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Les grandes étapes de la révolution zapatiste

La plus célèbre révolution mexicaine fut le fait de l’Armée Zapatiste de Libération


Nationale (EZLN). Elle commence ses premières actions vers les années 1960-70 à
l’instigation de nouvelles communautés autochtones venues s’installer au Chiapas
(plus précisément à Selva Lacandon). L’exploration de ces nouvelles terres cultivables
contribue ainsi à la démocratisation des rapports entre propriétaires terriens et les
paysans lésés par le système féodal de l’époque. Ce qui conduit à une politisation d’une
frange des communautés autochtones, servant de soubassement à l’émergence du
mouvement zapatiste. Ainsi, le premier congrès zapatiste eut lieu en 1974 à San
Cristobal de las Casas.

En 1980, la révolution prend une nouvelle dimension. Les élites du mouvement


entreprennent des actions visant à intimider les autorités étatiques, et, par ricochet,
acquérir leur autonomie.

L’année 1994 marque l’apogée de l’idéologie révolutionnaire de l’Armée Zapatiste.


Contestant le libéralisme et s’opposant farouchement à la mondialisation, les
zapatistes prennent d’assaut plusieurs villes du Chiapas. Action forte et pleine de
symbolisme, la révolution coïncide avec la signature des accords de l’ALENA (accord
de libre-échange nord américain). Après des dizaines de jours de confrontations avec
l’armée mexicaine, un cessez-le-feu est signé entre le gouvernement et les insurgés.

Les négociations aboutissent, en 1996, à la signature des accords de San Andres dont le
but était la reconnaissance des droits sociaux et culturels des peuples autochtones du
Chiapas.

Comme nous l’avons dit tantôt, le Chiapas est un État pauvre marqué par
l’analphabétisme, la dénutrition, la mortalité infantile, la carence d’équipements
domestiques (eau, électricité, etc.). Il n’a bénéficié qu’avec retard des acquis agraires de
la révolution mexicaine, en raison d’une oligarchie conservatrice surnommée la «
famille chiapanèque ». Jusqu’aux années 1970, dans les grandes propriétés, ils
existaient des formes d’exploitation de la main d’œuvre indigène proches du
féodalisme.

De ce fait, les luttes paysannes s’intensifient au début des années 1970. Les associations
paysannes vont recevoir l’aide de militants d’extrême gauches réfugiés dans la région
pour fuir les forces de sécurité

Ainsi, dans les années 1980, les élites du Chiapas utilisent les appareils d’État locaux et
nationaux pour intimider et assassiner des militants paysans. Cette pratique poussa
certains indigènes à vouloir se lever ; impliquant ainsi une lutte armée.
Toutes ces choses poussèrent le Commandant General du EZLN à faire une déclaration
à la Selva Lacandona et appelle aux armes : c’est le début de la période d’activité du
mouvement zapatiste.

Qui est, en 2015, le porte-parole de l’EZLN ? Le sous-commandant


Moisés. Mais l’on connaît bien mieux son prédécesseur, figure
charismatique répondant au nom de Marcos, qui cessa d’exister, comme il
le déclara lui-même, le 25 mai 2014. « Sous-commandant », parce qu’au-
dessus, il y a le peuple. Ce chef militaire n’avait pourtant pas vocation à le
rester : « L’objectif principal de cette armée est de disparaître », répétait-il
volontiers. Il écrivit ainsi, dans une lettre adressée à un enfant de Basse-
Californie : « Notre profession est l’espoir. Nous avons décidé de devenir
soldats pour qu’un jour les soldats ne soient plus nécessaires. » Ce fut en
1995 que le président Ernesto Zedillo révéla à la presse l’identité du sous-
commandant insurgé : il s’agirait d’un ancien professeur de l’Université
nationale autonome du Mexique répondant au nom de Rafael Sebastián
Guillén Vicente. Sa photo circula aussitôt dans les médias. Marcos n’a
depuis jamais cessé de réfuter l’information. Le rire comme démenti :
« C’est tentant, il a un parcours intéressant, ça donnerait presque envie
d’être lui. Mais c’est une question de principe. Je dois convaincre mes
admiratrices que je ne suis pas aussi laid ! »
6Les zapatistes exprimèrent les raisons de leur soulèvement par la voix de
Marcos, dès leur première allocution : « Nous sommes le produit de cinq
cents ans de lutte : celle contre l’esclavage, la guerre d’indépendance
contre l’Espagne, la résistance à l’expansionnisme nord-américain, la
promulgation de notre Constitution, l’expulsion de l’Empire français de
notre sol […]. Le peuple s’est insurgé avec à notre tête Pancho Villa et
Emiliano Zapata. Des pauvres comme nous. Nous avons été utilisés
comme chair à canon. Nos richesses ont été pillées, sans qu’il importe aux
puissants que nous mourrions de faim et de maladies que l’on peut
soigner ; sans qu’ils leur importent que nous n’ayons rien, absolument
rien, pas même un toit digne de ce nom, ni terre, ni travail, ni soins, ni
nourriture, ni instruction, que nous n’ayons aucun droit à élire librement
et démocratiquement nos propres autorités, que nous n’ayons aucune
indépendance vis-à-vis de l’étranger, qu’il n’y ait ni paix ni justice pour
nous et nos enfants. »
7Les zapatistes portent des passe-montagnes pour dissimuler leur visage.
Un masque qui est un produit de la lutte : « Les symboles zapatistes ne sont
ni les armes, ni la jungle, ni les montagnes, mais le masque, le passe-
montagne. On nous reproche cet usage constant du masque. Pourquoi ces
masques ? Pourquoi vous cachez-vous ? Soyons sérieux. Personne ne
nous regardait lorsque nous avancions à visage découvert, et maintenant
on nous remarque parce que nous dissimulons nos visages », explicita
Marcos.

Quel était l’objectif de la révolution zapatiste et


qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Le fondement de la révolution zapatiste était d’améliorer les conditions de vie des
peuples autochtones du Chiapas. Par ailleurs, les révolutionnaires prônaient une
autodétermination des peuples indigènes. Cela leur permettrait ainsi de réduire les
inégalités et fractures sociales. En outre, l’organisation zapatiste est devenue l’un des
plus grands symboles du mouvement altermondialiste.

Enfin, retenez que même si elle ne mène plus des actions très spectaculaires, la
révolution zapatiste reste bel et bien d’actualité. D’ailleurs, après les déceptions
émanant des accords de San Andrès, le mouvement a entrepris des efforts
d’autogestion. Ces stratégies aboutissent à la création en 2002 des fameux Caracoles
(escargots en espagnol). Il s’agit de municipalités entièrement gérées par les élites du
mouvement zapatiste. Les caracoles constituent ainsi des lieux offrant aux
communautés indigènes l’accès à des services sociaux de base : hôpitaux, écoles (en
langue autochtone), magasins pour les artisans, etc.

A l’heure actuelle, les exploits de l’Armée zapatiste de Libération nationale permettent


de vivifier le tourisme révolutionnaire au Mexique. En effet, plusieurs sympathisants
de la gauche mexicaine et de l’altermondialisme se rendent régulièrement au Mexique
pour se réconcilier avec l’histoire de la révolution zapatiste. La plupart des adhérents
aux principes du mouvement zapatiste se retrouvent alors chaque année à San
Cristobal de las Casas. Les questions qui les interpellent le plus, de nos jours, sont liées
à la préservation de l’environnement et de la beauté des sites touristiques du Chiapas.

Ainsi donc, la révolution zapatiste aura joué un grand rôle dans l’évolution de l’histoire
politique et culturelle du Mexique. Moins révolutionnaire que d’antan, l’idéologie
zapatiste séduit aujourd’hui des milliers de personnes du Mexique et d’ailleurs.

Les caractéristiques du mouvement zapatiste


Le nom du mouvement vient du révolutionnaire mexicain Emiliano Zapata. Les
membres de ce groupe s’autoproclamaient les héritiers de Zapata et de 500 ans de
résistance indigène à l’impérialisme occidental. Les membres de l’EZLN portent un
uniforme et une arme comme d’autres mouvements mais celle-ci diffère des
mouvements de guérilla classiques. Ils se sont soulevés et l’ont publiquement déclaré
en 1994 pour attirer d’abord l’attention sur la condition des indigènes au Chiapas, puis
ne pas vouloir réutiliser ses armes. En fait, les zapatistes ont un slogan : « ¡Ya basta ! »
signifiant « Ça suffit ! » et cela fait référence à l’inefficacité qu’elle attribue aux
méthodes de lutte politique traditionnelles. D’ailleurs, l’attitude non-violente du
mouvement constitue la raison principale de la longévité de l’EZLN et aussi de la
relative popularité qu’elle rencontre au sein de la population du Chiapas.

Les idéologies du mouvement zapatiste


Non-utilisation des armes : Les zapatistes affirment depuis quelques années
maintenant être armés mais ne pas vouloir s’en servir.

Changer le monde sans prendre le pouvoir : Marcos (dirigeant EZLN) a déclaré à


maintes reprises que l’objectif de l’EZLN n’était pas s’accaparer du pouvoir, et
d’imposer mais plutôt d’être des rebelles sociaux qui luttent pour une société plus juste
et plus démocratique.

Lutte contre le néolibéralisme : Connu lors du soulèvement du 1er janvier 1994, jour
de l’entrée du Mexique dans le protocole de l’ALENA, le mouvement zapatiste s’est dès
le début opposé au système capitaliste et refuser des politiques néolibérales.

Gouverner en obéissant : Les zapatistes croient dur comme fer au slogan Mandar «
obedeciendo » qui stipule que ceux qui gouvernent doivent le faire en obéissant au
peuple. De ce fait, ils ne doivent en aucun cas chercher à prendre le pouvoir, ni à se
laisser tromper par celui-ci.

Au Chiapas, la démocratie directe s’épanouit

Au Chiapas, à la base, est la communauté (village) organisée avec une


assemblée communautaire et des agents communautaires. Les communautés se
fédèrent en communes autonomes affinitaires dotées un conseil municipal. Le
nombre initial de vingt-sept communes autonomes rebelles zapatistes est passé à
trente et une en 2019.

Toujours de manière affinitaire, des communes s’associent pour former une zone
totalement autonome. Les communes envoient des délégués à l’assemblée de zone
qui, ne se réunissant que pendant quelques jours tous les deux ou trois mois,
désignent un conseil de bon gouvernement permanent. Il existe désormais douze
zones (régions appelées caracoles - escargots) contre cinq à l’origine.

Le conseil de bon gouvernement, composé d’une dizaine ou d’une vingtaine de


membres selon la zone, se divise en équipes qui se relaient, par exemple tous les
quinze jours. La liaison avec les communes et villages reste donc forte. Le conseil de
bon gouvernement est chargé de la coordination, de la mise en œuvre des décisions
collectives relatives à la gestion des ressources, l’éducation, la santé, la justice, etc.
Il peut intervenir comme conciliateur dans les conflits interpersonnels ou entre
institutions qui n’ont pas trouvé une solution à un niveau inférieur (communauté ou
commune). Il représente également la collectivité auprès des autorités mexicaines.

Pour chacune des assemblées, les mandats sont de courte durée, deux ou trois
ans, non renouvelables. La rotation des charges empêche la professionnalisation,
tout le monde pouvant, devant, participer à la vie politique et à la production du droit.
Un va-et-vient constant s’établit entre le conseil de bon gouvernement, l’assemblée
générale de zone, les communes et villages sur un projet de décision. Le processus
de ratification peut prendre du temps. En l’absence de consensus, la décision est
mise au vote, la position minoritaire n’est pas écartée mais conservée pour,
éventuellement, compléter ou remplacer le choix majoritaire qui se révélerait
inadéquat. Tous les délégués doivent strictement respecter leur mandat et consulter
la base s’ils ne s’estiment pas mandatés sur la question soulevée. Ils sont
révocables et non rémunérés, la communauté mandante prenant en charge les
obligations familiales et professionnelles du délégué pendant l’exercice de son
mandat. Une fois la décision prise, les instances décisionnelles appliquent le principe
« gouverner en obéissant » (mandar obedeciendo). C’est-à-dire que l’organe qui
commande, y compris le bon gouvernement régional, ne fait qu’obéir au mandat
donné par les assemblées, lesquelles peuvent le rappeler à l’ordre à tout moment,
même une assemblée de village.

Ainsi, peut-on parler d’une société sans État avec une gouvernance néanmoins
solide et structurée. D’une démocratie directe complète où le législatif et l’exécutif
sont fondus dans les assemblées des autonomies et dans le conseil de bon
gouvernement, qui n’est justement pas un gouvernement mais un
autogouvernement. Sans constitution écrite, ni corpus de lois, mais plutôt avec un
droit coutumier en perpétuelle adaptation, les zapatistes avancent vers la meilleure
manière de faire vivre l’autonomie (1).

Nul nationalisme réducteur chez les zapatistes, mais plutôt l’affirmation


de leur identité devant la mondialisation qui encense le global et dédaigne
le particulier, tout en transformant les États en instruments dociles au
service de la finance. « Dans les pays détruits par la globalisation, il n’y a
plus de politiques, mais des employés de supermarché. Et les élections ne
servent qu’à nommer un nouveau gérant de la boutique. Alors s’affrontent
les gros, les maigres, les petits… Ils parlent et parlent. Ils ont tous l’air
différents, mais, en réalité, ils sont tous pareils. La globalisation se fiche
bien que le gérant soit vert, bleu, rouge ou jaune. Ce qu’elle veut, c’est
qu’il rende de bons comptes », a rappelé Marcos en l’an 2000. Les
1. Pour aller plus loin, voir Jérôme Baschet, La Rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance
planétaire, 3e édition revue et augmentée, Paris, Flammarion, « Champ histoire », 2019, 400 pages.
zapatistes désirent trouver leur place dans un Mexique qui les considérait
comme des étrangers : ils revendiquent le caractère singulier de leur
indigénéité mais rappellent constamment leur appartenance à la nation
mexicaine et à l’humanité tout entière. L’autonomie, mais pas
l’indépendance.

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