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ÉTUDES ET RÉFLEXIONS
PHILIPPE MURAY,
D’UN PLAISIR L’AUTRE
■ OLIVIER MAILLART ■
Je riais comme jamais peutêtre on n’avait ri, le fin fond de chaque chose
s’ouvrait, mis à nu, comme si j’étais mort.
Georges Bataille
N
ombre des commentaires qui ont suivi la mort de Philippe
Muray ont insisté sur la « rupture », dans sa vie comme
dans son œuvre, entre une première période aux côtés de
l’avantgarde, période conjuguant la réussite littéraire et les
saines valeurs de la modernité intellectuelle et artistique, et une
seconde de ratiocineur aigri, poujadiste et malfaisant.
Réactionnaire, en un mot. Sur la datation exacte de cette ligne
de partage des eaux les avis divergent, mais il semblerait que
l’on puisse situer le glissement progressif de Muray vers le Mal
entre 1991 et 1997, entre les livres publiés chez Grasset et ceux
publiés aux Belles Lettres, entre l’éloge de Rubens et la ridiculi
sation de l’empire du Bien, entre la collaboration à Art Press et
celle à l’Atelier du roman. Et peu importe, dans le fond, que ces
divers travaux aient pu être concomitants, ou que les propos
tenus dans telle revue et dans telle autre aient pu être exacte
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femme nue n’est pas non plus équivalente à l’image d’une gol
den ou d’une grany smith. En bon héritier (même contrarié,
même hérétique) de Roland Barthes (3), Muray ne cherche pas à
revenir en arrière sur les apports de l’analyse des œuvres en
terme de « référents », ni sur toutes les théories qui visent à déta
cher le tableau de son modèle. Seulement, en posant le désir
comme écriture possible sur l’art pictural, il dépasse les cadres
imposés du problème. Pour le dire de façon « bathmologique »,
il se retrouve à un niveau supérieur du sens, à un degré au
dessus de la spirale. En estimant que la question du référent est
d’abord une question sexuelle, il justifie son amour pour Rubens,
et son écriture « romanesque » d’une peinture par son regard
devenue telle. Car les femmes s’animent sous un tel regard
lubrique, elles semblent même sauter d’un cadre à l’autre et
revenir sans cesse, tableau après tableau, comme les personna
ges de la Comédie humaine reviennent de roman en roman.
Rubens en Balzac de la toile et du pinceau. Et pour nous, quelle
expérience ! Ces femmes, « elles saillent de la toile, elles débor
dent ! Aguicheuses inoubliables ! » On est pratiquement dans un
récit fantastique. C’est le syndrome de Stendhal devenu jouissance
pure ! Avec ce goût qu’a Muray pour les géantes, femmes opu
lentes rubéniennes, felliniennes flamandes, qui n’est jamais que
le pendant de son attachement aux œuvres proliférantes, énormes,
qui cherchent à emporter l’adhésion à force d’accumulations.
Balzac encore. Aragon. Le XIXe Siècle à travers les âges. Après
l’Histoire.
Rubens, c’est ce bon géant rabelaisien qui offre au regard
des hommes une foule de femmes toutes plus dodues et appétis
santes les unes que les autres. Le contraire d’un père castrateur
ou culpabilisateur (la Gloire de Rubens, ou l’homme sans culpabi
lité). Mon père, éloigne de moi cette croupe ? Mais certainement
pas ! Ce qu’il faut éloigner c’est tout le temps présent. Non pas
parce que, selon la formule, c’était mieux avant. Mais parce que
c’était mieux toujours. Et qu’il est toujours possible de retrouver la
jouissance, par l’art et par le rire. En poussant la porte qui nous
sépare des plus grandes œuvres. En plongeant dans les tableaux,
après les avoir débarrassés des discours qui les recouvrent et les
interdisent à notre vue.
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depuis qu’il a été créé il n’a plus été possible de l’arrêter, car
lorsque le monde est saisi d’une manière aussi ferme et féroce, il
met du temps à changer de forme et à s’échapper. Voilà le clown
gueulard, celui qui joue des tours à tous et distribue la parole. « Il
imite l’adversaire pour appliquer le fer de la haine dans les plus
fins interstices de son attitude. Ce graveur de syllabes qui creuse
entre les syllabes extirpe des paquets de larves nichées là. Les
larves de la vénalité et des jacasseries, de l’infamie et de la bonho
mie, de l’infantilisme et de la convoitise, de la voracité et de la
malignité. Il démasque en effet l’inauthentique – opération plus
difficile que celle qui a pour but de démasquer le mal – procédant
à la manière behavioriste. Les citations de Die Fackel sont plus que
des pièces justificatives : ce sont des accessoires de théâtre qu’uti
lise le récitant pour démasquer à travers la mimique. » Voilà que je
m’emballe et que je cite à nouveau Benjamin dissertant sur Kraus.
Mais, sur ce point en tout cas, Kraus ou Muray, c’est pareil ! Et si
la phraséologie a vaguement changé, le spectacle est toujours
aussi nécessaire. Aujourd’hui certes, on n’est plus patriotard, en
tout cas en France (mais cela peut changer : notre nouveau prési
dent n’a que le mot « fierté » à la bouche ; après les homosexuels,
les femmes et les immigrés, c’est au tour des Français d’aller mar
cher au pas dans les rues… Et vivent les défilés ! Vivent les bal
lons bleus, blancs, rouges ! Vive la French Pride !). Ce sont plutôt
les droits, de l’homme, de la femme, de l’enfant ou des animaux
qui prolifèrent. Pas un seul discours qui ne cherche à s’énoncer
dans la langue morte des droits humains. Même le porno ! Il faut
le faire quand même, les couvertures des magazines étant restés,
jusqu’à il y a peu, l’un des derniers refuges du mauvais goût le
plus réjouissant (4). Et qu’estce que je vois l’autre jour ? En gros
titre sur un kiosque ? « Ces pays où le porno est interdit ». Ça y est,
ils s’y mettent aussi. Ils vont nous réclamer des droits, des subven
tions. Des aides de l’Union européenne. Et puis il y aura des mou
vements de soutien. Rocco Siffredi à la tête de SOS Darfour, ou la
lutte légitime pour obliger les populations réfractaires à consom
mer porno. X pour tous. Touche pas à mon zob. On va bientôt
voir Kouchner avec un sac sur l’épaule, rempli de DVD et de
magazines, apporter son soutien aux populations martyrisées par
les plus odieux régimes de la planète (et, comme c’est curieux,
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et 2000 (deux volumes), repris en un seul volume chez Gallimard, « Tel », 2007.
3. On s’apercevra que le nom de Barthes revient à plusieurs reprises au cours de
cet article. C’est qu’à mon avis le rapport de Muray à ce dernier est symptoma
tique de son positionnement à l’égard de la modernité. Il est en effet possible de
faire ainsi surgir la fidélité de Muray au projet critique et historique (comment pro
noncer le mot « moderne » quand on sait qu’il le fera sursauter dans sa tombe) de
l’art. Permanente originalité de la pensée, renouvellement joyeux des formes,
jamais Muray n’a renoncé à poursuivre plus avant la route tracée par ses maîtres en
invention. En refusant toujours aux petits chefs du jour le respect qu’ils exigent, il a
prolongé à sa façon le cheminement de l’art historique.
4. Heureusement, tout n’est pas perdu : croisé l’été dernier, parmi les gros titres du
magazine Union : « Le gynéco m’a fait gicler tout mon lait ! » et « Un toucher
rectal explosif ». Ah, poésie…
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