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1. Pour une étude détaillée de ces quatre courants, cf. Le Héron (2016),
p. 127-137.
2. Voir chapitres 4 et 5.
verrons enfin si elle est compatible avec les politiques monétaires non
conventionnelles mises en place après la crise de 2007-2008.
3. Voir chapitres 8 et 9.
Inscrite dans tous les traités européens depuis celui de Maastricht (1992),
l’interdiction faite à la BCE et aux banques centrales nationales de la
zone euro de remplir ce rôle de prêteur en dernier ressort est l’expli-
cation principale de la crise des dettes souveraines en Europe en 2010 et
de la difficulté de l’Union européenne à retrouver une croissance suffi-
sante. Cette interdiction rend impossible le financement des déficits
publics par la création monétaire et enlève un canal essentiel de trans-
mission de la politique monétaire vers l’activité économique. La BCE
le constate aujourd’hui car les centaines de milliards de monnaie de
banque centrale qu’elle a créées par les différentes politiques de facilités
quantitatives (quantitative easing) ne se retrouvent pas dans l’éco-
nomie réelle. Contrairement au dogme monétariste défendu par Milton
Friedman (1968), l’augmentation de la monnaie de banque centrale
(base monétaire) n’a jamais automatiquement fait augmenter la masse
monétaire en circulation dans l’économie (mesurée par l’agrégat M3 6).
Financer les États nationaux ou un budget européen serait un moyen
extrêmement simple d’injecter cette monnaie de banque centrale direc-
tement dans l’économie réelle et de l’affecter à des projets qui seraient
validés socialement et démocratiquement.
développés depuis les années 1990, à la suite des travaux des nouveaux
classiques 7. Plus généralement, l’organisation de la banque centrale et
des banques selon les post-keynésiens est tout à fait différente de celle
caractérisant le modèle libéral qui s’est imposé depuis les années 1980.
Dans une démocratie, la politique monétaire doit être conduite par une
institution, la banque centrale, soumise au contrôle des citoyens. Si
la banque centrale peut disposer d’une autonomie instrumentale, ses
objectifs doivent être déterminés par le pouvoir démocratiquement élu et
son action doit être coordonnée avec les autres politiques économiques.
Le contrôle d’une partie du système bancaire permet, par ailleurs, de
renforcer les canaux de transmission de la politique économique, donc
de la politique monétaire. À cet effet, un circuit monétaire et financier
du Trésor, distinct du système concurrentiel des banques privées et des
marchés financiers, est un élément utile pour la régulation économique,
tourné vers l’action publique.
9. Voir chapitre 4.
10. Les nouveaux keynésiens ont intégré au modèle d’équilibre général avec
anticipations rationnelles des nouveaux classiques des hypothèses considérées
comme keynésiennes, telles les asymétries d’informations, une rigidité à court terme
des prix ou une concurrence imparfaite, aboutissant à des conclusions également
considérées comme keynésiennes, telle la présence d’un chômage involontaire, et
à la nécessaire intervention de l’État.
11. Le taux de refinancement est le taux que paient les banques pour obtenir
de la monnaie de banque centrale contre, par exemple, une créance représen-
tative d’un crédit. Un taux négatif correspond à une subvention de ce crédit par
la banque centrale.
12. Voir chapitre 10.
force avec les salariés qui leur est défavorable. En revanche, l’inflation
peut traduire un rapport de force concurrentiel favorable vis-à-vis
de la concurrence (monopole ou oligopole). Troisièmement, à partir de
l’hypothèse formulée par Keynes selon laquelle les anticipations sont
très largement autoréalisatrices, l’inflation peut provenir des anticipa-
tions d’inflation, comme chez les nouveaux keynésiens.
De ces différentes approches de l’inflation découlent tout naturel-
lement des orientations de politique monétaire distinctes. La politique
monétaire keynésienne est définie comme discrétionnaire, c’est-à-dire au
service d’objectifs de court terme. Suivant les conclusions de la courbe
de Phillips, elle procède à un arbitrage politique entre lutte contre le
chômage et lutte contre l’inflation.
En considérant l’inflation seulement comme un phénomène monétaire,
les monétaristes imposent une règle de long terme à la croissance de
la masse monétaire afin de ne pas perturber l’équilibre économique
réel de long terme. En expliquant l’inflation par les erreurs d’anticipa-
tions, les nouveaux classiques insistent sur la crédibilité nécessaire de
la politique monétaire, qui passe par une banque centrale indépendante
du pouvoir politique et respectant une règle compatible avec l’équilibre
potentiel de long terme de l’économie, que tous les agents connaissent
selon l’hypothèse des anticipations rationnelles.
Si les nouveaux keynésiens admettent ce cadre de la crédibilité des
nouveaux classiques, ils préfèrent insister sur la confiance 13 que doit
dégager la banque centrale, confiance qui passe par la reconnaissance
des souhaits des agents économiques, ce qui nécessite une certaine
flexibilité de la politique monétaire à court terme, et pas seulement le
respect d’une règle intangible de long terme. Ils parlent de discrétion
contrainte, discrétion dans le cadre de la flexibilité de court terme néces-
saire à l’obtention de la confiance, mais contrainte de long terme par le
respect de l’équilibre potentiel.
Les post-keynésiens se placent dans le cadre d’une contrainte discré-
tionnaire car, s’ils renouent totalement avec le court terme et la politique
monétaire conjoncturelle, nous avons vu qu’ils étaient réticents devant
une volatilité forte des taux d’intérêt. Il y a donc une relative contrainte de
stabilité à court terme, pouvant aller jusqu’à accepter l’idée de règle, mais
qui reste discrétionnaire étant donné la nature purement conventionnelle
16. Le levier d’endettement peut être mesuré par le ratio dette des entreprises / PIB.
17. La BCE procède toutes les semaines à des appels d’offres auprès des
banques pour les refinancer en leur fournissant de la monnaie de banque centrale.
L’échéance la plus fréquente est de huit jours et dépasse rarement trois mois en
situation normale. Ces appels d’offres peuvent être à taux fixe (adjudication en
volume) ou à taux variable (adjudication de taux d’intérêt). Dans les deux cas, le
taux de ces appels d’offres est le taux de refinancement auprès de la BCE le plus bas.
démarche permet d’abaisser les taux longs au moment où les taux courts
ont atteint une limite à la baisse.
Cette politique peut également passer (politique de twist de la Réserve
fédérale) par l’achat massif de titres publics à long terme (dix ans)
contre la vente de titres publics à court terme (trois mois) afin de faire
baisser les taux longs et monter les taux courts, pour ainsi rendre plus
horizontale la courbe des taux.
Ces cinq politiques monétaires non conventionnelles ont eu pour
but de relancer la production et l’inflation ainsi que de stopper la chute
du prix des actifs financiers. S’appuyant sur des taux d’intérêt stables à
0 % et sur des banques centrales très accommodantes, et renouant avec
les politiques sélectives du crédit, elles sont largement compatibles avec
la politique monétaire post-keynésienne. Toutefois, mener sur le long
terme ces politiques monétaires non conventionnelles dans l’environ-
nement très financiarisé des économies actuelles est de nature à aggraver
l’instabilité financière et à faciliter l’émergence de bulles spéculatives.
Conclusion
Références bibliographiques
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