Zemmour (1 pièce), Arbaoua (1 pièce), Sidi Yahia
du Rharb (1 pièce), El Gour au sud de Meknès (4 pièces) ; au sujet d'El Gour, cf BAM, IV, p. 53, note 1, où l'on parle par
erreur de 2 MB d'Antonin le Pieux et Alexandre Sévère et de 2 PB de Gordien III et d'Aurélien, alors qu'il s'agit en réalité
de 2 GB d'Antonin le Pieux et Gordien III, d'un denier de Sévère Alexandre et d'un antoninianus d'Aurélien.
(2) II s'agit de 3 735 pièces sans indications d'origine mais provenant de fouilles déjà anciennes, certainement Volubilis
et Banasa. Sur ces 3 735 pièces très abîmées, abandonnées dans un fond de tiroir comme irrécupérables, 1 233 sont absolument
illisibles, 46 sont musulmanes ou modernes, 2 462 sont antiques et ont pu être déterminées soit de façon complète, soit de façon
approximative (de Domitien à Hadrien, dynastie des Antonins, etc.) mais suffisante pour qu'on puisse en tirer des conclusions
positives.
(3) Sur cette abondance de monnaies de Gadès à Thamusida, cf la séduisante hypothèse de Jean-Paul Morel (J.P. Callu,
J.P. Morel, R. Rebuffat, G. Hallier avec la collaboration de J. Marion, Thamusida, t. 1, Mélanges d'Archéologie et
d'Histoire de l'Ecole Française de Rome, Suppléments, Paris, 1965, pp. 110-111) « Sans doute... les vestiges du niveau III
sont-ils simplement ceux d'une escale de pêcheurs gaditains. semblables à l'établissement que ceux-ci paraissent avoir implanté
:

bien plus loin de leur patrie, dans l'île de Mogador. La soudaine apparition des céramiques méditerranéennes à Thamusida,
l'abondance remarquable des monnaies de Gadir, s'expliqueraient ainsi par la fondation sur le Plateau d'une véritable dépen
dance de cette cité succédant à un habitat purement indigène ».
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 101

Volubilis Banasa Thamusida Localités


diverses Prove
nance Total
inconnue

Pour mémoire 0)
Caesar- Augusta (Auguste) . . .
Caesar-Augusta (Tibère)
Carteia (Germanicus et Dru-
sus)
Carthago nova (Auguste) ....
Carthago nova (Tibère)
Celsa (Auguste)
Corduba (Auguste)
Italica (Tibère)
Romula (Tibère)
Segobriga (Caligula)
AFRIQUE ANCIENNE
Numidie ou Carthage . . . 2 2
Dynastie de Massinissa 12 23 13 53
Mastenissa 1 1
Bulla Regia 3 1 1 7
Caesarea 1 3 4 8
Camarata 2 1 3
Gunugu 1
MAURETANIE
TINGITANE
Bogud 3
Bocchus (atelier de Siga) 1 1 2
Interrègne 1 1
Juba II 44 65 11 31 151
Juba II (atelier de Shemesh). . 7 16 8 31
Ptolémée 6 7 3 1 17
Juba ou Ptolémée 1 10 1 11 23
Lixus 9 26 5 11 51
Sala 4 1 5 1 12
Shemesh (règne de Bocchus)(2) 57 38 8 34 138
Shemesh (règne de Juba II) . . 20 24 6 16 67

Í1) Ces monnaies sont décrites parmi les monnaies hispaniques afin que l'on puisse étudier la provenance géographique
des monnaies antiques trouvées au Maroc, mais elles sont comptées avec les monnaies du personnage (Auguste, Tibère,
Germanicus et Drusus, Caligula) au nom de qui elles ont été émises.
(2) Nous avons déjà dit dans notre article précédent (Notes sur les séries monétaires de la Maurétanie Tingitane, BAM,
IV, p. 449, note 3) combien il était difficile de distinguer, pour Semes, les monnaies de Bocchus des monnaies autonomes de la
première série. L'effigie de l'avers est exactement la même ; la légende punique est souvent rongée ou informe, illisible en tout
cas ; quant au revers, soit avec, soit sans méandre, il est identique. Je n'ai attribué à Bocchus que les monnaies de l'atelier de
Siga qui, elles, sont indiscutables. Je reviendrai d'ailleurs dans une autre étude sur la question des monnaies de Shemesh qui
est certainement le plus gros problème que pose la numismatique maurétanienne.
102 J. MARION

Prove-
Volubilis Banasa Thamusida Localités mance Total
diverses INCONNUE

Shemesh au nom de Juba II


(pour mémoire) 7 16 8 31
Tingi 10 6 1 10 27
Zilis 1 1
NÉO-PUNIQUES
nées 22 12 7 1 31 73
RÉPUBLIQUE ROMAINE
M. Vargunteius (129 av. J. C. 1 1
L. Marcius Philippus (1 12) 1 1
1 1
.

L. Appuleius Saturninus (94)


L. Thorius Balbus (94 1 1
Sixième période (89 à 59) ... 1 1
C. Clovius Saxula (89) 1 1
C. Poblicius Malleclus (89) 1 1
L. Titurius Sabinus (88) .... 1 2 3
Marcius Censorinus (84) . 1 1
1 1
..

L. Rubrius Dossenus (83) .


2 2
.

Q. Antonius Balbus (82)


L. Papius (79) 1 1
Naevius Balbus (74) 2 2
P. Satrienus (vers 74) 1 j
Q. Pomponius Rufus (71) 1 |
1 1
..

Q. Pomponius Musa (64)


M. Aemilius Scaurus (58) ... 1 1 2
Manius Acilius Glabrio (54) . 1 1
Paulus Aemilius Lepidus (54) 1 1
1 1
.

Plautius Plancus (45)


|

2 2
P. Claudius Turrinus (43)
;!

1 1
..
.

Jules César
Marc-Antoine 3 5 3 11
Marc-Antoine et Octave ... 1 1
Gentes indéterminées 2 4 4 2 12
EMPIRE ROMAIN
Auguste 5 (1) 5 3 (3) 1 14(4)
Auguste (posthume) 3 3 3 1 1 11
'

Auguste et Agrippa (Nîmes) 1 1


.

Tibère 1 8 (3)
V / 4(1)
V / 1 1 15 (4)
Tibère au nom d'Agrippa 1 3 1 5
Tibère au nom de Drusus 1 1 2
!
..

Auguste ou Tibère 1 1 2
Germanicus et Drusus 1 1
Caligula 4 2(1) 1 7(1)
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 103

Volubilis Banasa Thamusida Localités nance Total


diverses inconnue

Caligula au nom de Germanicus 2 3


Claude 55 138(1) 75(1) 62 331 (2)
Claude au nom de Néron Dru-
sus 1 1 1 3
Claude au nom d'Antonia . . . 6 5 5 2 18
Dynastie Julio-Claudienne . 32 44 26 40 142
.
.

Tessères de jeux (d'Auguste à


Claude) 0) 7(2) Prove
1 1
Néron 10(2) 17 4(1) 6(1) 38(4)
Tessères (un peu après la mort
de Néron (2) 1 1 2 12
Galba 3(3) 3 1 2 9(3)
Othon 1(1) 1(1)
Vitellius 1(0 1(1) 2(2)
Vespasien 69 (24) 25 19(10) Kl) 14(5) 128
(6 et 2 (46 et 2
aurei) aurei)
Titus 12(8) 1 3(1) 1 17(9)
Domitien 98 (26) 80(1) 56(8) 38(1) 279 (38)
Empereurs Flaviens 16 16 9 18(1) 59(1)
Néron ou Flaviens 1 1
Nerva 41(4) 26 21(1) 5 18 111(5)
Restitutions de Nerva 1 1 1 3
Trajan 206 (53) 113 (9) 82 (14) 11(2) 64 476 (78)
Hadrien 565 (18) 348 (7) 208 (15) 8 164 (4) 1293 (44)
Domitien à Hadrien 35 35 5 1 19 95
Sabine 27 (1) 20 (O 8 1 9(1) 65 (3)
Aelius 37 26 10(1) 1 8 82(1)
Antonin le Pieux 321 (4) 136 (3) 58(9) 10 97(2) 622 (18)
Faustine Mère 115 (4) 46 (2) 30(8) 2 32(3) 225 (17)
Marc-Aurèle 460 (6) 153 (2) 66(8) 3 105 787 (16)
Faustine Jeune 280 107 33(4) 3 41(1) 464 (5)
Lucius Vérus 101 (3) 22 (2) 20(2) 1 21 (1) 165 (8)
Marc-Aurèle ou Lucius Vérus 3 3
Lucilia 91 30 4 1 15 141
Commode 263 (6) 108 (3) 23(8) 4(1) 48 446(18)
Crispine 28 14 4(1) 2 48(1)

avoir(1)été« frappées
Les tessères
du règne
mythologiques,
d'Auguste àlescelui
tessères
de Claude
des jeux» (H.et Cohen,
les tessères
Description
erotiqueshistorique
paraissentdestoutes,
monnaies
d'après
frappées
leur sous
fabrique,
l Emp
ire Romain, communément appelées médailles impériales, deuxième édition, t. VIII, Leipzig, 1930, p. 265, note 1).
(2) « Nous croyons que la plus grande partie des pièces suivantes (nos 10 à 41) ont été frappées après la mort de Néron,
en même temps que les monnaies d'or et d'argent dites de l'Interrègne » (H. Cohen, ibid., VIII, p. 268).
104 J. MARION

Volubilis Banasa Thamusida Localités


diverses Prove
nance Total

I
inconnue

Dynastie des Antonins 159(1) 172 15 218 567 (1)


Pertinax 1 1
Dide Julien 2 2
Albin 16(2) 2(1) 2(1) 20(4)
Septime Sévère 93 (28) 51 (19) 30 (27) 19(6) 193 (80)
Septime Sévère ou Albin 1 1
Septime Sévère ou Antonins 9 1 10 20
Julie Domna 30 (10) 22(13) 16(16) Kl) 69 (40)
Caracalla 43 (18) 20(17) 22 (20) 8(6) 93 (61)
Géta 7(5) 8(6) 9(8) 6(5) 30 (24)
Macrin 1(1) 1(1) 2(2)
Diaduménien 1 1 2
Elagabale 23 (19) 35 (31) 22 (22) 2(2) 7(4) 89 (78)
Julia Paula 3 1(1) 4(1)
Aquilia Severa 1(1) 1(1)
Julia Soemias 7(5) 4(4) 5(5) 2(2) 18 (16)
Julia Maesa 23(4) 6(5) 1(1) 2 32 (10)
Alexandre Sévère 553 (35) 226 (34) 35 (19) 5(1) 70(8) 889 (97)
Orbiane 3 1(1) 1(1) 5(2)
Julie Marnée 185 (6) 64(5) 12(5) 19 280 (16)
Dynastie des Sévères 4(1) 11(4) 1(1) 16(6) 32 (12)
Maximin 1er 212 (4) 86(3) 21(1) 328 (8)
Pauline 1 1
Maxime 28 11 1 40
Gordien d'Afrique fils 1 2 3
Balbin 14 3 1 18
Pupien 9 6(1) 15(1)
Gordien III 551 (13) 416 (214) 24 (12) 4 53(3) 1 048 (242)
Philippe père 277 (17) 224 (130) 6(1) 3 23(1) 533 (149)
Otacilia 56 (3) 47 (27) 1(1) 4 108 (31)
Philippe fils 62(3) 62 (39) Kl) 6 131 (43)
Trajan Dèce 60 (10) 67 (51) Kl) 6(3) 134 (65)
Restitutions de Trajan Dèce ( 3 (3) 3 (3)
Etruscilla 17 32 (32) KD 1 51 (33)
Herennius 6(1) 2(1) 8 (2)
Hostilien 7 3 1 11
Première moitié du 3 e siècle 15(1) 9 (1) 1 8(1) 33 (3)
Milieu du 3e siècle 30 (1) 43(2) 81 (3)

(}) On sait que récemment Mattingly (H. Mattingly, Roman Coins from the earliest times to the fall of the western
empire, London, 1928, p. 138) a attribué « With confidence » à Trajan Dèce les monnaies de restitution en billon (au revers
Consecratio, aigle ou autel) attribuées longtemps à Philippe 1er ou Gallien (H. Cohen, Description historique, t.V., pp. 471-472).
471-472).
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 105

Volubilis Banasa Thamusida Localités nance Total


diverses inconnue

Trébonien Galle 51(6) 32 (15) 1 2 86 (21)


Volusien 52 (10) 37 (27) 3(1) 3d) 95 (39)
Emilien 3(2) 1(1) 4 (3)
Valerien 29 (20) 58-t (53) 8(8) 6(5) 101 (86)
Mariniane 2(1) 3 O)
Gallien 308 307 53 7 137 812
Salonine 61 45 14 1 19 140
Salonin 6 3 2 11
Valerien Jeune 1 1
Quietus 1 1 1 Prove 2
Postume 1 1 1 3
Victorin 1
Tétricus père 3 1 3 1 8
Tétricus fils 3 3
Claude II 173 214 73 2 110 572
Claude II posthume 0) 265 732 287 6 409 1 699
Quintille 2 1 8
Aurélien 3 1 11
Gallien à Aurélien 18 54 3 60 135
Probus 15 2 1 18
Carus 1 1
Numérien 1 1
Magnia Urbica 1

C1) Le nombre des monnaies de consécration de Claude II est certainement plus élevé : parcni les pièces de Claude II
à revers usé, illisible, il serait bien invraisemblable que ne se trouve pas un certain nombre de pièces avec la légende Consecratio.
On sait qu'il y a trois séries de monnaies de consécration de Claude II, décrites comme suit par Mattingly et Sydenham
(Vol. V, part. I par Percy H. Webb, London, 1927, pp. 202-203) :
Io La série portant à la face la légende Divo Clavdio et au revers la légende Consecratio avec les types posthumes tradi
tionnels, autel, aigle ou bûcher funéraire ces pièces ont commencé à être frappées immédiatement après sa mort et se retrou
ventdans tous les ateliers.
:

2° La série portant à la face la légende Divo Clavdio et au revers des types de l'empereur vivant, Aequitas Aug., Fides
Militum, etc. Webb y voit non une divinisation de l'Empereur vivant mais des monnaies frappées après sa mort, dans le seul
aielier de Rome. « Certaines d'entre elles suggèrent par leur style le temps de Probus ».
3° Enfin la série à effigie voilée (revers : Memoria ou Requiem) frappée sous Constantin. La série n° 3 n'est pas représent
ée au Maroc ; la série n° 2 l'est par 9 pièces : 2 à Volubilis ( 1 la Paix C. 199, I Apollon C. 28), 2 à Banasa (1 peut-être la
Paix, 1 personnage debout à gauche), 3 à Thamusida (1 la Victoire C. 295, 1 personnage debout à gauche, tenant une patere,
1 Mars, probablement inédite), 2 de provenance inconnue (1 la Paix, 1 Mars) ; en admettant même qu'il faille ajouter à cette
liste les Divo Claudio au revers absolument illisible, le nombre de ces monnaies est insignifiant par rapport au nombre total
de monnaies de consecratio de Claude II, et il ne semble pas que celles que nous ayons rappellent par leur style le temps de
Probus. Elles paraissent bien contemporaines des monnaies au revers de l'autel ou de l'aigle. Il est frappant de constater que
ces seules séries de Claude II à l'autel ou à l'aigle représentent plus de 10 % du nombre total des monnaies antiques retrouvées
au Maroc, plus de 13 % de celles trouvées à Banasa, 17,5 % de celles trouvées à Thamusida. L'autel apparaît plus souvent
que l'aigle, dans la proportion exacte de 3 monnaies à l'autel contre 2 à l'aigle. La proportion est remarquablement constante :
sur un total de 1 573 monnaies de consécration à revers lisible, la proportion de monnaies à l'autel par rapport aux monnaies
à l'aigle est la suivante Volubilis : 63,74 % (167 contre 95), Banasa : environ 63 % (424 contre 251), Thamusida 60 %
(170 contre 111), provenance inconnue 62,5 % (251 contre 150), total 62,5 % (1 012 contre 607).
:
106 J. MARION

Volubilis Banasa Thamusida LOCALITÍS nance Total


DIVERSES inconnue

Dioclétien 1 1
Maximien Hercule 1 1 2
Domitius Domitianus 1 1
Maxence 1 1
Licinius fils 1
Constantin 2 Ί

1
Dioclétien à Constantin .... 1 1
Ville de Rome 1 1
Ville de Constantinople 1 1
Crispus 1 1
Constantin posthume 1 1
Constantin II 1 2
Constant Ier 1 1
Constance II 3 2 31 36
Constant Ier ou Constance II 1 111(11) Prove
21 22
Magnence 1 1
Constance Galle 1 1
Julien 1 1
Dynastie Constantinienne . . . 2 3 1 6
Valens 1
Valentinien ou Valens 1 3 4
Gratien 4 1 5
Gratien ou Valentinien II ... 1
Magnus Maximus 1
Théodose 6 8
Valens à Théodose ! 1
IVe siècle 1 45 46
Honorius 1 1 2
Arcadius 1 1
Valentinien III ι 1
Théodose II 1 1

Total 6 630 (388) 4 944 (782 1 582 (249) 2 463 (77) 15 730
et 2 or) (1 507 et
2 or)

Pour être complet, il conviendrait d'ajouter à ce tableau, en ce qui concerne la Tingitane intérieure,
les vingt-cinq monnaies suivantes conservées dans la collection Brethes (l) 2 Auguste posthume, 2 Claude,
2 Néron, 1 Galba en or, 1 Domitien, 3 Trajan, 2 Sabine, 1 Antonin le Pieux, 1 Marc-Aurèle, 1 Commode,
1 Alexandre Sévère, 3 Julie Marnée, 2 Maximin, 1 Gordien III (région de Meknès) ; 1 Lucius Verus (Sidi
Slimane) ; 1 Faustine sans préciser s'il s'agit de Faustine mère ou de Faustine Jeune (Ouezzane).

J.D. Brethes, Contribution à l'histoire du Maroc par les recherches numismatiques, Casablanca, 1939, pp. 18 - 20.
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 107

Par contre je ne retiendrai pas une toute petite pièce en or de 15 mm de diamètre, trouvée à Volubilis
(F/ : tête à gauche présentant une grande ressemblance avec le visage de Pyrrhus, roi d'Epire ; R/ : Pégase
marchant à gauche, visiblement inspiré de celui qui figure au revers de nombreux deniers consulaires ;
lettres grecques tout autour de Pégase formant, en boustrophédon, le nom d'Alexandre). M. R. Thouvenot
qui a très judicieusement commenté cette pièce (*), y voit une médaille de caractère talismanique et même
apotropaïque du IIIe siècle, époque où l'image d'Alexandre le Grand se popularise de plus en plus. Aux
textes que M.R. Thouvenot cite de l'Histoire Auguste, on peut ajouter ce passage du même ouvrage (2) où
Lampride rapporte qu'Alexandre Sévère fit faire de nombreuses médailles avec la figure d'Alexandre
quelques-unes en électrum, le plus grand nombre en or.

***

Telle que se présente cette liste, elle peut par son ampleur même, apporter d'utiles précisions sur la
vie économique de la Maurétanie tingitane. Les chiffres exprimant l'accroissement considérable et progress
if de la circulation monétaire en un siècle (483 pièces pour les 27 ans de règne des Flaviens, soit à peu près
18 de moyenne annuelle, 1 865 pour les 40 ans de règne de Trajan et Hadrien, soit 46,6 de moyenne annuelle,
3 468 pour les 54 ans de règne d'Antonin, Marc-Aurèle et Commode, soit 64,2 de moyenne annuelle)
représentent mieux que tout commentaire, le développement de la prospérité sous les Empereurs Flaviens et
Antonins. Mais, si la prospérité peut se mesurer par le nombre de pièces en circulation, elle semble ne pas
se ralentir sous les Sévères (2 152 pièces pour les 46 ans qui séparent la mort de Commode de celle de Maxi-
min le Thrace) ni même pendant l'anarchie militaire (3 429 pour les 30 ans qui s'écoulent entre la mort de
Maximin et celle de Gallien).
Mais les chiffres considérés en eux-mêmes sans être interprétés risquent d'induire gravement en erreur.
Le nombre toujours croissant de pièces au cours du IIIe siècle témoigne-t-il de la prospérité de la Tingi
tane ou de la dégradation lente et ininterrompue de l'Antoninianus et du renchérissement continuel du
prix de la vie ? Claude II a régné deux ans, de mars 268 à août 270 au plus tard, et les innombrables monnaies
de consécration émises à son nom ont commencé à être frappées immédiatement après sa mort (3). Que
prouvent, pour une trentaine de mois 2 241 pièces au total portant le nom de Claude II, sinon que ces
pièces dont le métal est indéfinissable (4) au point qu'on ne sait même pas si elles étaient en cuivre (PB dit
Cohen) ou en billon (Antoniniani dit Webb) (5), avaient un pouvoir d'achat si réduit qu'il en fallait
beaucoup, en Tingitane comme ailleurs, pour acheter peu de chose (6). Et pourtant, comme nous le verrons,
elles furent thésaurisées. Pauvres trésors monétaires, et dure époque.

C1) R. Thouvenot, Une pièce d'or antique trouvée à Volubilis, Hespéris, 1940, pp. 93-96, photo.
(2) Lampride, Alex-Sev., 25 Alexandri habitu nummos plurimos figuravit, et quidem electreos aliquantum, sed plurimos
temen áureos.
:

(3) Mattingly et Sydenham, The Roman Imperial coinage, vol. V, part I par Webb, London, 1927, pp. 202-203.
(4) On sait que le pourcentage d'argent dans Yantoninianus diminua progressivement jusqu'à n'être plus que 25 % entre
240 et 250, 3 à 4 % en 260 sous Gallien (Michael Grant, loe. cit., p. 245) et 2 % pour les derniers antoniani qui furent frap
pésavant la réforme monétaire d'Aurélien {The Cambridge Ancient History, vol. XII, Cambridge, 1939, p. 266), donc préc
isément sous Claude II et Quintille.
(5) Mattingly et Sydenham, ¡oc. cit., vol. V, part I par Webb, p. 202.
(6) Des bases d'appréciation précises concernant le renchérissement du prix de la vie sont malheureusement très rares
pour le troisième siècle, au moins en ce qui concerne l'Afrique (An economic survey of Ancient Rome, t. IV, Baltimore, 1938,
p. 119). On est un peu mieux renseigné pour le siècle précédent on sait par exemple que la solde du légionnaire est passée
de 300 deniers sous Domitien à 375 sous Commode, 500 sous Septime-Sévère, 750 sous Caracalla, que le prix du pain à Ephèse
:

a doublé entre le règne de Trajan et le commencement du troisième siècle (The Cambridge Ancient History, loe. cit., p. 725) ;
celui du blé en Egypte, étonnamment stable aux premier et deuxième siècles, (7 ou 8 drachmes pour une artaba), varie entre
1 2 et 20 drachmes dans la première moitié du troisième siècle (ibid., p. 725 et M. Rostovtzeff, The social and economic history
108 J. MARION

Immédiatement après ces si nombreux Claude II posthume, on remarque la faible quantité d'Auré-
lien, de Probus, etc. La Tingitane n'avait pas besoin de s'approvisionner de numéraire frais, pour aliment
er à nouveau la circulation monétaire, avant d'avoir « épongé » la masse considérable des monnaies de
consécration de Claude II.
Plus intéressante peut-être que la masse totale de numéraire en circulation en Tingitane sous chaque
empereur, est l'étude détaillée de la circulation des deux métaux, bronze et argent (ou billon) puisque nous
avons déjà dit que l'or était presque absent.
Pour ce qui est du bronze, la publication par M. R. Turcan Ç) du trésor de 7 500 sesterces découvert
à Guelma en 1953 permet d'intéressantes comparaisons sur la circulation du numéraire de bronze aux deux
extrémités de l'Afrique du Nord romaine, au moins pendant une durée de 22 ans (235-257) où l'auteur a
étudié, la moyenne annuelle des sesterces du trésor de Guelma répartie en sept périodes correspondant aux
règnes d'Alexandre Sévère, Maximin, Gordien I à Gordien III, Philippe, Trajan Dèce, Hostilien Auguste
à Emilien, Valerien et Gallien (pour ceux-ci, de 253 à 257). Les moyennes annuelles pour ces sept périodes
sont les suivantes : 126-180-247,8-186-169-171,5-36. Négligeons la dernière période, dans l'impossibilité
où nous sommes de distinguer, vu leur état de conservation, les pièces de Gallien co-régent de celles de
Gallien seul empereur (il n'y a d'ailleurs dans les collections du musée de Rabat que 9 sesterces et 1 as
de Gallien sur 308 pièces à Volubilis, et 1 sesterce sur 307 pièces à Banasa). Pour la même raison aussi, à
cause de l'impossibilité où nous nous sommes trouvé de distinguer les pièces d'Hostilien César (comptées
naturellement par M. R. Turcan dans la période de Trajan Dèce) de celles d'Hostilien Auguste, nos chiffres
sont imprécis en ce qui concerne les 5e et 6e périodes (respectivement de 46,5 à 52 et de 61 à 66,5 selon que
l'on compte ou non dans le total les monnaies d'Hostilien), mais de toute façon très inférieurs aux 169
et 171,5 de Guelma. Par contre pour les quatre premières périodes où nous avons à Guelma, avons-nous
dit, 126-180-247,8-186, les chiffres correspondants pour la Tingitane sont (en tenant compte non seulement
des sesterces, mais aussi des as et des dupondius) 81,4-120,3-140,1-99,8 (pour Volubilis : 53,8-79-93,6-
67,6, et, pour Banasa ( 19,3-31,3-35,3-24,9). Les ordres de grandeur sont assez voisins, sans se confondre
évidemment. Nous pouvons donc faire nôtres les conclusions de M. R. Turcan qui sont ainsi confirmées
par l'étude des monnaies de bronze trouvées en Tingitane : « Loin de faiblir aussitôt après Sévère Alexand
re, comme l'affirmait Mommsen, la frappe sénatoriale s'est plutôt accrue, en particulier sous Gordien III.
Ensuite, malgré une baisse sensible sous Philippe, la moyenne reste encore très honorable jusqu'en 253 :
la frappe sénatoriale est encore abondante au milieu du siècle... Sous Gordien III la frappe est presque
aussi pléthorique qu'au siècle précédent : ses sesterces sont aussi communs que ceux d'Antonin et de
Marc-Aurèle » (2). Il est même curieux de constater que pour la période Gordien I à Gordien III la moyenne
annuelle du bronze est en Tingitane 2 à 3 fois plus élevée que la moyenne annuelle des 55 ans de règne

of the roman Empire, Oxford, 1926, p. 419). Les données manquent pour la période de Gallien à Dioclétien : on sait pourtant
qu'un peu après 280 les prix du blé en Egypte ont atteint de 14 à 20 fois leur niveau d'origine (The Cambridge Ancient History,
loe. cit., p. 266) ; sous Dioclétien ils arriveront à la somme invraisemblable de 20 talents =120 000 drachmes Variaba !
(Rostovtzeff, loc. cit., p. 419). En Egypte également le salaire journalier d'un manœuvre était aux deux premiers siècles de
4 à 6 oboles, ce qui correspondait à 2 ou 3 artabae de grain par mois. Dans la première moitié du troisième siècle les salaires
montèrent à 2, 3, même 5 drachmes, mais, vu l'augmentation rappelée ci-dessus du prix du blé, les conditions de vie des tra
vail eurs restèrent aussi mauvaises qu'auparavant (Rostovtzeff, ibid.). On remarquera d'ailleurs que les chiffres précédents
concernent l'Orient où la situation était meilleure qu'en Occident. Il a été établi, notamment par P. Le Gentilhomme {Métaux
et Civilisations, I, 1946, pp. 113-127), que la différence de poids de Y antoninianus entre l'Orient et l'Occident, (et ce dès le
règne d'Elagabale), témoigne de l'appauvrissement des provinces de l'Ouest par rapport à celles de l'Est, où la civilisation
urbaine est en plein essor. C'est sous Valerien et Gallien que l'inflation se fait le plus cruellement sentir en Occident, alors
que l'Orient, sous le protectorat des princes palmyréniens, réussit, malgré le contre-coup de la dépréciation monétaire, à
maintenir Y antoninianus à une valeur intrinsèque quatre fois supérieure à celle des espèces semblables frappées à Rome.
0) Robert Turcan, Le trésor de Guelma, Paris, 1963, cf notamment le tableau de la p. 54.
(2) id, ibid., pp. 54-57.
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 109

d'Antonin à Commode, moyenne qui est de 32,6 à Volibilis, 14,1 à Banasa, 61,5 pour l'ensemble de la
Tingitane (contre respectivement 93,6-35,3-140,1 pour la période de Gordien I à Gordien III).
Après avoir étudié la circulation du bronze, il convient d'étudier maintenant la proportion des pièces
d'argent par rapport aux pièces de bronze. Extrêmement faible à l'époque maurétanienne et aux débuts
de la romanisation (2,47 % d'Auguste à Néron inclus), assez faible encore sous les Flaviens (94 sur 482,
soit 19,5 %), elle diminue encore sous Trajan (78 sur 476, soit 16,4 %) pour tomber à un pourcentage
insignifiant pendant les trois quarts de siècle qui s'étendent de l'avènement d'Hadrien à la mort de Com
mode, variant de 1,7 % à 3,6 % selon les empereurs. Brusquement elle monte à 53,2 % pendant le règne de
Septime Sévère et de ses fils (205 sur 385) pour atteindre 73,5 % sous le règne d'Elagabale, (106 sur 144).
Sous le règne d'Alexandre Sévère, la proportion retombe à 9 %, (115 sur 1 173), remonte à 23,9 % avec
Gordien III, (242 sur 1 048), à un peu moins de 30 % sous Philippe, (223 sur 772), à 50 % sous Trajan
Dèce (103 sur 207), à 30 % seulement sous Trébonien Galle et Volusien (60 sur 181) pour atteindre enfin
plus de 83,6 % sous Valerien. Il est vrai qu'alors on ne peut plus décemment parler d'argent : c'est le billon,
qui arrivera bientôt, on l'a vu, à ne plus contenir que 2 % d'argent.
Certaines mutations brusques des pourcentages que nous venons de calculer s'expliquent par des
causes tenant à la politique des empereurs. Ainsi, aussi bien la dévaluation du denier par Septime Sévère
d'environ 50 % 0) que les fréquentes et abondantes émissions monétaires rendues possibles par l'afflux de
richesses que fit passer dans les mains de Sévère la confiscation des biens de Pescennius Niger et d'Albinus
(2) suffisent à rendre compte du brusque accroissement du pourcentage des monnaies d'argent circulant
en Tingitane à cette époque. Inversement si ce pourcentage tombe de plus de 74 % sous Elagâbale (que
l'on pense à la création de Y antoninianus par Caracalla) à moins de 10 % sous Alexandre Sévère, c'est dû
indiscutablement au fait que sous le règne de ce dernier, « l'émission considérable d'une monnaie de cuivre
de bonne qualité semble tendre à un effort vers une amélioration de la situation » (3).
Mais plusieurs variations du pourcentage que nous considérons sont dues à des causes locales, et en
premier lieu à la constitution de trésors monétaires : s'il y a par exemple à Volubilis 24 deniers sur 66
pièces de Vespasien (contre 6 sur 25 à Banasa), 26 deniers sur 82 pièces de Domitien (contre 1 sur 80 à
Banasa) et 53 deniers sur 192 pièces de Trajan (contre 9 sur 113 à Banasa), c'est dû tout simplement à la
découverte en 1930, au sud de l'Aqueduc, près des grands thermes, du bracelet-bourse contenant 105
deniers, publié par le regretté A. Ruhlmann (4).
Très rares à Volubilis (5) les trésors monétaires par contre sont nombreux à Thamusida et à Banasa :

(!) « Pour faire face aux difficultés léguées à lui par Commode, et pour couvrir les dépenses folles auxquelles il se livra
lui-même, Sévère eut recours à l'expédient habituel de la dévaluation, l'argent contenu dans le denier étant réduit à environ
50 % » (The Cambridge Ancient History, XII, p. 27).
(2) id, ibid., p. 27.
(3) id., ibid., p. 65.
(4) Revue de Numismatique, 1933, pp. 51-59. Rappelons la composition de ce trésor 1 denier de Q. Antonius Baibus, 1
de la sixième période de la République Romaine, 1 de Néron, 1 de Galba, 18 de Vespasien, 7 de Titus, 21 de Domitien, 3
:

de Nerva, 43 de Trajan, 9 d'Hadrien.


(5) En dehors de ce trésor, on ne peut citer, pour Volubilis, qu'un petit trésor de 75 pièces, resté inédit, trouvé le 13 décem
bre1950 dans une maison à l'est du palais de Gordien (1 Arg. Antonin le Pieux, 1 Arg. Trajan Dèce, 1 Arg. Trébo
nienGalle, 1 bill. Valerien, 35 bill. Gallien, 7 bill. Salonine, 1 bill. Quietus, 14 PB Claude II, 5 PB Claude II posthume, 4 Pro
bus, 1 Numérien, 4 incertaines). Je ne considérerai pas comme un trésor une centaine de monnaies trouvées dans la maison
de l'Ephèbe en juillet 1933 à côté de la fameuse statue et des médaillons publiés par R. Thouvenot. Cet auteur écrit (CRAI,
1937, pp. 326-333) : « nos médailles ont été trouvées à côté d'elle [la statue de l'Ephèbe] dans un espace très restreint avec une
centaine d'autres monnaies du IIe et du IIIe siècle ». Aucune autre précision n'est malheureusement donnée sur ce trésor, si
trésor il y a, ce qui est très douteux, car L. Châtelain, qui n'emploie d'ailleurs pas plus que R. Thouvenot le mot de« Tré
sor » ou de « dépôt monétaire », ne rapporte pas du tout de la même manière les circonstances de la trouvaille. II écrit en
1 10 J. MARION

cette dernière ville s'était signalée à l'attention des numismates bien avant que la moindre fouille y eût été
effectuée, dès 1907, par la découverte forfuite d'un immense trésor de 4 000 monnaies de Juba IT et de
Ptolémée ('). Mais les découvertes de trésors s'y sont succédées, rendant notablement plus élevé qu'à
Volubilis le nombre total des monnaies d'argent. Il s'agit du trésor de la Maison de Fonteius (51 pièces
d'argent et de billon), du trésor de la Boulangerie (496 pièces d'argent et de billon), enfouis tous deux
vers 255 d'après M. R. Thouvenot qui les a publiés (2), et d'« un petit trésor de 38 pièces d'argent : Gordien
III, Philippe, Hérennia Etruscilla, Otacilia Severa » (3). Au total donc 585 pièces d'argent ou de billon
ont été trouvées à Banasa dans des trésors monétaires, contre 109 à Volubilis (jusqu'à Valerien
inclus).
A Thamusida ont été trouvés, au cours de la campagne de fouilles 1962, deux trésors de pièces d'argent
des IIe et IIIe siècles, constitués l'un par 33, l'autre par 34 deniers (4). Ils viennent s'ajouter au petit trésor
de 11 deniers découverts en 1954 (5) et au « trésor d'une quarantaine de monnaies d'argent » découvert
en 1933 (6). C'est donc, à Thamusida, un minimum de 118 pièces d'argent qui ont été retrouvées dans des
trésors monétaires (120 en comptant 2 pièces dont je parlerai plus loin, qui figuraient dans des trésors de
PB).
On peut donc représenter la circulation de la monnaie d'argent en Tingitane dans le tableau suivant,
d'où il ressort nettement que les variations observées d'une ville à l'autre sont dues surtout à la présence
de trésors monétaires et qu'elles sont beaucoup moins sensibles si l'on ne tient plus compte de ceux-ci, le
pourcentage de l'argent étant assez faible dans l'ensemble.
Une remarque est d'ailleurs à faire au sujet des dépôts monétaires de Thamusida et surtout de Banasa,
c'est le grand nombre des petits trésors constitués soit par des pièces de billon de Gallien et des PB de Clau
deII, soit par quelques as et sesterces. Pour Banasa M.R. Thouvenot n'en cite pas moins de 6, respecti-

effet (BCTH, 1934-1935, p. 109) « Sept boutiques (chacune avec son arrière-boutique) encadrent l'entrée principale ornée
de pilastres. C'est dans une des arrière-boutiques de l'ouest que furent trouvés l'Ephèbe, la statue du dieu au serpent et plu
:

sieurs centaines de monnaies... Sur la galerie est s'ouvrent quatre portes ; la première (au sud) mène à une chambre ornée
de mosaïques à dessins géométriques. C'est là que l'on découvrit de magnifiques médaillons de bronze (de la fin du IIe siècle
et du début du IIIe siècle) ». Donc, d'après R. Thouvenot, statue de l'Ephèbe, médaillons et monnaies auraient été dans la
même pièce ; d'après L. Châtelain on aurait trouvé l'Ephèbe et les monnaies dans une pièce, les médaillons dans une autre.
Les monnaies de la maison de l'Ephèbe conservées au médaillier portent parfois, sur l'enveloppe qui les contient, la date de
leur découverte, mais pas l'indication du lieu précis où elles ont été trouvées. On ne peut donc retrouver cette « centaine d'aut
res monnaies du IIe et du IIIe siècle » dont parle R. Thouvenot.
0) 81 pièces de ce trésor ont été étudiées. Cf Revue de Numismatique, 1908, pp. 350-368 ; et 1910, pp. 437-441.
(2) R. Thouvenot, PSAM, 9, pp. 185-186 pour le trésor de la maison de Fonteius, pp. 90 et 186-187 pour le trésor de
la boulangerie. Je rappelle la composition de ces deux trésors 1 Vespasien, 1 Hadrien, 1 Marc-Aurèle, 2 Elagabale, 2 Alexan
dre Sévère, 1 Pupien, 12 Gordien III, 3 Philippe père, 1 Otacilia, 2 Philippe fils, 6 Trajan Dèce, 1 Etruscilla, 1 Hérennius,
:

3 Trébonien Galle, 4 Volusien, 4 Valerien, 5 Gallien, 1 incertaine pour le premier trésor, 1 Julie Domna, 4 Caracalla, 5 Ela
gabale, 1 Maximin, 184 Gordien III, 140 Philippe père, 25 Otacilia, 37 Philippe fils, 43 Trajan Dèce, 3 billons de restitution
de Trajan Dèce, 16 Etruscilla, 9 Hérennius, 7 Trébonien Galle, 19 Volusien, 1 Valerien, 1 Gallien pour le deuxième trésor.
(3) R. Thouvenot, BCTH, 1946-1949, p. 259. Sur les trésors de Banasa voir J. Marion, Les dépôts monétaires du quartier
du Macellum à Banasa, BAM, V, 1964, pp. 201-233.
(4) Inédits. Je remercie vivement leur inventeur, R. Rebuffat qui a bien voulu m'autoriser à les citer ici. Premier trésor
(33 deniers) : 4 Trajan, 6 Hadrien, 1 Antonin le Pieux, 2 Antonin le Pieux posthumes, 3 Faustine mère, 2 Marc-Aurèle,
1 Faustine Jeune, 4 Commode, 1 Crispine, 3 Septime-Sévère, 2 Julie Domna, 3 Caracalla, 1 Géta. Deuxième trésor (34
deniers) 1 Domitien, 1 Nerva, 2 Trajan, 2 Hadrien, 2 Antonin le Pieux, 2 Faustine mère, 3 Marc-Aurèle, 2 Faustine Jeune,
3 Commode, 1 Albin, 5 Septime-Sévère, 5 Julie Domna, 3 Caracalla, 2 Géta.
:

(5) R. Thouvenot, BCTH, 1955-1956, pp. 82-83 et Callu-Morel-Rebuffat-Hallier, Thamusida I, Paris, 1965, pp. 179
et 215-216 : 1 République Romaine (illisible), 1 Naevius Balbus, 1 P. Clodius Turrinus, 2 Marc-Antoine, 5 Vespasien, 1
Domitien.
(6) L. Châtelain, BCTH, 1934-1935, p. 107.
NUMISMATIQUE DE LA MAURETANIE TINGITANE 111

Volubilis Banasa Thamudisa Localités nance Total


diverses inconnue
111 Prove

Nombre total de pièces 6 630 4 944 1 582 2 463 15 730

Empire Romain 6 396 4 673 1 470 103 2 253 14 893

D'Auguste à Valerien inclus . . 5 501 3 304 1 029 84 1 395 11 311

Argent et billon d'Auguste à


Valerien 388 782 249 11 77 1 507

Pourcentage 7,09 % 23,60 % 24,24 % 13,09 % 5 52 °//O


J)J¿ 13,33 %

Argent et billon trouvés en de


hors des trésors monétaires 279 234 129

Pourcentage 5,76 % 7,08 % 12,56 %

vement de 110, 33, 8, 9, 26 et 33 pièces (l). Moi-même, en décapant et étudiant les monnaies de la réserve
de Banasa, j'ai trouvé, bien emballés, deux petits trésors l'un de 62 PB découverts le 7 mars 1952 dans le
secteur Sud-Ouest, l'autre de 78 PB et 1 GB découverts en février 1952 près d'un four dans le secteur Sud-
Ouest (2).
A Thamusida aussi ont été découverts, au cours des fouilles de 1962, deux petits trésors de pièces de
billon ou de PB, l'un de 88 pièces trouvé par M. Dentzer, l'autre de 33 (3).
Rien n'est plus émouvant et plus symptomatique de l'appauvrissement du pays que ces pauvres
trésors formés d'une petite poignée de monnaies dérisoires. Quant aux quelques as et sesterces qui se

C1) R. Thouvenot, Une colonie de Maurétanie Tingitane : Valentia Banasa, Paris, 1941, pp. 64-65 « une cachette con
tenant 110 pièces où elles [les monnaies de consécration de Claude II] figurent pour une forte proportion prouve que le pro
:

priétaire de ce petit trésor l'enfouit peu de temps après leur émission, avant que lui fussent parvenues les pièces frappées en
l'honneur des nouveaux empereurs ». id., BCTH, 1946-1949, p. 437 : « deux petits trésors de monnaies de bronze, l'un de
5 MB et 28 PB, l'autre de 8 MB, tous du IIIe siècle, s'échelonnant de Sévère Alexandre à Philippe » ; id., ibid., 1954, p. 53 :
« un petit trésor de 9 GB comprenait des monnaies d'Antonin, Faustine Jeune, Commode, Julia Mamaea, Maximin, Gordien
III, Philippe » ; id., PSAM, 11, 1954, pp. 55-56 et 58-59 : « deux petits trésors trouvés dans la maison au diplôme de Domi-
tien ; le premier comprenait vingt-six petits bronzes qui avaient été renfermés dans un vase : deux de Gallien, sept de Claude
le Gothique dont trois avec légende Divo Claudio et Consecrado ; le deuxième, trente-trois monnaies dont une pièce d'argent
de Sévère Alexandre, dix-neuf petits bronzes de Claude le Gothique dont trois Consecratio ». Le décapage et la révision des
pièces du médaillier ont permis de constater que le trésor des 26 PB contenait en réalité 5 Gallien, 2 Claude II, 17 Claude II
posthume, 2 illisibles, et le trésor de 33 monnaies 1 Arg. Alexandre Sévère, 1 Gallien, 1 Claude II, 21 Claude II posthume
et 9 illisibles.
:

(2) Ont pu être identifiés : pour le trésor de 62 PB 3 Gallien, 10 Claude II, 47 Claude II posthume, 1 incertaine (Gallien
ou Claude II) ; et pour le trésor de 79 pièces 1 GB de Marc-Aurèle, 1 Gallien, 1 1 Claude II, 27 Claude II posthume, 1 incer
:

taine (Claude II ou Aurélien).


:

(3) Le premier est inédit mais signalé par Callu-Morel-Rebuffat-Hallier, Thamusida I, p. 262, note 3 (1 Arg. Elaga-
bale, 1 Valerien, 14 Gallien, 5 Salonine, 1 Quietus, 20 Claude II, 45 Claude II posthume, 1 Quintine). Le deuxième (2 Gallien,
1 Salonine, 1 Tétricus, 4 Claude II, 25 Claude II posthume, dont 1 émis peut-être sous Probus) a été publié par Callu-Morel
Rebuffat-Hallier, Thamusida l, Paris, 1965, pp. 216-218.
112 J. MARION

trouvent, notamment à Banasa, dans ces petits trésors qui ont tous été enfouis au troisième siècle, comme
le prouvent les pièces les plus récentes des dépôts où ils figurent, ils confirment une remarque déjà ancienne
de F. Lenormant (') : au troisième siècle, quand les antoniniens en billon, puis en cuivre saucé ne furent
plus qu'un numéraire conventionnel, les pièces de cuivre sénatoriales se trouvèrent avoir une valeur de
métal intrinsèque très supérieure à celle des pièces prétendues en argent. Aussi ce fut alors la monnaie de
cuivre d'appoint que l'on enfouit dans les moments de danger, comme la seule monnaie ayant en elle-même
une valeur réelle. Dans le même sens, M.R. Turcan remarque (2) « qu'au 3e siècle l'enfouissement du
bronze est directement proportionnel à l'avilissement de la monnaie d'argent », à mesure que l'anto-
ninien perd toute valeur métallique.
*

En plus des remarques qui précèdent et qui touchent d'une manière ou d'une autre à l'histoire de la
monnaie et de la vie économique sous l'empire romain, on peut faire d'autres observations qui concernent,
elles, plus spécialement l'histoire de la Tingitane.
Elles ont rapport surtout à la fin de la période romaine et à la période maurétanienne. Et tout d'abord
la question primordiale qui, explicitement ou non, consciemment ou non, n'est jamais absente des préoc
cupations de quiconque s'occupe d'archéologie romaine en Tingitane et sous-tend, pourrait-on dire, ses
recherches : Dioclétien a-t-il, selon la thèse bien connue de Carcopino (3), évacué, très peu après son avè
nement, la Tingitane intérieure et tout l'ouest de la Césarienne ?
Pour l'ouest de la Césarienne, des doutes sérieux ont été émis par M. P. Salama dès 1954 (4) : il ne
croyait pas alors à « l'abandon officiel sous la Tetrarchie de tout le pays situé à l'ouest du méridien de
l'embouchure du Chélif »; il pensait au contraire qu'après la campagne de Maximien Hercule en Afrique
« il est probable que dans les premières années du IVe siècle la Maurétanie césarienne occidentale avait
retrouvé sa quiétude dans le cadre de l'organisation romaine », et, citant un certain nombre d'inscriptions
officielles du IVe siècle, il concluait de façon formelle : « A cette époque la Maurétanie césarienne occident
ale dépendait encore effectivement du pouvoir central ». Il reprenait la même thèse en 1959 (5), et, tout
récemment, étudiant à nouveau les inscriptions de caractère officiel datées du IVe et même du Ve siècles et
trouvées en Césarienne occidentale (6), il a prouvé de façon qui semble décisive l'occupation de cette région
par les Romains à l'époque constantinienne.
Par contre M. P. Salama admet, dans le même article, que « dans la Maurétanie tingitane, le repli
d'époque tétrarchique a de fortes chances d'être prouvé ». C'était le point de vue que j'avais soutenu en
m 'appuyant uniquement sur des arguments numismatiques : reprenant ceux que M. Carcopino avait mis
en avant (7), et les développant, j'approuvais dans mon article précédent (8) la thèse de M. Carcopino :
recensant en effet 8 716 monnaies postérieures à Auguste, j'en comptais 26 postérieures à 284, soit un peu
moins de 3 °/Oo — cela en novembre 1959.
Mais je n'avais pas eu connaissance alors des 3 735 pièces des réserves, contenues dans des tiroirs

0) F. Lenormant, La monnaie dans Γ Antiquité, Paris, 1897, I, p. 172.


(2) R. Turcan : Le trésor de Guelma, Paris, 1963, p. 47.
(3) J. Carcopino, Le Maroc antique, Paris, 1943, pp. 231-258.
(4) P. Salama, A propos d'une inscription maurétanienne de 346 ap. J.-C, Libyca, II, 1954, pp. 21 1-213 et 224-229.
(5) id., Bornes militaires et problèmes stratégiques du Bas-Empire en Maurétanie, CRAI, 1959, pp. 347-354.
(6) id., Occupation de la Maurétanie Césarienne occidentale sous le Bas-Empire romain, Mélanges d'Archéologie et d'Hist
oireofferts à André Piganiol, Paris, 1966, pp. 1291-1311.
(7) J. Carcopino, loc. cit., pp. 247-248.
(8) J. Marion, loc. cit., p. 457.
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 113

portant l'étiquette : Volubilis, ou : Banasa, ou plus souvent encore, malheureusement, aucune étiquette.
Leur nettoyage et leur classement m'ont demandé des mois, mais j'y découvris, comme on a pu le voir
dans la liste des monnaies, en tête de cet article, nombre de PB du IVe siècle, abandonnés autrefois, et qu'un
traitement énergique a permis de rendre datables au moins approximativement. Sur un total actuellement
de 14 895 pièces postérieures à l'avènement d'Auguste, nous en comptons 155 postérieures à l'avènement
de Dioclétien, soit un peu plus de 1 %. Le pourcentage évidemment n'est plus le même qu'en 1959. A-t-il
changé en des proportions telles qu'elles puissent modifier mes conclusions d'alors ? Je ne le crois pas.
Je me suis demandé longtemps si une partie des 2 241 petits bronzes de Claude II n'étaient pas du IVe siècle
et n'auraient pas ainsi remplacé pour cette époque le monnayage régulier. On sait en effet que les pièces de
très petit module et souvent d'un style très barbare à la tête radiée (ce que les numismates anglais appellent
les « minimi ») paraissent être en Gaule et en Grande-Bretagne une résurgence du monnayage local dans
les dernières années du IVe siècle et peut-être plus souvent encore dans les premières années du Ve siècle
où elles paraissent remplir le rôle d'un monnayage régulier (notamment après le départ des Romains de
Grande-Bretagne) (*). Mais celles trouvées au Maroc ont les dimensions de PB, à la rigueur de ce que Cohen
appelle les PB Q (quinaires), très rares sont celles que l'on pourrait réellement qualifier de « minimi »
et surtout elles sont totalement absentes à Sala des couches que l'on peut dater avec certitude du IVe
siècle (par la céramique notamment).
Force est donc de considérer toutes les monnaies de Claude II comme étant bien du temps de Claude
II ou des mois qui ont suivi sa mort, et par conséquent de n'attribuer au IVe siècle que les 155 pièces que
nous avons relevées. Mais la présence de ces 155 pièces oblige à prendre en considération les 37 monnaies
(1 Gallien, 1 Tétricus, 2 Tacite, 2 Probus, 1 Carus, 1 Carin, 9 Dioclétien, 15 Maximien Hercule, 1 Cons
tance Chlore, 4 Constantin) retrouvées au dire de Segonzac (2) à la Kasbah Ν 'çrani du Zerhoun, au nord
de Meknès, donc à quelques kilomètres de Volubilis.
Pour tenir compte des différents éléments d'information que la numismatique peut nous offrir relat
ivement à cette irritante question de la Tingitane au IVe siècle, il faut examiner les listes de monnaies trou
vées dans les régions littorales de la zone que Dioclétien aurait évacuée en 284, donc au sud du Loukkos.
Pour Sala, il appartient à mon collègue M. Jean Boube de publier le résultat de ses fouilles. D'ailleurs,
depuis des années, Sala et sa région ont fourni à l'occasion de trouvailles fortuites, un bon nombre de monn
aies antiques dispersées dans plusieurs collections particulières, notamment les collections Brethes,
Rouland-Mareschal, Delpit, Drouot, Biarnay, Mohammed ben Fquih ben Ali Slaoui, etc., et qui viennent
s'ajouter aux monnaies découvertes dans les fouilles anciennes ou récentes. Beaucoup certainement m'ont
échappé. Au total, j'ai pu retrouver la trace de 403 monnaies (3), soit 1 14 postérieures à 284 sur un total
de 376 postérieures à l'avènement d'Auguste, soit 30,32 %.

(J) Mattingly et Sydenham, loc. cit., vol. V, part I, pp. 202-203 ; Mattingly, Roman Coins..., London, 1928, pp.
235-236 et 255.
(2) Marquis de Segonzac, Voyages au Maroc, Paris, 1903, Appendice, Numismatique, pp. 375-378 ; cf P. Berthier,
Essai sur l'histoire du massif de Moulay-Idriss, Rabat, 1938, pp. 91-92.
(3) En voici la liste sommaire 2 Grèce, 1 Carthage, 1 Egypte ou Cyrénaïque, 3 Gadès, 2 dynastie de Massinissa, 1 Juba
II, 1 Caesarea, 4 Sala, 4 Shemesh (règne de Bocchus), 3 Shemesh (règne de Juba), 2 Tingi, 2 République romaine, 1 Octave,
:

15 Auguste à Néron, 16 dynastie des Flaviens, 18 Nerva et Trajan, 28 Hadrien et Aelius, 80 dynastie des Antonins, 3 dynastie
des Antonins ou des Sévères, 30 dynastie des Sévères, 43 Maximin 1er à Gallien, 26 Claude II, 2 Aurélien, 1 Probus, 18 Dioc
létien à Constantin le Grand, 67 dynastie constantinienne, 18 Valens à Arcadius, 1 1 indéterminées du IVe siècle. A propos des
monnaies trouvées à Sala, R. Rebuffat écrivait (Thamusida I, loc. cit. p. 187, note 2) « Avant les fouilles récentes, les 62
monnaies connues de Sala révélaient sous la Tetrarchie la même lacune que Volubilis et Banasa (R. Thouvenot, Hespéris,
:

1934, p. 126). On se demandera donc si Sala a été continuement occupée jusqu'à Constantin ou si elle a été abandonnée comme
tout le reste de la province pour être réoccupée ensuite. » En 1963 j'avais compté 18 monnaies de la Tetrarchie. C'est bien peu,
mais la lacune n'est plus totale. La publication des fouilles de J. Boube permettra de répondre à la question posée par R.
Rebuffat. Enfin il convient de signaler que le Musée L. Châtelain possède l'importante collection Rouland-Mareschal
les 268 monnaies qui la composent auraient été trouvées toutes, paraît-il, dans les environs immédiats de Sala. Il conviendrait
:
114 J. MARION

Enfin dans la collection Brethes figurent 12 monnaies d'or byzantines trouvées dans la région des
Zaërs, au sud-est de Rabat, donc sinon sur la côte même, du moins dans une région littorale.
Il faut donc distinguer deux cas différents : d'une part l'intérieur du pays, d'autre part la côte atlan
tique.
Pour ce qui est de l'intérieur de la Tingitane, l'abandon par Dioclétien paraît ne plus faire de doute et
M. J.P. Callu, en se fondant sur le témoignage des monnaies peut même préciser le processus de l'évacua
tion (*) : à Thamusida la monnaie la plus récente est un Tétricus fils de 274 et M. J. P. Callu envisage
que l'évacuation de la ville a eu lieu au plus tôt en 274, au plus tard en 280. Pour Banasa les deux dernières
pièces sont deux antoniniani de Probus de 282 ; pour Volubilis la dernière pièce est un Numérien Auguste
de 283/284. Il conclut : « A l'exception de Sala... l'aile occidentale du dispositif a été la première à céder.
L'impression qui prévaut est donc celle d'un échelonnement dans l'évacuation. L'histoire connaît de tels
processus où l'on se replie de petits postes en villes plus importantes, jusqu'à ce que la capitale — dernier
point d'appui — soit abandonnée à son tour ».
Si l'on envisage maintenant le cas des villes de la côte, il est indéniable que les Romains ont conser
vé après 284 des relations par mer avec des points qui même avant n'ont jamais fait partie de la province
romaine de Tingitane, étant situés bien loin au-dessous du limes, des « presides » en quelque sorte, comme
Mogador (2). Ne peut-on envisager qu'il en ait été de même de Sala, peut-être conservée comme escale sur la
route maritime de Mogador ? Une vie peut-être ralentie a fort bien pu s'y maintenir un siècle ou un siècle
et demi après le départ de l'administration romaine, après peut-être un abandon de quelques années et
une réoccupation postérieure.
M. J. Boube écrivait (3) : « II est désormais acquis, à la lumière des récentes découvertes du Forum
de Sala, que cette ville, la plus méridionale de la province, vivait encore, sous Constantin, et vraisemblable
ment durant une partie au moins du IVe siècle, dans l'orbite romaine ». Ce n'est pas incompatible avec
le point de vue des partisans de l'évacuation et l'on remarquera que c'est exactement la thèse que soutenait
dès 1954 M. R. Thouvenot, pour des raisons précisément tirées de la numismatique, en conclusion d'une
étude sur les « monnaies du Bas-Empire trouvées sur le littoral océanique marocain » : « Rome, si elle a
dû consentir à un repli dans le Maroc oriental et central, s'est, au contraire cramponnée jusqu'au dernier

donc d'ajouter cet ensemble, mais sous toutes réserves, aux monnaies découvertes à Sala. De toute façon, en voici la liste
1 Arg. Histié en Eubée, 1 Arg. Massalia, 7 Arg. Juba II, 70 deniers de la République Romaine, de 204 à 43-42 av. J.-C, 3
:

Arg. Auguste, 4 Arg. Tibère, 1 Arg. Néron, 1 Arg. Galba, 4 Arg. Vespasien, 2 Arg. Titus, 15 Arg. Domitien, 5 Arg. Nerva,
39 Arg. Trajan, 17 Arg. Hadrien, 1 aureus Sabine, 5 Arg. Antonin le Pieux, 5 Arg. et 1 GB Faustine mère, 8 Arg. Marc-Aurèle,
2 Arg. et 1 MB Faustine Jeune, 4 Arg. Lucius Vérus, 2 Arg. Lucilia, 5 Arg. Commode, 12 Arg. Septime-Sévère, 4 Arg. Julie
Domna, 11 Arg. Caracalla, 5 Arg. Géta, 5 Arg. Elagabale, 7 Arg. Alexandre Sévère, 2 Arg. Maximin 1er, 5 Arg. Gordien III,
1 Arg. Philippe père, 1 Arg. Philippe fils, 2 Arg. Trajan Dèce, 1 Arg. Valerien, 1 billon Gallien, 1 billon posthume, 1 aureus
Théodose, 1 aureus Honorius, 1 aureus Léon 1er.
0) Thamusida I, loc. cit., pp. 262-264.
(2) Comme pour Sala et ses environs, il ne m'a été possible de retrouver trace que d'un petit nombre certainement des
monnaies découvertes à Essaouira (ex Mogador) dans les fouilles anciennes. Sont parvenus à ma connaissance : 1 Gadès,
2 Juba II, 1 Claude 1er, 1 Commode, 1 Julie Mammée, 2 Claude II posthume, 1 Maximien Hercule, 1 Constantin, 1 Ville
de Rome, 1 Ville de Constantinople, 1 Constantin II, 3 Constant, 7 Constance II, 1 Julien le Philosophe, 7 famille de Const
antin. Il convient d'y ajouter les monnaies trouvées par A. Jodin au cours de ses fouilles de 1957-1958 1 Carteia (au nom de
Germanicus et Drusus), 4 Gadès, 3 Juba II, 1 Lixus, 1 Semes, 1 Germanicus, 1 Claude 1er, 2 Domitien, 1 Gordien III, 1
:

Gallien, 1 Claude II posthume, 1 Constantin, 1 Crispus, 1 Constantin II, 2 Constant 1er, 18 Constance II, 1 Constant 1er
ou Constance II, 1 fin du IVe siècle. Sur 73 monnaies au total, si 13 sont préromaines, 48 sont postérieures - à 284. On remar
quera la lacune totale qui s'étend entre Claude II posthume et Constantin. Abandon total, puis réoccupation ?
(3) J. Boube, Fibules et garnitures de ceinture d'époque romaine tardive, BAM, IV, p. 379.
NUMISMATIQUE DE LA MAURITANIE TINGITANE 115

moment sur la côte atlantique » (l). Pour ce qui est de la Tingitane intérieure, il faut remarquer que, de
l'avènement de Dioclétien à la mont de Constantin le Grand, pour cinquante-trois ans, nous avons dix
monnaies. Qu'on double le nombre si l'on veut en supposant qu'une partie des pièces de Constance II et
même de celles presque illisibles qui peuvent être de Constant 1er ou de Constance II aient été frappées au
nom du nobiiissimus Caesar, du vivant de leur père, qu'ajoutera-t-on de plus ? Que pour cinquante-trois
ans il y ait dix monnaies, ou vingt, ou trente, c'est toujours le vide, un vide qui nous semble frappant et
qui nous paraît bien être la preuve, que l'administration romaine avait abandonné la Tingitane intérieure,
ce qui ne veut pas dire qu'il n'y soit pas resté des Romains ou des Berbères romanisés — c'est expressément
ce que dit M. Carcopino quand il parle des « Roumis de Volubilis » — qui ont continué à entretenir avec
Rome des rapports économiques plus ou moins étroits.
A partir du commencement du règne des fils de Constantin d'ailleurs, le numéraire romain, quoiqu'en-
core bien rare, est un peu plus abondant que dans les cinquante années précédentes. Après un hiatus
quasi total d'un demi-siècle, tout se passe comme si les Romains étaient revenus plus ou moins timidement
dans des conditions malheureusement très difficiles à déterminer à l'heure actuelle (2). S'agit-il de commerç
ants,de détachements militaires venus, pour un temps indéterminé, de la zone nord restée romaine ?
C'est encore M. J. Boube qui envisage très judicieusement, pour les « Stations du Maroc intérieur
que l'on a l'habitude de considérer comme définitivement abandonnées par l'autorité romaine dès la fin
du IIIe... l'hypothèse d'un contrôle militaire peut-être d'ailleurs intermittent » (3). Et les monnaies trouvées
dans la Kasbah N'çrani du Zerhoun forment un ensemble si homogène (vingt pièces de la Tetrarchie sur
trente-sept) qu'il suggérerait la présence d'un tel détachement militaire dans ce site au début du règne de
Constantin si l'absence absolument totale de céramique romaine ne rendait la chose à peu près impossible à
admettre, au moins pour ce site.
Présentée donc d'une façon plus nuancée et moins absolue, en envisageant le maintien très probable
de certains « presides » sur la côte et de certains éléments militaires, au moins temporaires à l'intérieur
du pays, l'ensemble de la thèse de M. Carcopino paraît bien pouvoir être admis, au moins ce ce qui concerne
la Tingitane.
***

Si l'on envisage maintenant non plus la fin du Maroc romain, mais ses origines et même sa vie à
l'époque maurétanienne, le catalogue des monnaies trouvées au Maroc permet des constatations intéres
santes, et celle-ci d'abord : le Maroc se présente comme le point d'intersection de deux courants

es PSAM, 10, 1954, p. 237. Pour Sala, occupée continuement ou évacuée et réoccupée ensuite, cf supra, p. 113 n. 3. Pour
ce qui est du Maroc oriental, Rome n'a jamais eu à se replier d'une région qu'elle n'a jamais occupée. Cf J. Marion, La liai
son terrestre entre la Tingitane et la Césarienne, BAM, IV, pp. 442-447. Venant indirectement à l'appui de ma théorie, cf ce
que disent J. Desanges de la très large liberté laissée par Rome aux tribus indigènes dans les confins algéro-marocains (Cata
logue des tribus africaines de Γ antiquité classique à Γ ouest du Nil, Publications de Γ Université de Dakar, section d'histoire, n° 4,
1962, p. 20) et G. Camps des « remontées sahariennes... entre la Moulouya et la frontière algérienne » (Aux origines de la
Berbérie : Massinissa ou les débuts de Vhistoire, Libyca, VIII, 1er semestre 1960, pp. 98 et 146). La carte qu'il publie, pp. 216-
217 est éloquente à cet égard le Sahara s'enfonce en coin presque jusqu'à la mer, séparant brutalement la Tingitane de la
Césarienne. Enfin P. Salama (Mélanges Piganiol, loc. cit., pp. 1305-1309) parlant de la théorie de Carcopino relative au prin
:

cipe d'urie solidarité administrative des deux Maurétanies en fonction d'une liaison routière permanente, écrit « Depuis une
dizaine d'années une prospection méthodique, tant aérienne que terrestre, a été menée sur le territoire marocain et il faut bien
:

se rendre à l'évidence : cette voie romaine n'existait pas. Entre Taza et Marnia s'interposait, sans le moindre établissement
romain, un no man's land fréquenté uniquement, sinon par les Baquates, du moins par certaines tribus pastorales de grands
nomades sahariens remontant du Guir vers la Basse Moulouya ».
(2) II est très regrettable que sur les 150 monnaies postérieures à 284, il y en ait 1 19, c'est-à-dire presque 80 % qui soient
de provenance inconnue (Volubilis ? Banasa ?).
(3) J. Boube, loc. cit., p. 379. Dans le même sens, R. Rebuffat parle d'une « renaissance timide de l'influence, sinon de
l'occupation romaine » à l'époque constantinienne (La Mosaïque gréco-romaine, Colloques internationaux du CN RS, Paris,
1963, p. 208, note 31).
J16 J. MARION

ques issus l'un de la Numidie, héritière de Carthage, l'autre de l'antique Tartessos — ce qui est d'ailleurs
tout à fait naturel : ils correspondent en effet aux deux courants de civilisation qui fécondèrent le Maroc
et le firent sortir des limbes de la préhistoire.
C'est par la dynastie numide que l'influence de Carthage, sa langue, ses institutions pclitiques se
propagèrent jusqu'à l'Atlantique : que l'on se rappelle la formule si frappante par laquelle M. G. Camps
conclut son étude du royaume numide : « Libérée du contrôle jaloux de Carthage et non encore soumise
à Rome, la Berbérie avait quelque chance de développer les germes d'une civilisation originale... Mais
avec cet acharnement éperdu du barbare conscient de ses faiblesses, Massinissa, dans une œuvre poursuivie
par les rois de sa race, assura le triomphe de la civilisation qu'il croyait meilleure parce qu'étrangère » (x).
Quoi d'étonnant dès lors à ce qu'on trouve à Volubilis des inscriptions puniques dont une notam
mentdonne toute une liste de sufètes (2), et dans le Maroc intérieur cinquante-trois monnaies de la
dynastie de Massinissa — paradoxalement d'ailleurs rares dans ce même Volubilis, si elles sont abondantes
à Banasa (3).
Par contre, extrêmement rares sont les monnaies municipales des cités de la côte méditerranéenne
d'Afrique : huit sont des pièces de Caesarea, toutes d'ailleurs d'époque romaine à la légende latine, du
temps donc de Juba II, et la présence dans la moitié occidentale du royaume de ce prince, de monnaies
frappées dans sa capitale de l'est n'a rien pour surprendre : la seule chose plutôt qui surprendrait, c'est
leur rareté. En dehors de ces huit pièces de Caesarea, nous en avons onze néopuniques (premier siècle
avant J.C. très vraisemblablement) : sept de Bulla Regia, trois de Camarata, une de Gunugu : c'est bien
peu, mais il ne faut pas trop s'en étonner : ces monnaies « qui ne servaient guère qu'à la circulation locale »
(4) sont « connues, pour la plupart d'entre elles, par de très rares exemplaires » (5). Aucune monnaie
d'aucune autre ville autonome de Numidie ou de Maurétanie, ni Rusaddir-Melilla (dont les monnaies,
il est vrai, sont de la plus extrême rareté), ni de loi (dont le monnayage était pourtant abondant avant que
la ville ne prît, sous Juba II, le nom de Caesarea), ni — ce qui est extrêmement frappant et sur lequel nous
reviendrons — de Tamuda dont les monnaies ont cependant été trouvées à Lixus et à Tamuda même
naturellement avec une « véritable profusion » (6).
Pour la péninsule ibérique, les travaux nombreux et tout récents du regretté Malhomme, de MM.
Camps, Jodin et Souville ont mis en lumière ce que le Maroc lui doit, depuis la céramique cardiale du
néolithique et le vase campaniforme du chalcolithique, jusqu'aux armes du bronze (7). Toute la tradition

0) G. Camps, Aux origines de la Berbérie : Massinissa ou les débuts de Vhistoire, Libyca, VIII, 1er semestre 1960. p. 274.
(2) J. Février, Inscriptions puniques du Maroc, BCTH, 1955-1956, pp. 29-35.
(3) II faut noter que ces monnaies de la dynastie de Massinissa se trouvent abondamment aussi dans la zone Nord du
Maroc (fouilles de Tamuda et de Lixus par M. Tarradell). J. Mazard écrit à ce sujet (Corpus Nummorum Numidiae Maure-
taniaeque, Paris, 1955, p. 178) « l'extrême obligeance du directeur des fouilles, Dr. Tarradell, nous a permis d'utiliser les
résultats numismatiques des fouilles, abondants pour les monnaies des séries royales de Numidie (type à l'effigie barbue et au
:

cheval galopant) ». Sur l'importance de la circulation des monnaies de Numidie en Maurétanie tingitane, cf Mazard, loc. cit.,
p. 75.
(4) S. Gsell, Histoire ancienne de Γ Afrique du Nord, V, p. 1 30, note 4.
(5) J. Mazard, Création et diffusion des types monétaires maurétaniens, BAM, IV, p. 1 1 1 ; dans son Corpus Nummorum...,
le même auteur précise le degré de rareté de chaque pièce les monnaies de Bulla Regia connues au Maroc (nos 514-516) sont
très rares (RRR), les monnaies de Gunugu sont uniques (568-569) ou de la plus grande rareté (RRRR) (570), celles de Camar
:

atatrès rares (RRR) (572) ou de la plus grande rareté (RRRR) (573 à 576).
(6) J. Mazard, Corpus Nummorum..., p. 178.
(7) Cf notamment J. Malhomme, Corpus des gravures rupestres du Grand Atlas, PSAM, 13, 1959 et 14, 1961 ; G. Camps,
Les traces d'un âge du bronze en Afrique du Nord, R. africaine, CIV, 1960, pp. 31-55 et Aux origines de la Berbérie : Monuments
et rites funéraires protohistoriques, 1961, pp. 445-457 ; A. Jodin, Les civilisations du Sud de l'Espagne et V Enéolithique marocain,
Congrès préhist. Fr., c.r. de la 15e session, Poitiers-Angoulême, 1956 (1957), pp. 564-578 et Les problèmes de la civilisation du
vase campaniforme au Maroc, Hespéris, XLIV, 1957, pp. 353-360 ; G. Souville, Influences de la péninsule ibérique sur les
civilisations postnéolithiques du Maroc, Miscelánea abate H. Breuil, Barcelone, 1965, 2, pp. 409-422.
NUMISMATIQUE DE LA MAURÉTANIE TINGITANE 117

antique présente comme contemporaine, la fondation plus ou moins légendaire des deux villes phéniciennes
de Gadès et Lixus, et ces liens entre le Maroc et l'Espagne sont tels que Octave, fondant cinq colonies
dans ce qui sera la Tingitane, rattache l'une d'entre elles, Zilis, et probablement les quatre autres aussi, à
la Bétique (*), exactement comme 300 ans plus tard Dioclétien lui rattachera ce qui restera de la Tingitane
après l'évacuation de la Tingitane intérieure.
Ces rapports du Maroc et de la péninsule ibérique ont été soulignés par M. Camps qu'il convient de
citer tout au long, en appliquant au Maroc en général ce qu'il dit du Maroc septentrional (2) : « Ces rela
tions longuement entretenues, antérieurement aux navigations phéniciennes, donnèrent au Maroc septen
trional une physionomie particulière, souvent plus ibérique qu'africaine. Les bateaux de Tartessos fréquen
tèrentles Colonnes d'Hercule avant ceux de Sidon et de Tyr... Rome, héritière de Juba et de Ptolémée,
comprit vite que cette partie de l'Afrique constituait une unité particulière qu'il serait vain de maintenir
unie à la région centrale de la Berbérie. La Maurétanie tingitane... resta en relation étroite avec la Bétique.
Auguste, avant même d'établir Juba II, avait rattaché Zilis (Arcila), érigée en colonie, à la province de
Bétique. Quand Dioclétien réorganisa l'Empire, il rattacha également au diocèse d'Espagne ce qui restait
de la Tingitane romaine. Huit siècles plus tard, maîtres du Maroc et de l'Algérie occidentale, les Almor
ávides délaissent la Berbérie orientale et passent tout naturellement en Espagne ».
Il est donc tout naturel que les monnaies ibériques soient nombreuses au Maroc (108 pièces, dont
12 postérieures à l'avènement d'Auguste) ; mais, plus encore que leur nombre, ce qui est intéressant c'est
leur répartition géographique : 4 de Saragosse et de sa région (Caesar- Augusta et Celsa) à l'époque Julio-
Claudienne, 5 de la région méditerranéenne (3 de Carthage nova, 1 de Segobriga, 1 de Malacca) contre
89 de Bétique, parmi lesquelles 12 de Carteia, dans la baie d'Algésiras, 1 de Cordoue, 1 de Seville (Romula),
1 d'Italica près de Seville, 1 de Siarum on Searo entre Cadix et Seville, 1 de Laelia, non loin de Cadix, et
77 de Gadès (Cadix) dont la moitié environ d'ailleurs trouvée à Thamusida. Ce qui l'emporte — et de
loin — c'est donc l'Espagne atlantique. La Tingitane intérieure, par ses ports de Tanger et de Lixus s'ouvre
largement aux influences atlantiques. Ce sont les monnaies de Gadès qui pénètrent dans l'intérieur du
pays, d'ailleurs à une époque relativement ancienne, puisque toutes les monnaies de Gadès qui sont conser
véesau Musée L. Châtelain sans une seule exception, sont des monnaies à légende punique, émises, selon
Delgado, durant une longue période qui s'étend vraisemblablement du commencement de la deuxième
guerre punique à l'année 68 av. J.-C. où César fut questeur de Bétique (3). Il est curieux que nous n'ayons
pas une seule monnaie de Gadès à légende latine, postérieure donc à 68 av. J.-C, alors que les rapports
d'amitié entre la Tingitane et Gadès sont plus étroits que jamais à l'époque de Juba II, puisque ce rex
superbita omniumque praepotens « crut se rendre illustre » en acceptant le duumvirat de Gadès (4), comme
il accepta le duumvirat quinquennal de Carthagène qui émit à cette occasion une monnaie honorifique (5).
Il semble bien que, malgré ces marques d'amitié, les armateurs de Gadès aient été supplantés, de

(!) Pline l'Ancien, Hist. Nat., V, 3.


(2) G. Camps, Aux origines de la Berbérie : Monuments et rites funéraires protohistoriques, loc. cit., p. 569.
(3) D. Antonio Delgado, Nuevo método de classification de las medallas autónomas de España, II, Seville, 1873, pp. 75-77.
(4) Festus Avienus, Ora marítima, éd. Berthelot, Paris, 1934, vers 275-283. Cf ce que dit R. Thouvenot de Gadès (Essai
sur la province romaine de Bétique, Paris, 1940, pp. 244-5 « Elle était surtout en relation d'affaires avec la Maurétanie... et
fort préoccupée de nouer des liens d'amitié avec ses souverains. Si elle leur prodiguait les honneurs, soyons sûrs que ce fut
:

autant pour éviter des pilleries de leur part que pour en obtenir des privilèges commerciaux. Le doux Juba II se déclara fort
honoré de revêtir le duumvirat honoraire à Gadès. Or il avait installé dans les îlots Purpuraires, près de Mogador, des pêcher
iesde ce murex dont la pourpre était célèbre à Rome, et c'était la base d'où ses marins partaient pour explorer les Canaries.
Les Gaditans, qui fréquentaient aussi ces parages, avaient donc tout intérêt à entrer dans ses bonnes grâces ». C'est à tort,
croyons-nous, en ce qui concerne Gadès, que R. Thouvenot écrit (ibid. p. 244) « Les monnaies que Gadès et Carteia frap
paient encore au début de l'Empire ont largement circulé à travers ce pays de la côte océanique jusqu'à Banasa et Volubilis »,
:

puisque nous venons de voir qu'aucune monnaie de Gadès postérieure à 68 av. J.-C. n'a été trouvée au Maroc. Par contre
c'est exact en ce qui concerne Carteia.
(5) J. Mazard, Corpus Nummorum..., n° 397, p. 126.
118 J. MARION

l'époque de Bocchus à celle de la conquête romaine, par ceux de Lixus et surtout de Carteia et de Tanger
(*) : ce ne sont plus les monnaies de la fameuse cité hispanique qui pénètrent alors jusqu'à Banasa, Volub
iliset Thamusida, ce sont celles des ports maurétaniens atlantiques de la zone nord ou des ports du détroit.
Mais de toute façon, pendant deux siècles, c'est par des ports atlantiques étrangers, puis autochtones,
que passe le commerce maurétanien, ce n'est pas par des ports méditerranéens (2) et ce, malgré l'importance
du commerce avec l'Italie et le sud de la Gaule (importation notamment des céramiques campanienne et
aretine et de la sigillée gallo-romaine) (3).
Nos conclusions concernant l'ensemble du Maroc romain rejoignent ainsi celles que M. J.P. Morel
tire, pour Thamusida, des données de l'archéologie - et surtout de la numismatique : « Les produits du
monde romain parvinrent à Thamusida par l'intermédiaire des cités déjà profondément romanisées de
Bétique et de Maurétanie septentrionale ; ils y furent apportés par cabotage océanique. La partie orien
talede la Maurétanie et la Numidie n'eurent presque aucune part à ce trafic (4) ».
Le même auteur rappelle à ce sujet (5) que c'est aussi par l'intermédiaire de Gadès que quelques siè
cles plus tôt des vases grecs étaient parvenus au Maroc, et que l'important rôle d'intermédiaire entre l'Italie
et l'Afrique non romaine, que loi à joué dans le commerce méditerranéen après la chute de Carthage,
semble s'être limité à la future Césarienne sans déborder le moins du monde sur la future Tingitane (6).
Mais les confirmations de ce fait abondent. Une autre est apportée, nous l'avons dit, par l'absence
totale, dans la Tingitane intérieure, de monnaies de Tamuda. Cette ville maurétanienne très proche de
l'actuel Tétouan, donc dans la zone méditerranéenne du Maroc nord, a émis en grande quantité des petits
bronzes dont l'avers ressemble étonnamment à ceux émis par Shemesh sous le règne de Bocchus. De très
nombreux exemplaires en ont été trouvés à Lixus (7), mais — aussi surprenant que ce fait paraisse à pre
mière vue — pas un seul, nous l'avons déjà vu, n'a franchi l'oued Loukkos.
Dans le même ordre d'idées, M. Ponsich fait remarquer que Tamuda avait toujours été « totalement
isolée des autres villes de la province » et qu'il semble bien que l'exploitation des mines de plomb si nomb
reuses dans la région de Ceuta et de Tamuda « ait été limitée aux besoins des villes septentrionales de Maur
étanie tingitane » (8). Le plomb de Tamuda n'a pas plus pénétré dans l'intérieur de la province que ne
l'ont fait ses monnaies.
Ainsi donc tous les documents archéologiques se recoupent et se confirment l'un l'autre pour démont
rer qu'en dehors de l'extrême zone nord limitée par l'oued Loukkos — zone plus ibérique qu'africaine —
la Tingitane est décidément un pays atlantique et non méditerranéen.

Í1) La plupart des monnaies de Carteia du musée Louis Châtelain à Rabat sont à légende latine ; pour Tingi, sur 27 pièces,
nous en avons 10 à légende latine ou à effigie d'Auguste, d 'Agrippa ou de membres de la famille impériale, dont 3 trouvées à
Volubilis, 2 à Banasa et 1 à Thamusida. Pour Lixus, les monnaies à légende latine sont au nombre de 11 sur 51, dont 0 trou
vées à Volubilis, 6 à Banasa et 5 à Thamusida. On sait qu'au moment de la conquête romaine, Lixus fut détruite et aban
donnée pendant un certain temps (cf M. Tarradell, Nuevos datos sobre la ceramica preromana de barniz rojo, Hespéris-
Tamuda, t. I, 1960, fase. 2, p. 217).
(2) Alors que les ports du Maroc méditerranéen commercent entre eux. J. Mazard (ibid., η" 580, p. 177) signale, mais
sans en préciser le nombre, la découverte d'« exemplaires » de la monnaie de Rusaddir-Melilla dans les ruines de Tamuda.
(3) II est curieux de constater que la Gaule est extrêmement mal représentée dans le médaillier du musée Louis Châtelain,
qu'il s'agisse du 1er siècle av. J.-C. (1 monnaie de la Gaule celtique) et de la lrc moitié du 1er siècle ap. J.-C. (1 monnaie d'Aug
uste et d'Agrippa pour Nîmes, à Banasa, et pas un seul exemplaire des monnaies à l'autel de Lyon, pourtant émises en quant
itésconsidérables), ou du IIIe siècle (3 Postume, 1 Victorin, 8 Tétricus père, 2 Tétricus fils).
(4) J.P. Callu, etc., Thamusida I, loc. cit., p. 1 10.
(5) D'après F. Villard, Céramique grecque du Maroc, BAM, IV, pp. 17-19.
(6) Nous avons déjà signalé plus haut que pas une seule monnaie de loi ne figure dans le médaillier du musée L. Châtelain.
(7) Voir note 6, p. 116.
(8) M. Ponsich, Le trafic du plomb dans le détroit de Gibraltar, in Mélanges André Piganiol, Paris, 1966, t. III, pp. 1278-1279

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