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Kaprow

art de performanace / happening


lifelike art

Barbara Forrnis

Esthétiqu ·~
de la ·e ordinaire

LIGNES D ' ART


Sur le happening (dont Kaprow, l'un de ses pères). Fluxus et certain de ses "membres"
Ben Vautier, Brecht et Filliou entres autres.
.
.

Aborde comment t ces pratiques ont voulu brouiller, voire faire disparaître
toute démarcation entre art et vie. Suivant les idées de Dewey,
chacun tente de brouiller les pistes en empruntant des angles différents.

r Kaprow, un acte ordinaire (vie entre guillemets «vie»), performé consciemment


tant qu'art, même si l'institution artistique n'est pas mise au courant. serait,
damentalement tout de même de l'art, bien que non reconnue comme telle.
nomme d'ailleurs en ce sens 5 modalités (p.160) d'art qui s'étalone sur un spectre
plus conventionel et reconnu au plus confondu avec la vie ordinaire.

Pour Filliou, l'objectif est de démontrer que Bien fait = mal fait = non fait.
Ainsi, tout est art, même la non exécution. Idées près du bouddhisme zen
d'abandon du désir d'art et un lâcher prise. Il s'agit aussi pour lui de faire
"autre chose", comme d'abandonner toujours l'idée première. Sa démarche
s'apparente profondément à la pleine conscience.

Pour Ben Vautier, fortement inspiré par DUchamps dont il veut pousser les conclusions
encore plus loin, tout est art, suffit de le signer. Ainsi, il s'approprie jusqu'aux gestes
quotidiens et les "vend", tournant en dérision la marchandisation de l'art,
cette appropriation de l'art (et de la vie) par le marché de l'art.

ISBN 978-2-13-058431-5
Dépôt légal - 1re édition: 2010, octobre
© Presses Universitaires de France, 2010
6, avenue Reille, 75014 Paris
ESTHÉTIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE
représentation. Or, ~e fo~posées ces h>:Po~èses, voilà l.aquestion
faut maintenant traiter: s1 une telle operauon est possible en .qll'il ~\ors des jungles, des rues bondées , des alléesjonchéesde détritus, des
. d' .
c
l'em êchement de la 1ormauon une llllage et par l' espacement dl>e1n tir..
ltire "'li ~,rc~~c~ de rêves de science-fiction , des antichambresde la folieet des greniers
p . ell . d 1 . es tr ~ e5p\',espritencombrés de tout un bric -à-brac 1•
la toile cette imprésentauon peut- e sorttr e a pemture Par la . acll I Je
, s·l ,. ' c .
du corps vivanten acte ? 1 e geste res1ste a sa trans1ormat1on en .
l>tese Sti,
lltati
. , l. d llliage llii Cette« matière étran~ère » n'est rien d'~ut~eque le no.n-art,ou plus généra-
est-il de sa présencedansuncorps qw opere sans aisser e traces ni . : %'""
ater1c11,,, t la vie, avec ce qu elle a de plus ordmrure et en memetempsde surpre-
es?
!et1'1'11
On comprend ainsi que l'évolution, allant de l'incrustationde l'ordinaire
1
111' rort à \'indiscernabilité entre l'art et la vie, soit, en un sens, consubsran-
111
inséparable
J~115 . l'histoire de l'art. À l'int érieur de ce parcours, l'actionpaintinga été une
CE QUI SE PASSE... elleti
tÎ c fondamentale puisqu'il a permis l'élargissement allant du tableauà peinture gestuelle
KAPROW LEHAPPENING,
OU L'ARTSEMBLABLE A LA VIE étllP,3cc environnant . Encore une fois, ce sont les mots de Kaprowquis'avèrent
Pollock
resP .
éel:1irants
.
pratique
La praxisesthétique comme œuvre intérieure à l'artiste est le dornaincd Lechoix de Pollock de toiles énormes a été faitdansdesbutsdifférenrs: capiral
l'indiscemabilité. Elle est cette troisième voie, infime mais réelle, entre l'exilé~ pour notre discussion est le fait que ses peinrures à l'échelle
muraleonr cessé
rience esthétique et l'expérience ordinaire. Elle est ce qui rend ces deux d'être des peintures, mais sont devenuesdes environnements . [...] Nouspou-
expériences entièrement indiscernables, mais non pas identiques . CettepraxiJ ,•ons nous perdre dans cette toile d'araignéejusqu'à un certainpoint, er,par le
ayant l'agent du geste comme fin, s'ouvre à des sujets qui ne sont Pa; fait d'entrer et de sortir de cet écheveaude ligneset d'éclaboussures, on peut
reconnus comme artistes (les spectateurs devenus participants , par exemple ) .:xpérimenter une sorte d'extensionspatiale2 .
et cherche une efficacité dans le monde des actions de la vie. Bien que cette
ouverture puisse sembler dangereuse pour l'autonomie de l'art , elle est en L'effacement des limites de la peinture et du cadredu tableaudansl'action
réalité la conséquence la plus logique des développements des avant-gardes paintin
g engendr e une transformation de l'espaceartistiqueoù lesspectateurs
du x:xcsiècle. Allan Kaprow l'exprime clairement dans une réflexion autour viennentdésormais participer activementà la viede l'œuvre.L'«héritage»de
du cubisme et des papiers collés: Pollock invite don c à se positionnercommelefaisaitPollocklui-même:dansla
peinture. Et cela au risque d' « abandonnercomplètement la pratiquede la
Par le délabrement(breakdown)des harmoniesclassiques qui a suivi l'introduc- peinture, (. .. ] le simple rectangleplatou ovalecd quenousle connaissons3 ».
tion de juxtapositions «irrationnelles» ou non harmoniques, les cubistesont
On passerait aisément de la toileà l'espace, puisque«Pollock,commeje le vois
tacitementouvert un cheminvers l'infini.Une fois la matière étrangère intro-
duite en peinturesous formede papier, ce n'était plus qu'une question de temps
1. Allan Kaprow, Assemblage , EnvironmentsandHapp enings.\Y/it
h selection of
pour que tout ce qui est étranger à la peinture et au canevas, y compris l'espace scenariosby 9 Japaneseof the G11toi Jean-Jacques
gro11p, Lebel, WolfVosteU , George
réel, soit autorisé à pénétrer l'acte créatif. Les morceauxde papier gondolé, Brecht, etc. New York: H.N. Abrams, 1966,p. 165.Je traduiset souligne.
Toutesles
dépassant de la toile, disparurent de la surfacepour exister par eux-mêmes, citations tirées de cet ouvragesontdestradu
ctionsoriginales.
2. Allan Kaprow, « L'héritage deJacksonPoUock», L'Art et la vie co11/011d11s
,
prirent de la consistanceà mesure qu'ilsse déployèrent sur d'autres matériaux,
op.cit., p. 36-37.
allant jusqu'à s'en dégagerpour gagner la pièce et la remplirentièrement.Sur- 3. Ibid., p. 38.

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ESTH~TIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE

.
_ conunue Kaprow, nous a laissés au point . où nous devons ·•01.1s
" ,
9
rendue légitime. Foncièrement discontinu, désynchronisé, chao-
A Atreéblouis, par l'espace et les obJets de notre vie quo . . I>~
et meme e 1 ., ù I' .t tid1eii clt~P. suivant pourtant des règles, le happening mène jusqu'au bout les
. corps nos vêtements, es p1eceso on vtt ». Enun nt,
soientnos I ,A 1 A sens ~ O ~ · ~,elSenvisagées par le ready-made et le collage. Enincorporantle contexte
. mplissent par rapport au theatre e meme type d' , lesb ,
performancenmgsacco . , , d' I' opé qbt. ~ialitéS dans le vécu esthétique, il viseà produire desexpériencesquisonten
. pai·nh'ng fait subir à la pemture, c est-a-
l'actton . 1re ouvrir à I' ratjr,..'l't .
CSJ>ac v,1 o,, ntinuité avec la vie tout en étant pleinementlégitimesdansun dis
..,iStiqoe -
issantl'œuvre au corps et au geste. La pratique des happenings e, eii~~"t
g ell l'action
. pamttng, estcar ~
. . et aUssi r-."'sorl'art, Le primat ~u' a~c~rdent 1es hap~enmgs
" :,f~itCCO . d'
. a' lanon?n ',
. cx~cnce
par la même spontanéité corpor e que acitri
,; '°""a contre l'idée del ordinau:e comme obJet- est une opcranonqwreste
. de l'art, 1e pr1mat
désintérêt vis-à-vis . etant
, donne, a' 1a vie.
. Les haun.Ili~""
Pat
,. '' ~einent cohérente avec la pratique du ready-made,
rfllll
commele montrentces
commel'action painting,montrent la présence d'un certain chaos d/Pe,,;,,b P' de Duchamp :
• • ' llr,e • 111otS
chie quicherche, au moyen de son expression vivante, une fonne ad·~.
Une forme
quiserait celled'uneréalité « en constante métamorphose2/quatt. PopAn, Assetn·
CeNéo·Dada qui se nomme maintenantle NouveauRéalisme,
Un happening est l'art de cequi se passe.Dans un happening, «il n' blage,etc. est une distraction à bon marchéqui vit de cc que Dadaa fait.
, • • • Ya 1,orsquej'ai découvert les ready-mades, j'espéraisdécouragerle carnaval
aucunelimitethéorique apparente par rapport a ce qw pourrait etre utilisél ~·
tout pourraitse passer(happen). Comme la praxisde Pollock, les happeningsn; d'esthétisme.Mais les néo-dadaïstesutilisentles readymadcs pourleurdécou-
vrirune valeur esthétique. Je leur ai jeté le porte·boutcillcs
et l'urinoirà latête
sont donc pas de simplesexpériences empiriques, des sortes de matte,offact,
commeune provocation et voilàqu'ilsen admirentlabeautéesthétique 1•
objectifs,maisils sont, au contraire,foncièrement liés à la perception subjective
et à l'activitédes participantsqui les font vibrer et qui les nourrissent deleur
Avec une virulence inhabituelle, Duchampcritiquel'approche«objecti-
désirs,de leurspersonnalités,de leur rêves, de leur inconscient. Commel'action
viste»du ready-made . Cette approche n'est pas,à sesyeux,tout simplement
painting,les happeningsrestentdes pratiques profondément aléatoireset jamais
blâmable, mais elle est aussi passéiste,danslamesureoùelleressuscite
le critère
maîtrisées.Kaprowle dit clairement: « Ce que cela signifie, c'est quel' artistea
de beauté esthétique en se concentrantsur les qualitésformellesdes objets
besoin de ne pas être seul en charge d'un e action créative 4 • » En effet,les
trouvés.Al'inverse, les happeningsreçoiventl'approbationde Duchamp:
spectateurs, les objets et les éléments naturels sont à considérer commedes
élémentsaléatoires,des «variables» qui peuvent modifier la vie de I'œuvreet
Les happenings me plaisent beaucoupparceque c'est qudque chosequi
avoir un impact sur elle, et donc sur l'expérience esthétique. Comme pour s'oppose carrément au tableaudu chevalet.[...] Leshappenings ont introduit
l'actionpainting,intervienticile produit fréquent des variables : l'accident. dans l'art un élémentque personnen'yavaitmis:c'est l'ennui.Faireunechose
Cet aspect entièrementimprévisible relie le happening au régime artistique pour que les gens s'ennuientenlaregardant
, je n'y avaisjamaispensé.Et c'est
de l'éphémère et le sépare de la tradition conventionnelle qui identifie une dommageparce que c'estunetrèsbelleidée.C'estlamêmeidée, au fond,que
œuvre d'art à un objet. Ce point établit aussi clairement le parti que prend le silence de John Cageenmusique;personne n'avait penséà cela. [...] l'intro-
Kaprow vis-à-visde la place de l'ordinaire dans l'art, place que la pratique de
1. Lettre de MarcelDuchamp à HansRichterdu 10 novembre1962,citéepar
1. Ibid., p. 38-39. . . Hans Richter Dada art et anti-artBruxelles:Éditionsde la Connaissance, 1963,
2. AllanKaprow,dansAssemblage,
Environments
andHappenings,op. at., p. 169. p. 196. Dans iaverslonoriginale
, on'trouve« ready-made
» écritavecun ~raitd'union
3. Ibid.,p. 162. la premièrefoiset sanslaseconde
fois;Duchamp sembleconstamment oscillerentreles
4. Ibid., p. 172. deuxoptions.

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ESTH~TIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE

duction des idées nouvellesn'est valable que dans les happening


J.,epropos de Kaprow est limpide. Si l'on peut considérerdes gesteset des
tableau,on ne peut pas faired'ennui. On y arriverait évidemmen/'l)~' llii
tf9Ilchesd'existence» comme des ready-mades, ce n'est pas pour en fairedes ???
plusfaciledansle côtésemi-théâtral
1. ' Illatst'tii
~ vrcsd'art, mais plutôt pour les « rendre esthétiques»,car le contextede Esthétique?
~~ peut être intériorisé et se passer du déplacementphysique.Voicirésolu,
L'aspect «semi-théâtral» des happenings permet finalement de gard 1 inoinspartiellement, le problème de la théoriecontextualiste,laquelleasso·
dispositifscénique (bien que parfois uniquement mental, comme cr~~ 11
011 d·elelieu physique au pouvoir symboliquede l'an: au lieud'évacuercomplè-
pour le cas des activities), afin de mettre en scène l'ordinaire tout . verra
5 ~einent la question du contexte, les happenings l'intériorisent.Le contexte
cette « très belle» idée que Duchamp associe à l' «ennui» et aux expé~P~.
s'identifieainsi à une attitude mentale. La démarchede Duchampsertainsià
tarions de John Cage.Le lien entre la pratique duchampienne et la p~~·
• , • SltlOr) rendrepossible une esthétique dans une« zone intermédiaire» entrel'art et la
de Kaprow est tellement solide que 1on pourrait affirmer, sans faire
. · viennent
· vie,une zone que l'on peut associer à l'indiscemabilitéesthétiqueentre les
contresens, que 1es gestes or dmaires o ff'tete
· llement intégrerde
I pratiquesanistiques et les tranches d'existenceordinaire.
monde de l'art en tant que gestes ready-mades. Telle est la légitimitéd c
. es Balayerle sol, marcher ou tout simplementrespirerdeviennentainsides
happemngs:
pratiquesesthétiques à pan entière. On peut penser,pourlepremierexemple,
àDeadEnd, un environnement de 1957-1958et refaitauStudioMorra àNaples
Une équationdansle stylede Duchamppeut être ainsi formulée:le non·an
peut être pourl'artisteun art, commel'ART-artpeut être pour le profanedela en1992,où les participants sont invitésà balayerle sol.Suivantlapenséezen,
merde.[...] Sonexemplede la sorte autorisal'utilisationd'une zoneintenné. particulièrementprisée par les artistesaméricains de l'époque,respirerestaussi
diaireentrelesreliquatsde la notiond'art et lesfaits de l'existence.À partirde un geste que Kaprow exploite, commedansFreshAir(Airfrais,19571) repris
ces prémisses,je pouvaismeservirde ses principescommed'un tremplinsans en 1986au musée am Ostwall, à Dortmund,maisaussidansun «sketchpour
être d'aucunefaçontributairede la spécificitéde ses actes.Par exemple,siun une éventuelle pièce sur la respiration2 ». Il s'agit,par l'intégration de l'orcli·
qudconqueobjetnon artistiqueentrearbitrairementdans le champde l'art,il nairedans l'expérience, de mettreen placeunestratégie scénique de I'imprésen-
peut alorsen être de mêmepour une tranched'existence:commeun urinoir tation, c'est-à-dire une mise en scène qui effaced'elle-mêmesa propre
peut être une sculpture,une campagnepolitiquepeut être un happening. Sim. apparenceet qui se différencieexplicitement delathéâtralité conventionnelle.
plement,si le fait de retirerun urinoird'une vespasiennepour le placerdans Car,pour Kaprow, la« performancethéâtrale»ou«an-performance» (perfor-
une galeried'art ou dans un contexteartistiqueest le moyen de le rendre mingart) adopte « non seulementla fonnede piècesde théâtre,maisaussila performance théâtrale
esthétique,alors,quiconquea la possibilitéd'intérioriserce contexteartistique, forme de cérémoniesde mariage,de coursesde stock-cars, de matchsde foot· vs performance non
en l'instituantcommecadrede référenceadéquat(une banquede la NOTION ball,de cascadesaériennes,de défdés,d'émissions télévisées, d'enseignementsthéatrale
d'art), peut appliquerce conceptà absolumentn'importequoi sansavoirprati· scolaireset de campagnespolitiques[...] [alorsque]la performance non théâ-
quementbesoinde le transporter dansunegaleried'artou de lefairefigurerdam
2
un magazineartistique •
1. Voir7 Environmentr d'AllanKaprow,Fondaiione Mudina, Milan,1992(autres
auteurs:PierreRestany, Achille
BonitoOliva.Jeff
Kelleyet DieterDaniels).
Lelieuet la
1. MarcelDuchamp,in Entretiens avecPime Cabanne,op. dt., p. 122-123.Je datede cettepremière versionnesontpasprécisés,
ils'agitpeut-être
del'HanraGallery
souligne. ou de la SmolinGalleryouplusprobablementdela]udson dontKaprowa été
Gallery,
2. Allan Kaprow,«L'utilitéd'un passédétenniné»,in MarcelDuchamp,L'Arc, le directeuren 1961.
n° 59, op.al., p. 68.Je souligne. 2. AllanKaprow, op.cit.,p. 233.
L'Artetlavieconfondus,

158 159
ESTH'ÉTIQUE DE LA VIE ORDINAIRE LE PARIDU GESTE

traie ne commence pas par une envdoppe contenant un acte (I•·


·s ceIa Peut être de l'art' aussi; par ex. système d'anafvc,,t
,~. rava1
I
un public (des gens affectés par l'imaginaire) 1». 'Itiagi11
ai ,,eltf
"e {i
OI ' l
hetto , auto-stop, reflex1on,etc..
' ' 'al d q . 1dans un g
Contre tout usage ceremom u geste et contre tout cf~ t~)
~ $o''~ •
. ) 1 l
uonne , e 1appemng
. , b . d' 1
na pas esom «enve oppe» , puisqu'il r.~,
Ct tep .
5 de comprendre plus précisément cequ'apporte chacune de ces
dehors d'un lieu prédisposé au regard. Si le théâtre appa rtient à adv,cri,a
I odalités au rapport d''md'1scernabilite' entre I'art et 1
~s ayon · La prcmierc
a vie. ··
1er modalité
tivité et à la représentation, le happening
appartient à la vie et à ,;.Pcrforiii
~ . q Ill
1111p• •· 0 :dalité relève d 'une dimension classique, que Kaprow appelleaussiI'«Art · pas indiscernabilité
tion.Il se distingue ainsi du performatif , car sa légitimité ne réside 'ere%
.
fil » ou « l'art semblabl e à l'art» (art-like-art 2), et qui ne toucheaucunement vie et art séparés
l'aptitude ou dans l'autorité de la personne accomplissant les geste/~~dan
, ~'.'.
,...rapport d'indiscernabilité , puisque les deux domainessont entierement
une expérienceau sens strict du terme, c'est-à-dire un phénomène du :~ 1t séparés.La deuxième modalité ne conduit pas à unevéritableindiscemabilité,
partiellementpartageable mais globalement éph émère, dont la valeur/t\J , maisuniquement à une sorte d'échange bénéfiqueentreles espacesartistiques 2e modalité:
tique n'existe parfois que dans la prise de conscience de l'agent du ttis. institutionnelset la vie ordinaire. On peut rapprochercettedeuxièmeoption pas vraie
Kaprow l'expnme · c1a1rement
· 1orsqu •·11 d'1v1s
· e l 'act1v1te
· · ' artistique engeste
. ·
CIO
de cc que Nicolas Bourriaud appelle !'«esthétiquerelationnelle 3 ». La troi- indiscernabilité
modalités: q sièmemodalité - que Kaprow relie directementà l'idée duchampiennede mais échange
réciprocité- met en place l'indiscernabilité, carelleentamelechemin allantde
1. Travaillerà l'intérieurde modesd'art reconnus et présenter l'œuvre dansdes ,d'art pour l'art» à la vie ordinaire et brouillede ce faitladifférencede valeur
contextesd'art reconnus; par ex. : peintures dans des galeries, poésie dansdes et de fonction entre les objets ordinaireset les œuvresd'an. La quatrième 3e modalité:
livres de poésie, musiquedansdessallesde concert, etc. 01odalité poursuit ce chemin en explicitantla conditioncorollaire dont l'an Duchamps
2. Travailler dans des modes non reconnus, par exemple le non-art,maispré. serait indissociable, c'est-à-dire la mise au courantdu mondede l'art. Cette réciprocité
semer l'œuvredans des contextesd'art reconnus; par exemple une pizzeri a modalité,tout en rendant public le déroulementdel'action,ne revendiquepas indiscernabilité
dansune galerie,un annuairevenducommede la poésie, etc. un statut artistique: elle expose cette actionen deslieuxconventionn ellement
3. Travailler sous des modes reconnus d'art, mais présenter le travaildansdes considérés comme extérieurs au circuitinstitutionnel. En ce sens,l'éclateme nt
contextesnon-art; par ex. un « Rembrandt comme table à repasser», une des limites entre l'art et la vieest engagé,maislemondede l'an demeure intact
4e modalité
fuguedans une gained'air conditionné,un sonnet comme une petite annonce , et peut en l'occurrence continuer à appliquerson autoritésur les pratiques
lire texte
etc. gestuelles nécessitant une reconnaissance symbolique de sa pan. La cinquième
4. Travailler selondes modes non-art, mais présenter le travail commede l'art modalité est la seule qui exploitepleinement l'indiscemabilité au risquemême
dans des contextesnon-art; par ex. testsde perception dans un laboratoirede d'instaurer la disparition de l'art. Cettemodalitéest indiquée par Kaprow
psychologie, travauxde terrassem ent contrel'érosion des collines, réparation comme étant la plus proche~ des performances non théâtralestellesque le
d'une machineà écrire,ramassagedes ordures, etc. (à condition que le monde
artistique soit au courant). 1. Ibid., p. 210-211.Jesouligne.
5. Travailler sous des modes non-artet dans des contextes non-art, mais 2. Voir à ce propos«La véritable expérimentation» (1983), L'Art et la vie
cesser d'appeler l'œuvre de l'art, ne gardant à la place que la conscience, confondus,op. cit., p. 238.
3. NicolasBourriaud , Esthétique Paris:LesPressesdu Réd, 2001.
relatio11nelle,
4. VoirAllanKaprow , L'Arl etlavieconfondus, op.cit., p.211 : «La performance,
1. AllanKaprow,« La performance
non théâtrale»(1976), dans L'Art et la vie au sens non théâtraldontje suis entrainde parler,tournede très prèsautourde la
confondus, op. ct't., p. 208. cinquième possibilité , maisnéanmoins la discipline
intellectuell
e que celaimpliqueet

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ESTH'ÉTlQUE DE LA VIE ORDINAIRE LE PARI DU GESTE

happening,car elle touche à« l'art semblable à la vie» (/i/elikeart 1). le cetteperspective,l'on comprendlesraisons quipoussent
K
i.,,flJlt 'f , ,E . aprow
de mimesisque Kaprow relève entre l'art et la vie ne suit donc Pas ra~llii Sll licitement re erence
. e eJ<P · .
a. rvmgGoffman• auteurde LaMisee11scene
·
'd . ,. , . ll . 1 unes· ~
proce ure munenque ou representau onne e, mats p ace l'imitatio 'tri~~ ~ f~1' vieq11otidienne,mais aussidesCadres
del'expérience1 :
vécu même de l'expérience. On ne saurait plus distinguer une expéri; dans le Je/d
naire d'une expérienceartistique car toutes deux peuvent être vécue:cc0 r1Ji
. routines de
J_,t:S la vie de famille, de travail, d'éducation et de la gestion des
quement. esth~ti.
Jfoiresquotidiennes du fait de leur banalitéet de leurmanquedebutexprernf
Dans son ultime mélange avec la vie ordinaire, la spécificité de l' ,o11scienl ne semblent pas être des formes d'art, mais possèden t néanmoins un
sauvegardée uniquement par deux critères de survivance: la reconna:tt est cllfactère distinctif de performance. Seuls les performeurs n'en sont pas
symbol iquede la part du monde de l'art (quatrième modalité) et la conssanc e conscients généralement. (. ..] Chaque matinquandon selavelesdents, on ne
de la personne accomplissantle geste (cinquième modalité). Le premier c:~:c
e se dit pas : « Maintenant, je fais une performance .» MaisGoffmanmet des
qume,· certes, le contexte phys1que
· de l'art, mais · il en conserve l'autorité tere guillemets aux routines ordinaires en les prenantpourobjc1sdesonanalyse2 .
., . syll)
.
bolique, tandis que le second cntere quitte ce contexte, tantôt physiqucrnc
tantot• symbo1·1quement.Il n'y aurait
· plus de contexte et demeurerait seulcrncnt,
n Goffman fournit à Kaprow une piste féconde: peut-on, comme l'a fait le
le sujet accomplissantle geste.Par les thèmes et les matériaux choisis, le happe'. sociologue, mettr e des guillemets à la vie ordinaireet vivre pleinement cette
ning se distinguede toute forme d'art, même d'u ne synthèse disciplinaire des e)(périence en la considérant, cette fois-ci, commeuneexpérience esthétique?
arts ; le temps et l'espace sont variables et l'exécution vise à produire une Lesguillemets imaginaires, mieux métaphoriqu es,quelavieamaitainsiacquis,
expérience, non pas une forme esthétique visuellement perceptible. Cesdeux apportent à l'expérie nce un résidu de consciencequi perm,et aux agentsdu
critères de survivanceindiquent que le happening, bien qu'explicitementnon geste de sortir de leur état ordinaire d'inattentionpour atteindreun niveau
théâtral, garde tout de même une certaineforme de mise en scène, ne serait-cc d'expérience esthétique. La «vie semblable à l'art» permet:de comprendre
qu'au niveau du cadrage de l'attention personnelle.En dirigeant l'attention de qu'il y a ainsi « la vie et la "vie"», la premièreétantlavie ordinaire,la seconde
étant la vie ord inaire vécue « consciemment 3 ». C'est donc dans la prise de
l'agent sur ses propres gestes, le happening vise à éveiller sa conscience.Par
l'intégration de la mise en scène, tout se passe comme si le dispositif théâtral
lui-même était physiquement effacé, mais conservé du point de vue de la 1. Erving Goffman, La Mireen scènede laviequotidien ne: l. LaPrése11tatio11
de
soi,Paris: Minuit, 1987, trad. del'anglaispar AlainAccardo, cop.1973.2. LerRelatiom
conscience. Le happening est une performance non théâtrale car il son du en public, trad. de l'anglaispar Alain Kihm , Paris:Minuit,19910, cop. 1973 (Tbe
théâtre, mais il reste une expérienceen un sens scénique, qui n'est donc jamais Presenlation of Self in EverydayLi/e,NewYork:Doub ledayAnchor , 1959et Londres:
anti-théâtrale: sa théâtralité consisteen un «encadrement» de'!' expérience. Allen Lane, 1969. Relatiomin Public:Micr ostudies of tbe PublicOrder,NewYork:
BasicBooks, 1971 et Londres:AllenLane,1971.Republiésen 19190,Londres;New
C'est peut-être à cet aspect que pensait Duchamp lorsqu'il caractérisait, nous York: PenguinBooks). Voir aussi Les Cadres del'expé rience,trad.d'IsaacJosephavec
l'avons vu, le happeningpar son« côté semi-théâtral». MichelDartevelle et PascaleJoseph, Paris:Minuit , 1991 (Fram e Ar.ral
ysis:An Essay011
tbe Organizatio11 of Experie11ce, NewYork:Harper andRow,1974, Harmondsworth:
Penguin,1975 et Boston:Northeaste m University Press,1986). façonsdeparler, trad.
l'indifférence à la reconnaissancepar le monde de l'art qui en résultesuggèrent quela de l'anglais par AlainKihm , Paris: Minuit, 1987 (Formsof Talk, Philadelphia:
personneengagéedans ce processusconsidérerait l'art moinscommeune profession Universityof PennsylvaniaPress,1981etOxford:OxfordUniversity Press,1981).
que commeune métaphore.» 2. AllanKaprow , « Laparticipation dans la performance» (1977),L'Art et la vie
1. AllanKaprow,« La véritableexpérimentation» (1983), L'Arl el la vie confondus, confondus, op. cil., p. 221.Jesouligne.
op. cit., p. 238 sq. 3. AllanKaprow , «Performerlavie»(1979),ibid., p. 231.

162 163
ESTH~TIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE
conscienceque consistele résidu scénique des happenings et d
poséspar Kaprow.L'effacementdu lieu physique nommé « th~- aci;tJi Urun geste ordinaire a.vecune attentionparticulière ainsi
, signifierait
1~
. d 1 , ., d . Câtre.. ! llt
pas 1e pouvoir e a «scene» en tant que maruere e vivre et d' "n• fi. ,"°111~
l'llrt tout en ayant la viecomme finalitéultime, dansla
et doncrester
monde.Un gesteartistiqueserait un geste ordinaire présenté d al>etccvS f~~ 0'tl de l'ordinaire.Un tel processusparaîtclairdansl'exemple
proposé
, . mvtst
scen1que , . doit. en ef'lret se faire trans
. . 'ble. La representat1on Oit,"l
ansIl"·•es"- -''"iaprow,
quiestdirectement
inspiré
desrecherches
deGoffman,
comme
. , ' ll d . . , 'Pare,,,"•rs.
pouvoiroperer en tant que scene: e e ev1ent tmpresentation. A. r ~"' P°'\,11
vu:
compte,l'intégration,quoiqueen effacement, de la procédure re ~ bo11 1...
1 oJ1
. . . . 1, ffi . , d A Pres.... Il~
Je seraisseul dans ma salle de bains,sansspectateurs quiviendraient voirde
nelle classtquemamttenttouiours e 1cac1te e cette meme représ '•1tati0ri
ne voit pas la toilemaisce qui est peint dessus, on ne voit pas le e~tation: ~ l'art,ll n'y aurait pas de galerie,pasde critiquepourjuger,pasdepublicité. Ce
l acuon qui s y Joue. S'1, contrairement
i • • 1 • • h 'f p ateau
au t eatre, 10ndé sur la
IA
l'llaïa
futlechangementcrucialqui a écartélaperformance dans laviequotidiennede
, . 1 h . , . el d' . narrar tout,exceptéde la mémoiredel'art. [...] Enmebrossant lesdentsattentivement
d acttons, e appemng ne representerien, c a ne unmue pas pour a ton pendantdeuxsemaines,je suisdevenupeuà peuconscient delatensionexistant
force scénique.Ainsi,le happening n'abandonne pas complèterne::~1sa dansmon coude et dans mes doigts(était-cecommecela de la
auparavant?),
1
commeil n'abandonnepas complètementle théâtre; il demeure,corn att,
reconnaîtbien Kaprowlui-même,dans l' « alternativefuyante» du «pas le
/ait art»et du« pastoutàfait vie1 ».
:e
111
d
pressionde ma brosse à dentssur mesgencives,
(devrais-je
d'unsaignement sansgravité
voirun dentiste?).Unefois,j'ailevélesyeuxet j'aivu,réellement
monvisagedansle miroir1.
vu,

Ce que ce type de pratiquegestuelledonne à la vie est très peu et bt>


coup à la fois: une inftmeprisede conscience.De quelle prise de conscie au. Profondément proprioceptive,cette activitén'écartepas totalementle
, . il., K , d . , h . d 1 . d
d agit· r aprowsuggere: u pouvoirmetap onque e a vie, 'un résidud nce regardet l'observation,maisellelesintériorise, l'agentfinissantparavoirune
visibilitéde ce qu'il appelleun« presque-art2 ». C'est sur ce point quegît/ expérienceépiphaniqueau traversde sonimage.«Enquoicelarelève+ilde
minorité:le happeningdemeuredansl'infime,dans le détail, dans la multipll~ l'art?» se demande Kaprow; la réponseest aussijustequeparadoxale:
cité des actionset desgestespour ouvrirl'art aux aléassouventnon remarqués «cela relève de l'art parce que les développements mêmesdu modernisme
de la vie.Cetteminoritédestitueégalementl'autoritéde l'acteur du happenin ont conduit à la dissolutionde l'art dansses sourcesde vie2 ». Le moder·
(qu'il soit reconnuen tant qu'artisteou pas).Car la performancenon théâtrai! nisme- ouvrant les portes à son propredépassement à l'aidedu rapport
engageraitune personnequi « considéreraitl'art moins comme une profession direct qu'il établit avecl'ordinaire- permetau postmodernisme de lui être
fidèleuniquement quand il le dépassera à sontour.Ceparadoxeindiquele
que comme une métaphore3 ». L'idée de métaphore résume pour Kaprow
noyau du problème de l'indiscemabilité entrel'art et le non-art,dans la
l'attention subjective: «la vie ordinaireperforméecomme de l'art/non-an
4 mesure où le rapport d'indiscernabilité est entenducommele dépassement
peut chargerle quotidiend'un pouvoirmétaphorique ». Mettre la vieordi.
de l'art lui-même.Et puisquele non-artest souventidentifiéà la vie ordi-
naire entre guillemetsselon une prise de consciencesubjective, et donc
naire,l'indiscernabilité
entrel'artetlavien'estplusun dangerpourl'identité
du monde de l'art contemporain, maisbienune de ses conditionsd'exis·
op. cit., p. 113. Les italiques sontde
1. Allan Kaprow,L'Art et la vie confondus,
Kaprow. tence.
2. Ibid.,p. 211.
3. Ibid. 1. Ibid.,p. 261.
4. Ibid. (« Un art qui ne peut pas être de l'art» (1986),p. 286.) 2. Ibid.Je souligne.

164 165
ESTHJ!TIQUEDE LA VIE ORDINAIRE
LE PARIDUGESTE

Mais est-cc que la conscience subjective serait en mesure d


niJisteni structurellement sociologique,l'étude de l'expériencemet en
critère de différenciationfort entre l'art et la vie ordinaire? Lae ~01ltriit 1
1.1unprojetambitieux et poursuit un objectiffoncièrement
11~ humaniste.
négative.Si d'un côté Kaprowsemble bien considérer - à la suiteder~on~'!ri
C\o~,1P~~on la perspective pragmatiste, l'expérienceesthétique,commel'expé·
consciencecommeun critère suffisantpour différencier uneexpérj
tique d'une expérienceordinaire, il n'estime pas que ce critère soiCticc a,
1
. cc nrtistique, est ainsi « une expérience» ayant une cohérenceinterne,
pour distinguerle domaine de l'art en général de celui de la vie ord. s~rr1$aiq
~ laisse un souvenir dans l'esprit et dont l'accomplissement unitaire
d'une certaine satisfaction(ce que Dewey
consciencene fonctionneici que de manièreclinique, au cas par cas,eU~aire. ~ ~~ceompagne nornme/u/fillment).
~ suivantcette idée, les propriétés qui permettentde différencier un geste
jamaisfournirun remèdeontologiqueet généralisé face au péril de la :~ ~
bll11alement ordinaire d'un geste esthétiquene sont doncplusdu côtéde la
tion. Elle demeuredans la minoritéet ne va pas faire le pas complérnISp~n.
1
ee}lnique artistique utilisée, mais du côté de l'expérience vécue.Lecritère
propre au discoursclassiquede la supplémentarité de l'art. Kaprowanentairc
essentiel tient dans la capacité à isolerune expérienceparmid'autres.L'uni-
l'expériencesubjectivecommecritère de différenciationspécifiqueentr:on~ citéde l'expérience s'obtient moyennantl'isolementd'uneunitéparticulière,
expérienceet une autre,sanspour autant indiquer dans ce critèrelui-mêrn une eJltant que moment différent faisant partie d'un cyclede plusieurs expé·
~
frontièregénéraleentre l'art et la vie. Car, au fond, il ne s'agit plus d'indiqe dencesdiversifiées,qui ne sont ni unifiablesen uneseule,ni vraimentdisso·
" mats
Ia fronuere, · p1utot.
• 1e terrain,
· :ommun entre l'art et l~ VI~, · cet _espaceUer
de ciablesentre elles. On ne peut avoirl'expérienced'un«bon»repasque par
partageque le pragmatismeesthettque,et Dewey en parttcuher, designePa rapportà d'autres innombrablesrepas(«médiocres», «mauvais» ou «ordi·
l'idéede« continuité». t
0 aires»), lesquels doivent pouvoir, à leur tour,se définir par des caractères
L'influencede la penséede Deweysur Kaprow est considérableet son égalementesthétiques, bien que peut-êtreinsatisfaisants. Cettedifférenciation
éclaircissement s'avèreessentielpour comprendrela portée de l'approchedes dansla continuité reste néanmoinsproblématique. Le critèrede fa/fil/ment
happenings dans le champd'une esthétiquedes gestes ordinaires.Le pragrna. de Deweyparaît se limiter à une modalitésomatique en ce qu'ilcomprend
tisme de Deweya la particularitéde mettre en relief l'existence d'un terrain !'appréciationde goût et renvoie,derechef,auxtraditionnels problèmesde la
communentre l'expérienceordinaire(commecelle d'un très bon repas,ou critiquedu jugement tels que Kantlesa si bientraités.
d'une partie d'échecs)et l'expérienceartistique(un morceau de musiquede Cette situation n'a rien de paradoxal. En effet,s'ils'imposeuneopération
jazzet un tableaude Renoir,pour puiserdans les exemplesde Dewey).Toute de différenciationspécifiqueentreuneexpérience subjective d'ordreesthétique
expérience,artistiqueou non, peutrdeverde l'esthétique,du momentquel'on et une autre d'ordre ordinaire- a priorinonesthétique-,c'estprécisément
saisitl'aspectperceptuelet nonpasproductifdel' expérience.Dèsles premières parcequ'il n'y a pas,entrelesdeux,dedifférence véritable: lesdeuxtennesdu
pages de L'Art commeexpérience, Deweyexpliciteque les conditionsnéces. rapport sont en réalitéliéspar uneindiscemabilité essentielle. La différence,
sairesà une expérienceesthétiquene peuventpas être isoléesdes événements qui n'est pas moindre,entrele pragmatisme esthétique(Dewey) et la critique
ordinaires,ces derniersétant à l'expérienceesthétiquece que la terre est aux du jugement(Kant)tientdanslasubstitution dela notionde plaisirà la ques·
montagnes,c'est-à-direleur fondement,leurprincipe.En dépassantleslimites tion de la beauté,quicréeainsiuneidentification essentielle entreesthétiqueet
du physiologismepour saisirla spécificitédes comportements humains,la somatique.Ce n'est qu'àcondition deconsidérer l'expérience satisfaisante de
notion d'expérienceproposéepar Deweydéfinitl'état complexedes interac- l'esthétiquecommeontologiquement identiqueà l'expérience ordinairequele
tions entre les êtres humainset l'environnement. Redevablesur ce point des principede continuitéestmaintenu. Lespetitesdifférences entreles multiples
théoriesévolutionnistesde Darwin,Deweyplacecet état à la frontièreentrele expériencessontredevables d'uneidentitéde fond.D'un côté,celane signifie
naturalismeanthropologiqueet la sociologie linguistique.Ni essentiellement pas que le critèredesubjectivitéestinvalide,maissimplementqu'il n'est pas

166 167
ESTH~TIQUEDE LA VIE ORDINAIRE

LE PARI DU GESTE
universel,car il ~te sp~~ue à un~.c~n?ition parti~èrc. De ,
celaveut dire aussique l mdiscemabiliten est pas considérée I allti
d f. colltni e C' . e5tenunsens valable pour la fonctiondes écritsde Kaprowlui-même),
et
blème,maispIutot comme une s1tuauon e ait ; une situatio • e li ,
A • •

C' ti ~ efl reviendraità la quatrième modalitédu happening


avecla reconnaiswlce
laquellelespeuteswuerencespeuvent emerger. est uniquern11R"'-
. -1:«· ,
~·•étal 1~
qlJl
. thé . h , .
expénencees tiqueet une autre non est euque entreuennent . cru q e
lla1111
!h.
·~1
ot1boliquequ'elle comporte. Si le {ifelikeart était fait par n'importequi,il
continuitéde nature qu'on est alors obligé de /aire la différenc unrall!)o ~ ~tlerait alors de basculer du côté du non-art,enquittantlemondedel'artet
prion'inexistante.Et le seul lieu où cette différence a le droit de,:areUeIl~ pSdisparaissant dans la vie ordinaire.Mais,bienévidemment , celadépendde
ell
. gulante
cclw. de 1a sin . , des expenences.
,. estq
etre faite qt1el'on entend par« art».
Unetelleconstatationa une conséquenceimportante pour ce . Cit ceSil'on considère,comme le fait Kaprow,l'an en tantque«tissud'activités
la structureconventionnelle de l'art: le monde de l'art ne se r:_ ~u,conce uifaitsens avec une ou toutes les partiesde nosvies1 », alorslamiseentre
. . . um11e"I file ~emets de la vie peut être prise commede l'art. Lebasculement est clair:
éléments symboliquement reconnus(les mst1tut1onsmuséales,les " lisà~
l'artvéritableest celui qui se suspendraitde lui-même,l'an-art . Aufond,dit
d'œuvres d'art,lesateliers d'artistes, leséchanges marchands d'o~~Position 1
. . ) . il 'd . . . Jetsay J(aprow,« l'identité (et ainsila signification)
de cequefaitl'artisteoscille entre
unevaleurditeartlsttque, etc., matsexcee samiseenv1Sibilité conve .ant activitéordinaire, reconnaissable,et la "résonance"de cetteactivitédansun
nellepour nagerdans le tourbillonde lavieordinaire. On ne s'étonnert~'on.
pas du fait que, pour Kaprow,quitterle monde de l'art ne signifiepas
disparaîtrel'art en général,maisuniquementle faire disparaîtreà l'égardde
r:~: contextehumain plus large2 ». L'an commemétaphore
à comprendrecommeune poétisationdesgestesordinaires
delavien'estdoncpas
, maisplutôtcomme
unecapacitéréflexivedirigéenon pasversl'an maisverslavie.Ils'agitd'ouvrir
l'institution.Chargerle gestede se brosserles dents d'un pouvoirmétapho. un« cheminde retour vers le monderéeP». Loindeconsidérer l'artet lavie
rique, sans que le mondede l'an en soit au courant,,signifiepriverce geste ordinairecommedeux domaineshétérogènes, etloindeconsidérer l'esthétique
d'une reconnaissancesymboliqueet non pas de toute nature artistique. commele domaineprivilégiéde l'an, l'idéedel'artcomme métaphore delavie
Quand un gesteordinairechargéde pouvoirmétaphoriquen'est pas reconnu montreau contraire qu'il est possiblede découvrir dansla vieordinaireune
par le monde de l'art, Kaprowne le définitjamais comme absolumentnon essenceesthétiqueà part entière,et cdasansquelaviesoittransformée.
artistiquemaissimplementcommeun gesteartistiqueayant quitté le monde Cette non·transformationréciproque entrel'artet laviepermetd'avancer
de l'art. Finalement,«c'est là où gîtle paradoxe,un artiste concernépar l'an l'idée d'une praxisesthétique,idéetoutepragmatiste queKaprow,à la suite
semblableà la vie [lelifelikeart]estun artistequifait et ne fait pasde l'art'» de Dewey,semblesoutenir.Parcequ'ilreliel'esthétique à lavie,et parcequ'il
Le lifelikeartplaceainsil'indiscernabilité au rangde conditiond'existencede base la vie sur une idée complexe de l'expérience,le pragmatisme ne peut
l'art lui-même. qu'associerla poïesisà lapraxis, labeautéformelleà lafonctionnalit é d'usage.
On saisitd'embléel'ambiguïtéd'unetelleposition.Comprisedu pointde
vuesubjectif,l'indiscernabilité risque- entant querapport à double sens- de Si on se placedu côtédudestinataire
oudel'ustensile,
je nevoispaspourquoi
basculersoit d'un côté,soitde l'autre,destermesqu'elleunit. Un tel bascule- celuiqui dégustesonthédansunecertaine tassedevraitse priverdu plaisir
ment dépend souventdu statut de la personneaccomplissantle geste.Sile 4•
d'en apprécierle dessinet lamatière
ltfelikeartétaitaccomplipar desartistesreconnusparle mondedel' art, alorsil
basculeraitdu côtéartistique,carle mondedel'an serait« misau courant»(ce 1. Ibid.,p. 255.
2. Ibid.,p. 261.
1. AllanKaprow, op.cit.,p.261.
L'Art et la vieconfondus, 3. Ibid.
4. JohnDewey,L'Artcommeexpérience,op. cit., p. 306.

168 169
ESTHÉTIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE
«Je ne vois pas pourquoi», écrit Dewey tout simplement
nonchalance deux 1'd'eescaptt· ales de Ia th'eone· est h'ettque
· conven' en.batayi\ri 1)1désunion de la production et de la consommationest unecirconstance iUSCZ
· d 1 · · d ' d
qui décrit le surgissement u p alSlr ans un etat e contemplati hollllcltct.··~ .. c0rnmune. Mais mettre l'accent sur cette séparationfi.nitpar rrndrcobscurela
téressement, et celle qui distingue nettement la finalité de I'obje~n°u de d~t.~ ation des œuvres d'art , aboutissantà une divisionentrelesansutileset
si~nific
· · artstote
sa finpratique. La distmcuon · ' lic1enne
· entre praxiset Po'·esth· ~·1~
. Ctir, !CSbeaux-arts ffine). deux adjectifs qui, appliquésà l'art, ne font quecor·
,1 , bl I b ies1s d ,~e,1 rornpre et détruire sa signifiance intrinsèque. Car les arts toursimplement
que celleque propose Kant entre agrea e e~ e eau, sont ici mises ' c Ili'"'
«utiles» ne sont rien d'autre que de la routine; et lesartsquinesontquefinals
faveurd'une coïncidenceentre le geste fonctionnel et I'expérienc ddcco1.~
.. e c · , a~ ocsont pas de l'art, mais des amusementspassifset desdistractions1•
esthétique. L'opposJUon «banale» entre les « cho ses belles» et lllgclll
"
utiles» est entterement re1auve
· se1on Dewey, putsqu · 'elie est duIes «cho.. f:ti1
. 1 . . d 1 c en "'1 Voilà pourquoi « instituer une différence de qualité entrelesarts utileset
Panie à des bouleversementsqut ont eur ortgme ans e système éconorn&·tan~c .1
tesbeaux-arts ffine arts] est [ ... ] absurde, puisquel'art impliqueuneinrcrpé·
i%e1
oétr:ition particulière entre les fins et les moyens2 ». Ainsi,l'idéed'expérience
Il n'y a rien dans la nature de la machine de production per se . ·
'bili' ' 1 ill qu, s · esthétique telle que Dewey la développera plus tard dansL'Artcommeexpé-
obstacleinsurmontab1e à 1a poss1 te que es trava eurs connaisse 11un0
. . d .f . d nt la . riencerepose sur une relation intrinsèqueentre lesfinset lesmoyens,car «l'art
ficationde ce qu'ils font et 1ou1ssent es satis actions e la carnaraderi s,gni.
est une qualité qui s'infiltre dans une expérience , il n'est pas, saufmétaphori-
l'utilitédu travailbien fait2• c et <le
quement, l'ex périence elle-même. L'expérienceesthétiqueest toujoursplus
qu'esthétique 3 ». Par cette « infilt ration» de l'art dansle réel, on comprendla
Conune le Marxdes Thès esdeFeuerbach , Deweymet l'accent sur le caractti spécificité du régime de continuité: à l'intérieur de ce régime , il demeure
pratiquede la connaissance,et reliede manière essentielle la prise de conscien,: in1possible de séparer la métaphore de son objet, l'esthétique de ce dont elle
avec les comportements corporels qui l'appliquent. Mais, à la différence de est une expérience, la notion d'art de la pratique de la vie. Le programme
Marx, le pragmatisteaméricainvoit dans la jouissance esthétique une stratégie d'une esthétique pragmatiste était donc explicitement annoncédans Expe-
de fuite face à l'aliénation du travail, et défend un concept de la démocratie qui rienceand Nature: refonder l'esthétique sur le vécutouten allant au-delà des
inclut l'intervention de l'État pour éliminer les différences sociales, sans pour strictes hmites du sensible, car l'esthétique, tout commela connaissance en tant
cela considérer la lutte de classe comme le moteur de l'histoire et du progrès. qu'expérience satisfaisante, dépasseles limites contingentes du monde exté-
D'où le « libéralisme radical» revendiqué par Dewey, « libéralisme » car la rieur. Ce qui signifie, inversement,quela nécessi té de la satisfac tion est due au
liberté de l'individuest la condition indispensable de la démocratie et « radical» fait que les données du réelsontpar essenceinsatisfaisantes, voire pesantes.
car la liberté n'est pas uniquementlibertédes liens, mais aussi activitélibératrice C'est dans Reconstruction enphilosophie que Deweyexplicite cet argu-
libertéà agir et à se réaliser en collaborationavecles autres. Plus spécifiquement' ment, en définissant l'expériencecommeuneopération activevisant à rectifier
'
et pour ce qui concerne l'esthétique, déjà dans Experience and Nature 0929), la faillibilité et la douleur propres à une expérience perceptuelle et passive.
Dewey exprime l'idée de réunir l'art et la contingence, la technicité et la beauté, Dans le premier chapitre, intitulé « Expérience et Raison», Dewey affirme
et cela afin de revenir aux idéesgrecquesd'art commetechnê et comme aisthêsis .
1. Dewey, Experie11ce andNature, Londres: George Allen & Um,~n. Ltd, Ruskin
House, W.C.I., Usa, 1929(8•chapitre, intitulé«Existence, ldeasand Consciousness»,
p . 36 1).
1. Ibid., p. 260. 2. Ibid.,p. 377.
2. lbid., p . 393. 3. Ibid.,p. 375.

170 171
ESTHtTIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARIDUGESTE
qu'uneexpériencesatisfaisanten'est pas quelque chose d'access .
'
veraitspontanemcnt, .
mats que c,est au cont ratre
.
une recherche dOlte , <Jl!i ,c une praxisesthétique, similaireà ce qu'Agambenappdle«geste»et
difficultérésidetoutefoisdans le fait que le progrès est, à son t e l>to&tèaal'ti, ,..c deUd'art
...-,
.déc ' ' •
comme expertence ch'ere a' Dew ey.Cette infil · de I'andans
trat1on
h . f , il our,.,,_ . 1
~ i 1~ est précisément ce que Kaprow se proposede mettreen place.Alors
A
souffrance.Les etres umams, con rontes nature ement à d ""lltcA
es s· 'de
conflictuelles, appliquentun changement dans leurs componerne 111.latio Jee ('art se veut conventionnellementla miseen œuvrcd'une distanciation
s'avèrepénible.Deweyl'affirme : « Ce rapport étroit entre faire nts,lcQi~ 4'101emplative,représentationnelleou imaginairede la réalité,leshappenings
subir formece que l'on appeli e expenence ' . l . >>Ains1,
..' h
. f ace à l , SOIJff
naturelle,la recherchedu bonheur est une acttvite est étique et éth' tance
a sourrtt
·'"q
tir '°
a,ient,au contraire, de la fusion, mieuxde lacon-fusion,avecce mêmeréel
puc l'art conventionnelveut mettre à distance.L'artferaitdoncl'épreuvede
fois. · 'queà~ ! puissancequand il se mêle aux pratiquesexploratoires de laréalité.Delà,
ensuivantKaprow, le pas logiqueconsisteraità abolirladifférenceimposée
Lebonheurn'est pasune choseque l'on possède; ce n'est pas d ~ la mimesisentre la performanceet la réalitéen arrivantà lapossibilité de
. . . ,
objectifatteintune foispour toutes. [. ..] Il n Y a de bonheur que ~n l
avant a
;erformer le réel.
succès,maissuccèssignifiesuccession, progression,anticipation.C'estuansle
cessusactifet nonquelquechosequiarrivemalgrésoi.Il supposedoncq::t Réaliserune performancec'estaccomplir quelquechose,et nonjouerun rôle
comme au théâtre, déplacer un meuble , par exemple , lefairepourle faire,ou
obstacles soientsurmontés,
plaisiret lasensibilité
desfailleset des sourcesde problèmeéliminées.
esthétiques contribuentpour une largepart à unbonheu
4 r
le faireparce que vousêtesen trainde dérnénager 1•

dignede cenom • 2
Cette connivenceextrêmeentrefictionet réalitéest fidèleau régimede
l'indiscemabilité. Le happeningchercheà composer avecla«substance senso-
En anticipantles risquesd'un tel programme,Dewey distinguedansle
riellede la vie ordinaire2 » et l'art estperçucomme laréalisation d'unecertaine
mêmetextele pragmatisme de l'utilitarismepar le rappel de la réciprocité de
qualitéde l'expérience.Si pour Kaprowladissolutionde l'an danslavieordi-
la relationentrefinset moyens: «Commetoutesles théories qui exigentdes
nairene signifiepas l'inexistence absoluede l'artmaissimplement soninexis-
buts fixeset finauxen faisantde la fin quelquechose qui advientet quel'on
tencepour le mondede l'art,c'estparcequelemondedel'artnedonnepasde
possède,l'utilitarismea transformétoutesles opérationsactivesen de simples
3 • » C'estainsique l'art peut prendre une place toute particulière
légitimitéà l'expérienceesthétique. Kaprowchoisitderester dansle domaine
instruments
de l'indiscemabilitéentrel'art et lavieordinaire, car, en intégrantà la foisla
dans cette rechercheéthiquedu bonheur,et cela précisément parce qu'il
natureartistiquedu sujetet lanatureordinaire du geste,il ne distinguepasla
réunifieles fins et les moyens,la beautéet la fonctionnalitépar des moyens
dimensionconcrètementgestuelle de sonvécusubjectif. Mais, voiciune pré-
actifsde production.
cautionimportante,le« cadrage» d'uneexpérience ordinaireen tantqu'esthé-
La coïncidenceentrelesfinset lesmoyensouvre,en un sens, un troisième
tiquedoit évitertoutrisquedebanalisation : il ne fautpasquela suspension de
niveaud'expérience,ni purepoïesis,ni purepraxis,maisun état hybrideentre
l'art devienneelle-même uneconvention. En définissantl'art expérimental
commeune suspension desconventionsde «l'an semblable à l'art», Kaprow
1. John Dewey, Reconstructionen philosophie, Œuvresphilosophiques I, trad. de
l'anglais(USA)parPatrickDi Mascio, préf.deRichard Rorty,Pau:Publ.de l'univers ité préciseque :
de Pau;Tours:Farrago;Paris:LéoScheer,2003,p. 92.
2. Ibid.,p. 150. 1. AllanKaprow, L'Art et lavie confondus, op. cil., p. 40.
3. Ibid.,p. 151. 2. Ibid.

172 173
..•I
;'

ESTH~TIQUEDE LA VIE ORDINAIRE


LE PARIDUGESTE
Dne suffitpas de refusertout contact avecles musées,les saU
librairieset les galeries.Et il ne suffit pas non plus de son~dec<ltir~ e rn:ùsreste indiscernable de l'expériencemêmedelavie.Lepouvoir
l'actualitéde la peinture,de la poésie, de l'architecture,des de;;è lori"', e,<,p<'
horique suggéré par Kaprow est esthétiqueà partirdu momentoù il
de la danseet du cinéma.[Les) artistes [expérimentaux)doivences l'rltii~ ,iié''p
le royaumede l'imitation auqud l'aboutnmde Dantoreste,quantà dle,
chaquefois que cela devientap au~i~
I
lafacilité
defaireunemétaphore qtii''eI)e plus, l' anifice de la vie ne demandeaucunement
à êtreamélioré,
deviendraapparentsouvent.Dsdoiventme/Iredecôtétous les éct:cn1,
tt'"tl fidèle·le voudrait au contraire le courantsoma-esthétique
initiéparRichard
des médiasartistiques,le contenuet lesméthodesde formationarf ~'- ~ à la suite de Dewey.ChezKaprow,laconscience
c0111tllc:rtl'lan n'a d'autre
but
tsttquc;'\ 11
sb;~:uto-refléxion
; elleexclut
lefaçonnement desoi.
Vivresa vie consciemmenten la chargeant d'un pouvoir rnéta h . qoe de lavieestbien
Néanflloins,cetteartificialité l'envers
del'art, la
àsavoir
doit doncpas devenirune proce'dure panru. d'autres, et demandeup Ofto
.,lie11. ditionsous-jacente à l'art dans lesexpériences delavie.L'artifi-
ordinaires
. . d'une nouveile hab'1tude.Or cneV1n:1
constanteeu eg' ard a' l,.unpos1uon ~an,.·-: 11

, e Pro· -.: :g)ité de la vie s'apparente ainsi aux changements nécessaireset inévitables
entièrementutopique,carlebasculementdu non-art dans I ansernble. , !etesi relatifsà la nature problématiquede l'expérience tdlequ'elleavaitétémiseen
lllCVitab~. reliefpar Dewey.L'art-lifeseraitdoncanalogueauxméthodes mises enplace
Lorsquel'onvitsavieconsciemment, elledevientassezétrange_fair parlesêtreshumainspour surmonterlesdifficultés del'existenceet signerait
le
. . 1 ea11ent' passagedu simple niveau de la survivance à celuidel'expérience esthétique,
transformece à quoinousfrusonsattention.Donc, es happenings ét . IOJi
. . I' . , M . ., . loi,
a1en1 passagequi montre donc le fondementartificiel de la vie.L'artificiel
étant,
d'être aussiproches de 1a vie que Je avaissuppose. rusJ a1appris u ·•
1 seloncette perspectiveentièrementpragmatiste, ce quel'expérience contin·
choseen ce quiconcernela vieet la «vie». De ce fait, un nouveaugenr!/ q~e
[art-li/e]
estapparu,reflétantà la foisles aspectsartificielsde la viequotid:~l'le gentenous demande: une confrontation directeaveclemonde,unengagement
et lesqualitésprochesde laviede l'art créé2• ne réeldans celui-ci.Toutefois,la continuité entrel'artet lavieseconstitue non
quandl'art rejointla vieen sefaisantplus«organique», plus«unifié»ouplus
«satisfaisant»,maispar lemouvement contraire.C'estlaviequiressemblerait à
Àla différencede l'esthétiqueanalytique- qui place le processusde trans.
l'art en révélantla complexité, l'artificialité quilacaractérisent
et la difficulté
formationau cœurdel'interprétationsubjective,au risqued'identifierlanature
profondément.Il s'agitlà de mettreen relief le doublemouvement allantdes
de l'expérienceavecle jugementsur cette même expérience-, l'approchede circonstancesréellesde lavieà leurintégration danslevécusubjectif et,inver-
Kaprowdévoilelesqualitésintrinsèqueségalementvalablesdans l'art et dansla sement,de ce mêmevécuauxcirconstances réelles.Ce doublemouvement
vie,qualitésqui seulespermettraientle surgissementd'une transformation réci. n'estpossibleque par ledévoilement delacomplexité artificielle
du réelet par
proque. La vie est semblableà l'art et l'art est semblableà la vie uniquement )'abandond'une positionnaïvequiinviteà considérer lescirconstances comme
parce que leur similitudeest déjàà l'œuvredansles expériencesqu'ellespro. coïncidantparfaitement avecnotrecomportement «naturel».L'indiscemabi-
duisent et relèvedonc de leur continuitéde nature. L'art se montre donc litése définitainsicommecettesituation paradoxale d'uneproximité maximale
beaucoupplus «vital» qu'on le croiraitet la vie dévoileses propres « aspects et d'une distanciation aveclavie,où'leprétendunatureldel'expérience dévoile
artificiels».Celaest biendifférentde la notiond'aboutness stipuléepar Arthur son artificialitéfondamentale.
Cetartificerefondedoncl'artdansl'expérience
Danto, car la métaphorene se réduitpas ici à une interprétationsubjective ordinaireenmontrantlaforcedelavie.

1. Ibid., p. 107-108.Je souligne.


2. Ibid.,p. 231.

174 175
ESTH~TtQUE DE LA VIE ORDINAtRe

FLUXUS
LE PARI DU GESTE

LE FLUXDE LA VIE ENTRE REFUS de l'an en tant que libcné de l'espritdans


lialcÇOO laviequotidiennede
ET ABSOLUTISATIONDE L'ART t:'o0
,afin que celui-ci devienne un authentiqueart de vivrc 1. » Robert
Filliou, Ben Vautier et Brecht, ~;:Il
fî .
CJtcmplifiele sens de cette position par le principede aiationpmnt1-

Si l'art est « ce qui rend la vie plus intéressanteque l'art»


. , ' cornrn I
,"''t.
la maximela plus célèbre de Robert Fill1ou, c est grâce à u e e 'ti ouoi que vous pensiez,pensezautrechose.Quoiquevousfassic,faitesautre
. l' ' .
entièrementfluide,un flux ag1Ssantentre expenence ordinaire l.!v~"'t
Il lllo Di,, c1iosc,Le secret absolu de la créationpermanente
c'estd'êtresansdésir,sans
tion d'œuvrcsd'art. À partir de cette rdation continuelleet dyn;)a 'P~'rit décision,sans choix, conscientde soi-même,largement
ment, sans rien fairc2 •
iwistn1nquillc·
évcillé,
l'idée de Fluxus,mouvementartistique flexible et ouvert, ne s'apiquesu~·
aucun dogmeesthétique.Il comprend des artistes ayant des prati:l.!Yallt ,~:
rentes,commeGeorgeMaciunas,Dick Higgins, George Brecht,y difrt :S Le principe duchampien de la « beauté de l'indifférence»
pflltiquemême de l'art. La viséen'est pasuniquement dechoisir
s'élargiticià la
quelque chose
La MonteYoung,RobertFilliouet Ben Vautier. Le principe fondate:r°'111, d'indifférent,mais plus généralementde fairequelquechosed'indifférent. Si
pratiqueFluxusest l'idéed'un « flux permanent entre l'art et la vie»,idéde~ chez Duchamp il s'agissait d'identifierle gesteanistiqucau faitde choisir
n'est pas sans écho avecce que nous avons appelé ici l'«indiscernab~~lli précisémentce qui n'aurait pas été choisi(c'est-à-dire cc quin'estni beauni
L'étymologielatinedu termef[uxusrenvoie à l'idée de passage incess~e~. laid),pour Filliou il s'agit de s'abstenirde touteactivité : le fairene peutque
d'écoulement;le rapport entre l'art et la vie étant cycliqueet continuelt et devenirson antithèse,ce qui est radicalement autre,lenon-fair e. Filliouappelle
· d' aucunesorte.Ain'
interruptions st, les art!Stes
· Fluxus appliquent 1a fl,,;d ,saris
., cette attitude l'Autrisme,qui désignel'idée de «toujoursfairequdquechose
"' ite,
l'intérieurdu mondede l'art lui-même.L'idée de flux annule la pertinence~ d'autre». Le sens artistiquede cette inactivité , directement influencé par la
la distinctionentre les différentesdisciplinesde l'art : à la suite de Duchani penséezen, réside ainsidansle faitde nerienvouloir faireet de ne rienvouloir
un artisteFluxus~eut être appelé«an-artiste», et cela en raison du fait q}u signifier. « Choisir de ne pas choisir» rimeié avec«choisirde nepasfaire».
La création artistiques'apparenteà soncontraire:lanon-création . Lacréation
suspendles critèresconventionnels de l'art par sa propre pratique.
sefait « en permanence»parceque créersignifi es'abstenirdefairequoiquece
Le mouvementFluxuss'inscritdansun développementhistoriquesimilai re
soit.Par cette pratiqueartistiqued'inspirationascétique, Fillioufaitdu « rien»
à celuides happenings . Les illustresprédécesseursd'une telle pratiquesontà
le sens même de l'art. Il s'agitdece qu'ilnommela«bon-à-rienattitude» :
chercher dans l'art fantastique,le cirque romain, les foires médiévales, le
théâtre futuriste (inspirédu Mani/estode Marinetti de 1913), mais aussidans Je crée parce queje saisfaire.Je saisparfai tementà quelpointjenesuisbon à
le mouvement dada, les surréalisteset bien évidemment le ready-made de rien. L'art commecommunication , c'estle contactentrelebon-à-riendans l'un
MarcelDuchamp.Maisà la différencedeshappenings, qui mettent en placela avec le bon-à-riendans l'autre. L'art commecréation , c'estfacile,au sensoù
con-fusion entre l'art et la vie,Fluxusprivilégieun processusd'oscillation , une
dialectiquedynamiqueet fluideentreles deux domainesdu rapport. De plus, 1. RobenFilliou, Enseigneret apprendre,artsvivants par Robert Filliou, Pariset
la fluiditéentre l'art et la vie se fondesur le rapprochemententre les pratiques Bruxelles:ArchivesLebeer Hossmann,1998, p. 23 (Teacbing and Learning as Perfor-
mance Arts, Cologne:
VerlagGebr . Koenig, 1970).
de vie et la philosophie de l'art, car l'expérienceartistiquese rapproche d'une 2. RobenFilliou in Hap penings & Fluxus, Charles Dreyfus (éd.), Paris : Galerie
philosophiecommepratique de vie: « Aprésent,il devientnécessaired'incor· 1900-2000 -Galerie du Génie - Galeriede Poche, 1989, p. 21.

176 177
ESTH~TIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
r LE PARI DU GESTE
Filliou
être dieu est facile. Dieu est votre parfait bon à rien. Le inonde Bien fait = mal fait = pas fait
' . 1·1appartient
étant le mondedu bon-a-rien, . à quiconque
. est <lotéde Ia cr~
'es remplies partiellement. La formule est la suivante:«BienFait=
_pasfait» . L''d
Jc5P.'.,ru , .va1ence stncte
' est cclie d'une equ1 · entrele modèle
c'est-à-dire quiconque rcvend1,que ce don mne: . attitt~dIC t r~a,,
. ' )a bon-à·rien .'!\
. I~ 1 ee
, ci. "i1· ' '1;tft1tl- re «faite»), l'erreur et la transgression (le correspondan t « malfair»)

S'ily avait un talent exigé de l'artiste, cc serait de se savoir


~
1
~u\c
\ 11 , modèle non réalisé et donc son seul concept (le « non fait»).
(il ,nf1fl mal faire», « ne pas faire» . sont trois . moda11t· e' s creauvcs
' . stnct . cment
dépourvu de talent. Comme Ia phI'Iosop 111 ·e de l'ensc1·gncrncntI)arfair 1
Cl))(',, ' f 11irC)),« 5 Pour Filliou, l'art ne se limite nullementà l'exécution matérielle
- lequd reconnaît dans le « savmr . de ne pas savoir. » la plus hau soctari"··11 1
. . . te fo ,~t ;qviV• \c:ctcf~ i, mais il contient le désir de la création totale. Ceprincipeest
sagesse- cette activitéfait du « ne-pas·faire» son prmc1pe fondat tlllt ., n lisé par uneautre œuvrequi. d'ettent. 1e mem • e mre.
. Ils'agn . d'unev,'deo
·
, eur ci ~t J'il obi
l'art vers ses propres limites. Si la création est permanente mais nul! 10t,11e ! cr·isu•I 'dent, chacuned'une duree
' ega
' Je a• dix minutes
· .
inactifet l'attitude indifférente, c'est parce que cet art n'a rien à di~,] attisrt ,ro·15 séquence
s se succe
oilur la partie « BienFait», un moniteur diffuseunenregistrementdeRobert
toutà dire, ce qui revient au meme. Dans 1a mesure ou' FIuxus ronipre,av
• • • A ouc ila
~~Jiou qui. ~e visag~ bandé, édicte de~ordres. Debout'.à côtéd~~ste ~élévisé,
dualismestraditionnels, il ne peut que conduire vers l'identification I c k,
O bert Fill1ou executc en temps recl, et de son mieu x, les tnJoncuons
· avec1e tout. Un artiste
extrême, celle du rien · qut· ne fatt· rien
· coa1·1sc en réali
a Plu.s ,,o (du
'
oniteur. Pour la partie« MalFait», Filliouproposelamêmeaction,cette101s
1
sous son inactivité déclarée, toutes les créations possibles. La création • c, sc à distance: un miroir, fixé à droite d'un moniteu
(l'li r quidiffuseleBien Fait,
11Cst
plus uniquementcomparable a' sa propre abstenuon . mats . aussi. a' sa Pro
~eflètel'artiste regardant le BienFatt.Pour la partie«PasFait»,Filliou , seul
, . il I , . I , .
possibilité.On peut de 1a ass1mer a creauon tantot a a non-creat1011,tantôt,
A , Pre
foceà la caméra, explique le principede créationdecettebande.
la simple possibilité-de-création. D'où cc que Filliou appelle le princip e d'c:,~ Les deux principes proposés par Filliou (principedecréation pem,anente et
q,,,
.
valence,lequel nécessite qu'une œuvre «bien faite» ait autant de valeurqu'une principed'équivalence)videntl'art desasignification conventionne lle. Cesprin·
œuvre «malfaite» et qu'une œuvre « pas faite» du tout. cipcs ne préconisent aucune norme, ilsn'invitentpasà la productione'. ne
recommandent rien d'autre que l'idée mêmede leurpropresoustraction.
J'ai commencé à appliquerle principed'équivalence à un objet de 10 x 12 cin <<raire toujours autre chose», de mêm e qu'identifier
le«faire»au« malfaire»
(unechaussetterougedansuneboîte).Dans un carré une chaussette(lemodèle ), el au « non· faire», revientà défairelescatégories anistiqucs conventionnelles.
dans le carré suivant,cette même chaussette, mais présentée à l'envers (l'erreur Le sens de l' art perdrait ainsisa consistancehabituelle: il viendraitse mélanger
suivcnue par rapportau modèle initial),dans le troisième carré, pas de chau5• à coutesles possibilitésde création,enincluantl'annulation de la créationeUe-
sctte (le conceptqui se passede touteréalisation pratique). Ces troispremi ers même. Car «faire» quelquechosene veutplus riendire, aucuncritère de
carrésconstituent un secondmodèle quià son tour sera pe1verriet donneralieu production n'est plus valable.La créationd'un objetou la communicat ion
il uneinr.nité de modèles
2.
d'une idée ne sont plus soumisesà descritèresde jugement,le seul critère
valable étant l'absencede critères.De cc fait,le but de l'ordinaire est atteint:
Selondes espacessériels clairement séparés, la planche se compose de trois l'esthétique est ainsilibérée de l'art, et cda non pas seulement parcequ'une
expérience esthétique auraitlieu indifféremmentdans le mondede l'art et dans
modalités sérielles: des panics vides,des parties totalement remplies de boîtes,
le monde de la vie,mais plus fondamentalement parceque cetteexpériencene
pourrait aucunementêtresoumise auxcritèresartistiques conventionnels (tels
1. RobertFilliou,Enseigne
r el ·apprendr
e, arts vivants par Robert Filliou,op. Cti.,
p. 79-80. que l'art comme création original e, comme production apte au jugement,
2. Ibid. comme moyendecommunicationoucomme œuvresoumise au jugement).

178 179
ESTH~TIQUE DE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE
Lesprinàpes de Filliou permettent de penser l'csthétiqu
constantefluctuationentre l'affirmation et le refus des crit~ à Partir asfairecommelesautres: mangeraumilieudelarue,cirer lesgodasses des
. A h . . eres . ~
Entre le tout et 1e nen, uxus ne c 01saPas att~ti ~
conventionnels. ri~~.me taper la tête contreun mur,etc.Dpeutyavoirdesgestessimples et
A
deux,cc qui revientau meme. AlOrs qu'il Cherche a' atteindre
' I ou ch <hL.
le Statut Oi,ir'll ~~ gestesspectaculaires.JelesavaisthéorisésdanslecadredesAppropriations:
art», Fluxusoscilleconstammententre le non-art et l'art proprern del\~ lecoupdepiedaucul,etc.1•
puisquetout étaitan, je m'appropriaislagifle,
lieu de «résoudre»I'apparented'tchotom1e . entre I'art et 1a vie ord' . t.~
cnidi ~
'
l'utilisationde competences spec '"lait~
'ifi igues, Auxus cherch''e a Jouersur c ~
I
J,.ctcsprovocateurs,les gestes de Benne sontpassanséchoavecle prin·
priétésanaloguesendemeurantdans un espace de fluctuationoù 1.:urs ~r~ • c:de création permanente de Fillioubasésur l'autrisme,
c'est-à-dire
surle:
danslavieet viceversa.On alterneentre ces deux optionslogiques: P~ I': Cl~ir de toujoursfaire quelquechosed'autre.Maisaulieuderefuser
~fcréation,
lerecours
SichezFilliou
Ben élargit la création n'importequdleacti\'ité.
à
considèrela vie «en tant qu'art», et l'autre qui prend la vie «en ta;eCilJi 8
faire» est équivalent au «non-faire»et au
: Ben est
« mal faire»,chez il
telle».Lapremièretransformela vie en art et la deuxièmedépassel'an~uc le dé au « faire n'impone quoi».À la différence dela«bon-à-rien attitude»
reconnaîtreunedimensionesthétiqueà la vie. Ur ,ssofilllOU,
l'«art-attitude» de Ben suitla règledun'importe quoi,laqudlese
Entrecesdeuxoptions,la différenceest subtile: elle dépenden effetde de ..
, enteainsi:
qu'on entendpar «vie ordinaire».Tant qu'elleest relativeà l'expérience"" ct préS
I"'!,
sonnelle,la vie ordinairechangeconstammentet reste difficilement déf1n~. N'importequoi.
sable. Particularismeindividuelet changement constant sont en effetles sculpture:soulevezn'importequoi.
élémentsqui permettentde relierl'expérienceordinaireau domainedel'intma. Poésie:ditesn'importequoi.
nence.Si l'on entendpar «vie ordinaire»un champ d'expériencequi suitses Musique: écoutezn'importequoi.
propresqualitéset qui ne nécessitepas le filtragede l'art pour se direesthé. peinture:regardezn'importequoi.
tique,on est alorsdans le champde l'ordinairecommeprincipe esthétique. Littérature: écrivezn'importequoi.
Maisle plus souventon a tendanceà soumettrela vie au criblede l'art.Cette Danse:faitesn'importequoi.
deuxièmeinterprétationconsidèrela vie commeune expérienceesthétique Absolumentn'importequoiestan2.
uniquementquandellesatisfaitlesexigencesde l'art. Selonla premièreoption,
l'art et la vie sontindiscernables, selonla deuxième,ils sont identiques.Une La créationpermanentedeFilliou, principezenappliqué à l'esthétique,
se
telleidentification a lieuquandon s'appropriedes gestesordinaires«comme trouveici confrontéeà unesorted'hypercréation. Là où chezFillioul'inacti·
s' » il s'agissaitde gestesartistiques, en soumettantainsila réalitéde la vieaux
vitéest la tranquillitédu «nerienfaire»,chezBencetteinactivité a unevaleur
fictionsdel'art. Cettedémarcheappropriative est caractéristiquede lapratique
productiveet sert à étendrela créationà lalibreappropriation de l'ordinaire.
gestuelled'un autremembrecélèbredeFluxus,BenVautier.
L'inactivitédu n'importequoiestvisible dansun principede création passive:
Au début de sa carrière,entre 1958et 1972, Ben met en scène unesérie
le « n'importequoi»prenden effetcommeréférentl'expérience du specta·
d'activitésphysiquesd'inspirationordinairequ'il nomme«Mes gestes».Ces
teur, sujetqui perçoitet reçoitlesœuvresaulieude lesfaire.C'estainsiqu'en
activitésréunissenttantôt des gestesanodins,tantôt des gestes absurdes,et
produisentun effetincongru,à la limitedu spectacleet de la vie ordinaire.
1. Ben,pour011contre.
Unerétrospective,
Marseille:MAC,Galeriescontemporaines
Benconsidèrecettesériedansle prolongement de sa pratiqued'appropriation des muséesdeMarseille,
1995,p.77.
selonlaquelle« toutest art». Il décritainsisa démarche: 2. BenVaurier,ToutBen,Paris:Chêne,1975,p. 58.

180 181
ESTH~TIQUEDE LA VIE ORDINAIRE
LE PARI DU GESTE
peinture le principe n'indique pas de «peindre», mais de
n'importequoi; en musique,il s'agit d'« écouter» et non pas de'<"'- tcg~td
n'importequoi.Lafigurede l'artiste Fluxus s'apparente ainsià Ce;°'ll,,~er donsottcndre»,
• ir>>,«
1
la rue»,
j11
« ne pas voir, ne pas entendre,ne pas parler»,«se
« avoir honte». Desgestesintme"1tionnels:• fouiller
tatcur: l'artisteest un sujet passif dont la créativitéest assimiléeà c d1r1
, '°1.1 5», « regardez-moi cda suffit», « recevoiret parleri. , «faireunbrasde
tiondes œuvres. lalltr~ leSgen« se battre», etc. Des gestes symboliques:« jeter Dieui la mer,.,
La règleà suivreest conventionnelle:le «nouveau». Le Ma a . ' (etit , ouer un nœud », « couper le fil qui retientlaTerreau ballon». « acher
véritablevitrineexh'b' • . Ji d d
1 1t1onmste,eu e rencontre et e commerce •
g S/IJ de Il , d~ 5 dans la ville», « rentrer dans l'eau tout habilléavecunparapluie i.. Et

. . d 'fi 1 . ~
lisele travailde l'arustc.Le c est e smvant: saturer un espaceteeJ•'Yli,l • 1~. des gestes ayant trait à la créationartistique: «détruiremesœuvrcs
. , l' .,d
grandnombred'obJetset soumettrecet espace a autorite e la si
avec1 "{).
e ~I ,1.1sSI •
, rt », «signer les tahleaux des autres»,« touts1g11eu,
• «pensera •J'rus ' de
ro1rc
11
de le transformeren œuvred•art t . Ben 1'dentifite son magasina'1&natu tear·li! 1,11rt»· Chaque geste est soigneusementrépertoriéet classé.Ilcsrprésentésur
a d· 'Il
duchampienne du ready-made: elllarc~t oJlpanneaunoir, daté, signéet accompagnéd'unedescription écriteà lamain
parBen et d'une ou plusieursphotos.La natureéphémère dugesteest ainsi
En 1958j'aile chocDuchamp.Alorspour moila peintureest finie . retranscriteet enregistréesur un suppon quin'estpastantsadocumentation
• · aussi
plusrienjeter.Uneailumetteetait · belle que IaJoconde.nfal]' Je
. ne"oUk quesa démonstration directe.En bas de chaquepanneau, Benprendeneffet
'd 1 . J' .
garder:lespotsde peinturev1 e, es pmceauxetc. a1tout doué.Pouran donctour
'q
la précautiond'écrire : « Ce panneauest la seuleprésentation de cegeste»,
mavieje vendaisdesdisquesd'occasionet au premierétageje fis gagner commesi, dépourvu d'une telleprésentation, le gesten'avaitpasd'effectivité,
2 unePet'
1 voired'existence.Par cette opération,il s'agitdepréserver lesgesteset de les
galeriepourchercherlenouveau • 1e
50 umettre au régime des objets.
En prenant la démarchede Duchampà lalettre,Benidentifie le gestean·
Le nouveaudevientpour Ben«tout» ce qui n'appartient pas conventio n. artistiquedu ready-madeà une revendication polémique au seinmêmedu
nellementau mondede l'art. Prenantle ready-madeduchampienà la lettre inondede l'art. La différenceest fondamentale: si pourDuchamplesobjets
Benfait du n'importequoi le critèredu nouveau,en ne limitantpas celaa~ ordinairesétaient des « objetstout-faits», pourBenilsdeviennent des«objets
domainedes objets,maisen l'élargissant à celuides gestes. Les gestesquine d'art-tout-faits»,il suffitde lessigner.Oncomprend ainsipourquoila récupé-
veulentriendireet quine produisentriensontprécisémentceuxquipossèdent ration marchande et la massification desœuvressont les aboutissements
une potentialitéesthétiquedéroutante.Ils sont en mesure de provoquerune logiquesde la démarchede Ben.Siau débutil s'agissait plusd'uneprovoca·
subversionà l'égardde notreexpériencede l'art et de la vie, et donc denotre tion que d'un véritablemarché,l'institutionnalisation des œuvresde Ben
expérienceesthétiqueen général.Laliste3 des gestesaccomplispar Beninclut mèneà une manœuvrecommerciale. Sicesobjetsn'ontpasde valeuren tant
des gestesayanttraità la mécanique
du corps: « vomir»,« cracher»,« uriner», que tels, une foissignésilsacquièrent un surplusde valeuret deviennentde
«manger», «dormir», «sourire», «couler du nez», «hurler», «faire des véritablesproduits.Celavautaussipourlesgestesquideviennent des actions
grimaces»,etc. Desgestesstatiques:« regarderle ciel»,« se regarderdansun dûmentdocumentées et théâtralisées.
Mais la démarchede Bennesauraitêtreexclusivement rattachéeà son
1. Le Magasinfait partiede la collectionmuséaledu CentrePompidou.
succèscommercial. Sil'oncomprend le mondede la vie commeun monde
2. Ben,pourou contre.Unerétrospective,
op.cit.,p. 88. d'échangeséconomiques, cequ'ilest en grandepartie,l'ambivalence de la
3. Pour une liste exhaustivevoir «Mes gestes1958-1972»,Ben, pour ou contre. démarchede Benresteintacte.Untee-shirtou une tassesignéspar Ben ne
Unerétrospective,
op.dt., p. 79. quittentpas complètement leurstatutordinaireinitial,maisilsl'exploitentpar
182 183
ESTH~TIQUEDE LA VIE ORDINAIRE
LE PARIDUGESTE
Ic~ b . , d'une politiquemarchande. .
Ces objets restent en effet "'
~
. facilementreproducubles, exactement comme leurs 11>1~ , J3ell,
cxaspéraûon c'estclans
Ainsi,
et parodiedel'an sontindissociables.
craaques, . d' . Corr • ·
· és L'art reste indiscernablede 1a vie or maire et des St 'sil,,_ c>"ureoù lesgestessont éphémèresque leurmarchandisation devientinté·
non s1gn . . . d d 1 . l'\Jq r"lld,_~
• ut' la ding'ent. L'explottatton marchan e e a vie ordin . llr~ •"'\
~q .. ~ ~~ Illrt>~te,L'appropriation
démiurgique,avant toutdémocratique,devient id
· dans l'affichagedu prix: les gestes ordma1res cessent d'être Sc,t. "'lt. ~taire - comme l'indique l'appellatif d'«csdaves» que Benréserveà ses
voir 8ta /llllllt
sonten tant que matériaupremier et non pas en tant que marchand· 11 '13·lli,1 tot borateurs. A son tour, le spectateur peut s'arrogerlaméthodetotalitaire de
l'artistese les appropne rement, mats e spectateur est censé Pa c~.~
· lib . 1 ISeSe '°" 11
ropriation, il suffit qu'il paie. Il est évidentque la démarchede Ben , rout
strateg1e' · s''etend a' n ,.tmporte qu el geste ord'maire
' · econom1que · et à la
Ycr·. C..
"!!t· dans la lignedirecte de cellede Fluxus, rcsrefidèleau régimeartistique
l'~P'~!lllt
entière.Ben expliquela puissance commerciale du principe d'appr \li~~ ~s~tutionnel,et impartit au monde de la vie ordinairelesmêmes règles que
~~~:
0
Pria
r~ cellesdu march'e de l'art. L'artISte
iJl . s'appropne . I'an parsasignature
. et 1e spccta·
ur par son argent. De plus, le critère du «nouveau»,un desprincipesanis·
1
~ ues par excellence, du moins depuis la Modernité et l'Avant-garde,devient
MoiBenj'aientièrement vécu 15nuits et jours dans la vitrinede la Gal
à Londres à l'expositiondes Mis/its.Cela dans le cadre de Ma peryr· 0~e :ez Ben une boîte vide dans laquelleon peut mettrelittéralement «tout» et
. . . •sed <<n'importe quoi». Cela est égalementdémontréparun échange entreGeorge
conscience et de Mapnsede possessionde lanotion de Tout en tantqu'o:ue
Brechtet Ben Vautier datant de 1965:
d'art (1960).Je suissculpturevivanteet.mobile en tous Mes instantset t~
Mesgestes,à vendre:250t Toutce que Jetouche et regardeest œuvred'an BV: Mes référencesappartiennentà l'histoirede l'art.
Je suisjaloux.Je veuxfairece qui n'a pas été fait. Je suis le Seul.Je pleure
·~ GB: La différenceentre nouscommence ici. Je neparspasdu toutde là.
nuit.Je haislesautres.Jecréetout.Je signetout.Je suisDieu créateurO962) •. BV: Pourquoi?
GB: Parce que l'art est déjàqudquechosede limité. Cen'estqu'unesériede
Le gesteest une œuvred'art plus limitée dans le temps qu'une œuvred'an possiblesparmi d'autres.Je m'intéress e à touteslespossibilités.
naturelle.La photographie qui le retientn'est que son reflet.Je m'arrêtedevant BV: Maistoutesles possibilitésfontpartiedel'art.Pourmoi.JohnCagea rendu
une terrassede caféet je fais un geste terrible. A peine l'ai-je fait quemes possiblele fait que tout soitmusique ; MarcelDuchamp le faitquen'import e
esclavesdistribuentle textesuivant« Vousvenezde voir un gesteterriblede quel objet soit une œuvred'art; et je pensequetu transfonnes touslesévéne-
Ben.Si vousvoulezacquérirle droitde considérerce geste qui est uneœuvre mentsen art.
d'art commelevôtre,pour100$ levezlamain»2 • GB: Pour moi, c'estla mêmechose, peut-être.Tu dis: «Toutestart. » J'essaie
de ne pas penserà l'art; jevoisleschosescommeellessontet je ne pensepas
Apartir de cetteperspective, il ne peut y avoiraucune différenceentrel'art à l'art. Nous faisonslamêmechose1•
et la vie car le principed'appropriationest ravageur.Il devient en effetune
sorte de surpuissancemagiqueet démiurgiquequi exalte et parodie le pouvoir Ce dialoguerésumel'ambivalence de Fluxus.Si l'on prend la perspective
artistique conventionnellement entendu.Parce que l'art et la vie font un, la de Ben, le mouvementFluxus est une attitudeartistiquequi élargitle champ
marchandisationqui s'appliqueau premierne peut que s'étendre à la seconde.
1. Entretien
citéparNicolasBourri auddans «Principes
, méthodes et rappons de
l. Tout Ben, op. et't.,p. 70. Les majuscules
sontde Ben. productiondansI'œuvred'unartiste niçoisdelafinduvingtième siècle»,Ben, pourou
2. Ibid., p. 47. contre. Unerétrospective,op.cit., p. 156.

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ESTll~TIQUE DE LA VIE ORDINAIRJ.: ., LE PARI OU GESTE
j

de l'nrt nux modes ordinaires de la vie. Si l'on prend la persPeci· ·ion Je TOUT c'est la possessionde la notionde TOUT . C'r,t la
lcmentopposée, celle de Brecht, le mouvement Auxus est anti-art '"ed13'\ ,"",,,c•s réelle du TOUT possible en art. personnilité. C'~t la volonté
I '' ' 1c:nce
il ne porte aucunement sur l'art et cela tout simplement parce qu'il~t~lt. •, .,,11~'11 r r,1pport aux autres en voulant TOUT.C'est l'immensepretcn
L'aspect totalisant de Fluxus est donc double: d'un côté il co ~ 1~111~ J 'i:t'~·~tre TOUT . Mon esprit contient cette infimequanrnéde poss1b1lné,
1
« tout est nrt », de l'autre que« rien n'est art ». Selon l'écoulement :' ~rt' of1 10UT, étouffe dans la production une parttede cc TOUT. car des
11
cycliquequi relieraitl'art à la vie ordinaire, il est ainsi possible d'c.,1:t'.'ll
1~j· 11 est \ · • I' · 1
t1' •• nt rcprcnc s sa construcuon, une autre apparaitet t ctn111a prc
la vie et réciproquement de résorber l'art dans la vie. Rit1'; ~ c Ic
,111 1
11I
Ce que le langage des gestes de Ben permet de souligner est le 1111i:'' ·
suivant: le refusde l'art n'est pas incompatible avec son absolutisati/ a~a11i ~1
· 1. Ce1n est poss1'blc soit
· en Coll,11 :n 50 utcnant, à la même époque, une positiondiamétralement
opposée,
de vider l'art de son sens convcnuonnc '~Irt t;: ,c Brecht défend l'idée du re/us de l'art:
• . éJ . lllpt •I
le mondede l'art comme le marché de I art, soit en ' argissam les c . , Cri; n ccofi;
. , , d I' 1· riter I
l'art à ce qui n'est pas constdere comme e art - en app tquant pare ~ ~
. 'd' L d.
critère du nouveau aux obJets et aux gestes quou tens. a emarche<l ~
Xelllp~ oo<RÈGLES: AUCUNE RÈGLE
renoncer à l'intention: rien n'est inachevé
est métalinguistique et paradoxale: elle s'autoproclame comme étantde\~
renoncer aux besoins: aucun impératifn'estsacrifié
maiselle videl'art de son sens. Elle est ce que le paradoxe du menteur 3ti, renoncer à la satisfaction: rien n'est favonsé
' 1 pe a~x cra~~
langage:à la fois vr~ie et fausse,~Ile ec_rnp · ~ es de J~
· gcmen1.Colllo,
Cstab
renoncer au jugement: aucuneactionn'est inadéquate
le menteurdisant « Jè mens» est a la fois en tram de d11e le vrai et de rncnii t renoncerà la comparaison: rigoureuse individualité
gestes de Bensont à la foisartistiques et non artistiques, car ils idcntificn/.1~
1 renoncer à l'attachement: rien à éliminer
au non-art. Le non-art cessedonc d'être ici ce qui nous sauveraitdu grand aari pas de généralitl'Svéritables
au contraire il est ce qui montre que tout peut être transformé en tout•ri, pas d'avancée, pas de régression; changement statique,
• , c1
conséquemmentque toUlpeut perdre ou acquérir de la valeur. Commele<lit ponctualité totale
Bendans une note de 1958: « Si l'art est tout et l'art est rien, l'art est dans le pas d' alléc.'Set venues
vide et l'art est dans le tout 1. » lâcher prise2 .
Le régime Fluxus, tel qu'il est propo sé par Ben, est à double
tranchant. Il érige une barricade contre l'institutionnalisation, mais risque Bien qu' antithétiques, ces deux déclarations se rejoignent sur un point:
de faire de cette barricade un principe absolu. On serait tenté en effet elles ont une structure ta11
tologiq11e.Leurmessagese construit sur une série de
d'opposer à cette théorie les mêmes objections que les stoïciens adressent propositions dont la phrase principale nedit rien de plus que la phrase subo~-
aux sceptiques: la négationdu savoir est en clic-même un savoir. L'absolu. donnée. Le messageest réitéré et la valeurde vérité de la phrase se construit
tisation du refus risque de devenir une nouvelle doctrine. C'est ainsi que en vertu de sa forme seule, quelleque soit la valeurde vérité de ses compo·
l'ouverture du monde de l'art ît la vie ordinaire peut signifier la soumission santcs. Mais, notons-le bien, cesdéclarations ont une structure tautologique
de la création au régime de la marchandise et donc l'abso/111isat io11de tout en n'étant pasdes tautologies au sens strict du terme. Ben dit en effet :
l'art:
l . Ibid.
l. Ben, pour 011 contre... , op. ci l ., p. -12. 2. GeorgeBrcch1, P"'viewReview,n° 2, 1964, p. 49.

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ESTHÉTIQUE DE LA VIE ORDINAIRE

LE PARI DU GESTE
«La.possession de TO~T c'est la ~ossession de la notionde ÎO .
ducoon du terme « notion» produit un changement sémantiqu lJt » : 1..
...,ib\es. Cela veut dire que le discours qui s'applique à un gesteordinaire
Cen'est donc pas la possessionréelle des choses qui fonne let foridarii '\ ' ,c,o
. 1 . a} . 0Ut ~ c<'uint qu'art» ne peut pas différer du discoursqui le considère«en tant que
1a slffipe conceptton ment e qui se montre comme suffisantca, ·slliajtt' ~. ~el' À partir du régime de l'indi sce rn abilité, le point de vue ne change pas
Chez Brecht, le changement est plus subtil, et cela dans la a"'alid ~ Icl»·érience es th euqu
' . e. Qu ' o n 1a cons 1'd'ere comme art istique ou comme ordi-
demandeune compréhensionintermédiaire de la part du lecteu~.esurc()\ 't"P
l ·. \'eJ<pen ence d emeure ·m alterce:
· · · , c •est sa nature esthétique qui importe, et
v~ir sai~irle li~ .entre.les.deu~ injonctions s~parées ?es deux ~0;01.Jr ~ il as sa reco nnai ssan ce anis tiqu e. Tantôt holistique , tantôt nihiliste, l'indis-
piiirC•
poP pbilité fusio nn e deux positions apparemment hétérogènes: l'absolutisation
necessrurede sa1S1r la s1gnificat1onde la prem1ere parue. Ainsi p l'its,i~ 11
« renoncerau jugement» est identique à « aucune action n' es•t i~te~Ctrip ~ cefflrefus de l'art. Comme les deux côtés d'une mêmemédaille
, ces deux
uniquementà condition que l'on ait accepté l'idée que le juge111adcqua te' e, sitions
le sont parfa1tem
· ent revers
' 'bl1 es. Que tout soit de l'artou querien ne
0
. d'ad'equatton
acuon . ou que 1e Jugement
. .
porte touJours sur l'ad.eni...
'•t Uh.\ P it de \'art revient au même. La réversibilitédu rapportfait ainsi desortequ'il
. equai·0 ·-t
l'action. En accord avec leur structure tautologique, ces déclar . ' ridt :,y ait plus de différence ontologique entre l'art et lavieordinair
e.
peuventpas être vraiespuisqu'ellesne peuvent jamais être fausses.~t~ orisne
des impératifs. esson,
Maisvoicile point fondamental: le fait que ces deux déclarations s .
' . alentes n'est poss1
eqmv 'ble qu,,a l' aune de 1a pensee ' FIuxus, 1aquelleest°'tn
u
1

penséede la suspension esthétique.Cette suspensionse propose d'arrêter:


jugementsde l'art ainsique ceux du langage.En effet, la réversibilité durap.
port entrel'absolutisationet le refus de l'art démontre aussile type de langa ge
quelesgestesFluxusmettenten place.Le refus de produire des œuvrescorrcs.
pond au désir de tout engloberdans l'art par la simple signature.Lesdeux
démarchesne sont pas incompatibles,au contraire, elles relèvent du mêrnc
projet: viderl'art de sa signification.Il s'agit de critiquer le systèmede réfé.
rencede l'art, commel'on videraitun langage de sa structure sémantique. Le
vocabulaireartistiquene veut plus rien dire, il n'y a rien derrière les gestes
ordinaires,ils ne veulent plus représenter quelque chose d'autre qu'eux.
mêmes.LesgestesFluxusne représententrien, ils sont accompliset existent
dans la mesureoù leur signification demeureinaccessibleet indicible, au-delà
de tout jugementet de toute signification. Parce qu'il préconisela fluctuati on
constantedes rapportsentre l'art et la vie ordinaire,Fluxus les rend parfait e-
ment réversibleset fait de sorte que les jugementsà leur égard ne puissent
aucunements'arrêteren une positionfixe.
Fluxusmènel'indiscernabilité entrel'art et la viejusqu'à son aboutissement
logique: il rend l'expérienceartistiqueet l'expérienceordinaire parfaitement

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