3,40 € jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO - N° 24 669 - www.lefigaro.

fr - France métropolitaine uniquement Première édition

CADEAUX LE FIGARO LITTÉRAIRE

LES PETITS DIAMANTS PROUST, CÉLINE, COCTEAU, DELACROIX...
DES GRANDS JOAILLIERS LES MANUSCRITS DEVIENNENT
PAGES 32 ET 33 DES BEAUX LIVRES NOTRE SUPPLÉMENT

L’avant-projet fin de vie prévoit

RUSSIE
L’inquiétante
disparition

une « exception d’euthanasie »

de Navalny PAGE 8
ISRAËL
Tsahal dans
le guêpier
de Chajaya PAGE 9 Selon le texte que s’est procuré « Le Figaro » avant les arbitrages de l’Élysée, le nouveau modèle
SÉCURITÉ français de « l’aide à mourir » ne prend pas en compte les limites exigées par les soignants.
Bluff à Téhéran, Rédigée sous la houlette de la préférant « l’aide à mourir ». « un médecin, un infirmier » substance létale ». Dans ce pro- mande du patient, y compris
traque en Corse, ministre des Professions de
santé, Agnès Firmin Le Bodo,
Une expression floue qui in-
terroge sur la future applica-
pourraient intervenir lorsque
le malade « n’est pas en mesure
cessus où les soignants se-
raient présents à toutes les
dans les Ehpad. L’article 20 du
texte suggère que les frais
la R5 du chef… cette « version provisoire » du tion du texte et ses interpréta- physiquement d’y procéder ». étapes, pas de décision « collé- soient pris en charge par l’As-
Le GIGN livre ses projet de loi ouvre la porte au tions. L’administration d’une Rôle qui pourrait aussi être en- giale », mais seulement celle surance-maladie. Le code pé-
derniers secrets suicide assisté, et à l’euthana- substance létale serait « par dossé par un proche. Par « prise par le médecin ». L’aide nal, qui définit le meurtre et
sie dans certains cas. Sans ja- principe » effectuée « par la exemple pour « amener le verre à mourir pourrait avoir lieu au l’assassinat, ne serait quant à
PAGE 10
mais utiliser ces termes, leur personne elle-même », mais et faire boire à la personne la domicile ou ailleurs, à la de- lui pas modifié.

ENVIRONNEMENT è « JE NE ME VOIS PAS POUSSER LA SERINGUE POUR TUER » : À NARBONNE, LA CRAINTE D’UN TEXTE QUI BOUSCULE LES SOINS
è EUTHANASIE, AVORTEMENT : CES MOTS QUI COMPTENT, CES MOTS QUI TROMPENT PAGES 2, 3 ET L’ÉDITORIAL
Dans le Sud,
les éoliennes
ne sont plus
les bienvenues PAGE 11 L’aide des
ÉCONOMIE Européens
La BCE sous
la pression à l’Ukraine
des marchés
PAGES 22 ET 23
suspendue
AGRICULTURE
au veto
Redonner aux d’Orban
Français le goût
Le sommet des Vingt-Sept,
du vin, casse-tête
HANNES P. ALBERT/DPA/ABACAPRESS.COM

qui s’ouvre jeudi soir, devait

de la filière PAGE 25 être celui du soutien incon-
ditionnel et durable à
l’Ukraine. En raison des veto
Les jeunes
CHAMPS LIBRES

n
de Viktor Orban sur les
Indiens rêvent 50 milliards d’euros promis
d’une autre vie
À la COP28, l’accord surprise
par l’UE et sur le coup d’en-
voi des négociations d’adhé-
en Amérique
pour sortir des énergies fossiles d’ici à 2050
sion à l’Union, la réunion
n
Les pourrait se solder par le nau-
frage d’une Europe impuis-
chroniques sante et offrant un cadeau au
d’Eugénie Malgré l’opposition des pays pétroliers, les négociateurs ont réussi à évoquer la sortie du charbon, du pétrole président russe, Vladimir
Bastié et du gaz dans le texte approuvé à Dubaï, une première lors d’une conférence internationale sur le climat. PAGES 12 ET 13 Poutine. PAGES 6 ET 7
et de Luc Ferry
n
Le tête à tête
de Charles ÉDITORIAL par Laurence de Charette ldecharette@lefigaro.fr

Déshumanisation
Jaigu
n
La tribune
de Malika Sorel

V
oici donc la mort codifiée. 21 pe-
n
Un entretien tits articles destinés à être insé-
avec Nicolas rés dans le code de la santé. Le
ministère délégué chargé de
Roussellier l’Organisation territoriale et des
PAGES 16 À 19 Professions de santé a rédigé sa copie : le
« modèle français » de la fin de vie promis par
Emmanuel Macron aux partisans de l’eutha-
chestration de la mort – en faisant obstacle à
la vie -, que les soignants craignent, à raison,
de voir le sens de leur mission se perdre.
Dans ce renversement se joue une part de
notre humanité, dépossédée de la véritable
RM 07-01
INTERGALACTIQUE
grandeur puisée dans sa fragilité, chosifiée.
Depuis l’empereur Constantin, le soin est ha-
bité de l’idée de l’égale dignité de tous, idée

@ FIGARO OUI
FIGARO NON
Réponses à la question
nasie est posé sur la table. Dans l’idée de ma-
ter la Grande Faucheuse et ses mauvaises
manières, de rendre à ses proies leur « digni-
perpétuée jusqu’à la Déclaration des droits de

de mercredi :
Êtes-vous favorable à une
dissolution de l’Assemblée
nationale ?
NON
40 %
TOTAL DE VOTANTS : 213 101
3’:HIKKLA=]UXYU]:?l@m@b@e@a";
Sauver ce
l’homme de 1793, qui
proclame : « Les secours
té », les rédacteurs du texte se sont large-
ment inspirés du système belge, l’un des plus
qu’il nous sont une dette sacrée. »
Mais voilà qu’on vou-
« avancés » en matière de mort choisie. reste de drait aujourd’hui offi-
Le vade-mecum dessine les contours du sui-
cide assisté, et de l’euthanasie dans certains
fraternité ciellement conditionner
la dignité humaine à
OUI cas. Il instaure clairement un continuum en- l’état physique du corps qui l’héberge, la su-
60 % tre les soins et l’administration de la mort, et bordonner à ses performances, à son utilité…
confie noir sur blanc aux professionnels de Quel terrible fardeau que cette prétendue in-
santé une mission de « secourisme à l’envers » dignité, dont les malades s’accablent déjà
(sic) pour pouvoir « hâter le décès en limitant bien trop souvent eux-mêmes !

Votez aujourd’hui
* La performance mécanique poussée à l’extrême

les souffrances » - rôle dont ils ont pourtant En sauvant ce qu’il nous reste de fraternité,
sur lefigaro.fr
déjà dit qu’ils ne voulaient pas, dont ils ont en pansant les blessures, en soulageant les
Êtes-vous favorable à une
M 00108 - 1214 - F: 3,40 E

fait une ligne rouge. Car c’est précisément
sortie des énergies dans cette inversion des termes, dans cette
fossiles d’ici à 2050 ? déviation du secours vers l’abandon, dans ce
glissement de l’accompagnement de la fin de
vie - sans faire obstacle à la mort - vers l’or-
UNSAID
souffrances - en développant, enfin et avant
tout, de véritables soins palliatifs accessibles
à tous –, ne fera-t-on pas bien plus pour eux,
pour nous, et pour le monde, qu’avec des
injections létales ? ■
A

AND : 4,30 € - BEL : 3,50 € - CH : 4,40 FS - CZ : 115 CZK - D : 4,00 € - ESP : 4,10 € - GR : 3,60 € - LUX : 3,50 € - MAR : 37 DH - MTQ/GLP : 4,10 € - PORT.CONT : 4,20 € - REU : 4,50 € - TUN : 11,00 TND ISSN 0182.5852
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

2 L'ÉVÉNEMENT
« Exception d’euthanasie », « secouris
Ce que contient l’avant-projet de loi
Avant les arbitrages de l’Élysée, « Le Figaro » s’est procuré le texte du gouvernement. Il ne tient pas compte, en
AGNÈS LECLAIR £@AgnesLeclair
LE NOUVEAU modèle français de la
fin de vie transmis à Emmanuel
Macron est en attente des derniers
arbitrages. La présentation de la fu-
ture loi a été reportée en février
pour laisser le président trancher.
Le texte sera-t-il remanié en pro-
fondeur ? L’avant-projet de loi, ré-
digé sous la houlette de la ministre
aux Professions de santé, Agnès
Firmin Le Bodo, et dont Le Figaro a
consulté une version datée d’octo-
bre, ne prend pas en compte les li-
mites soulignées par nombre de
soignants.
Ce document de 35 pages, quali-
fié de « version provisoire », se dé-
cline en 21 articles. « Il y a encore du
travail à faire sur le texte », souligne
le cabinet d’un autre ministre qui a
relevé des points de blocage. « Il
faut un modèle français de la fin de
vie mais le président veut l’expliquer
lui-même et choisir son moment. Il
est conscient des doutes et des débats
que ça va ouvrir », commente une
source ministérielle. Comme an-
noncé, cet avant-projet de loi pro-
pose un texte en trois parties : les
soins d’accompagnement, les droits
des patients et l’« aide à mourir »,
expression retenue pour qualifier la
nouvelle possibilité de mettre un
terme à son existence.
Sujet le plus sensible, l’aide à
mourir serait inscrite dans l’article
L. 110-5 du code de la santé, qui,
déjà aujourd’hui, prévoit un « droit
d’avoir une fin de vie digne et accom-
pagnée du meilleur apaisement pos-
sible de la souffrance », mis en
œuvre par les professionnels de
santé. L’article remanié pourrait
ainsi créer un continuum entre le
soin et la mort provoquée.
Les conditions cumulatives pour
écourter sa fin de vie ont déjà été
énoncées par Emmanuel Macron.
L’aide à mourir serait réservée aux
Français majeurs, atteints d’une
« affection grave et incurable qui en-
gage (leur) pronostic vital à court ou
moyen terme » (avec une fourchette
de « 6 à 12 mois » selon ce docu-
ment) ou présentant une « souf-
france physique réfractaire ou insup-
portable » liée à leur maladie. Ces
critères excluent les souffrances
« exclusivement liées à des troubles
psychiques ou psychologiques ».
L’aide à mourir - qui consiste
« en l’administration d’une substan-
ce létale » - serait « par principe »
effectuée « par la personne elle-mê-
me ». Mais « un médecin, un infir-
mier » pourraient intervenir lors-
que le malade « n’est pas en mesure
physiquement d’y procéder », indi-
que le document. Une autre possi-
bilité évoquée pourrait faire des re-
mous : l’avant-projet suggère que
ce rôle puisse être endossé par un
proche. Par exemple pour « amener
le verre et faire boire à la personne la
substance létale… ».
Cet avant-projet de loi ouvre
ainsi la porte au suicide assisté, et à
l’euthanasie dans certains cas, sans
jamais utiliser ces termes. « Le texte
introduit une exception d’euthanasie
sans la nommer », peut-on lire dans
l’explication de l’article. Cette ab-
sence de distinction floute les limi-
tes entre les deux pratiques. Le do-
cument ne précise à aucun moment
les conditions pour lesquelles une
personne serait considérée comme
incapable de s’administrer elle-
même le produit létal. Le sujet est
pourtant hautement polémique. Le
Conseil national de l’Ordre des mé-
decins (Cnom) et le collectif de trei-
ze organisations représentant
800 000 soignants ont fait de la par-
ticipation des médecins à l’eutha-
nasie une ligne rouge.
Le modèle travaillé chez Agnès
Firmin Le Bodo prévoit que le suici-
de assisté ait obligatoirement lieu
en présence d’un soignant. Une
modalité qui se rapproche du mo-
dèle belge, car le patient serait obli-
gé de programmer à l’avance la
date et l’heure de sa mort afin de
s’assurer de la présence d’un méde-
cin ou d’une infirmière. Ce déroulé
est donc différent de l’assistance au
suicide pratiquée dans l’État améri-
cain de l’Oregon, pourtant vantée
par la ministre aux Professions de
santé, parce qu’il laisse une grande
part de libre arbitre au patient.
En France, les soignants seraient
présents à toutes les étapes de l’aide
à mourir. À commencer par le mé-
decin chargé de réaliser une évalua-
tion médicale des demandes de
« mort choisie » et de vérifier que le
patient correspond aux critères
d’accès. Une prise en charge en
soins palliatifs pourrait être propo-
sée si le malade n’en bénéficie pas
déjà. Avant de donner son feu vert,
le médecin sollicité devrait recueillir
a minima l’avis d’un médecin qui ne
connaît pas le patient et d’un spécia-
liste de la pathologie, notamment
pour la difficile évaluation du pro-
nostic vital. Des psychologues ou
aides-soignants en contact avec le
patient pourraient aussi être sondés.
Mais ces avis « ne s’imposent pas au
médecin ». « Il ne s’agit donc pas
d’une décision collégiale, mais bien
d’une décision prise par le médecin »,
souligne le document. Ce dernier
aurait 15 jours pour rendre son ver-
dict pour éviter le « traitement dila-
toire » de la demande.
Avant le passage à l’acte, un délai
de réflexion de deux jours mini-
mum serait imposé au patient. En-
suite, ce dernier devrait réitérer sa
demande avant d’être informé de la
marche à suivre et la prescription
par le médecin de la « préparation
magistrale létale ». Un médecin ou
un infirmier devrait obligatoire-
ment être sur place avant le geste
final pour « vérifier la volonté de la
personne » et préparer le produit lé-
tal ou installer la perfusion. Mais il
ne serait pas tenu « d’être dans la
même pièce » aux derniers instants.
Une manière de préserver l’intimité
des familles ? De laisser les proches
aider le patient ? Ce soignant de-
vrait néanmoins rester à proximité
pour pouvoir « intervenir en cas
d’incident lors de l’administration ».
Le document évoque alors un tout
nouveau concept, celui du « secou-
risme à l’envers » pour pouvoir
« hâter le décès en limitant les souf-
frances ». Une inversion de la mis-
sion de soin qui risque de mal passer
auprès des soignants.
Après le décès, la procédure se-
rait enregistrée par le soignant dans

« Je ne me vois pas pousser la seringue

pour tuer » : à Narbonne, la crainte
d’un texte qui bouscule les soins
« PEUT-ÊTRE que je ne serai plus
là dans six mois… ou dans cinq
ans ? » Éric, 66 ans, ne sait pas
combien de temps il lui reste à vi-
vre. Et il ne souhaite pas fixer de
rendez-vous avec cette mort qui
lui fait peur, « comme tout le mon-
de ». Alors que des Français par-
tent se faire euthanasier en Belgi-
que, cet ancien artisan est un
Belge pris en charge dans un ser-
vice de soins palliatifs en France.
Arrivé dans l’Hexagone il y a plus
de dix ans, Éric prévoit d’y finir
ses jours. Atteint d’un cancer de la
prostate qui a gagné les os, il fait
des allers-retours depuis deux ans
dans le service de soins palliatifs
de l’hôpital privé du Grand Nar-
bonne pour le soulager quand la
douleur devient trop forte. Équipé
d’une pompe à morphine, le dos
courbé par une récente chute, il
marche avec un déambulateur. Ce
qui le fait tenir, ce sont ses « en-
fants et petits-enfants ».
« Rentrer dans mon pays pour
une euthanasie, j’en ai déjà parlé
avec eux. Ils m’ont dit : “Tu peux le
demander si tu veux.” Mais je ne
me vois pas du tout constituer un
dossier pour programmer le jour de
mon départ. Une piqûre et c’est
fini… Je préfère les soins palliatifs et
des antidouleurs puissants à la so-
lution belge. Quand ça n’ira plus du
tout, je pourrai partir doucement »,
confie-t-il, attablé sur la grande
terrasse du service où il boit un
café en grillant une cigarette dans
un rayon de soleil hivernal.
À l’hôpital privé du Grand Nar-
bonne, la loi fin de vie promise
par Emmanuel Macron semble
encore bien lointaine. Dans cette
clinique nichée au milieu de la
garrigue, les patients n’évoquent
que très rarement le « droit de
mourir dans la dignité ». « Un pe-
tit goûter, Éric ? », interpelle une
aide-soignante qui passe avec des
pâtisseries. Au plus près des mala-
A
pective d’un futur droit à l’aide à
mourir. « Ces demandes, il n’y en
aura pas dans notre service ! s’ex-
clame Géraldine, une des infir-
mières. Pour l’instant, je suis un
peu dans le déni. On a du mal à
imaginer ce qui va se passer
concrètement. Est-ce que les
autres services vont nous appeler si
un patient fait une demande ?
Comment seront-ils accompa-
gnés ? Cette nouvelle loi, elle me fait
peur. Je crains que cela devienne
une facilité, un moyen rapide et
économique pour régler le sort des
malades dans une société d’effica-
cité. »
Intelligence du soin
La future loi fin de vie, si difficile à
imaginer pour ces soignants, s’est
invitée dans l’unité à plusieurs re-
prises au cours des derniers mois.
Un des médecins du service, Clai-
re Fourcade, présidente la Société
française de soins palliatifs (Sfap),
s’est imposée comme une voix qui
compte dans ce débat. Cette unité
des soins palliatifs de Narbonne a
également été mise en lumière
dans le reportage engagé de Mari-
na Carrère d’Encausse Fin de vie.
Pour que tu aies le choix. Non sans
regrets. Malgré deux jours de
tournage in situ, la partie du film
consacré aux soins palliatifs a été
expédiée en quelques minutes et
s’est conclue par cette petite
phrase assassine : « Une fois enco-
re, ce sont les soignants qui déci-
dent. »
« Avec chaque patient, nous
construisons un chemin singulier,
du “sur-mesure”. C’est peut-être
difficile de transmettre pourquoi on
résiste », soupire Claire Fourcade.
Ce jour-là, elle est appelée en ur-
gence auprès de Jeanne*, une sep-
tuagénaire qui a décidé d’arrêter
sa chimiothérapie. Traitée depuis
plusieurs mois pour un cancer du
pancréas, cette patiente s’est
ne n’en peut plus. Dans l’intimité
d’un bureau privé, Claire Fourca-
de s’assoit à côté d’elle plutôt
qu’en face. À l’écoute.
« Je suis épuisée. Il faut faire
quelque chose. On m’a donné des
médicaments, mais ça ne fait
rien », lâche Jeanne. Tenaillée par
une douleur lancinante au coccyx,
elle se confie d’une voix remplie
de détresse. « Cette nuit encore, je
n’ai pas dormi. Je suis fatiguée, fa-
tiguée… »
Le médecin fait le point sur la
liste de médicaments de la patien-
te, en particulier les antidouleurs :
« On est très en dessous des doses
dont vous avez besoin. Nous pou-
vons vous garder quelques jours en
hospitalisation pour améliorer la
situation. Cela permettrait de tes-
ter des antidouleurs en injectable
pour trouver rapidement les doses
qui vous soulagent. Ensuite, vous
pourrez repasser aux comprimés à plus tôt » ? « Ce n’est pas facile de des stores et éclairent son lit. Sa-
la maison ou utiliser une pompe à
morphine », propose Claire Four-
cade, sa main posée sur celle de la
« comprends
Je ne se faire aider quand on n’a pas
l’habitude, lui glisse Claire Four-
cade. Mais si on s’y met à plu-
rah Halioui cherche des solutions
pour qu’elle retrouve très pro-
gressivement goût à la nourriture.
patiente. « La douleur, à la limite, pas comment sieurs, cela va aller mieux. On est Apporter son parfum préféré de
ça va. C’est surtout le reste que je cette loi pourra heureux de vous aider. » Cette in- glace, quelques gorgées de Rico-
ne supporte pas. Les fuites… Je telligence du soin, ces mots bien- ré… Le médecin programme éga-
n’arrive même pas à arriver à s’appliquer. veillants, au plus près des besoins lement un rendez-vous avec une
temps aux toilettes. Est-ce que cela Tous les des patients, c’est le message hu- assistante sociale pour que Sylvie
va durer encore longtemps ? Je ne patients maniste qu’elle tente de faire pas- puisse rentrer chez elle. Un retour
vais pas tenir… », répond Jeanne ser dans le débat sur la future loi à la maison pas si facile à organi-
dans un sanglot. que j’ai vus fin de vie. ser. Sa fille, stressée par le suivi
« C’est important, de faire une aujourd’hui, Une autre médecin du service, des infirmières libérales, s’inquiè-
pause. Je vais déjà modifier votre je ne peux pas Sarah Halioui, a elle aussi porté te. « Nous pouvons vous proposer
traitement aujourd’hui, puis nous cette parole jusqu’au sommet de une hospitalisation à domicile en
programmerons un séjour à l’hôpi- dire s’ils vont l’État. En mars dernier, cette jeu- complément, avec des soignants de
tal quand ça vous arrange, la ras- mourir à brève ne praticienne de 30 ans a été in- l’hôpital pour les soins les plus
sure le médecin. On peut aussi ou moyenne vitée par Emmanuel Macron au complexes. Ce n’est pas évident
prévoir la venue d’une infirmière à
domicile pour vous aider à gérer le
traitement morphinique. »
échéance »
SARAH HALIOUI, MÉDECIN
grand dîner organisé à l’Élysée sur
la fin de vie. Verbe rapide,
convictions de fer et rhétorique
pour votre fille, de vous savoir ma-
lade. C’est normal, elle vous aime.
On peut organiser un rendez-vous
Jeanne fait partie de ces nom- en acier, dans le salon blanc et or avec la psy du service pour la ras-
breux malades qui craignent de du palais présidentiel, elle avait surer », propose Sarah Halioui.
peser sur les autres. Peut-elle se impressionné les invités. Dans la « Quand on réfléchit le mieux
faire aider par des infirmières chambre de Sylvie*, atteinte d’un possible au confort du patient, les
alors qu’elles sont « déjà débor- cancer de l’œsophage, c’est un demandes d’euthanasie ou de sui-
dées » ? N’est-elle pas une charge autre savoir-faire qu’elle déploie. cide assisté sont très rares, dit-elle
pour son mari devenu « si atten- Affaiblie, la patiente reste allon- en sortant de la chambre. Les si-

des, les soignants n’ont pas trop pourtant présentée au rendez- tionné », même si « c’est con, il gée dans la pénombre. Seuls quel- tuations scandaleuses en fin de vie
envie de se projeter dans la pers- vous comme convenu. Mais Jean- aurait pu commencer à être gentil ques rayons de lumière filtrent sont généralement des situations

me inversé »…
fin de vie
l’état, des limites fixées par les soignants.
un système d’information pour
qu’elle puisse être tracée par une
« commission d’évaluation et de
contrôle du dispositif d’aide à mou-
rir ». Cette instance réaliserait un
contrôle « a posteriori », comme en
Belgique. La convention citoyenne
sur la fin de vie penchait plutôt pour
un « contrôle a priori », comme un
garde-fou à de potentielles dérives.
Comme annoncé, une clause de
conscience pour les professionnels
de santé est prévue.
Une prise en charge
par l’Assurance-maladie
L’aide à mourir pourrait avoir lieu au
domicile ou ailleurs, à la demande
du patient. Alors que les gériatres se
sont montrés particulièrement in-
quiets par la légalisation de l’eutha-
nasie ou du suicide assisté, ce docu-
ment prévoit qu’une hospitalisation
ou un hébergement dans un Ehpad
« ne peuvent pas faire obstacle à l’ac-
cès à l’aide à mourir ». Les détenus
d’acharnement thérapeutiques. »
Comment se projette-t-elle
dans un futur où l’aide active à
mourir serait devenu un droit ?
« Je ne comprends pas comment
cette loi pourra s’appliquer. Tous
les patients que j’ai vus aujourd’hui,
je ne peux pas dire s’ils vont mourir
à brève ou moyenne échéance.
Comment prévoir l’espérance de vie
à moyen terme ? Même à court ter-
me, on peut se tromper, relève-t-
elle. Nous avons suivi des personnes
qui ont dépassé toutes les estima-
tions d’espérance de vie ».
« Rupture
anthropologique »
Âgée de 61 ans, Martine fait partie
de ces patients qui fréquentent
depuis six ans le service
Pass’temps, un programme de
soins de support installé au sein
du service de soins palliatifs. At-
teinte d’un cancer du sein métas-
tasé, elle a réussi à « chasser ses
idées noires » et à « ne pas se re-
plier sur la maladie » grâce à ce
soutien. Dans cette « deuxième
maison », les patients peuvent
malades devraient aussi pouvoir ac-
céder au suicide assisté « en dehors
des établissements pénitentiaires »,
quitte à porter un bracelet antirap-
prochement s’ils ont été condamnés
pour violences conjugales.
L’article 20 suggère que les frais
de l’aide à mourir soient pris en
charge par l’Assurance-maladie. Cet
acte ferait ainsi son entrée dans le
code de la sécurité sociale pour pou-
voir être remboursé. Le code pénal,
qui définit le meurtre et l’assassinat,
ne serait pas modifié. « En l’état de la
législation française, l’aide active à
mourir peut recevoir l’une ou l’autre
de ces qualifications », relève le do-
cument. Pour « dépénaliser de façon
expresse l’aide à mourir », il prévoit
de s’appuyer sur une exception déjà
prévue pour la personne « qui ac-
complit un acte prescrit ou autorisé
par des dispositions législatives ou ré-
glementaires ». « Ce qui serait le cas
de l’aide à mourir une fois la loi adop-
tée », conclut le document. ■
rencontrer un psychologue, une
nutritionniste, un kiné, une es-
théticienne, partager des repas ou
participer à un atelier de peinture.
« Ici, les soignants répondent à
toutes nos questions, et c’est es-
sentiel. Cela m’a beaucoup rassu-
rée. Avant, la sédation me faisait
peur. J’ai compris que la loi actuelle
pouvait m’aider à partir dans de
bonnes conditions. Quand on vous
donne les moyens de continuer à vi-
vre, on n’a aucune envie de l’abré-
ger, sa vie », témoigne-t-elle.
« Ça prend du temps, de trouver
une solution pour bien prendre en
charge les patients. Aurons-nous
encore ce temps si l’aide à mourir
est présentée comme une porte de
sortie ? », interroge Raphaëlle
Rouhier, la nutritionniste de
Pass’temps.
Face à une possible onde de
choc qui viendrait percuter ses
pratiques, tout le service s’est
réuni au printemps afin d’imagi-
ner les conséquences de cette
« rupture anthropologique ».
« Suicide assisté ou euthanasie :
nous avons conclu que nous
CONTRE-POINT
PAR GUILLAUME TABARD £@GTabard
Euthanasie, avortement :
ces mots qui comptent,
ces mots qui trompent
S
ur la fin de vie, le dernier
« Il ne s’agit
donc
mot n’est pas encore écrit.
Le texte de l’avant-projet
de loi dévoilé par le Figaro
(lire ci-contre) reste suspendu
pas d’une aux ultimes arbitrages
décision
présidentiels. Le ton, cependant,
collégiale, est déjà donné. Ceux qui espéraient
une grande prudence sur le sujet
mais bien et une prise en compte des alarmes
d’une des soignants en seront pour
décision leur frais. Au-delà de la simple
reconnaissance du suicide assisté
prise par via une « aide active à mourir »,
le médecin
L’AVANT-PROJET
» le principe d’une exception
d’euthanasie est bien posé,
DE LOI FIN DE VIE et avec des contours suffisamment
flous pour permettre toutes les
extensions à venir. Par bien des
détails, on voit que sous couvert
de « modèle français », le « modèle
belge » perce déjà, avec toutes les
dérives auxquelles il a d’ores et déjà
conduit. L’entrée dans un Ehpad
« ne peut pas faire obstacle à l’accès
au suicide assisté », est-il
entre autres écrit. Voilà
les accompagnants et les soignants
prévenus. Et que dire de cet
effroyable concept de « secourisme
à l’envers » pour désigner un geste
destiné à donner la mort ?
Certains s’attendaient à un texte
initial restrictif en redoutant un
débat parlementaire transgressif.
Même si les mots de « suicide » et
d’« euthanasie » sont délibérément
occultés, la version de l’exécutif
prouve une intention d’aller
d’emblée très loin. À moins
qu’Emmanuel Macron impose
une plus grande prudence. Mais
le voudra-t-il ? N’oublions pas que
le chef de l’État s’était dit hostile à
l’allongement à quatorze semaines
du délai pour un avortement ;
avant d’autoriser sa majorité
à le voter. Et qu’il n’était pas chaud
non plus pour inscrire l’IVG dans
la Constitution. Avant de reprendre
cette initiative à son compte.
Le coup de théâtre de la motion
de rejet de la loi immigration a fait
passer le sujet au second plan, mais
le Conseil des ministres a adopté
le projet de loi constitutionnelle
qui sera soumis au vote du Congrès
le 4 mars. Là encore, les mots
comptent. L’Assemblée nationale
avait adopté en novembre 2022
une proposition de loi de la LFI
Mathilde Panot stipulant « la loi
garantit l’effectivité et l’égal accès
au droit à l’interruption volontaire
de grossesse ». Le Sénat s’apprêtait
à rejeter cette définition d’un
véritable droit opposable et le débat
aurait alors pu s’arrêter là. Mais
le LR Philippe Bas a cru bon
de substituer une version plus
mesurée selon laquelle « la loi
détermine les conditions dans
lesquelles s’exerce la liberté de la
femme de mettre fin à sa grossesse ».
Accompagnée n’étions pas prêts à le faire. Mais si
d’une interne,
le docteur Sarah Halioui
cela fait partie de l’arsenal théra-
peutique, on sera obligé d’en parler
échange avec avec les patients, et cela va forcé-
une patiente dans
une chambre de l’unité
ment s’inviter dans notre pratique.
Comment on va réagir si un malade
des soins palliatifs
de l’hôpital privé l’évoque ? Et si sa famille nous en
parle ? », pointe Sarah Halioui.
du Grand Narbonne,
Patricia, aide-soignante, n’est
à Montredon-des-
Corbières (Aude). pas du même avis mais partage
certaines craintes. « Je peux com-
IDRISS BIGOU-GILLES/HANS
LUCAS POUR LE FIGARO prendre les gens qui demandent
l’euthanasie. Je peux imaginer que
ce soit autorisé pour certaines pa-
thologies si c’est très cadré », dit-
elle. Où mettre la limite ? « C’est
très compliqué à définir, poursuit-
elle. Ce qui fait peur, c’est que cette
possibilité soit mal utilisée, notam-
ment pour des patients qui font la
demande dans une période de dé-
prime. »
« Je ne me vois pas pousser la se-
ringue pour tuer quelqu’un ou lui
donner un médicament pour qu’il
meure. J’ai peur que des patients
demandent d’accélérer leur mort
alors qu’il y a d’autres solutions »,
tranche Camille, une infirmière
de 33 ans. Émeline, également in-
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
L'ÉVÉNEMENT 3
LES
INQUIÉTUDES
DE LA
CONVENTION
CITOYENNE
La convention citoyenne,
majoritairement favorable
à une aide active à mourir,
mais divisée sur ses
Cette version a été votée en février. modalités, s’inquiète du
Aussi, depuis que le président
de la République a annoncé,
en octobre, sa volonté d’inscrire
calendrier sur la fin de vie.
Ce jeudi, à l’occasion
du premier anniversaire
l’IVG dans la Loi fondamentale,
le vote final semblait aller de soi.
du lancement de ses
travaux, Agnès Firmin
Parce que Macron avait parlé
Le Bodo, ministre des
de « la liberté » des femmes
Professions de santé, et
d’avorter, certains en avaient
déduit un peu vite que le chef Olivier Véran, porte-parole
de l’État s’alignait sur la version du gouvernement, vont
sénatoriale. Il est vrai que le texte recevoir une vingtaine
adopté en Conseil des ministres de ses membres.
est très voisin : « La loi détermine
les conditions dans lesquelles
s’exerce la liberté garantie
Les deux ministres
devraient notamment
donner des précisions
à la femme d’avoir recours à une
IVG. » Or l’adjectif change tout. sur la stratégie
Philippe Bas reconnaît lui-même du gouvernement
que cette « garantie » revient sur les soins palliatifs.
à instaurer ce droit opposable « Nous sommes très
dont le Sénat ne voulait pas. inquiets sur l’avenir de nos
Ce qui, a-t-il confirmé sur Public propres recommandations,
Sénat romprait l’équilibre entre
« la liberté reconnue à la femme
et la pérennité de l’outil des
et la protection de l’enfant à naître ». conventions citoyennes »,
Comme sur l’immigration, ont interpellé une partie
la volonté d’attirer le vote des uns de ses membres regroupés
sans faire fuir le vote des autres au sein de l’association
va-t-elle conduire à un blocage Les 184, dans une tribune
au Parlement ? Outre la fausse parue dans Le Monde.
facilité du « en même temps »
Agnès Firmin Le Bodo
politique, on mesure la délicate
articulation entre le désir d’un a annoncé la semaine
affichage emblématique et la dernière que le texte
nécessité de la rigueur juridique. serait dévoilé en février.
« Il est temps de laisser
la représentation nationale
s’emparer de ce sujet
et porter publiquement
le débat », estiment pour
Même leur part les membres
si les mots de l’association.
de « suicide »
et d’« eutha-
nasie » sont
délibérément
occultés,
la version
de l’exécutif
FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO
prouve
une intention
d’aller d’emblée
très loin »
L’aide active
à mourir
ne peut pas
être effective
en 2024, à partir
du moment
où le projet
firmière, ne cache pas sa colère : de loi sera
« Notre système de santé n’a pas
encore intégré les soins palliatifs.
présenté
On supprime des lits partout, alors en février (…)
que peu de gens ont accès à cette
prise en charge. »
Il faudra
Pour imaginer l’impact du futur une navette
texte sur le soin au quotidien, la
psy du service, Catherine Se-
entre l’Assemblée
moud, tente un parallèle avec la et le Sénat,
sédation profonde et continue
jusqu’au décès. Ce droit à « dormir peut-être
avant de mourir pour ne pas souf- un autre
frir » est la principale disposition
de la loi de 2016 sur la fin de vie. aller-retour,
« Cette sédation est déjà compli- donc il faudra au
quée à gérer dans les équipes, no-
te-t-elle. Quand cela arrive, cela moins dix-huit
suscite toujours des questions et
parfois de l’incompréhension. Les
patients s’interrogent : “Pourquoi
mois de débats
AGNÈS FIRMIN LE BODO,
»
on l’a pratiqué sur ce monsieur ?”, MINISTRE DES PROFESSIONS
“Dois-je la réclamer ?”, “Pourquoi DE SANTÉ, SUR FRANCEINFO
la dame qui n’en voulait pas est
morte ?”… Même si l’intention est
complètement différente de
l’euthanasie, cela donne une idée
des interrogations à venir. » ■
A
A. L.
* Certains prénoms ont été modifiés.
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
4 POLITIQUE
Loi immigration : le gouvernement tente le
Après l’échec essuyé à l’Assemblée, le chef
de l’État vise un accord avec LR, en vue
d’une adoption sans 49.3 avant Noël. Sans
quoi il prévoit de renoncer à son texte.
LORIS BOICHOT £@lboichot,
LOUIS HAUSALTER £@LouisHausalter
ET TRISTAN QUINAULT-MAUPOIL
£@TristanQM
EXÉCUTIF La chorégraphie est mainte-
nant bien connue. Le ballet des consulta-
tions a repris mercredi à Matignon, nou-
velle tentative de l’exécutif de rebondir,
après l’adoption lundi d’une motion de
rejet qui a empêché l’examen à l’Assem-
blée nationale de son projet de loi sur
l’immigration. À la manœuvre, Élisabeth
Borne a reçu les dirigeants des Républi-
cains (LR) en fin de matinée, avant de
rencontrer les centristes du Sénat et les
cadres du camp Macron en milieu
d’après-midi. L’exercice se répétera jeudi
matin. Et autant de fois que nécessaire
jusqu’à la convocation de sept députés et
de sept sénateurs lundi, dans une com-
mission mixte paritaire (CMP).
Entourée de ses ministres Gérald Dar-
manin (Intérieur) et Franck Riester (Rela-
tions avec le Parlement), la chef du gou-
vernement doit concilier les attentes de la
droite avec celles de sa majorité. Pour
l’heure, l’exercice n’a pas été conclusif.
Chacun se donne le temps nécessaire pour
« sécuriser » un accord en commission
puis, dans la foulée, une adoption du texte
par le Parlement. « C’est courtois mais la
discussion reste ouverte », dit-on pudi-
quement au sein de l’exécutif. Les LR tien-
nent pour leur part à leurs « fondamen-
taux » pour freiner les flux migratoires et
faciliter les expulsions (lire ci-contre).
La veille, mardi, le chef de l’État a don-
né le cap à ses troupes invitées à l’Élysée
pour un dîner politique. Soucieux de ne
pas laisser s’enliser un texte sur lequel le
gouvernement a fondé une partie de sa
crédibilité depuis la rentrée, Emmanuel
Macron a réclamé un compromis « dans
les meilleurs délais ». Devant la première
Les quatorze parlementaires
au rôle décisif pour l’avenir
du projet de loi Darmanin
LORIS BOICHOT £@lboichot
WALLY BORDAS £@wallybordas
ET RICHARD FLURIN £@FlurinRichard
ILS SONT ceux dont dépend l’avenir
du projet de loi sur l’immigration.
Lundi à 17 heures, sept députés et sept
sénateurs se retrouveront à l’Assem-
blée nationale, en commission mixte
paritaire (CMP).
Leur objectif : sceller un accord sur le
texte de Gérald Darmanin, rejeté lundi
par les députés avant même le début
des débats dans l’Hémicycle - un sévè-
re échec pour le gouvernement.
Emmanuel Macron espère qu’un com-
promis sera trouvé, préalable à un vote
final incertain au Parlement dans la
foulée.
En cas de désaccord, le texte sera aban-
donné, a prévenu mardi soir à l’Élysée
le chef de l’État, soucieux de ne pas re-
courir à la méthode forte du 49.3. En
attendant, charge à sa première minis-
tre, Élisabeth Borne, de multiplier les
rencontres de préparation avec les diri-
geants des Républicains et de sa majori-
té (lire ci-dessus).
L’équation est claire : vu la répartition
des forces politiques en commission
mixte paritaire, la coalition Macron doit
s’accorder avec la droite, les deux
camps disposant chacun de cinq repré-
sentants. « Personne n’a la majorité », a
résumé mercredi sur France 2 la prési-
dente de l’Assemblée nationale, Yaël
Braun-Pivet, en appelant à ce que
« chacun fasse un pas vers l’autre ».
Présentation des parlementaires pres-
sentis pour rejoindre ces pourparlers
décisifs, sous la présidence du député
(Renaissance) Sacha Houlié.
u
1
Cinq membres de la droite
en position de force
Les Républicains et leurs alliés de
l’Union centriste auront un rôle crucial,
A
avec quatre sénateurs (dont un centris-
te) et un député. Le président LR de la
ministre, des membres du gouvernement
et des cadres de la majorité, le chef de
l’État a rappelé son objectif d’offrir pour
Noël aux Français une loi immigration
adoptée en bonne et due forme. L’occa-
sion de s’en prévaloir lors de ses vœux té-
lévisés le 31 décembre, pour ouvrir
d’autres chantiers en janvier. En em-
brayant notamment sur de nouvelles ré-
formes économiques.
Alors que quelques convives, dont la
présidente de l’Assemblée nationale, Yaël
Braun-Pivet, ont plaidé pour donner plus
de temps au débat, Emmanuel Macron a
dit “niet”. « Le système a une tendance mé-
“a une
Le système
tendance mécanique
”
à la procrastination
ENTOURAGE PRÉSIDENTIEL
canique à la procrastination », soupire-t-
on dans l’entourage présidentiel, en rafraî-
chissant la mémoire de ceux qui
aimeraient temporiser : « Il y a un an, le
président reportait la présentation de la ré-
forme des retraites à janvier 2023 pour don-
ner plus de temps à la discussion avec LR. On
a vu ce que ça a donné : ça n’a servi à rien. »
Emmanuel Macron n’envisage un re-
trait du texte qu’en cas d’échec de la com-
mission mixte paritaire. Celle-ci, où la
droite sera en position de force, devrait
accoucher d’un texte durci, plus proche
de la version du Sénat, et qu’il faudra faire
avaler à l’Assemblée nationale, en parti-
culier à l’aile gauche de la macronie. En
cas d’accord sur une version du texte lun-
di soir, un vote définitif serait organisé
mardi à 14h30 au Sénat, puis plus tard
dans l’après-midi à l’Assemblée nationa-
le, selon le ministère des Relations avec le
Parlement. « Chacun devra prendre ses
commission des lois du Sénat, Fran-
çois-Noël Buffet, sera vice-président
des débats. Lors des débats dans la
Chambre haute, l’élu du Rhône, hom-
me de dialogue et de compromis, s’est
révélé l’un des principaux artisans de
l’accord restreignant la régularisation
des travailleurs sans papiers dans les
métiers en tension.
Il sera accompagné du patron des séna-
teurs LR, Bruno Retailleau (5), très of-
fensif lors des discussions au Palais du
Luxembourg. Il aura à cœur de défen-
dre les mesures durcies par ses troupes
pour faciliter les expulsions et éviter
tout « appel d’air » à l’immigration.
Seront présents à ses côtés les deux co-
rapporteurs du projet de loi lors de son
passage au Sénat, la LR Muriel Jourda et
le centriste Philippe Bonnecarrère (1).
Ce dernier, membre d’aucun parti, ne
cache pas être « très compatible » avec
le MoDem, composante de la majorité
sénatoriale… et présidentielle. Juriste
discret attaché à trouver des accords, il
pourrait donc se révéler un architecte
du consensus pendant la bataille.
Représentante des députés LR, l’élue du
Doubs Annie Genevard (3), ancienne
vice-présidente de la Chambre basse,
se montre très critique du projet de loi.
Mais elle sait souvent faire preuve de
plus de rondeur que bien d’autres ca-
dres de son parti.
uCinq
macronistes
au cœur des négociations
Figure de l’aile gauche du camp Ma-
cron, Sacha Houlié (4) présidera les dis-
cussions, dans son rôle de numéro un
de la commission des lois de l’Assem-
blée. À cette fonction clé, le député sait
qu’il devra faire un pas vers la droite,
une posture inattendue pour cet ardent
défenseur des régularisations de tra-
vailleurs sans papiers. Ces derniers
jours, il a assuré à ses interlocuteurs
qu’il ne sera pas « irresponsable ».
Autour de lui, quatre parlementaires de
la coalition présidentielle tenteront de
À la manœuvre, Élisabeth Borne (ici à la sortie de l’Élysée, le 12 décembre) a reçu les dirigeants des Républicains (LR) en fin de matinée,
et les cadres du camp Macron en milieu d’après-midi. LUDOVIC MARIN/AFP
responsabilités », a insisté le chef de l’État,
un message qui s’adresse à la droite com-
me à ses propres troupes. Il a, au passage,
fermement écarté l’hypothèse d’une dis-
solution. Tout comme celle d’un 49.3
pour faire définitivement voter son texte à
l’Assemblée.
1 2
3 4
5 6
revenir sur les dispositions des séna-
teurs jugées excessives, comme la res-
triction de l’aide médicale d’État
(AME). Parmi eux, Florent Boudié (Re-
naissance) se prépare à réécrire sa me-
sure de « compromis » sur les régulari-
sations, derrière laquelle s’étaient
rangés les députés macronistes.
Le chemin vers une adoption est donc quêtes de la droite, les députés macronistes
étroit. « La CMP me paraît un écueil sur- de chaque groupe parlementaire se sont
montable. Le vote à l’Assemblée sera plus concertés mercredi. Avant une réunion
compliqué », analyse Claude Malhuret, commune jeudi matin. Une préparation
président (Horizons) du groupe des Indé- exceptionnelle tant le sujet est explosif.
pendants au Sénat. Alors qu’ils sont invités Le gouvernement comme les responsa-
à mettre de l’eau dans leur vin face aux re- bles de la majorité veulent définir leur li-
s’apprête à rappeler la vigilance des
troupes bayrouistes, hostiles à un trop
fort durcissement du texte.
uDeux sénateurs socialistes
au rôle non négligeable
Le groupe socialiste au Sénat, qui dispose
de deux sièges dans cette instance, a choi-
si d’y asseoir des personnalités qui « maî-
trisent le fond du sujet ». L’élue de Paris
Marie-Pierre de La Gontrie (6) est vice-
présidente de la commission des lois de la
Chambre haute et a activement participé à
ce titre à la première lecture du projet de
loi immigration. Sa collègue Corinne Na-
rassiguin, elle aussi membre de la com-
mission des lois, occupera le second siège
socialiste. L’une et l’autre étaient en pre-
NIVIERE DAVID/ABACAPRESS.COM ; F. BOUCHON/LE FIGARO ;J.-C. MARMARA/LE FIGARO ; S. SORIANO/LE FIGARO ;
mière ligne dans l’opposition à la droite
sénatoriale, lors des débats. En séance
comme en conférence de presse, les deux
sénatrices ont vilipendé un « texte de la
honte » réécrit puis voté par le Sénat.
uLe député RN, possible arbitre ?
Le lepéniste Yoann Gillet sera le seul
représentant de son camp. Il pourrait
faire office d’arbitre sur certaines mesu-
res, si la droite et les troupes présiden-
tielles ne parviennent pas à s’entendre.
Pour autant, son poids au sein de l’ins-
tance est à relativiser, au vu du rapport
de force, très défavorable aux troupes de
Marine Le Pen.
uUne
Insoumise isolée
Un seul membre de La France insou-
mise (LFI) aura droit de cité : la députée
Andrée Taurinya, secrétaire de la com-
mission des lois de l’Assemblée. Membre
historique du mouvement mélenchonis-
te, l’élue de Saint-Étienne a tenu tête à
un texte qu’elle juge « profondément xé-
nophobe et raciste ».
uQuatorze
suppléants privés
de vote
En plus des quatorze titulaires, le même
nombre de suppléants prendront place
dans cette réunion au sommet. S’ils
auront le droit de prendre la parole, ils
ne pourront en revanche pas voter. Mais
Ses deux collègues du groupe majoritai- certains parlementaires connus du grand
re, la questeur de l’Assemblée Marie public feront partie de ces remplaçants :
Guévenoux (2), et le sénateur Christophe le patron des sénateurs socialistes, l’an-
Bitz, deux spécialistes des dossiers réga- cien ministre Patrick Kanner, son ho-
liens, seront, comme lui, les vigies de mologue à l’Assemblée nationale, Boris
Renaissance sur ce projet de loi. Quant à Vallaud, l’Insoumise Danièle Obono, et
la vice-présidente (MoDem) du Palais le député (Renaissance) Guillaume
Bourbon, Élodie Jacquier-Laforge, elle Gouffier Valente. ■

tout pour le tout
avant de rencontrer les centristes du Sénat
gne, entre points négociables et mesures
intouchables. « Il faudra qu’on accepte un
texte de compromis », a prévenu le chef du
groupe majoritaire, Sylvain Maillard. Le-
quel rejette toute restriction de l’aide mé-
dicale d’État (AME), mais se dit prêt à ré-
duire à une accroche législative les
Vive altercation après les
« menaces » d’un macroniste
à l’encontre d’une écologiste
L’ALTERCATION n’est pas passée ina-
perçue dans les travées du Palais Bour-
bon. Mardi après-midi, à l’Assemblée,
en pleine séance de questions au gouver-
nement, un très vif incident a éclaté en-
tre la présidente des députés écologistes,
Cyrielle Chatelain, et le rapporteur géné-
ral macroniste du Budget, le député Re-
naissance Jean-René Cazeneuve. Alors
que l’élue venait d’interpeller Gérald
Darmanin, l’accusant de « faire du pied
aux députés du Rassemblement national »
et d’avoir des « méthodes crapuleuses »
en « marchandant les votes des parlemen-
taires contre des gendarmeries », son voi-
sin de la majorité – situé à sa gauche sur
les bancs de l’Hémicycle – est « sorti de
ses gonds », selon plusieurs témoins.
« Une violence absolue »
« Tu seras tondue à la Libération pour
avoir voté avec le RN », lui aurait lancé
Jean-René Cazeneuve, selon des propos
rapportés par l’intéressée, ainsi que plu-
sieurs témoins de la scène, issus du camp
Macron et de la Nupes. Ulcérée, la pa-
tronne des écologistes a alors poussé des
cris de colère, audibles jusque dans les
balcons de l’Hémicycle malgré le brou-
haha ambiant. « Tu te rends compte de ce
que tu dis ! Ce sont des menaces ! C’est
sexiste et c’est d’une violence absolue ! »,
a-t-elle alors martelé, rouge de rage.
Contacté par Le Figaro, Jean-René Caze-
neuve « dément fermement » les propos
qui lui sont prêtés par les parlementaires
présents, et nie avoir répété la phrase
avant de finalement la tempérer. « Je n’ai
jamais dit ça. Je suis un homme de dialo-
gue. De ma place (il est situé juste à côté
des bancs de la Nupes, NDLR), j’entends
des âneries matin, midi et soir et je ne réa-
gis jamais. J’ai juste expliqué à Cyrielle
Chatelain que je n’étais pas d’accord avec
son propos », plaide le député Renaissan-
ce, qui définit l’échange comme une
« conversation entre voisins de banc ».
« Des paroles profondément sexistes et
choquantes, menaçantes même, qui
n’étaient pas prononcées sur le ton de la
régularisations de travailleurs sans pa-
piers dans les métiers en tension.
En signe d’ouverture, les dirigeants
macronistes pourraient aussi soutenir le
rétablissement du délit de séjour irrégu-
lier, une demande de la droite. Mercredi,
le patron des sénateurs centristes, Hervé
Marseille, a évoqué la possibilité d’un ac-
cord « sur une partie du texte ».
Mais des divisions subsistent au sein
même de la coalition macroniste. D’un
côté, l’aile gauche de la majorité et le Mo-
Dem refusent une trop forte restriction
des régularisations de travailleurs sans
papiers. « Le texte travaillé à l’Assemblée
n’était pas un texte de détricotage, mais
déjà un texte de compromis : c’est sur cette
“nousLe convient
texte du Sénat
”
PHILIPPE PRADAL, LE DÉPUTÉ HORIZON
base qu’il faut atterrir », plaide le député
(MoDem) Erwan Balanant. De l’autre, les
troupes d’Édouard Philippe sont ouvertes
aux durcissements réclamés par LR. « Le
texte du Sénat nous convient », indique le
député (Horizons) Philippe Pradal.
Une ligne que partage Bruno Le Maire,
partisan d’un texte ferme. « Nous pouvons
nous en sortir uniquement à deux condi-
tions : si la majorité reconnaît qu’elle a subi
une défaite et si les vainqueurs, les LR, font
preuve d’un peu de mansuétude », observe
le ministre de l’Économie et des Finances,
qui a échangé avec Éric Ciotti et Bruno
Retailleau, à défaut rejoindre la table des
négociations à Matignon.
Le numéro deux du gouvernement li-
vre ses conseils : « Le seul moyen aujour-
d’hui pour qu’une loi passe, c’est de repren-
dre la version du Sénat, en espérant que les
LR comprennent qu’il faut bouger les lignes
sur deux points sensibles pour notre majo-
rité : l’aide médicale d’État et les conditions
d’accès aux aides sociales. » D’éventuelles
concessions à mille lieues du fameux « en
même temps » qui a tant pénalisé le camp
présidentiel jusqu’à maintenant. ■
+ » Lire aussi PAGE 18
plaisanterie. La conversation prenait une
très mauvaise tournure », affirme pour-
tant le premier secrétaire du Parti socia-
liste, Olivier Faure, placé juste au-des-
sus. « Ce n’est pas très malin de la part de
Jean-René Cazeneuve », abonde un dé-
puté du camp présidentiel, qui a égale-
ment entendu l’altercation. « C’est inac-
ceptable, je ne sais pas s’il se rend compte
de la portée des propos. Pour lui, c’est
peut-être anodin mais c’est très grave ve-
nant d’un député aussi expérimenté avec
une position aussi éminente dans la majo-
rité », regrette quant à elle Cyrielle Cha-
telain.
Selon nos informations, après cet évé-
nement, Cyrielle Chatelain a décidé de
demander des sanctions auprès du bu-
reau de l’Assemblée nationale. La pa-
tronne des écologistes a rédigé une lettre
qu’elle transmettra à la présidente de
l’institution, Yaël Braun-Pivet, juste
avant la réunion du bureau, qui a lieu ce
mercredi à 10 heures. « Les propos de
M. Cazeneuve sont graves. La tonte des
femmes à la Libération constituait une at-
taque à leur intégrité physique et une des-
truction de ce qui représentait leur fémini-
té. (…) Le message est clair. En tant que
femme, je me dois de rester à ma place et
tenir ma langue », écrit Cyrielle Chate-
lain, dans une missive qu’a pu consulter
Le Figaro.
Avant d’ajouter : « À ce propos, je
concède avoir réagi vivement. Mais lors-
que l’on me somme de me taire, qui plus est
avec une telle outrance, mon réflexe est
d’élever la voix. Et si ma voix s’est élevée,
mes propos sont toujours restés dans la li-
mite du raisonnable. » Puis, de regretter
que cette « insulte aux sous-entendus
menaçants » ne figure probablement pas
dans le compte rendu de séance,
l’échange ayant eu un « caractère inter-
personnel ». « Dans et hors micro, les inti-
midations sexistes ne peuvent être tolérées
dans notre Assemblée », conclut-elle, ré-
clamant qu’une « peine disciplinaire »
soit prononcée à l’encontre de Jean-Re-
né Cazeneuve. ■ W. B.
Les Républicains abordent le bras de fer
en défendant leurs « fondamentaux »
EMMANUEL GALIERO £@EGaliero
ET CLAIRE CONRUYT £@ClaireConruyt
MERCREDI, la réunion à Matignon débu-
te par un face-à-face tendu entre Éric
Ciotti et Gérald Darmanin. Sous le regard
attentif d’Élisabeth Borne, le président
des Républicains demande au ministre de
l’Intérieur de retirer les propos qu’il avait
tenus le 10 décembre dans Le Parisien.
« Si en janvier prochain, parce que le projet
de loi est bloqué, on ne peut pas virer un
étranger délinquant criminel qui a mis
trois coups de couteau à un gamin dans la
rue, ils porteront une responsabilité énor-
me », avait déclaré Darmanin. Pour Ciot-
ti, cette attaque « indigne » méritait ré-
paration et le ministre a finalement
accepté de la retirer.
Après cette entrée en matière incan-
descente, Les Républicains posent d’em-
blée le cadre de leurs exigences. Bruno
Retailleau, Olivier Marleix et Éric Ciotti
insistent sur la nécessité de mettre l’inté-
gralité du texte du Sénat au centre de la
négociation. Ils s’opposent aussi à l’idée
d’une commission mixte paritaire qui
s’éterniserait à tout revoir article par ar-
ticle parce qu’ils considèrent que la ver-
sion sénatoriale du texte a déjà abouti à
un certain équilibre. Ils notent que Gé-
rald Darmanin l’a lui-même salué et que
le groupe Renaissance du Sénat comme
les différentes formations centristes
n’ont pas considéré qu’il était un épou-
vantail. À droite, certains évoquent éga-
lement une appréciation d’Emmanuel
Macron confiant en privé à un sénateur le
11 novembre tout le bien qu’il pensait de
cet « excellent » texte.
En sortant de la réunion, Bruno Re-
tailleau note qu’un nouveau rendez-vous
est prévu le lendemain, jeudi, à Matignon
pour faire le point dès 8 h 30 sur les mar-
ges de manœuvre jugées possibles du
côté des groupes de la majorité. Reçu par
Élisabeth Borne, Hervé Marseille appa-
raît plutôt dubitatif après son entretien.
« Il reste encore un long chemin à parcou-
rir… », confie le président du groupe
Union centriste. Le sénateur reconnaît
des avancées mais il estime que la liste
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Éric Ciotti a insisté sur la nécessité
de mettre l’intégralité du texte du Sénat
au centre de la négociation.
des « sujets compliqués » est encore lon-
gue. Aide médicale d’État, code de la na-
tionalité, allocations, mineurs non ac-
compagnés… « Je me demande s’il sera
possible de satisfaire tout le monde et de
trouver un point d’équilibre qui n’existe
pas à l’Assemblée. C’est un peu le Rubik’s
Cube… », glisse le parlementaire des
Hauts-de-Seine, qui se montre sceptique
quant à la possibilité d’un accord « à la
va-vite » sur des sujets aussi « sensibles ».
Selon lui, la situation exclut l’hypothèse
d’un texte à la découpe que les LR n’ac-
cepteront jamais. « Pour donner du temps
à la négociation, le président Larcher et la
présidente Braun-Pivet estimaient que la
discussion devait se poursuivre en janvier,
mais vouloir aller vite revient à considérer
notre texte comme base suffisante. Alors si
le Lider Maximo en a décidé ainsi, al-
lons-y », ironise un parlementaire LR.
Lors de la première rencontre organi-
sée à Matignon après l’adoption de la
motion de rejet, Les Républicains com-
prennent aussi que l’exécutif s’interroge
sur l’issue très aléatoire d’un vote à l’As-
semblée sur un texte qui reposerait sur
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LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
POLITIQUE 5
les conditions fixées par la droite. « S’ils
lâchent tout, ils perdent quelques dizaines
d’élus, y compris chez Liot », estime un
député.
Coup de barre à droite
Avant même le rendez-vous de Matignon
mercredi en fin de matinée, Les Républi-
cains avaient pris soin de border le péri-
mètre : la droite ne lâchera rien sur les
« fondamentaux » portés au fil des 90 arti-
cles de leur texte sénatorial. Toutes les
mesures ne sont pas forcément intangi-
bles et les LR sont prêts à la discussion
mais la négociation sera possible seule-
ment si l’exécutif est prêt à reconnaître la
nécessité de réformer la politique migra-
toire de la France en garantissant les
moyens de freiner les flux, de faciliter les
expulsions et d’en finir avec les signaux
contraires à la fermeté. C’est en ces ter-
mes que Muriel Jourda, sénatrice LR
(Morbihan), expose la situation. Corap-
porteur du texte avec le centriste Philippe
Bonnecarrère (Tarn), elle fait partie des
sénateurs de la majorité sénatoriale dési-
gnés pour siéger en commission mixte
paritaire lundi au Sénat, avec François-
Noël Buffet (Rhône), président de la com-
mission des lois et le président du groupe
LR, Bruno Retailleau. La députée Annie
Genevard sera pour sa part la seule élue
LR siégeant dans la CMP à l’Assemblée.
« La balle est dans le camp de l’exécu-
tif », résume Muriel Jourda, qui perçoit
les dernières déclarations d’Emmanuel
Macron comme le signal encourageant
d’un coup de barre à droite très éloigné
du « détricotage » du texte opéré en
commission des lois à l’Assemblée. Les
Républicains doivent encore affiner le
champ de leur négociation avec le gou-
vernement mais ils savent déjà que leur
opposition aux régularisations des étran-
gers pour les métiers en tension restera,
par exemple, une ligne infranchissable.
« Le chef de l’État osera-t-il imposer un
texte capable de répondre aux défis du réel
et aux attentes des Français ? C’est toute la
question », s’interroge encore un parle-
mentaire, mercredi soir. ■
LYON
F I GA R O 2 0 2 3
1
A
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

6 INTERNATIONAL
Le soutien de l’UE à l’Ukraine soumis au chan
Le Conseil européen, qui s’ouvre ce jeudi, doit décider d’aider financièrement Kiev et de préparer son adhésion.
ANNE ROVAN £@AnneRovan
CORRESPONDANTE À BRUXELLES
EUROPE Ce devait être le sommet du
soutien inconditionnel et durable à
l’Ukraine. En raison des veto du
Hongrois Viktor Orban sur les
50 milliards d’euros promis par l’UE
et sur le coup d’envoi des négocia-
tions d’adhésion, la réunion pourrait
virer au fiasco, offrant au président
russe Vladimir Poutine des motifs de
se réjouir.
Les Vingt-Sept se retrouvent ce
jeudi à Bruxelles pour un Conseil
européen à très haut risque, où pas
une voix ne doit manquer à l’appel
puisque les décisions à prendre sur
l’Ukraine requièrent l’unanimité des
leaders. La présidente de la Commis-
sion, Ursula von der Leyen, en a sou-
ligné mercredi les très lourds enjeux.
« Nous devons donner à l’Ukraine ce
dont elle a besoin pour être forte
aujourd’hui. Afin qu’elle soit plus forte
demain au moment de négocier une
paix juste et durable, a-t-elle déclaré.
Alors que la guerre se prolonge, nous
devons prouver ce que signifie soutenir
l’Ukraine “aussi longtemps qu’il le
faudra”. L’Ukraine ne se bat pas seu-
lement contre l’envahisseur, mais aussi
pour l’Europe. Rejoindre notre famille
sera sa victoire ultime. »
Viktor Orban exige au contraire
une discussion stratégique et un rap-
port étayé de la Commission afin que
chacun puisse prendre la mesure des
enjeux que pose à l’UE le pays en
guerre. Qu’il s’agisse des conséquen-
ces financières redoutables qu’aurait
l’entrée de ce pays dans l’UE, et de la
poursuite du soutien financier à Kiev
alors que la guerre s’éternise et que
les Européens pourraient être lâchés
par les Américains. Beaucoup de di-
plomates reconnaissent, sans trop
s’appesantir, que Viktor Orban sou-
lève les bonnes questions, tant vis-à-
vis des Vingt-Sept qui n’ont jamais
vraiment pris le temps de les poser
que vis-à-vis des opinions publiques
européennes. Dans un sondage pu-
blié cette semaine, Eupinions conclut
que 56 % des Européens estiment que
l’Ukraine devrait recevoir un soutien
financier « pour reconstruire le pays ».
Mais 59 % des personnes interrogées
jugent que la reconstruction du pays
sera « un fardeau économique pour
l’UE », dont 60 % en France et 70 %
en Allemagne. Certains leaders l’ont
bien compris et veilleront lors du
sommet - où il sera plus largement
question de la difficile révision de mi-
mandat du budget européen 2021-
2027 - à ce que le soutien à l’Ukraine
n’obère pas les autres priorités de
l’UE. Pour l’Italienne Giorgia Meloni,
il n’est pas question de renoncer à
l’argent promis pour lutter contre
l’immigration illégale. Ses homolo-
gues slovènes, autrichiens et slova-
ques ne veulent pas non plus faire
passer les besoins de l’UE au second
plan. Sauf que l’argent est rare, du fait
de budgets nationaux très contraints.
Message de fermeté
Le double signal de l’Union – finan-
cier et géopolitique - est pourtant vi-
tal pour le président ukrainien Volo-
dymyr Zelensky. Les 50 milliards
d’euros promis sur quatre ans par
l’UE (17 milliards de dons et 33 mil-
liards de prêts) permettront à l’État
ukrainien de continuer à fonctionner
et au pays de se redresser et de com-
mencer à se reconstruire, tout en
donnant à Kiev de la prévisibilité. Se-
lon le FMI, l’Ukraine risque d’être à
court de liquidités au premier tri-
mestre. Le bailleur de fonds interna-
tional a d’ailleurs débloqué en début
de semaine une nouvelle tranche de
900 millions de dollars. « L’économie
ukrainienne continue de faire preuve
d’une résistance remarquable, bien
que les perspectives restent soumises à
une incertitude exceptionnellement
élevée liée à la guerre », pointe le
communiqué publié à cette occasion.
Un feu vert des Vingt-Sept sur le
coup d’envoi des négociations d’ad-
hésion - même assorti d’une nouvelle
confirmation formelle en mars 2024
une fois faites toutes les réformes de-
mandées par Bruxelles - n’est pas
moins important. En renforçant les
perspectives européennes de l’Ukrai-
Une rue de Kiev ne, l’UE adresserait un nouveau mes-
dévastée par un tir sage de fermeté à Moscou. Alors que
de missile russe, le président Zelensky a vu ces der-
mercredi en Ukraine. niers mois des voix discordantes et
SERGEI CHUZAVKOV/AFP critiques monter contre lui, obtenir
ce sésame le renforcerait. À défaut,
ses opposants pourraient faire valoir
qu’il est le dirigeant d’un pays lâché –
voire trompé - par les Occidentaux.
La pression est d’autant plus forte
que l’UE ne parviendra pas livrer d’ici
à mars le million missile promis à
Kiev et qye 20 milliards d’euros de
soutien militaire poussés par le haut
représentant de l’UE, Josep Borrell,
sont déjà balayés. Surtout, l’envelop-
pe de 61 milliards de dollars proposée
par la Maison-Blanche est toujours
bloquée au Congrès, en dépit du dé-
placement du président ukrainien à
Washington en début de semaine.
« Cela n’a jamais été pire », s’inquiète
un diplomate d’un pays du Nord de
l’Union. « Nous trouverons des solu-
tions et cela finira par se faire », tem-
père un autre. Les alternatives exis-
tent, notamment celle qui
consisterait à bâtir un accord à vingt-
six États membres sur le soutien fi-
nancier à l’Ukraine, isolant de fait la
Hongrie. À l’inverse, il n’y a pas
d’autre parade que l’unanimité sur le
coup d’envoi des discussions d’adhé-
sion. Et si Viktor Orban maintient son

Plus de 50 blessés à Kiev

par des missiles russes
CLARA MARCHAUD
£@ClaraMarchaud
UN TRICYCLE VERT. Un bon-
homme de neige en plastique. Une
guirlande de Noël bleue. Dans une
banlieue résidentielle de Kiev, rue
Kournatovska, la vie des habitants
du bâtiment 2B gît par terre, au
milieu des débris et des morceaux
de missiles. À 3 heures du matin
mercredi, comme le reste de la
population de Kiev, ces résidents
ont été réveillés par plusieurs
explosions, avant même que ne
retentisse la sirène appelant à
rejoindre les abris, lors de la plus
grande attaque de missiles depuis
plusieurs semaines sur la capitale
ukrainienne.
« Une explosion nous a réveillés
avec mon père. Les murs trem-
blaient, il y avait des débris par-
tout. Quand j’ai ouvert la porte
d’entrée, j’ai vu la porte des voisins
ouverte, le souffle avait déplacé le
frigo dans le couloir », raconte
Iryna Koutcheryava, enroulée
dans un plaid donné par la Croix-
Rouge ukrainienne. En face de son
appartement, trois voitures ont
été soufflées à plusieurs mètres et
ont brûlé au milieu d’une aire de
jeux pour enfants. Les vitres de la
maternelle ont été brisées et le
bâtiment, endommagé. Au total,
près de 51 personnes ont été bles-
sées, dont six enfants, dans diffé-
rents quartiers de Kiev, selon
pour mettre fin à la guerre, mais
comment ? Les Russes disent une
chose et en font une autre, ils ne
tiennent pas leur parole, racontent
toujours des histoires, je le vois sur
des chaînes russes, ils racontent
n’importe quoi sur nous… mais
voilà la vérité, voilà ce que l’on
vit », lance cette femme de
ménage en montrant l’appar-
tement où elle habite depuis
trente ans, complètement détruit.
Tetyana Lohvynenko, 37 ans,
sort de son appartement au
deuxième étage, le visage parsemé
de coupures causées par les
débris. La jeune femme a pu aller
récupérer quelques affaires, alors
que sa mère reste hospitalisée,
après avoir été propulsée à travers
l’appartement à cause du souffle.
« Après la première explosion, on
s’est caché entre deux murs car les
bombardements continuaient. Puis
on a commencé à sentir de la
fumée, nous étions en sang toutes
les deux, sans vraiment compren-
dre si nous étions gravement bles-
sées ou pas », explique Tetyana,
encore sous le choc, « c’est un
miracle si personne n’est mort ».
Piratage informatique
La trentenaire a immédiatement
essayé d’appeler ses proches après
la frappe, mais le réseau ne
fonctionnait pas. Un groupe de
hackers russes liés au GRU, le
service de renseignements mili-
taires de l’armée russe, a reven-

Jadis très proches, la Pologne et la Hongrie ne

l’administration militaire de la
ville. La plupart ont été atteints
par des débris ou des éclats de
verre brisés à la suite du travail de
la défense aérienne, qui a abattu
les dix missiles lancés. Plusieurs
bâtiments d’habitations, une
crèche, un hôpital pour enfants,
une morgue ont été endommagés.
Il s’agit de la deuxième attaque
contre Kiev en l’espace d’une
diqué l’attaque, selon les services
de sécurité ukrainiens qui ont
ouvert une enquête. Ce piratage
informatique est le plus important
qu’ait eu à subir l’Ukraine depuis Pour illustrer la force de cette ex- et la Hongrie de Viktor Orban s’op-
le 24 février 2022, et il a affecté LAURE MANDEVILLE périence commune, Rau évoqua sa posant ensemble, toutes griffes de-
£@lauremandeville
près de 24 millions d’abonnés présence à une cérémonie de célé- hors, à Bruxelles sur des questions
téléphoniques et plusieurs sys- bration de la révolte hongroise de de souveraineté, de migrations,
tèmes bancaires. Mercredi matin,
peu après la frappe ayant touché
la capitale, plusieurs victimes se
« deÀ l’inverse
la Pologne,
EN FÉVRIER dernier, un an exacte-
ment après le début de l’invasion
de l’Ukraine, le ministre des Affai-
1956, où étaient présents d’anciens
insurgés nonagénaires de l’insur-
rection écrasée dans le sang par les
d’héritage des valeurs chrétiennes
et d’entorses à l’État de droit.

semaine. Tôt lundi, huit missiles
russes volant en direction de la
capitale ont été abattus par la
défense aérienne ukrainienne à
l’entrée de la ville. Ces dernières
attaques interviennent alors que
le président ukrainien Volodymyr
Zelensky a quitté son pays,
d’abord pour Washington en
début de semaine, puis mercredi à
Oslo, dans l’espoir de convaincre
ses alliés de soutenir l’effort de
guerre fourni par son pays.
« Nous étions en sang »
« Je voudrais juste remercier les
Occidentaux de leur aide, je ne sais
pas où l’on serait sans eux, sans la
1
désolaient de ne pas pouvoir
appeler leurs proches.
« Même avec toute l’empathie du
monde, vous ne pouvez pas vous
imaginer l’horreur de vivre ça. La
Russie a traversé toutes les lignes
rouges. La seule option est que le
monde s’unisse contre cet axe du
Mal », s’insurge Tetyana, qui
rappelle que la capitale ukrai-
nienne demeure bien protégée par
rapport aux autres villes du pays.
La nuit dernière, Moscou a
également lancé une attaque de
drones sur Odessa et les tirs
d’artillerie restent quotidiens sur
la ligne de front. « Chaque minute
pendant laquelle l’aide militaire est
res étrangères polonais, Zbigniew
la Hongrie Rau, confiait au Figaro « sa grande
de Viktor surprise » face à la position pro-
Orban s’est Poutine tranchée adoptée par le
premier ministre hongrois, Viktor
specta- Orban. S’il restait diplomatique
culairement dans ses formulations, on le sentait
rapprochée choqué, presque peiné que la na-
tion hongroise, « liée, rappelait-il,
de Moscou, à la Pologne par des liens millénaires
refusant très spéciaux », puisse avoir autant
de voter divergé de sa sœur polonaise, dans
leur vision de la menace russe.
les sanctions « Nos relations émotionnelles sont
après fortes, nous avons une histoire par-
l’invasion tagée de mille ans, avec une vraie
de l’Ukraine » fascination mutuelle », rappelait-il.
Une histoire marquée par leur as-
chars soviétiques. « Certains sont
venus me toucher, pour toucher un
Polonais ! Pourquoi ? Parce que pen-
dant qu’ils se battaient en 1956, les
habitants de la Pologne communiste
voisine allaient donner leur sang pour
les Hongrois blessés », précisa-t-il.
En 1920, les Hongrois avaient de
leur côté envoyé des munitions aux
Polonais qui se battaient pour dé-
fendre leur jeune République de
Pologne face aux assauts de la Rus-
sie soviétique, alors que les dockers
des ports de la Baltique s’étaient mis
en grève pour aider les bolcheviks
par « solidarité ouvrière ». Le genre
de souvenir qui marque un peuple.
Sous le gouvernement du parti
Vision géopolitique
Plus rien de tel aujourd’hui, même
si « la romance perdure entre les
deux peuples », selon Rau. Le chan-
gement de gouvernement à Varso-
vie consacre la divergence sur la
politique intérieure et le projet
européen, Donald Tusk ayant pour
première ambition de réparer la
relation avec les institutions
bruxelloises. Surtout, la proximité
des deux capitales s’est fracassée
depuis 2022 sur la question de
l’Ukraine. Dès l’invasion russe, la
Pologne, dans un élan unanime, a
en effet pris le leadership, se faisant
l’aiguillon moral et la plaque tour-
nante logistique du soutien occi-

défense aérienne », assure Iryna,
qui ne suit pas vraiment les infor-
mations. Quand on lui demande
ce qu’elle pense de possibles
A
retardée entraîne des pertes civiles sujettissement commun au sein de national conservateur Droit et dental à Kiev, grâce à la trans-
et certainement des pertes la prison des peuples communistes Justice (PiS), qui vient de quitter le formation de Rzeszow en base
militaires sur les lignes de front », et par leur expérience de soulève- pouvoir pour être remplacé par une d’approvisionnement du front. Les
souffle la jeune femme, dont le ments populaires contre Moscou : coalition libérale menée par Donald Polonais racontent qu’ils ont alors

négociations avec le Kremlin, elle petit ami militaire a été blessé Budapest en 1956, et Varsovie en Tusk, la relation a été très proche, mis de côté leurs griefs historiques
répond : « On pourrait négocier plusieurs fois. ■ 1970, 1976 puis 1980. la Pologne de Jaroslaw Kaczynski vis-à-vis des Ukrainiens pour se

tage de Viktor Orban
Mais le premier ministre hongrois rejette ces perspectives.
veto, les perspectives européennes
attendues par la Moldavie, la Géorgie
et la Bosnie-Herzégovine seront,
probablement, balayées.
« Mission suicide »
Le premier ministre hongrois, proche
de Poutine, multiplie les outrances
depuis des mois, accusant notam-
ment Bruxelles de se comporter com-
me le faisait l’Union soviétique. Sur le
soutien à l’Ukraine, il a d’abord laissé
planer le doute sur ces intentions,
plaidant en novembre pour un «réa-
justement» du soutien. La semaine
dernière, dans une lettre adressée au
président du Conseil européen, Char-
les Michel, il agitait la menace d’un
veto. « Je vous exhorte respectueuse-
ment à ne pas inviter le Conseil euro-
péen à prendre une décision sur ces
questions en décembre, car l’absence
évidente de consensus conduirait à
l’échec », mettait-il en garde.
Ni l’annonce de la Commission de
lâcher 10 milliards des 30 milliards
de fonds européens retenus par
Bruxelles pour inciter l’illibéral gou-
vernement hongrois à remettre le
se comprennent plus
concentrer sur un combat contre
Moscou jugé existentiel ; reprenant
la vision géopolitique du penseur
polonais Jerzy Giedroyc, qui avait
appelé la Pologne à ne pas se laisser
embarquer dans la révision de ses
frontières orientales après 1991,
mais au contraire à miser sur une
Ukraine indépendante et forte.
Une orientation qui n’a pas été re-
mise en cause, même si la campa-
gne électorale de 2023 a tendu les
relations entre le PiS et l’Ukraine,
en raison de la grogne des paysans
polonais contre l’agriculture
ukrainienne.
À l’inverse, Viktor Orban s’est
spectaculairement rapproché de
Moscou, refusant de voter les sanc-
tions et se taillant même un régime
d’exception pour continuer de
commercer avec la Russie. Annon-
çant aussi son opposition farouche
au principe de l’ouverture de négo-
ciations entre l’Ukraine et l’Union
européenne, qu’il préférerait rem-
placer par un évasif « partenariat
stratégique ». Loin de projeter sur
l’Ukraine les souvenirs de 1956,
Orban n’a cessé de critiquer
l’Ukraine, l’accusant de porter at-
pays au niveau des standards euro-
péens, ni la pression politique exer-
cée sur l’homme fort de Budapest ne
l’ont fait bouger. Le déplacement du
président du Conseil européen à Bu-
dapest - qualifié de « mission suici-
de » par un diplomate européen - n’a
rien donné. Tout comme le dîner
auquel Orban a été convié la semaine
dernière à l’Élysée. Parmi d’autres
leaders européens, l’Espagnol Pedro
Sanchez – son pays exerce actuelle-
ment la présidence tournante de
l’UE - et l’Estonienne Kaja Kallas ont
aussi fait chou blanc. A la veille du
sommet, Paris et Berlin faisait mon-
ter la pression. « Je plaiderai en fa-
veur d’un soutien financier durable et
fiable à l’Ukraine dans les années à
venir », a déclaré le chancelier Olaf
Scholz, tandis qu’Emmanuel Macron
appelait l’UE à être « au rendez-vous
du soutien et durable à l’Ukraine ». « Il
n’y a guère que Donald Trump qui
pourrait le faire changer d’avis », iro-
nise Fabrice Pothier, directeur géné-
ral de Rasmussen Global, une société
qui conseille Kiev, en référence à
l’entente entre le premier ministre
teinte aux droits de la minorité
hongroise de Transcarpatie. Le su-
jet a même été cette semaine au
cœur de son bref échange avec le
président Zelensky, en marge de
l’investiture de l’Argentin Milei, à
Buenos Aires, comme l’a raconté
Orban au journal Mandiner, affir-
mant que l’Ukraine devait revenir
« à la législation d’avant 2015 ».
Vague national-populiste
Derrière cette rhétorique insistante
et agressive sur les minorités hon-
groises, Zbigniew Rau voit une bles-
sure historique jamais refermée, et
instrumentalisée par l’homme fort
de la Hongrie. « Après la Première
Guerre mondiale, le président améri-
cain Wilson a écrit que la Pologne de-
vait être ressuscitée et avoir un accès
à la mer, décision qui a forgé la rela-
tion des Polonais avec les États-Unis.
Mais, après le traité de Trianon, la
Hongrie, elle, a perdu 70 % de son
territoire ! Un énorme traumatisme.
La Hongrie a donc une vision de
l’Ouest très différente de la nôtre, et
particulièrement des États-Unis »,
avance-t-il pour expliquer les atti-
tudes géopolitiques respectives des
hongrois et l’ancien président des
États-Unis.
En réalité, les capitales européen-
nes sont perplexes. Orban n’est,
certes, pas un leader facile à manier.
Mais il a toujours fini par lâcher, une
fois arrachés à l’UE plus d’argent ou
d’avantages. Pas cette fois-ci. Même
si le porte-parole de l’homme fort de
Budapest a brouillé les cartes mardi
soir en indiquant que la Hongrie
pourrait accepter de lever son veto
sur les 50 milliards d’euros à
l’Ukraine si son pays obtenait le
déblocage de la totalité des 30 mil-
liards retenu par Bruxelles - il sait que
c’est impossible à ce stade.
L’opposition d’Orban va bien au-delà
de ces questions d’argent. À moins de
six mois des élections européennes,
alors que les mouvements d’extrême
droite montent en Europe, l’intéressé
semble considérer qu’un vent
nouveau souffle. « Mon projet, expli-
quait-il mercredi, n’est pas de quitter
l’UE, mais de reprendre Bruxelles. Mon
idée n’est donc pas que la Hongrie reste
à l’écart, à l’écart du cercle extérieur,
mais qu’elle aille vers l’intérieur. » ■
deux pays. En 1918, la Pologne mar-
tyrisée renaissait de ses cendres
alors que la Hongrie rejoignait le
camp des pays humiliés par l’histoi-
re. « Deuxième nation de l’empire
austro-hongrois, la Hongrie s’est
toujours pensée comme un “joueur
important”, insistait Rau lors de no-
tre entretien. Elle fait partie des pays
qui se sentent spoliés, un sentiment
qu’elle partage avec la Russie et la
Serbie », note le spécialiste de la
Hongrie Stefano Bottoni de l’uni-
versité européenne de Florence.
Une perception qui pourrait ex-
pliquer qu’Orban se sente de taille,
non pas à orchestrer un « Huxit »,
mais à « prendre le pouvoir (à Bruxel-
les) de l’intérieur », comme il l’a ex-
pliqué au journal Mandiner. Dans
cette optique, il semble miser sur les
populistes à la tête de la Slovaquie,
opposés à l’envoi de munitions en
Ukraine. Il compte aussi sur une va-
gue national-populiste aux élections
européennes venant confirmer le
premier succès du néerlandais Geert
Wilders, l’un de ses fervents admi-
rateurs, puis sur une victoire de
Trump. Exactement ce qu’espère
aussi Vladimir Poutine. ■
INTERNATIONAL
L’Europe face
aux fantômes de Munich
ISABELLE LASSERRE £@ilasserre
LES FANTÔMES de Munich sont de
retour. En 1938, ils avaient promis la
paix mais apporté « la guerre » et le
« déshonneur » à l’Europe. Après
bientôt quatre-vingts ans d’accal-
mie, ils rôdent à nouveau près du
continent européen, mais aussi près
des États-Unis.
56 %
des Européens
Depuis deux ans, à chaque fois
qu’il se déplaçait dans une capitale
occidentale, Volodymyr Zelensky
était accueilli en rock star. Tous les
dirigeants saluaient son courage, son
estiment, selon héroïsme et sa résilience. Mais à
un sondage Eupinion l’époque de la mondialisation, les
publié cette semaine, vents de l’histoire changent vite.
que l’Ukraine Volodymyr Zelensky est revenu
devrait recevoir presque bredouille de sa visite aux
un soutien financier États-Unis, où il plaidait pour la le-
« pour reconstruire vée du blocage par le Congrès des
le pays » mais 59 %
fonds destinés à l’Ukraine. Le sou-
jugent que cette
tien financier et militaire de
reconstruction
Washington est pourtant crucial
sera « un fardeau
pour Kiev. Zelensky l’a répété mer-
économique
pour l’UE », credi à Oslo : « On ne peut pas gagner
dont 60 % en France sans aide. » Mais même au prix d’un
et 70 % en Allemagne compromis, il n’est pas certain que le
plan de Joe Biden puisse être adopté
avant la fin de l’année.
Les vents noirs du doute soufflent
aussi en Europe, où ils sont poussés
par l’échec de la contre-offensive,
par la lassitude des opinions et par la
guerre à Gaza. En juin 2022, la visite à
Kiev d’Emmanuel Macron, d’Olaf
Scholz et de Mario Draghi, qui
avaient offert à Zelensky le « statut
de candidat immédiat à l’adhésion »,
avait été considérée comme un tour-
nant pour l’Ukraine. Tout le monde
savait pourtant, déjà à l’époque, que
le processus serait long et difficile.
« Il faut que l’Ukraine nous rejoigne.
Mais il ne suffit pas d’ouvrir les
négociations. Il faut trouver un chemin
crédible. Il faut réviser notre méthode
européenne », explique un haut
diplomate.
Dix-huit mois plus tard, l’Europe
menace elle aussi de flancher au
Conseil européen des 14 et 15 décem-
bre, sans doute l’un des plus impor-
tants et des plus dangereux de ces
dernières années. Il doit examiner,
pour l’Ukraine, l’ouverture des né-
gociations, la poursuite du soutien fi-
jugera“
L’histoire
sévèrement
ceux qui ont
tourné le dos à la cause
”
de la liberté
JOE BIDEN, CRITIQUANT LE BLOCAGE
DES ÉLUS RÉPUBLICAINS
SUR L’AIDE AMÉRICAINE À L’UKRAINE
CHIP SOMODEVILLA/GETTY IMAGES VIA AFP
nancier et celle de l’aide militaire.
Mais le premier ministre hongrois,
Viktor Orban, bloque les projets
ukrainiens de Bruxelles. Certains es-
pèrent que le veto hongrois sera levé
au dernier moment par la concession
de l’Europe - le déblocage des sub-
ventions qui avaient été gelées par
Bruxelles en raison des entorses à
l’État de droit par le pouvoir
hongrois.
D’autres en doutent et prévien-
nent que la fronde de Budapest est
plus sérieuse que les précédentes.
Tous ceux qui se sont essayés à
convaincre Orban, le président du
Conseil européen Charles Michel,
Emmanuel Macron et Volodymyr
Zelensky lui-même, se sont heurtés
à un mur. Le premier ministre hon-
grois, qui revendique sa proximité
avec Vladimir Poutine, agit comme
s’il voulait avant tout servir les
intérêts du Kremlin. Il ne veut pas
seulement récupérer les fonds euro-
péens. Il veut aussi faire dérailler le
rapprochement de l’Ukraine et de
l’UE et geler la guerre sur le terrain
au moment où la Russie est en
position de force.
L’incertitude, en ce qui concerne
une éventuelle entrée de l’Ukraine
dans l’UE, est partagée par d’autres
pays. Selon le Conseil européen des
relations internationales (ECFR),
dans six États de l’Union européen-
ne, beaucoup pensent que l’adhésion
de l’Ukraine nuirait à la sécurité de
l’Europe. Ils ont peur qu’elle soit en-
traînée dans des conflits. Si les pays
européens, bien qu’unis, ont limité
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
7
« On ne peut pas gagner
sans aide », a répété le président
ukrainien, Volodymyr Zelensky,
mercredi à Oslo.
CORNELIUS POPPE/AFP
l’aide militaire à l’Ukraine depuis
l’invasion, ce n’est pas seulement
par manque de stocks, mais aussi
parce qu’ils avaient peur de la
menace nucléaire brandie par le
Kremlin et d’un effondrement du
pouvoir russe.
En recevant Volodymyr Zelensky
dans le Bureau ovale, Joe Biden a
prévenu qu’un blocage persistant
des élus républicains serait « le plus
beau cadeau de Noël » qu’ils pour-
raient offrir à Vladimir Poutine.
« L’histoire, a-t-il aussi prévenu, ju-
gera sévèrement ceux qui ont tourné le
dos à la cause de la liberté. » Car les
réponses qui seront faites par les
États-Unis et par l’Europe aux de-
mandes ukrainiennes seront aussi
des réponses au Kremlin. En 2008 à
Bucarest, le double véto de Paris et
Berlin à une entrée de l’Ukraine dans
l’Otan avait encouragé Poutine à en-
vahir la Géorgie la même année, puis
à annexer la Crimée en 2014. Celui de
la Hongrie pourrait avoir des effets
similaires. « S’il y a bien quelqu’un qui
se réjouit des tractations sans fin au
Capitole, c’est Vladimir Poutine et sa
clique de détraqués », renchérit le
président ukrainien. La division et la
faiblesse des Occidentaux seraient
des encouragements de nature à
donner un nouvel élan au Kremlin.
Or, le président russe n’a pas changé
ses objectifs vis-à-vis de l’Ukraine. Il
n’a pas renoncé à effacer la souverai-
neté et l’indépendance de l’Ukraine.
« L’Ukraine est le rempart de l’Europe
contre la Russie », prévient le spécia-
liste Jean-Sylvestre Mongrenier
dans un article pour Desk Russie.
Or, le temps presse. Sur le terrain,
il joue en faveur des forces russes, qui
se reconstituent grâce au passage à
l’économie de guerre. Aux États-
Unis, la perspective d’une victoire de
Donald Trump en 2024 gagne en cré-
dibilité. Le ministre ukrainien des
Affaires étrangères, Dmytro Kuleba,
a rappelé, à Bruxelles, les « consé-
quences dévastatrices » d’une absen-
ce de consensus des Vingt-Sept sur
l’ouverture des négociations d’ad-
hésion. À la fois pour l’Europe, qui
perdrait sa crédibilité. Et pour
l’Ukraine qui, sans la profondeur
stratégique et le soutien politique du
continent, perdrait sa liberté. « Il est
important de dire à Vladimir Poutine
qu’il ne peut pas compter sur l’épuise-
ment du soutien à Kiev », affirme un
haut diplomate français.
Les prochains jours en Europe et
les prochaines semaines aux États-
Unis donneront la réponse. Ils teste-
ront la solidité de l’union sacrée oc-
cidentale qui, depuis février 2022, a
aidé les Ukrainiens à défendre leur
pays occupé. S’ils offrent une victoi-
re à Vladimir Poutine, « nous ne re-
tournerons pas à l’Europe de 2021 : ce
sera l’Europe des années 1930 », pré-
viennent, dans une tribune, des in-
tellectuels européens. Le continent
vit, selon eux, son « moment Démos-
thène » en Ukraine. L’homme d’État
grec n’avait eu de cesse, sous l’Anti-
quité, d’appeler les Athéniens à ne
pas rester passifs face à l’expansion-
nisme du roi de Macédoine. Aujour-
d’hui, préviennent les intellectuels,
1
la survie d’une Europe libre et démo-
cratique dépend de la victoire de
l’Ukraine. « Et pour l’obtenir, peut-
être est-il temps, suggère un haut di-
A
plomate européen, de passer en force
contre Viktor Orban… » ■
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

8 INTERNATIONAL

En Russie, du président russe. « Ce n’est pas un

secret de savoir qui est le principal
adversaire de Poutine dans cette

l’inquiétante
“élection” », déclare M. Volkov,
cité par le site Kholod. Le chef du
Kremlin « veut s’assurer que la voix
de Navalny ne soit pas entendue »,
ajoute Leonid Volkov. Largement

disparition
ignoré par les médias fédéraux liés
au pouvoir, Navalny ne bénéficie,
selon les sondages, que d’une faible
audience dans l’opinion russe. Mais
il est vrai que malgré sa réclusion, le

de Navalny
L’opposant incarcéré dont on est sans
nouvelles pourrait avoir été transféré
dans un autre centre de détention.
ALAIN BARLUET £@abarluet
CORRESPONDANT À MOSCOU
KREMLIN Le lien semble évident
entre l’agenda politique du
Kremlin et la situation très préoc-
cupante de l’opposant Alexeï
Navalny, dont les proches étaient
mercredi encore sans nouvelles
depuis plus d’une semaine.
Le prisonnier politique le plus
connu de Russie a été vu pour la
dernière fois le 5 décembre dans la
colonie pénitentiaire IK-6 à
Melekhovo, à 235 kilomètres à l’est
de Moscou, où il purge une peine
de 30 ans de prison pour diverses
condamnations. Le lendemain, son
avocat s’est vu refuser l’accès à la
prison. Les jours suivants, Navalny
n’est pas apparu par liaison vidéo
lors de nouvelles audiences aux-
quelles il était convoqué, cette fois
pour « vandalisme » - la quator-
zième affaire dans laquelle il est
accusé… Son absence dans le box
était due à… « une panne d’élec-
tricité » dans le centre de déten-
tion, a justifié le personnel péni-
tentiaire. Ce dernier a finalement
expliqué le 11 décembre à l’avocat
que son client ne figurait plus sur le
registre des détenus de la colonie,
sans préciser où il se trouvait.
Une situation jugée inquiétante
par les soutiens d’Alexeï Navalny,
selon lesquels il pourrait avoir été
transféré dans une structure de
détention éloignée et à régime
encore plus sévère qu’IK-6, où il
est emprisonné depuis 2021. Ce
transfert dans une colonie dite à
« régime spécial » - soit dans les
conditions les plus rudes du
système carcéral russe - pourrait
s’expliquer par la condamnation
de Navalny à 19 ans de prison sup-
plémentaires pour « extrémisme ».
Les changements d’une colonie
pénitentiaire à une autre en Russie
prennent souvent plusieurs
semaines de voyage par train avec
des étapes, les proches des détenus
restant sans nouvelles pendant
cette période. Le pays compte une
trentaine de ces colonies à « régime
spécial ».
Washington a réagi mardi en se
disant « très préoccupé » par
l’absence d’informations concer-
nant la localisation de l’opposant,
Alexeï Navalny apparaît
par liaison vidéo depuis
la colonie pénitentiaire
de Pokrov, en mai 2022,
lors d’une audience
du tribunal de Moscou
pour examiner un appel
contre sa peine
à 30 ans de prison.
EVGENIA NOVOZHENINA/
REUTERS
appelant une nouvelle fois à sa
libération immédiate. Le Kremlin,
pour sa part, a répliqué dénonçant
une ingérence « inacceptable » des
États-Unis.
« Torturé par la faim »
Cette « disparition » d’Alexeï
Navalny, considéré comme la bête
noire du Kremlin, est concomitante
de l’annonce, jeudi dernier, par le
Conseil de la fédération, le Sénat
russe, de la date de la prochaine
présidentielle, le 17 mars 2024.
Vendredi dernier, Vladimir Poutine
se déclarait, sans surprise, candidat
pour un cinquième mandat. Au
même moment, l’équipe de l’oppo-
sant lançait, elle aussi, la campagne
en appelant sur Telegram les Russes
à « se rendre dans les bureaux de
vote et à voter contre Poutine ».
Selon Leonid Volkov, aujourd’hui
en exil, proche collaborateur de
Navalny, l’incertitude autour du
sort de l’opposant ces derniers jours
constitue donc « à 0 % une coïnci-
dence » avec le calendrier politique
prisonnier de 46 ans, rescapé d’un
empoisonnement attribué aux
« services » russes en août 2020,
continuait à intervenir régulière-
ment sur les réseaux sociaux, par
l’intermédiaire de ses avocats et à
ses soutiens.
Aux yeux de ces derniers,
l’opposant emprisonné fait figure
de Nelson Mandela russe, appelé à
diriger le pays lorsqu’il sortira de
sa geôle, faisant fi des clivages pro-
fonds qui traversent l’opposition
russe dont beaucoup de membres
sont en exil. Tous se déclarent cette
semaine extrêmement soucieux
concernant l’état de santé de
Navalny, qui est régulièrement
envoyé en cellule d’isolement de
deux mètres sur trois sans
ventilation et avec l’interdiction de
s’allonger de 6 à 22 heures.
« Quelques jours avant sa dispari-
tion, il a eu des vertiges et a été mis
sous perfusion », a déclaré sa porte-
parole Kira Yarmysh, ajoutant que
Navalny était « littéralement torturé
par la faim ». Au printemps 2021,
l’opposant avait entamé une grève
de la faim parce que les médecins
civils n’étaient pas autorisés à le
voir. Grâce au tapage médiatique
autour de son cas, il avait finale-
ment réussi à subir des tests dans
une clinique indépendante : leurs
résultats ont montré une insuffi-
sance rénale et un risque d’arrêt
cardiaque. Au fil de sa détention,
l’opposant est apparu très amaigri
et aurait perdu au total une vingtai-
ne de kilos. On lui a diagnostiqué
deux hernies discales et il souf-
frirait par ailleurs d’une maladie de
l’estomac, selon des proches. ■

La surenchère de Pékin en mer de Chine du Sud

De sérieux incidents ont impliqué le week-end dernier la marine chinoise et des bâtiments philippins.
NICOLAS BAROTTE
£@NicolasBarotte
DÉFENSE Tandis que les regards
occidentaux se portent sur la guer-
re en Ukraine et le conflit qui op-
pose Israël au Hamas à Gaza, la
Chine continue d’exercer une
pression croissante dans ce qu’elle
considère être sa zone d’influence.
La mer de Chine du Sud est l’un des
théâtres de cette compétition. « La
Chine conteste la liberté de naviga-
tion dans la région. Elle utilise tous
les moyens pour pousser son expan-
sionnisme, en pratiquant une forme
de harcèlement », s’inquiète une
source diplomatique européenne.
Le week-end dernier, de nou-
veaux accrochages ont impliqué les
gardes-côtes chinois et leur milice
maritime à la marine des Philippi-
nes dans le très contesté archipel
des îles Spratleys. Les incidents ont
mis en difficulté les Philippins au
large de minuscules atolls que Pé-
kin revendique, au mépris du droit
international et d’un arbitrage ren-
du en 2016. « Samedi matin, trois
navires du Bureau de la pêche et des
ressources aquatiques apportant
une aide humanitaire aux pêcheurs
philippins au large du récif Scarbo-
rough ont été ciblés au moins huit
fois par des canons à eau (de navires
chinois, NDLR), tandis qu’un dispo-
sitif acoustique à longue portée a
provoqué une gêne et une incapacité
temporaire grave chez certains
membres de l’équipage », a déploré
Manille. L’atoll est occupé par la
Chine, mais les pêcheurs philippins
cherchent toujours à opérer dans la
zone économique exclusive.
La veille, des navires chinois
avaient cherché à empêcher le ra-
vitaillement d’une garnison phi-
lippine installée sur l’atoll Second
Thomas. Deux bâtiments, un
chinois et un philippin, sont entrés
en collision. Le chef d’état-major
de l’armée philippine, le général
Romeo Brawner, était à bord de
l’Unaizah Mae, un des navires vi-
sés par les canons à eau chinois. Le
récif de Scarborough est « un sym-
bole de nos droits de souveraineté »,
a déclaré l’officier. En signe de
protestation, l’ambassadeur
chinois à Manille a été convoqué.
300 km
Pékin a répliqué en accusant les
Philippines et les États-Unis de
nourrir les tensions.
Risque d’escalade
Face aux démonstrations de force
de Pékin, les États-Unis ont réaf-
firmé leur engagement à soutenir
leur allié philippin, laissant planer
le risque d’une escalade. Cet été,
Washington et Manille avaient
« utilise
La Chine
annoncé leur intention de mener
des patrouilles communes dans la
région. L’Australie a, elle aussi,
proposé de participer à des
manœuvres. De son côté, le Japon
a récemment proposé aux Philip-
pines de moderniser son système
de communication par satellites
pour accroître sa connaissance
maritime.
Limite de la zone maritime
CH INE TAÏWAN revendiquée par les Philippines
Des armes
Hongkong en mer de Chine méridionale acoustiques
Zhanjiang
REVENDICATIONS CHINOISES
Mer de Chine L’armée chinoise a littéralement
Zone maritime
Yulin méridionale sonné ses rivaux. Lors de
revendiquée par la Chine
(ligne en « neuf traits »)
l’incident qui l’a opposée samedi
LAOS Île Woody Scarborough aux gardes-côtes philippins
THAÏLANDE
Îles Paracels Luçon Bases navales près du récif de Scarborough,
VIETNAM Manille Récifs sur lesquels la marine chinoise a utilisé
Gaven un « dispositif acoustique pour
CAMBODGE Pékin a construit
Fiery Cross
Subi
hitu
P H ILIP P INE S des îles artificielles neutraliser les équipages
Îles Spratleys philippins », a dénoncé
Golfe de Mischief le Pentagone lundi, sans
Cuarteron Palawan O CÉ A N PACI F I Q U E préciser le système employé.
haïlande
Johnson Sud Second homas Mindanao Les autorités philippines ont
Hughes elles aussi confirmé l’utilisation
de canons à eau et d’« un
MALAISIE BRUNEI Mer de Célèbes dispositif acoustique à longue
Infographie
portée » contre ses marins.
En utilisant des systèmes
Les tensions s’accroissent depuis la Chine compte sur un effet de acoustiques non létaux, la Chine
plusieurs mois en mer de Chine du masse et sur la démesure de ses étoffe l’arsenal dont elle dispose
Sud. En octobre dernier, un bâti- moyens face à ceux des Philippi- sous le seuil de l’ouverture
ment chinois était entré en collision nes, qui n’ont pas les moyens de du feu. Ces systèmes ont fait
avec un navire philippin près du ré- riposter. La marine militaire de leur apparition au début
cif Scarborough. L’opération d’in- Pékin est aujourd’hui la plus im- des années 2000. La marine
tous
timidation, délibérée, était une
première. Elle était l’aboutissement
d’une série d’incidents. « Tout au
portante du monde avec 370 bâ-
timents de surface et sous-ma-
rins. Les autres pays de la région
américaine les avait notamment
développés pour pouvoir
mettre en garde des bateaux
les moyens pour long de l’année 2022, la Chine a dé- cherchent à se réarmer face à suspects qui ne répondraient
pousser son ployé des navires de (sa marine), des cette menace. Les Philippines ré- pas à des communications
expansionnisme, garde-côtes et des navires civils pour fléchissent, par exemple, à directes. Ils permettent d’être
en pratiquant maintenir une présence dans les zo- s’équiper de sous-marins. Le su- entendu à 3 000 mètres de
nes contestées, comme près du récif jet a été abordé début décembre, distance. Le procédé a ensuite
une forme de
harcèlement
SOURCE DIPLOMATIQUE
» de Scarborough et de l’île de Thitu,
ainsi qu’en réponse aux opérations
d’exploration pétrolière et gazière
entre le ministre des Armées, Sé-
bastien Lecornu, et son homolo-
gue. Les deux ministres ont signé
été utilisé pour protéger
des infrastructures critiques
ou contrôler des foules.
EUROPÉENNE menées par des concurrents » dans une « lettre d’intention » pour À courte portée, les ondes
la zone de la ligne en « neuf traits », « élever le niveau d’interaction » sonores peuvent causer des
écrit le Pentagone dans son rapport en matière de défense. douleurs, voire des blessures
sur la « puissance chinoise » paru en La menace chinoise est consi- aux tympans. Quelques jours
octobre. La ligne des « neuf traits » dérée comme prioritaire par les avant cet incident, la marine
décrit la zone d’influence revendi- États-Unis. « Entre l’automne 2021 chinoise avait usé d’un procédé

7 H -9 H
quée par Pékin. Les îles Spratleys y et l’automne 2023, les États-Unis similaire contre des plongeurs
occupent une place essentielle ont recensé plus de 180 cas d’inter- australiens de la frégate

EUROPE 1 MATIN comme voie de navigation. Cette

zone est vitale pour le Japon et
Dimitri Pavlenko Taïwan. Les auteurs décrivent aussi
les pratiques d’entrave et d’intimi-
Retrouvez l’Edito politique à 7h53 avec Alexis Brézet dation.
A
ceptions aériennes risquées de l’Ar-
mée populaire de libération contre
des aéronefs américains dans la ré-
gion, soit plus qu’au cours de la dé-
cennie précédente », notent les
Toowoomba. En déclenchant un
sonar sous-marin à proximité,
dont les ondes sont très
puissantes, l’armée chinoise
avait forcé les plongeurs à

et Vincent Trémolet de Villers du Figaro Pour imposer un fait accompli auteurs du rapport sur la puissan- interrompre leurs activités. N. B.
sans en arriver à un conflit direct, ce chinoise. ■

Tsahal dans le guêpier de Chajaya
Neuf soldats israéliens ont été tués mardi après être tombés dans une embuscade dans ce bastion du Hamas.
CYRILLE LOUIS £@cyrille_louis
PROCHE-ORIENT Le quartier de Chajaya,
qui s’étend à l’est de la ville de Gaza, est
présenté par Tsahal comme l’un des plus
redoutables bastions du Hamas. Durant la
guerre de l’été 2014, il avait été le théâtre
de violents combats ainsi que de bom-
bardements meurtriers et dévastateurs.
L’armée israélienne, qui a d’abord choisi
de le contourner durant la première
phase de son offensive en riposte aux
massacres du 7 octobre, s’y déploie
depuis deux semaines pour achever sa
prise de contrôle du nord de l’enclave.
Mardi après-midi, 9 soldats dont
2 officiers de haut rang y ont été tués et
6 autres blessés lors d’un incident que le
quotidien Haaretz décrit comme une
« embuscade coordonnée ». Un autre mi-
litaire israélien servant dans une unité du
génie a été tué dans un secteur distinct du
nord de l’enclave. Avec un bilan de
10 morts, ce 12 décembre est l’une des
journées les plus meurtrières pour Tsahal
depuis le début de l’offensive terrestre.
Selon le porte-parole de l’armée, plus
de 5 000 combattants du Hamas et
d’autres factions ont été tués à Gaza de-
puis le début de l’offensive terrestre. Le
ministre de la Santé du territoire admi-
nistré par le mouvement islamiste dé-
nombre pour sa part plus de 18 600 morts
palestiniens, dont une majorité de fem-
mes et d’enfants. Par contraste, le nom-
bre de soldats israéliens tués au combat
demeure relativement bas. Mais il aug-
Biden avertit Netanyahou de
l’érosion du soutien à Israël
ADRIEN JAULMES £@AdrienJaulmes
CORRESPONDANT À WASHINGTON
POUR la première fois depuis le début de
l’opération contre le Hamas, le président
américain a publiquement critiqué le
chef du gouvernement israélien sur sa
conduite de la guerre. Ce mardi, Joe
Biden a mis en garde Benyamin
Netanyahou contre l’érosion du soutien
international à Israël « à cause des
bombardements aveugles » sur Gaza.
« C’est un bon ami, mais je pense qu’il
doit changer de gouvernement. Son
gouvernement en Israël lui rend la tâche
très difficile », a dit Biden pendant un dé-
jeuner de campagne dans un hôtel de
Washington. « C’est le gouvernement le
plus conservateur de l’histoire d’Israël »,
MANDEL NGAN/AFP
a-t-il ajouté, rappelant qu’il avait connu
tous les cabinets israéliens depuis celui
de Golda Meir, premier ministre à l’épo-
que de la guerre du Kippour en 1973. « Il
s’agit d’un groupe différent. (Itamar)
Ben-Gvir et compagnie et les nouveaux
venus… ne veulent rien qui s’approche de
près ou de loin d’une solution à deux États.
Ils veulent non seulement se venger de ce
que le Hamas a fait, mais aussi de tous les
Palestiniens. Ils ne veulent pas d’une
solution à deux États », a déclaré le
président américain.
« En tant que fervents défenseurs
d’Israël, nous allons devoir être honnêtes
sur ce que nous faisons et sur l’objectif que
nous poursuivons. L’objectif est la sécurité
d’Israël », a aussi dit Biden. Or, si l’État
hébreu peut compter sur l’appui des
Américains comme des Européens, « (les
Israéliens) commencent à perdre ce
soutien à cause des bombardements
aveugles » à Gaza. « Je ne suis pas sûr que
Ben-Gvir et le reste du cabinet le
comprennent », a-t-il ajouté.
Pendant la même allocution, Biden a
renouvelé sa promesse de continuer le
soutien américain à Israël. Mais son
Administration ne cache plus sa
préoccupation devant le nombre de
victimes civiles palestiniennes. « Nous
continuerons à fournir une assistance
militaire à Israël jusqu’à ce qu’il se
débarrasse du Hamas, mais nous devons
être prudents - ils doivent être prudents »,
avait déjà prévenu Joe Biden lundi,
« l’opinion publique mondiale peut
basculer du jour au lendemain, nous ne
pouvons pas laisser cela se produire ».
L’aide militaire massive et incon-
ditionnelle fournie à Israël est critiquée
par une partie de l’opinion aux États-
Unis, et notamment au sein du Parti
démocrate, alors que la pression
internationale demandant un cessez-le-
feu va croissant. Les États-Unis ont
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
INTERNATIONAL 9
Sept soldats étaient morts sur le coup dans
l’incendie. Des renforts avaient été en-
voyés pour porter secours aux survivants
et tenter d’extraire le véhicule pris au piè-
ge. Plusieurs d’entre eux avaient été tués
lors de violents affrontements. La dé-
pouille d’un soldat, Oron Shaul, avait été
capturée par les combattants du Hamas.
Malgré des tentatives de négociation, elle
n’a jamais été restituée à ses proches.
L’embuscade du 20 juillet avait été suivie
par d’intenses bombardements, qui
transformèrent Chajaya en champ de rui-
nes. Mais elle avait aussi laissé un goût
amer au public israélien.
“disposaient
Les forces du Hamas
d’une surveillance vidéo
de la zone et s’étaient
déployées sur plusieurs
”
points hauts
LE JOURNAL « JERUSALEM POST »
DF/GPO/SIPA
« Notre supériorité militaire sur le
Hamas s’émousse dès lors qu’on entre
dans les quartiers les plus densément
Dans les décombres d’un immeuble du quartier de Chajaya, des soldats israéliens découvrent un tunnel souterrain, le 10 décembre. construits du nord de Gaza », souligne
Amos Harel, l’analyste militaire du
mente de façon significative depuis que terrestre, dont 11 au tout début, lorsqu’un Post. Des renforts ont été envoyés pour quotidien Haaretz, qui évoque « une
l’armée pénètre dans les quartiers les missile antichar a fait exploser le véhicule empêcher que les soldats ne soient résistance plus dure » des groupes armés
mieux défendus par le Hamas, comme blindé Namer à bord duquel ils kidnappés, mais ils se sont retrouvés à palestiniens à mesure que les combats se
ceux de Chajaya, de Jabaliya ou de Khan circulaient. Une vingtaine d’autres l’ont leur tour pris sous le feu ennemi. Une propagent à leurs bastions les mieux
Younès. Au total, 115 soldats israéliens été depuis lors par des tirs amis ou lors troisième équipe a été dépêchée à leur défendus. Le Hamas, qui connaît les
ont été tués depuis le début de l’offensive d’accidents, tandis que 600 militaires ont rescousse. Les combats ont duré plus de moindres recoins de l’enclave et dispose
été blessés dont plus de 130 grièvement. deux heures, jusqu’à ce que les soldats d’un vaste réseau de tunnels souterrains
Selon le compte rendu livré par la parviennent à se replier sous le couvert pour se déplacer à l’abri des regards et
presse israélienne, un détachement de la de l’artillerie et de l’armée de l’air. Parmi émerger soudain dans le dos de son
brigade Golani appuyé par des forces du
génie a été pris pour cible à Chajaya,
les victimes, le colonel Itzhak Ben Basat
est présenté comme le plus haut gradé
ennemi, espère ainsi pouvoir l’y prendre
au piège.
mardi vers 16 h 30, alors qu’il s’apprêtait à mort au combat depuis le début de L’armée israélienne affirme pour sa
fouiller un complexe composé de trois l’offensive terrestre à Gaza. part avoir éliminé plus de 350 combat-
immeubles abandonnés. Une succession Cette embuscade en rappelle une autre, tants islamistes depuis le début de la
de tirs et d’explosions a alors retenti et lors de laquelle 13 soldats israéliens bataille de Chajaya, dont un comman-
utilisé leur veto au Conseil de sécurité de quatre soldats, touchés, se sont retrouvés avaient été tués le 20 juillet 2014 dans le dant qui dirigeait le bataillon local des
l’ONU pour bloquer une résolution coupés de l’arrière. « Les forces du Hamas même quartier de Chajaya. En plein brigades Ezzeddine al-Qassam. Malgré le
appelant à un cessez-le-feu. Mais, disposaient d’une surveillance vidéo de la milieu de la nuit, un véhicule de transport revers subi ce mardi, elle s’estime en
mardi, l’Assemblée générale des Nations zone et s’étaient déployées sur plusieurs de troupes coincé dans une ruelle avait été mesure de « nettoyer » le quartier d’ici ce
unies a voté par 153 voix pour demander points hauts », croit savoir le Jerusalem pris pour cible par une grenade antichar. week-end. ■
une trêve humanitaire, les États-Unis
ayant voté contre avec une dizaine de
pays.
Un autre sujet de dissension entre les
Américains et le cabinet israélien porte
sur la préparation de la fin du conflit.
L’Administration Biden ne souhaite pas
qu’Israël réoccupe la bande de Gaza ou
réduise davantage la taille de ce territoire
L’histoire n’a plus de secrets
palestinien, et a appelé à plusieurs repri-
ses au retour de l’Autorité palestinienne
et à la reprise des pourparlers de paix
visant à établir un État palestinien.
pour Jean-Christian Petitils
“
Netanyahou
est un bon ami,
mais je pense
qu’il doit changer
de gouvernement,
celui-ci lui rend la tâche
très difficile.
C’est le gouvernement
le plus conservateur
”
de l’histoire d’Israël
JOE BIDEN, PRÉSIDENT AMÉRICAIN
Mais Netanyahou a reconnu mardi
qu’il n’était pas d’accord avec le prési-
dent américain sur ce qu’il devrait
advenir de la bande de Gaza après la
guerre. « Oui, il y a un désaccord sur
l’après-Hamas et j’espère que nous
parviendrons à un accord sur ce point
également », a dit le premier ministre
israélien. « Pour clarifier ma position, je
ne permettrai pas à Israël de répéter
l’erreur des accords d’Oslo », a précisé
Netanyahou. « Après le grand sacrifice de
nos civils et de nos soldats, je ne permettrai
pas l’entrée à Gaza de ceux qui éduquent
au terrorisme, soutiennent le terrorisme et
le financent… Gaza ne sera ni le Hamastan
ni le Fatahstan », a-t-il prévenu, rejetant
ouvertement la proposition américaine
d’associer d’une façon ou d’une autre
l’Autorité palestinienne à la recons- L’édition collector
truction de Gaza.
Le conseiller américain à la sécurité
nationale, Jake Sullivan, doit aborder ce
sujet avec Benyamin Netanyahou lors de
sa visite en Israël dans le courant de la
semaine. « J’aurai l’occasion de discuter
avec le premier ministre Netanyahou pour
savoir ce qu’il a exactement à l’esprit avec
ce commentaire, car il peut être interprété
A
de différentes manières », a déclaré
Sullivan. ■
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
10 SOCIÉTÉ
Bluff à Téhéran, traque en Corse, la R5 du
chef… Le GIGN livre ses derniers secrets
Alors que l’unité d’intervention va célébrer ses 50 ans, les patrons qui l’ont commandée se confient dans un livre.
CHRISTOPHE CORNEVIN
£@ccornevin
SÉCURITÉ Sur l’épopée du GIGN,
on pouvait imaginer que tout avait
été écrit ou presque. Mais à quel-
ques mois de célébrer les 50 ans de
l’unité d’intervention de la gendar-
merie, les onze « patrons » qui ont
commandé le prestigieux groupe
viennent de livrer leurs derniers
mystères. Ainsi en est-il du magis-
tral coup de bluff mené début août
1984, alors qu’un Boeing 737 d’Air
France est détourné vers l’Iran par
trois pirates de l’air, et atterrit à Té-
héran. Équipés d’armes blanches et
de grenades, ils réclament la libé-
ration de cinq Iraniens détenus en
France pour avoir tenté d’assassi-
ner l’ancien premier ministre Cha-
pour Bakhtiar. Mais Paris rejette
leurs exigences. Une nuit durant,
les 58 passagers et les 6 membres
d’équipage imaginent alors le pire.
Mais à la surprise générale, après
avoir fait exploser le cockpit, le
commando finit par se rendre.
Quarante ans plus tard, Philippe
Legorjus, alors numéro deux du
GIGN, révèle que les gendarmes ont
mené ce que les militaires nom-
ment dans leur langage une « opé-
ration de déception » visant à trom-
per l’adversaire et obtenir leur
reddition. Pendant le détourne-
ment, les supergendarmes en-
voient un détachement à l’aéroport
du Caire en prenant soin d’être
sciemment repérés, à la vue de
tous. « Tout le monde a cru que l’on
montait un raid sur Téhéran. C’était
une opération d’intoxication, orga-
nisée avec le Quai d’Orsay et les ser-
vices français, qui a permis de faire
libérer les otages sur place à Téhé-
ran », souffle Philippe Legorjus. Ja-
mais racontée parce que longtemps
classée secret-défense, cette his-
toire est l’une de ces pépites sorties
de l’ombre par la parution d’un li-
“deIlmissions
y a eu beaucoup
en Afghanistan.
Elles nous ont permis
d’élever le niveau
technique et tactique
des gendarmes du GI GN
”
face au terrorisme
DENIS FAVIER, UNE DES FIGURES
TUTÉLAIRES DU GIGN
vre événement (1) qui se dévore
plus vite qu’il n’en faut – ou pres-
que – au GIGN pour dénouer les pi-
res prises d’otages. Au travers d’un
exceptionnel récit choral, les onze
commandants du « GI », comme
l’appellent entre eux les membres
de cette fraternité d’armes, dévoi-
lent des opérations menées dans la
plus grande discrétion. L’une d’el-
les a ciblé le leader serbe Radovan
Karadzic, traqué par les forces spé-
ciales de plusieurs pays, dont la
France, jusqu’à son arrestation en
2008. À la demande des comman-
dos, en lien avec les militaires du
13e RDP, une dizaine de gendarmes
d’élite se rendent en décembre
2000 à Pale, capitale de la zone ser-
be de Bosnie, pour dissimuler des
balises sous la voiture de la fille puis
sous le 4 × 4 d’un fils de Karadzic,
brancher un « mouchard » sur la li-
gne téléphonique du chalet de son
épouse ou encore former de faux
couples de touristes avec des agents
de la direction du renseignement
militaires afin d’installer des camé-
ras dans l’hôtel. Nom de code ?
Mission Leclesio, menée sous la
houlette du général Philippe Ron-
dot, alors conseiller pour le rensei-
gnement et les opérations spéciales
au ministère de la Défense. À en
croire Ghislain Réty, actuel com-
mandant du GIGN, engagé à l’épo-
que comme capitaine : « Cette mis-
sion en Bosnie fut certainement la
plus belle, après l’opération de Mari-
A
gnane. » Sur tous les fronts des
« opex », le GIGN s’est aussi discrè-
tement déployé en Afghanistan
pendant treize ans, de 2001 à 2014
pour mener, aux côtés des armées
françaises et étrangères, de nom-
breuses missions de reconnaissan-
ce, des coups de main et même des
arrestations de talibans. « Il y a eu
beaucoup de missions en Afghanis-
tan. Elles nous ont permis d’élever le
niveau technique et tactique des
gendarmes du “GI” face au terroris-
me, explique Denis Favier, une des
figures tutélaires de l’unité. Rusti-
cité, militarité, réaction au feu. Nous
avons mené des opérations extrême-
ment intéressantes, au sein de déta-
chements interarmes, pour arrêter
des gens recherchés et, la plupart du
temps, sans tirer un coup de feu. (…).
L’Afghanistan nous a permis de
franchir un cap en matière de capa-
cités antiterroristes. »
Un des épisodes les plus trucu-
lents prend la forme d’une histoire
corse : en 2002, un haut responsa-
ble de la police sollicite le GIGN
pour monter une opération d’in-
terpellation d’Yvan Colonna dans
le maquis. « Ce quelqu’un, c’était
Roger Marion, directeur central ad-
joint de la police judiciaire chargé des
affaires criminelles », raconte
Thierry Orosco, patron de l’unité
de 2011 à 2014. Après avoir pris
rendez-vous dans un hôtel près de
la place Beauvau, l’ex-grand flic
reçoit dans son bureau le supergen-
darme et met de la musique pour ne
pas être écouté. « Il me montre des
photos aériennes magnifiques, faites
par la DGSE sur une zone en particu-
lier », se souvient Thierry Orosco,
qui les juge « très belles, mais inuti-
lisables ». Après le passage d’avions
de chasse dotés d’une caméra ther-
mique pour détecter, dans une zone
montagneuse, trois bergeries d’al-
Manquant de crédits titude suspectes, l’idée est alors de lestiniens armés d’un lance-ro-
à sa création en mars réaliser une opération héliportée, quettes tire en vain à deux reprises
1974, le GIGN compte en larguant une trentaine d’opéra- en direction d’un avion de la com-
sur le système D teurs du GIGN pour progresser en pagnie israélienne El Al stationné
pour se développer. pleine montagne jusqu’à la cible, sur le tarmac, avant de s’enfuir.
GIGN
s’assurer qu’il s’agit bien du berger Une semaine plus tard, le même
de Cargèse et le ramener sur le commando, plutôt culotté, revient
continent. « Des Mirage de l’armée à Orly, récupère un lance-roquet-
de l’air, basés dans l’est de la France, tes caché dans le faux plafond de
ont donc fait des passages au-dessus l’aéroport et rate à nouveau un se-
de la zone suspectée (…). C’était po- cond avion d’El Al, qui est hors de
sitif, raconte Orosco. La Foudre – portée. Après une fusillade avec la
un bâtiment de la marine -, revenant police, les terroristes prennent en
de trois mois de mission en Méditer- otages dans des toilettes dix per-
ranée orientale, l’état-major des ar- sonnes, qu’ils libèrent le lendemain
mées a alors proposé de lui deman- au pied d’un avion d’Air France qui
der de faire quinze jours de “ronds
dans l’eau” autour de la Corse. Toute
l’opération a commencé à se monter,
atterrira finalement à Bagdad. « On
avec l’idée de lancer durant les deux
tours de l’élection présidentielle (les
21 avril et 5 mai 2002). Au dernier
“d’ouverture
Pour la cérémonie
des JO,
je vais aligner
moment, elle est finalement annulée.
Les armées ont assuré que leurs 400 personnels
moyens n’étaient plus disponibles du GIGN. C’est
(…). La zone géographique suspectée une souplesse
était bien celle dans laquelle se trou-
vait le berger corse. Si nous avions et une puissance que
lancé l’opération à ce moment-là, possèdent peu d’unités
nous aurions eu de fortes chances de
”
dans le monde
réussite. » Treize mois de plus tard,
GÉNÉRAL GHISLAIN RÉTY,
c’est le Raid, après l’avoir pour- COMMANDANT ACTUEL DU GIGN
chassé jusqu’en Amérique du Sud,
qui mettra fin à ses 1 500 jours de saura plus tard que le terroriste Car-
cavale à force de planques opiniâ- los se trouvait dans les toilettes où
tres dans les environs de Propriano, s’était réfugié le commando. Quand
Debout de gauche au sud de l’île de Beauté. Rassem- ils sont partis, ils nous ont fait le V de
à droite : Laurent Phélip, blés de manière millimétrée sous la la victoire. Chirac, alors premier mi-
Denis Favier, Christian plume de Pierre-Marie Giraud, nistre, n’a pas voulu que le GIGN in-
Prouteau, Philippe journaliste à l’AFP pendant qua- tervienne. Cinq mois plus tard, le
Legorjus, Thierry
rante ans, les récits des comman- 27 juin, Carlos a tué deux policiers de
Orosco, Hubert Bonneau
et, assis sur le divan, dants du GIGN, souvent haletants, la DST, à Paris », grince encore
l’actuel commandant réservent des surprises. À peine Christian Prouteau, père fondateur
de l’unité, le général créé, le GIGN fut ainsi à deux doigts du groupe. Quand ce dernier porte
Ghislain Réty. Tous unis d’entrer dans les annales lorsque, le l’unité sur les fonts baptismaux le
dans une fraternité 13 janvier 1975, sur l’aéroport 1er mars de l’année précédente, il a
d’armes. d’Orly, un commando de trois Pa- le grade de lieutenant et le « GI » ne
compte que dix-huit hommes. Des
gendarmes « triés sur le volet, su-
rentraînés, rompus aux nouvelles
techniques de combat et au courage
insensé », souligne Pierre-Marie
Giraud. « En mars 1974, il y avait
tout à faire », se souvient Christian
Prouteau, qui va compter sur le
système D pour développer son
unité. C’est ainsi qu’il met au point,
avec ses hommes, la descente en
rappel à la corde lisse depuis un hé-
licoptère immortalisé dans le film
Peur sur la ville (1975) avec Jean-
SÉBASTIEN SORIANO/LE FIGARO
Paul Belmondo, des équipiers du
GIGN et leur chef. À l’époque, révè-
le Christian Prouteau, le GIGN pos-
sédait peu de cordes. Verneuil en
finance un lot pour le tournage, que
l’unité utilisera pendant un an.
Faute de crédits, les sous-officiers
du groupe vont par ailleurs
construire de leurs propres mains
leur stand de tir à Maisons-Alfort,
dans les douves du fort de Charen-
ton, à partir de plans dessinés par
leur chef. Alors que chaque équi-
pier se voit aujourd’hui doter d’une
dizaine d’armes, les pionniers du
groupe ne disposaient pas de cas-
ques, ni de gilets pare-balles indi-
viduels. Pour les alertes, Prouteau
était le seul à avoir un téléphone à
son domicile. Lors des premières
interventions, raconte le livre de
souvenirs, les gendarmes partaient
en Estafette, la fameuse fourgon-
nette Renault des années 1960-
1970 qui pouvait emporter huit
passagers à la vitesse maximum an-
noncée de 90 km/h. « On n’allait
pas très vite, commente Christian
Prouteau, on était toujours à fond ! »
Il faudra attendre 1976 pour que les
gendarmes d’élite décrochent des
504 break Peugeot et une R5 Alpine
Renault pour son commandant. Le
« GI » est à des années-lumière de
sa dernière métamorphose, qui l’a
récemment porté à un millier
d’hommes, équipés de moyens
matériels ultra-sophistiqués, dé-
ployés sur sept sites ultramarins et
rayonnant à l’échelon mondial
(Ukraine, Irak, Sahel ou encore
Haïti). « Ce GIGN 3.0 n’a jamais été
aussi fort, assure le général Ghislain
Réty. Pour les JO, on va pouvoir le
constater également. Pour la céré-
monie d’ouverture du 26 juillet 2024,
je vais aligner 400 personnels du
GIGN. C’est une souplesse et une
puissance que possèdent peu d’uni-
tés dans le monde. » Tout en prépa-
rant cet événement planétaire, les
gendarmes multiplient les inter-
ventions contre les forcenés et les
pirates informatiques, contre les go
fast et le haut du spectre des préda-
teurs qui menacent la France. Mais
derrière les exploits, rappelle Pier-
re-Marie Giraud, « il y a surtout des
sous-officiers et des officiers, sélec-
tionnés et formés à la dure, passion-
nés par leur métier, qui ne vivent que
pour le groupe. Ils ressentent l’obli-
gation de se dépasser en permanen-
ce, de développer leurs compétences
physiques et techniques. » En opéra-
tion et à l’entraînement, l’unité
paie le tribut du sang et des larmes.
Au total, 21 gendarmes du GIGN, et
des deux unités (GSPR et EPIGN)
qui lui seront rattachées en 2007,
sont morts entre 1974 et 2023. Des
dizaines ont été blessées, parfois
très grièvement, avec une devise
jamais démentie en un demi-siè-
cle : « S’engager pour la vie ». ■
(1) « Le GIGN par ceux qui l’ont
commandé », par Pierre-Marie
Giraud et les commandants du GIGN.
Mareuil Éditions. 21 euros.
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

SOCIÉTÉ 11

Dans le Sud,
les éoliennes
ne sont plus

MICHAEL ESDOURRUBAILH/PHOTOPQR/LE MIDI LIBRE/MAXPPP

les bienvenues
En Occitanie, pourtant pionnière
en la matière, la justice a ordonné
le démontage d’un parc.
Partout, les projets sont contestés.
GUILLAUME MOLLARET £@Newsdusud
MONTPELLIER (HÉRAULT)
ENVIRONNEMENT Vent mauvais pour
les éoliennes de Bernagues-Lunas. Pour
la deuxième fois en trois ans, la justice a
ordonné le démontage, dans un délai de
quinze mois, de ce parc éolien de sept
aérogénérateurs posés sur des sommets
proches de Lodève dans l’Hérault. « La
délivrance du permis de construire a été
faite dans des conditions d’information
insuffisante, ayant conduit à ce que les
éoliennes fonctionnent dans un cadre non
suffisamment réglementé, à l’origine
d’un préjudice notamment pour la pro-
tection des oiseaux », motive la cour
d’appel de Nîmes dans son arrêt rendu
le 7 décembre dernier.
Mis en service en 2016 dans une zone
classifiée zone naturelle d’intérêt éco-
logique faunistique et floristique, ces
sept moulins sont toujours en fonction-
nement, malgré l’annulation, par deux
fois, de leur permis de construire. En
outre, après la mort d’un aigle royal dé-
coupé par les pales de l’engin en janvier
dernier, plusieurs plaintes avaient été
déposées par des associations de pro-
tection de l’environnement, entraînant
une régulation de la cadence de pro-
duction des éoliennes par la préfecture
de l’Hérault.
« Cette affaire servira d’exemple pour
d’autres promoteurs éoliens, à savoir ne
pas s’empresser d’implanter ces machi-
nes tueuses sans attendre l’issue du re-
cours des associations et tant que la so-
ciété n’a pas obtenu définitivement son
permis ou son autorisation », veut croire
Marjolaine Villey-Migraine, porte-pa-
role du Collectif pour la protection des
paysages et de la biodiversité 34-12.
Un coup de semonce
pour toute la filière
Alors que l’exploitant, la société Éner-
gie renouvelable du Languedoc, une fi-
liale du groupe Valeco, a annoncé se
pourvoir en cassation, la décision tonne
comme un coup de semonce pour toute
la filière. Si ce démantèlement était dé-
finitivement ordonné une fois passée la
cassation, il s’agirait d’une première
devant la justice civile en France. Régu-
lièrement saisie dans ces affaires, la jus-
tice administrative, elle, se montre ra-
rement tendre avec les énergéticiens et
fait échouer nombre de projets. D’après
les données recoupées par Le Figaro
auprès de l’ensemble des cours admi-
nistratives d’appel de France, et pour le
seul mois de novembre dernier, six dé-
Malgré l’annulation, par deux fois, de leur permis de construire, les éoliennes de Bernagues-Lunas ont été implantées sur un site
classifié zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique et sont en service depuis 2016.
cisions sur huit concernant des parcs
éoliens ont été rendues en défaveur des
projets énergétiques.
Entre la volonté affichée de construi-
re un parc éolien et sa réalisation
s’écoule ainsi de nombreuses années,
souvent plus de dix ans, comme en at-
testent les jugements retraçant l’histo-
rique de chaque projet. Étude d’impact
environnementale insuffisante, man-
que de considération pour les espèces
d’oiseaux protégées et non-respect du
plan local d’urbanisme, sont autant de
reproches adressés aux éoliennes… en
plus de balafrer le paysage. « Les projets
éoliens en région Occitanie, c’est mort ! Il
n’y a aucune acceptation des popula-
tions », commente un industriel du sec-
teur. « On a beaucoup moins de problè-
mes dans les Hauts-de-France ou le
Grand Est », poursuit-il.
Tout avait pourtant bien commencé
entre le sud de la France et l’éolien.
C’est en effet dans l’Aude, à Port-la-
Nouvelle, en 1991 que le premier aéro-
générateur de France a été installé.
Après une vingtaine d’années d’exploi-
tation, il a été démonté en 2019. Depuis,
cette industrie n’a cessé de sentir passer
le vent… du boulet ! Outre les déconve-
nues judiciaires, les défenseurs de cette
énergie voient se dresser face à eux les
populations locales.
Défendue par le maire de Moulézan,
dans le Gard, l’installation de cinq éo-
liennes dans un bois communal ne ravit
guère ses voisins et engendre une guer-
re de clochers avec les édiles de villages
limitrophes, lesquels sont appuyés par
des associations de riverains. Ici, la
première ébauche de projet éolien re-
monte à 2009 et ne semble pas près de
voir le jour. « Le temps d’examen des
dossiers puis des recours est trop long »,
déplore un autre industriel. « Dans l’in-
tervalle, tous les paramètres changent :
la puissance des générateurs, leur taille.
À chaque fois, nous devons déposer un
avenant au projet qui est susceptible
d’être attaqué à son tour », pose-t-il.
Et quand il n’existe pas de riverains
pour se plaindre ou défendre la faune et
la flore, c’est l’inflation qui s’en mêle !
En pleine mer, au large de Port-la-
Nouvelle, le projet pilote de ferme flot-
tante, la première du genre en France,
connaît à son tour des difficultés.
« L’équation économique est devenue
compliquée en raison, notamment, de la
hausse du coût des flotteurs en acier qui
doivent supporter les éoliennes. Chacun
pèse plus de 2 600 tonnes », explique au
Figaro un connaisseur du dossier. D’un
projet estimé initialement à 210 millions
d’euros pour trois éoliennes, le budget
serait aujourd’hui porté à un montant
« supérieur à 300 millions d’euros ».
Dans ce contexte, les porteurs du projet
poussent pour obtenir un prix de rachat
d’électricité plus élevé, sans quoi
l’équilibre économique du parc, porté
par Qair, TotalEnergies et des collecti-
vités locales, ne serait pas assuré. Alors
que les documents officiels font tou-
jours état d’une mise en service du parc
au troisième trimestre de l’année pro-
chaine, l’hypothèse d’un report de cet-
te échéance au courant de l’année 2026
est avancée. À cette date, le parc éolien
de Bernargues-Lunas sera lui aussi
pleinement fixé sur son sort… ■

Face à son fils,

Monique Olivier
sort de ses gonds
Sélim, l’enfant qu’elle a eu avec Michel Fourniret,
est apparu aux assises en visioconférence.
STÉPHANE DURAND-SOUFFLAND
sdurandsouffland@lefigaro.fr
JUSTICE « Tu viens me faire la morale ? Eh
ben retourne chez M., tiens, vous vous en-
MATHIEU BOCK-CÔTÉ
À l’occasion de la parution de son essai Le Totalitarisme sans le goulag aux éditions La Cité,
géniteurs que par leurs patronymes com- Alexis Brézet et Vincent Trémolet de Villers recevront Mathieu Bock-Côté essayiste, chroniqueur et
plets, vient de l’inciter à révéler, « pour sociologue québécois, le mercredi 10 janvier, salle Gaveau.
les victimes », tout ce qu’elle sait des trois
crimes jugés ici, et d’autres dont nul n’a
entendu parler. Il ne croit pas que son
père, assisté ou non par sa complice, n’a
DESSIN CLAIREFOND

tendez si bien ! Tu ressembles vraiment à
ton père, déguisé comme ça ! Et dis bonjour
à Cyril Hanouna quand tu le verras ! » Pour
la première fois depuis le début de son
procès, la si placide Monique Olivier dé-
raille. Verbe grinçant, colère glaciale, re-
gard vipérin, elle s’en prend à son fils
Sélim, qui témoigne en visioconférence.
Cet homme de 35 ans, qui a naguère
coécrit un livre dont il a fait la promotion
sur C8, s’est grimé, engoncé dans un ano-
rak zippé le plus haut possible. En 2004,
alors que ses parents étaient incarcérés
tous les deux, il avait trouvé refuge chez
M., premier mari de l’accusée, « un hom-
me bon et généreux » à qui le box vitupé-
rant prête mille turpitudes. Ironie du sort :
sa longue perruque, sa fausse barbe et ses
lunettes accentuent sa ressemblance avec
ce père qu’il appelle « Michel Fourniret ».
Terrible moment d’audience que ce jet
de bile, car jamais Monique Olivier n’avait
semblé aussi sincère. Se rend-elle compte
de l’effet désastreux qu’elle vient de pro-
duire quand, quelques minutes plus tard,
elle ânonne dans son registre habituel : « Je
l’aime toujours, il peut m’écrire et même ve-
nir me voir » ? À quoi le témoin rétorque en
référence au fameux « pacte » conclu par
les intéressés : « Je suis un accident, le fruit
d’un accord commercial entre Michel Four-
niret et Monique Olivier. » Pour mémoire, il
est né neuf mois exactement après le pre-
mier enlèvement suivi de viol et de meur-
tre commis en 1987 par le couple.
tué personne entre 1990 et 2000 ; depuis
le 28 novembre, personne aux assises des MERCREDI 10 JANVIER 2024
Hauts-de-Seine n’en mettrait non plus sa
main à couper. 20H00 - SALLE GAVEAU
45-47 rue La Boétie, 75008 Paris
« Je n’ai vu personne
dans la cave »
Jadis, pourtant, Sélim adorait sa mère,
avec lequel il entretenait une véritable
complicité. Aimait-il son père tyranni-
que ? « Non, pas spécialement. » Selon des Réservez vos places
confidences qu’aurait recueillies une co- ou achetez la rediffusion sur
détenue auprès de Monique Olivier,
l’adolescent de 14 ans et demi qu’il était www.lefigaro.fr/rencontres
alors aurait surpris au domicile familial Informations au 01 70 37 18 18
Estelle Mouzin, 9 ans, kidnappée le 9 jan-
vier 2003 à Guermantes (Seine-et-Mar-
ne), avant qu’elle ne disparaisse corps et
âme. On lui aurait dit que c’était une cou-
sine qui passait par les Ardennes. Il ne
s’en souvient pas : « Je n’ai vu personne
dans la cave, pas noté de comportement
anormal de Michel Fourniret et Monique
Olivier. Je n’ai aucun souvenir d’une pré-
tendue cousine que je ne connaissais pas. »
L’apparition d’un Sélim de carnaval ne
fait pas oublier l’enfant innocent qu’il fut.
Ses parents criminels réifiaient leurs vic-
times pour mieux les massacrer et utili-
saient leur propre fils pour les amadouer.
Comment vivre avec ce poids ? Comment
SALLE GAVEAU EN REPLAY
supporter les remontrances de la virago Placement libre Dès le 12 janvier 2024
encagée ? Quel que soit le cours que pren- TARIF : 25 € TARIF : 16 €
ne son destin, il faut réserver une place ABONNÉS : 20 € ABONNÉS : 12 €
particulière à Sélim dans la liste, encore DESSIN CLAIREFOND
A

L’accusée perd son sang-froid parce ouverte, des victimes de ceux qui se pré-
que son fils, qui ne désigne désormais ses tendaient ses parents. ■
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
12 SCIENCES
COP28 : les points
clés de l’accord
« historique »
adopté à Dubaï
Au terme de négociations très compliquées,
un consensus a pu être trouvé pour mentionner
pour la première fois la sortie des énergies fossiles.
COP 28
MARC CHERKI mcherki@lefigaro.fr
ENVOYÉ SPÉCIAL À DUBAÏ
ET ANNE-LAURE FRÉMONT
alfremont@lefigaro.fr
ENVIRONNEMENT Quelle ironie
de l’histoire ! C’est dans un pays
pétrolier, aux Émirats arabes unis,
à Dubaï, ville enfumée ces der-
niers matins par un « smog » pro-
voqué par les émissions de parti-
cules fines des nombreuses
centrales au gaz qui fonctionnent
dans la ville, que la sortie progres-
sive des énergies fossiles d’ici à
2050 a été adoptée. Il s’agit d’une
décision majeure, obtenue au der-
nier jour de la COP28, présidée
cette année par Sultan al-Jaber,
patron d’Adnoc, la première en-
treprise d’hydrocarbures des
Émirats arabes unis. Ses détrac-
teurs le disaient incapable de
prendre des mesures rigoureuses
contre les énergies fossiles, res-
ponsables à 75 % des émissions de
gaz à effet de serre et donc du ré-
chauffement climatique.
Avec un jour de retard sur son
programme initial, il a fait ap-
prouver un texte qui renforce
l’accord de Paris. L’objectif de li-
Plus gros pollueur de la planète, la Chine a toutefois facilité les négociations
MERCREDI MATIN, quelques mi-
nutes avant l’adoption de la décla-
ration finale de la COP28 en session
plénière, l’émissaire chinois pour le
climat était confiant. Grand sourire
et pouces levés, Xie Zhenhua, vété-
ran des COP, savait que l’affaire
était pliée.
Dans les négociations mondiales
sur le climat, la Chine joue un rôle à
part. Première émettrice mondiale
de gaz à effet de serre, très dépen-
dante du charbon (qui représente
près de 60 % de son mix énergéti-
que), elle est aussi au deuxième rang
des nations qui ont le plus émis de-
puis la révolution industrielle, der-
rière les États-Unis. Elle n’est pour-
tant pas « officiellement » considérée
comme historiquement responsable,
et en tant que membre du Groupe
des 77 + Chine, l’imposante coalition
qui représente 80 % de la population
mondiale, la Chine se fait le porte-
voix des pays en développement.
Xie Zhenhua, l’homme clé
de Pékin
Grâce à cette double casquette, Pé-
kin est généralement considérée
comme un pont entre le Nord et le
Sud. Un rôle d’intermédiaire assu-
ré depuis des années par son négo-
ciateur Xie Zhenhua. « Il est un mo-
dèle pour les futurs diplomates du
climat. Il est profondément engagé
en faveur de l’action climatique et
montre une volonté et une capacité à
combler le fossé entre la Chine et la
communauté mondiale », expliquait
récemment à l’AFP Li Shuo, un an-
cien de Greenpeace qui a rejoint
l’Asia Society Policy Institute. Plus
discret que d’autres devant la pres-
se, Xie Zhenhua a enchaîné les réu-
nions ces derniers jours dans une
démarche qualifiée de « coopérati-
ve » par certaines sources proches
des négociations. « Sur les énergies
fossiles, la Chine semble vouloir un
A
accord. En tout cas elle fait tout
pour », assurait ainsi dimanche
miter le réchauffement mondial à
+1,5 °C par rapport à l’ère indus-
trielle y est rappelé une dizaine
de fois. Dans ces conférences
onusiennes sur le climat, les dé-
cisions se prennent par consen-
sus. Pour avancer, Sultan al-Ja-
ber « a fait comme pour l’adoption
du fond pour les pertes et préjudi-
ces, le premier jour de le COP28, il
n’a pas laissé le temps aux pays de
s’opposer au texte », commente
Fanny Petitbon, de l’ONG Care et
experte des négociations inter-
nationales sur le climat. Deux
minutes après le début de la réu-
nion plénière, il a annoncé « pas
d’opposition ! », a donné un coup
de maillet et affirmé que le texte
était adopté. Sa déclaration a été
saluée par des applaudissements
nourris dans la salle où les parti-
cipants se sont levés pour célé-
brer le moment, qualifié d’« his-
torique » par al-Jaber. Les
négociateurs des différents pays
avaient passé deux nuits, presque
blanches, à discuter du texte et
accepter des concessions. Deux
représentants des Aosis, un
groupe de 39 États insulaires me-
nacés par la montée des eaux,
notamment celle des îles Samoa
et celui des îles Marshall, ont re-
proché au président Sultan al-Ja-
ber le fait d’avoir ouvert la réu-
dernier la ministre française Agnès
Pannier-Runacher.
Certes, dès le départ, « la Chine a
tenu à marquer son mécontentement
face aux mesures commerciales uni-
latérales comme le mécanisme
d’ajustement carbone aux frontiè-
res », instauré pour protéger les ef-
forts de verdissement des écono-
mies, indique Sébastien Treyer,
directeur général de l’Iddri. Si, de
manière générale, elle considère
que l’objectif des COP n’est pas de
prescrire, « la Chine est très atta-
chée à garder vivant l’accord de Pa-
ris et elle est très attachée au multi-
latéralisme environnemental. C’est
ce qu’elle a signalé en amont de la
COP28, avec la déclaration de Sun-
nylands, signée avec les États-Unis
(le mois dernier) », selon lui. Dans
ce texte, Pékin et Washington rap-
pelaient notamment leur intention
« d’accélérer suffisamment le dé-
ploiement des énergies renouvelables
dans leurs économies respectives
jusqu’en 2030 par rapport aux ni-
veaux de 2020 afin d’accélérer la
substitution de la production de
charbon, de pétrole et de gaz ».
La déclaration de Sunnylands a
probablement insufflé un élan
avant la COP, avec « un ton général
de coopération au moment où les
tensions économiques et sécuritaires
montent entre ces deux pays, selon
Sébastien Treyer. Il est donc clair
que la Chine, ainsi que les États-Unis
et la présidence émirienne jouaient
un rôle décisif pour trouver les ter-
mes d’un arbitrage final. » En
conférence de presse mercredi
après-midi, Xie Zhenhua a confir-
mé que, lorsque les négociations
s’enlisaient, les États-Unis et la
Chine avaient pu les relancer avec
des propositions conjointes.
Difficile de savoir ce qui s’est
vraiment tramé en coulisses, et quel
poids réel aura eu Pékin dans les
toutes dernières heures de cette
danse diplomatique. « Bien qu’elle
Le président
de la COP28,
Sultan al-Jaber
(au centre),
lors de la session
plénière actant la sortie
des énergies fossiles
d’ici 2050,
le 13 décembre.
AMR ALFIKY/REUTERS
nion sans les attendre. Qu’im- tants de l’Inde et de la Chine ont pectés à la lettre, les émissions ne
porte, le texte était adopté. eux aussi salué l’importance du diminueront que de 2 % en 2030.
La méthode utilisée par Sultan al- texte, avec certaines réserves. Les six ans qui restent sont criti-
uLe
Jaber n’est pas inédite dans ces ques, car il faut aller bien plus
sommets. À l’issue de la COP21 à début de la fin vite. Mais cette mention des
Paris, Laurent Fabius, qui prési- des énergies fossiles énergies fossiles est bien un pro-
dait la séance, avait usé du même Pour la première fois, l’ensemble grès majeur. Depuis le Sommet
stratagème pour ne pas donner la des énergies fossiles est mention- de la Terre, à Rio, en 1992,
possibilité à des pays opposés à né dans le texte d’une COP : le « l’Arabie saoudite, des entrepri-
l’accord de s’exprimer à l’issue charbon, le pétrole et le gaz na- ses et des pays alliés ont construit
des débats. turel. Comme lors de l’accord de et défendu un barrage de résistan-
De nombreux chefs d’État et de Paris en 2015, cette déclaration ce à toute décision officielle visant
gouvernement, notamment Ur- insiste sur l’importance d’attein- à éliminer progressivement les
sula von der Leyen, présidente de dre la « neutralité carbone » d’ici combustibles fossiles », rappelle
la Commission européenne, ont à 2050 pour limiter le réchauffe- Alden Meyer, expert du think-
qualifié, à distance, l’accord ment à 1,5 °C. Il faudra réduire les tank E3 et habitué de ces réu-
d'« historique » ou de « très im- émissions de CO2 de 43 % d’ici à nions.
portant ». John Kerry, envoyé 2030 et de 60 % en 2035, par rap- Pour ne pas braquer les pays pé-
spécial américain du climat y a vu port à 2019. L’effort à fournir est troliers, notamment l’Arabie
« une raison d’être optimiste », immense. Selon les scientifiques, saoudite, l’Irak et la Russie, la for-
malgré la guerre en Ukraine et au si tous les engagements pris ac- mulation si polémique de « sortie
Moyen -Orient. Les représen- tuellement par les pays sont res- des énergies fossiles » a finalement
Un tiers du CO2 mondial émis par la Chine
ÉMISSIONS DE DIOXYDE DE CARBONE (CO2) PAR PAYS EN 2022, en pourcentage du total mondial
Asie Europe Afrique Océanie Amériques
Italie 0,91 %
France
0,80 %
Russie
Pologne
4,45 %
«
0,87 %
Bien qu’elle
Allemagne
exerce une Chine
1,79 %
influence 30,68 % Espagne Roy.-Uni
0,66 %
sur le groupe 0,86 %
des pays Argentine
en dévelop- 0,52 %
Brésil
pement, Égypte Mexique 1,30 %
nous avons 0,70 % Afrique
du Sud 1,38 %
constaté que 1,09 %
les nations Irak Japon
0,48 % 2,84 %
insulaires (…)
sont de plus
Inde
en plus mal 7,62 %
Philippines Arabie saoudite
0,40 % 1,78 %
à l’aise face Canada États-Unis
à la position haïlande 1,47 % 13,61 %
conservatrice 0,73 % Turquie
Corée 1,17 %
de la Chine Indonésie du Sud
1,62 %
en matière de 1,96 %
Vietnam
É.-A.-U Nouvelle-
financement Iran 0,92 % Zélande
»
0,66 %
climatique 1,86 % Australie 1,06 % 0,09 %
Source : Global Carbon Budget Infographie
exerce une influence sur le groupe des ment les combustibles fossiles, ce qui ris. Et si l’Agence internationale de
pays en développement, nous avons n’est pas tout à fait conforme à la po- l’énergie (AIE) estime qu’elle de-
constaté que les nations insulaires (…) sition de la Chine sur la question. » vrait compter pour 45 % des émis-
sont de plus en plus mal à l’aise face à Reste également à savoir com- sions issues de combustibles fossi-
la position conservatrice de la Chine ment le plus gros pollueur de la pla- les entre 2023 et 2050, la Chine est
en matière de financement climati- nète s’appropriera le texte issu des aussi championne des renouvela-
que, note cependant Byford Tsang, tractations de Dubaï, le pays étant à bles. Selon l’analyse du site britan-
expert au sein du groupe de ré- la fois leader mondial des énergies nique sur le climat Carbon Brief,
flexion E3G. Et d’autres poids lourds propres… et sales. Son président, Xi cette année, les nouvelles installa-
du groupe, comme le Brésil, ont eu Jinping, a promis que la Chine at- tions solaires sur le territoire
tendance à faire pression pour que teindrait la « neutralité carbone » chinois représentent, à elles seules,
des efforts plus importants soient dé- d’ici à 2060, soit dix ans après deux fois la capacité totale aux
ployés afin d’éliminer progressive- l’échéance fixée par l’accord de Pa- États-Unis. ■ A.-L. F.

été remplacée par l’expression
« effectuer une transition hors des
énergies fossiles », une circonvo-
lution proposée par la Québécoise
Caroline Brouillette, directrice du
Réseau action climat Canada.
C’est « une bonne idée qui a pris en
compte la sensibilité des pays pé-
troliers », confie la ministre espa-
gnole Teresa Ribera qui représen-
tait l’Union européenne. En
compromis, à la demande des
pays producteurs de pétrole, le
recours aux technologies dites
CCS (captage de carbone et sé-
questration) a été ajouté. Et une
petite tolérance a été accordée au
gaz naturel, moins polluant que le
charbon, grâce à la mention de
l’usage possible de « carburant de
transition ». Mais la solution clé
pour atteindre la neutralité carbo-
ne repose sur le recours massif aux
énergies renouvelables, dont le
poids devrait tripler en 2030 par
rapport à 2022.
u«duPremière
» mention
nucléaire
Le président Emmanuel Macron
l’a souligné sur X : l’accord re-
connaît « le rôle clé du nucléaire ».
Une « première ». Avant lui, la
ministre française de la Transi-
tion énergétique Agnès Pannier-
Runacher, sur place, a salué cette
mention constituant une « recon-
naissance historique et une victoire
diplomatique pour la France ». Le
texte final appelle en effet à « ac-
célérer les technologies à émissions
nulles ou faibles, y compris, entre
autres, les énergies renouvelables,
le nucléaire ».
Jusque-là grand absent des confé-
rences internationales sur le cli-
mat, l’atome a fait son entrée sur
scène dès le début de cette COP28,
quand une vingtaine de pays dont
la France, les États-Unis et les
Émirats arabes unis ont appelé,
dans une déclaration commune, à
tripler la production d’énergie
nucléaire dans le monde d’ici à
2050, par rapport à 2020 afin de
réduire la dépendance aux éner-
gies fossiles.
Le monde compte aujourd’hui
environ 400 réacteurs répartis
dans une trentaine de pays, qui
représentent 10 % de la produc-
tion d’électricité en 2019. Dans
ses derniers rapports, le Giec
présente l’atome comme une des
solutions possibles pour décar-
boner le secteur énergétique ; il
rappelle toutefois que « contrai-
rement à d’autres sources
d’énergie telles que l’éolien et le
solaire, les coûts de l’énergie nu-
cléaire ont augmenté au cours des
dernières décennies » en raison
des retards de construction et
des normes de sécurité plus
strictes « qui accroissent la com-
plexité des systèmes ».
De leur côté, certaines ONG ont
rappelé durant la conférence les
risques d’accidents et ceux liés à la
question des déchets radioactifs.
Greenpeace estime ainsi que la
déclaration finale de la COP28 fait
« le pari insensé du nucléaire ».
uAvancées
« historiques » sur
les « pertes et dommages »
Si les deux semaines de négocia-
tions avaient abouti à un fiasco to-
tal, Sultan al-Jaber aurait tout de
même pu brandir cette carte : dès
les premières heures de la COP, le
30 novembre, il a fait voter par sur-
prise un accord sur la mise en place
du fonds « pertes et dommages »,
réclamé depuis plus de trente ans
par les petits États insulaires. Le
principe de ce fonds, qui vise à
compenser financièrement les pays
vulnérables face aux désastres cli-
matiques qu’ils ont déjà subis, avait
été adopté l’an dernier en Égypte.
Préciser ses contours était un enjeu
clé de la COP. Depuis le vote, les
promesses pour l’abonder ont dé-
passé les 655 millions de dollars.
« C’est à peu près 1 000 fois moins
que les 580 milliards de dollars an-
nuels nécessaires d’ici à 2030 », note
toutefois Fanny Petitbon, ajoutant
qu’il manque dans la déclaration fi-
nale un chiffrage plus concret du
montant qu’il faudrait atteindre.
Elle souligne par ailleurs des avan-
cées concernant la mise en route
du réseau de Santiago, chargé de
fournir une assistance technique
aux pays vulnérables. « Il va pou-
voir être opérationnel dès 2024 et
c’est important, car ce réseau va
permettre aux États de soumettre
des demandes d’appui pour évaluer
leurs besoins chiffrés en termes de
pertes et dommages, avant d’aller
frapper à la porte du fonds. »
uDéception
sur le dossier
« adaptation »
Si les avancées sont claires sur le
dossier « pertes et dommages », les
pays riches apportent des fonds et
des garanties jugés très insuffisants
aux pays les moins avancés ou en
développement sur les autres en-
jeux. Le texte rappelle que les
100 milliards de dollars annuels
promis par les pays développés en-
tre 2020 et 2025 n’auront pas été
mobilisés avant 2022. Ces fonds
doivent aider les plus pauvres dans
leur transition énergétique, mais
aussi à s’adapter aux impacts du ré-
chauffement comme les sécheres-
ses ou la montée des eaux. Sur ce
total, environ 20 % seraient consa-
crés à l’adaptation. Le texte « ex-
horte » les pays développés à dou-
bler cette aide… Ce qui n’a rien de
nouveau. Il n’en dit pas assez, de
l’avis des ONG, sur les objectifs en
matière d’adaptation, ni sur la fa-
çon de contrôler la mise en œuvre
de cette aide.
Marina Silva, la ministre brésilienne
de l’Environnement, a une nouvelle
fois réclamé que soient apportés les
moyens nécessaires aux pays en dé-
veloppement. Les pays les plus dé-
munis ont du mal à admettre les ré-
ticences des pays riches à mobiliser
l’argent, compte tenu des sommes
débloquées ces dernières années
pour faire face à la crise du Covid.
Les pays pétroliers parient encore sur
une hausse de la demande d’hydrocarbures
ARMELLE BOHINEUST
abohineust@lefigaro.fr
À RIYAD, on s’affiche rassuré mal-
gré l’accord final auquel est parve-
nue la COP28. « Je pense que ces
textes n’affectent pas nos exporta-
tions, ni notre capacité à vendre », a
déclaré le prince Abdulaziz ben
Salman à la télévision d’État Al-
Arabiya mercredi. « La méthode
pharaonique qui consistait à dicter
les choses a été enterrée et les gens
sont donc libres de leurs choix », a
relativisé le ministre de l’énergie,
se référant à l’accord qui stipule
que la transition sera « déterminée
au niveau national » et selon « des
voies et des approches différentes »
selon les pays.
L’Arabie saoudite, premier ex-
portateur de pétrole au monde,
s’est opposée pendant les négocia-
tions de la COP aux mentions de
sortie des énergies fossiles. L’Iran,
80 %
des réserves prouvées
de brut et un tiers
l’Irak ou le Koweït en ont fait
autant. Par la voix de son secrétaire
général, Haitham al-Ghais, l’Opep,
l’Organisation des pays exporta-
teurs de pétrole, dont l’Arabie est le
de la production chef de file, avait même encouragé
quotidienne mondiale ses treize membres et ses dix alliés
sont contrôlées par au sein de l’Opep+ à carrément
l’Opep et ses 13 pays « rejeter » tout accord qui viserait
les combustibles fossiles.
membres
La poule aux œufs d’or
« Tous ces pays ont un point com-
mun : leur forte dépendance au pé-
trole et au gaz. L’Opep, qui suit les
questions climatiques depuis des an-
nées, a une position claire depuis
longtemps : la transition énergétique
ne signifie pas la disparition des hy-
drocarbures et le monde a besoin de
toutes les énergies », souligne Fran-
cis Perrin, directeur de recherche à
116
millions
l’Iris. « Si des efforts de diversifica-
tion économique ont parfois été enta-
més, pour ces États, diversification
ne signifie pas se passer des hydro-
carbures. Il est rare que des pays
veuillent abandonner la poule aux
de barils œufs d’or », ajoute l’économiste. À
Consommation eux seuls, les 13 pays de l’Opep
quotidienne mondiale contrôlent près de 80 % des réser-
estimée par l’Opep, ves prouvées de brut et environ un
en 2045 tiers de la production quotidienne
mondiale de pétrole.
Certains membres du cartel
considèrent donc les tentatives de
réduction des combustibles fossiles
comme un coup porté à leurs éco-
nomies. Le ministre koweïtien du
Pétrole, Saad al-Barrak, qui dit me-
ner « un combat pour notre liberté et
nos valeurs », accuse ainsi les pays
occidentaux de tenter de dominer
l’économie mondiale par le biais
d’énergies renouvelables.
« Une décision de COP est incontournable »
PROPOS RECUEILLIS PAR
TRISTAN VEY£@veytristan
MARION LEMOINE est chargée de
recherche CNRS à l’Institut de
l’Ouest : Droit et Europe (IODE)
de l’université de Rennes.
LE FIGARO. - Quelle est la valeur
juridique du texte adopté
mercredi à la COP28 ?
Marion LEMOINE. - Formelle-
ment, il s’agit d’une « décision de
COP ». Ce n’est pas un traité inter-
Il y a une très national juridiquement contrai-
gnant, comme le sont la conven-
forte incitation tion-cadre des Nations unies sur
diplomatique les changements climatiques de
à respecter 1992 (qui a institutionnalisé les
COP, NDLR) ou l’accord de Paris
ces décisions de 2015 (qui a fixé comme objectif de
sous peine limiter le réchauffement à 1,5 °C).
de perdre Cela n’en reste pas moins un docu-
ment très important. Chaque déci-
sa crédibilité sion de COP vient depuis préciser
sur la scène la façon dont les États doivent res-
internatio- pecter les articles de l’accord de
nale »
MARION LEMOINE
Paris. C’est un complément qui
donne des orientations stratégi-
ques, des précisions sur les procé-
dures, les normes et les moyens à
mettre en œuvre pour atteindre les
objectifs déjà fixés.
Si ce texte n’est pas
juridiquement contraignant,
pourquoi tant de débats ?
L’économie des six pays arabes
membres de l’Opep, et celle du Qa-
tar, gros producteur de gaz, dépend
essentiellement des hydrocarbures.
Le pétrole représente 60 % des re-
cettes publiques de l’Arabie saoudi-
te, 75 % de ses exportations et plus
du tiers de son PIB. Pour les autres
membres de l’Opep+, la part du pé-
trole et du gaz dans le PIB varie entre
16 % et 50 %. Tout appel à l’abandon
des énergies fossiles menace donc le
modèle économique, les budgets et
la solvabilité de ces pays.
Hôtes de la COP28, les Émirats
sont plus à l’aise que d’autres pays
arabes avec un abandon progressif
de ces combustibles. Leur économie
est beaucoup plus diversifiée que
celle de la plupart des membres de
l’Opep, en dépit des investisse-
ments massifs d’Abu Dhabi dans les
hydrocarbures. Pour autant, mal-
gré le développement du tourisme
et des services financiers, le petit
pays du Golfe perdrait près de la
moitié de ses recettes budgétaires
sans le pétrole. Et l’Arabie saoudite,
qui a lancé un énorme programme
pour transformer le royaume en
centre d’affaires et de tourisme, a
besoin de l’argent du pétrole pour
mener ses projets pharaoniques à
leur terme.
« Pour les petits producteurs,
dont les réserves d’hydrocarbures à
long terme sont faibles, évoquer un
recul progressif des énergies fossiles
Peu enclin aux négociations sur les mentions de sortie des énergies
fossiles, le prince saoudien Abdulaziz ben Salman a déclaré être rassuré
par l’accord final de la COP28, le 13 décembre. MARTIN DIVISEK/EPA/MAXPPP
Une décision de COP est incon-
tournable pour les États. Leur en-
gagement aura des conséquences
dans d’autres enceintes de négo-
ciation, par exemple sur le plan
commercial et économique. Il y a
une très forte incitation diploma-
tique à respecter ces décisions sous
peine de perdre sa crédibilité sur la
scène internationale. Ce sont aussi
des textes très importants pour le
secteur privé, car ils fixent un cap
et un cadre, un référentiel com-
mun de représentation du problè-
me et des moyens de l’endiguer.
Il s’agit d’une sorte de boussole
collective ?
Oui, c’est un référentiel consen-
suel universel. S’il n’y a aucune
obligation de retranscrire en droit
national (ou européen) le contenu
des décisions des COP, ces derniè-
res donnent de grandes orienta-
tions politiques qui vont se reflé-
ter de fait dans les lois et les
règlements subséquents. C’est le
contenu même du texte et l’im-
portance que les États lui accor-
dent qui va révéler sa portée au fil
du temps.
À ce titre, que peut-on attendre
du texte adopté à Dubaï ?
Comme tout texte de consensus,
qui est le mode de décision prévue
par la COP, il contient nécessaire-
ment des formulations assez larges,
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
SCIENCES 13
n’est pas gênant », souligne par
ailleurs Francis Perrin. « C’est dif-
férent », en revanche, pour ceux
qui ont d’énormes réserves, « qui
pourraient durer encore pendant
des décennies ».
Producteurs, pas pollueurs
Avec ou sans accord lors de la COP,
l’Opep mise de toute façon sur une
demande continue et même accrue
de pétrole. Son dernier rapport, pu-
blié mercredi, prévoit que la de-
mande connaîtra en 2024 une crois-
sance « saine » vers un nouveau
record. L’an prochain, le monde
consommera 104 millions de barils
de brut en moyenne par jour, contre
102 en 2023, affirme le cartel dont la
vision à long terme diffère passa-
blement de celle de l’Agence inter-
nationale de l’énergie (AIE). L’AIE,
qui représente les consommateurs
d’énergie industrialisés, prévoit une
baisse à 93 millions d’ici à 2030
et 55 millions de barils en 2050 tan-
dis que l’Opep voit la demande pas-
ser à 116 millions de barils par jour
d’ici à 2045.
« En tant que pays arabes, nous
produisons cette énergie, mais nous
ne sommes pas à l’origine des émis-
sions », rappelle au passage le mi-
nistre irakien du Pétrole, Hayan
Abdel-Ghani, selon qui il revient
aux pays consommateurs de « dé-
velopper des technologies pour ré-
duire leurs émissions ». ■
parfois peu claires voire difficile-
ment compréhensibles, comme
celle choisie pour nommer enfin la
sortie progressive des énergies fos-
siles et reconnaître ainsi de facto
leur rôle fondamental dans le
changement climatique (« transi-
tionner hors des énergies fossiles
dans les systèmes énergétiques,
d’une manière juste, ordonnée et
équitable, en accélérant l’action
dans cette décennie cruciale, afin
d’atteindre la neutralité carbone en
2050 conformément aux préconisa-
tions scientifiques »). On ne dit pas
« combien » il faut réduire exacte-
ment, ni sur quel calendrier, mais
c’est un manque de précision nor-
mal à l’échelle mondiale, car il faut
réunir des pays qui ont des niveaux
de développement socio-économi-
ques et des intérêts très divergents.
Quel effet cela pourra-t-il avoir ?
Cela engage collectivement les États
et l’UE dans un processus de sortie
des énergies fossiles et d’arrêt de
leurs subventions. Le fait d’avoir
inscrit l’objectif de triplement des
énergies renouvelables et de dou-
blement de l’efficience énergétique
vient en outre donner un objectif
commun à des secteurs entiers et à
l’échelle mondiale. Ce sont des
chiffres qui vont désormais faire of-
fice de référence stabilisée pour de
A
très nombreux acteurs, et orienter
de très nombreux investissements.
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
14 SPORT
Quand Zidane défie Ocon et Gasly au volant
« Le Figaro » a suivi durant une journée la légende des Bleus, hôte de l’écurie Alpine chez lui à Madrid. Ambiance.
GILLES FESTOR
gfestor@lefigaro.fr
ENVOYÉ SPÉCIAL À MADRID
FORMULE 1 Il est sorti de son Alpine
A110 grise garée juste devant l’entrée
du stade Santiago-Bernabéu, la tête
baissée dissimulée sous une capuche
rose tyrien et les mains glissées dans
une fine doudoune, tout en discré-
tion, comme à son habitude. Mais
rien n’y fait. Dans la ville qui l’a fait
roi, comme joueur puis comme en-
traîneur et où il est installé, Zizou ne
peut pas passer inaperçu. Les petits
veinards venus visiter l’enceinte
madrilène ou sortant de la boutique
officielle ont eu le droit à un sacré ca-
deau de Noël avant l’heure en voyant
la légende débarquer incognito. « Es
Zidane ? Increíble ! », entend-on sur
le trottoir par des passants n’en
croyant pas leurs yeux. Adulé en Es-
pagne comme en France, Zidane, qui
a remporté quatre Ligue des cham-
pions avec la « Maison blanche »,
une en tant que joueur (en 2002) puis
trois dans le costume d’entraîneur
(en 2016, 2017, 2018), s’arrête et se
plie aux demandes de selfies, sourire
et yeux rieurs en prime. Mais le Mar-
seillais, ambassadeur d’Alpine de-
puis un an mais sans poste actuelle-
ment (son nom est régulièrement
évoqué pour un retour au Real Ma-
drid) se sait attendu. Il finit par fen-
dre l’essaim d’admirateurs euphori-
ques mais étonnamment très
respectueux. À Madrid, on ne bous-
cule pas le Dieu vivant.
À l’entrée du musée du club, quel-
ques mètres plus loin, Esteban Ocon,
pilote de l’écurie de Formule 1 à qui il
a donné rendez-vous, comme à tou-
Zizou, un ambassadeur passionné en attendant un poste d’entraîneur
SON NOM est évoqué régulière-
ment pour assurer la succession de
Didier Deschamps sous contrat jus-
qu’en 2026 à la tête de l’équipe de
France ou sur le banc des grands
clubs européens (Real Madrid, Ju-
ventus Turin ou le PSG), mais en at-
tendant de retrouver les terrains de
football, le champion du monde
1998 fait un détour par les sports
automobiles. En février dernier, le
Marseillais a été nommé ambassa-
deur de l’écurie Alpine qui avait ré-
servé la surprise à l’occasion de la
présentation de la monoplace 2023
en grande pompe à Londres. Une
mission qui a davantage pour but
d’accompagner les programmes
d’égalité des chances et la promo-
tion des jeunes femmes pilotes no-
tamment au sein de l’Alpine Acade-
my, que de parrainer le duo Esteban
A
Ocon-Pierre Gasly en Formule 1.
« Mon parcours, c’est le leur. Le
tes les jeunes pousses de l’Alpine
Academy, l’accueille. « Je t’atten-
dais, ils ne m’ont pas laissé passer ! »,
lui souffle dans un éclat de rire le
Normand qui s’engouffre derrière le
champion du monde 1998 dans son
jardin. Pierre Gasly, coéquipier
d’Ocon, leur emboîte le pas, suivi des
espoirs. La petite dernière, haute
comme trois pommes, n’a que onze
ans. « Je suis malade, j’ai chopé un
truc à Londres », marmonne Gasly
après s’être frayé un chemin. Lui
aussi a été reconnu par les Madrilè-
nes attirés par cet étrange défilé
multicolore de voitures de sport de-
vant le stade.
Reprise de volée parfaite
À l’intérieur, la sécurité de Santiago-
Bernabéu est dépassée. La petite dé-
légation dont nous faisons partie res-
te à quai. « Solo los pilotos, no
periodistos », répond sèchement une
responsable inflexible. La confusion
règne. De longues minutes de négo-
ciation permettront de débloquer la
situation. Zidane, notre guide du jour
pour la visite, patiente à l’étage, en
discussion avec le duo Ocon-Gasly.
Ça parle préparation physique. « Et
Verstappen ? », demande l’ancien
milieu de terrain âgé de 52 ans.
« C’est un malade ! », lâche Gasly.
Ocon approuve.
Zidane ouvre la visite, épaulé par
une accompagnatrice qui donne le
ton : « Bienvenue dans le stade du plus
grand club du monde. » L’ex- meneur
de jeu sourit en regardant Gasly,
supporteur du PSG. L’histoire du
Real Madrid défile sur les murs de ce
temple du sport en chantier. Zizou la
commente puis marque un arrêt, in-
trigué par un planisphère électroni-
message c’est de leur dire : “Croyez
en vous et cela va le faire”. Tout seul
je ne peux rien faire, mais avec Alpi-
ne, on va monter des choses », a
« deLehaut
confié Zizou, issu d’un milieu mo-
deste, au sein d’une famille installée
à la Castellane, un quartier défavo-
risé au nord de Marseille. « Concer-
nant les filles, je me retrouve forcé-
ment dans leurs yeux. Elles me
rappellent mon enfance. Si on leur
donne leur chance, elles la saisi-
ront », ajoute l’ancien numéro 10,
depuis longtemps amateur de
sports autos, et tout particulière-
ment de la Formule 1. « J’ai une
passion pour cette discipline car je
trouve que la voiture en elle-même
est un objet incroyable. Quand j’ai vu
la monoplace installée ce matin de-
vant l’hôtel, c’était incroyable ! De
l’extérieur, ça procure déjà quelque
chose alors eux, à 300 km/h, ça doit
être chaud », détaille-t-il se remé-
que qui scintille en continu. À cha-
que fois qu’un tweet sur le club espa-
6e
place
gnol est envoyé dans le monde, une
lumière brille sur la carte.
Zidane fait aussi halte devant une
maquette du futur stade, capable
après sa rénovation de se transfor-
au championnat mer en salle de spectacle ultramo-
des constructeurs derne de 80 000 places. Derrière, un
pour l’écurie Alpine, écran diffuse des images des concerts
avec deux podiums, des Rolling Stones et de Bruce
cette saison Springsteen qui ont électrisé le pu-
blic madrilène dans le passé. « Taylor
Swift fera le premier concert dans le
nouveau stade mais tout est déjà full »,
confie-t-il. Le chemin se poursuit à
travers d’interminables galeries de
trophées accumulés depuis plus d’un
siècle. The Sound of Silence de Simon
and Garfunkel passe en musique
d’ambiance. Drôle de choix mais ef-
ficace pour couvrir le bruit des tra-
vaux. « C’est mes chaussures ! »,
s’amuse un peu plus loin l’ancien ca-
pitaine des Bleus en montrant du
doigt une vitrine abritant ses cram-
pons de 2002.
À côté, un panneau diffuse en
Pierre Gasly, Zinédine boucle son but fabuleux face à Leve-
Zidane et Esteban Ocon rkusen (2-1) offrant la Ligue des
(de gauche à droite), champions cette année-là au club
ont participé, mardi, espagnol. Ocon pianote sur un écran
à Madrid, à une course digital pour voir et revoir cette repri-
de kart dans le parking se de volée parfaite. « On a essayé de
en sous-sol du stade la refaire pour des publicités mais je ne
Santiago-Bernabéu suis jamais arrivé à reproduire le geste
(photo en haut à droite). à l’identique », confie l’ex-maître à
jouer des Bleus qui répond encore et
En bas à droite, l’ancien
joueur et entraîneur toujours aux sollicitations des visi-
du Real Madrid donne teurs, éberlués par la présence de
des conseils aux jeunes l’icône pendant leur visite. Un peu
de l’académie Alpine plus loin, nouvelle pause devant les
lors d’un match multiples Ballons d’Or attribués aux
improvisé. joueurs du Real Madrid. Le Bleu aux
SERVICE DE PRESSE 139 sélections (35 buts) confie son
morant ses frissons initiaux derriè-
sport
re un volant, rendus possibles grâce
à un but, son premier inscrit chez
les professionnels en février 1991
niveau se joue avec l’AS Cannes. « J’ai eu ma pre-
mière voiture grâce au président
sur de petits Alain Pedretti. Il devait me donner
détails. Dans une voiture toute pourrie et finale-
une course, ment, il m’a offert une Renault Clio
rouge. C’est un souvenir incroyable
c’est super parce que je venais d’avoir mon per-
important mis », explique-t-il assis aux côtés
et dans le foot, d’Esteban Ocon et Pierre Gasly qui
profitent aussi de ses conseils. « Il y
c’est pareil. a des similitudes (entre le football et
Un match la Formule 1, NDLR). Le sport de
serré peut haut niveau se joue sur de petits dé-
tails. Dans une course, c’est super
se jouer dans important et dans le foot, c’est pareil.
les toutes Un match serré peut se jouer dans les
dernières toutes dernières minutes », a ajouté
» l’ex-capitaine des Bleus qui s’est
minutes parfois servi de la Formule 1 dans
ZINÉDINE ZIDANE ses causeries. « Il m’arrive d’utiliser
admiration pour Alfredo Di Stefano.
« Il a tout fait ici, c’est incroyable »,
lâche-t-il d’une voix douce et posée
en tentant de se remémorer les dates
exactes de son passage (années 1950
et 1960). Pas simple. L’avant-der-
nière étape de la visite passe par la
plus prestigieuse des galeries abri-
tant 14 trophées de Ligue des cham-
pions. Un attroupement se forme,
Zidane est mitraillé de photos devant
ces coupes aux grandes oreilles. La
visite s’achève dans les tribunes de
Santiago-Bernabéu. « Tu imagines,
passer là dans un virage », rêve Ocon
dessinant un tracé dans le stade.
« Il ne voulait pas lâcher! »
La journée, chargée, est minutée. Zi-
dane quitte l’enceinte en embar-
quant Gasly dans son coupé sportif.
Direction le Rosewood Villa Magna,
prestigieux hôtel 5 étoiles devant le-
quel Alpine expose une Formule 1. Le
constructeur français a vu les choses
en grand pour la suite du menu. Au
sous-sol du parking, une piste de
karting a été aménagée pour une
course disputée en nocturne.
250 mètres de piste illuminée de
néons bleus et plusieurs Alpine A110
disposées en guise de décoration sur
les côtés.
« Je suis chez moi ici mais je joue sur
leur terrain » prévient Zidane qui jet-
te un coup d’œil sur le bolide électri-
que de Gasly. Il porte le n° 10. « Il m’a
piqué mon numéro ! », plaisante Zizou
qui a hérité du n° 5, son chiffre au
Real Madrid. Lisa Billard (14 ans), es-
poir féminin d’Alpine lui donne
quelques conseils, toute timide :
« Surtout, tu ne freines pas, ça va blo-
quer les roues. Et dans les épingles, tu
enroules. » Zidane, bon élève, écoute
des images de la Formule 1 comme je
le fais avec le basket, Michael Jordan
ou Kobe Bryant. Quand tu changes
quatre pneus en quelques secondes,
c’est hallucinant. La Formule 1, c’est
le top niveau pour ça », a ajouté le
Ballon d’Or 1998.
Une valse de départs
« En Formule 1, tout le monde est ta-
lentueux et pour être plus fort, il faut
ce petit plus. En termes de prépara-
tion par exemple, j’ai posé des ques-
tions à Zinédine. Des journées comme
celles-ci, je suis une éponge », a ré-
sumé Pierre Gasly (11e du cham-
pionnat avec 62 points et un po-
dium). « Zinédine a révolutionné
l’histoire de son sport et c’est un peu
ce que nous voulons tous faire en tant
que sportifs car nous aimons tous la
compétition. Il est toujours hyper re-
lax même lorsqu’il y a un enjeu mons-
tre et ça, c’est super intéressant. Zi-
attentivement et la relance, amusé :
« OK… J’enroule, c’est ça ? » En piste,
le champion affiche un joli coup de
volant. Ocon lui rentre dedans par
l’arrière, Gasly le tasse dans la foulée.
Les deux coéquipiers se rendent
coup pour coup, une fois leur hôte
dépassé. « Il m’a mis un coup dans les
côtes ! Je l’ai bien senti », nous confie
« ZZ » une fois descendu après trois
sessions et quarante minutes pied au
plancher. « On a eu une petite bagar-
re mais il ne voulait pas lâcher. Je me
suis dit “bon, il y a une porte à demi
entrouverte”. C’était serré et on a fini
à côté… », reconnaît Gasly. « C’était
génial mais maintenant je vais pren-
dre ma revanche au foot ! », lui ré-
pond sa victime.
À l’extérieur, la patinoire de l’hô-
tel a été transformée en terrain de
football, décoré avec des guirlandes
de Noël. Frank Sinatra chante Jingle
Bells lorsque Zidane compose les
équipes dans une ambiance joyeuse.
Ses deux fils, Luca (25 ans) et Enzo
(28 ans), joueurs de foot comme leur
père, sont aussi de la partie. Au tour
du maestro des pelouses de distiller
les conseils, aux jeunes filles de
l’académie notamment, invitées à
taper dans le ballon aussi. Gasly, im-
pressionnant balle au pied, n’a pas
besoin de leçon, lui. Plus jeune, le
Normand a failli s’orienter vers une
carrière de footballeur. Il multiplie
les jolis gestes, Ocon et son mètre
quatre-vingt-six est moins à l’aise
sur ses grandes cannes. Il conclut le
match par une frappe de mule en-
voyant le ballon dans les arbres. En
piste, les deux as du volant de l’équi-
pe Alpine rivalisent à un niveau si-
milaire. Ballon au pied, il n’y a, en
revanche, pas photo. ■
nédine a les clés du succès et je vais
m’en servir », a éclairé Esteban
Ocon (12e de la saison avec 58 points
et un podium) qui a échangé avec
les fils de Zidane au sujet de la pré-
paration physique. Cela tombe bien,
les pilotes vont bientôt débuter la
leur en vue de la future saison qui
débutera le 2 mars avec le Grand
Prix de Bahreïn. Avec le devoir de
faire beaucoup mieux qu’en 2023,
année rendue compliquée (Alpine a
terminé 6e sur 10 au championnat
des constructeurs) par les nom-
breux remaniements au sommet de
l’écurie (départs du directeur de
l’équipe Otmar Szafnauer, du PDG
Laurent Rossi, du directeur sportif
Alan Permane et du directeur tech-
nique Pat Fry). Une valse de départs
qui s’est d’ailleurs poursuivie mar-
di, avec celui de Davide Brivio, di-
recteur des projets compétition.
G. F.

LE CARNET DU JOUR
Les annonces sont reçues avec justiication d’identité
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La Librairie Le Parchemin
vous invite à rencontrer
Jean-Luc BARRÉ
lauréat du
prix Renaudot essai 2023,
pour le tome 1 de sa biographie,
De Gaulle
L'homme de personne
1890-1944
(Éditions Grasset),
le samedi 16 décembre 2023
de 11 heures à 13 heures,
176, rue de Grenelle, Paris (7e).
Téléphone : 01 45 51 74 20.
deuils
Jacques Narteau,
ses enfants et petits-enfants,
Philippe et Agnès Ameller,
Thierry et Claudia Ameller,
ses neveux et nièces,
et leurs enfants
ont la tristesse
de vous faire part du décès de
Mireille AMELLER
survenu le 12 décembre 2023,
à l'âge de 89 ans.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Béatrice de Chancel-Bardelot,
son épouse,
Agnès, Marie et Claude
Bardelot,
ses filles,
Patrick et Odile Bardelot,
son frère et sa belle-sœur,
Michelle et Stéphane Vallière,
sa sœur et beau-frère,
Marcel et Monique Bardelot,
son oncle et sa tante,
et toute la famille
ont la tristesse
de vous faire part du décès de
Philippe BARDELOT
conservateur des antiquités
et objets d'art du Cher,
survenu le 9 décembre 2023,
à l'âge de 64 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le vendredi 15 décembre 2023,
à 10 h 30, en la cathédrale
Saint-Étienne de Bourges.
L'inhumation aura lieu
au cimetière de Maisonnais
(Cher).
Béatrice de Chancel-Bardelot,
9, rue Delizy, 93500 Pantin.
DEUILS,
CONDOLEANCES,
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Téléphone : 01 56 52 27 27
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Caroline, son épouse,
et Nine, sa fille,
Marie-Hélène, sa mère,
Jérôme, Valérie et Emmanuel,
ses frère, sœur et beau-frère,
Tess et Tara,
ses nièces,
Arlette, sa belle-mère,
Nicolas et Eléonore,
ses beau-frère et belle-sœur,
Vladimir et Alexandre,
ses neveux,
ont le profond chagrin
de faire part du décès de
Philippe BIHET
survenu le 10 décembre 2023,
à l'âge de 49 ans.
Le service religieux
sera célébré au temple
de l'Oratoire du Louvre,
à Paris (1er),
le vendredi 15 décembre 2023,
à 10 h 30.
L'inhumation aura lieu
dans l'intimité familiale
le samedi 16 décembre,
à 15 heures, au cimetière de
la Paix, à Grandcamp-Maisy
(Calvados). Les fleurs
peuvent être envoyées
aux pompes funèbres,
route de Bernesq,
à Trévières (Calvados).
Caroline et Nine Bihet,
famillebihet@icloud.com
Marie-Hélène Bihet,
marie-helene.bihet@wanadoo.fr
Valérie et Emmanuel Pelletier,
valerie@thevibeagency.com
Jérôme Bihet, jerome@bihet.fr
M. et Mme Olivier Colcombet,
M. et Mme Loïc de Fleurelle,
M. et Mme Bruno Colcombet,
M. et Mme Gilles Colcombet,
M. et Mme Yves Colcombet,
le médecin général
Éric Colcombet,
M. et Mme
Damien Colcombet,
ses enfants,
ses 29 petits-enfants,
ses 87 arrière-petits-enfants,
son arrière-arrière-petit-fils
ont la grande tristesse
de vous faire part du décès de
Mme Gilles COLCOMBET
née Béatrice Huchet,
le 13 décembre 2023,
à l'âge de 93 ans, munie
des sacrements de l'Église.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le samedi 16 décembre,
à 13 h 30,
en l'abbatiale Notre-Dame-
en-Saint-Melaine, à Rennes,
suivie de l'inhumation
au cimetière
de Saint-Briac-sur-Mer.
Cabris (Alpes-Maritimes).
Michel, Jacques
Cavallier-Belletrud,
ses fils,
Claire, Nicole,
ses belles-filles,
Camille, Clémence,
ses petites-filles,
Jacqueline Maccini,
Denise Piasco,
ses sœurs,
Bernard Maccini,
son neveu,
Christian Milheau,
parents et amis
ont la tristesse
de faire part du décès de
Marie-Madeleine
CAVALLIER-BELLETRUD
née Piasco,
« Maryse »,
survenu à Grasse,
le 11 décembre 2023,
à l'âge de 91 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le mardi 19 décembre, à 14 h 30,
en l'église de Cabris,
suivie de l'inhumation
dans la sépulture de famille,
au cimetière de Cabris.
Visite à l'athanée de Grasse,
à partir du samedi 16 décembre.
En union de prière avec
la comtesse
Pierre de Cugnac (†),
M. et Mme Antoine
de Lacoste Lareymondie,
le comte et la comtesse
Henri de Cugnac,
le comte et la comtesse
Bertrand de Cugnac,
M. et Mme
Bertrand de La Fouchardière,
M. et Mme Bertrand Chaillot,
ses enfants,
leurs enfants et petits-enfants
ont la tristesse
de vous faire part
du rappel à Dieu du
comte Pierre de CUGNAC
le 12 décembre 2023,
dans sa 93e année.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le vendredi 15 décembre,
à 15 heures, en l'église
Saint-François-Xavier,
Paris (7e).
L'inhumation aura lieu
le samedi 16 décembre,
à 15 heures, au cimetière
d'Épannes (Deux-Sèvres).
Je viens vers vous, Seigneur,
dans la simplicité
de mon cœur.
Philippe, Patrick,
Anne-Sophie Delattre
ont la tristesse
de vous faire part du décès de
Raymond DELATTRE
ancien président de la Festal
et de la Maison du lin,
président fondateur
de la coopérative agricole
de Pont d'Ardres,
survenu le 11 décembre 2023,
à l'âge de 101 ans.
La cérémonie religieuse
aura lieu le lundi 18 décembre,
à 9 h 30, en l'église
Saint-Maurice, à Lille.
Guy Delteil,
son époux,
Clémentine et Emmanuel
Bizard,
Damien Delteil
et Hélène Blanchard,
Godefroy et Lorraine Delteil,
ses enfants,
Ombeline, Héloïse, Augustin,
Paul et Georges,
ses petits-enfants,
vous font part
du rappel à Dieu de
Mme Catherine DELTEIL
née Hüe,
le 8 décembre 2023,
à l'âge de 76 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
en l'église Saint-Eutrope,
aux Portes-en-Ré,
le vendredi 15 décembre 2023,
à 14 h 30, suivie de l'inhumation
au cimetière des Portes-en-Ré.
Hélène Descamps,
son épouse,
Diane Descamps et Eric Pessis,
Alexandre et Catherine
Descamps,
Juliette Descamps,
Thomas et Cécile Descamps,
Romain et Alexia Descamps,
ses enfants,
Raphaël, Antoine, Matthieu,
Flore, Blandine, Nicolas,
Stanislas, Joséphine, Martin,
Héloïse, Gaetan, Arthur,
ses petits-enfants,
ont la tristesse
de vous faire part du décès de
M. Pierre DESCAMPS
survenu le 9 décembre 2023.
La cérémonie religieuse
sera célébrée en l'église
Notre-Dame-du-Chêne,
à Viroflay (Yvelines),
le vendredi 15 décembre,
à 15 heures.
« Je ne suis pas loin,
juste de l'autre côté
du chemin ».
Henry Scott-Holland.
Le Vésinet (Yvelines).
Patrick et Christine Laredo,
Carole et Francis Bretton,
Marc et Anne-Marie Laredo,
ses enfants et leurs conjoints,
Fabienne, Sébastien,
Jean-Christophe,
Benoit et Sandy,
ses petits-enfants,
leurs conjoints,
ses sept arrière-petits-enfants
ont le profond chagrin
de faire part du décès de
Yvette LAREDO
née Leri,
veuve de
Raymond Laredo
survenu le 10 décembre 2023,
dans sa 103e année, au Vésinet.
Le service religieux
sera célébré
au temple protestant,
1, route du Grand-Pont,
au Vésinet,
le mercredi 20 décembre,
à 11 heures.
Ni fleurs ni couronnes.
Nous sommes priés d'annoncer
le décès de
Monique
LE MOTHEUX du PLESSIS
née Blandin de Chalain,
veuve de
Henri Le Motheux du Plessis
survenu le 11 décembre 2023,
dans sa 96e année.
La cérémonie religieuse
sera célébrée en l'église
d'Authon-du-Perche,
le samedi 16 décembre,
à 10 heures.
Ni fleurs ni plaques,
des prières.
Morlaàs
(Pyrénées-Atlantiques).
Elisabeth Menjucq,
son épouse,
Delphine, Fabienne et Arnaud
Menjucq,
ses enfants,
Axelle White,
sa belle-fille,
Samuel, Lilly-May,
Tom et Alexandre,
ses petits-enfants,
les familles Menjucq
et Poumarède,
parents et amis
ont la tristesse
de vous faire part du décès du
docteur Pierre-Adrien
MENJUCQ
ancien vice-président
du conseil général
des Pyrénées-Atlantiques,
ancien vice-président
du conseil régional d'Aquitaine,
ancien député,
survenu à l'âge de 86 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le lundi 18 décembre 2023,
à 12 heures, en l'église
Sainte-Foy de Morlaàs.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Les proches et les amis de
Géralde NAKAM
professeur émérite
à l'université
Sorbonne Nouvelle-Paris III,
écrivain, chercheur,
ont la tristesse
de vous faire part de son décès,
le 9 décembre 2023, à Paris.
L'inhumation a eu lieu
le 13 décembre 2023, au
cimetière parisien de Bagneux.
Autun (Saône-et-Loire).
Meursault (Côte-d'Or).
Geneviève, son épouse,
Valérie, Hélène,
Pauline et Nicolas,
ses filles et son gendre,
Marin, Augustin, Louis,
ses petits-fils,
et toutes les familles Perret
et Tricot
ont l'immense tristesse
de vous faire part du décès de
Me Jacques PERRET
survenu le 12 décembre 2023,
à l'âge de 74 ans.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le lundi 18 décembre, à 14 h 30,
en la cathédrale Saint-Lazare
d'Autun.
Fleurs naturelles uniquement.
Cet avis tient lieu de faire-part.
le figaro JeuDi 14 Décembre 2023
15
En vente
Sylvie Chailloux,
présidente,
et le conseil d'administration de
vendredi 15
l'Union Française
des Industries
Mode et Habillement (UFIMH)
ont la douleur
de faire part du décès de
et samedi 16 décembre
M. Claude TÉTARD
avec votre Figaro
président de 2000 à 2005
et co-président de 2011 à 2017,
chevalier
de la Légion d'honneur,
officier
de l'ordre national du Mérite,
survenu le 11 décembre 2023,
à l'âge de 79 ans,
aux Sables-d'Olonne.
La cérémonie religieuse
sera célébrée
le samedi 16 décembre,
à 10 h 30, en l'église
Notre-Dame de Bressuire
(Deux-Sèvres), suivie
de l'inhumation au cimetière
de Moncoutant (Deux-Sèvres).
Nous sommes priés d'annoncer En couverture
à tous ceux qui l'ont connue
Le défi du siècle :
et estimée, que
Marcelle
préserver le monde
VANDIER RIGAILLAUD
sauvage
s'est éteinte le 6 décembre 2023,
dans sa 94e année.
Sa famille,
sa belle-famille et ses amis
Reportage
vous invitent à les rejoindre
par la présence,
la pensée et la prière
A Philadelphie,
lors de l'office religieux
qui sera célébré
le vendredi 15 décembre,
à 14 h 30, en l'église
Saint-Philippe-du-Roule,
à Paris (8e).
la drogue du zombie
Un recueillement avant
l'inhumation, aura lieu
Tourisme
à 16 heures, au cimetière
de Montmartre, Paris (18e).
Aux Philippines,
l’île ensorceleuse
Muriel Vidal-Lip
et sa famille
ont la douleur
de vous faire part du décès de
Bernard VIDAL
le 12 décembre 2023,
à l'âge de 90 ans.
Les obsèques auront lieu
le vendredi 15 décembre,
à 16 h 30, au cimetière
de Saint-Nom-la-Bretèche.
messes
et anniversaires
Pour le premier anniversaire
du rappel à Dieu de
Danièle STEINITZ
Spécial 2024
née Boisselier,
une pieuse pensée
Les belles promesses
est demandée à ceux
qui l'ont connue et aimée.
de la nouvelle année
La messe de ce jeudi
14 décembre 2023, à 12 h 15,
en l'église Saint-Jean-Baptiste
de Neuilly-sur-Seine,
sera célébrée à son intention.
Interview
souvenirs Fanny Ardant:
Nora KALANTARIAN « Je suis punk peut-être »
a quitté les siens
le 14 décembre 1999.
Rencontres
Elle reste plus présente
que jamais.
Que tous ceux qui l'ont aimée,
aient une pensée affectueuse
Panayotis Pascot,
Judith Godrèche…
pour elle.
Les éditions du Figaro
Il y a dix ans,
le 14 décembre 2013,
Evelyne de LONGCAMP
nous quittait.
Edwige de Lestrange
et Olivier Joannin,
sa fille et son gendre,
Arsène et Lucien Joannin,
ses petits-fils,
remercient tous ceux
qui auront une pensée pour elle.
offices religieux
La Fondation
Shmouel et Bassie Azimov
vous informe que
Hanouccah 2023
aura lieu
du jeudi 7 décembre au soir
au vendredi 15 décembre
Ce jeudi 14 décembre,
se fera l'allumage des
huit bougies de Hanouccah.
Allumage public à 18 heures,
Le Figaro Histoire :
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beaucoup d'obscurité !
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
16 CHAMPS LIBRES
REPORTAGE
Des jeunes Indiens flânent le long du fleuve Sabarmati, à Ahmedabad, dans l’État du Gujarat, en juillet.
Les jeunes Indiens rêvent
d’une autre vie en Amérique
Emmanuel Derville
£@e_derville
Envoyé spécial au Gujarat
ingucha a l’air d’un village fantô-
D
me. En ce début d’après-midi, les
rues de cette bourgade de l’État du
Gujarat, dans l’ouest de l’Inde,
sont désertes. Seul un troupeau de
chameaux avance d’un pas lent et
chaloupé. La grande place affiche
une allure morne et silencieuse que percent les
braillements de quatre vieillards sur un banc. Un
temple hindou grandiose se dresse devant eux. Le
bâtiment détonne au milieu de ce désœuvrement.
Dingucha a de généreux donateurs : des jeunes partis
aux États-Unis qui envoient de l’argent à leur famille
et aux autorités municipales. « C’est le rêve de ceux
qui veulent aller en Amérique : gagner assez d’argent
pour contribuer au développement de la communau-
té », explique Mathur Thakor, le chef du conseil de
village. Il ne tarit pas d’éloges sur ces expatriés qui
pallient les insuffisances de l’État : « Ils ont financé le
temple, des routes, une clinique, l’école, le système de
traitement d’eau… » Mais cette générosité a un coût.
Dingucha s’est vidée de sa jeunesse. « Chaque foyer
compte au moins un ou deux de ses membres qui vit en
Amérique », constate Mathur Thakor.
L’exode ne saigne pas que ce petit bourg. Tout le
Gujarat est touché ainsi que d’autres régions du
nord de l’Inde, comme le Pendjab et l’Haryana. « Le
phénomène a pris de l’ampleur depuis dix ans »,
confirme Ratibhai Patel, le président de la fondation
Vishv Umiya, une organisation basée au Gujarat qui
aide les jeunes exilés à faire leur nid aux États-Unis
grâce à son réseau de membres sur place. Cette va-
gue de départs ressemble à une marée montante.
« On voit des jeunes qui ont des amis partis travailler
en Amérique et qui ne font pas mystère de leur nouvel-
le vie. Cela donne envie à leurs proches d’en faire
autant », ajoute-t-il.
Les minorités religieuses persécutées
Dans ce contexte, le nombre de clandestins indiens
détectés par les gardes-frontières américains explo-
se. Ils n’étaient que 9 200 à avoir été arrêtés à la
frontière avec le Mexique et le Canada sur l’exercice
fiscal 2017-2018 qui s’achève en septembre. En
2022-2023, ils étaient 97 000. Dix fois plus. Une étu-
de publiée il y a quelque mois par le Center for Mi-
gration Studies, un centre de recherche non parti-
san de New York, a calculé que l’Inde figurait parmi
les six pays dont le nombre de ressortissants clan-
destins aux États-Unis avait le plus augmenté entre
2011 et 2021, de 380 000 à 615 000.
Ce boom touche aussi la Grande-Bretagne. Dix
fois plus de migrants y ont été interpellés aux fron-
tières en cinq ans, d’une centaine en 2018, à 1 359
sur les trois premiers trimestres de cette année. Et
aux abords de l’Union européenne, Frontex a inter-
cepté plus de 7 100 clandestins indiens en 2022. Ils
n’étaient qu’une centaine par an il y a cinq ans, mais
la Serbie a exempté les Indiens de visa fin 2017. La
mesure a ouvert une porte aux migrants qui atter-
rissaient à Belgrade, avant de passer à pied en Hon-
A
grie, jusqu’à ce que Belgrade abroge l’exemption en
janvier 2023. L’UE a aussi reçu 25 000 demandes
SAM PANTHAKY/AFP
Bien que son économie d’asile en 2022, contre 2 300 il y a dix ans. Une ten-
dance sans doute alimentée par les persécutions en-
soit parmi les plus
vers les minorités religieuses, qui se sont intensifiées
depuis l’arrivée aux affaires de la droite nationaliste
dynamiques au monde,
hindoue de Narendra Modi en 2014.
« On ne trouve pas d’emplois stables »
l’Inde ne crée pas La grande évasion de la jeunesse laisse perplexe. Le
géant de 1,4 milliard d’habitants est l’une des écono-
assez d’emplois, et voit mies les plus dynamiques du monde. C’est en tout
cas ce qu’affirme le FMI, qui lui prédit un taux de
ses jeunes, notamment croissance de 6,3 % cette année et l’an prochain. Et
le premier ministre Modi, déjà en campagne pour les
ceux de l’État du Gujarat, législatives de 2024, vend du rêve à ses concitoyens
et répète que l’Inde sera la superpuissance de de-
fuir à l’étranger. main. « Durant mon troisième mandat, notre pays
sera l’une des trois premières économies du monde »,
Ils partent de préférence
a-t-il déclaré le 8 décembre. Narendra Modi était
arrivé au pouvoir en 2014 en persuadant les électeurs
qu’il relancerait les créations d’emplois. Il promet-
en Amérique, puis aident tait alors de répliquer l’ascension économique du
Gujarat, qu’il avait dirigé pendant douze ans. « Sous
leur famille restée l’égide de Narendra Modi, les agriculteurs du Gujarat
ont connu une prospérité sans précédent. (…) Le déve-
au pays. loppement de l’industrie a atteint des sommets. Na-
rendra Modi a porté une attention particulière au sys-
tème de santé et à l’éducation », vantait un article
paru sur le site du leader nationaliste en avril 2014.
500 km Mais à Ahmedabad, la plus grande ville du Guja-
rat, un seul mot revient pour expliquer l’exode mi-
gratoire : l’emploi. Bhavna et Rajni Patel en savent
PAKISTAN 1
quelque chose. Ce couple de cinquantenaires reçoit
2
New Delhi dans son appartement d’une résidence de la classe
moyenne de l’ouest de la ville. Leur visage s’illumi-
Dingucha ne dès qu’ils parlent de leur fils, parti aux États-Unis
depuis quelques mois. Ses études leur coûtent
Gandhinagar B. 2,5 millions de roupies par an (28 000 euros). « S’il
Gujarat
Ahmedabad trouve un travail après son diplôme, il est possible qu’il
reste là-bas. Ici, il n’y a pas de bons emplois », déplo-
INDE re sa mère, Bhavna. Un constat que partage Mathur
Bombay BIRMANIE Thakor, le chef du conseil municipal de Dingucha,
(Mumbai) où la population jouit d’un niveau de vie et d’éduca-
tion bien inférieur : « Les gens travaillent surtout
dans l’agriculture, un peu dans le secteur privé. Mais
on ne trouve pas d’emplois stables », c’est-à-dire
avec un contrat écrit et une protection sociale. Un
1. Pendjab comble alors que le Gujarat accueille les plus grands
2. Haryana Infographie conglomérats du pays : les raffineries du groupe Re-
liance, les ports et aéroports du groupe Adani, l’usi-
ne automobile de Tata, les usines pharmaceuti-
ques… « Même si l’industrie créée des postes, ce n’est
pas assez », pointe Mathur Thakor.
La quête d’un emploi stable exprime un désir de
statut social, une volonté de tenir son rang dans la
hiérarchie des castes. Au Gujarat, beaucoup d’émi-
grés appartiennent à la communauté patel. « Parce
que les Patel sont une caste supérieure, ils n’acceptent
En Amérique, les règles et les lois sont
les mêmes pour tous. Ici, il y a tellement
de corruption. Dès que vous créez
une entreprise, vous ne survivez
»
que si vous versez des pots-de-vin
BHAVNA PATEL, UNE HABITANTE D’AHMEDABAD, DONT LE FILS EST PARTI AUX ÉTATS-UNIS
DEPUIS QUELQUES MOIS
pas un travail mal payé, comme un job d’intérimaire
exercé par les basses castes. Sinon, ils ne trouveront
jamais d’épouse », explique Jyotindra Patel, un jour-
naliste local.
Cette pénurie torture l’Inde depuis l’indépendan-
ce, en 1947. Aucun gouvernement n’est parvenu à la
résorber. Ashoka Mody, ancien économiste à la Ban-
que mondiale et professeur à l’université de Prince-
ton, indique, dans un ouvrage paru cette année, que
le pays devra créer 200 millions d’emplois d’ici à dix
ans pour résorber le sous-emploi et le chômage.
L’emploi n’est pas le seul facteur de l’équation. À
Dingucha comme à Ahmedabad, on envie l’État de
droit qui règne en Amérique. « Les règles et les lois
sont les mêmes pour tous. Ici, il y a tellement de cor-
ruption. Dès que vous créez une entreprise, vous ne
survivez que si vous versez des pots-de-vin », raconte
Bhavna Patel, qui a dû fermer le foyer étudiant
qu’elle avait ouvert dans sa résidence après une in-
terdiction soudaine et arbitraire de la copropriété.
« L’Amérique procure une forme d’humanité supé-
rieure aux autres pays », assure Mathur Thakor. À ses
côtés, le collecteur d’impôt de Dingucha, Jayesh
Chaudhary, traduit : « Il n’y a pas de corruption là-
bas. » Mathur Thakor remarque d’ailleurs que « les
pouvoirs publics savent que les candidats à l’émigra-
tion clandestine payent des passeurs. Mais ils ne font
pas grand-chose. »
Prise d’otages à la frontière canadienne
Le gouvernement Modi est d’autant moins enclin à
sévir que l’émigration a deux avantages : elle offre
un exutoire à la frustration de la jeunesse. Et les
transferts de fonds des expatriés atteignent 112 mil-
liards de dollars par an, presque 20 % des réserves
de change de la Banque centrale indienne.
Au Gujarat, les prix vers le rêve américain sont
connus : 5 millions de roupies par adulte
(57 000 euros). Les agents, qui organisent ces dé-
parts illégaux et versent des pots-de-vin aux forces
de l’ordre, sont connus. Les itinéraires aussi sont
connus. Les émigrés confient leur passeport et don-
nent le nom d’un proche qui se porte caution en cas
de défaut de paiement. L’agent s’occupe de l’obten-
tion d’un visa touriste pour le Canada ou le Mexique.
Après avoir atterri de l’autre côté de l’Atlantique, un
second passeur les prend en charge pour traverser la
frontière contre 10 000 dollars. « Il faut donner la
moitié de la somme dans les vingt jours suivant l’arri-
vée sur le sol américain. Les 50 % restant doivent être
payés vingt jours après le premier versement. Les
clandestins travaillent dans des hôtels, des supermar-
chés ou des fast-foods tenus par des Gujaratis. Les
bons agents font passer les clandestins en moins d’un
mois », détaille un informateur, qui dit travailler ré-
gulièrement aux États-Unis avec un visa de touriste
quelques mois avant de revenir : « Le mieux, c’est
d’être embauché chez Subway. Pas besoin de parler
anglais. Il suffit d’apprendre une dizaine de mots :
pain, poulet, pepperoni, thon, OK. »
L’odyssée américaine est dangereuse. L’an der-
nier, une famille de Dingucha est morte de froid à la
frontière américano-canadienne. Un couple d’Ah-
medabad a été pris en otage avant de passer la fron-
tière il y a trois mois. Leur famille a payé 5 millions
de roupies de rançon. « Mon fils veut partir. Je veux
qu’il reste. C’est trop cher, trop risqué », pointe Ma-
thur Thakor, qui peine à contenir les rêves de son
garçon : « Les réseaux sociaux véhiculent tant de bel-
les histoires… » ■

De la guerre
en Ukraine au conflit
Immigration, islam, multiculturalisme :
israélo-palestinien,
chaque jour, l’actualité
relire les prédictions de Samuel Huntington
donne raison
CHRONIQUE
au théoricien du choc Eugénie Bastié
des civilisations. Son
ebastie@lefigaro.fr
ouvrage prophétique,
Q
écrit en 1996, éclaire
uel est le point commun
entre le conflit israélo-pa-
magistralement lestinien, un tableau de
nus qui choque des élèves
l’année 2023. musulmans, la guerre en
Ukraine, l’échec de l’ac-
cord entre l’Union euro-
péenne et le Mercosur, le rapprochement
entre la Turquie et la Grèce et l’hégémonie
totale des pays asiatiques dans le classe-
ment Pisa ? Tous ces événements peuvent
trouver une explication dans la grille de
lecture du Choc des civilisations. Chaque
jour, l’actualité donne raison à la thèse
avancée par Samuel Huntington en 1996.
Celle-ci a été tellement galvaudée, défor-
mée, caricaturée, qu’il est urgent de relire
ce livre majeur, prophétique et prodigieu-
LE CHOC DES CIVILISATIONS
sement intelligent, utilement republié en
poche chez Odile Jacob. Car dans ce pre-
mier quart du XXIe siècle le paradigme du
Samuel P. Huntington, choc des civilisations a balayé celui de la
Odile Jacob, mondialisation heureuse.
544 p., 24,90 €. Que nous dit au fond Samuel Hunting-
ton ? Que le facteur culturel est le facteur
décisif de la politique globale. Que la mon-
dialisation des échanges, loin d’effacer les
différences entre les civilisations, les a
exacerbées. Que la question « dans quel
camp êtes-vous ? », qui était celle du
XXe siècle et de la guerre froide, a été rem-
placée par une interrogation bien plus fon-
damentale : « Qui êtes-vous ? » Ce glisse-
ment est nettement visible dans le cas du
conflit israélo-palestinien où l’empathie
n’est plus dictée par des choix rationnels
ou idéologiques mais par des appartenan-
ces religieuses et identitaires.
Prenons trois prédictions d’Huntington
qui ont été amplement vérifiées par les
faits. La guerre en Ukraine d’abord. À pre-
mière vue - et c’est d’ailleurs ce qu’ont dit
Êtes-vous réac,
conservateur, libéral,
Dans la peau d’un réactionnaire
ou un mélange
des trois ?
CHRONIQUE
Charles Jaigu
Emil Cioran nous cjaigu@lefigaro.fr
prend par la main.
L
e diminutif « réac » est lé-
ger, gentiment provoc.
Mais le mot complet, réac-
tionnaire, fait peur. L’écri-
vain Emil Cioran s’est saisi
de cette question. Il n’est
plus de ce monde, mais il n’y était pas
vraiment non plus de son vivant, tant il
s’efforçait de le regarder d’outre-tombe.
Nous n’avons donc aucun scrupule à le
faire revenir d’entre les morts. Sceptique
féroce, libéral et moderne par défaut, il
n’aime rien tant que contredire et se
contredire, car il sait qu’en sortira une
goutte de vérité. Or le Roumain de Paris
ressasse dans ses livres avec une acuité
d’obsessionnel les deux inventions euro-
péennes que furent l’idée de décadence
et l’idée d’espérance. La première dé-
coule des principes posés par la pensée
réactionnaire, la seconde a mis à l’hon-
neur le rêve d’une révolution politique
qui sauvera l’humanité. Cela apparaît
fort bien dans le tiré à part intitulé Essai
sur la pensée réactionnaire. Il a été publié
jadis dans un livre au joli titre d’Exercice
OZKOK/SIPA
CHAMPS
IDÉES LIBRES
nombre d’observateurs au début du
conflit -, cette guerre ne vérifie pas la thèse
du choc des civilisations puisqu’il s’agit
d’une guerre entre voisins ou entre va-
leurs, l’Ukraine représentant la démocra-
tie contre la Russie représentant l’autori-
tarisme. Mais, dans son livre, Huntington
note que la « frontière civilisationnelle entre
l’Occident et l’orthodoxie passe en plein
cœur de l’Ukraine et ce, depuis des siècles ».
Le conflit n’est pas un conflit manichéen et
simpliste entre « le monde libre » et un ty-
ran, mais entre une Ukraine pro-Occident
et une Russie qui « n’a presque pas été ex-
posée aux phénomènes historiques qui ont
défini la civilisation occidentale : le catholi-
cisme romain, la féodalité, la Renaissance,
la réforme, l’expansion maritime et le colo-
nialisme, les Lumières et l’émergence de
l’État-nation ». Entre un Ouest tourné vers
l’Occident et un Est russophone, Hunting-
ton prévoyait trois scénarios : une Ukraine
unie pro-européenne, la division en deux
avec un Est annexé à la Russie, une Ukraine
unie tournée vers la Russie. On sait désor-
mais que l’on s’achemine plus au moins
vers le deuxième scénario, le plus proche
du paradigme du choc des civilisations.
Deuxième prédiction : l’islam. Avant
même les attaques du 11 Septembre, Hun-
tington prévoyait la résurgence du conflit
millénaire entre l’islam et l’Occident.
« Certains Occidentaux, comme le président
Bill Clinton, soutiennent que l’Occident n’a
pas de problèmes avec l’islam, mais seule-
ment avec les extrémistes islamistes violents.
Quatorze cents ans d’histoire démontrent
le contraire », écrit Huntington, ajoutant :
« Au XXe siècle, le conflit entre la démocratie
libérale et le marxisme-léninisme n’est qu’un
phénomène historique superficiel en compa-
raison des relations sans cesse tendues entre
l’islam et le christianisme. » Il prédisait que
celles-ci allaient s’accentuer au XXIe siècle,
du fait du désir de revanche postcolonial
des pays musulmans et des prétentions
universalistes arrogantes de l’Occident.
Troisième prédiction : l’immigration.
« La démographie dicte le destin de l’histoi-
d’admiration. Cet essai est consacré à
Joseph de Maistre (1753-1821), le maître
de la pensée réactionnaire. Cioran se dé-
lecte des paradoxes insoutenables de
l’exilé de Saint-Pétersbourg. À vrai dire,
il le dézingue, mais en toute amitié.
« Qu’affirme la réaction sinon la valeur
suprême du révolu. Mais les événements
avancent, les changements se font, et ils
donnent tort aux réactionnaires. Furieux
d’être ainsi contredits, ils se précipitent sur
le verbe pour s’y réfugier. Le style devient
le luxe de l’échec. »
Car, c’est entendu, Maistre se trompe.
C’est un ultra. Et les ultras exagèrent. Les
centristes - nous ne parlons pas ici des
partis politiques - ont presque toujours
raison, mais ils sont plus ennuyeux. Nous
sommes encore dans des temps centris-
tes, et cela comporte bien des avantages,
mais les excès y sont mal tolérés. La
moindre sortie des rails du politiquement
correct provoque une rétorsion. « Il
n’existe pas de grand caractère qui ne ten-
de à quelque exagération », écrit Maistre.
Et si Cioran, lui aussi, est un centriste, il
l’est lucidement, en scrutant la satisfac-
tion du petit fonctionnaire du relatif.
Alors, oui, le réactionnaire exagère
quand il soutient ceci : « Il n’y a que vio-
lence dans l’univers ; nous sommes gâtés
par la philosophie moderne, qui dit que tout
est bien, tandis que le mal a tout souillé, et
« sinon
Qu’affirme la réaction
la valeur
suprême du révolu.
Mais les événements
avancent, les
changements se font,
et ils donnent tort aux
réactionnaires. Furieux
d’être ainsi contredits,
ils se précipitent sur le
verbe pour s’y réfugier.
Le style devient le luxe
de l’échec » volutionnaire, que le temps contient en
EMIL CIORAN
re, les mouvements de population en sont le
moteur, écrit Huntington. La question n’est
pas de savoir si l’Europe sera islamisée ou
l’Amérique hispanisée. La question est de
savoir si l’Europe et l’Amérique deviendront en général, d’abandonner le multicultura-
des sociétés déchirées entre deux commu-
nautés distinctes et en grande partie oppo-
sées, appartenant à deux civilisations. (...) tianisme, la séparation du spirituel et du
Une immigration importante ne peut que
produire des pays divisés entre chrétiens et
musulmans. » À la fin des années 1990,
note Huntington, les dirigeants occiden-
taux sont conscients de la montée en puis-
sance de la question migratoire et tentent
d’y répondre. À noter qu’il pèche par opti-
misme, puisqu’il pense que, « au total, au
milieu des années 1990, les pays d’Europe
occidentale s’acheminaient inexorablement
« La question « dans quel camp êtes-
vous ? » qui était celle du XXe siècle
et de la guerre froide a été remplacée
par une interrogation bien plus
fondamentale : « Qui êtes-vous ? »
vers une réduction considérable, voire vers
une élimination totale de l’immigration de
source non européenne ». Réaliste froid et
rationnel, il avait sans doute sous-estimé
le pouvoir d’intimidation idéologique de la
gauche morale qui a pendant vingt ans
diabolisé toute velléité de juguler les flux terchangeable est fausse. Les besoins de
migratoires, au point que nous sommes
aujourd’hui dans une situation bien pire
que celle ébauchée dans les années 1990.
On se doute de ce qu’aurait pensé Sa-
muel Huntington, qui a enseigné cinquan-
te-huit ans à Harvard et est mort en 2008,
du wokisme délirant sur les facs américai-
nes. Il avait conscience des fragilités de
l’Amérique à l’ère identitaire. « Dans une
époque où tous les peuples se définissent
eux-mêmes par leur appartenance culturel-
le, quelle place peut occuper une société dé- guerre civile généralisée sans vainqueurs
pourvue de fonds culturel commun et se dé-
finissant uniquement par des principes
que, dans un sens très vrai, tout est mal,
puisque rien n’est à sa place ». Voilà
l’axiome réac : tout est mal et c’est très
bien. Il n’y a rien à faire de mieux que de
s’en remettre à un gouvernement tyran-
nique et de justifier théologiquement ses
actions arbitraires. Autant laisser le
monde tel qu’on l’a trouvé, en courbant
l’échine, sans rien déléguer à l’initiative
des hommes. De toute manière, ils feront
un mauvais usage de leur liberté.
On reconnaît là le vade-mecum de
nombreux États. La pensée réactionnaire
se porte donc assez bien, sauf dans la so-
ciété moderne, où elle est résiduelle.
Dans celle-ci, le sentiment d’espoir
l’emporte en général sur celui de déca-
dence. Et les militants se ressemblent par
leur optimisme foncier. Altermondialis-
tes, écologistes, libéraux, nationalistes et
conservateurs veulent tous accélérer ou
ralentir le changement, sans le nier. Et ils
veulent l’orienter dans le sens d’un pro-
grès (celui qui a leur préférence). En re-
vanche, les extrêmes de la réaction se
rejoignent. Islamistes radicaux, ultra-
conservateurs juifs, chrétiens, ou boudd-
histes, prêchent obéissance absolue aux
principes immuables d’une société stati-
que. L’Inquisition est le moment que pré-
fère Joseph de Maistre dans le christia-
nisme, même si, de toutes les doctrines,
la chrétienne est celle qui table le plus sur
la nouveauté et l’espérance. Ce qui em-
barrasse Joseph de Maistre, qui a pour
ennemi unique le changement, et l’ex-
pression des contradictions qu’il charrie.
« Le réactionnaire fait remonter notre dé-
chéance à notre séparation d’avec le tout.
Comment expliquer la division ? L’infiltra-
tion du mouvement dans l’unité primor-
diale ? On ne sait ; mais on sait que l’his-
toire en découle. Fille du multiple. Source
du mal. » C’est tout l’opposé de la pensée
révolutionnaire, fille de l’histoire. « Elle
discerne dans la succession un principe
d’enrichissement, une féconde dislocation
de la monotonie, et comme une perfectibi-
lité jamais démentie, toujours en marche. »
L’antithèse de la réaction est la révolu-
tion. « Il faudrait croire, avec l’esprit ré-
puissance la réponse à toutes les interro-
gations et le remède à tous les maux (…)
qu’il est l’agent d’une métamorphose tota-
le. » Cela débouche aussitôt sur une nou-
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
17
politiques ? », s’interrogeait-il. La désu-
nion est le destin des sociétés multicultu-
relles, c’est pourquoi il enjoignait aux
États-Unis en particulier, et à l’Occident
lisme pour assumer la foi dans l’identité
culturelle occidentale fondée sur le chris-
temporel et la force de la loi.
On fait souvent à tort de Samuel Hun-
tington l’instigateur des théories néocon-
servatrices et de la guerre contre le ter-
rorisme. Pourtant, l’auteur, qui s’était
opposé à la guerre en Irak critique au
contraire le messianisme culturel amé-
ricain. Il fustige sévèrement les préten-
tions universalistes de l’Occident : « La
croyance occidentale dans la vocation uni-
verselle de sa culture a
trois défauts majeurs :
elle est fausse, elle est
immorale et elle est
dangereuse. »
Huntington s’est
toujours défini comme
» un conservateur plutôt
que comme un néo-
conservateur. Conser-
vateur, c’est-à-dire adepte d’une anthro-
pologie réaliste et tragique. Le conflit est
inhérent à toute société humaine. L’utopie
d’une humanité réconciliée et pacifiée est
mensongère et dangereuse. L’abstraction
humaniste d’un individu déraciné et in-
l’homme ne sont pas que matériels mais
aussi spirituels : « Ni Adam Smith ni Tho-
mas Jefferson ne satisferont les besoins psy-
chologiques, affectifs, moraux et sociaux
des immigrants qui s’amassent dans les vil-
les. » La diversité est bonne au niveau
mondial, mortifère au niveau national.
L’universalisme est un danger à l’exté-
rieur, le multiculturalisme une menace à
l’intérieur. Pour éviter que le choc des ci-
vilisations ne transforme le monde en
ni vaincus, il faut d’urgence prendre au
sérieux ses avertissements. ■
velle illusion : quand la révolution sur-
vient, ce moment est aussitôt impossible
à fixer, au point que l’effort pour y rester
fidèle transforme le révolutionnaire en
réactionnaire.
La révolution bénéficie tout de même
d’un léger avantage : « entre le paradis
primordial des religions et celui, final, des
utopies, il y a tout l’intervalle qui sépare un
regret d’un espoir(…) on gagne toujours à
placer l’absolu non point au début mais au
terme même du temps ». Les conserva-
teurs dans les sociétés libérales sont des
partisans du changement à des degrés di-
vers. Ce n’est pas le cas du réactionnaire,
qui refuse le changement, en bloc. Le
conservateur libéral le tolère s’il est sous
contrôle. Le changement débridé n’est
pas pour lui, car il n’accepte pas que « le
nouveau devienne le seul critère et la méta-
morphose la seule morale ». Le réaction-
naire voit dans la moindre ride sur l’eau
le risque d’une tempête. Il veut couler les
sociétés dans le béton de la tradition.
Mais à quelle tradition veut-il remonter ?
Impossible de le décréter. Sous la plume
de Maistre, admirable vitupérateur, le li-
béral conservateur devient un homme de
gauche. Il est vrai que s’il n’y prend gar-
de, le libéral devient vite un progressiste
béat, puis un utopiste, ami du dépasse-
ment du genre humain (fasciste ou trans-
humaniste, décolonial ou transgenre). Il
faut vite le dégriser. « Combien de fois les
optimistes, paralysés par un idéal noble, ne
doivent-ils pas, dans leur for intérieur, en-
vier le sans-gêne doctrinal de leurs enne-
mis ? Le désespoir de l’homme de gauche
est de combattre au nom de principes qui
lui interdisent le cynisme. » Oui, une cer-
taine dose de cynisme est le cadeau du
réac. Tout est dans la bonne dose. ■
ESSAI SUR
LA PENSÉE
RÉACTIONNAIRE
Emil M. Cioran,
Réédition en 2015
par Fata Morgana,
76 p., 15 €.
A
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
18 CHAMPS LIBRES
DÉBATS
Ce n’est pas un hasard si la crise politique
se cristallise autour de l’immigration
l n’y a point de hasard à ce que
+ » Lire aussi PAGES 4 ET 5
I
la crise politique qui s’est
soudainement imposée
avec le vote d’une motion de
rejet se soit cristallisée autour de
l’immigration. Aux yeux d’une
majorité des citoyens, il ne fait plus de
doute que c’est du destin de la France
qu’il s’agit, et qu’au travers de la
question de son peuplement, c’est
la question existentielle qui est posée,
qu’un compte à rebours est enclenché.
En 2015, 69 % des Français
estimaient qu’il y avait trop
d’immigrés, ce qui représentait déjà
20 points de plus qu’en 2009 (Cevipof).
En 2017, selon l’Insee, « 44 % de la
hausse de la population provient des
immigrés ». Toujours selon l’Insee, près
de 40 % des enfants de 0 à 4 ans ont un
lien à l’immigration sur 3 générations,
une immigration majoritairement issue
du continent africain, Maghreb inclus.
Dans une telle situation, la question qui
s’impose est de savoir si l’intégration
culturelle réussit pour une majorité,
et si les migrants et leurs descendants
adoptent la France comme patrie de
cœur et d’esprit. Comme l’avait très
justement exprimé, en 2022 sur RTL,
le patron du Medef Geoffroy
Roux de Bézieux, « on ne peut pas
décider d’une politique migratoire
simplement en fonction des besoins
économiques. Parce que c’est un sujet
d’intégration, de valeurs. »
Et d’enfoncer le clou en juin 2023 :
« on n’est pas
demandeur
d’immigration
MALIKA SOREL économique ou de
Il est logique que les dissensions entre le régularisation
gouvernement et le Parlement aient atteint de telles massive ».
Dans son rapport
proportions sur une question devenue existentielle sur l’école
pour notre pays, argumente l’essayiste et ancien maternelle remis
membre du Haut Conseil à l’intégration*. en 2007 au ministre
« On assiste à un phénomène général
de désinstitutionnalisation »
PROPOS RECUEILLIS PAR
MARTIN BERNIER£@_martinbernier
LE FIGARO. - Avec la motion de rejet,
la majorité relative a, pour la première
fois, été mise en minorité.
Certains parlent de crise politique.
Partagez-vous ce constat ?
Nicolas ROUSSELLIER. – Pas vraiment.
L’échec, qui est incontestable, concerne
un seul projet de loi. Et ce projet de loi
touche un sujet très particulier, celui de
l’immigration. La motion de rejet de
lundi est donc liée à la volonté de diffé-
rents partis de se réserver ce sujet qui
représente une ressource politique es-
sentielle en vue de la campagne prési-
dentielle. Pas question de le laisser au
gouvernement ! On constate ainsi que la
logique présidentielle s’est immiscée
dans le Parlement et vient en quelque
sorte saboter son travail. Le travail par-
lementaire implique que l’opposition
examine un projet sur le fond et profite
de la tribune pour le critiquer et propo-
ser des amendements. Si une opposition
doit s’exprimer, c’est à la fin d’une déli-
bération. Or voter une motion de rejet
préalable, c’est faire de l’obstruction,
pas de l’opposition. Si le mot a un sens, il
faut s’opposer sur de la substance, sur
des propositions concrètes et des idées :
DESSINS : FABIEN CLAIREFOND
par exemple sur la suppression de l’aide
médicale d’État, sur la régularisation
des sans-papiers dans les métiers en
tension. Là, on a assisté à une négation
du travail d’opposition, aussi bien à
droite qu’à gauche.
Il n’y a pas une crise globale ou soudaine
du régime de la Ve République, mais une
forme d’attitude nouvelle face à la
Constitution et face
au jeu des institu-
NICOLAS ROUSSELLIER tions politiques. Ce
à quoi on a assisté,
Le Parlement pourrait être la première victime c’est l’utilisation
de la motion de rejet adoptée par l’Assemblée d’un point du règle-
nationale, estime le professeur à Sciences Po ment de l’Assem-
blée nationale, mais
et spécialiste de l’histoire politique française*, au mépris de la rai-
A
qui pointe l’avènement d’une forme son d’être du Parle-
de « parlementarisme dérationalisé ». ment. Cet élément
de l’Éducation nationale, Alain
Bentolila évoque l’existence de
problèmes de compatibilité culturelle
entre l’école et la maison pour ces
« enfants venus d’ailleurs ». En 2009,
deux chercheurs pointent que dans
les familles du Maghreb, de Turquie et
d’Afrique, « 72 % des parents estiment
important que leurs enfants pensent
comme eux », et que « La prescription
d’obéissance imposée aux enfants
se double d’une demande d’allégeance
spirituelle et intellectuelle ». En 2000,
trois chercheurs soulignent que dans
le cas où « la figure du maître s’avère,
aux yeux de l’enfant, trop différente
de celle parentale, il doit, consciemment
ou inconsciemment, décider quel savoir
adopter ». Et de conclure que « certains
enfants issus de l’immigration échouent
à l’école car l’enfant s’oppose à l’élève ».
La chute libre de la France dans le
classement Pisa prépare des jours
sombres pour l’économie française
et pour la cohésion sociale et nationale.
Pourtant, dès 1991, comme en atteste
un rapport du Comité des ministres
des États de l’Union européenne, tout
était déjà parfaitement su : « pour de
nombreux immigrés, l’identité culturelle
se confond largement avec la religion et
des problèmes peuvent surgir lorsque les
pratiques ou les sensibilités religieuses
des immigrés sont étrangères ou
contraires aux traditions de la société
du pays d’accueil ». Les gouvernants
ont-ils servi, ou desservi, la cause
de leurs peuples ?
Partout à travers l’Europe,
l’intégration culturelle a régressé.
En France, l’école n’est plus guère
en capacité d’accomplir sa mission
de formation des citoyens de demain,
ni même de protéger ses enseignants,
dont la moitié déclare s’autocensurer
par peur. Nous sommes ici au cœur
du conflit de valeurs ou d’identité.
du règlement est utilisé davantage com-
me une arme létale que comme un ins-
trument de travail.
Quand Darmanin déplore
précisément le « rejet du débat »
des oppositions, il se voit retourner
le même argument. À qui faut-il
imputer la responsabilité de ce blocage ?
On assiste à un phénomène général de
désinstitutionnalisation qui touche aussi
bien le gouvernement que le Parlement.
L’usage multiplié du 49.3 a aussi été une
façon de tordre la Constitution pour en
faire une méthode permanente de res-
triction des débats et du travail parle-
mentaire. Cette motion de rejet votée
lundi apparaît comme l’exact boome-
rang du 49.3.
« Les députés qui ont voté lundi
pour la motion de rejet creusent
la tombe de leur propre institution
Dans l’esprit de Michel Debré et des
conseillers d’État qui ont élaboré la
Constitution de la Ve République au
cours de l’été 1958, le parlementarisme
rationalisé devait éviter les crises minis- Hannah Arendt pour définir les gouver-
térielles perpétuelles et permettre que le
budget soit voté en temps voulu. Mais là,
nous assistons à une forme de parle-
mentarisme dérationalisé ou à un parle-
mentarisme rationalisé dévoyé : au lieu
d’utiliser les ressources d’équilibre en-
tre Parlement et gouvernement, celles-
ci sont utilisées contre le Parlement par
l’exécutif, et cette fois contre l’exécutif
par le pouvoir législatif lui-même ! On
peut entendre les arguments sur le com-
portement de Darmanin entre le Sénat
et l’Assemblée nationale. Mais ici, le
Parlement s’est défaussé de son rôle. Et
le pire qui puisse arriver, c’est que l’opi- de niveau, le redoublement… Il n’a pas
nion en déduise qu’ils sont « tous cou-
pables », tous à mettre dans le même
sac. Et ce ne sera pas totalement faux.
La grande victime de tout ce qui se pas-
se, c’est enfin la méthodologie parle-
mentaire et l’idée que le Parlement fait
un travail de législation, c’est-à-dire le
Les chiffres sont sans appel : 74 %
des musulmans de moins de 25 ans
déclarent « faire passer leurs
convictions religieuses avant les valeurs
de la République » - alors qu’ils sont
25 % pour les 35 ans et plus (Ifop).
Au collège, en Algérie, où la culture
familiale et celle de l’école
coïncidaient, nous étions 40 par classe
et ne disposions que d’un seul et unique
surveillant pour plusieurs centaines
d’élèves. Nous n’avons jamais connu
un seul incident. En France,
l’Éducation nationale constitue le
premier budget de l’État, et l’OCDE
chiffre à 33 milliards d’euros par an
la perte, pour la France, sur le poste
immigration. Comment expliquer
que d’aucuns persistent à réduire
tous ces défis à une dimension
socio-économique ?
Les faux diagnostics se sont succédé,
fatalement suivis de mauvaises
décisions politiques qui ont condamné
la France au châtiment du tonneau
des Danaïdes. Lors des émeutes
de juillet, la situation semblait, à tout
moment, pouvoir échapper à tout
contrôle. L’État a perdu son autorité.
Et c’est dans ce contexte que le
gouvernement s’entête à vouloir
imposer un énième projet de loi
immigration qui entend récompenser
ceux qui auront réussi à se maintenir et
à travailler sur le sol français, en toute
illégalité, créant ainsi un gigantesque
appel d’air. Comment un tel État
peut-il être respecté et espérer faire
respecter la France ? Que les Français
ne s’y trompent pas, la version adoptée
par le Sénat ne répond en rien aux
enjeux et défis des temps présents.
Faire de surcroît peser le fardeau sur
les épaules des préfets, qui ne pourront
résister aux diverses pressions locales,
rappelle furieusement la méthode
Jospin, qui s’était dérobé lors de
tissage des grands textes publics pour
reprendre la métaphore de la philoso-
phie grecque. Si le Parlement n’est pas
capable de faire une loi, d’en concevoir
le contenu, celui-ci risque d’être exfiltré
loin du Parlement. C’est une évolution
de long terme des démocraties moder-
nes : quand les parlements ne font pas
leur travail, on fait passer la décision
publique dans l’escarcelle du pouvoir
réglementaire. D’ailleurs, les ONG
d’aide aux migrants sont contentes de
voir que la loi n’a pas été examinée. Et
on comprend que les politiques publi-
ques peuvent être élaborées par les
ONG, les associations, le pouvoir exécu-
tif et l’administration sans que ça passe
par le Parlement. Cette évolution est
dangereuse, car cela signifie que ça ne
passe plus par l’es-
pace public des as-
semblées
mentaires.
parle-
» On peut toujours
faire des décrets qui
sont bons pour le
peuple, mais ce n’est plus une décision
prise par le peuple, ou par ses représen-
tants. Ce « gouvernement par décrets »
était d’ailleurs un critère retenu par
nements autoritaires, Mussolini y avait
recours dans les années 1920 notam-
ment. Sans vouloir exagérer les muta-
tions qui sont à l’œuvre, il ne faut pas
perdre de vue que moins on a recours au
Parlement, plus on fait de décrets, et
plus on laisse le navire s’éloigner de la
rive de la démocratie.
Dans quelles situations, par exemple,
le pouvoir réglementaire peut-il
remplacer la loi votée au Parlement ?
Il suffit de voir comment Gabriel Attal
procède dans ses annonces – les groupes
besoin de passer par le Parlement et il
fait un tabac dans l’opinion publique. Ses
mesures passent par la voie réglemen-
taire. Depuis une cinquantaine d’années,
les gouvernements ne méritent plus du
tout le terme de pouvoir dit « exécutif »
au sens d’exécutant ; ils sont devenus
l’affaire du voile de Creil en 1989,
renvoyant la balle à d’autres quand il
aurait dû faire face. La suite est connue.
Année après année, la surface des
« territoires perdus de la République »
s’étend. Mais qui les a cédés au juste ?
L’État a échoué à intégrer.
L’importance des flux migratoires a
rendu cette mission quasi impossible.
Comme je l’avais développé devant
Simone Veil qui m’auditionnait
en 2008 dans le cadre de la révision
du préambule de la Constitution, un
groupe qui tire sa force de sa taille
n’a aucun intérêt à laisser ses membres
présumés s’intégrer. J’alertais alors
sur la libanisation progressive
de la France. Nous y sommes, et c’est
pourquoi nombre d’élus versent
dans l’électoralisme culturel.
La souveraineté du peuple s’enfuit.
La démocratie, c’est un homme, une
voix. Or le code civil, qui imposait que
l’octroi de la nationalité française, donc
le droit de vote, soit subordonné à la
réussite de l’assimilation, a été violé
par ceux-là mêmes qui avaient la
charge de veiller sur l’unité nationale.
Faut-il être frappé de cécité, cultiver
le cynisme ou être dénué de tout amour
pour ce « vieux sol béni déjà de tant
de moissons » – pour paraphraser
le résistant Marc Bloch – pour ne pas
sentir que l’heure est grave, qu’elle
exige une mobilisation générale
et la restauration d’un gouvernement
pour le peuple ? La politique du
« en même temps » n’est plus de mise,
pas davantage que les calculs
politiciens ou partisans car, « tôt ou
tard, la patrie submergée flotte à la
surface et reparaît. Le vol d’un peuple ne
se prescrit pas. Ces hautes escroqueries
n’ont point d’avenir » (Victor Hugo).
* Dernier ouvrage paru :
« Les Dindons de la farce »
(Albin Michel, 2022).
autonomes, ils ont acquis un pouvoir
d’initiative et, compte tenu de la capaci-
té des administrations, ils peuvent eux-
mêmes mener des réformes en évitant le
douloureux passage au Parlement.
Les députés qui ont voté lundi pour la
motion de rejet creusent la tombe de
leur propre institution quelle que soit la
suite du débat. On peut tout à fait imagi-
ner, par exemple, que l’AME soit modi-
fiée par voie réglementaire - c’est même
ce qu’a annoncé la première ministre.
En ce début de XXIe siècle, les parle-
ments sont fragiles, ils n’ont plus le mo-
nopole de la production de la norme,
puisque la loi n’a plus le monopole de la
décision publique.
L’affaiblissement du Parlement
est-il lié principalement à la crise
du fait majoritaire ou au comportement
des parlementaires ?
On pourrait évoquer l’augmentation du
nombre de rappels au règlement et de
sanctions visant le comportement de
certains députés, mais c’est plutôt la lo-
gique présidentielle insérée dans le Par-
lement qui est en cause. Le projet de loi
sur l’immigration avait le défaut d’être
une auberge espagnole, une loi omnibus
avec quelques cavaliers législatifs. Mais,
article par article, il était tout à fait
ouvert à des majorités d’idées, et donc à
un vrai débat. À cause de la logique pré-
sidentielle et des dérives radicales de
chaque camp, ni la droite ni la gauche
n’en ont voulu.
Le fait que les députés n’aient plus d’ex-
périence de mandats locaux, avec la
suppression du cumul des mandats, a
aussi fait disparaître toute une culture
concrète chez les députés, des pratiques
de l’État et du droit. Le maire d’une ville
sait ce qu’est un arrêté municipal ; il
parle constamment avec le préfet. Dans
le contexte de désinstitutionnalisation
que nous traversons, on assiste à un ef-
fritement de cette culture de l’État et de
ce sens de la démocratie pragmatique.
*Auteur notamment de « La Force
de gouverner. Le pouvoir exécutif
en France, XIXe-XXIe siècles »
(Gallimard, 2015).

CHRONIQUE
Luc Ferry
luc.ferry@yahoo.fr
www.lucferry.fr
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et proverbes sur evene.fr
BRIDGEMAN IMAGES
Franz-Olivier Giesbert
et Vincent Trémolet
de Villers, lundi, sur le plateau
des Rencontres du Figaro,
à la Salle Gaveau.
FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO
Dassault Médias
(actionnaire à plus de 95 %)
14, boulevard Haussmann
75009 Paris
Président-directeur général
Charles Edelstenne
Administrateurs
Thierry Dassault,
Olivier Costa de Beauregard,
Benoît Habert,
Rudi Roussillon
Après la droite et la gauche,
la mort du macronisme !
’
était prévisible et
C
annoncé maintes fois noir
sur blanc ici même par
votre serviteur, et ce dès
l’origine, avant même
que l’absence de majorité
absolue à l’Assemblée dès le début
du deuxième quinquennat ne signe l’acte
de décès du « en même temps ». À force
de tergiverser, de n’avoir aucune ligne
politique claire, de vouloir plaire à tout
le monde, Emmanuel Macron n’aura
réussi qu’à déplaire à tout le monde,
à droite comme à gauche, à Tel-Aviv
comme à Gaza, dans les centres-villes
comme dans les quartiers, et, sauf miracle,
ce n’est plus rattrapable.
ENTRE GUILLEMETS
14 décembre 1895 : naissance d’Eugène Grindel,
connu sous le nom Paul Éluard.
Paul Éluard
Il ne faut pas de tout
pour faire un monde.
Il faut du bonheur,
et rien d’autre»
Autopsie de la Ve République par un décliniste plein d’espoir
a femme en témoigne, Franz-
S Olivier Giesbert est un homme
qui se lève chaque matin du
pied droit. Comme l’empereur
romain Marc Aurèle,
le journaliste s’évertue
à « vivre chaque jour comme si c’était
le dernier ». Il sourit donc beaucoup, rit
et prend les gens par l’épaule en
montrant une simplicité et une
spontanéité rafraichissante. C’est bien
ceet homme en cravate jaune et plein
d’allant qui sort ce mois-ci le troisième
tome de son histoire de la Ve République
au titre crépusculaire : Tragédie
française. Le récit accablant
(et follement distrayant) de la terrible
dégringolade de la France depuis
Mitterrand. Ce mardi 12 décembre,
le journaliste venait en parler, Salle
Gaveau, dans le 8e arrondissement de
Paris, avec Vincent Trémolet de Villers,
directeur délégué de la rédaction du
Figaro. Une salle pleine à craquer venue
voir cet inclassable journaliste, socialiste
de droite ou « homme de drauche », selon
SOCIÉTÉ DU FIGARO SAS Directeur des rédactions Anne Huet-Wuillème (Édition,
(société éditrice) Alexis Brézet Photo, Révision, DA),
14, boulevard Haussmann Directeur délégué de la rédaction
Jacques-Olivier Martin (directeur
75009 Paris
Vincent Trémolet de Villers de la rédaction du Figaro.fr),
Étienne de Montety (Figaro
Président
Charles Edelstenne Littéraire), Bertrand de Saint-
Directeurs adjoints de la rédaction
Vincent (Culture, Télévision),
Gaëtan de Capèle (Économie),
Yves Thréard (Enquêtes,
Directeur général, Laurence de Charette
directeur de la publication Opérations spéciales, Sports,
(pôle audiovisuel), Anne-Sophie
Sciences).
Marc Feuillée
von Claer (Style, Art de vivre, F),
Philippe Gélie (International),
OPINIONS CHAMPS LIBRES
À qui profitent ses erreurs ?
Ni à la gauche, ni à la droite républicaine.
Sauf à continuer à se voiler la face, il est
évident que tous ont réussi, chacun à leur
manière, à tirer les marrons du feu
pour Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Les derniers à le faire furent Mélenchon
et les siens en faisant exploser la Nupes
à force de mal se conduire partout où ils
auraient pu avoir l’occasion de se montrer
un tant soit peu sérieux. Reste qu’ils
ne furent pas les premiers. Mon camarade
Dany Cohn-Bendit tente de se rassurer
en gardant espoir en une association entre
les écologistes et ce qui reste de la social-
démocratie. Le problème, c’est que
la social-démocratie n’a pour le quart
LES RENCONTRES DU FIGARO
son ami académicien André Frossard.
FOG a été une figure du Nouvel Obs
de Jean Daniel, avant d’être appelé
à la direction du Figaro par Robert
Hersant à partir de 1988. Il y fut adoré
d’après des rumeurs persistantes.
« Au Figaro, vous n’avez laissé que
des amis. Et ce n’est pas si courant.
On a souvent plein d’amis tant qu’on est
directeur d’un journal, mais après ça
se calme un peu », lançait le directeur
des rédactions du Figaro, Alexis Brézet,
en introduction. « Merci pour ce très bel
éloge funèbre, vous m’en enverrez une
copie ? », demande Giesbert, ayant réussi
son entrée : le public en redemande.
Comme souvent, tout commence avec
le général de Gaulle. « Quelle rouerie ! »,
lance FOG, qui n’est pas habitué
à se prosterner devant les gens.
« Il a pris le pouvoir avec un mensonge
considérable : il prétendait qu’il voulait
absolument garder l’Algérie française
alors qu’il n’avait qu’une idée en tête
dès le départ : s’en défaire. De Gaulle
avait la décolonisation dans le sang depuis
les années 1930. » Il a donc trompé tout
son monde, des généraux qui l’avaient
amené au pouvoir au million de pieds-
noirs dupes de son emphatique « Je vous
ai compris ». Démythifié, le général.
FOG, soudain se fait admiratif et célebre
l’immense volontarisme politique
de de Gaulle, qui lui permet en quelques
mois de refaire la Constitution et
un plan de redressement de l’économie,
permettant à la France d’être le modèle
et « l’avenir du monde » à la fin des
années 1960, selon le prestigieux Hudson
Institute. « Une croissance à la chinoise
dans un pays développé », décrit
le journaliste, rêveur. Après Pompidou
et Giscard, dignes héritiers de De Gaulle
– même si le deuxième ne pouvait
s’empêcher de faire des blagues insanes
Directeur artistique
Pierre Bayle
Rédacteur en chef
Frédéric Picard (Web)
Directeur délégué
du pôle news
Bertrand Gié
Éditeurs
Robert Mergui
Anne Pican
d’heure ni leader ni programme,
tandis que les écologistes ont très
majoritairement et sauf exception passé
leur vie à plaider depuis la naissance de
l’écologie politique dans les années 1970
pour la décroissance, contre le nucléaire,
le tout à partir d’un anticapitalisme
primaire qui consistait purement et
simplement à transformer laborieusement
le rouge en vert. Pas sûr que les Français
soient assez stupides pour les remercier
de leurs combats surannés, pas sûr qu’ils
n’aient pas compris que l’écologie est
chose trop sérieuse pour être abandonnée
aux Khmers verts.
Quant à la droite républicaine, rien,
je dis bien rien, sinon l’échec de Macron,
mais qui n’est que négatif, n’indique
la possibilité de son retour en grâce.
J’ai annoncé publiquement que
je soutiendrais volontiers un trio du genre
Bertrand-Lisnard-Wauquiez,
que je souhaitais leur retour en grâce après
les 4,7 % de Valérie Pécresse à la dernière
présidentielle. Reste que cela supposerait
qu’ils se mettent d’accord entre eux pour
savoir qui sera le prochain candidat, et
qu’ils le fassent surtout sans recourir à une
primaire dont on sait aujourd’hui combien
elle serait en l’occurrence mortelle.
Or rien n’indique que ce soit le cas.
Les LR auraient pu revenir dans le jeu
s’ils avaient compris, comme je n’ai cessé
de le dire et de l’écrire ici même, que,
s’il n’était pas question pour eux d’entrer
dans un gouvernement pour y quémander
des postes, encore moins pour y servir
de supplétifs à un président Macron
désormais dépourvu de l’aura qui a pu
tromper leurs électeurs en 2017, il fallait
l’obliger, puisqu’il est dépourvu
de majorité absolue à l’Assemblée,
embarrassant tout le monde – la
situation a commencé à se corser.
L’héritage de Mitterrand (« un
programme économique apocalyptique »)
et Chirac (« un homme instable
aux violentes pulsions de gauche ») n’est,
en effet, pas glorieux. Mais ces hommes
d’État avaient au moins le mérite d’être
de passionnants sujets journalistiques.
Avec leurs successeurs, FOG n’a pas
toujours retrouvé le même souffle.
D’ailleurs, en 2016, il cesse sa prise
de notes quotidienne sur le monde
politique. Quand on lui rapporte les
propos d’Hubert Védrine, qui affirme
que « les ministres d’aujourd’hui ont
le niveau des attachés parlementaires des
années 1980 », FOG acquiesce. « Même
en dessous », déplore-t-il, suscitant un
nouvel élan de jubilation dans la salle,
apparemment d’accord. Dans ces
conditions, pas étonnant
que la dégringolade continue. La classe
politique, incapable de stopper une
immigration devenu insoutenable ou
d’entamer un désendettement
indispensable, nous emmène avec elle
« au fond du trou ». Mais FOG continue
de sourire et même de rire. C’est qu’en
ayant pris part au théâtre du pouvoir
pendant quarante ans et fréquenté les
livres, il s’est convaincu qu’il n’y a pas
de fatalité en histoire. À un moment ou
à un autre, quand il y a une rupture, les
hommes finissent toujours par réagir.
« C’est plus facile de faire les réformes
qui s’imposent quand ça va très mal. Tant
qu’on continue de donner l’impression
aux Français que les caisses sont pleines,
ils refusent le moindre effort. » Quand
l’heure sera venue, il pense donc qu’une
bonne dose de volontarisme politique
suffira. Et si l’homme du redressement
n’est pas de Gaulle, tant pis. Certains
dirigeants voisins qui n’avaient pas son
FIGAROMEDIAS Impression L’Imprimerie, 79, rue de Roissy
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le numéro FI/011/001. Eutrophisation : Ptot 0.002 kg/tonne de papier.
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
19
à prendre le temps de construire avec eux
un programme. Les LR étaient clairement
en position de force, ils pouvaient
lui tordre le bras sur des sujets cruciaux,
comme l’école, quand le wokisme
s’installait Rue de Grenelle,
le rétablissement de comptes publics face
à la logique insensée de l’argent magique
et du « quoi qu’il en coûte », quand
elle n’était jamais compensée par
des économies budgétaires et toujours
financée par la dette ! Même chose sur la
sécurité ou l’immigration. Les LR n’ont
malheureusement pas compris la
différence entre trahir sa famille contre un
plat de lentilles, comme l’ont fait certains à
titre individuel, et faire pression sur le
président, non en tant qu’individus, mais
en tant que parti politique enfin capable de
négocier un programme dans l’intérêt du
pays avant de discuter d’une éventuelle
recomposition du gouvernement.
Au contraire des partis que je viens
d’évoquer, le RN ne commet guère de
fautes. Les Français commencent à se
convaincre, y compris à gauche, même si
on n’ose pas se l’avouer, que sur bien des
points, à commencer par l’islamisme, il
avait vu juste, plus juste en tout cas que le
centre et les anciens partis de
gouvernement, qui sont aujourd’hui dans
les choux parce qu’ils n’ont jamais eu le
courage de prendre les problèmes qui
minent le pays à bras-le-corps. Pas de
malentendu : je ferai tout mon possible
pour que ma famille politique, celle du
gaullisme (ou ce qu’il en reste), revienne
aux affaires. En tant qu’analyste, les idées
que j’expose ici ne valent pas comme des
souhaits, mais comme des constats. J’ai
seulement la faiblesse de penser qu’hélas
ils sont plutôt conformes à la réalité. ■
talent ont su sauver leur pays au bord
du gouffre : Margaret Thatcher en 1979
(« une femme inintéressante au
possible »), Gerhard Schröder entamant
en 2004 une restructuration économique
de l’Allemagne ou l’Italien Mario Monti
ayant instauré en 2011 la retraite
à 67 ans en quelques semaines…
« Il faut simplement qu’en France,
on arrête d’élire des gens qui présentent
bien et font de beaux de discours.
On s’en fout des discours. Qu’ils fassent
plutôt des réformes ! » L’ultime appel
d’un décliniste encore plein d’espoir. ■
SOLÈNE VARY
LES RENCONTRES
DU FIGARO
Mathieu Bock-Côté
le mercredi 10 janvier 2024
à 20 h, Salle Gaveau.
Tarif : 25 €.
DESSIN FABIEN CLAIREFOND
Placement libre
Réservations :
www.lefigaro.fr/
rencontres.
Informations :
01 70 37 18 18
Ce soir à 20h sur le site
du Figaro, présenté
par Eugénie Bastié
FR
Ce journal
se compose de :
Édition nationale
1er cahier
20 pages
Cahier 2 Économie
8 pages
Cahier 3 Le Figaro
et vous
12 pages
Cahier 4 Littéraire
10 pages
Promo Portage
TECTONA :
A
diffusion sur une partie
du territoire national
 AMANDINE BÉGOT

YVES CALVI

RTL MATIN I 7H-9H

EN TOUTE CONFIANCE
© Thomas PADILLA / AGENCE 1827 / RTL
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO - N° 24 669 - Cahier N° 2 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr

> FOCUS
lefigaro.fr/economie CHAR
DU FUTUR :
ROME REJOINT
FISCALITÉ ALLEMAGNE PARIS ET BERLIN
LES RÈGLES BERLIN DÉMINE LA CRISE À l’instar du Système aérien de com-
DE LA TAXE D’HABITATION BUDGÉTAIRE EN COUPANT bat du futur (Scaf) franco-allemand,
ENCORE MODIFIÉES PAGE 24 Olaf
Scholz
DANS LES DÉPENSES PAGE 24 rejoint, en 2019, par l’Espagne, son
équivalent terrestre, le MGCS, égale-
ment franco-allemand, accueille un
troisième membre : l’Italie. Le groupe
de défense Leonardo a annoncé, ce

La BCE sous pression mercredi, avoir trouvé un accord avec

KNDS, maison mère du français Nex-
ROSTISLAV SEDLACEK - STOCK.ADOBE.COM ; YURI ARCURS PEOPLEIMAGES.COM/MALIK/PEOPLEIMAGES.COM - STOCK.ADOBE.COM ; MICHAEL KAPPELER/DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP ; THALES

ter, fabricant du canon Caesar et de

blindés, dont le char Leclerc, et l’alle-

pour baisser les taux d’intérêt mand KraussMaffei (KMW), construc-

teur du char Leopard. « Sous les aus-
pices du ministère de la Défense
italien », KNDS et Leonardo ont pour
objectif de « créer un véritable groupe
Malgré le recul de l’inflation, la Banque centrale européenne devrait maintenir, européen de défense ». Il s’agit, expli-
jeudi, son statu quo. Un premier assouplissement est attendu courant 2024. que Leonardo, d’une « alliance straté-
gique », qui doit faciliter les program-
C’est la grande question qui ta- prix en zone euro est retombée en tout en cherchant à calmer les ar- drier. Le dilemme est cornélien mes en coopération. Ces derniers
raude les analystes et agite les novembre à 2,4 %, un premier as- deurs des marchés, en s’appuyant pour les banquiers centraux : la « renforçant la base industrielle na-
marchés : quand la BCE va-t-elle souplissement est attendu pour sur de nouvelles prévisions d’in- BCE comme la Fed - qui devait tionale » de chaque pays. Et dotant
desserrer l’étau monétaire ? Après 2024. Ce jeudi, à l’issue de la réu- flation et de croissance. La mena- aussi maintenir mercredi soir ses l’Europe d’équipements de nouvelle
une hausse express des taux d’in- nion du Conseil des gouverneurs, ce d’une récession en Europe plai- taux inchangés - ne veulent pas génération. Premier programme
térêt, passés en un an de - 0,5 % à sa présidente Christine Lagarde de, selon plusieurs économistes, relâcher l’effort avant d’avoir concerné : le MGCS, dont le char du
4 %, alors que l’augmentation des devrait donner des perspectives, pour une accélération du calen- complètement jugulé l’inflation. futur est la pierre angulaire. Placé par
Paris et Berlin sous leadership alle-
è AUX ÉTATS-UNIS, PAS D’ASSOUPLISSEMENT AVANT LE PRINTEMPS è EMPRUNTER POUR FINANCER SA DETTE COÛTE BIEN PLUS CHER À LA FRANCE PAGES 22 ET 23 mand, ce blindé doit succéder aux Le-
clerc et Leopard.
Cette annonce italienne intervient

La filière vin après la relance du MGCS en

septembre dernier, par Sébastien

innove Lecornu, le ministre des Armées, et

son homologue allemand. Cela après
des années de querelles entre indus-
pour séduire triels. Créé en 2015, KNDS a mis le
projet de char du futur sur la table en
les jeunes 2017. Depuis, il a peu avancé. Le
conflit en Ukraine a toutefois fait
Français bouger les lignes, démontrant que la
guerre de positions, engageant de
l’artillerie et des chars, n’appartenait
Confrontés plus aux livres d’histoire.
à une accélération Les indices d’un rapprochement entre
Rome et Berlin étaient visibles dès
de la baisse l’automne dernier. KMW et Leonardo
de la consommation ont formé un consortium avec le sué-
dans le pays, dois Saab, pour obtenir des finance-
ments auprès de Bruxelles destinés
viticulteurs au char du futur. Nombreux sont les
et négociants préparent experts à pointer le manque de
consolidation de l’industrie d’arme-
un plan d’action pour ment terrestre européenne. Mais rien
limiter les arrachages. ne dit que la greffe prendra avec l’ar-
Certains les incitent rivée de l’Italie, au sein d’un attelage
franco-allemand complexe. Et alors
à créer des produits que les relations entre Paris et Rome
plus adaptés aux goûts ne sont pas au beau fixe… V. GD

des jeunes. PAGE 25

le PLUS du L'HISTOIRE Les investissements

FIGARO ÉCO
Thales innove avec une carte bancaire numériques
CONSOMMATION
Films, sport, musique en plastique recyclé sorti des océans se tassent en France
en ligne… Les ouze millions de tonnes et sécurité de Thales. Baptisée Ocean Plastic,
Français dépensent
toujours plus PAGE 28

LA SÉANCE
DU MERCREDI 13 DÉCEMBRE 2023
CAC 40
D de déchets en plastique
échouent, tous les ans,
dans les océans. Parmi eux,
des dizaines de milliers
de bouteilles à usage unique, qui finissent
sur les côtes et les plages et sont ramassées
par des volontaires. Thales y voit
cette carte offre une alternative aux CB
composées de plastique issu du pétrole.
« Chaque carte contient à peu près l’équivalent
d’une bouteille en plastique », souligne Thales.
Précisément, chaque CB intègre plus de 70 %
d’un « matériau premium », l’Ocean Plastic, mis
au point par l’ONG Parley for the Oceans.
Les entreprises du secteur nu-
mérique en France sont aux
avant-postes pour observer les
dynamiques d’investissement
des sociétés françaises. Or, les
dépenses dans les projets
digitaux et informatiques ont
une croissance de 6,5 % (soit
66,2 milliards d’euros de chif-
fre d’affaires) contre 7,5 %
en 2022. Et sur l’année 2024,
elle devrait atteindre 5,8 %,
dans un contexte économique
et géopolitique instable qui
commencé à ralentir au second rend les anticipations plus
7531,22 -0,16% une ressource à valoriser pour produire Les cartes sont conçues dans le plus important
semestre 2023, selon l’étude difficiles.
des cartes bancaires (CB) « respectueuses site de fabrication de CB de DIS à Singapour. chiffrée menée par l’organisa-
DOW JONES Sous l’effet des nouvelles exi-
de l’environnement ». Le groupe français La filiale affirme avoir développé des processus tion professionnelle Numeum, gences de responsabilité so-
36579,67 0,00% lance une CB fabriquée avec ce matériau destinés à « minimiser l’impact qui regroupe éditeurs de logi- ciétale (RSE), les entreprises
recyclé et traité, en première mondiale. environnemental » à chaque étape ciels, entreprises de services françaises augmentent sen-
ONCE D’OR Cela, en partenariat de la fabrication numériques et de conseil en siblement leur niveau d’in-
2037,85(2037,85) avec la Trust Bank des CB. DIS multiplie technologie. Et la tendance vestissements dans le « nu-
Singapore, devenue les initiatives risque de se poursuivre en mérique responsable », afin
PÉTROLE (Brent) la première banque en ce sens. Fin 2019, 2024. Baisse du nombre d’ap- de mieux maîtriser l’em-
74,250 (73,430) en ligne de la ville- il a lancé, en partenariat pels d’offres, projets différés preinte environnementale de
EUROSTOXX 50 État, fin 2023, avec American ou redimensionnés à la baisse… leurs besoins numériques.
4529,98 -0,15% soit un an Express, Les signaux se multiplient, D’ailleurs la « greentech »,
après sa naissance. des CB intégrant 70 % même si les budgets des direc- un terme générique qui
FOOTSIE La banque de plastiques recyclés tions des systèmes d’informa- regroupe toutes les innova-
7548,44 +0,08% propose à et de PLA (des tion continuent de croître, tions répondant aux enjeux de
ses 600 000 clients plastiques sans PVC) portés notamment par les be- transition écologique, a été le
NASDAQ une nouvelle CB biosourcés à partir de soins en cybersécurité, en trai- premier secteur créateur net
16381,19 +0,16% « écoresponsable » maïs non comestible. ■ tement de données et l’intelli- d’emplois (plus de 4 600) dans
fabriquée par DIS, VÉRONIQUE gence artificielle générative. les start-up de la French Tech
NIKKEI filiale identité GUILLERMARD En 2023, le secteur numérique en 2023.
A

32926,35 +0,25% en France devrait atteindre I. V.

 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
22 L'ÉVÉNEMENT
FLORENTIN COLLOMP
fcollomp@lefigaro.fr
POLITIQUE MONÉTAIRE Un pre-
mier signe tangible de détente : en
décembre, la plupart des banques
n’ont pas augmenté les taux de
leurs crédits immobiliers, désor-
mais supérieurs à 4 %. Certains éta-
blissements régionaux ou mutua-
listes ont même baissé les leurs de
0,10 ou 0,15 point par rapport à no-
vembre. Une première depuis près
de deux ans, après le resserrement
brutal du coût de l’argent imposé
par la BCE, dont le taux de dépôt est
passé de - 0,5 % à 4 % entre juillet
2022 et septembre 2023.
Le pire serait derrière nous. À en
croire l’humeur euphorique sur les
marchés, la baisse des taux est au
programme de 2024. Quand et à
quelle vitesse ? C’est le défi posé à la
Banque centrale européenne (BCE),
dont le Conseil des gouverneurs
s’achève ce jeudi, à Francfort, au
lendemain de la réunion de la Ré-
serve fédérale américaine (Fed) à
Washington. Sa présidente, Chris-
tine Lagarde, va bien devoir donner
des perspectives, tout en cherchant
à calmer les ardeurs des marchés.
La BCE va sans doute rectifier à la
baisse ses prévisions d’inflation
pour 2024. De son pic de 10,6 % en
octobre 2022, l’augmentation des
prix moyenne dans la zone euro est
retombée à 2,4 % en novembre
Aux États-Unis, pas d’assouplissement avant le printemps
PIERRE-YVES DUGUA £@PDugua
CORRESPONDANT À WASHINGTON
L’évolution de l’inflation encoura-
ge la Réserve fédérale à ne pas en-
core modifier sa politique moné-
taire. Les marchés, de leur côté,
sont convaincus que 2024 sera
l’année de la baisse des taux de la
Fed. « L’atterrissage en douceur »
recherché par Jerome Powell et ses
collègues, et qui n’a pratiquement
jamais été atteint dans le passé par
la banque centrale des États-Unis,
sera peut-être réalisé en 2024.
L’expression est censée décrire un
retour à une hausse des prix de
l’ordre de 2 % par an, sans provo-
quer de récession qui relancerait
le chômage. Bonne nouvelle : l’in-
dice des prix à la consommation de
novembre, publié mardi, montre
que, sur douze mois, l’inflation a
reculé de 3,2 % à 3,1 %. Mais sans
tenir compte des prix de l’énergie
et des prix alimentaires, la hausse
reste à 4 %.
Alors que la politique économi-
que de Joe Biden bat des records
d’impopularité, Janet Yellen, Se-
crétaire au Trésor, affiche son op-
timisme. « Il n’y a pas de raisons de
penser que l’inflation ne devrait pas
tomber au niveau de l’objectif de la
Fed… ou que l’inflation s’enracine et
que nous sommes dans une spirale
inflationniste de hausse de salai-
res… L’économie américaine est sur
la voie de l’atterrissage en dou-
ceur », affirme l’ancienne patron-
ne de la Fed.
C’est malgré tout en grande par-
A
tie grâce à une chute des cours de
l’énergie, de 5,4 % en douze mois,
2023 - beaucoup plus vite que pré-
vu. Et plus très loin de l’objectif de
2 % de la politique monétaire. Mais
il ne faut peut-être pas crier victoi-
re trop tôt : un rebond est toujours
possible, voire probable dans les
mois à venir.
« Si la BCE révise à la baisse ses
prévisions, le marché va l’interpré-
ter comme le signal qu’elle va bais-
ser les taux plus tôt en 2024 », pré-
vient Steen Jakobsen, responsable
des investissements de Saxo Bank.
Or, explique Raphaël Thuin, direc-
teur de la stratégie marchés de ca-
pitaux du fonds Tikehau, « dès que
les taux baissent, les anticipations
d’inflation repartent à la hausse ».
Prudentes, les banques centrales
veillent à tout prix à éviter les er-
reurs des années 1970 : relâcher la
pression avant d’avoir complète-
ment jugulé l’inflation.
Course-poursuite
Cela n’empêche pas les marchés fi-
nanciers d’avoir déjà anticipé cette
nouvelle ère. Après une poussée de
fièvre en octobre, les taux obliga-
taires souverains sont à nouveau
au plus bas depuis le printemps.
Celui des OAT françaises à dix ans
était à 2,71 % mercredi, contre
3,55 % il y a deux mois, celui des
Bunds allemands à 2,17 %, après
avoir frôlé les 3 %.
Une course-poursuite s’est ainsi
engagée entre les banques centra-
les et les marchés, pariant sur qui
que la hausse des prix s’est aussi
nettement assagie. La division par
trois de l’inflation depuis l’été 2022
a convaincu les marchés que la Fed
n’aura plus besoin de majorer son
taux directeur. Ce dernier est fixé
entre 5,25 % et 5,50 % depuis la fin
juillet. Il est considéré suffisam-
ment restrictif pour limiter la de-
mande, en particulier la consom-
mation, qui est entretenue par une
augmentation de la population ac-
tive et une embauche plus forte que
prévu de la part des entreprises.
Résistance de l’inflation
Dans ce contexte, les analystes an-
ticipaient donc la reconduction de
cette fourchette des « Fed Funds »
mercredi soir, à Washington, par
le comité monétaire de la banque
centrale au terme de sa dernière
réunion de l’année. La grande
question est désormais de savoir
quand la Fed osera baisser ce taux
directeur auquel elle laisse les ban-
ques se prêter des liquidités à très
court terme ?
Jerome Powell martèle depuis
des semaines que le combat contre
l’inflation continue et qu’il est pré-
maturé de parler de baisse de ce
taux. Pour rester crédible, il ne
veut pas donner l’impression qu’il
est sur le point de crier victoire. La
résistance de l’inflation au niveau
des services, en particulier dans le
coût du logement et des trans-
ports, reste par exemple un sujet
de frustration pour la Fed.
Sauf catastrophe exogène, com-
me des interruptions d’approvi-
sionnement en pétrole en raison
d’un élargissement du conflit au
Moyen-Orient, il n’est pas dérai-
Vers une baisse des taux
des banques centrales ?
TAUX DIRECTEURS EN %
5 5,5 %
Taux d'intérêt
4 de la FED
(fourchette haute)
3
2 de la récession, le justifierait
1
0,25 %
0 mois de juin, mais le Conseil des
-0,5 % 2022
TAUX DE RENDEMENT DES OBLIGATIONS D'ÉTATS À 10 ANS, EN %
5 4,17 %
États-Unis
4 La situation s’y prête. « Plus l’in-
France
3
1,6 %
2 les taux réels (taux défalqués de
1 0,2 %
0
- 0,1 % 2022
TAUX D'INFLATION DANS LA ZONE EURO EN %
10
8 Octobre 2022
10,6 %
6 ce n’est pas un quart de point de
5,1 %
4
2 Novembre 2023
0
2022
Sources : BCE, FED, Bloomberg et Eurostat
sonnable de penser qu’au prin-
temps l’inflation américaine soit
suffisamment proche de 2 % pour
justifier un desserrement de la po-
litique de la Fed.
De multiples sondages d’écono-
mistes, ainsi que les paris sur les
marchés, montrent qu’une pre-
mière baisse de taux pourrait in-
tervenir dès le mois de mars. Un
sondage de la chaîne CNBC révèle
qu’à partir de juin, plus de la moi-
tié des experts interrogés voient les
« Fed Funds » baisser. Ils tablent
en moyenne sur plusieurs réduc-
tions au second semestre qui se
solderaient par un recul de 0,85 %
en décembre 2024. Les marchés à
terme sont plus optimistes et ta-
blent sur plus de 1 %.
L’important pour la Fed est de
ne surtout pas se précipiter. Si elle
était prise par surprise par une té-
nacité de l’inflation autour de 3 %,
alors qu’elle s’est déjà engagée
Quand baisser
les taux ? La BCE
sous la pression
des marchés
Après une hausse en un temps record
de - 0,5 % à 4 %, 2024 devrait être l’année
de la détente du coût du crédit.
baissera en premier et quand. Pour
beaucoup, ce devrait être la Fed,
dès ce printemps, parce qu’elle a
été plus réactive et est montée plus
haut (jusqu’à 5,5 %) que la BCE.
D’aucuns misent au contraire sur
un mouvement de la BCE en pre-
4% mier, car la situation macroéco-
nomique de la zone euro, au bord
Taux de dépôt davantage que celle des États-
de la BCE Unis. Le consensus table sur le
gouverneurs pourrait ne pas pou-
2023
voir attendre au-delà du prin-
temps. « En réalité, la BCE devrait
baisser ses taux dès maintenant »,
juge Steen Jakobsen.
2,7 %
flation baisse, plus la politique mo-
nétaire devient restrictive parce que
Allemagne 2,2 % l’inflation, NDLR) remontent, justi-
fie Michala Marcussen, chef écono-
miste de Société générale. L’écono-
2023 mie est en train de ralentir, les
faillites augmentent, le chômage
monte. Il y a un risque que les ban-
ques centrales réagissent trop lente-
ment, un risque d’erreur “à l’en-
vers” après celle d’avoir tardé à
réagir à la flambée de l’inflation. Et
baisse qui changera grand-chose.
Nous nous attendons à environ un
point de baisse d’ici à la fin 2024 ».
2,4 % Certains, comme Deutsche Bank,
2023 vont plus loin et prévoient un taux
de dépôt à 2,5 % dans un an.
dans un cycle d’assouplissement,
elle perdrait de la crédibilité. Pour
autant, elle devra tenir compte de
la poursuite de l’apaisement des
prix qui justifie en elle-même une
réduction des « Fed Funds ». Sinon
les taux d’intérêt réels vont grim-
per, ce qui augmenterait le risque
de récession.
Comme le rappelait récemment
le patron de la Fed, le mandat lé-
gislatif de la banque centrale ne
porte que sur le maintien de la sta-
bilité des prix dans un contexte
d’emploi le plus élevé possible. Sa
mission n’est donc pas d’éviter à
tout prix une récession. L’avantage
pour Jerome Powell, c’est que le
taux de chômage vient de tomber
de 3,9 % en octobre à 3,7 % en no-
vembre. La marge dont il dispose
pour attendre la poursuite de la
désinflation, sans s’alarmer d’un
chômage trop élevé, est donc
anormalement grande. ■
La résistance
de l’inflation au niveau
des services,
en particulier
dans le coût
du logement
et des transports,
reste un sujet
de frustration
pour la Fed.
RICHARD B. LEVINE/
LEVINE-ROBERTS/
SIPA USA
VIA REUTERS CONNECT
Par culpabilité d’avoir échoué à
anticiper la poussée inflationniste,
les banques centrales pourraient
tomber dans l’excès inverse, un
zèle dans la fermeté, au risque cette
fois d’endommager l’économie.
« Si l’on veut éviter une grande ré-
cession provoquée par les banques
centrales, il faudrait réduire les taux
maintenant, plaide Christophe Bou-
cher, économiste chez ABN Amro
IS. Selon lui, « l’économie a défié la
logique en 2023 en résistant aux
hausses de taux ». Ce qui a encoura-
gé les banques centrales à poursui-
vre leur resserrement monétaire,
peut-être trop loin. L’avenir le dira.
Scénario « Boucle d’or »
Les besoins de refinancement des
entreprises, modestes jusqu’ici, de-
vraient s’accroître à partir de 2024
et 2025. « Les délais de transmission
de la politique monétaire ont été lar-
gement sous-estimés : c’est pour-
quoi on peut s’inquiéter pour 2024 »,
poursuit Christophe Boucher. En
moyenne, il faut compter 18 à
24 mois pour que ces effets se tra-
duisent dans l’économie réelle.
Cela signifie que les dernières haus-
ses de taux de l’été 2023 ne seront
pleinement ressenties que fin 2024
ou début 2025.
À l’inverse, les baisses de taux
attendues en 2024 risquent d’inter-
venir trop tard pour limiter les dé-
gâts. « Le scénario macroéconomi-
que appelle des baisses assez fortes.
Emprunter pour
coûte bien plus
JULIE RUIZ PEREZ £@julieruizperez
À quelques semaines des Jeux olym-
piques, la France bat déjà ses propres
records… de dette. Cette année, le
montant de l’endettement public a
en effet dépassé le pallier des
3 000 milliards. Une nouvelle
d’autant plus désagréable qu’em-
prunter coûte cher. Cette année, la
moyenne des taux d’intérêt des
émissions de la France pour financer
cette dette s’est élevée 3,15 %. Un
niveau qui n’avait pas été atteint
depuis la crise financière de 2008,
selon une publication de l’Agence
France Trésor (AFT). Pour rappel, ce
taux moyen dépassait à peine les 1 %
l’an dernier et était même négatif
(- 0,28 %), en 2021. Entre 2009 et
2020, la moyenne des taux s’établis-
sait autour de 0,6 %.
Cette soudaine remontée de taux
est à mettre sur le compte de la crise
inflationniste que traverse l’Europe
depuis l’année dernière et de la stra-
tégie mise en place par la Banque
centrale européenne (BCE) pour y
faire face. L’institution a ainsi massi-
vement relevé ses taux directeurs
depuis l’été 2022. Actuellement ils
plafonnent à 4 % (voir ci-dessus).
Pire encore, cette tendance persis-
tante va peser lourd dans les besoins
de financement de la France pour
l’année prochaine. « En 2024, nous
prévoyons principalement de faire ap-
pel aux marchés » pour financer la
dette, explique Antoine Deruennes,
nouveau directeur général de l’AFT.
En 2022 et 2023, le pays avait en effet

Si cela intervient en juin, cela n’aura
pas d’impact sur 2024 », confirme
Gilles Moëc, chef économiste
d’AXA IM. Or, des taux moins éle-
vés, c’est « plus d’investissement,
plus d’activité, plus d’emploi », ré-
sume Steen Jakobsen. Les PME, les
entreprises non cotées, les start-up
seraient les premières à en bénéfi-
cier. « Elles empruntent à 10-12 %
aujourd’hui. Les taux élevés ont créé
un énorme décalage pour l’accès au
financement », explique-t-il.
Une détente sur les taux devrait
aussi soulager les gouvernements,
dont les coûts d’emprunt ont bondi
cette année. Cela réduirait un peu la
nécessité de consolidation budgé-
taire, au moment où les besoins
d’investissements publics sont
énormes, notamment dans la tran-
sition verte.
« Les marchés se trompent quand
ils attendent des baisses de taux
significatives », douche Thomas
Friedberger, directeur général ad-
joint de Tikehau. Le scénario
« Boucle d’or » - pas de surchauffe
de l’économie, ni de récession,
avec une inflation maîtrisée - dont
se bercent les marchés depuis des
mois, ne se réalisera peut-être pas.
L’inflation structurelle pourrait se
stabiliser, selon de nombreux éco-
nomistes, entre 3 % et 4 %, empê-
chant les banques centrales de re-
nouer avec une politique monétaire
accommodante comme durant la
décennie précédente. ■
financer sa dette
cher à la France
pu compter en partie sur une tréso-
rerie excédentaire accumulée en
2020. Désormais, « ce ne sera plus le
cas », prévient le numéro un de
l’Agence. Au total, l’État français
prévoit de lever 285 milliards d’euros
de dette sur les marchés financiers
en 2024, écrasant le record de cette
année (270 milliards d’émissions
nettes). En pourcentage du PIB, ce
montant est attendu à un niveau plu-
tôt constant en 2024, 9,7 % (contre
9,6 % en 2023).
Fin du bouclier tarifaire
En brut, en revanche, les besoins de
financement de l’État seront en léger
recul par rapport à cette année
(295,8 milliards contre 309,4 en
2023). La différence tient en grande
partie à un déficit budgétaire en re-
cul : il doit passer d’environ 170 mil-
liards cette année à 144 milliards l’an
prochain, notamment grâce un effort
gouvernemental pour réduire les dé-
penses publiques. Bercy a ainsi pris la
décision de baisser de près de 14 mil-
liards les fonds alloués au bouclier ta-
rifaire - dispositif de protection
contre la hausse des prix de l’énergie.
Du côté des montants de dette ar-
rivant à échéance, la France devra
s’acquitter de prés de 156 milliards
d’euros en 2024 - un montant lui
aussi en hausse par rapport à cette
année ( 149 milliards). Pour ce qui est
de la stratégie de financement pro-
prement dite, le directeur de l’AFT
cite deux objectifs : « Répondre aux
demandes des investisseurs et émettre
dans les meilleures conditions pour les
contribuables. » ■
ÉCONOMIE
En Argentine, Javier Milei
dégaine sa « thérapie de choc »
La cure d’austérité débute par une forte dévaluation, des coupes
dans les subventions à l’énergie et la réduction de moitié des ministères.
FABIEN PALEM
BUENOS AIRES
AMÉRIQUE LATINE « Il n’y a plus
d’argent, il n’y a plus d’argent. »
Voilà le diagnostic lapidaire du
nouveau ministre de l’Économie
argentin, Luis Caputo, dans son
premier discours officiel. Après une
longue journée d’attente, alimen-
tée par les bruits de couloir et les
images d’allers-venues, au minis-
tère de l’Économie et à la Casa ro-
sada, le siège de l’exécutif, c’est à
19 heures que les chaînes d’infor-
mations argentines ont enfin pu
diffuser ce message enregistré.
Christine Lagarde, Dans cette vidéo, d’à peine plus de
présidente de la Banque quinze minutes, Caputo lit posé-
centrale européenne, ment, face caméra, l’air grave mais
le 13 octobre déterminé. Le ton est solennel et le
à Marrakech (Maroc).
décor simple. Un drapeau argentin
SUSANA VERA/REUTERS
trône à côté d’une bibliothèque
pleine de livres, qui pourraient être
des manuels d’économie. La solu-
tion à la crise argentine se trouve-
t-elle dans leurs pages ?
Caputo, qui fut ministre des
Finances durant la présidence du
libéral Mauricio Macri (2015-2019),
résume en dix mesures le nouveau
cap économique du pays. La recette
sera radicale, car le gouvernement
souhaite « résoudre le problème à la
Ce n’est pas racine » et « en finir avec l’addiction
au déficit budgétaire », la source de
le moment tous les maux, selon lui. Parmi les
de commencer mesures annoncées, les plus im-
portantes concernent la monnaie
à déclarer nationale et les dépenses publiques.
victoire. Nous Une dévaluation de plus de 50 %
est appliquée au peso. Le nombre
devons rester de ministères passe de 18 à 9 et celui
attentifs de secrétariats nationaux de 106 à
54. S’y ajoute la réduction des sub-
aux différentes ventions à l’énergie et aux trans-
ports publics, des mesures qui vont
forces affectant très rapidement affecter le budget
l’inflation des Argentins.
« L’ajustement des dépenses liées
et fermement à la politique, avec notamment la ré-
concentrés sur
notre mandat
de stabilité
des prix »
CHRISTINE LAGARDE,
Meloni facilite le recours aux travailleurs
PRÉSIDENTE DE LA BCE,
LE 27 NOVEMBRE étrangers face aux pénuries d’emplois
La réouverture des flux de l’immigration légale suscite une ruée
des entreprises italiennes de l’agriculture et des services à la personne.
285
VALÉRIE SEGOND
ROME
ITALIE Les entreprises italiennes
en quête de main-d’œuvre se sont
milliards ruées ces derniers jours sur les de-
mandes de permis de travail dès
d’euros l’ouverture du site du ministère de
Montant net l’intérieur. Car, tout en s’attaquant
à l’immigration illégale, le gouver-
que la France doit
nement de Giorgia Meloni a rouvert
emprunter en 2024 les flux d’immigration légale de
travail, après douze années d’in-
terruption. « Le “décret flux”, qui
3,15 %
Taux moyen
prévoit l’entrée régulière de quelque
452 000 travailleurs sur les années
2023 à 2025, est la première vérita-
ble réouverture, depuis 2011, des
frontières aux travailleurs réguliers,
auquel la France explique Ginevra Demaio, cher-
a emprunté en 2023 cheuse senior au centre de recher-
che et d’études de l’Idos, le centre
statistique sur l’immigration. Ces
dernières années, seuls les tra-
vailleurs saisonniers pouvaient obte-
nir des permis de travail, mais au
compte-gouttes. Expliquant en par-
tie la forte augmentation de l’immi-
gration illégale. »
Or, depuis la pandémie, les pé-
nuries de main-d’œuvre sont
telles que les organisations pro-
fessionnelles avaient demandé
800 000 permis de travail sur trois
ans. Même la main-d’œuvre
étrangère peu qualifiée est deve-
nue vitale, tant le déclin démo-
graphique rogne les forces vives
italiennes. Alors qu’il y avait à fin
2022, 2 374 millions d’étrangers
L'ÉVÉNEMENT
duction du nombre de ministres, n’a
que peu d’effets à court terme. C’est
surtout symbolique, analyse Juan
Luis Bour, directeur de la Fonda-
tion des recherches économiques
latino-américaines (Fiel). Le pro-
gramme économique est encore en
pleine construction. L’annonce des
mesures budgétaires va permettre de
définir la politique monétaire. Toute-
fois, on peut dire que les coupes pré-
vues sont les plus importantes de ces
quarante dernières années. » Avec
ce plan, le nouveau gouvernement
entend économiser une enveloppe
estimée à 5 % du PBI. Le serrage de
ceinture est à la hauteur de ce qui
était annoncé, durant la campagne
travaillant régulièrement, ils pè-
sent plus de 30 % de la main-
d’œuvre déclarée dans l’agricultu-
re, et plus de 70 % dans les services
à la personne.
Par crainte de l’effet négatif
d’une autorisation massive sur
l’opinion publique, un peu plus de
la moitié des demandes seulement
ont été consenties. Avec, de sur-
croît, un garde-fou : l’obligation
pour l’employeur de certifier par
une auto-attestation l’indisponibi-
lité de travailleurs italiens pour les
mêmes tâches.
Si ces nouveaux permis de travail
seront supérieurs aux flux du début
des années 2000, ils restent très en
deçà des besoins. En pratique, cha-
que secteur d’activité avait son jour
de dépôt de demande, son « click
day », étalé entre le 2 et le 12 dé-
cembre. Or, globalement, pour
136 000 permis octroyés, il y a eu
608 000 demandes. Dont plus de
150 000 dans l’agriculture pour
40 000 permis. Et 76 000 dans l’aide
à domicile, pour… 9 500 permis,
soit huit fois plus. Beaucoup d’em-
ployeurs se sentent lésés, d’autant
que le système informatique n’a pas
toujours marché. « C’est une vérita-
ble loterie », regrette, amer, Andrea
Zini, le président d’Assindatcolf,
l’association des familles em-
ployeuses. Ils pourront retenter
leur chance en février.
La procédure, initiée par la loi
sur l’immigration Turco-Napolita-
no de mars 1998, ne va pas sans po-
ser problème : « En principe, l’em-
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
23
électorale puis depuis l’intronisa-
tion du nouveau président, l’éco-
nomiste ultralibéral Javier Milei,
dimanche dernier.
Alors que l’inflation, le mal en-
démique argentin, dépasse les
140 % sur un an, le nouveau minis-
tre sait qu’il est attendu au tour-
nant. Après avoir incriminé ses
prédécesseurs, dénonçant « le pire
héritage de l’histoire », qui aurait
Le nouveau président pu, selon lui, conduire à une hy-
argentin Javier Milei,
le 10 décembre per-inflation « de 15 000 % », Ca-
lors de son investiture puto a insisté sur les dures épreu-
à la Casa Rosada, siège ves à traverser à court terme.
du gouvernement, « Quiconque est allé au supermar-
à Buenos Aires. ché ces deux dernières semaines
EMILIANO LASALVIA / AFP aura remarqué que certains prix
avaient augmenté de 100 %, a-t-il
déclaré. Durant quelques mois, la
situation va être pire qu’avant, no-
tamment en matière d’inflation. » Et
de citer le nouveau président Ja-
vier Milei : « Il vaut mieux dire une
vérité qui dérange qu’un mensonge
confortable. »
Minorité au Congrès
En matière de protection sociale, le
gouvernement devrait d’abord
maintenir la plupart des aides. À
savoir si ce sera suffisant pour évi-
ter le blocage de la rue. Restera aus-
si à évaluer la marge de manœuvre
de l’exécutif face à l’opposition au
Congrès. Les élus de La libertad
avanza (LLA, La liberté avance), le
parti de Javier Milei, sont hypermi-
noritaires, avec seulement 15 % des
députés et 9 % des sénateurs. L’al-
liance avec d’autres groupes politi-
ques, à commencer par le PRO
(Proposition républicaine), le parti
de l’ancien président Macri, sera
l’une des clés de la gouvernabilité.
« L’épreuve du feu sera la définition
des mesures microéconomiques de-
vant le Congrès, confirme Bourg.
C’est là qu’on verra si l’Argentine va
véritablement changer de régime,
pour devenir une économie plus
ouverte et plus compétitive. » ■
ployeur fait une demande pour un
COLLECTION PARTICULIÈRE
travailleur qu’il ne connaît pas, car il
n’aura eu qu’un rapide entretien à
distance, explique Ginevra De-
maio. Difficilement envisageable
pour recruter une aide à domicile. Du
coup, que se passe-t-il ? Les petits
employeurs en profitent pour régu-
lariser ceux qu’ils employaient au
noir. Or l’ouverture devait servir à
faire venir de la main-d’œuvre addi- La grande
tionnelle, pas à régulariser les clan- majorité
destins. Le gouvernement aurait dû
changer cela, et on peut regretter
de ceux
qu’il ne l’ait pas fait. » qui arrivent
Travail au noir
S’il doit répondre aux besoins de
l’Italie, le « décret flux » n’aura que
en Italie avec
un permis
de travail
peu d’effet sur le travail au noir n’obtienne pas
qui, selon les estimations, emploie
entre 500 000 et 600 000 person-
de permis
nes. « Contrairement à ce que pré- de séjour,
voit la loi Fini-Bossi de 2002, la car la plupart
grande majorité de ceux qui arrivent
en Italie avec un permis de travail
des entreprises
n’obtienne pas de permis de séjour, n’entament pas
car la plupart des entreprises n’en- les procédures
tament pas les procédures adminis-
administratives
tratives pour l’obtenir, explique
Jean-René Bilongo, le président de
la Fondation Placido-Rizzotto,
pour l’obtenir
JEAN-RENÉ BILONGO,
»
créée il y a dix ans sur les abus dans PRÉSIDENT
le travail. Résultat : beaucoup tra- DE LA FONDATION
PLACIDO-RIZZOTTO
vaillent au noir, à des conditions qui
ne font l’objet d’aucun contrôle. »
Selon l’étude de la Fondation
Rizzotto, l’agriculture italienne
emploie 230 000 personnes au
A
noir, dont certaines dans des
conditions extrêmes. ■
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

24 ÉCONOMIE

Les règles de la taxe d’habitation changent

ques qui touchent les élus locaux
Les maires auront - qui sont leurs électeurs à eux -,
les sénateurs ont obtenu du gou-
plus de liberté vernement que cette règle soit
modifiée pour les budgets muni-
pour augmenter cipaux de l’année prochaine.

les taux Plus d’autonomie

de cet impôt
sur les résidences
secondaires.
JULIE RUIZ PEREZ £@julieruizperez
FISCALITÉ LOCALE Après une
mise en œuvre qui s’est transfor-
mée en cauchemar administratif
pour certains, les contribuables
vont devoir régler leur première
taxe d’habitation sur les résiden-
ces secondaires « nouvelle for-
mule » au plus tard ce vendredi.
Cette année, tous les propriétaires
ont en effet dû remplir leur « dé-
claration de biens immobiliers »
pour la première fois, une démar-
che qui a occasionné de nom-
breux bugs, interrogations et,
même, de nombreux avis d’impôt
erronés - dont certains adressés à
des enfants… Malgré toutes ces
difficultés, la Direction générale
des finances publiques (DGFIP)
indique qu’il n’est « pas du tout
question de repousser » la date
butoir pour le règlement de la
taxe d’habitation sur les résiden-
ces secondaires. À Bercy, certains
reconnaissent que la mise en pla-
ce de ce nouveau format a connu
quelques ratés, mais on assure
que « les choses devraient se nor-
maliser complètement dès l’année
prochaine ».
Si la suppression totale de la
taxe d’habitation pour les rési-
dences principales n’avait déjà
pas été d’une remarquable fluidi-
té, c’est peut-être en partie parce
qu’elle n’était pas le plan de dé-
part du candidat Macron en 2017.
Les derniers avis « La promesse était de la suppri-
de taxe d’habitation mer pour 80 % des ménages, pas
sur les résidences de la faire disparaître », rappelle
principales un membre de la majorité. Face
ont été réglés aux risques d’inconstitutionnalité
il y a un an de la proposition, l’impôt local a
par les ménages été supprimé sur toutes les rési-
les plus aisés.
NATEE MEEPIAN -
dences principales. Les derniers
STOCK.ADOBE.COM
avis de taxe d’habitation ont été
réglés il y a un an par les ménages
les plus aisés.
Majoration de 5 % à 60 %
En plus de la pression supplé-
mentaire que ce changement a
fait peser sur les services du fisc,
cette mesure a aussi créé un trou
béant - et, donc, un peu imprévu
- dans le système éminemment
complexe des impôts locaux.
Pour faire simple, les calculs de
taux des autres taxes à la main des
collectivités (comme les taxes
économiques locales que paient
les entreprises par exemple)
étaient, pour ainsi dire, « ados-
sés » à la taxe d’habitation -
c’est-à-dire que son taux servait
de base de calcul pour les autres.
Avec la réforme, il a fallu revoir
certaines règles en tenant compte
des récriminations, notamment
des maires qui se plaignent
d’avoir perdu un levier fiscal et,
donc, de l’autonomie financière.
Depuis 2020, les communes
éligibles (près de 5 000 villes à
date soit environ 10 %, dont de
très grandes villes comme Paris et
Lyon) peuvent majorer la taxe
d’habitation sur les résidences
secondaires de 5 % à 60 % de son
taux ; c’est ce qu’on appelle « la
surtaxe sur les résidences secon-
daires ». En 2023, plus de 3 000
communes, notamment touristi-
ques, ont rejoint cette liste. Et
nombre d’entre elles ont aussitôt
choisi d’actionner ce nouveau le-
vier fiscal. « Beaucoup de mes
clients en zones tendues ont mis en
place cette majoration pour l’année
prochaine, explique Christian
Escallier, expert en fiscalité locale
au cabinet de conseil Michel
Klopfer. Un nombre significatif
choisit même d’aller directement
au plafond de 60 %. »
Cette année, une nouvelle règle
s’ajoute à ce pavé normatif déjà
conséquent. En effet, jusqu’à pré-
sent, en dehors de la majoration,
l’augmentation des taux de taxe
d’habitation sur les résidences
secondaires était « liée » à ceux de
la taxe foncière. Schématique-
ment, quand le maire d’une com-
mune voulait augmenter (hors
majoration) sa taxe sur les rési-
dences secondaires, il devait aug-
menter d’autant sa taxe foncière.
Ainsi sa mesure se répercutait sur
les habitants de la commune, et
donc, ses électeurs. Naturelle-
ment soucieux des problémati-
Désormais, environ la moitié des
communes (éligibles à la majo-
ration ou non) pratiquant un taux
bas par rapport à la moyenne du
département ne seront plus obli-
gées de varier d’autant les taux
locaux de taxe foncière et les taux
de taxe d’habitation sur les rési-
dences secondaires. Cette derniè-
re pourra donc augmenter indé-
pendamment dans les limites
fixées par la loi (5 % de son taux
par rapport à la variation dépar-
tementale).
Reprenant cette mesure dans le
budget qui finira sa course parse-
mée de 49.3 à l’Assemblée la se-
maine prochaine, le gouverne-
ment - pourtant arc-bouté sur
l’idée de ne pas augmenter les
impôts - justifie ce choix par la
volonté de donner « plus d’auto-
nomie » aux élus locaux. Par
ailleurs, cette possibilité pour les
villes de davantage taxer les rési-
dences secondaires est souvent
présentée comme un moyen de
répondre à la crise du logement
qui fait rage dans les communes
les plus attractives. « Dans les
zones touristiques, la pression
devient de plus en plus forte, les
habitants permanents ont des dif-
ficultés d’accès au logement »,
explique Antoine Homé, coprési-
dent de la commission des finan-
ces de l’Association des maires de
France (AMF). « Cette mesure va
dans le bon sens. Elle permet une
modulation maîtrisée de la taxe
d’habitation sur les résidences se-
condaires qui pourra être un des
outils de régulation pour ces com-
munes en difficulté ; elle permettra
aussi aux élus de mettre à contri-
bution les résidents non per-
manents dans le financement des
services publics locaux. » ■

EN BREF
À Berlin, la coalition démine la crise budgétaire EUROPE : L’AGENCE

en coupant dans les dépenses

Après la sanction de Karlsruhe, l’enjeu était de trouver quelque 17 milliards d’économie.
Des soutiens à l’industrie solaire et aux véhicules électriques sont revus à la baisse.
PIERRE AVRIL
CORRESPONDANT À BERLIN
ALLEMAGNE Le gouvernement al-
lemand a mis provisoirement fin, le
13 décembre, à un mois de crise
politique, en traçant les lignes d’un
accord budgétaire marqué par un
supplément d’austérité. Les diri-
geants de la coalition hétéroclite
formée de socio-démocrates (SPD),
de libéraux (FDP) et d’écologistes
(Grünen) ont émergé à 5 heures,
mercredi matin, d’une longue série
de négociations nocturnes à huis
clos. Avec pour principal message,
l’obligation d’économiser quelque
17 milliards d’euros en 2024, tout en
se préparant, d’ici à 2027, à de nou-
veaux sacrifices. « Il s’agit de faire
des coupes, ce que nous n’aimons
pas, mais celles-ci sont néces-
saires », a expliqué Olaf Scholz en
préambule d’une déclaration publi-
que destinée à s’épargner les ques-
tions des journalistes.
Ces 17 milliards s’inscrivent dans
une ligne budgétaire plus globale de
60 milliards d’euros dont l’usage
avait été jugé inconstitutionnel par
la cour de Karlsruhe. Cette somme
avait été artificiellement logée en
2021 dans un Fonds d’aide à la tran-
sition écologique (KTF), qui avait
pour principale mission de ma-
quiller les dettes futures liées aux
souscriptions de crédits. À l’épo-
que, le chancelier et ancien minis-
tre des Finances Olaf Scholz avait
globalement fait l’inverse de ce que
préconisent les principes élémen-
A
provisionner des pertes futures. Les
juges de Karlsruhe ont sanctionné
l’artifice, obligeant ainsi le gouver-
nement à combler, au fil des an-
nées, le trou de 60 milliards.
Compromis fragile
Pour l’exercice 2023, Berlin avait
utilisé dans l’urgence un second
tour de passe-passe en suspendant
artificiellement l’application du
« frein à la dette ». Cette règle bud-
gétaire (Schuldbremse), inscrite
dans la Constitution, oblige les
gouvernements allemands depuis
2009 à limiter leurs endettements à
hauteur de 0,35 du PIB. Or, le mi-
nistre des Finances, Christian
Lindner, ayant exigé de revenir en
2024 à la discipline budgétaire, il
ne restait d’autre choix à la coali-
tion que de sabrer dans les dépen-
ses. À première vue, les socio-dé-
mocrates de Scholz, qui refusaient
tout « démantèlement de l’État so-
cial », ainsi que les libéraux de
Lindner, qui rejettent toute hausse
d’impôts, sont les plus épargnés d’agir », a déclaré Christian Lindner.
par ces arbitrages. À la veille du Conseil européen de
En revanche, le ministre Verts Bruxelles qui doit décider de
de l’Écologie et du Climat, Robert l’ouverture de négociations d’adhé-
Habeck a avoué : « Ça me fait mal . » sion avec l’Ukraine, Berlin réaffirme
« Le résultat de ces négociations est son soutien financier à Kiev. Huit
une catastrophe », a renchéri la milliards d’euros sont débloqués l’an
porte-parole de la branche jeunes- prochain au profit du voisin oriental,
se du parti, Svenja Appuhn. Si un soit le double de 2023.
renchérissement du prix du carbo-
ne est prévu, le soutien à l’industrie Moderniser
solaire va néanmoins diminuer et la les infrastructures
prime à la voiture électrique sera En 2024, le montant de la dette ne
abandonnée avant la date prévue dépassera pas les 64 % du PIB, fai-
du 31 décembre 2024. D’autres sant toujours de l’Allemagne l’un
économies sont prévues dans les des meilleurs élèves de la zone euro,
transports. Au total, le fonds clima- avec un déficit public limité à 1,5 %,
tique KTF, sanctionné par la cour, bien inférieur au plafond du pacte de
sera ponctionné à hauteur de stabilité. Le pays, qui pourrait rester
12 milliards d’euros. en récession l’an prochain, selon
En ouvrant la voie à la conclusion l’institut IW, souffre néanmoins de
d’un accord budgétaire définitif sous-investissements massifs dans
avant la fin de l’année, la coalition le domaine des infrastructures. Pour
entendait surtout rassurer une opi- une grande partie du SPD ainsi que
nion publique exaspérée et des par- pour les Verts, le maintien du frein à
tenaires européens inquiets. « Nous la dette est incompatible avec les
sommes capables de nous unir et dépenses nécessitées par la moder-
nisation des infrastructures.
Olaf Scholz (à gauche), Cette contradiction majeure
le chancelier allemand,
n’est pas levée par l’accord dévoilé
et Christian Lindner,
le ministre des Finances, mercredi, dont les modalités et les
hypothèses financières restent
hier à la Chancellerie,
à Berlin, après avoir floues. Le fonds KTF n’avait cessé
de grossir depuis 2021 - jusqu’à
conclu un accord
de dernière minute atteindre 200 milliards d’euros –
pour mettre fin avant que la cour ne le sanctionne
à l’impasse budgétaire. le 15 novembre. L’assainissement
TOBIAS SCHWARZ / AFP de cette structure écran devrait en-
core nécessiter 45 milliards d’euros
+@
d’économies d’ici à 2027. Autant
dire que la coalition a encore le
temps de se chamailler. Sachant par
ANTI BLANCHIMENT
LANCÉE
£ Le Parlement européen
et les États membres
ont approuvé, mercredi,
la création d’une agence
de l’Union européenne
contre le blanchiment d’argent
et le financement du terrorisme.
La localisation de son futur siège,
convoité par plusieurs pays, dont
la France et l’Allemagne, n’est
pas encore décidée.
L’ITALIE MENACE
DE VETO LA RÉFORME
DES RÈGLES
BUDGÉTAIRES
£ La première ministre
italienne, Giorgia Meloni,
a assuré qu’elle « n’excluait
aucune option » sur la réforme
des règles budgétaires de la zone
euro, dont les négociations
sont dans la dernière ligne droite
dans l’espoir d’un accord
la semaine prochaine.
LES DÉFAILLANCES
D’ENTREPRISES
AUGMENTENT ENCORE
£ En France, le nombre
de défaillances d’entreprises
a continué à croître en novembre,
tout en restant inférieur
sur douze mois à leur niveau
moyen d’avant la pandémie
de Covid-19, selon les chiffres
publiés mercredi
par la Banque de France.
» Apple va mieux protéger
les iPhone pour lutter
contre les vols
» Les vrais salaires de l’IA :
le classement des métiers
de l’intelligence artificielle

taires de la comptabilité d’en- ailleurs que les élections législatives les mieux payés
treprise : à savoir la nécessité de auront lieu à l’automne 2025. ■ www.lefigaro.fr/economie

ENTREPRISES
Redonner
aux Français
le goût du vin,
casse-tête
de la filière
Certains proposent de créer
de nouveaux produits adaptés
aux attentes des plus jeunes.
MARIE BARTNIK £@mariebartnik
AGRICULTURE Ne pas connaître le
sort de l’industrie française. C’est
devenu l’obsession des acteurs tri-
colores du vin. « Nous ne voulons
pas constater, dans dix ou vingt ans,
que notre filière a disparu », avertit
Samuel Montgermont, le président
de l’organisme Vin & Société, une
association professionnelle repré-
sentant 500 000 acteurs français de
la vigne et du vin.
La patrie du vin souffre de la dé-
saffection de ses ressortissants pour
l’un des produits lui permettant de
rayonner partout dans le monde. Si
l’image du vin reste très positive
dans l’imaginaire collectif, vigne-
rons et négociants sont confrontés
depuis plusieurs années à une chute
inédite de sa consommation en
France. Essor des familles monopa-
rentales, désacralisation du repas
pris ensemble à la maison, essor du
discours anti-alcool et succès de la
bière contribuent à ce déclin.
Les Français boivent 70 % moins
de vin que dans les années 1960.
Plus inquiétant : le mouvement
s’accélère à avec les jeunes généra-
tions. « La consommation de vin
chute pour toutes les classes d’âge,
avec une ampleur particulière chez
les 18-35 ans, qui se tournent de plus
en plus vers la bière et les spiritueux,
Après vingt ans sur le fil, l’ex-Eurotunnel a trouvé son équilibre
Proche de la faillite en 2007, le groupe trentenaire gagne de l’argent aujourd’hui avec le tunnel sous la Manche.
JEAN-YVES GUÉRIN £@jyguerin
TRANSPORT Trente ans, ça se fête.
Getlink (ex-Eurotunnel) a prévu de
célébrer comme il se doit l’inaugu-
ration du tunnel sous la Manche qui
a eu lieu le 6 mai 1994. Les films ont
un peu vieilli mais on y voit Fran-
çois Mitterrand, alors président de
la République, et Elizabeth II, toute
de rouge vêtue avec un bibi assorti,
couper un ruban tricolore à l’entrée
de cet ouvrage d’art situé à proxi-
mité de Calais côté français.
Mais l’exploitant de ce tunnel qui
relie le Royaume-Uni à la France
aurait pu choisir une autre date
pour cette commémoration. Le 10
décembre 1993, quasiment jour
pour jour il y a trente ans, les grou-
pes de BTP qui ont mené à bien le
« chantier du siècle » remettaient les
clés de ce tunnel sous-marin long
de 50 kilomètres à Eurotunnel.
Aujourd’hui, ce groupe créé en
mars 1986, rebaptisé Getlink en
2017, ne défraie pas la chronique.
Remis de la pandémie, il s’affiche
en pleine forme. L’année dernière,
il a généré 252 millions d’euros de
profits pour un chiffre d’affaires de
1,6 milliard. De meilleures perfor-
mances qu’en 2019 avant la Covid.
Entre janvier et septembre 2023, il a
continué sur sa lancée, avec une
hausse de chiffre d’affaires de 36 %,
à 1,4 milliard. Et il se dit confiant
pour dépasser les 910 millions
d’Ebitda lors de cet exercice.
On en oublierait presque que la
jeunesse d’Eurotunnel a été très
chahutée. « Les retards sur le chan-
note Vin & Société. En 2021, la bière
a représenté 39 % des achats de bois-
sons alcoolisées des moins de 35 ans,
contre 27 % pour le vin. »
Les plus jeunes boivent moins de
vin que leurs aînés de seulement
quelques années. « La crise s’ag-
grave », alerte Bernard Farges, pré-
sident du Comité national des inter-
professions du vin (CNIV). Dans dix
ans, il estime que la consommation
de vin aura encore baissé de 20 %.
Si les vins rouges sont les plus
touchés, le CNIV ne se fait pas d’il-
lusion : la surproduction n’épar-
gnera personne. « Les vins de Bor-
deaux sont entrés parmi les premiers
dans la crise, constate Bernard Far-
ges. Mais les pépiniéristes constatent
qu’on leur commande surtout des
pieds de blanc. Nous sommes en train
de construire avec enthousiasme la
crise de demain dans le vin blanc. »
Arrachage de vignes
Devant le risque de « mort subite »,
la filière vin organise la riposte.
Après avoir tiré la sonnette d’alarme
il y a un an, elle a élaboré ces der-
niers mois un « new deal du vin ».
Celui-ci reste à affiner, mais ses
grands principes sont arrêtés. Sept
groupes de travail œuvreront ces
trois prochains mois sur ses mesu-
res, pour présenter le plan au gou-
vernement avant le Salon de l’agri-
culture en février.
tier de percement du tunnel ont gé-
néré de très lourds frais financiers,
car les taux d’intérêt étaient bien plus
élevés encore qu’aujourd’hui. Long-
temps, Eurotunnel a croulé sous les
dettes et se débattait pour y faire
face », explique Jacques Gounon,
président de Getlink après avoir été
son PDG de 2005 à 2020.
Plans de sauvetage et augmenta-
tions de capital à répétition, procé-
dures judiciaires en cascade, faillite
évitée de justesse, petits actionnai-
res furieux d’avoir perdu une gran-
de partie de leur mise… Jusqu’au
milieu des années 2000, Eurotunnel
coté en Bourse depuis 1987, était
toujours sur un fil. La raison : com-
me souvent dans les grands tra-
vaux, la facture s’est envolée au fur
et à mesure de l’avancement du
chantier qui a duré six ans (1987-
1993). Le budget avait été calé à un
peu moins de 50 milliards de francs.
Finalement, il a fallu débourser 67
milliards de francs pour aller au
bout de cet ouvrage démesuré.
Si Eurotunnel s’est retrouvé dans
une impasse, c’est que les États par-
ties au projet (la France et le Royau-
me-Uni) n’avaient pas accordé leur
garantie financière. L’inflexible
Margaret Thatcher, alors première
ministre de l’Angleterre, s’y était
opposée. Comme n’importe quelle
entreprise privée, Eurotunnel de-
vait s’en sortir seul. Et a longtemps
pataugé pour trouver la solution.
Les petits actionnaires ont même
renversé la direction en place en
2004 lors d’une assemblée générale
mémorable. À cette occasion, le
fondateur de Nouvelles Frontières,
Les vins et spiritueux
sont le deuxième
secteur exportateur
français après
l’aéronautique. Mais
l’essentiel de l’export
est le fait de grands
crus, des spiritueux
et du champagne
tandis que les vins
de moyenne gamme
sont à la peine.
ENCIERRO -
STOCK.ADOBE.COM
Une consommation
divisée par 3 en 60 ans
CONSOMMATION DE VIN EN FRANCE, en litres par personne et par an
150
128,2
109,8
95,5
100
73
50
0 courante
1960 1970 1980 1990
Source : Insee
le bouillonnant Jacques Maillot, qui
était à la tête des putschistes, est
devenu président du groupe. Las,
sept mois plus tard, il a démissionné
sans avoir redressé la situation.
Dette divisée par deux
C’est Jacques Gounon, devenu en
deux temps PDG d’Eurotunnel, qui
a réglé ce problème d’endettement
excessif. Cet industriel avait no-
tamment dirigé la filiale française
d’Alstom. « J’ai réussi à obtenir un
accord pour diviser la dette par
deux », raconte-t-il. En clair, grâce
à des montages financiers sophisti-
qués et au sacrifice des créanciers
français et étrangers (banques et
institutionnels) qui ne voulaient pas
tout perdre, la dette est passée de 9
milliards d’euros à un peu moins de
Le CNIV juge inévitable d’en pas-
ser par « des décisions douloureu-
ses ». Les arrachages de vignes pra-
tiqués dans le Bordelais vont se
poursuivre. « Nous ne devons pas
avoir peur de faire sauter le tabou
d’adapter notre production, poursuit
Samuel Montgermont. Produire
pour distiller de façon structurelle est
un non-sens. » Le CNIV estime à
100 000 hectares de vignes (sur
750 000 cultivés) les surfaces excé-
dentaires. Les arrachages se fe-
raient sur la base du volontariat. Les
aides européennes (269 millions
57
47,2
40,6 Champagne
Vins de qualité
Vins de
consommation
2000 2010 2018
Infographie
5 milliards. Les petits porteurs ont
aussi consenti de gros efforts mi-
2007 : ces 650 000 particuliers ont
massivement apporté leurs titres à
l’OPE (offre publique d’échange)
qui s’est traduite par la création de
groupe Eurotunnel SA à la place
d’Eurotunnel SA et d’Eurotunnel
PLC. Du coup, les anciens action-
naires se retrouvaient réduits à la
portion congrue (13 % du capital)
contre 87 % pour les créanciers.
En réduisant son endettement,
Eurotunnel s’est redonné de l’air.
Jusqu’ici, même s’il avait déjà réali-
sé un résultat opérationnel positif, le
remboursement des emprunts pe-
sait tellement lourd que l’entreprise
terminait l’exercice sur des pertes
nettes. Comme un symbole, mi-
2009, elle a versé pour la première
d’euros l’an dernier, dont 100 mil-
lions d’euros consacrés à la restruc-
turation des exploitations) seraient
mises à profit pour inciter les viti-
culteurs à s’y résoudre. La crise est
telle que, dans le Bordelais, certains
viticulteurs ont réduit leurs surfaces
sans incitation financière. « La pé-
riode est propice aux réajuste-
ments », estime Bernard Farges.
Des vins plus frais
L’exportation peine à pallier la sur-
production. Les vins et spiritueux
sont le deuxième secteur exporta-
teur français après l’aéronautique.
Mais l’essentiel de l’export est le fait
de grands crus, des spiritueux et du
champagne tandis que les vins de
moyenne gamme sont à la peine.
L’Interprofession du vin appelle à
« chasser en meute à l’étranger »
pour y remédier. La bannière « wi-
nes of France » pourrait servir à
identifier plus clairement les vins
français. La perception d’aides à
l’export pourraient être condition-
nées à l’usage de cette bannière.
La filière veut séduire le public
français qui lui échappe. « Le vin
rouge chaud à 15 degrés, cela marche
moins bien chez les jeunes, désireux
de boire des vins plus frais », consta-
te le CNIV. « Notre écosystème a
continué à s’adresser à des connais-
seurs, déplore Bernard Farges. Mais
nous devons aussi nous adresser à de
Le 10 décembre 1993,
quasiment jour pour
jour il y a trente ans,
les groupes de BTP
qui ont mené à bien
le « chantier du siècle »
remettaient les clés
de ce tunnel sous-marin
long de 50 kilomètres
à Eurotunnel. PASCAL
ROSSIGNOL/REUTERS
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
25
jeunes consommateurs qui ne sont
pas des initiés. » Et le professionnel
de rappeler que la filière a été capa-
ble d’évoluer : « Dans le bordeaux, le
côté boisé a été à la mode à partir des
années 2000, porté par un célèbre
critique américain. Cela a changé la
production de vin. Le marché nous
amène désormais, au contraire, vers
des vins plus légers et plus frais. »
Les idées pour s’adapter au goût
contemporain ne manquent pas.
Les interprofessions appellent les
viticulteurs et les négociants à se
remettre en cause et à briser leurs
chaînes. Pour les convaincre, elles
promettent de faire la promotion
des innovations. « Il ne faut rien
s’interdire, assure Samuel Mon-
tgermont, qui n’a pas peur de faire
s’étrangler les puristes. On peut
mettre du vin rouge sur de la glace et
proposer des vins rouges pour l’apé-
ritif. Pour les adeptes du “no alcool,
low alcool”, plonger un glaçon dans
un verre de vin, ce n’est pas utopi-
que. »
Le succès de la bière conduit aussi
la filière vin à s’interroger sur la
pertinence de la bouteille de 75 cen-
tilitres. Celle-ci constitue souvent
un obstacle à la consommation. En
proposant des formats alternatifs,
viticulteurs et négociants espèrent
se frayer une place lors des mo-
ments de convivialité que sont les
apéritifs ou les festivals. ■
fois un dividende minime mais bien
réel à ses actionnaires grâce aux
profits nets de l’année 2008.
Autre tournant, Eurotunnel s’est
mis au milieu des années 2000 au
yield management, cette technique
qui consiste à faire varier les prix en
fonction de la demande. « Pendant
trop longtemps, l’entreprise avait
cassé les prix. Cela nous a permis de
globalement les remonter », souligne
Jacques Gounon. En contrepartie,
l’opérateur du tunnel propose un
service plus haut de gamme. Ainsi,
il réserve 10 % des places dans ses
navettes aux poids lourds qui arri-
vent au dernier moment. Moyen-
nant un tarif majoré, ils ont la ga-
rantie de débarquer les premiers. À
ce prix, les chauffeurs ont aussi ac-
cès à un salon où ils peuvent pren-
dre une douche, faire leur lessive ou
se restaurer.
Et, une fois que l’activité shuttle
s’est redressée, Eurotunnel s’est di-
versifié. Notamment en opérant de-
puis mi-2022 un câble dans le tunnel
sous la Manche qui permet de trans-
porter 1 gigawatt d’électricité. Bap-
tisée ElecLink, cette activité très ré-
cente a généré sur les neuf premiers
mois de l’année un chiffre d’affaires
de 426 millions. Pas ridicule compa-
ré aux ventes de l’activité navettes
(570 millions) ou aux péages ferro-
viaires payés par Eurostar (279 mil-
lions). À l’avenir, Getlink peut espé-
rer que cette filiale à 55 % de la SNCF
soit concurrencée sur le Paris-Lon-
dres. Un consortium espagnol, Evo-
lyn, a déjà annoncé qu’il comptait
A
opérer dans quelques années des
TGV sur ce trajet. ■
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

26 ENTREPRISES

La Belgique entérine la prolongation

de deux réacteurs nucléaires avec Engie
L’énergéticien français a franchi une nouvelle étape dans la gestion de cet épineux dossier.
ELSA BEMBARON £@elsabembaron
ÉNERGIE La France n’est pas le
seul pays à avoir opté pour la relan-
ce du nucléaire. La Belgique aussi.
Elle vient de franchir une étape
cruciale avec la signature ce mer-
credi d’un accord final sur la pro-
longation des réacteurs nucléaires
Tihange 3 et Doel 4 avec Engie. Les
négociations ont été « longues et
complexes », elles ont duré près de
vingt et un mois, « avec plusieurs
étapes et plus de mille pages d’ac-
cords juridiques engageants », ex-
plique Thierry Saegeman, direc-
teur général d’Engie Belgique.
Les deux réacteurs, dont la durée
de vie va être prolongée de dix ans
à partir de 2025, seront logés dans
une structure juridique dédiée, dé-
tenue à parité par l’État belge et
Engie. Le pays a fait évoluer son ca-
dre réglementaire pour permettre
à l’énergéticien d’effectuer les tra-
vaux nécessaires au prolongement
de la durée de vie des réacteurs
- qui fêteront leurs 40 ans en 2025 -
après leur redémarrage. Ce nou-
veau calendrier permet à ces ins-
tallations d’être opérationnelles
pendant les périodes hivernales,
quand les besoins en électricité
sont les plus élevés.
Mise à l’arrêt fin 2025
Les deux parties ont opté pour un
« Flexible Long-Term Opera-
tion (LTO) » , pour un montant d’in-
vestissement estimé entre 1,6 et
2 milliards d’euros. Concrètement,
cela signifie que les réacteurs seront
arrêtés au troisième trimestre 2025
pour rechargement du combustible.
Certains systèmes et équipements
qui ne sont plus conformes après
quarante ans seront vérifiés ou
changés, selon les besoins. Les deux
réacteurs seront redémarrés en no-
vembre 2025, puis mis à l’arrêt en
mars ou en avril suivant, le temps de
réaliser des travaux, et à nouveau
redémarrés en novembre 2026. Et
Antoine Assice ce, pendant deux ou trois ans, dans
(à gauche), directeur le but d’offrir la meilleure disponibi-
de la centrale nucléaire lité au réseau électrique belge. « Les
de Tihange, 2 gigawatts (GW) de capacité de
et Alexander De Croo Tihange 3 et Doel 4 permettent de
(deuxième en partant produire environ 12 000 GWh pour le
de la droite), réseau, soit environ 15 % de la
premier ministre belge,
lors d’une visite consommation en Belgique », précise
de membres Thierry Saegeman. L’exploitation de
du gouvernement ces deux réacteurs ainsi que le tra-
fédéral sur le site, vail de démantèlement engagé sur
le 13 juillet. les autres unités permettront le
BELGA PHOTO maintien d’environ 4 000 emplois et
POOL SERCH CARRIERE impliqueront le recrutement de
200 collaborateurs supplémentaires
dans les prochains mois.
Autre spécificité de cet accord,
qui revêt un intérêt particulier vu
de France, le mode de commercia-
lisation de l’électricité nucléaire à
partir de 2025. Un contrat pour dif-
férence (CFD) est mis en place. Il
est encore trop tôt pour définir le
prix de ce CFD, puisque le montant
des travaux à effectuer n’est pas
encore précisément connu. Toute-
fois, dès le mois de juin, la ministre
de l’Énergie belge, Tinne Van der
Straeten, expliquait devant son
Parlement que le prix pourrait être
compris entre 65 et 75 euros du
MWh, avec une prolongation esti-
mée à 1,8 milliard d’euros. Une
fourchette qui n’est pas sans rap-
peler le prix cible fixé dans le cadre
de l’accord entre EDF et l’État fran-
çais, à 70 euros du MWh. Le prix du
MWh du nucléaire belge inclura
« des marges normales pour le profil
de risque de l’activité et un retour sur
investissement entre 6 % et 8 % »,
souligne Thierry Saegeman.
Le « contrat du siècle », selon
certains protagonistes de l’affaire,
ouvre un nouveau chapitre de
l’histoire de l’atome outre-Quié-
vrain, marquant le regain d’inté-
rêt d’un nombre croissant de pays
européens pour cette énergie. La
Belgique avait pourtant acté sa
sortie du nucléaire en 2020. Lais-
sant au passage à Engie la gestion
d’un encombrant héritage avec
sept réacteurs sur son territoire.
Le groupe avait adapté sa straté-
gie, optant lui aussi pour une sor-
tie du nucléaire. Las, la guerre en
Ukraine est arrivée, avec son co-
rollaire de hausses des prix de
l’énergie, de risques de pénurie…
sans parler des besoins croissants
en électricité directement liés à la
nécessité de réduire la consom-
mation d’hydrocarbures. Début
2022, Bruxelles avait finalement
opté pour le prolongement de ses
deux réacteurs les plus jeunes.
« Un partage de risques
équilibré »
Certains politiques belges se pren-
nent à rêver à haute voix à une re-
lance du nucléaire similaire à celle
lancée par le gouvernement fran-
çais. Mais les débats sur le sujet
ont été repoussés aux prochaines
élections, en juin 2024. Pour En-
gie, la signature de cet accord en-
térine les étapes franchies au
printemps et, particulièrement, le
montant forfaitaire de 15 milliards
pour les coûts futurs liés au traite-
ment des déchets nucléaires que
le groupe payera en deux fois (au
troisième trimestre 2024 et au re-
démarrage des réacteurs en 2025).
Cela permet en outre à Engie de
« libérer » les actifs non belges de
sa filiale Electrabel, placés sous le
contrôle d’une commission des
provisions nucléaires. C’était une
façon pour le gouvernement belge
de s’assurer que l’énergéticien
aurait les moyens financiers
d’assumer le traitement de dé-
chets. Après avoir fait un gros
chèque, Engie pourra à nouveau
disposer librement de ces actifs.
« Cet accord permet un partage de
risques équilibré pour la prolon-
gation des deux unités nucléaires et
élimine pour le groupe Engie les
incertitudes concernant l’évolution
des provisions liées aux déchets
nucléaires », a résumé Catherine
MacGregor, la directrice générale
du groupe.
S’il n’est pas question pour le
groupe de se relancer dans l’atome,
il se dit « très content que le nuclé-
aire participe au mix énergétique
belge ». Alors qu’une deuxième
zone pour l’éolien en mer va être
annoncée, Engie, qui est déjà pré-
sent dans le renouvelable, « vou-
drait y contribuer », ajoute Thierry
Saegeman. ■

Boeing confronté à un nouveau problème avec le 737 NG

L’agence de la sécurité aérienne américaine ordonne l’inspection de plus de 6 600 appareils dans le monde.

VÉRONIQUE GUILLERMARD
£@vguillermard
AÉRONAUTIQUE Encore une
mauvaise nouvelle pour Boeing.
Cette fois, elle concerne le 737 NG,
troisième version du premier
moyen-courrier développé dans
les années 1960. Et mise en servi-
ce en 1997. L’Agence américaine
de la sécurité aérienne (FAA) a
publié, dans la nuit de mardi, trois
nouvelles directives de navigabi-
lité, qui contraignent les compa-
gnies aériennes à inspecter 6 666
Boeing 737 NG, en service dans le
monde, dont près de 2 000 aux
États-Unis.
Précisément, les compagnies
doivent vérifier l’état de plusieurs
composants et parties de la nacel-
le, une pièce critique qui intègre
l’inverseur de poussée et protège
le moteur, et les remplacer si né-
cessaire. Cela, lors d’opérations de
maintenance qui devront être
réalisées d’ici à juillet 2028. Ce qui
indique que la sécurité des vols du
737 NG n’est pas menacée, puisque
la FAA n’a pas cloué la flotte au sol.
Il s’agit d’une nouvelle mesure
corrective annoncée plus de cinq
ans après un accident survenu lors
du vol WN1380 de la Southwest
Airlines, entre New York et Dallas,
en avril 2018. Une panne moteur,
survenue vingt minutes après le
décollage alors que l’avion avait
atteint son altitude de croisière, a
endommagé une aube (une pale)
A
dernière a été « contenue » par le
moteur, mais pas par la nacelle qui
a elle-même volé en éclats, alors
qu’elle est certifiée pour résister à
ce type d’événements. Les débris
du capot de la nacelle ont provo-
qué une fuite de carburant et un
début d’incendie, rapidement
maîtrisé. Ils ont aussi percé le fu-
selage de l’avion, provoquant une
dépressurisation et la destruction
du hublot de la rangée 17 où était
Boeing multiplie
les déboires industriels
depuis 2018, année
du premier crash
meurtrier d’un 737 Max,
quatrième version
de l’appareil, de Lion Air,
en Indonésie.
Suivi d’un second,
en mars 2021,
en Afrique, d’un vol
d’Ethiopian Airlines.
assise une passagère. Cette der-
nière, Jennifer Riordan, grave-
ment blessée, est décédée à l’hô-
pital après que l’avion a effectué
un atterrissage d’urgence à Phila-
delphie. Huit autres passagers sur
les 144 à bord ont été légèrement
blessés. Jennifer Riordan était la
première victime du transport aé-
rien aux États-Unis depuis 2009.
en service en juin 2000. Et avait
été inspecté avant le vol sans
qu’un problème ait été identifié
sur les moteurs ou la nacelle, avait
à l’époque expliqué Southwest
Airlines. Le bureau américain en-
quête accident (le NTSB) avait
donné comme première explica-
tion « une fatigue du métal qui
aurait entraîné la rupture d’une
pale de turbine ». La fiabilité du
moteur, le CFM-56 fourni par
CFM International, associant GE et
le français Safran, ainsi que celle
de la nacelle, fabriquée par
Boeing, avaient été questionnées.
Et plusieurs inspections diligen-
tées à l’initiative de CFM Interna-
tional, de la FAA et de son homo-
logue européenne, l’Easa. C’est fi-
nalement la nacelle qui avait été
mise en cause car elle n’avait pas
joué son rôle protecteur. Boeing
avait été contraint de la modifier
afin de la rendre plus résistante.
Depuis, l’affaire semblait close.
De nouvelles modifications
Or, cinq ans plus tard, la FAA pré-
cise que Boeing a procédé à de
nouvelles modifications de cette
pièce complexe. Les compagnies
doivent notamment remplacer des
composants (les charnières du
« capot de soufflante » et les fixa-
tions du capot d’entrée, NDLR) de
la nacelle. Des mesures qui tendent
à montrer que les corrections ap-
portées il y a cinq ans ne suffisaient
pas… mais avaient pourtant été
certifiées par la FAA. Une nouvelle
preuve des errements de l’époque
et de la collusion entre les équipes
du géant américain de l’aéronauti-
que et les experts de l’agence, qui,
depuis 2020, a entamé une réfor-
me en profondeur. Tout comme
Boeing. Le constructeur a déclaré
Le Boeing 737 NG, ce mercredi « soutenir les proposi-
comme tions de la FAA afin d’améliorer la
New Generation,
conception du 737NG ».
ici aux couleurs
de Southwest, Boeing multiplie décidément les
est la troisième version déboires industriels depuis 2018,
de ce moyen-courrier année du premier crash meurtrier
developpé d’un 737 Max, quatrième version de
dans les années 1960. l’appareil, de Lion Air, en Indoné-
SOUTHWEST AIRLINES sie. Suivi d’un second, en mars
2021, en Afrique, d’un vol d’Ethio-
pian Airlines. À peine un problème
réglé, qu’un autre surgit. Ainsi
Boeing n’aura pu se réjouir long-
temps du rebond observé dans ses
livraisons de Max, dont il vient de
publier le bilan. En novembre 2023,
le groupe a livré 45 Max 737, contre
19 et 15 exemplaires en octobre et
en septembre respectivement.
Le ralentissement des livraisons
était dû à des inspections ordon-
nées par la FAA après la découver-
te, l’été dernier, de centaines de
trous mal percés sur la cloison de
pressurisation arrière des Max 8,
une des versions de l’avion, livrée
par l’équipementier Spirit. Ce
problème est en passe d’être réglé.
Boeing, qui a livré 351 Max depuis
janvier, peut encore espérer at-
teindre son objectif (revu à la bais-

du moteur du 737 NG, provoquant Immatriculé N772SW, le Boeing se cet automne) de 375 à 400 li-
une éjection de cette pièce. Cette 737 NG était récent : il avait été mis vraisons de Max en 2023. ■
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

ENTREPRISES 27

Bataille en vue
pour la filiale
portugaise
d’Altice Le siège d’Altice
Portugal à Lisbonne.
Début septembre,
Patrick Drahi avait fait
un appel du pied aux
L’intérêt manifeste de trois fonds marchés, lançant une
vaste revue des actifs
d’investissement et de l’opérateur de son empire dans les
télécoms et les médias.
saoudien STC pourrait faire monter GLOBAL MEDIA GROUP/
LEONARDO NEGRÃO/

les enchères sur cet actif. SIPA USA VIA

les actifs promis à la vente, Altice ment même où les financiers s’in- d’hier. Déjà, en 2021, les fonds saoudien STC serait prêt à dé-
LUCAS MEDIAVILLA Portugal revient régulièrement quiétaient déjà du mur de la dette Apollo, EQT, Blackstone ou CVC bourser entre 7 et 9,5 milliards
lmediavilla@lefigaro.fr
dans la bouche des banquiers. Et auquel Patrick Drahi était et l’opérateur Masmovil avaient d’euros pour renforcer sa présen-
pour cause : Patrick Drahi n’a tout confronté avec la remontée des regardé le dossier. Mais l’opéra- ce sur la péninsule espagnole. Sol-
TÉLÉCOMS Bataille financière en d’abord pas d’attache sur place, au taux d’intérêt. Depuis la mi- tion n’avait pas pu se faire, Patrick licités, les représentants d’Altice
vue pour Altice Portugal ? Selon contraire de la France, du Royau- juillet, Altice n’a eu de cesse de Drahi valorisant cet actif au moins se refusent à tout commentaire.

7
plusieurs médias ibériques, au me-Uni, d’Israël ou des États- faire le ménage sur place. Le 7 milliards, somme qu’ils n’étaient « On devrait y voir plus clair d’ici
moins trois fonds d’investissement Unis. Par ailleurs, une vente de cet 16 novembre, Altice France et In- pas prêts à débourser. janvier, aussi bien sur les noms des
ainsi qu’un opérateur, le saoudien actif performant lui permettrait de ternational ont affirmé avoir mis candidats que sur les contours des
STC, seraient intéressés pour dé- mettre en place un cordon sanitai- de côté la quasi-totalité des four- Une question de prix offres », indique un proche de
poser une offre de reprise de l’ex- re avec le scandale de corruption nisseurs potentiellement impli- Aujourd’hui encore, tout est ques- l’entreprise.
Portugal Telecom, racheté en 2014 touchant son groupe. C’est en effet à 9,5 qués par les investigations portu- tion de prix. Et, selon les médias Depuis quelques mois, les pays
par Patrick Drahi pour 7,4 mil- au Portugal qu’au cœur du mois de gaises. D’ici à la fin de l’année, ils portugais, l’offre des fonds d’in- du Golfe et leurs opérateurs n’hé-
liards d’euros. Début septembre, le juillet, l’arrestation par la justice milliards seront tous remplacés. Selon Alti- vestissement Apollo et CVC (enco- sitent pas à investir en Europe, se
milliardaire avait fait un appel du
pied aux marchés, lançant une
lusitanienne de son associé de
trente ans, Armando Pereira, a se-
d’euros ce international, les achats menés
auprès de ses fournisseurs à risque
re eux) ainsi que celle de Warburg
Pincus n’atteindraient toujours
sentant très à l’étroit sur leurs
marchés respectifs. Ainsi, l’opé-
vaste revue des actifs de son empi- coué son groupe. Il aurait bénéfi- Somme que l’opérateur représenteraient 6 % du volume pas ce plancher. Il faut dire qu’une rateur émirien e& est devenu ré-
re dans les télécoms et les médias. cié, avec plus d’une dizaine de
saoudien STC de dépenses du groupe. Ce dernier telle offre valoriserait Portugal Te- cemment le premier actionnaire
serait prêt à débourser
L’idée étant d’en céder des mor- membres de l’état-major d’Altice, estime par ailleurs que ce scandale lecom à 7,7 fois l’Ebidta (en 2022), de Vodafone. Assis sur leur rente
pour renforcer
ceaux (via une vente intégrale ou de commissions sur des transac- n’aurait aucune répercussion sur contre 5 à 6 plus traditionnelle- pétro-gazière, ces acteurs n’ont
sa présence sur
l’entrée de minoritaires) et de ré- tions frauduleuses, dont l’État por- ses bilans financiers. ment pour un opérateur. pas de problèmes à surpayer leurs
la péninsule espagnole
duire son endettement, qui culmi- tugais et Altice Portugal auraient Une façon de rassurer de poten- Selon El Pais, toutefois, un autre actifs. Reste à savoir comment
ne à 60 milliards de dollars aujour- été les victimes. tiels acquéreurs. Et, de fait, si l’on acteur pourrait jouer les trouble- Patrick Drahi, très attaché à Is-
d’hui, répartis entre Altice France, Cette affaire a jeté une lumière en croit la presse ibérique, Portu- fêtes. Déjà devenu le premier opé- raël, accueillerait l’offre d’un opé-
Altice USA et Altice International crue sur les dysfonctionnements gal Telecom suscite bien des rateur de Telefonica depuis août rateur télécoms détenu par le
(où est logé Altice Portugal). Parmi internes dans l’entreprise, au mo- convoitises. Cela ne date pas avec 9,9 % du capital, l’opérateur Royaume saoudien. ■

Déjà en crise, le bâtiment s’attend au pire en 2024

L’activité devrait être en recul de 5,5 % l’année prochaine, ce qui risque de faire disparaître 90 000 emplois.
logements neufs, qui pèse plus du sistance du neuf non résidentiel va tomber à + 1,6 % en 2024. En bailleur privé. Pour l’instant, le
EMMANUEL EGLOFF £@eegloff quart de l’activité du bâtiment. (bureaux, hôtellerie, administra- cause, la nouvelle mouture du dis- gouvernement continue de faire la
« Elle s’est avérée particulièrement tion, entrepôts…) et celle de la ré- positif MaPrimRénov’, très orien- sourde oreille. Au-delà des chiffres
CONSTRUCTION « Pour 2024, violente dès 2023, se lamente le pa- novation. Malheureusement, le tée rénovation globale, qui peine à d’activité, le ralentissement de la
l’entrée en récession devient inévi- tron des professionnels du bâti- non-résidentiel commence éga- trouver son public. « L’objectif visé construction commence pourtant à

286 000 table dans le bâtiment. » Olivier

Salleron, le président de la Fédéra-
tion française du bâtiment (FFB),
ment. Avec seulement 286 000 mi-
ses en chantier attendues cette
année, le marché chute de 22 % en
lement à marquer le pas. En 2023,
les surfaces commencées et auto-
risées reculent respectivement de
s’avère ambitieux, avec 1,6 milliard
d’euros de crédits supplémentaires
alloués, mais il risque de ne pas être
se faire sentir sur la santé des entre-
prises. « Le retournement du marché
provoque également une hausse des
mises est très pessimiste sur l’avenir à un an et retombe à proximité de ses 14 % et 4 %. Compte tenu de la atteint », compte tenu des défaillances dans la construction,
en chantier court terme du secteur. L’année
2023 devrait déjà être légèrement
plus bas historiques de 1992-1993. »
Sur l’année, l’activité va reculer de
dynamique précédente, l’activité
devrait croître de 0,4 % en 2023,
contraintes désormais associées,
estime Olivier Salleron.
constate Olivier Salleron. Sur les
onze premiers mois de 2023, elles
attendues cette année, négative pour l’ensemble de la 7,8 %. Et, surtout, compte tenu de mais elle va se contracter de 6 % Le patron de la Fédération fran- progressent de 2 % par rapport à la
ce qui représenterait profession, avec un recul attendu l’effondrement concomitant des l’année prochaine. çaise du bâtiment continue de faire même période de 2019, soit avant la
une chute de 22 % de l’activité de 0,6 %, selon des permis de construire (- 24 % sur un les mêmes demandes au gouverne- crise sanitaire. » L’emploi est égale-
en un an prévisions de la FFB. Mais la vraie an), la chute devrait s’accélérer en Hausse des défaillances ment depuis des mois : un prêt à ment en berne. En 2023, le secteur
chute sera pour 2024, avec une dé- 2024, avec une dégringolade de Même la rénovation inquiète. Cet- taux zéro qui s’applique à l’ensem- devrait perdre 3 000 postes. L’an-
gringolade de 5,5 %. plus de 21 %. te année, cette branche, qui pèse ble du territoire français avec des née prochaine, l’impact sera autre-
Olivier Salleron pointe depuis de Jusqu’à présent, les difficultés 54 % du chiffre d’affaires total du barèmes revalorisés, un maintien ment plus fort, avec 90 000 des-
nombreux mois la cause principale dans le logement neuf étaient bâtiment, va encore afficher une du Pinel au-delà de cette année et tructions d’emplois, selon les
de cette crise : la construction de pour partie compensées par la ré- belle croissance de 2,6 %, mais elle la mise en place du statut de prévisions de la FFB. ■

LA SÉANCE DU MERCREDI 13 DÉCEMBRE LA VALEUR DU JOUR dguinot@lefigaro.fr

LE CAC JOUR %VAR. +HAUTJOUR +BAS JOUR %CAP.ECH 31/12 JOUR %VAR. +HAUTJOUR +BAS JOUR %CAP.ECH 31/12

AIR LIQUIDE ........................... 179,04

AIRBUS ..............................................142,3
+0,42 179,6
-0,27 143,44
178,02
142,3
0,151
0,101
+35,23
+28,18
LVMH ..............................................734,5
MICHELIN ..............................................31,72
+0,12
-0,5
742,2
32,08
720
31,67
0,081
0,167
+8,03
+22,07
Malgré le rachat de Seagen, Pfizer
ALSTOM ..............................................10,695
ARCELORMITTAL SA ........................... 23,99
-3,47
+0,1
11,185
24,22
10,675
23,81
0,795
0,449
-53,13
-2,38
ORANGE ..............................................10,802
PERNOD RICARD ........................... 155,7
-3,21
-0,16
11,134
156,65
10,744
154,8
0,398
0,133
+16,39
-15,27
paie la baisse des revenus du Covid
AXA .............................................. 29,76 -1,03 30,16 29,715 0,149 +14,22 PUBLICIS GROUPE SA ..................... 81,62 -0,95 82,4 81,36 0,211 +37,36
BNP PARIBAS ACT.A ........................... 60,31 -0,84 60,93 60,25 0,166 +13,26 RENAULT ..............................................36,69 -2,46 37,93 36,535 0,336 +17,31
BOUYGUES ..............................................35,82 -0,42 36,07 35,78 0,193 +27,75 SAFRAN ..............................................165,72 -1,05 168,76 165,48 0,133 +41,74 En mars dernier, le géant pharmaceuti- ments contre le Covid-19, dont les
CAPGEMINI ..............................................
191,9 -0,6 194,2 191,9 0,194 +23,05 SAINT GOBAIN ........................... 62,57 -0,7 63,78 62,56 0,24 +37,06 que américain Pfizer annonçait le ra- ventes avaient culminé à 57 milliards de
CARREFOUR ..............................................
16,12 -5,37 16,92 16,105 0,474 +3,07 SANOFI ..............................................88,54 +0,76 88,57 87,49 0,136 -1,45 chat de la biotech Seagan pour 43 mil- dollars pendant la pandémie, ne de-
CREDIT AGRICOLE ...........................12,604 -0,43 12,706 12,602 0,102 +28,21 SCHNEIDER ELECTRIC ..................... 176,56 -0,23 178,22 176,4 0,129 +35,07 liards de dollars. Spécialisée dans les vraient plus générer que 8 milliards de
DANONE ..............................................59,31 -0,4 59,65 59,15 0,167 +20,48 SOCIETE GENERALE ........................... 23,66 -0,21 24,01 23,66 0,259 +0,77
traitements oncologiques, elle doit no- dollars en 2024. Les analystes tablaient
DASSAULT SYSTEMES ........................... 44,415
EDENRED ..............................................53,22
-0,94 45,185
+0,19 53,62
44,41
53,12
0,072
0,158
+32,6
+4,6
STELLANTIS NV ...........................20,91
STMICROELECTRONICS ..................... 44,27
-0,31
-0,61
21,24
44,875
20,905
44,195
0,05
0,145
+57,57
+34,17
CLÔTURE tamment permettre au laboratoire de sur 13 milliards. « Nous ne prévoyons
ENGIE .............................................. 16,16 +1,06 16,162 16,024 0,141 +20,71 TELEPERFORMANCE ........................... 116,35 -1,06 119,15 116,25 0,357 -47,75 DU CAC 40 compenser la baisse des ventes de son pas de changement fondamental dans

- 0,16 %
ESSILORLUXOTTICA ........................... 185,42 +1,01 187,2 183,1 0,129 +9,59 THALES ..............................................138,7 +0,91 139,1 138,05 0,07 +16,26 vaccin anti-Covid (Comirnaty), déve- la vaccination anti-Covid et le taux
EUROFINS SCIENT. ...........................54,4 -0,11 54,9 54,18 0,132 -18,88 TOTALENERGIES ...........................61,36 +0,08 61,72 61,03 0,213 +4,62 loppé avec l’allemand BioNTech, et de d’infection en 2024 par rapport à cette
HERMES INTL ........................... 2027 +0,87 2043,5 2006,5 0,052 +40,28 UNIBAIL-RODAMCO-WE ..................... 62,86 +0,35 63,5 62,68 0,229 +29,26
KERING ..............................................409 -0,35 413,25 405,3 0,162 -13,99 VEOLIA ENVIRON. ........................... 29,13 -0,14 29,47 29,12 0,197 +21,37
son traitement Paxlovid, qui lui ont année, mais nous avons fixé nos prévi-
L'OREAL ..............................................
445,45 +0,17 449,95 445,4 0,054 +33,53 VINCI .............................................. 114,78 -0,54 115,58 114,56 0,147 +23,04
à 7 531,22 points permis de générer des résultats re- sions de ventes de Cominarty et de
LEGRAND ..............................................94,46 -0,36 95,46 94,46 0,113 +26,25 WORLDLINE ..............................................
15,08 -3,02 15,575 14,985 0,48 -58,72 cords en 2022. Mais, alors que l’acqui- Paxlovid plus bas », a précisé David
sition de Seagan sera effective jeudi, Denton, le directeur financier de Pfizer.
LES DEVISES MONNAIE 1 EURO=
LʼOR VEILLE 31/12 les prévisions de bénéfices et de chif-
fre d’affaires de Pfizer pour 2024 ont
En parallèle, le bénéfice net par action
de Pfizer - référence pour les marchés
AUSTRALIE ................................................................................
DOLLAR AUSTRALIEN 1,6452 AUD
Cotation quotidienne assurée par Or en Cash
CANADA ................................................................................
DOLLAR CANADIEN 1,4644 CAD https://www.orencash.fr/investissement/ déçu les marchés mercredi. À mi- - sera grevé par l’intégration de Sea-
GDE BRETAGNE ................................................................................
LIVRE STERLING 0,8612 GBP séance, à Wall Street, le titre plongeait gan. Il devrait s’établir dans une four-
Lingot 1KG ................................. 59 111€ +7,82 %
HONG KONG ................................................................................
DOLLAR DE HONG KONG 8,4288 HKD
JAPON ................................................................................
YEN 157,13 JPY
Lingot 100g ................................. 5 922,1€
Lingot 50g ................................. 2 967,05€
+2,26 %
+1,13 %
de 8 % et retrouvait ses niveaux de chette de 2,05 à 2,25 dollars en 2024,
SUISSE ................................................................................
FRANC SUISSE 0,9452 CHF 1 850,66€
Lingot ONCE (31,10g) ................................. +1,07 % 2013 (26,35 dollars). contre 2,45 à 2,65 dollars anticipés
ETATS-UNIS ................................................................................
DOLLAR 1,0787 USD Lingot 10g ................................. 601,31€ +0,72 %
TUNISIE ................................................................................
DINAR TUNISIEN 3,368 TND Lingot 2,5g ................................. 158,5€ -2,17 %
Le groupe pharmaceutique table auparavant, a indiqué Pfizer dans un
MAROC ................................................................................
DIHRAM 11,103 MAD 2OFr NAPOLÉON .................................368,98€ +7,6 % pour l’an prochain sur un chiffre d’affai- communiqué. « Ces prévisions sont dé-
TURQUIE ................................................................................
NOUVELLE LIVRE TURQUE 31,3399 TRY 20Fr SUISSE ................................. 364,86€ +7,65 % res compris entre 58,5 et 61,5 milliards cevantes, en particulier parce qu’elles
EGYPTE ................................................................................
LIVRE EGYPTIENNE 33,22 EGP SOUVERAIN ................................. 460,3€ +8,31 %
KRUGGERAND ................................. 1 966,04€ +5,3 % de dollars. Ce qui est inférieur de 5 mil- incluent le chiffre d’affaires lié à l’acqui-
A

CHINE ................................................................................
YUAN 7,7426 CNY
50 PESOS ................................. 2 348,47€ +7,68 %
INDE ................................................................................
ROUPIE 89,9635 INR 10 DOLLARS ................................. 960,3€ +7,3 % liards de dollars environ aux attentes sition de Seagen », commente Neil
ALGERIE ................................................................................
DINAR ALGERIEN 144,53 DZD 20 DOLLARS ................................. 1 921,61€ +7,42 % des analystes. Les vaccins et traite- Saunders, directeur chez Globaldata. ■
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

28 MÉDIAS et PUBLICITÉ
Films, sport, musique en ligne… Les Français
consomment et dépensent toujours plus
Malgré l’inflation,
ils n’ont
pas sacrifié
leur budget média
et divertissement
dématérialisé.
CAROLINE SALLÉ csalle@lefigaro.fr
INTERNET Les Français consom-
ment toujours plus de contenus
culturels et sportifs en ligne. Et ils
y consacrent aussi plus d’argent,
selon la dernière édition du Baro-
mètre de l’Arcom consacré à ce
sujet. En 2023, 87 % des internau-
tes français de 15 ans et plus, soit
45 millions de personnes, ont
consommé au moins un contenu
culturel ou sportif dématérialisé
au cours des douze derniers mois.
Cela représente environ 300 000
individus de plus qu’en 2022.
Surtout, malgré l’augmentation
des tarifs des grandes plateformes
de streaming, à l’instar de Netflix,
Disney+, Spotify, Amazon Music…
et un train de vie rogné par l’infla-
tion, les Français n’ont pas sacrifié
leur budget média et divertisse-
ment en ligne. Ils sont 27,5 mil-
lions (61 % des consommateurs) à
avoir payé pour accéder à des
films, des séries, de la musique,
des livres, de l’information ou en-
core des compétitions en ligne.
La dépense moyenne pour la
consommation de ces contenus
dématérialisés a augmenté de
6 euros, passant de 32 à 38 euros
par mois. Il s’agit de « la plus forte
progression de ces dernières an-
nées », a souligné l’Arcom. Cette
hausse, chez les consommateurs
payants, est alimentée par ceux
dont les dépenses sont les plus
élevées : 11 % y consacrent de 50 à
99 euros (+2 points), 6 % plus de
100 euros mensuels (+2 points),
La consommation illicite représente aujourd’hui
près d’un quart des internautes
ÉVOLUTION DES TAUX DE CONSOMMATION ILLICITE DE CONTENUS
CULTURELS ET SPORTIFS DÉMATÉRIALISÉS
En % de consommateurs illicites...
28 %
5%
20 %
18 %
5%
3%
15 % 15 % 23 %
2014 2016 2017
Source : Arcom
d’après l’étude, réalisée avec
l’Ifop. En incluant les consomma-
teurs de contenus gratuits, le pa-
nier moyen atteint 25 euros,
contre 21 euros l’an dernier.
Alors que les propositions léga-
les, avec ou sans publicité, se sont
multipliées, les trois quarts des in-
ternautes ont désormais accès à au
moins une offre audiovisuelle
profil type du pirate, il n’est pas
tout à fait celui auquel on pourrait
penser : un homme de moins de
40 ans, francilien et… issu de la
catégorie socioprofessionnelle su-
périeure.
Les films, les séries TV et la mu-
sique qui sont les contenus les plus
consommés, sont aussi les plus pi-
ratés. En vertu d’une récente loi
adoptée au Parlement, le régula-
teur, dès 2022, avait mis en œuvre
plusieurs mesures de lutte contre
le piratage, notamment le blocage
de sites illicites proposant des re-
transmissions sportives, ou des
films et séries. Cette lutte a permis
de circonscrire une partie du pro-
blème. Concernant le piratage
sportif, entre les notifications de
l’Arcom et les injonctions judi-
ciaires, 3 191 noms de domaine ont
été bloqués depuis janvier 2022.
S’agissant des contenus culturels,
562 noms de domaine ont été in-
terdits entre octobre 2022 et dé-
cembre 2023.
Le streaming et le télécharge-
En 2023, 87 % raflent la mise (68 % des inter- ment direct sont toujours privilé-
des internautes français nautes), devant les offres de musi- giés pour pirater (respectivement
de 15 ans et plus que, à l’instar de Spotify ou de 49 % et 38 % en 2023), bien qu’ils
ont consommé Deezer (40 %) et la télévision connaissent un repli sensible de-
au moins un contenu
payante (35 %). puis plusieurs années. Suivent les
dématérialisé. réseaux sociaux (32 %), dont
Si les internautes sont toujours
... réguliers ... occasionnels PATASTOCK /
ALAMY VIA REUTERS/
plus nombreux à se tourner vers l’usage, à l’inverse, progresse.
27 % des offres légales pour consommer « D’autres moyens d’accès à des
27 % ALAMY STOCK PHOTO
3% 26 % 26 % des contenus culturels et sportifs contenus illicites émergent, notam-
24 % 24 %
en ligne, la guerre contre les sites ment les services cloud et les
illégaux n’est pas encore gagnée. “newsgroup”, les groupes de dis-
13 % 12 % 15 % 13 % 13 %
Si « la baisse constatée en 2022 se cussion », constate l’Arcom. Ils
maintient », selon l’Arcom, un représentent respectivement 21 %
quart des Français continuent et 16 % du piratage, en hausse de
24 % 13 % 14 % 12 % 11 % 11 %
toutefois de pirater des séries, des 5 points chacun. En clair, l’insti-
matchs, des films… Plus de la tution doit continuellement
2018 2019 2020 2021 2022 2023 moitié d’entre eux le font même s’adapter pour pouvoir gagner la
Infographie de manière régulière. Quant au bataille du piratage. ■
payante en ligne, via un abonne-
ment au sein de leur foyer, ou
l’utilisation des codes d’une per-
sonne extérieure. Ils sont aussi
près d’un quart à disposer de deux
abonnements. Et 10 % des Fran-
Le groupe d’édition Humensis
çais en cumulent même trois.
Les services de vidéo à la de-
mande par abonnement comme
suscite toutes les convoitises
Netflix ou Amazon Prime Video,
La mise en vente de l’éditeur (PUF, Belin…)
devrait intervenir à la mi-janvier 2024.

Contrôle iscal, les clés pour réagir

CLAUDIA COHEN ccohen@lefigaro.fr
LIVRE La disparition en juin de
Denis Kessler, homme fort du
réassureur Scor pendant plus de
vingt ans et artisan de la création
d’Humensis, bouleverse l’avenir
de ce groupe d’édition. Après les
fêtes de fin d’année, la mise en
vente de l’éditeur, qui détient les
ment au succès de Gaspard Koenig
et de son roman Humus, lauréat du
prix Interallié, du prix Jean Giono
et finaliste du Goncourt.
Madrigall, dont la maison
Flammarion est déjà actionnaire
minoritaire d’Humensis, regarde-
ra également le dossier. Les liens
tissés entre les deux groupes sont
forts : Alain Flammarion siège au
conseil de surveillance et les mai-

5€
maisons Éditions de l’Observatoi-
re, Presses universitaires de Fran-
ce (PUF), Belin, Éditions des
,30 Équateurs, Passés/Composés ou
encore le média Pour l’éco, devrait
intervenir à la mi-janvier 2024. À
travers la cession de son unique
filiale, la direction du quatrième
groupe mondial de réassurance
souhaite se reconcentrer sur son
cœur de métier. Pour le plus
grand bonheur des acteurs du li-
vre qui se tiennent prêts à étudier
le dossier…
Dans les colonnes du Figaro
en novembre, Denis Olivennes,
président d’Editis sous l’ère du
nouveau propriétaire Daniel Kre-
tinsky, ainsi qu’Arnaud Lagardè-
re, président-directeur général
sons d’Humensis représentent
autour de 10 % de l’activité de dif-
fusion-distribution de Madrigall.
Mais le groupe familial, dirigé par
Antoine Gallimard, n’a pas les po-
ches aussi pleines que ses rivaux… Même à
son plus haut,
Des enchères à la hausse la valorisation
Selon nos informations, l’entre-
preneur Pierre-Édouard Stérin,
d’Humensis
qui avait formulé à l’époque une reste
offre commune aux côtés de Da- une goutte
niel Kretinsky et Stéphane Cour-
bit pour reprendre Editis, se se-
d’eau pour les
rait également montré intéressé. milliardaires
Avec l’aide du banquier d’affaires qui possèdent
Matthieu Pigasse, il chercherait à
acquérir des actifs dans l’édition
aujourd’hui
et la presse. les maisons
La valorisation d’Humensis d’édition

Le 1er magazine de la presse patrimoniale

d’Hachette Livre (filiale de Lagar-
dère, désormais contrôlé par
Vivendi), ont tous deux affirmé
être intéressés par Humensis. De
1,3 million de lecteurs (source ACPM 2023)
telles perspectives seraient néan-
moins étudiées de près par les
autorités face à d’éventuels ris-
Disponible chez votre marchand de journaux ques de problèmes de concurren-
ou sur commande Réf. 1211 ce dans le domaine scolaire.
La cession d’Humensis devrait
Frais de port oferts se faire en intégralité, une revente
par appartements n’étant aujour-
PAR INTERNET PAR TÉLÉPHONE PAR COURRIER affranchi d’hui pas envisagée. Humensis,
qui perdait 4 millions d’euros en
www.leparticulier.fr 01 55 56 71 11 Le Particulier - Service Abonnements 2022, va réduire ses pertes cette
rubrique La Boutique du lundi au vendredi de 8h30 à 19h 45 av. du Général-Leclerc 60643 Chantilly Cedex année. Alors que les Éditions de
A
pourrait osciller autour de 30 mil-
lions d’euros. Les nombreux pré-
tendants et la réforme des pro-
du pays »
UN OBSERVATEUR
grammes scolaires, annoncée il y
a quelques jours par le ministre de
l’Éducation, Gabriel Attal, de-
vraient faire monter les enchères
à la hausse. Le chiffre d’affaires
d’Humensis tourne autour de
45 millions d’euros pour les exer-
cices sans réforme scolaire et
monte à 55 millions d’euros les
autres années. « Même à son plus
haut, la valorisation d’Humensis
reste une goutte d’eau pour les mil-
liardaires qui possèdent aujour-

l’Observatoire se rapprochent de d’hui les maisons d’édition du

l’équilibre financier, grâce notam- pays », conclut un observateur. ■
jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO - N° 24 669 - Cahier N° 3 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr
STYLE
À COLOGNE, DANS LES COULISSES
DE LA FABRIQUE DES BAGAGES RIMOWA
PAGE 30
NOTRE GRAND PALMARÈS
DES PETITS DIAMANTS DE NOËL
DU PLUS SIMPLE AU PLUS PUNK,
POUR UNE JEUNE FILLE OU UNE
CONNAISSEUSE, AU POIGNET
OU AUX OREILLES, NOTRE SÉLECTION
DE BRILLANTS À GLISSER
SOUS LE SAPIN.
PAGES 32 ET 33
Piaget
THIERRY MALANDAIN
REDESSINE « LES SAISONS »
CRÉÉE AU FESTIVAL DE DANSE DE CANNES, LA PIÈCE
DU DIRECTEUR DU BALLET DE BIARRITZ EST MAGISTRALE.
ARIANE BAVELIER £@arianebavelier
ENVOYÉE SPÉCIALE À CANNES
e grands pétales calcinés
D tapissent les murs ; la lu-
mière s’y coule claire ou
rousse à mesure que pas-
sent les saisons. Celles de
Vivaldi et de Guido, compositeurs si
contemporains que l’histoire a oublié
lequel a signé le premier une partition
sur ce thème. La postérité, elle, a su
distribuer ses faveurs. Les Saisons de
Vivaldi sont usées, celles de Guido, sans
intérêt particulier. Mais la commande
est venue de l’Opéra royal de Versailles
et à la demande du chef Stefan Plew-
niak, à la tête de l’Orchestre royal du
château. Créées au Festival de danse de
Cannes, ces Saisons pour les 22 dan-
seurs de son Ballet de Biarritz sont une
des plus belles pièces de danse à voir.
La beauté ? Celle de Malandain ne
tient pas au décor, à la musique, à une
de ces alchimies surgies d’horizons di-
vers qui signent souvent le plaisir d’un
spectacle. Elle tient à la danse même.
Rarement on a vu combinées avec
autant de sagacité, de raffinement,
d’effronterie le vocabulaire, le réper-
toire, les tracés. Malandain n’a pas
usurpé sa nomination d’académicien à
la section beaux-arts de l’Institut de
France ! Personne ne connaît comme
lui les trésors de la danse française
depuis Louis XIV.
Dans ces Saisons, il se laisse inspirer
par son savoir sans jamais le plaquer. Ce
que fait Ratmansky pour la danse clas-
sique du XIXe siècle, puisant à la source
des milles pas classiques éradiqués par
la recherche de la virtuosité, il le fait
BEAUX LIVRES
DENEUVE, LES INTÉRIEURS DE POMPÉI,
OISEAUX FANTASTIQUES… NOTRE SÉLECTION
À METTRE SOUS LE SAPIN PAGES 34 ET 35
Harry Winston
RIMOWA ; FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO ; PIAGET ; DINH VAN ; HARRY WINSTON ; MESSIKA PARIS
Dinh Van
Messika
plus largement, familier du chemin qui
mène des danses folkoriques à la danse
baroque et au classique, faisant feu de
tout cela pour écrire du contemporain.
C’est son matériau et il l’utilise à l’in-
fini, comme un peintre ses couleurs. Il
crée avec une inspiration souveraine,
en toute liberté, sans essayer de faire
montre d’érudition.
Inspiration souveraine
Malandain découpe la musique. Vivaldi
ménage des havres à Guido, et ce faisant
casse sa ritournelle, mettant à vif ses at-
taques et ses méandres. Pour les parties
Guido, Malandain a écrit un quatuor
élégant qui, en robe à panier ou redin-
gote enfilées sur leur costume noir, joue
le contrepoint. Il décline les figures so-
bres et parfaitement dessinées de « la
Belle Danse ». Les parties Vivaldi
éblouissent : le corps de ballet évolue
« en chaîne » selon des figures emprun-
tées au folklore basque. L’entrée dans la
chaîne, les demi-cercles et les rondes
que cette danse dessine sont une source
d’invention, d’autant plus que Ma-
landain y superpose le vocabulaire de la
danse classique. Entre ces niveaux s’in-
tercale une troisième. Justaucorps chair
et bras ganté d’une aile noire, des dan-
seurs tentent un ballet céleste. Ces fi—
gures d’anges essaient de balayer les
désordres du temps. La danse porte
tout, de l’allégresse du printemps aux
passions de l’été, sans omettre l’inquié-
tude de l’époque. Pas de message,
cependant. Juste une splendide invi-
tation à méditer sur la beauté de la vie et
le passage du temps. ■
Les Saisons, à l’Opéra royal de Versailles
A
(78), jusqu’au 17 décembre.
jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

30 STYLE
FLEURON DE L’ALLEMAGNE
INDUSTRIELLE, ENTRÉ DANS
LE GIRON DE LVMH EN 2016,
LE SPÉCIALISTE DU BAGAGE
EN ALUMINIUM ET DÉSORMAIS
EN CUIR EST DE TOUS
LES LOUNGES ET TGV,
DANS LE SILLAGE DES INITIÉS
ET DE KYLIAN MBAPPÉ.
MATTHIEU MORGE ZUCCONI
mmorge@lefigaro.fr
ENVOYÉ SPÉCIAL À COLOGNE (ALLEMAGNE)

e Rhin, une cathédrale gothi-

L que datant du XIIIe siècle, un

carnaval réputé dans le monde
entier, quelques spécialités
culinaires étonnantes (du porc
cru et de la viande de cheval en sauce,
notamment), des bières servies dans
des petits verres étroits… Et Rimowa.
Voilà ce que l’on trouve à Cologne, qua-
trième plus grande ville d’Allemagne, à
trois heures de Thalys de Paris.
C’est ici, dans l’un des plus importants
centres industriels du pays, qu’en 1898,
Heinrich Görtz et Paul Morszeck établis-
sent leur manufacture de bagagerie,
sobrement appelée Görtz & Morszeck. En
1931, sous l’impulsion de Richard, le
fils du second, celle-ci est renommée

À COLOGNE, LES VALISES RIMOWA

Rimowa. Six ans plus tard, elle fabrique
déjà ce qui va faire son succès dans le
monde entier : des valises en aluminium.
Un matériau à l’époque inédit que, selon

FONCTIONNENT COMME SUR DES ROULETTES

la légende, Morszeck aurait l’idée d’utili-
ser suite à un incendie ayant détruit tou-
tes les autres matières premières dispo-
nibles dans l’usine…
Quatre-vingt-six ans plus tard, l’en-
treprise conçoit toujours ses modèles
dans la banlieue de Cologne, sur un site
industriel regroupant archives, bureaux
et manufacture où officient environ
750 personnes, dont 450 pour les tâches
liées à la production, qui se fait encore
en grande majorité à la main. Assem-
blage des charnières, de la poignée, des
roues, de la doublure… les ouvriers ex-
perts, formés durant plusieurs années
chez Rimowa, s’affairent au fil des
90 étapes que nécessite la fabrication
d’une valise. En guise de finitions, on
s’étonne de voir un employé donner des
Ci-dessus, la nouvelle valise
cabine en cuir et aluminium,
Distinct Cabin, 2 750 € (à gauche)
et Kylian Mbappé, nouvelle égérie
Rimowa, et son modèle Classic
format cabine, 1 250 €.
voyageurs japonais, les hommes d’affai-
res allemands et quelques célébrités,
dont Martha Stewart, la cuisinière de la
télé américaine, qui les collectionne de-
puis des décennies.
En 2016, l’entreprise familiale entre
dans le giron du groupe LVMH… et dans
une autre dimension. La valise devient
le nouveau « it-bag », grâce à une stra-
tégie de collaborations intelligente (Off-
White, Supreme et plus récemment, Dior
et Tiffany & Co.) et à des campagnes de
communication mettant en scène Patti
compagner son propriétaire toute sa vie.
L’approche de l’entreprise est donc celle
du « temps long », presque une anomalie
dans une industrie du luxe qui va tou-
jours plus vite. « Nous avons la chance
d’être une marque patrimoniale, de
transmission, souligne Hugues Bonnet-
Masimbert. Nous sommes une maison de
luxe, mais de luxe fonctionnel. C’est pour
cette raison que tous nos produits bénéfi-
cient désormais d’une garantie à vie. Cet
avec nos retours clients, d’un souci, on
s’efforce de lui trouver une solution, de le
régler. L’obsession du détail est grande. »
Reste que, même référent sur son
secteur, Rimowa doit savoir jouer sur
d’autres tableaux. « Parce qu’on ne peut
pas nier que le voyage a un impact sur
l’environnement, et qu’une partie de la
population est de plus en plus réticente à
traverser le monde pour ses loisirs. Nous
devons donc accompagner la mobilité au
sens large, urbaine notamment, avec des
petits accessoires en alu, des sacs à dos,

coups de marteau à certains endroits
précis pour réaligner un loquet de fer-
meture, une roue légèrement désaxée.
Et même si l’ambiance (en particulier
sonore) dans l’usine tient plus de l’in-
dustrie automobile que la manufacture
de cuir, le savoir-faire à l’œuvre, ici,
doit davantage au luxe qu’à la fabrica-
tion à la chaîne de ses concurrents. Ce
Ci-dessous, des valises
en aluminium devant l’usine
de Cologne. RIMOWA
Smith, Roger Federer, Lewis Hamilton et
Kylian Mbappé. Comme quoi, même une
valise en alu peut devenir pop. Résultat,
vous n’avez jamais autant entendu parler
de Rimowa, qui fête en outre ses 125 ans
avec une exposition itinérante passée par
Tokyo, New York, en septembre, et dé-
sormais à Shanghaï.
« Nous vivons une période exaltante
“trèsNotre
approche reste des cabas plus souples… »
germanique : quand on La dernière actualité de Rimowa est
encore plus étonnante : une ligne de vali-
s’aperçoit, avec nos retours ses… en cuir. Déconcertant, pour une
clients, d’un souci, entreprise qui a fait son succès, juste-
on s’efforce de lui trouver ment, à rebours des bagages de luxe tra-
une solution, de le régler. ditionnels. Et qui officie au sein d’un
groupe comptant plusieurs acteurs ma-
L’obsession du détail jeurs de ce marché, dont un fameux mal-

”
qui justifie en partie des prix élevés pour pour la marque, confirme, enthousiaste, est grande letier… Dans l’usine de Cologne, une tou-
la catégorie (à partir de 1 180 € pour un Hugues Bonnet-Masimbert, son PDG. HUGUES BONNET-MASIMBERT, PDG DE RIMOWA te petite équipe s’affaire sur cette
format cabine). Suite au Covid, à la reprise du trafic aé- nouvelle collection appelée à se déployer
Et pourtant les valises « made in Co- rien et à l’engouement pour les voyages, enjeu technique colossal s’appuie sur la dans les prochains mois. « On ne nous at-
logne » sont partout, des coffres à baga- nous avons connu une forte accélération. formation de nos équipes en boutique, qui tendait pas sur ce registre et il a fallu
ges du Thalys et du Shinkansen à ceux Depuis lors, nous multiplions les projets, assurent les réparations de base, et des convaincre nos ingénieurs de se lancer
des classes affaires d’Air France, des hô- autant dans le domaine des boutiques, artisans du siège, qui prennent en charge dans cette aventure, poursuit le dirigeant.
tels de luxe aux Airbnb du monde en- avec de nombreuses ouvertures prévues, les modèles plus endommagés. Cette ini- Nous avions envie de nous positionner sur
tier… Les raisons de son succès ? que du côté de nos développements in- tiative a modifié en profondeur notre rap- le matériau le plus noble qui soit, même s’il
D’abord, le look si reconnaissable de la dustriels qui aboutiront à un laboratoire port à nos créations : comme nous sommes est plus fragile que ceux avec lesquels nous
valise « en alu », signature de la marque. d’innovation en 2025. » l’un des seuls acteurs du marché à fabri- travaillons habituellement. Ce qui est un
Mais aussi, et surtout, son côté « pour Le client qui pousse les portes de l’une quer et distribuer nous-mêmes nos vali- challenge, puisque nous revendiquons la
ceux qui savent ». Car, le bagage des 178 boutiques dans le monde est en ses, la réparabilité fait partie du processus garantie à vie. Notre mission, c’est de
Rimowa, qu’il soit format cabine ou quête d’un produit certes élégant mais même de fabrication. Nous les pensons continuer à innover, et à inventer de
« check-in », est longtemps resté un se- aussi solide et fiable. En un mot, durable. dans cette optique. Cette approche reste nouvelles manières d’imaginer la baga-
cret d’initiés, plébiscité par les exigeants Une valise Rimowa doit, en principe, ac- très germanique : quand on s’aperçoit, gerie en cuir. » ■

NOTRE SÉLECTION D’ÉCHARPES DANS LE COUP

AFFRONTEZ LE FROID AVEC STYLE
ET L’UN DE CES CINQ MODÈLES TOUT
ZEGNA, ÉRIC BOMPARD ; BURBERRY ; APC ; PAUL SMITH

DOUX AUX COULEURS DE L’HIVER

OU À GÉOMÉTRIES VARIABLES.

ADÈLE BARI abari@lefigaro.fr

S
i le thermomètre comme le
moral est au plus bas, ces
écharpes en laine ou en
cachemire sauront réchauffer
les cous et les cœurs. Des mo-
dèles à tous les prix, venus d’Angleter- 1 2 3 4 5
re, de Californie ou de Paris.

uL’hiver californien (1)

La collaboration de l’italien Zegna, le uClassique chic (2)
Indispensable du shopping de Noël, uSe tenir à carreaux (3)
Nouveau « Check » plus épuré, nou- uRive gauche (4)
Essentielle, l’écharpe d’A.P.C. signe uRayures sur toute la ligne (5)
Rien de tel qu’un Britannique pour sa-
maestro des lainages établi à Trivero, et Eric Bompard cultive l’élégance sobre à veau logo (en réalité, celui de 1901 l’allure d’éternel étudiant traînant ses voir égayer une journée de grisaille. Im-
de la marque de Los Angeles The Elder la française. Parmi ses musts, l’écharpe nommé « le chevalier équestre ») mais tennis du côté de la rue Madame, fief de portée de Londres, cette écharpe toute
Statesman, king du cachemire cool, fait à franges « vert chasse », marquée de style intemporel et teintes douces pour la marque des Touitou. douce griffée Paul Smith arbore ses incon-
des ravages. Notamment au portefeuille. l’initiale B. ce standard de Burberry. En alpaga, mohair et laine, tournables rayures « Signature Stripe ».
En cachemire, 950 euros En cachemire, 150 euros En laine, 480 euros 105 euros En laine mérinos, 300 euros
sur zegna.com. sur eric-bompard.com. sur burberry.com. sur apc.fr. sur paulsmith.com.
 PORTÉ PAR LA NATURE,
FAÇONNÉ PAR LE TEMPS

DOM RUINART,
LE BLANC DE BLANCS
PAR EXCELLENCE

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

32 L'ÉVÉNEMENT

PETITS DIAMANTS DE GRANDS JOAILLIERS

UNE AVALANCHE ÉLODIE BAËRD ebaerd@lefigaro.fr
ET MARIE-GABRIELLE GRAFFIN
férés, des maisons de couture telles
que Dior et Chanel, des joyaux grecs
smartphone dernier cri, un sac de
luxe ou des baskets en série limitée.

DE BRILLANTS A ENVAHI mggraffin@lefigaro.fr et romains comme Yannis Sergakis et

Bulgari, des créateurs parisiens - de
Bien décidés à saisir l’air du temps,
les joailliers établis, comme les nou-

LES VITRINES CETTE iamonds are a girl’s Dinh Van à Pascale Monvoisin -, des veaux noms, ont dépoussiéré l’image

ANNÉE. ÉPURÉS, PUNK,

GRAPHIQUES… VOICI NOS
« D best friend », chantait
l’inoubliable Marilyn
Monroe dans Les
hommes préfèrent les
blondes (Howard Hawks) en 1953.
Tout juste soixante-dix ans après, le
fétichistes de ladite gemme à l’instar
de De Beers et de Messika, des sel-
liers séculaires (Hermès) et même,
des Japonais adorés de la Gen Z…

Des petits bouts d’éternité

de la plus dure des pierres précieu-
ses, en la rendant ultradésirable par
son design et facile à porter au quoti-
dien. Mais aussi en proposant des
premiers prix compétitifs malgré sa
rareté afin de désacraliser la gemme
NEUF PALMES À PRIX refrain n’a pas changé, les femmes
chérissent toujours « Tiffany’s,
Un retour en grâce qui déjoue les
pronostics d’il y a quelques années,
et l’affranchir de la joaillerie tradi-
tionnelle réservée à une élite.

(PRESQUE) SAGES. Cartier, Harry Winston », mais ont

ajouté à la liste de leurs joailliers pré-
lorsqu’on craignait que les jeunes
gens préfèrent au diamant, un
Alors, certes, offrir un diamant
sous le sapin reste plus onéreux que

PRIX DU STYLE PRIX DE LA SIMPLICITÉ

LA BOUCLE D’OREILLE COCO CRUSH EN OR BLANC ET DIAMANTS
DE CHANEL (2 290 €).
Le matelassé, chez Chanel, est presque une religion. La jeune Gabrielle aurait découvert
ce motif en damier-losanges sur les couvertures des chevaux de son amant Étienne
Balsan au tout début du XXe siècle, puis utilisé dans ses collections de haute couture dès
1920, avant d’en faire la signature de son sac culte, le bien nommé 2.55 - (pour février
1955). En 2015, c’est au tour de la ligne de bijoux Coco Crush (pour coup de foudre) de
poursuivre la légende. Bagues et créoles « capitonnées » sont aussitôt un succès. Aussi
stylées que faciles à porter au quotidien, elles animent un pull en cachemire ou une
mine fatiguée. Même pas besoin d’avoir l’oreille percée pour arborer cette ear cuff en
or blanc matelassé et élégamment bombé, piquée de cinq diamants. Un concentré de
Chanel. ■
LE BRACELET CLEA EN OR ROSE ET DIAMANT DE DE BEERS (825 €).
Un micro brillant, cerclé d’or, accroché à une fine chaîne d’or. On ne peut pas faire
plus simple… ni plus charmant ! Le principe fait l’unanimité auprès des clientes
comme des joailliers de plus en plus nombreux à le proposer. En affichant le
diamant dans son plus simple appareil, ces montures parviennent à le porter au pi-
nacle. De Beers, marque d’un des plus gros producteurs mondiaux de pierres, ne s’y
est pas trompé et remporte la palme dans cette catégorie. Précisons que, contrai-
rement aux apparences, ce né-
oclassique vient d’une idée
assez iconoclaste. Celle de la
designer Elsa Peretti qui, dans
les années 1970, imagine pour
l’américain Tiffany & Co. de vendre
« des diamants au mètre », traduction
littérale du nom de sa collection Diamond by
the Yard, avec ses longs sautoirs d’or ou d’argent
ponctués de diamants tous les vingt centimètres. ■

SUR LE MÊME PODIUM

SUR LE MÊME PODIUM
■ Dans la catégorie « bijoux mode »,
les médailles de Pascale Monvoisin
ont toujours le vent en poupe.
Parmi les fétiches des Parisiennes,
elles récitent délicatement l’alphabet.
Doté d’une bélière en maille forçat
qui s’adapte sur la chaîne
d’un bracelet ou d’un collier,
le pendentif charms en or 9 carats
gravé affiche l’initiale en relief
de son choix, pavée de six
microbrillants (425 €, notre photo).
À porter, pourquoi pas,
en accumulation à la manière
de grigris poétiques.
■ Avec autant d’allure, le collier
Charnières de Yannis Sergakis est aussi
raffiné sur un cou nu que posé sur
l’encolure d’un tee-shirt. Le joaillier
originaire d’Athènes, qui a grandi dans
une famille de diamantaires, a appris
dans les ateliers de son oncle qu’un
diamant pouvait être charmant et dans
l’air du temps, et pas forcément
impressionnant sur quatre griffes. Il
lance la maison à son nom en 2014 et fait
de ces pierres alvéolées (formant des
genres de pixels), sur du rhodium noir et
chaîne en or rose, sa marque de fabrique
(990 €, notre photo).
■ Ce design épuré a été popularisé par
Victoire de Castellane, directrice
artistique de Dior Joaillerie, aussi fan
des bijoux XXL que des pièces XXS, qui
dévoila sa bague Mimioui il y a presque
vingt ans. Elle a depuis été liftée avec
un serti perlé, rebaptisée Mimirose
(780 €, notre photo), et étendue à une
ligne accueillant des diamants, seul ou
en trio, mais aussi des micro-
émeraudes et saphirs.
■ La magie de cette idée simple est
double, d'une part elle parvient à mettre
en exergue même les diamants les plus
petits, mais elle permet aussi d’accéder à
une pierre et à une marque de prestige,
sans casser son PEL, comme le
démontre ce collier Cartier (1 000 € tout
rond, notre photo), dont la pureté et la
beauté sont à se damner. Pas besoin
d’être une reine pour s’offrir un diamant
du «Roi des joailliers, joaillier des Rois».

PRIX DU SPÉCIALISTE PASCALE MONVOISIN ; YANNIS SERGAKIS ; TIFFANY & CO. ; GRAFF ; CHANEL ; DE BEERS ; HARRY WINSTON ; DINH VAN ; DIOR ; CARTIER ; HERMES ; BULGARI

LE PENDENTIF CLUSTER EN PLATINE ET DIAMANTS POIRE

DE HARRY WINSTON (à partir de 15 000 €).
À tout seigneur, tout honneur. Même si le titre est très disputé aujourd’hui, le « roi
des diamants », c’est lui, Harry Winston, comme le surnommait le premier le ma- PRIX
DU PREMIER
gazine américain Cosmopolitan en 1947. À cette époque, le jeune New-Yorkais
ayant un don inné pour la gemmologie, devenu négociant avisé en pierres et en bi-
joux, s’installe sur la Ve Avenue. Il fait courir les collectionneurs et la haute société

DIAMANT
de Manhattan, de la duchesse de Windsor aux dollars princesses. Les pierres les plus SUR LE MÊME PODIUM
exceptionnelles passent entre ses mains : le fameux bleu Hope, la poire Taylor-Bur- ■ Chopard sait parler à la jeunesse
ton de plus de 60 carats, la marquise de 40 carats pour les fiançailles d’Aristote avec sa collection Happy Hearts dont
Onassis et Jackie Kennedy… Aujourd’hui, un bijou Harry Winston présente tou- les diamants mobiles Happy
jours la garantie de diamants de grande qualité et bénéficie de ce glamour améri- Diamonds virevoltent entre deux
cain du siècle dernier, surtout quand il affiche le serti Cluster (qui signifie « grap- LA BOUCLE D’OREILLE glaces saphir dans une adorable puce
pe », en VF), signature du joaillier depuis les années 1940. ■ DROPLET EN OR JAUNE d’oreille en forme de cœur (1 070 €,
ET DIAMANT D’AHKAH (770 €). notre photo). Le symbole cher
Le diamant est aussi le meilleur à la maison est l’inspiration de ces
ami des jeunes filles ! Ce dont elles fines créations qu’elle appelle ses
rêvent ? Des créoles à pampilles, « mignardises ». Rien de surprenant
des cœurs qui ne fassent pas qu’elles fassent un carton sur TikTok
kitsch, des bracelets fins à collec- et se vendent comme des petits pains
tionner… Pourquoi ne mérite- en boutique.
raient-elles pas, elles aussi, la
gemme éternelle ? C’est à Ginza,
dans le quartier huppé de Tokyo,
chez le joaillier Ahkah, que nous
SUR LE MÊME PODIUM avons déniché notre coup de
■ Charles Lewis Tiffany a décroché ■ De l’autre côté de l’Atlantique, cœur. La marque, créée en 1997
très tôt ses titres de noblesse en un autre collectionneur de pierres par la gemmologue Akemi
matière de diamants, notamment hors pair - décoré par Elizabeth II - Fukuoji et dont les collec- ■ Quoi de plus chic comme introduction
avec l’acquisition à la fin du mérite un titre royal : Laurence tions sont signées de la place Vendôme, que de passer les portes
XIXe siècle d’un coussin jaune rare Graff qui donna son nom styliste Katie Hillier, de Van Cleef & Arpels ? La collection
encore exposé aujourd’hui à la marque dirigée aujourd’hui par est adulée par la jeune Alhambra née en 1968 caracole en tête
dans la boutique Tiffany & Co. de la son fils. Si les vitrines du joaillier génération ! La Droplet de liste des bijoux qu’on se transmet de
Ve Avenue. Couplez cette expertise abritent constamment des est une boucle d’oreille unique mère en fille. Les secrets de son succès :
historique au génie créatif des spécimens exceptionnels et dont la forme s’inspire d’une un motif trèfle porte-bonheur, un dessin
designers qui ont fait les grandes de folles parures de haute joaillerie, goutte de rosée posée sur les pur et donc, universel, de nombreuses
heures de la marque, à l’instar on y trouve aussi désormais fleurs au lever du soleil. Interpré- versions possibles dans les trois ors -
de Jean Schlumberger, et nous quelques pièces avec un peu moins tée ici, en un diamant poire d’une guilloché ou en serti neige de diamants
ne pouvons que recommander de zéros sur l’étiquette, à l’instar grande finesse, avec beaucoup de (modèle Sweet Alhambra, 3 550 €, notre
A

ce pendentif Lynn en or jaune de ces boucles d’oreilles Butterfly féminité, soit les piliers du sa- photo) - ou en pierres dures. Toujours
et diamants (3 550 €, notre photo). (5 200 €, notre photo). voir-faire japonais. ■ contourné de perles d’or. Un sans-faute.
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

L'ÉVÉNEMENT 33

le dernier prix Goncourt ou un par-
fum. Mais faut-il rappeler que ces
petits bouts d’éternité sont des frag-
ments de carbone pur cristallisé il y a
des milliards d’années dans les en-
trailles de la terre ? Que seules
500 tonnes auraient été extraites du
sol depuis la nuit des temps ? Et que
donc, ils ont l’avantage (de taille) de
la pérennité ? Même les modèles au
style très contemporain traverseront
les années beaucoup plus sûrement
que n’importe quel accessoire de
mode ou objet connecté à obsoles-
cence programmée.
PRIX DU DESIGN
LE COLLIER PULSE EN OR ET DIAMANTS DE DINH VAN (990 €).
Quand Jean Dinh Van commence à dessiner des bijoux dans les années 1960, il veut
mettre ses pas dans ceux de la mode et de la décoration, qui ont fait leur révolution
et épousé l’air du temps et le quotidien des femmes. Artisan joaillier de formation, il
se révèle designer en détournant en bijoux des objets communs, comme les me-
Parce que le diamant taillé en nottes, la lame de rasoir ou la punaise qui deviendront des classiques de son catalo-
brillant ou en poire reste éternel, gue. Il joue avec les formes et les codes traditionnels et imagine des bagues carrées,
nous avons donc imaginé une pré- des fermoirs à porter devant, des médailles percées en leur centre. On ne lui doit
cieuse liste de Noël sous la forme d’un pas cette collection Pulse, qui a été dessinée en 2017, soit plus de vingt ans après son
palmarès inédit, prenant en compte le départ de sa marque, mais nous voulions saluer son esprit libre qui y flotte toujours.
design, l’originalité, l’allure, la quali- Et son prix à trois chiffres. ■
té, mais aussi le prix afin de s’adresser
à tous les âges, tous les styles et tous
les portemonnaies !
Sur notre podium, des diamants en
pavage sur un piercing ou en solo sur
une simple chaîne, matelassés sur une
ear cuff, en grappe sur un pendentif
ou mobiles dans une puce d’oreille
qui accroche la lumière. Brillant ! ■

SUR LE MÊME PODIUM

■ Son challenger, la bague Clou ■ De son côté, la collection B.Zero1
d’H en or rose et diamants de Bulgari lancée en 1999 emprunte
d’Hermès (3 500 €, notre photo) au design industriel. Elle reprend

PRIX DU PUNK
a été dessinée par un agrégé
d’arts plastiques, Pierre Hardy,
directeur de création de la joaillerie
du sellier. C’est peu de dire
que la forme le passionne.
LA MONO BOUCLE GATSBY BARRETTE EN OR BLANC Il n’a d’ailleurs de cesse de jouer
ET DIAMANTS DE MESSIKA (1 450 €). avec la grammaire de motifs
Loin de nous l’idée de vous proposer une manchette en cuir ou de grosses de la maison (la chaîne d’ancre,
bagues en chrome ! Non, ce qu’il y a de punk dans cette palme, ce sont les les mors, les fermoirs,
formes et les références inattendues, les « néoportés » comme on dit dans les cadenas…).
le jargon de cette joaillerie qui envoie valser les traditions. Mais, rendons à
César… C’est donc Valérie Messika qui démocratise le diamant place
le tubogas, ce tuyau flexible sans
soudure que les joailliers modernistes
s’approprient au début du XXe siècle
et que l’Italien affectionne pour ses
montres Serpenti dès la fin des années
1940. La bague originale - flexible elle
aussi - a donné naissance à une grande
famille dont fait partie cette paire
de boucles d’oreilles en or rose
et diamants (4 000 €, notre photo).

PRIX DU CORDON
Vendôme, au début des années 2000, en prouvant dans ses vitrines et sur
pléthore de célébrités, qu’un bijou est beau aussi quand il couvre toutes les
phalanges d’un doigt, quand il barre l’oreille (notre photo), grimpe jusqu’à
l’hélix ou s’agrippe sur un biceps… C’est donc haut la main que nous lui at-
tribuons les félicitations du jury pour tout ce travail accompli. ■
LE BRACELET BEE MY LOVE EN OR SUR LE MÊME
ROSE ET DIAMANT DE CHAUMET PODIUM
(1 190 €). ■ Mellerio, plus
Cette petite section tubulaire faite d’al- ancien joaillier de
véoles d’or serties d’un diamant la rue de la Paix
s’adapte parfaitement à un lien de co- (depuis 1815), et rare
ton, une exclusivité en France (sur le maison indépendante
site de Chaumet) en quatre couleurs. dirigée par la même famille depuis
On salue ce motif abstrait et géométri- quinze générations, a lui aussi cédé
que chez un joaillier habituellement à la tendance du minibijou, ponctué
plutôt figuratif et naturaliste. Ce nid de microdiamants, avec sa ligne Les
d’abeille précieux - Muses et notamment ce bracelet Mini
SUR LE MÊME PODIUM grand succès de la Giardino avec motif en or rose (500 €,
■ Voilà dix ans que le nom ■ Depuis 2018, les bijoux en argent marque de LVMH notre photo).
d’Antifer se murmure dans 925 de Statement valent bien depuis quelques
le cercle des filles dans le vent. des montures en or de ses années - se réfère
Une collection de joaillerie à la fois concurrents. Pour leur créatrice à l’emblème impé-
brute et sophistiquée signée Amélie Huynh, adepte de « l’argent rial choisi par Napo- ■ La maison
de la talentueuse Gaia Repossi, joaillier » (c’est-à-dire rhodié), léon, client légendaire de Arthus Bertrand
petite-fille du grand joaillier rien de tel que l’alliage pour Chaumet avec son épouse Joséphine est née au début
turinois Costantino, fondateur affirmer un style et une qui, elle, a inspiré la collection décli- du XIXe siècle en
de la maison Repossi. Ses lignes personnalité. À l’image de sa nant un motif diadème. pleine gloire
sont tirées de l’architecture et se dormeuse Anyway, sertie de huit Rappelons ici que le bijou sur cordon napoléonienne,
combinent à la faveur du stacking, diamants, qui ressemble à s’y (en coton ou en cuir) a toujours existé, devenant rapidement le spécialiste
cette façon d’empiler des bijoux, méprendre à un piercing à boulons probablement même avant la chaîne en de la conception et de la fabrication
en l’occurrence, ici sur la même de tatoueur (990 €, notre photo). or pour accrocher toutes sortes de gris- de drapeaux et décorations de l’armée,
oreille. Mais déjà un exemplaire Mais avec son âme de poète, gris. Il fut toutefois très largement po- puis des différentes médailles,
de cette créole en or rose pavée de la Parisienne nous explique que les pularisé par la marque Dinh Van en honorifiques et religieuses.
micro-diamants nous irait très bien clous aux extrémités sont formés 2000, un peu par hasard, à la suite d’un Ces débuts ont posé un cadre créatif
sous le sapin (1 150 €, notre photo). de triangles, symboles d’équilibre. petit cadeau imaginé pour les invités de toujours présent aujourd’hui
l’inauguration de la boutique de la rue comme sur cette pastille d’or percée
REPOSSI ; STATEMENT ; JEM ; KIMAI ; AHKAH ; MESSIKA ; CHAUMET ; UNSAID ; PIAGET ; CHOPARD ; VAN CLEEF ; MELLERIO ; ARTHUS BERTRAND ; D1928 ; VEVER

Bonaparte à Paris. Le lendemain, quel- d’un quadrilobe accueillant

ques modèles restants sont installés en un diamant et montée

PRIX DU SYNTHÉTIQUE vitrines. Le phénomène était lancé. Et

continue de faire des émules chez tous
ses voisins. ■
sur un cordon (695 €, notre photo),
évoquant une rosette
de Légion d’honneur.

LE SOLITAIRE BUBBLE EN OR BLANC RECYCLÉ

ET DIAMANT DE LABORATOIRE DE UNSAID (900 €).
Si le diamant « de laboratoire » suscite toujours le débat dans les ateliers
traditionnels de la place Vendôme, il mérite attention dans cette page.
De plus en plus de joailliers en font leur affaire et il faut avouer qu’ils n’ont
PRIX DE LA PERLE
pas à rougir de leur design, de la créativité et la richesse de modèles. LE BRACELET CHAÎNE SUR LE MÊME PODIUM
C’est le cas de Shraddha Mehta, Belge d’Anvers, d’origine indienne. POSSESSION EN OR ROSE ■ Denise Porchet est née à Nice en
Son jeune label Unsaid faisait trembler le Ritz, l’an dernier, en y présentant SERTI D’UN DIAMANT 1928, date fortuite à laquelle son beau-
la plus grosse bague réalisée en diamants de synthèse au monde ! Sa taille ET D’UNE PERLE DE NACRE père, négociant en perles, ouvre la
Bubble (« bulle » en V.F.) brevetée en interne et sertie sur des demi-dômes, a DE PIAGET (1 770 €). maison Porchet qui fait de lui un des
d’ailleurs laissé les experts bouche bée et décroché le prestigieux prix de Si le duo diamant-perle est bien leaders du marché. Aujourd’hui, cette
design Red Dot, Best of the Best. Aujourd’hui, elle décline son ovni baptisé connu sur les toi & moi anciens, au élégante dame de 95 ans continue de
REM X, en des créations aux dimensions plus humbles et aux courbes harmo- début des années 2000, les clientes de tamiser, trier les lots de perles et faire
nieuses, à savoir un solitaire (notre photo), des créoles et des joncs. ■ la place Vendôme lui tournent le dos. des appairages auprès de sa petite-fille
Heureusement, certains joailliers Olivia qui a récemment décidé de
vont parvenir à lui redonner l’éclat et restituer la marque en la
la modernité tel renommant symboliquement
Piaget et sa D1928. Ses créations ludiques,
collection dont la bague Ruhl (920 €,
Possession. notre photo) à la perle
Son méca- encerclée d’un
SUR LE MÊME PODIUM ■ « La transparence d’une pierre nisme in- micropavage nous font
■ Les bijoux de JEM c’est important, mais la génieux de l’œil.
valent le détour dans transparence de sa fabrication, c’est qui fait
la boutique parisienne essentiel » répètent Jessica Warch tourner les ■ Pionnière de l’Art nouveau, la
de la rue d’Alger. et Sidney Neuhaus, les pierres maison familiale Vever, créée à Metz il
Cette jeune maison trentenaires engagées derrière la grâce à un y a deux siècles et réactivée après
se distingue dans marque à succès Kimaï anneau li- quarante ans de silence par la
le paysage de la joaillerie (« éthique » en hébreu). Toutes bre, est un septième génération en 2021, n’a
éthique avec des designs deux issues de familles de best-seller pas perdu son charme de l’ancien.
forts, à l’instar de ses diamantaires traditionnels et « lasses de depuis son in- En atteste le dessin de sa mono
bagues Étreintes dont les deux parties trop d’opacité dans cette industrie », elles vention en 1990. boucle d’oreille Lily Loop, (1 250 €,
s’imbriquent ou s’échangent, ses clips dessinent et produisent leurs collections Pour Noël, les deux gem- notre photo) dont le diamant de
d’oreilles comme des tubes ou le petit à Anvers avec des diamants de mes roulent sur la peau (la synthèse fixé à l’oreille, permet à la
modèle de son pendentif Octogone, en laboratoire et de l’or recyclé. perle tourne sur elle-même), liés perle d’Akoya de se balancer avec
or jaune éthique et diamants de Dans notre viseur, le chicissime pendant par une délicate chaîne de bra- féminité. Pour capter l’air du
A

synthèse qui a toute sa place dans la d’oreille unique Beam qui coule le long celet en or rose, qui sied à toutes temps, la marque historique
compétition (1 315 €, notre photo). du cou (545 €, notre photo). les carnations. ■ conseille de la porter à l’unité.
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
34 CULTURE
ARIANE BAVELIER £@arianebavelier
ÉRIC BIÉTRY-RIVIERRE
ebietryrivierre@lefigaro.fr
FRANÇOISE DARGENT fdargent@lefigaro.fr
VALÉRIE DUPONCHELLE£@VDuponchelle
THIERRY HILLÉRITEAU£@thilleriteau
LENA LUTAUD£@LenaLutaud
ÉRIC NEUHOFF eneuhoff@lefigaro.fr
OLIVIER NUC £@oliviernuc
ET ÉTIENNE SORIN esorin@lefigaro.fr
uDans
le décor des riches
Pompéiens
Bienvenue dans les domus de Pompéi.
Prenez table, prenez-vous pour un per-
sonnage du Satyricon de Pétrone. Sans
le moindre touriste pour vous gêner,
admirez, des sols aux murs, la fraîcheur
de ces rouges, de ces jaunes, des verts et
des bleus. Et plus encore le mythe
d’Ariane, celui de Vénus, Diane et Ac-
téon, la jeune fille Europe enlevée par
Zeus transformé en taureau, le supplice
de Circé… Dans de lumineux péristyles,
déambulez autour d’un bassin ou d’une
fontaine, parmi les élégantes colonnes
ou de vénérables autels destinés au
culte des ancêtres. Durant le confine-
ment, Luigi Spina a photographié, seul,
l’intérieur des ruines de ces villas anti-
ques. Quelque 57 demeures jadis occu-
pées par les classes moyenne et supé-
rieure. Grâce à son appareil Hasselblad
H6D-100c qui permet une capture uni-
que des couleurs, il révèle au maxi-
mum, malgré le caractère parfois frag-
mentaire des vestiges (armoires, sièges,
braseros), le quotidien comme le faste
de la cité romaine avant sa dévastation
en quelques secondes par l’éruption
volcanique du Vésuve en 79 ap. J.-C.
Chacune de ses prises de vue, du fait de
la lumière naturelle changeante, a né-
cessité entre quatre et huit heures. Ré-
sultat : le temps ne semble guère avoir
passé sur ces peintures et sculptures,
mosaïques et incrustations de marbre.
Lignes et perspectives des architectures
A
se trouvent ren-
dues avec un soin
archéologique, un
sérieux qui tient
compte des don-
nées historiques,
des sciences socia-
les et politiques.
Rien ne semble
avoir échappé en
somme à cet œil
qui a produit sur place quelque
1 450 clichés. Du drame de Pompéi,
Goethe a fort justement dit : « Il est ar-
rivé bien des malheurs dans le monde,
mais peu qui aient procuré autant de
plaisir à la postérité. » Et, de fait, cet
ouvrage procure un grand bonheur de
lecture. Préface de Gabriel Zuchtriegel,
le directeur de la cité antique.
« Intérieurs pompéiens » (1),
Cinq Continents, 480 pages, 150 €.
uL’Amérique
à tire-d’aile
Ici un triton affolé se carapate devant
le bec de la grande aigrette, là un maca-
reux niche sous l’œil attendri de sa
moitié, ici un couple de guillemots
veille son petit au corps encore duve-
teux, là une malheureuse araignée des-
cend de son fil sous l’œil rond du passe-
reau. Les dessins d’Audubon publiés il y
a deux cents ans ravissent toujours par
leur beauté et leur vivacité. Qu’importe
que cette vision ait parfois été qualifiée
d’artificielle, Le Grand Livre des oiseaux
d’Amérique reste un monument de
l’histoire de l’ornithologie, composé
année après année par un homme qui
aima courir les bois, les marais, les ri-
vages et les montagnes d’Amérique
pour mieux en capturer la beauté sau-
vage et foisonnante.
Né d’un père français en 1875 à Saint-
Domingue, grandi en Bretagne où il se
prit de passion pour les oiseaux, Jean-
Jacques Audubon fila aux États-Unis
pour échapper à la conscription napo-
ACTUELLEMENT À PARIS
PUIS EN TOURNÉE
5
1 BEAUX-ARTS, PATRIMOINE, MUSIQUE, CINÉMA… LA CULTURE EST À LA FÊTE
léonienne. Il trouva là-bas ter-
ritoire à sa mesure et surtout
des populations d’oiseaux qui
n’avaient pas encore été déci-
mées comme sur le Vieux
Continent. Cela ne l’empêcha
pas d’être un véritable fanati-
que de la gâchette (il se repentit
sur le tard). Il dessinait d’après
nature des spécimens qu’il
avait tués ou qu’on lui envoyait,
soucieux de la plus grande véracité
dans leur description.
Ses remarques croquignolettes sur le
« bon goût » de la chouette barrée ou
cette astuce qui consiste à immortaliser
le flamant se tordant le cou pour pou-
voir le rentrer sur sa feuille (il dessinait
à taille réelle) font peut-être aujour-
d’hui jaser les puristes et grincheux de
tout poil, mais il reste bien « le roi des
peintres ornithologues » comme l’avait
baptisé le grand Cuvier.
« Le Grand Livre des oiseaux » (2),
Citadelles et Mazenot, Sous coffret,
696 pages, 290 €.
uLes
multiples visages
de Catherine Deneuve
On croit avoir tout vu et tout lu sur la
grande Catherine. Il était une fois De-
neuve prouve qu’il n’en est rien. Plus
qu’une simple compilation des articles
du magazine Sofilm, mieux qu’un beau
livre avec images sur papier glacé,
l’ouvrage richement illustré déshabille
l’icône du cinéma français avec une
multitude d’angles, certains attendus
(la haute couture, Jacques Demy) et
d’autres, originaux. La mère de famille,
la féministe controversée, la partenaire
de Gérard Depardieu (chapitre à lire
avant sa suppression dans la prochaine
édition ?), la flambeuse, la scandaleuse,
mais aussi les rencontres ratées avec
Godard, Sautet, Hitchcock et Eas-
twood… Deneuve sous toutes les facet-
tes, racontée par les autres (Pierre Sal-
NOTRE SÉLECTION
DES FRESQUES DE POMPÉI À LA GRANDE CATHERINE DENEUVE, DES OI
vadori, Régis Wargnier, Hirokazu Ko-
re-eda, Gilles Jacob) et par elle-même.
Dans un long entretien, elle confie :
« Marco Ferreri gueulait tout le temps. Il 3
gueulait et il devenait méchant. Moi, ça
m’impressionnait énormément. Par
exemple, quelqu’un avec qui j’aurais
adoré travailler, mais dont on me disait
les pires choses, c’est Maurice Pialat. On
a eu un projet ensemble qui ne s’est ja-
mais réalisé. » Deneuve-Pialat, un beau
fantasme de cinéphile.
« Il était une fois Deneuve » (3),
Sofilm/Marabout, 256 pages, 39 €.
uDécouvrir
les trésors
souterrains
Descendre sous terre pour admirer
les mammouths, les pingouins
géants ou les mystérieux signes géo-
métriques dessinés et gravés il y a
plus de dix mille ans par nos ancê-
tres est devenu un must. La France
possède 200 des 400 grottes ornées
d’Europe dont les trois stars, Las-
caux, Cosquer et Chauvet. À ces
chefs-d’œuvre artistiques, il faut
ajouter Font-de-Gaume, Pech
Merle, Arcy-sur-Cure, Isturitz, Niaux…
C’est cet ensemble de sites remar-
quables que nous fait découvrir le
journaliste scientifique Pedro Lima,
passionné d’art pariétal, auteur de
nombreux ouvrages de qualité.
Avec ses infographies, ses belles
photos couleurs sur fond noir, ce
beau livre pour toute la famille se
prolonge avec un QR Code pour
programmer facilement les visites.
« Le Trésor des grottes ornées » (4),
Synops Éditions, 166 pages,
24,90 €.
uLe
rock « made in France »
Des dizaines d’images et plus
de 250 pages, soit 1,9 kg, pour
raconter six décennies de rock
« made in France », et prouver
que John Lennon avait tort
quand il le comparaît au vin
anglais. Sous la houlette de Di-
dier Varrod, sémillant direc-
teur de la musique à Radio 2
France, Patrice Bardot et
Alexis Bernier, animateurs de
la revue Tsugi, quelques-unes
des plus belles plumes de la
critique musicale d’ici se sont unies
pour revenir sur une épopée bien fran- tiens tout juste paru aux Éditions de la
çaise. L’histoire commence place de la Philharmonie de Paris. Une interroga-
Nation le 22 juin 1963, avec le rassem- tion que l’on pourrait lui retourner :
blement organisé par la revue Salut les pourquoi, après une vie derrière la ca-
copains, et n’est toujours pas terminée à méra, une œuvre cinématographique
l’heure qu’il est. D’Eddy Mitchell à Go- de 100 opus consacrés à la musique
jira, de Bashung à Didier Wampas, les classique (le dernier en date dédié au
figures hautes en couleurs côtoient une chef prodige de l’Orchestre de Paris,
revue des salles emblématiques, des Klaus Mäkelä, est en cours de monta-
villes phares et des mouvements qui ont ge), coucher sur papier 50 ans de sou-
secoué le pays de Mireille Mathieu et venirs au contact des plus grands génies
Dalida. musicaux du siècle passé ? Tout simple-
« Rock la France, 60 ans de guitare
et d’électricité » (5),
ment pour le témoignage inestimable et
l’inspiration qu’apportent ces confes-
Éditions Marabout, 272 pages, 39 €. sions d’un confesseur ! Au fil de ses ré-
uCent
cits, portés par une érudition musicale
coups de foudre musicaux bluffante, on suit le parcours de cet an-
« À quoi bon voir les mains d’un pia- cien violoniste, du modeste foyer
niste ? » C’est par cette question qui lui d’étudiants de Moscou où il découvre
fut posée par Sviatoslav Richter que Glenn Gould jusqu’aux hauteurs de
Bruno Monsaingeon choisit d’ouvrir, Castel Gandolfo où il filme Yehudi Me-
non sans ironie, le beau livre d’entre- nuhin et Jean-Paul II. On feuillette sur-
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
6
CULTURE 35
4

DE BEAUX LIVRES
E AVEC LES ÉDITEURS QUI SORTENT LE GRAND JEU POUR LA FIN D’ANNÉE.
ISEAUX D’AUDUBON À LA PEINTURE DE ZAO WOU-KI, SUIVEZ LE GUIDE.
lier voisin de celui de Giacometti. Ses
amis s’appellent alors Jean-Paul Rio-
pelle, Nicolas de Staël, Sam Francis,
Pierre Soulages, Maria Helena Vieira
da Silva, Hans Hartung. À la Biennale
de Venise de 1960, il expose notam-
ment une toile qu’il vient d’achever,
CINQ CONTINENTS, LUIGI SPINA, FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO, SYNOPS ÉDITIONS, COLLECTION CHRISTOPHEL, GALLIMARD, MARABOUT/RADIO FRANCE, FLAMMARION,
7
enfance », ainsi Rappeneau résume-t- page de droite, neige tombe sur la maison
il cette carrière. Le mot de la fin re- l’image qui se dé- d’un peintre, Kubilai Khan va
vient à l’auteur : « L’homme de brio. » Il plie en panorami- à la chasse… La Chine ancien-
fallait le trouver. Hygiénique et indis- que sur 64 cm ou ne revit en couleurs adoucies
pensable. 128 cm, belle façon par le fond sépia de la soie.
« Jean-Paul Belmondo » (7), Gallimard/ de rendre la mesure L’espace de la page est une le-
France Inter, 304 pages, 29,90 €. de ces rouleaux à çon de vide et de plein dans

uLes
08.01.60, « un type de composition l’origine en soie. laquelle la vie entre par ef-
axiale audacieuse, avec ses coups de merveilles Sur la page de gau- fraction, juste l’instant de la
brosse tourbillonnant dans toutes les de la peinture chinoise che, la notice. Pas- peinture, mais dans tous ses
directions, qui va devenir une com- Une couverture satin fermée par les sent les dames du temps jadis se pro- détails. De l’époque des Trois Royau-
posante du style de Zao Wou-ki au agrafes de nacre et frappée de carac- menant au clair de lune, des dragons mes (220-589) à l’époque Quing qui
cours de la décennie qui commen- tères en relief : l’écrin de 42 × 32 cm, jaillissent de bouffées d’encre et des s’achève en 1911, les styles et les sujets
ce », analyse Ankeney Weitz , est raffiné, à la hauteur des plus belles lotus, de l’eau, des oiseaux pris dans varient, et on pourra les distinguer,
professeur d’art spécialisée dans pages de la peinture chinoise classi- les feuilles enroulées du pêcher pico- mais l’enchantement perdure.
les études sur l’Asie de l’Est au que imprimées en majesté et reliées rent les fruits mûrs, les fêtes de cour « Peintures chinoises », Citadelles
Colby College du Kansas. Ce dy- par des coutures chinoises. Sur la se déploient le long des fleuves, la et Mazenod, 272 pages, 179 €. ■
namisme pictural lui a été inspi-
ré par un voyage au Japon et à
Hongkong en 1958 « où il a iden-
tifié clairement sa dette envers
les traditions artistiques est-
asiatiques, à théoriser une dis-
tinction entre abstraction euro-
péenne et le geste
calligraphique oriental ». Soit,
à trouver sa voie. Ce Catalo- RÉGIS
gue raisonné des peintures
(volume II) est donc clé pour
comprendre Zao Wou-ki,
LASPALÈS
mort à 93 ans en 2013 à
Nyon, en Suisse. Orchestré
par son épouse Françoise
Marquet-Zao et Yann
Hendgen, cette somme lais-
se parler les spécialistes
(Erik Verhagen qui fut co-
commissaire de « Zao
Wou-ki, l’espace est silen-
ce » au Musée d’art mo-
derne de Paris à l’hiver
2018-2019) et les ama-
teurs, comme Dominique
de Villepin. Un voyage au
cœur de la peinture.
« Zao Wou-ki,
catalogue raisonné
des peintures » (6),
Flammarion,
352 pages, 150 €.

tout ces 300 pages comme on visionne-
rait des milliers d’heures de rushs sur
Menuhin, Gould, Oïstrakh, Varaday
mais aussi Piotr Anderszewski, Valeriy
Sokolov ou David Fray. Simple livre
d’entretiens ? Plutôt un beau guide vers
l’imaginaire des plus grands interprètes
uL’indémodable
Bébel
La Nouvelle Vague,
toc toc badaboum, le
goût des cascades et
des yorkshires, il y a tout. L’excellent
Laurent Delmas, de France Inter, a mis
noir sur blanc son feuilleton radiopho-
nique « La Bébel époque ». Quel bon-
UNE COMÉDIE POLICIÈRE DE ROBERT THOMAS
heur ! Des dialogues de film ponctuent
les chapitres. Il y a des interviews. MISE EN SCÈNE MICHEL FAU ASSISTANT MISE EN SCÈNE QUENTIN AMIOT
Jean-Paul Rappeneau revoit l’acteur
rue de l’Échaudé en prince de Saint-
AVEC SISSI DUPARC, ALEXIS DRIOLLET
Licence PLATESV-R-2020-008965 - Photos : Bernard Richebé

de notre temps ! Germain-des-Prés, avec sa dégaine DENIS RICHARD

« Filmer la musique », unique, sa décontraction, sa voix qu’il ET DENIS D’ARCANGELO
Philharmonie Éditions, 336 pages, 28 €. appelait « mon clairon ». Philippe La-

uAu
cœur de la peinture
de Zao Wou-ki
En 1960, Zao Wou-ki est choisi avec
d’autres artistes pour représenter la
France à la 30e Biennale de Venise. Ce
lettré qui regarde d’abord la peinture
française depuis la Chine, est né à Pékin
en 1920, s’est formé à l’école des beaux-
arts de Hangzhou en 1935, arrive en
France en 1948, à Marseille, puis à Paris,
bro rappelle une colère épique (et fein- « Une comédie d’une réjouissante – et hystérique – eficacité »
te) sur un tournage et cite la fameuse TÉLÉRAMA
réplique de L’Alpagueur : « À la tienne, « Les rires et le mystère se croisent dans cette brillante comédie policière »
coco ! » Feuilleter cet album équivaut à FRANCE INTER
retrouver un certain art de vivre et de
jouer. Vive Bob Saint-Clar et le second « Fau tout en subtilité, Laspalès réjouissant, Murino excelle »
degré ! Il n’est pas étonnant que Taran- LE CANARD ENCHAINÉ
tino adore ce Français pour lequel il a
inventé le terme « belmondisme ». www.michodiere.com
C’est l’itinéraire d’un enfant gâté par LOC. 01 86 47 68 62
ses dons qui est passé de la rive gauche M A G A S I N S F N A C / C A R R E F O U R / W W W. F N A C . C O M

s’installe à Montparnasse, dans un ate- aux Champs-Élysées. « Boxe, rire et

 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
36 CULTURE
QUAND FONTAINEBLEAU
SE LAISSE CONTER
AU CHÂTEAU,
UNE EXPOSITION EN FORME
DE DICTIONNAIRE AMOUREUX
DE TOPOGRAPHE MONTRE,
AUTANT PAR DES PLANS
QUE PAR DES VUES D’ARTISTES,
COMMENT LE PALAIS ET SON
DOMAINE N’ONT CESSÉ DE SE
MÉTAMORPHOSER À TRAVERS
LES SIÈCLES. CELA AFIN DE
TOUJOURS MIEUX FAIRE RÊVER.
ÉRIC BIÉTRY-RIVIERRE
ebietryrivierre@lefigaro.fr
Q
ue de mystères, d’ambitions
et de fantasmes qu’un
château. Prenez celui de
Fontainebleau. Comment
expliquer la complexité de
son architecture et la variété
de ses décors ? L’exposition conçue en
son sein par Vincent Cochet s’y emploie.
Ce conservateur en chef a écumé les
archives et collections d’arts graphiques
maisons pour retenir quelque 250 images
éloquentes, belles ou simplement
curieuses du domaine. Des plans, des
études de détails ou d’ensemble, ainsi que
deux grandes maquettes où sont restitués
des bâtiments disparus ou transformés.
Mais aussi, parmi ces dessins, aquarelles,
gouaches et estampes, des travaux
largement fictionnels. Où le château est
rêvé, plus ou moins ouvertement
magnifié.
Sont pareillement incluses des repré-
sentations de grands événements de la
monarchie française et des Premier et
Second Empires : baptême de Louis XIII,
cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit,
mariage de Louis XV, abdication de
Napoléon Ier, et encore réceptions de
princesses, chasses, feux d’artifice,
spectacles et jusqu’aux jeux aquatiques
avec gondoles et modèles réduits de
trois-mâts sur le grand canal. Les images
de ces mises en scène ont leur charge
fantasmatique propre. Loin d’être de
rigoureux comptes rendus, elles ont été
produites pour éblouir au moins autant
que pour le souvenir. Tous ces éléments
de différentes natures ont été rangés
comme les chapitres d’un dictionnaire
amoureux de topographe. Se trouvent en
effet successivement évoqués dans leur
histoire longue la cour ovale cœur
originel, les offices, le grand parterre, la
UN « CYRANO DE BERGERAC » QUI SENT TROP L’AIR DU TEMPS
MALGRÉ LA PERFORMANCE DE LAURENT LAFITTE À LA COMÉDIE-FRANÇAISE, L’AUDACIEUSE, MAIS SIRUPEUSE, MISE EN SCÈNE D’EMMANUEL DAUMAS MANQUE DE PANACHE.
ANTHONY PALOU apalou@lefigaro.fr
otre Cyrano national revient à
N la Comédie-Française. Il y est
entré en 1938 ; il ne l’a guère
quittée depuis. Cyrano est un
personnage comique, roman-
tique, lunaire. Ainsi, pouvons-nous l’in-
terpréter chacun à notre guise et les met-
teurs en scène aiment fourrer leur groin
humide dans ce chef-d’œuvre à la musi-
calité exquise et tirer du nez de leur héros
les vers qu’ils veulent bien entendre.
Plus de quinze ans après la mise en
scène de Denis Podalydès qui en mettait
plein la vue - grâce, entre autres, à la
scénographie d’Éric Ruf et aux costumes
de Christian Lacroix -, c’est au tour
d’Emmanuel Daumas de se piquer à ce
croc, de se frotter à ce monument
national, prince de la repartie et des dé-
clarations d’amour. Il y avait foule, l’autre
jour pour découvrir Laurent Lafitte dans
ce rôle qui peut être celui d’une vie, dans
le sens où tout comédien semble être
reconnaissant envers ce personnage qui
incarne à lui seul le théâtre français. Le
jouer, c’est, en quelque sorte, régler une
dette. S’en acquitter n’est pas sans risque.
Sur la scène, que voyons-nous ? Une
sorte de tertre. Derrière ce mamelon jau-
A
nâtre, un rideau à lamelles dorées. C’est
le décor qu’a choisi Emmanuel Daumas
cour de la fontaine, la cour d’honneur, le
jardin de la reine ainsi que les petits
jardins.
Ensemble, feuilles documentaires
comme compositions à visées princi-
palement de propagande ou de
délectation forment un parcours dense
mais émaillé de surprises et de beautés
souvent charmantes. Qui démontre que
plus qu’un monument de pierre affir-
mant la gloire du monarque, Fontaine-
bleau est un organisme vivant, déjà riche
de huit siècles de métamorphoses. Des
planches extraites des Plus excellents
Bastiments de France de l’architecte
Jacques Ier Androuet du Cerceau en 1579
aux premières photographies ou vues
stéréoscopiques, souvenirs et illus-
trations d’un XIXe siècle inventant le
tourisme moderne, le curieux passe
devant des plans relevant tantôt de la
gestion du palais, tantôt du cadastre.
Il découvre dans le détail les principaux
projets de modification ou de restau-
ration, tant des salles d’apparat que des
pièces plus intimes. Et enfin il admire les
relevés d’ornements laissés par des
artistes aussi différents que Pierre
Fontaine, Jean-Baptiste Isabey ou Eugène
Delacroix. Voici même des ambiances,
poésies des lieux délicatement
aquarellées par le romantique Antoine
Laurent Castellan par exemple.
« La nouvelle Rome
des rois de France »
Ayant été relié à la capitale par le chemin
de fer en 1849, Fontainebleau s’est alors
révélé de plus en plus propice à la prome-
nade et de moins en moins au cortège, au
protocole, à l’étiquette. Déjà sous Louis-
Philippe, et en l’absence de la cour, le pa-
lais était ouvert au public deux jours par
semaine et pendant les jours fériés.
Comme aujourd’hui, chacun pouvait s’y
amuser à pister les traces des intrigues de
la cour des Valois, la légende d’Henri IV
ou le souvenir de Napoléon Ier. En 1927
enfin, le palais était complètement
muséifié.
« Jusque-là, il avait été la plus ancienne
maison royale conservée et occupée sans
discontinuité, rappelle le commissaire. Au
Moyen Âge, la légende de la fontaine
découverte par le chien Bliaud, donnant
naissance à “Fontaine Belle Eau”, elle avait
ancré Fontainebleau dans sa dimension
mythique, celle de la nouvelle Rome des rois
de France. » En conséquence, au fil des
règnes, les trésors - merveilles d’arts
comme prouesses de bâtisseurs ou de
jardiniers - s’y sont concentrés en
strates. Certains projets mentionnés aux
cimaises ont été seulement envisagés,
d’autres réalisés en partie, d’autres
encore terminés ont complètement
disparu. Ainsi, cet Hercule, marbre re-
pour représenter l’Hôtel de Bourgogne,
où s’apprête à jouer le tartignolle Mont-
fleury (merveilleusement surinterprété
par un Nicolas Chupin attifé comme un
paon qui fait la roue). Partout, on mur-
mure, on s’agite, on guette l’arrivée de
Cyrano. Le voilà qui, suspendu à une
tyrolienne, traverse la scène ! Les specta-
teurs attendent la première saillie du hé-
ros, les premiers mots de Cyrano-Lafitte
s’adressant à Montfleury : « Coquin, ne
t’ai-je pas interdit pour un mois ? (…) »
De haut en bas.
La galerie de Diane, à Fontainebleau,
en 1839.
Napoléon Ier dans le salon de l’Abdication,
en 1840.
RMN-GRAND PALAIS/
ADRIEN DIDIERJEAN, JEAN-PIERRE LAGIEWSKI
Au côté de Laurent Lafitte
dans le rôle de Cyrano,
Jennifer Decker, qui interprète Roxane,
est la seule femme sur le plateau.
CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE,
COLL. COMÉDIE-FRANÇAISE.
haussé d’or du jeune Michel Ange acquis
par François Ier et qui agrémentait la cour
de la fontaine. On perd la trace de cette
statue sous Louis XV et on ne la connaît
plus que mentionnée en minuscule,
figure de détail dans quelques gravures,
vues à vol d’oiseau d’après Israël
Silvestre. La fontaine, avec à l’origine des
cariatides du Primatice, fournissait
autrefois l’eau à la table du roi. Elle se
trouvait donc en permanence gar-
Lafitte porte bien son éloquent appen-
dice qui accentue sa virilité. Il faut dire
qu’il doit se sentir bien seul parmi tous
ces acteurs qui semblent sortis d’un mau-
vais music-hall et qui ne lésinent pas sur
les manières. Cyrano-Lafitte a renoncé,
contrairement à la plupart de ses cama-
rades de jeu qui s’agitent, au grotesque. Il
n’est pas un acteur comique mais un co-
médien dramatique. Sa tirade tant atten-
due du nez n’impressionne pas. Au fil de
la représentation, on se rendra compte
que Lafitte se sent plus à l’aise dans le cal-
me que dans la tempête. Son Cyrano n’est
pas gouailleur. Plus raffiné que truculent.
Un arrogant mélancolique.
Décor dégoulinant
Puis nous entrons chez Ragueneau, le
maître en pâtés et gâteaux. Il est interprété
par un Laurent Stocker poétique au-delà
de l’éloge. Son talent s’impose dès qu’il
apparaît dans cette bonbonnière, couleurs
sucrées Barbie. Une ambiance écœurante
allégée un instant par une lune à la Méliès
descendue des cintres. Mais parlons plutôt
de Roxane et de Christian. La belle
Roxane, nièce de Richelieu, est parfai-
tement chez elle dans cette salle. Jennifer
Decker remporte le Rostand de la meil-
leure actrice. Cette comédienne a tous les
atouts, intelligence et élégance, pour in-
terpréter ce rôle qui n’est pas seulement
celui d’une godiche enamourée. Son ca-
diennée. Pourtant personne ne semble
avoir témoigné de sa déposition ou de sa
démolition.
De même, il ne resterait rien du
moulage réalisé par le Bolonais de la
monture de Marc-Aurèle sur le Capitole à
Rome. Ce plâtre monumental avait été,
lui, installé dans l’actuelle cour d’hon-
neur. Surtout, comment ne pas regretter
la galerie d’Ulysse, autre commande de
François Ier, disparue en 1738 ? Située à
l’emplacement de l’actuelle aile Louis XV,
sa longueur équivalait à deux fois celle de
la galerie des Glaces de Versailles ! Elle
avait nécessité près de trente années de
travail. Devant les dessins subsistants et
les gravures parfois d’imagination, on
devine qu’ils ne rendent que très impar-
faitement la magnificence atteinte.
Heureusement à Fontainebleau survit en
partie le chef-d’œuvre du maniérisme
italien tempéré sous nos latitudes : la
célébrissime galerie François Ier par Rosso
Fiorentino et Primatice. Sur place, sous la
scène dite de la « Vénus frustrée », on
remarque un morceau de fresque
encadré. Il représente le palais vers 1536.
C’est sa plus ancienne image. Quasiment
une icône, elle n’a pas été déplacée. ■
« Fontainebleau, portraits d’un château »,
au château de Fontainebleau (77),
jusqu’au 25 mars 2024. Catalogue In fine,
368 p., 49 €. Tél. : 01 60 71 50 60.
www.chateaudefontainebleau.fr
ractère rayonne sous les étoiles. Jennifer
Decker est la seule comédienne sur le pla-
teau. La duègne, la Bouquetière, les Sœurs
Marthe et Claire ou encore la Mère Mar-
guerite sont respectivement interprétées
par des hommes. Quant à Christian,
Yoann Gasiorowski fait très bien le beau.
Question : Cyrano serait-il tombé
amoureux de Christian au point de lui ser-
vir Roxane sur un plateau ? Ridicule ? Oh
oui pathétique. Quoi qu’il en soit,
Gasiorowski joue à l’unisson le côté ban-
cal de son personnage : beau et con à la
fois. La scène du baiser est splendide dans
sa simplicité. Il faudra donc attendre l’en-
tracte pour que notre vue soit débarrassée
de ce décor dégoulinant. Nous sommes au
siège d’Arras. Des lits superposés en fer
donnent le ton métallique de la guerre. Le
rôle du Comte de Guiche revient à Nicolas
Lormeau, qui sait se rendre menaçant. Un
frisson court le long de notre échine lors-
que s’éteint Cyrano. Lafitte s’écroule dans
la cape de son héros et nous pensons,
comme lui, que les désirs les plus simples
du monde – la vie, l’amour, le bonheur -
sont des désirs trop souvent contrariés.
Pauvre Cyrano, deux fois défiguré. Par
son nez et par cette mise en scène kitsch
et orientée. ■
Cyrano de Bergerac, à la Comédie-Française
(Paris 1er), jusqu’au 29 avril 2024.
www.comedie-francaise.fr.
Dans les cinémas Pathé le 25 janvier 2024.
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

TÉLÉVISION 37

AMBIANCE DE FIN DE RÈGNE POUR « THE CROWN »

LA SÉRIE SUR ELIZABETH II ARRIVE À SA CONCLUSION.
ENTRE ENTERREMENTS ET IMPOPULARITÉ, SA RELECTURE
DE L’HISTOIRE ROYALE EST PLUS FANTASQUE QU’À L’ACCOUTUMÉE.
POUR LE MEILLEUR MAIS PARFOIS, HÉLAS, POUR LE PIRE.
CONSTANCE JAMET £@constancejamet
bad boy fumant de la marijuana et cher-
chant la bagarre dans les pubs. Un garçon
qui lance à son aîné détesté des journalis-

’
est la fin d’une série hors tes : « Pour qu’on t’aime, encore faudrait-

C norme née il y a neuf ans.

Ce jeudi, Netflix met en li-
gne les six derniers épiso-
des de The Crown, sa saga
phare sur le règne d’Elizabeth II. Ces ulti-
mes volets courent de l’automne 1997,
après la mort de Diana, jusqu’au mariage
il être sympathique… »

de Charles et Camilla en avril 2005.
L’amour triompherait enfin sur le de-
voir… Entre-temps, Elizabeth II devra
enterrer sa sœur, la princesse Margaret,
puis leur mère, souffrir les velléités de ré- la plus totale, elle épaissit le mystère
forme de la monarchie par l’ambitieux
Tony Blair. De quoi faire flotter une at-
mosphère de fin de règne. Les flash-back
(dont un endiablé évoquant le 8 mai 1945
d’Elizabeth), les films de famille permet-
tent le retour de visages familiers, comme
si le regard fixait le rétroviseur en quête
de rêves, d’amours ou de jeunes-
se perdus. Ces souvenirs poi-
gnants tranchent avec l’austéri-
té, la grisaille du présent où la
mort rôde.
Cantonnée, jusque-là, à de la
figuration, la souveraine, jouée par Imel-
da Staunton, retrouve une place moins
périphérique. Sont imaginées la recons-
truction de William et Harry après la
tragédie, creuset des premières tensions
entre les princes. Le scénariste Peter
Morgan jure n’avoir jamais lu Le Sup-
pléant, les mémoires incendiaires de
Harry mais sa plume souligne le fossé
naissant entre un William, idole des jeu-
nes filles malgré lui, et un cadet punk,
Dramatisation grotesque
The Crown, comme avec le personnage de
Diana, gravite vers les jeunes générations
qui sont la sève vitale de cette dernière
ligne droite, élégante et soignée mais
claudicante, incapable de retrouver le
lustre des débuts avec Claire Foy et Olivia
Colman. La faute à une Imelda Staunton
terne et distante. Contrainte à la passivité
Elizabeth II plutôt que de l’éclaircir. La
comédienne ne laisse entrevoir que trop
tard la vie intérieure, la clairvoyance et la
facétie de la monarque.
Peter Morgan est plus inspiré pour re-
constituer la rencontre à l’université en-
tre William et Kate Middleton qu’il rejoue
avec un suspense incroyable fa-
çon Orgueil et Préjugés. Peu im-
porte la part de fiction, de réalité,
de ressemblance physique des
○○◐¡ interprètes (Ed McVey, Meg Bel-
lamy), le spectateur se laisse en-
traîner. C’est à la fois le génie et le talon Pour la saison six, Imelda Staunton et William. Entorse superflue à la réalité ; et s’applique à la princesse Margaret.
d’Achille de Morgan. Plus on se rappro- reprend le rôle de la reine Elizabeth II dans toutes ses interviews, le prince Autre idée de mise en scène incongrue
che des événements présents, plus les et Jonathan Pryce celui du prince Phillip. William a regretté que son épouse et sa qui tombe à plat : le cauchemar de la rei-
JUSTIN DOWNING/NETFLIX
concessions faites au nom de la dramati- mère ne se soient jamais vues. Plus tard, ne, qui imagine Tony et Cherie Blair
sation sautent aux yeux, parfois dans le le premier baiser entre les tourtereaux est usurpant la couronne. Pas encore mon-
plus grand grotesque. Le créateur, qui se interrompu par l’annonce de la mort de tré à la presse, l’épisode final marque le
targue de pousser les faits jusque dans Queen Mum. retour du réalisateur Stephen Daldry,
leurs derniers retranchements tout en Petite consolation, le fantôme de Dia- auteur de l’épisode pilote de The Crown.
restant crédible, rompt son contrat de na, innovation controversée des épiso- De quoi aiguiser notre curiosité à l’égard
confiance en imaginant une jeune Kate des sortis en novembre, n’est plus de cette conclusion qui entend rendre
croisant dans la rue, à l’hiver 1996, Diana convoqué. Toutefois, le dispositif revient hommage à Elizabeth II. ■

LES INCROYABLES HISTOIRES DES PIRATES D’INTERNET

SUR PLANÈTE+, « HACKERS STORIES » RACONTE LES DESSOUS DES PLUS GRANDES ESCROQUERIES DES CYBERCRIMINELS.
culière puisque les épisodes sont présentés
NICOLAS VOLLAIRE £@nicovollaire par un hackeur français repenti, qui se
surnomme lui-même avec humour Rab-
l était une fois des hackeurs (pirates, bin des bois, et est désormais reconverti
d’argent. Sa fortune amassée lui a permis bitcoin, Ulbricht empochait 10 % de
de s’offrir les plus belles voitures, ba- chaque transaction.
teaux et villas de luxe. Outrageusement Mais la reine de ces cyberarnaqueuses
bling-bling, Hushpuppi aimait se vanter reste sans aucun doute Ruja Ignatova.

I en anglais) sans foi ni loi qui avaient

La reine des cyberarnaqueuses, en fuite
depuis 2017, Ruja Ignatova fait partie
des dix personnes les plus recherchées
par le FBI. SHUTTERSTOCK/SIPA/
décidé d’utiliser le web pour parfaire
des arnaques plus invraisemblables
les unes que les autres. Détourne-
ment de millions de dollars, escroqueries
en bande organisée, tromperie sur les
données, piratage de boîtes mails : ces
braqueurs d’un nouveau genre ont utilisé
leurs compétences pour s’enrichir illéga-
lement. Devenus des cybercriminels de
renom, certains ont même connu la gloire
sur les réseaux sociaux. Ce sont ces histoi-
res que raconte le passionnant documen-
taire Hackers Stories, diffusé ce soir sur
Planète+. Avec une narration toute parti-
comme lanceur d’alerte face aux dangers
d’internet et à la manipulation des conte-
nus numériques. Affublé d’un chapeau, de
lunettes noires et d’un masque, il raconte
chaque histoire depuis sa cave éclairée par
les lueurs des écrans d’ordinateurs.
Le « Tony Montana
de la data »
Le premier épisode, consacré au hackeur
Hushpuppi, donne le ton. Ce trentenaire
nigérian, surnommé le « Tony Montana
de la data », a monté un réseau de cyber-
criminalité gigantesque spécialisé dans
les mails frauduleux et le blanchiment
de sa richesse sur les réseaux sociaux.
Trop, sans doute, aux yeux de la CIA qui
arrêtera l’escroc-influenceur à Dubaï en
2020.
De son côté, Ross Ulbricht a plutôt fait
profil bas pendant les trois années où il
a opéré le plus grand site internet de
Cette Bulgare de 42 ans, surnommée « la
crypto-queen », a créé le onecoin, une
cryptomonnaie censée concurrencer le
bitcoin qui ne verra… jamais le jour. Mais
son élégance et un certain charisme lui
avaient déjà permis de rassembler 4 mil-
liards de dollars auprès de 3 millions
vente de drogues au monde. Baptisé Silk d’investisseurs du monde entier. Rabbin
Road (route de la soie), son site était un des bois la qualifie de « mélange entre
marché libre où l’on pouvait acheter de Steve Jobs et Le Diable s’habille en
la drogue, des armes Prada ». En fuite depuis
ou encore des faux pa- 2017, Ruja Ignatova fait
piers en tout anony-
mat ! Accessible sur le
○○○¡
21.00 partie des dix personnes
les plus recherchées par le
dark web et payable en FBI. ■

MOTS CROISÉS Par Vincent Labbé SU DO KU

PROBLÈME N° 6474 1 2 3 4 5 6 7 8 GRILLE 4575 MOYEN GRILLE 4576 CHAMPION
HORIZONTALEMENT
1. Campanes dans les campagnes. - 2. Donne un nouvel 1
éclairage. - 3. Ses fleurs d’un bleu intense ne semblent
7 4 3 3 6
jamais vieillir, d’où son nom. - 4. Comble de malheur. 2
Montre des signes de détente. - 5. Férule persique. 5 3 8 5 4 9
Singe sur la plus haute branche. - 6. Exégètes du Coran. 3
- 7. Accord à la Maison blanche. Fabricant de bottes.
4
8 4 5 1 9 3 2
- 8. Rend professionnellement incapable. Fondateur de
l’Oratoire d’Italie. - 9. Place debout. Avant elle, le chaos. 5 5 6 2 7 6 8
- 10. Vit la vie en vers. Annonce un exemple. - 11.
Renseignement en ligne. - 12. Fournissait un colorant 6 3 7 2 3 7 2
jaune pour la teinturerie.

VERTICALEMENT
7 1 7 9 8 9 7
1. Rassemblements de sonneurs. - 2. Elle a tout le temps 8
ses règles. - 3. Ne fait plus aucun doute. Faisait peur aux 2 8 9 3 4 6 8 9 4
Romains et la terreur y régna naguère dans la Sonde. 9
- 4. Jaune dans la gêne. Mesure de petite capacité. 9 5 6 3 2 6 1 9
Bovidé qui montre patte blanche. - 5. Beau derrière 10
pour une reine. Cuvette d’eau où il est dangereux de 6 1 8 9 5 7
se baigner. Fait l’angle. - 6. Transformée à partir de 11
l’ammoniaque. L’an neuf en Asie. - 7. Boîtes de transport.
A la priorité. - 8. Vaut un demi-carat. 12
SOLUTION DU NUMÉRO PRÉCÉDENT MOTS À MOT
En regroupant et en mélangeant les lettres des
MOTS À CASER deux mots de trois lettres proposés, composez
L O C U S T E P E T O C H E 8 4 9 5 1 6 3 7 2 8 2 3 6 5 7 4 9 1 un troisième mot de six lettres.
SOLUTION DU PROBLÈME N° 6473
SOLUTION DU N°4573

SOLUTION DU N°4574

E P I C R U E L E B A T S 1 2 5 7 3 4 6 9 8 9 5 4 3 2 1 7 6 8
HORIZONTALEMENT 1. Principe. - 2. Reneiger. - 3. Ensor. Pi. - 4. T E T E E X P U L S E R T 3 7 6 2 9 8 4 1 5 6 1 7 8 4 9 2 5 3
TÉLÉCHARGEZ
Aïe. OL. - 5. Féminine. - 6. Fris. Pus. - 7. Nappe. - 8. Ava. Réer. - 9. L’APPLICATION
T R A C A S
R A D A R C
E
R
R
I
E
S P
S
E
I R
I D
2
9
8
3
4
7
6
1
7
4
9
5
1
2
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8
3
6
5
4
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6
9
2
2
5
1
9
3
8
6
3
8
1
4
7
DAM+ N E T = T
Notées. - 10. Clebs. SS. - 11. Heurtées. - 12. Irréelle.
5 6 1 8 2 3 9 4 7 1 3 8 4 7 6 9 2 5
VERTICALEMENT 1. Préaffranchi. - 2. Renier. Voler. - 3. Insémina-
I T E R A T I
S I L T O E
V
I
E
L
R
L E
B A R
R E O 6 9 3 4 8 7 5 2 1 7 8 5 9 6 4 1 3 2
BAT +N I D= N
A

teur. - 4. Néo. Isa. Èbre. - 5. Ciron. Preste. - 6. Ig. Lippes. El. - 7. Pep. MO L E C U L E A T O N A L 7 5 2 9 6 1 8 3 4 3 9 1 7 8 2 5 4 6
Nuée. Sel. - 8. Érines. Rosse. E N E R V E R O C M I L E 4 1 8 3 5 2 7 6 9 2 4 6 1 3 5 8 7 9 PAL +SOT = A

14_12_23_P2 1 13/11/2023 16:21

 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

38 TÉLÉVISION Tous les programmes

dans TV Magazine et sur l’appli TV Mag MÉTÉO PAR

ÉPHÉMÉRIDE Ste-Odile
À LA D EMA N D E Soleil : Lever 08h36 - Coucher 16h54 - Premier croissant de Lune

21.10 21.10 21.10 MATIN

Panda
Série. Humoristique
Fra. 2023. Saison 1. Avec Julien Doré,
Ophélia Kolb. (5 et 6/6). Inédit. Le
cadavre de la femme du propriétaire
d’un parc aquatique est découvert. Un
peu plus loin, un bébé, qui n’est autre
que celui de la femme de ménage, est
abandonné. Témoin de la scène de
crime, celle-ci a été kidnappée.
23.00 Camille & images. Div.
21.09
Love & Death
Série. Policière
Envoyé spécial
Magazine
Prés. : Élise Lucet. 1h50. Au som-
maire : «Le business des cagnottes».
Les plateformes de cagnottes en
ligne ont développé une activité : les
«cagnottes solidaires», destinées à
soutenir des œuvres caritatives. –
«Des trésors dans votre salon ?». –
«Les dernières notes de Colette».
23.00 Complément d’enquête. Mag.
20.55
Qu’est-ce qu’on
va faire de Jacques ?
Les bois maudits Radio Metronom 5
Téléilm. Policier 30
6
6 6 6
6 8
6 6
8
4 7 7
5
5
4 7 5
5
Fra. 2021. Réal. : Jean-Marc Rudnicki. Ana, 17 ans, rêve de liberté.
1h35. Avec Blandine Bellavoir. Dans la À Bucarest en 1972, ce n’est 50 5
forêt du massif de la Chartreuse, des pas un vain mot. Un soir, elle se 6
5
bûcherons découvrent le corps d’un rend à une fête chez un ami pour 5
homme suspendu dans les airs par un danser et écouter Metronom, 5 5
système de cordage. Justine Verard l’émission musicale que Radio 7 9
collabore avec Mehdi Djaoud. Free Europe difuse clandesti- 8
nement en Roumanie. Le groupe 10 6
22.45 Météo 8 9
d’amis décide même de contacter
22.54 La France en vrai. Doc.
l’antenne pour lui exprimer son 9 70
enthousiasme. C’est alors que
la securitate, la police secrète de 11
Ceaucescu, investit l’appartement APRÈS-MIDI
et embarque tout le monde. Ana
20.50 est accusée de réunion clandes-
30
8
Football : Ligue Europa tine et d’intelligence avec l’enne-
8
Sport mi. Mais elle refuse de céder à la
pression. Prix de la mise en scène 9 6 8
9 8
mérité à Cannes en 2022 pour
7 8
cette chronique du totalitarisme 12
soviétoïde, dont on ne rappellera 9 8 8
6
jamais assez les horreurs. 8
10 8 8
8

EU. 2023. Saison 1. Avec Elizabeth Téléilm. Dramatique 6e journée. Groupe B : Brighton & 7 9
Olsen, Jesse Plemons. (5 à 7/7). Fra. 2021. Réal. : Marie Garel-Weiss. Hove Albion - Marseille. En direct. 30 6 8
Inédit. Candy est interrogée par la 1h25. Avec Vincent Deniard. À la mort En l’emportant contre l’Ajax d’Ams- 12.00 Points de vue. 11 8
police. Elle admet qu’elle a eu une de leur père, trois frère et sœurs se terdam 4-3 lors de la 5e journée, le 18.30 Le Buzz TV.
12 17
liaison avec Allan, mais insiste sur son retrouvent démunis face à leurs qua- 30 novembre dernier, l’Olympique de Adeline Toniutti, professeur de 14
innocence dans le meurtre de Betty. trième frère, schizophrène, qu’il faut Marseille continue de perpétuer son chant dans « Star Academy », 12 9
désormais prendre en charge. ADN européen. sur TF1. Interviewée 12
23.42 Philippe Echaroux, le monde 13
par Sarah Lecœuvre 40
en lumières. Documentaire. 22.20 Life on Mars. Série. Aventures. 23.00 Arnaques ! Magazine. et Damien Canivez. 12
19.00 Bienvenue 15
en Île-de-France.
Présenté par Victoire Sikora.
T (en °c)

19.27 Touche pas à mon poste ! Div. 19.50 Marié(e) à tout prix. Div. 19.15 Quotidien. Divertissement. 21.00 <-10 à 0 0 à 10 10 à 20 20 à 30 30 à >40
A.LAZAROIU/ STOCK.ADOBE.COM

21.19 Y’a que la vérité 21.05 Cruella 21.25 L’agence :

qui compte (OU UEFA Europa League) l’immobilier de luxe en famille ALGER 13/16 AMSTERDAM 4/6 ATHÈNES 12/20
Magazine. Prés. : Pascal Bataille Film. Comédie. EU. 2021. Réal. : Craig Documentaire. Fra. 2023. Réal. : Mat- 8/18 9/10 2/4
BARCELONE BELGRADE BERLIN
et Laurent Fontaine. 1h49. Inédit. Gillespie. 2h14. Avec Emma Stone. thieu Valluet, Benoît Prudhomme.
De nouveaux participants sont au À Londres, une orpheline, résolue à 1h55. 2 épisodes. Tout au long de BERNE 4/6 BRUXELLES 5/6 BUDAPEST 4/8
rendez-vous de cette émission. se faire un nom dans la mode, se fait cette saison, les agents vont décou- COPENHAGUE -2/0 DUBLIN 7/9 LISBONNE 11/15
Au inal toujours le même suspense : remarquer par une créatrice inluente. vrir des lieux encore plus exclusifs. LONDRES 3/7 MADRID 3/11 PRAGUE 4/6
le rideau va-t-il s’ouvrir ? RABAT 11/17 ROME 12/14 TUNIS 14/16
23.20 Les 20 chansons de Florent 23.20 L’agence : l’immobilier de luxe
23.08 Y’a que la vérité qui compte. Mag. Pagny préférées des Français. en famille. Documentaire.
VENDREDI SAMEDI DIMANCHE
Les toits de Paris,
un patrimoine révélé 6/9 3/6
4/9
Documentaire.
20.04 C à vous la suite. Talk-show. 19.52 Wheeler Dealers France. Doc. 20.05 8 jours qui ont fait Rome. Doc. 6/10 3/6 6/9 2/5 3/8 1/5
22.30 Le Club Le Figaro Idées.
21.07 Tour Eifel, 21.10 Les routiers : profession 20.50 La vraie histoire Présenté par Eugénie Bastié.
7/9 2/7
le rêve d’un visionnaire chaufeur poids lourd des mousquetaires 1/7
Documentaire. Fra. 2023. Réal. : Pas- Documentaire. Fra. 2023. 1h25. La Documentaire. Fra. 2023. Réal. :
cal Cuissot. 1h33. Pour l’Exposition fureur des camions. Louane, jeune Katia Chapoutier. 0h50. Inédit.
Pour regarder 5/7 7/12 4/9 6/11 2/8 4/11
universelle de 1889, Gustave Eifel femme qui suivait des études de Dans notre imaginaire collectif, le Figaro TV ?
entreprend l’impossible : ériger au coifure, a tout arrêté pour se tourner les mousquetaires sont ceux décrits Canal 34 de la TNT
cœur de Paris le plus haut monument vers son autre passion : les camions. par Alexandre Dumas. en Île-de-France ou sur les box lachainemeteo.com
jamais construit par l’homme. SFR 468 Orange 345 Par téléphone : LIVE 24/24 Sur L’APPLI
22.35 Les routiers : profession 21.40 Magellan sur la route
GRATUITE
22.40 C ce soir. Talk-show. chaufeur poids lourd. Documentaire. des épices. Documentaire. Free 904 Bouygues 305 2,99 €/appel La Chaîne Météo

MOTS FLÉCHÉS DU FIGARO N°3703

MOUTARDE COUPE DE ENTRE- CANTON DIRECTION OUVRAGE SON TRUC, LIMI- ENVOL LETTRE AVOIR LA
JAPONAISE CIDRE LACÉ SUISSE NUL N’A À CLÉ TRÈS C’EST LA TROPHE GRECQUE BOUCHE
PU L’IDEN- INTERMÈ- ITALIEN EN
FRUITS SORTI DU COL- DES AU SAUCE À CHAIR TERRE DES TITRE À APPELÉ DE OUVERTE
USINER TIFIER MUSIQUE LONDRES
D’ÉTÉ VENTRE LECTIVISÉ THÉÂTRE L’AVOCAT FRAÎCHE RÉTAIS SES VŒUX TRIBUS
LAVAS QUELQUES
L’AFFRONT MOIS
LA LIMITE D’ATTENTE
DU BOIS ORNÉ
DIRIGEANT SUIT
SPORTIF L’ALTESSE
PEU PIED DU
FRÉQUENT VIGNOBLE
HECTARE POUFFE PRÉPA- PLUS ARGON
ANTIQUES RATION QUE NÉ- AU LABO
CHANTS JOUR DE D’ALCHI- CESSAIRE PLAN-
FUNÈBRES CONGÉ MISTE DORLOTE CHETTE
SENSATION FABLIER CLUB DE
DE PLAISIR DÉBUT SUR MADRID IL PROTÈGE
PAS UNE CELUI
SA TÊTE PLAQUE QUI COUD
TOURNE VIRTUEL CROCHETS
ESQUIVERA PEINTRE QUI A SANS
ALSACIEN DOUTE ÉTÉ VILLA
CHALEURS BEAUCOUP URBAINE
FIN AU MAROC
ANIMALES D’INFINITIF PORTÉ
EN L’AMI DE DÉCAPITE RAC- PRÉCISION
RAJOUTE CÉLESTINE L’ARBRE COURCI À DANS
TOUJOURS LIGUE PRÉNOM LA COUR L’EXÉ-
UN PEU DES USA RELAX CITÉ D’IRAK CUTION
A DES FILLE DE SOLUTION DU NUMÉRO PRÉCÉDENT
RAMES VIEUX CADMOS DEUX EN
SYMBOLE CHIFFRES E C R U N O G T T H O F E
CUIVRE DU DO FAMEUX ROMAINS N U M E R I S E O U R L E R E U S S I S S A N T
ABRÉGÉ ANONYME
R E C A S E V I N A L A C I S F I E O H
VOIES DU INDIQUE OBJET P E N I N S U L E S M I R A C U L E U S E S U E
SANG OU UNE POUR IL EST GAI ATTACHÉ
VONT SUR NOUVELLE BLOQUER COMME UN AVEC UNE E T C L I S E R E A U T R E S R A C E R
PINSON CORDE
L’EAU RÉPÉTITION LES ROUES S T I P U L E T A U D I T E P E I A I N E
L O I N T S A R I N E A P R E S D U R E T E
VOISIN VER MARIN
A

M O N T E R A L A N G U I R A P I L E
DU BAR- CARNAS- I N C U N I E M E I D E N T I T E S
RACUDA SIER
T R A H I S O N S E C L A T E R T A T

14_12_23_P1 3700 13/11/2023 16:20

 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

39
chaque Marocain et pour les visiteurs du
royaume qui découvrent toute sa diver-
sité. Sans lui, je n’aurais même pas bougé
une pierre. » La culture a été sa chance,

MEHDI QOTBI c’est par elle qu’il a pansé sa fêlure d’en-

fant raillé car les écoliers le prenaient
« pour un imbécile » à cause de son retard
sur le programme scolaire. Jusqu’au jour

LE RIRE ET LE PINCEAU où, tubes et pinceaux dans les mains, ce-

lui qui se prénommait alors Mohammed
a dessiné un tigre. C’est arrivé à l’ado-
lescence. Assistant à un défilé militaire,
- l’uniforme le fascine -, il ose alors
demander au ministre de la Défense
d’entrer au lycée militaire de Kenitra.
PORTRAIT L’INFLUENT « J’ai dormi
PRÉSIDENT DE LA FONDATION dans les rues de Paris »
NATIONALE DES MUSÉES L’expérience lui apporte « d’abord de la
nourriture », qu’il n’a pas chez lui, « en-
DU MAROC VIENT D’OUVRIR suite de la discipline », mais aussi des pots
de peinture alors qu’il y est scout, car un
UN NOUVEAU LIEU adjudant-chef lui demande un jour
D’EXPOSITION, À TANGER. d’« égayer un mur ». « Personne n’osait

FRANÇOIS BOUCHON / LE FIGARO

prendre les pinceaux ! Moi je les ai pris, et
MAIS C’EST AVANT TOUT j’ai commencé, sans savoir ce que j’allais
faire. Mais soudain, un silence s’est fait.
UN PEINTRE, AUQUEL L’IMA, J’ai reculé pour voir… J’avais peint un ti-
À PARIS, VA CONSACRER gre, qui était prêt à bondir ! Et là, pour la
première fois de ma vie, j’ai été considéré,
UNE RÉTROSPECTIVE. le regard de l’autre était posé sur moi
positivement, mes camarades ne me
tapaient plus, et je savais faire quelque
Valérie Sasportas chose qu’eux ne savaient pas. » Son
vsasportas@lefigaro.fr audace à aller vers l’autre va devenir sa
Maroc de Tahar Ben Jelloun. En 2010, ce nouvel espace d’art contemporain de la ture, à Marrakech, du Musée des force. « M’ouvrir a été une nécessité,
dernier l’a gratifié d’une préface à son kasbah de Tanger. La ville fait encore confluences Dar el-Bacha, qui avait d’abord pour survivre, puis pour pouvoir
beau libre Qotbi. Écrits et esprits (Édi- son actualité. souffert du séisme, le 8 septembre der- respirer au quotidien », confie-t-il.
tions du Chêne, 2010), éclairant sa pein- Un an après l’ouverture du Musée Dar nier. Avant d’annoncer l’inauguration L’homme s’est ouvert aux autres par
ture qui éclabousse d’autres couleurs les Niaba, Mehdi Qotbi veut mettre en de deux prochains musées, de l’art isla- le rire et le pinceau. « Ah ! J’aime ce rire,
est un petit homme murs rouges de son salon. On lit : « Me- lumière ce lieu situé « face à une syna- mique et de la culture juive, fin décem- qui emplit l’espace, sourit ce père de

C
au bras long et au
rire tonitruant. Un
Franco-Marocain à
l’exceptionnel en-
tregent. Président
de la fondation na-
tionale des musées
(FNM) du royaume chérifien, Mehdi
Qotbi, 72 ans, est d’abord peintre. Un
résilient. Sur la grande bibliothèque de
son salon parisien où il nous reçoit un
beau matin d’automne, les photos
prises en compagnie de stars du monde
politique, des arts et de la culture de
France, du Maroc et d’autres ailleurs,
s’imposent devant les livres. Jacques
Chirac, Emmanuel et Brigitte Macron,
Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, Yasser
Arafat, Audrey Azoulay, Jack Lang,
évidemment le roi Mohammed VI du
Maroc, le roi Hussein de Jordanie, mais
aussi Roman Polanski, Meghan Markle
et le prince Harry posent tout sourire à
ses côtés, soit parce qu’ils le décorent,
soit parce qu’il les reçoit. L’enfant
pauvre de Takaddoum, issu d’une
fratrie de neuf enfants dans ce quartier
de Rabat, est devenu l’un des person-
nages clé de la culture au Maroc, et il
s’enorgueillit, sans fausse modestie, de
son immense carnet d’adresses que
beaucoup lui envient.
Il a mis en fond sonore Oum Kalthoum
et servi une tasse de thé au jasmin fu-
mant sur le Dictionnaire amoureux du
hdi Qotbi, par son dynamisme au service gogue et adossé à une église ». Le « vivre bre à Fès. « Être un artiste franco-maro- deux filles qui s’émeut d’être grand-pè-
de son pays, a fait oublier l’artiste qu’il est. ensemble » cimente son édifice intime. Il cain va bien au-delà d’une catégorie re. Peut-être aussi parce que je suis petit
Et c’est dommage, car son travail de pein- se souvient des hommes d’Église qui l’ont administrative. C’est avoir cette manière et que j’ai envie de me faire remarquer,
tre mérite qu’on s’y arrête et qu’on l’ap- accueilli à son arrivée en France. « Je suis de parler, d’alterner la langue qui ap- inconsciemment. Mais ce rire, c’est pour
précie pour ce qu’il illustre : une inquiétude musulman, pratiquant, mais c’est parce porte de la couleur. Par sa personne, son dire combien je suis reconnaissant au bon
quasi obsessionnelle se jouant des signes, que je suis croyant et que ma croyance est œuvre, c’est inventer une autre réalité », Dieu de m’avoir comblé de tout ce que j’ai
les enchaînant les uns aux autres jusqu’à totale que je respecte ce que Dieu a créé », poursuit l’ancien ministre de la Culture. aujourd’hui parce que, quand je vois d’où
l’infini. D’où vient cet entêtement qui crée confie-t-il. « Tous deux, nous croyons au Et de s’exclamer : « Son histoire est in- je viens, j’ai quand même dormi dans des
de l’ivresse, de l’enchantement et parfois syncrétisme, à la puissance de l’entremêle- croyable ! Et cette relation d’affection, de rues à Paris… Je Lui dois bien cette recon-
donne le vertige ? » ment des cultures. Aujourd’hui, c’est fon- confiance qu’il a avec Mohammed VI… » naissance. » Ses rencontres ont agi sur
Face à nous, Mehdi Qotbi égraine damental », note encore Jack Lang. Mehdi Qotbi voue à son roi une lui comme des révélateurs. Il parle de
d’autres grands noms de la littérature et Le Musée Dar Niaba abrita le premier reconnaissance éternelle. Il souligne chacune comme d’un compagnonnage,
de la poésie, Yves Bonnefoy, Aimé consulat de France dans le pays, avec emphase, comme s’il déclamait dans son travail mais aussi « dans
Césaire, Salah Stétié, Léopold Sédar « Delacroix y a séjourné un mois » ; il soudain un discours officiel : « En dix ans l’approfondissement et la connaissance
Senghor, Jean d’Ormesson… Qotbi a expose aujourd’hui 350 œuvres et objets d’existence de la Fondation nationale des des subtilités de la langue française ».
peint leurs mots, il les a fait danser, a « d’artistes voyageurs » rassemblés par musées, Sa Majesté a eu cette lumière Mehdi Qotbi a enseigné durant trente
transcendé le langage en traits, courbes un Français, Didier Sentis de Mon- exceptionnelle de la créer et de me donner ans l’art plastique. Et dans ses entrelacs
et signes, en lignes serrées comme les toussy, qui en a fait don. Et puis le prési- un bonheur infini de pouvoir la servir, de chromatiques sur une calligraphie
fils des tapis tissés par sa mère, qui ne dent de la FNM se réjouit de la réouver- servir la culture, qu’il a mise à la portée de arabe, l’ancien dyslexique « désécrit ». ■
savait pas lire. Ces écrivains l’ont
honoré de lettres dont il se délecte de
« la reconnaissance » - ce mot qui lui est
cher -, et qu’il a compilées dans un
autre beau livre de la collection
« Moroccan Art Book ».
Pour ses 55 ans de peinture, en
octobre prochain, l’Institut du monde
arabe (IMA) à Paris va lui consacrer une
rétrospective. Un biopic aussi est en présente
préparation. « C’est une boule d’énergie !
Un artiste, un érudit, passionné par la
France et le Maroc , s’enthousiasme Jack
Lang, président de l’IMA, qui, pour la À tous les amoureux de la langue française :
UN COFFRET À OFFRIR OU À S’OFFRIR
première fois, a fait sortir des pièces de
sa collection pour les exposer dans le

UN DERNIER MOT Par Étienne de Montety

edemontety@lefigaro.fr

Vitrail (vi-trall, ll mouillées) n. m.

Ouverture qui peut devenir une fenêtre de tir.
n débat a lieu sur le remplacement de vitraux à Notre-Dame de Paris.

U Le mot vient du latin vitrum : un vitrail est une mosaïque de morceaux

de verres colorés. Dans de nombreux édifices, cette composition
tient lieu à la fois de vitrage et de décoration.
Le débat est simple : faut-il remonter les vitraux de Viollet-le-Duc ou en profiter
pour innover ? Lui-même n’était pas un saint de vitrail et, en son temps,
son œuvre de restauration fut, elle aussi, controversée ; dans les mêmes termes.
On craint que la polémique n’enfle vite, nourrie comme souvent avec des arguments
au vitriol, qui n’ont qu’un effet : paralyser proprement la discussion sur ce qui
est opportun et ce qui ne l’est pas : une sorte de vitrification du sujet.
Il faut dire que Notre-Dame de Paris est une vitrine de la France et de l’Église
catholique. Des vitraux trop audacieux lui donneraient une mine vitreuse.
Si on pouvait éviter une polémique, sa santé s’en trouverait préservée. Elle est fragile.
Comme du verre. ■

FIGARO-CI ... FIGARO-LÀ

SÉBASTIEN SORIANO/LE FIGARO

« Marie Curie habite dans le Morbihan »,

prix du livre d’économie 2023
C’est finalement Xavier Jaravel (notre photo), professeur
d’économie à la London School of Economics, qui a été
couronné, ce mercredi, par le jury du prix du livre
d’économie créé en 1999 par Luce Perrot et présidé par 100 mots à connaître pour 100 mots et expressions 100 fautes de français
Marc Ladreit de Lacharrière. Les jurés, des journalistes rehausser un discours employés à mauvais escient qui nous agacent
réunis au ministère de l’Économie pour la circonstance,
ont préféré son ouvrage à celui de Marion van Renterghem, qui a écrit Le Piège
Nord Stream (Éditions les Arènes). Dans Marie Curie habite dans le Morbihan
(Le Seuil), Xavier Jaravel développe la thèse selon laquelle l’innovation,
moteur de la croissance, est un impératif pour assurer la transition écologique.
Il propose des solutions pour qu’elle soit moins confisquée par une petite élite 21,90€ ACTUELLEMENT DISPONIBLE
Chez tous les marchands de journaux, librairies et sur www.figarostore.fr
A

entrepreneuriale peu représentative de la population.

 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO - N° 24669 - Cahier N° 4 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr
La vogue
des fac-similés
YULIYA - STOCK.ADOBE.COM, GALLIMARD ; FRANÇOIS BOUCHON / LE FIGARO ; PAUL DELORT/LE FIGARO
Photomontage à partir
d’une page du manuscrit
de Mort à crédit de Céline,
publié chez Gallimard.
Les éditeurs remettent à l’honneur des manuscrits d’écrivains et d’artistes. PAGES 2 ET 3
Les grandes heures d’une cathédrale
L’
ÉVÉNEMENT est dans toutes
les mémoires, le 15 avril
2019, la cathédrale Notre-
Dame était en flammes. À
peine éteintes les braises de
l’émotion, un débat s’amorçait déjà
sur sa reconstruction, notamment
celle de sa flèche. Paradoxalement,
le vieux vaisseau amarré depuis mil-
le ans aux flancs de Paris reprenait
vie, en ce sens que tout le monde le
regardait à nouveau et donnait son
avis : fallait-il reconstruire à l’iden-
tique, profiter de la tragédie pour
innover. Les mânes de Viollet-le-
Duc étaient convoqués, pour défen-
dre le statu quo ou prôner l’audace.
Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y
croyait pas, tout un chacun reven-
diquait dans son histoire « quelque
chose de Notre-Dame ».
La lecture du livre de Maryvonne de Saint
Pulgent ne dissipera pas ce sentiment. En un
brillant essai, dense et passionnant, l’ancien-
ne directrice du Patrimoine montre aisément
que la cathédrale de Paris est indissociable de
l’histoire politique, religieuse, diplomatique,
artistique de la France. Histoire romanesque
aussi, avec Victor Hugo. Celui-ci est à l’origi-
ne de l’entrée en littérature de Notre-Dame,
mais également d’un « fantasme » puisque la
cathédrale est considérée par certains com-
me un grand livre de l’occultisme.
SPÉCIAL LIVRES CADEAUX
LITTÉRATURE, CUISINE, BEAUX ARTS, BD,
CONTES POUR ENFANTS : NOTRE SÉLECTION
D’OUVRAGES À OFFRIR ! PAGES 1 À 10
LA CHRONIQUE
d’Étienne
de Montety
On ne soupçonnait pas non plus que l’édifi-
ce fût à ce point au cœur de tant de contro-
verses entre rois, évêques, papes. École
française, Rome, théologiens de diverses
chaires, le lieu fut le témoin de controver-
ses, et nul ne s’étonnera que le grand Abé-
lard fût l’un des mitrons de « ce four où se
cuit le pain de la chrétienté », dont parlera
Paul VI.
Il ressort de ce livre magistral que, sublime
écrin d’une réalité surnaturelle, Notre-Da-
me est depuis des siècles un monument en
lefigaro.fr/livres
Retrouvez
« Le Figaro
littéraire »
le 4 janvier
g
devenir permanent : les enjeux de patri- « André Comte-Sponville relève le pari
moine, de conservation et de création, ne de nous aider à accepter l’inacceptable. »
datent pas de Malraux, tous les régimes s’en
occupèrent, désireux d’appuyer leur gloire Augustin Trapenard, La Grande Librairie
incertaine sur celle, plus durable, du chef-
d’œuvre de l’île de la Cité.
L’auteur a tous les talents : son récit
de la nuit du 15 avril est celui d’un
grand reporter, celui des tribulations
entre le pouvoir royal et celui des
clercs, entre gallicans et ultramon-
tains sont d’une historienne scrupu-
leuse. Et celui des heurs et malheurs
de Viollet ? D’une conteuse qui ins-
truit toujours, et n’ennuie jamais. On
ne tient pas un « beau livre » au sens
où on l’entend d’un ouvrage impo-
sant composé de magnifiques illus-
trations commentées. Ici, le propos
d’une érudite est soutenu par des
photos de l’édifice ou des protagonis-
tes de sa geste.
Et ce faisant, l’on peut sans risque avancer
qu’aux yeux du lecteur, Maryvonne de Saint
Pulgent ajoute quelques rayons de lumière à
la gloire de Notre-Dame. ■
LA GLOIRE DE NOTRE-DAME.
LA FOI ET LE POUVOIR
De Maryvonne de Saint Pulgent,
Gallimard,
445 p., 32 €.
A
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
L'ÉVÉNEMENT
Littéraire
Proust : homme
de lettres innombrables
ÉTIENNE DE MONTETY
edemontety@lefigaro.fr
C’
EST l’autre grand
œuvre de Proust. À
côté de la Recher-
che, il y a sa cor-
respondance, soit
plus de 5 000 lettres courant sur
près d’un demi-siècle – et il se dit
qu’il y en aurait eu quatre fois plus.
Proust vivait plume à la main,
adonné soit à son roman et son
inlassable correction, soit à ses
innombrables correspondants,
mère, frère, amis, relations mon-
daines. Une sorte de va-et-vient
entre le monde extérieur et le
monde intérieur dont on trouve
par exemple l’expression dans une
lettre à son ami Antoine Bibesco :
« Je voudrais te dire un peu ce qui se
passe mais je vis tellement dans mes
livres. » Les spécialistes ont obser-
vé d’ailleurs la place de la corres-
pondance dans la Recherche. Les
lettres jouent un rôle essentiel
dans l’établissement de la relation
Swann-Odette, comme dans celle
du narrateur avec Gilberte. Les
mots couchés sur le papier pren-
nent un autre relief qu’une répli-
que orale.
Cathédrale de papier
Preuve de l’entrelacs entre l’épis-
tolier et le romancier, cette anec-
dote célèbre : une lettre adressée à
son ami Alfred Agostinelli et qui ne
parvint jamais à son destinataire
pour cause de décès fut reprise in
extenso (quoique maquillée) dans
Albertine disparue.
À cette autre cathédrale de pa-
pier, ici éditée en papier bible dans
un volume doré sur tranche, com-
me un missel, il fallait un bénédic-
tin qui assurât le travail de colla-
tionnement, de datation,
d’annotation. Il s’appelait Philip
Kolb ; à cet universitaire améri-
cain, tous les proustiens vouent
une reconnaissance éternelle, tant
il se fit sa vie durant l’archéologue
obstiné de Marcel épistolier. Il re-
trouva nombre de destinataires et
récupéra les lettres. Ce fut l’œuvre
de sa vie.
Son édition de la correspondan-
ce (parue entre 1970 et 1993) paraît
Cocteau : sa vie, son œuvre, ses amis
THIERRY CLERMONT
tclermont@lefigaro.fr
L
E PURGATOIRE n’a pas
voulu de lui, le Paradis
non plus. L’Enfer, n’en
parlons pas. Soixante ans
après sa disparition, le
11 octobre 1963 à Milly-la-Forêt,
Jean Cocteau continue d’être lu et
vu, s’attirant au fil des générations
de nouveaux lecteurs qui décou-
vrent aussi bien ses ouvrages classi-
ques, ses dessins, ses films, son
théâtre, que des textes inédits qui
n’ont rien d’anecdotique. On pense
bien sûr à son volumineux et imper-
tinent Journal posthume en sept vo-
lumes, Le Passé défini, publié chez
Gallimard, entre 1983 et 2013.
En cette fin d’automne, marquée
par une riche actualité éditoriale, on
aura ainsi le choix entre un magnifi-
que album illustré publié aux Édi-
tions des Saints-Pères (Chambres
avec vues) ; la publication de sa
correspondance inédite (chez Albin
Michel) avec son amant Jean
Desbordes, romancier et résistant ;
une sélection de lettres adressées à sa
mère (Mercure de France) ; un cof-
fret rassemblant La Belle et la Bête,
Poèmes et Le Foyer des artistes (Édi-
tions du Rocher), sans oublier Maison
de santé (que publie Fata Morgana),
où l’on découvre trente dessins iné-
A
dits réalisés lors de sa première cure
de désintoxication à l’opium.
De la main de
dossier
Des manuscrits
de grands
écrivains
en coffret, assortie de fac-similés
des courriers de Proust ou de ses
correspondants. Ces milliers de
pages font plonger dans un monde
enfui. Proust sait être chroniqueur
et d’un peintre,
(ne le fut-il pas à ses débuts dans
Le Figaro ?). Lire le jeune gandin
sont reproduits
ou l’homme souffrant recevant
dans son lit, c’est prendre des dans de superbes
nouvelles du Tout-Paris d’alors,
des duchesses, des écrivains, des éditions.
patrons de presse, des éditeurs, qui
furent un temps son quotidien.
C’est apprendre des anecdotes
dont Kolb, dans son édition, nous
dit l’usage qu’en fit l’auteur de la
Recherche en composant ses per-
sonnages et ses situations.
Il ne nous semble pas qu’on
trouve dans cette correspondance
le fossé existant entre l’homme
Flaubert, « hénaurme », et l’écri-
vain de Madame Bovary, polissant
inlassablement son style.
Marcel Proust est bien là avec
son tempérament inquiet, fébrile,
ardent, procrastinant, gémissant,
sollicitant. Ses lettres sont des
échos de ce qu’on retrouvera chez
son narrateur. L’écriture manus-
crite, quand elle est reproduite, dit
assez son état d’esprit du moment,
apaisé ou agité.
La Recherche est aujourd’hui
comme figée dans l’histoire de la
littérature : elle est prise dans le
marbre du chef-d’œuvre. Dans les
lettres que nous lisons, c’est en-
core une œuvre en cours de créa-
tion dont nous observons l’évo-
lution, le caractère encore
incertain. Les lettres à Lucien
Daudet, à Montesquiou, à
Billy, à Grasset disent assez
ses efforts pour la mener à
bien, mais aussi pour la faire
connaître. Proust était un
génie. Il n’en fut pas moins
homme de lettres. ■
CORRESPONDANCE
INTÉGRALE
De Marcel Proust.
Coffret 5 volumes,
Plon, 495 €.
Séparément,
chaque volume
de 2 000 p., 99 €.
Ajoutons à cet ensemble un gros dou », Serge de Diaghilev, Jean Des-
pavé où sont réunies ses œuvres pu- bordes et Jean Marais, Erik Satie et
CHAMBRES AVEC VUES
bliées jadis chez Grasset, et brillam- autres musiciens du Groupe des Six
De Jean Cocteau,
ment préfacé par Charles Dantzig. qu’il avait chapeautés, avec le succès présenté par Dominique Marny,
Dans ce dernier, qui constitue la porte que l’on sait. Éditions des Saints-Pères,
d’entrée idéale dans l’univers de Coc- Et Dominique Marny de rappeler 304 p., 200 €
teau (avec Les Enfants terribles, le ce mot de l’auteur du Potomak : « Ma
Journal d’un inconnu et les superbes légende éloigne les sots. L’intelligence
Portraits-souvenir), on trouvera en me suspecte. Que me reste-t-il entre
prime les passionnants articles de les deux ? » ■
presse inédits en volume, publiés en
1919, où le poète touche-à-tout évo-
que Igor Stravinsky, Reverdy, Apolli-
naire, Picasso, Mistinguett et le jazz
naissant, du temps du Bœuf sur le toit.
« Inconnu célèbre »
Dans Chambres avec vues, Dominique
Marny déroule en mots et en images
la vie et l’œuvre de Cocteau, cet « in-
connu célèbre » qui a côtoyé toutes les
avant-gardes, au fil de la chronolo-
gie, et sur la thématique de la cham-
bre, « espace d’aventures et de pro-
messes, de dangers et de drames (…)
partie intégrante de sa création ».
Extraits de ses œuvres, correspon-
dance, tableaux, dessins et cro-
quis, photos, documents inédits,
font de cet album une véritable
galerie doublée d’un cabinet de
curiosités, où l’on retrouve, en-
tre Paris, l’Italie, la Côte d’Azur
et Milly-la-Forêt, Anna de
Noailles, Raymond Radiguet
(mort à il y a cent ans), José-
phine Baker, Louise de Vil-
morin, son amant « Dou-

l’artiste
Céline : les 1 633 feuillets
de son « monstre affreux »
BRUNO CORTY
bcorty@lefigaro.fr
N
OUS voici encore
«
seuls. Tout cela est
si lent, si lourd, si
triste… Bientôt je
serai vieux. Et ce
sera enfin fini. Il est venu tant de mon-
de dans ma chambre. Ils ont dit des
choses. Ils ne m’ont pas dit grand-
chose. Ils sont partis. Ils sont devenus
vieux, misérables et lents chacun dans
un coin du monde. »
Ainsi débute, magnifiquement, le
deuxième roman de Louis-Ferdinand
Céline, Mort à crédit, écrit entre 1933
et 1936, date de sa parution, soit qua-
tre ans après Voyage au bout de la nuit.
À l’été 2021, quand furent retrou-
vés 6 000 feuillets de Céline, un en-
semble de manuscrits volés en 1944,
on a très vite compris que cette dé-
couverte s’apparentait à l’ouverture
de la caverne d’Ali Baba. En plus des
manuscrits de Guerre, de Londres, de
La Volonté du Roi Krogold et
600 feuillets de Casse-pipe, figuraient
1 633 feuillets autographes de Mort à
crédit.
Delacroix : dans un carnet,
les merveilles du monde
ARIANE BAVELIER
abavelier@lefigaro.fr
D
ELACROIX sort un
carnet, croque, note, y
revient pour mettre
les couleurs. La mer-
veille, c’est l’instant.
Celui propre au peintre : pas tant ce
qu’il observe et que ses grands ta-
bleaux exposent, mais comment il
observe, ce qu’il retient, la manière
dont il regarde une couleur, un re-
lief, une scène, et ce geste qui lie
l’œil à la main. Le secret du peintre
est entier dans ce
coffret de fac-
similés des carnets
publié par Citadel-
le et Mazenod.
« La plupart des
feuilles ont été cou-
vertes en marche,
sur le pommeau de
la selle ou sous
l’ombre des fi-
guiers, aux haltes
et le soir, quand
tout le monde dor-
mait accablé de fa-
tigue, repassées à
l’aquarelle dans le
silence de la ten-
te », écrit le
duc de Mor-
ny. C’est
lui l’artisan
du voyage.
Louis Phi-
lippe en a
fait l’en-
voyé extra-
Tous ont été publiés en 2022 et
2023, dans la blanche et/ou en
« Pléiade ». Ne restait que Mort à cré-
dit. Voici, dans une magnifique édi-
tion, en coffret marqué à chaud, le
fac-similé intégral du manuscrit
autographe accompagné d’un volu-
me de la transcription effectuée et
présentée par Pascal Fouché. Avec un
tirage limité à 999 exemplaires, cet
objet est une rareté.
C’est aussi, comme l’explique très
bien le maître d’œuvre de ce coffret,
un document unique qui permet de
mieux comprendre la méthode de
travail de Céline sur un texte qui
l’aura fait tellement souffrir. Le 18 fé-
vrier 1936, il écrivait : « Je fignole la
fin finale de mon monstre affreux. » Il
escompte des ventes colossales :
« Sans un énorme flouze je ne recom-
mencerais jamais ! J’ai failli cette fois
en crever. »
Après le succès du Voyage, Céline
voulait écrire non pas autre chose (on
restera toujours dans l’autobiogra-
phie, ici l’enfance de Ferdinand),
mais se démarquer de la forme classi-
que de son premier roman. Comme le
soulignait Henri
ordinaire de la France au Maroc, au
moment où Abd El Kader en Algérie
bataille contre le joug français. Par
hasard, Morny a fait la connaissan-
ce du peintre au Palais Garnier. Il
travaillait sur un décor. On le lui a
décrit comme « un jeune peintre
ayant du talent, de l’esprit et un ex-
cellent caractère ». L’idéal pour un
compagnon de voyage, en somme.
Les deux hommes quittent Paris
pour Toulon où ils s’embarquent sur
La Perle le 10 janvier 1832. Le 24, ils
atteignent Tanger. Delacroix tire un
carnet de sa malle. Il en a sept. Au
cours de son voyage qui durera sept
mois, il dessine sur le premier qui
lui tombe sous la main et l’ouvre au
hasard.
Collection d’impressions
Le jeune peintre est saisi. « Notre
science, notre recherche de nouveau-
tés est le résultat d’un esprit brouillon
et de notre inquiétude à la différence
de leur ignorance qui fait leur calme
et leur bonheur », écrit-il. Ce qu’il
découvre n’a rien à voir avec les
chairs lascives d’odalisques et la su-
périorité européenne célébrées par
les orientalistes. Les femmes sont
couvertes d’étoffes. Elles ont l’œil
souligné de kohl. Les maisons en
ruine contrastent avec la splendeur
des scènes de rue gorgées de vie, de
couleurs, de tapis, de céramiques,
de narguilés. Éblouissement des
fantasias, des chevaux, saisissement
de l’étrange manège de convulsion-
naires chavirés de kif par la fente
d’un parquet, émotion des mariages
juifs. Le peintre se trouve dans cette
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
L'ÉVÉNEMENT
Littéraire
Godard, il y a dans ce deuxième ro-
man « une innovation qui touche au
fondement de la langue ».
Aucun plan de travail ne figurait
dans ce manuscrit retrouvé. « On ne
dispose pas pour Céline des documents
préparatoires que l’on retrouve chez
certains écrivains, synopsis ou simples
notes, plans plus ou moins détaillés »,
affirme Pascal Fouché. Pour autant,
suivre pas à pas les retouches de Des-
touches, ses amendements, ses cou-
pes, passages ou mots biffés est une
expérience passionnante.
“seuls.
Nous voici encore
Tout cela est si
lent, si lourd, si triste…
Bientôt je serai vieux.
”
Et ce sera enfin fini
LOUIS-FERDINAND CÉLINE,
DANS MORT À CRÉDIT
Le spécialiste, qui a travaillé sur les
6 000 feuillets retrouvés en 2021 et
sur leur édition en « Pléiade », achève
son introduction par ces mots emplis
de respect : « Rendons grâce à
l’auteur d’avoir pris soin de conserver,
de son extraordinaire labeur, un aussi
substantiel témoignage, dont la révé-
lation permet aujourd’hui de mesurer
mieux encore l’intention et la portée
- comme on aime à le faire avec les
travaux préparatoires de tous les maî-
tres des arts et des lettres et de leurs
plus grands chefs-d’œuvre. » ■
MORT À CRÉDIT
De Louis-Ferdinand Céline,
fac-similé et transcription établie,
annotée et présentée
par Pascal Fouché,
Gallimard « Albums Beaux
Livres », coffret, 1 712 p., 450 €.
Tirage limité à 999 exemplaires
numérotés.
explosion de vie, il y puise une ins-
piration propre qui guidera désor-
mais son œuvre. En visite à la ca-
thédrale de Cologne, il la compare
avec les mosquées-cathédrales
d’Andalousie qu’il a découvertes en
rentrant du Maroc. « On n’est plus
dans la supériorité culturelle du
voyageur étranger mais dans la sin-
gularité de la culture marocaine »,
remarque Michèle Hannoosh, his-
torienne de l’art qui analyse les car-
nets, dans le passionnant volume
introductif du coffret.
Sa vie durant, Delacroix garde ses
carnets et les consulte. Ils lui ser-
vent d’aide-mémoire, de collection
d’impressions, thèmes, sujets, mo-
PLON ; GALLIMARD ; FRANÇOIS BOUCHON / LE FIGARO ; PAUL DELORT/ LE FIGARO
tifs, formes, dont il se ressert pour
composer ses grandes toiles. Et re-
mettre à l’échelle ce qu’il découvre
ailleurs. À sa mort, dans la disper-
sion de son atelier, les carnets sont
pour la plupart rachetés par des ar-
tistes qui ont pris auprès du maître
la magistrale leçon de « naturel »
révélée par « ces fils du soleil ». Le
Louvre, le Musée de Chantilly, le
Musée orientaliste de Doha les dé-
tiennent aujourd’hui. L’un d’entre
eux reste en mains privées. Le sep-
tième n’est jamais réapparu. ■
CARNETS DE VOYAGE AU
MAGHREB ET EN ANDALOUSIE
D’Eugène Delacroix, coffret
de six carnets en fac-similé édités
ensemble pour la première fois,
A
Citadelles & Mazenod,
288 p., 690 €.
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
4 Jésus et l’IA
LIVRES
CADEAUX
Le porche du mystère
Bande dessinée L’histoire de Rimbaud, Verlaine et Germain Nouveau,
trois poètes en quête de l’essentiel.
ASTRID DE LARMINAT
adelarminat@lefigaro.fr
N COUVERTURE et en
E clair-obscur, la silhouet-
te de trois jeunes hom-
mes, bras dessus bras
dessous, ivres. En titre et
en majuscule : Les Illuminés. Rim-
baud, Verlaine et Germain Nou-
veau. Trois poètes. Un instant, on a
craint que cette BD ne nous serve
une énième version de l’affaire
passionnelle entre Rimbaud et Ver-
laine. Il en est question certes, mais
cela va bien plus loin. Le prologue
donne le ton. Dans un grand silen-
ce, le porche gothique d’une cathé-
drale ciselé dans un fondu de blanc
et d’ocre occupe toute la surface
des premières doubles pages. Pre-
mier plan : dans le coin à gauche,
un petit personnage, chapeau, bâ-
ton, besace, se dirige vers le por-
Eva fait une thérapie de choc
Debout sur le toit d’un immeuble
de Barcelone, à la hauteur
des flèches de la Sagrada Familia,
Eva, belle et souveraine, regarde
dans le vide. En contrebas, sur une
terrasse, un homme effaré, barbe
et lunettes, la supplie
de descendre.
Psychiatre, il a été
désigné pour évaluer
l’état mental de la jeune
femme, l’une
de ses collègues, jugée
excentrique par certains.
D’emblée, on l’aime,
cette Eva. Silhouette
de mannequin, allure
de cow-girl urbaine,
cheveux en pétard,
minois enfantin,
QI de compétition, JE SUIS
extravagante LEUR SILENCE
et irrévérencieuse. De Jordi Lafebre,
Une fonceuse Dargaud,
et une rêveuse. Folle ? 112 p., 19,99€.
Non, se défend-elle :
les trois femmes avec lesquelles
elle dialogue intérieurement ne sont
pas des hallucinations, mais ses
tantes et sa grand-mère défuntes
qui l’ont élevée et auxquelles
elle pense. Cette BD de Jordi
A
Lafebre, auteur-dessinateur
barcelonais, pourrait faire penser à la
À manque pas d’air et n’a décidé-
LIRE
che. Deuxième plan : le voilà assis
sur le côté, une assiette devant lui
pour demander l’aumône, tandis
qu’une femme s’avance. Troisième
plan : l’homme regarde la femme
ouvrir la porte de l’église. Cette en-
trée en matière, on le comprendra à
la fin, est l’épilogue de l’histoire qui
va commencer. Il faudra attendre
les dernières pages pour découvrir
qui est ce glorieux mendiant inspiré
par un autre clochard divin, saint
Benoît Joseph Labre.
Un jeune homme pur
En attendant, un jour de septembre
1872, voici Germain Nouveau, qui
découvre Paris, arrivant d’Aix-en-
Provence, un jeune homme pur qui
rêve d’être poète. Et voilà, outre-
Manche, Rimbaud et Verlaine dans
le train pour Londres qui parlent de
poésie. Verlaine, anxieux. Rim-
baud, ombrageux. La narration est à
série française HPI. Mais non.
C’est autrement percutant, plus
subtil, esthétiquement acéré
et enlevé, violent comme un roman
noir malgré les couleurs acidulées
et la ligne claire pétaradante
du dessin. Le récit
se déploie depuis
le cabinet du psy
qui demande à Eva
de lui raconter
sa semaine. Il ne va
pas être déçu et nous
non plus. Elle s’est
trouvée mêlée, de son
plein gré et avec
une imprudence
gourmande,
à une sombre histoire
de famille riche
et nombreuse.
Un testament,
un cadavre… Eva se
jette tête la première
dans l’enquête malgré
les mises en garde
de l’inspecteur Merkel, une femme
stricte qui jouera un rôle inattendu
dans sa vie. Je suis leur silence est
une comédie où les réparties fusent,
et un polar psychologique
émouvant et très fin qui explore les
fragilités des fortes personnalités.
A. L.
L’écrivain Vincent Ravalec ne
ment peur de rien… même pas de
Jésus. Responsable de la collection
« Graffik » des Éditions Fayard, il a
supervisé cette édition illustrée du
Jésus de Petitfils, œuvre de réfé-
rence qui fit l’unanimité lors de sa
publication. En proposant, dans un
deux étages : en haut, les cases sépia
foncé suivent Germain Nouveau, en
bas, en sépia teinté de vert, Rim-
baud et Verlaine.
Le récit avance tout du long de
cette façon, et c’est étonnamment
limpide bien qu’il n’y ait pas de nar-
rateur. Les dessins, les dialogues, le
tout magnifiquement elliptique et
profond, suffisent à saisir ce qui se
joue. Dans la deuxième séquence,
un an après, on verra comment
Rimbaud et Nouveau se rencontrent
à Paris, tandis que Verlaine est seul
en prison à Bruxelles. Plus tard,
Verlaine et Nouveau feront
connaissance pendant que Rimbaud
séjourne à Charleville-Mézières. Le
procédé narratif est puissant com-
me une métaphore, lourd de sens.
Entre chaque chapitre, il y a une
pause narrative et temporelle,
marquée par une nouvelle vue sur
le porche de la cathédrale, sublime
Lucky Luke et
les enfants terribles
Imaginez Lucky Luke le solitaire
avec deux enfants insupportables
sur les bras. Quelle idée géniale
a eu Blutch, qui rend hommage
au héros de Morris dans
un album irrésistiblement
divertissant. On le lit avec
le même plaisir innocent
que lorsqu’on avait 10 ans.
Deux enfants donc.
Casper est un imbécile
heureux têtu comme
une mule qui a
des idées saugrenues,
et sa petite sœur Rose
une exquise
enquiquineuse
qui n’a peur de rien
ni de personne et le fait
LES INDOMPTÉS :
savoir. On dirait LUCKY LUKE
Ma Dalton et Averell VU PAR...
à 6 et 7 ans. Voilà De Blutch,
notre cow-boy bien Lucky Comics,
embarrassé. Leur frère 48 p., 13€.
aîné est en prison
et leurs parents, gangsters
de haute volée, se sont enfuis
avec le magot de leur dernier
hold-up pour ne pas le partager
avec leurs complices. Bien sûr,
ceux-ci sont sur leurs traces
et dynamitent la maison
de la gentille petite famille.
style limpide, une synthèse des re-
cherches exégétiques et archéo-
logiques depuis les fouilles de Nag
Hammadi et Qumran, l’auteur sou-
levait toutes les questions qui se
posent au sujet de Jésus.
Pour rendre ce livre majeur
accessible à un nouveau public,
Ravalec en a légèrement allégé le
texte et, surtout, l’a fait illustrer,
de simplicité, un roc de beauté au
regard des désirs paradoxaux, des
tortures morales et spirituelles des
héros.
Le récit est construit autour du
manuscrit des Illuminations que
Rimbaud a laissé à Verlaine et Nou-
veau avant de se sauver au Moyen-
Orient pour « étreindre la réalité ru-
gueuse », vivre en vrai : car il a
perdu foi dans le pouvoir des mots
et a compris que la gloire littéraire
était vaine. Fascinant comme un
ange déchu ou un héros shakespea-
rien, il aurait pu dire comme
Hamlet : « Words, words, words. »
Mais le mot de la fin sera pour le
sage mendiant du porche : « Être ou
ne pas être publié m’a beaucoup em-
pêché de vivre. Aujourd’hui, je vis. Et
quand j’écris, c’est comme quand je
mange, quand je marche, quand je
ris, quand je prie. C’est ma façon
d’être vivant. » Somptueux. ■
Lucky Luke ne sait plus où donner
de la tête. Les enfants lui en font
voir de toutes les couleurs.
Il les confie à l’institutrice, qui
les exclut au bout d’une journée,
puis à son amie Maybel, l’artiste
du lever de jambes, qui tient
le saloon : là, les deux garnements
s’en donnent à cœur joie, mais les
rombières respectables
de la bourgade
s’indignent
et prennent la relève,
avant de refiler
les bébés au chef
comanche
de la réserve voisine !
Au passage, Blutch
fait un tableau plein
d’humour d’une petite
ville avec
ses notables
jamais contents
et sa police
d’une inefficacité
redoutable. Une folle course-
poursuite à la recherche
des parents irresponsables
couronnera l’histoire. L’auteur
a dédié cet album à ses enfants.
Il ravira toutes les générations.
Fous rires assurés.
A. L.
comme les grandes œuvres litté-
raires du XIXe ont pu l’être par
Gustave Doré. À ceci près qu’ici,
c’est l’intelligence artificielle qui a
généré les dessins avec des
consignes précises et fournies
par l’éditeur. Ce parti pris ne
manquera pas de susciter des
débats, et les images qui en ré-
sultent aussi. Certains seront
LES ILLUMINÉS
De Jean Dytar
et Laurent-Frédéric
Bollée,
Delcourt/Mirages,
152 p., 29,95 €.
Spécial
BD
FIGARO
HON / LE
IS BOUC
FRANÇO
Paul saute à l’eau
Paul a du vague à l’âme. Sa femme
l’a quitté voilà quelques années, il a
perdu sa mère, puis son père. Il est
asséché, envisage de changer de
métier. Sa fille, Rose, 23 ans, prend
les choses en main. Elle loue
une bicoque sur une île
de l’estuaire du Saint-
Laurent : de l’eau
à perte de vue,
la voûte étoilée,
des rochers, pas de 4G,
une poignée
d’habitants
et des maisons en bois
enveloppées de forêt,
le tout dessiné
avec une minutie
et un toucher
merveilleux par Michel
Rabagliati. Ceux
qui connaissent les BD ROSE À L’ÎLE
d’autofiction De Michel Rabagliati,
de ce grand auteur- La Pastèque,
dessinateur québécois 256 p., 25 €.
et son alter ego, Paul,
retrouveront avec bonheur
ce personnage dont la mélancolie
chronique n’a d’égal
que son humour. Mais dans
ce nouvel album, Rabagliati va plus
loin. Il saute dans le vide
de la page. Pas de bandes,
ni de cases. Il délaisse l’encre
subjugués, d’autres dérangés.
Les dessins sont inédits mais on
a l’impression de les avoir déjà
vus. Imaginez qu’ils sont com-
posés à partir de tableaux de
Léonard de Vinci, Rembrandt,
Gustave Doré mais aussi de scè-
nes de péplums et de BD… A. L.
Jésus, de Jean-Christian Petitfils,
Fayard, « Graffik », 318 p., 28 €.
Le roman
de l’exode
Ça commence comme un roman
noir. Printemps 1940. Dans
une rue de Paris la nuit, une jeune
femme nue court et s’effondre.
Elle a l’air épouvantée. Sans
transition, on se trouve sur la ligne
Maginot où l’on fait connaissance
avec deux autres personnages.
Raoul, un soldat ricaneur, habitué
des magouilles, et son sergent-
chef aux grands yeux éperdus,
Gabriel. Bientôt Raoul forcera
Gabriel à déserter avec lui. Retour
à Paris. La jeune femme, Louise,
explique à la police qu’elle a été
témoin du suicide d’un vieil habitué
du bar où elle travaille. Un drame
qui la met sur la piste du passé
de sa défunte mère et du grand
amour qu’elle vécut avec
un homme marié. Il faudra
attendre la page 76
pour comprendre le lien entre
ces deux intrigues. Aux scènes
de la débâcle militaire succèdent
les scènes crépusculaires
des routes de l’exode où tous
les personnages vont
se retrouver : il y a aussi Désiré,
un joyeux usurpateur déguisé en
prêtre qui s’occupe des réfugiés,
et Fernand, un garde mobile fou
amoureux de sa femme. Cette BD
adaptée d’un roman de Pierre
Lemaître est romanesque en
diable, magistralement orchestré
et dessiné par Christian De Metter.
Et contre toute attente, dans
le chaos, même les types tordus
donnent le meilleur d’eux-mêmes.
De beaux personnages contrastés
qui composent une fresque
haletante et flamboyante.
A.L.
MIROIR DE NOS PEINES
De Christian De Metter,
d’après le roman
de Pierre Lemaitre,
Rue de Sèvres, 176 p., 25 €.
et la plume, leur préfère la pointe
tendre du crayon à papier.
Le texte et les dessins s’agencent
librement. Unité de ton, variété
des points de vue : on est happé
par le calme des lieux et la beauté
du graphisme.
L’auteur n’a pas
son pareil pour
mettre de la poésie
dans les détails
prosaïques.
Le personnage
de Rose, avec
sa longue robe
à fleurs vintage
et son franc-parler
québécois mêlé
d’anglais, apporte
vivacité et fraîcheur.
Grâce à elle
et à une drôle
de boulangère, Paul
finit par reconnaître
qu’« une présence
lumineuse »
à l’intérieur de lui semble vouloir
l’aider. Et si le petit personnage
souriant, en soutane et chapeau
noir des Jésuites d’antan, caché
dans le paysage où Rose est seule
à le voir au départ, y était
pour quelque chose ?
A. L.
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

La Terre avant la Terre
À
Il fallait un beau trio pour réussir
cette performance : nous expli-
quer clairement, en cinquante
mystères de notre planète ». Serge Bloch, magnifique illustra-
5
Côté scientifique, il y a Pierrick teur. À eux trois, ils embarquent,
Graviou, docteur en géologie et petits et (très) grands dans « la
déjà l’auteur d’une quinzaine mère de toutes les histoires ». M. A.

LIRE
courts chapitres, les origines de
l’Univers, la source de la matière,
la formation des roches, l’appari-
tion de la vie, l’évolution et l’hu-
manité… Ce que les auteurs ap-
pellent « la petite histoire et les
d’ouvrages de vulgarisation en Il était une fois la Terre :
sciences de la Terre. Côté conteur, la petite histoire et les mystères
Erik Orsenna, qui n’a pas son pareil de notre planète
pour rendre passionnant les De Pierrick Graviou, Erik Orsenna
roches, les pierres, les plantes, et Serge Bloch (illustr.), LIVRES
et l’invisible. Et, côté artistique, Gallimard, 214 p., 29,90 €.
CADEAUX

Les couleurs d’Emily Dickinson

Beaux livres FRANÇOISE DARGENT
fdargent@lefigaro.fr
anglaise l’a initiée à Emily Dickin-
son à l’âge de 16 ans. Elle en garde
inventer de nouvelles façons de re-
présenter le monde, tendre vers
Ses poèmes sont mis en regard

E
LLE se décrivait « petite
de la peinture américaine comme le roitelet »,
mais c’est une immense
moderniste. poète que l’Amérique a
consacrée dès le début
du XXe siècle en la personne
d’Emily Dickinson. Elle a écrit
exactement 1 789 poèmes. Le beau
livre des Éditions Diane de Selliers
en a sélectionné 163 avec minutie
pour embrasser au plus près
l’œuvre de cette contemporaine
de Rimbaud, qui, à l’inverse du
poète aux semelles de vent, se
contenta de voyager dans son jar-
din du Massachusetts. « Elle parle
du monde en vivant recluse », indi-
que Lou Doillon, qui a écrit la pré-
face de l’ouvrage. Sa grand-mère
POÉSIES
D’EMILY DICKINSON
Illustrées par
des reproductions
de peinture moderniste
IERS
une passion pour sa poésie, qui l’abstraction comme Emily visait la
n’est jamais « bavarde », mais concision. Ainsi, 70 peintres amé-
« allusive, elliptique, concentrée,
remaniée, serrée », précise-t-elle,
ricains dialoguent avec ses vers,
leur offrant un relief inattendu. Qui
avant d’ajouter : «La poésie
d’Emily Dickinson danse. »
dit correspondances heureuses dit
forcément Georgia O’Keeffe et ses
fleurs géantes ou Edward Hopper et
Correspondances ses personnages rêvant derrière
heureuses une fenêtre. Mais on en découvre
Elle danse, en effet, et, lorsqu’elle d’autres, soucieux de représenter
est publiée après sa mort en 1886, l’élan vital de la nature, comme
c’est un saut de biche qui fait entrer Helen Torr et son compagnon Ar-
la poésie américaine dans la mo- thur Dove. D’une sensibilité aussi
dernité par son usage de l’ironie et vive que celle d’Emily, comme
ses aphorismes. Voilà pourquoi Charles Burchfield, qui fait des
Diane de Selliers a choisi de la met- étincelles à ses côtés. Quand elle
tre en regard des œuvres des pein-
tres américains de la première
écrit : « Au nom de l’Abeille -/ Et du
Papillon -/ Et de la Brise - Amen ! »,
moitié du XXe siècle. Eux aussi veu- le peintre répond par un tourbillon
lent se libérer de toute contrainte, de couleurs et d’ailes bigarrées. Le
jeu de ping-pong se poursuit avec
la fleur d’hiver de Morris Graves,
solidement enracinée face à la peti-
te gentiane de Dickinson, « qui es-
saya de se faire rose,/ échoua - et
l’été tout entier rit ».
On peut aussi citer Henrietta
Shore, qui marche audacieusement
vers l’épure dans cette toile où une
silhouette de femme se fait pistil.
« Je me cache - au cœur de ma
fleur,/ Pour que, tandis qu’elle se
flétrit dans votre Vase/ Vous -
sans le savoir - ressentiez pour
moi -/ Presque - une solitu-
de », écrit Dickinson.
Étincelle aussi avec Ar-
thur Dove, coloriste pro-
digue, et l’évocation des
ciels d’Emily : « Une
balafre de bleu ! Un ba-
layage de gris !/
LA TRILOGIE CALEB TRASKMAN
De Franck Thilliez,
édition collector intégrale,
tirage limité, Fleuve noir,
1 198 p., 29,90 €.
Franck Thilliez
version collector
De Franck Thilliez, auteur de thrillers
le plus vendu en France depuis
quelques années, on connaît la série
de romans consacrés à son flic
Franck Sharko, parfois accompagné
de la policière Lucie Hennebelle.
Une deuxième série est également
sortie de l’imagination fertile de notre
romancier. Il s’agit de la trilogie Caleb
Traskman, du nom d’un écrivain
à grand succès, prince du suspense
et de la peur, vivant reclus… Parus
en 2018, 2020 et 2022, Le Manuscrit
inachevé, Il était deux fois et
Labyrinthes peuvent, bien sûr, se lire
comme des histoires indépendantes.
Ici réunies dans ce joli volume
de 1 200 pages, elles forment un tout,
façon puzzle, trompe-l’œil et aussi
casse-tête pour le lecteur !
Franck Thilliez adore ces histoires
complexes dans lesquelles il sème
des indices, des architectures
étranges, déroutantes. Il est

américaine, Quelques taches un maître dans l’art d’emmener

traduction
L

d’écarlate - sur le son lecteur aussi loin qu’il le peut,

SEL

de Françoise Delphy, chemin -/ Com- sans le perdre en route, en lui offrant,

E DE

Éditions Diane posent un ciel du toujours, un maximum de plaisir. Bref,

de Selliers,
DIAN

soir. » Les textes traduits par ce volume collector est un cadeau

sous coffret, la malicieuse Françoise Delphy indispensable pour les amateurs
IONS

408 p., 230 €.

peuvent être lus en version origi- de sensations fortes.
ÉDIT

nale. Un livre parfait, en somme. ■ B. C.

L’être et le néant selon Sempé

L’INFORMATION-
CONSOMMATION. Peut-être
venez-vous de lire ces mots
en criant dans votre tête ?
Ce serait l’effet voulu.
Les premières pages éponymes
du livre de Sempé dévoilent
ces mots en lettres capitales,
écrasantes, au-dessus d’une foule
informe. Des publicités
promettent jeunesse et vacances.
« Il est jeune moderne, sportif,
il est séduisant, tout lui réussit »,
annonce l’une d’elles.
Qu’a-t-il donc de différent ?
De l’intelligence, du talent,
de l’expérience ?
L’INFORMATION-
CONSOMMATION
« Un super déodorant. »
Épuisé depuis 1975, cet album
De Sempé, de Sempé aurait pu s’intituler
Denoël, « La Société de con-sommation ».
166 p., 39 €. On y voit partout ces mêmes
passants, grégaires et soumis,
faire ces files immenses, pour
acheter quelque chose. Sempé
croque très bien ces gens gris,
sortes de taupes flottantes sans
yeux ni visages, noyés sous
la publicité, incapables de penser,
seulement de suivre un chemin
tout tracé. L’album est l’œuvre
d’un jeune homme de 36 ans
en 1968, mais il pourrait être
celui d’un Sempé d’aujourd’hui.
Il y a quelques années, une étude
estimait que l’on voyait, en
moyenne 1 200 publicités par jour.
Ce chiffre n’a sûrement pas
diminué. Signe d’un temps
qui n’a pas changé… Sempé
dessine les manifestations,
les révoltes et les grèves. L’ironie
PAR F L O C’H
est déjà là. Il se moque du monde
et de l’homme. On alterne entre FROMENTAL ET BOCQUET
l’être et le néant. Ce sont comme
d’habitude avec Sempé de belles
pages de poésie et de critique.
Le sourire résiste toujours. Au rayon
Insubmersible.
bande dessinée
ALICE DEVELEY

Une version brillante de Blake et Mortimer.

Conan Doyle au soleil de la littérature
C’est un fait : il n’existait pas jusqu’à
ce jour de biographie en français
de Conan Doyle ! François Rivière,
qui a portraituré avec la finesse
qu’on lui connaît Agatha Christie,
Chesterton, J. M. Barrie, Enid
Blyton, Edgar P. Jacobs et
accusé. Rivière insiste aussi Floc’h redonne de la vitalité et de l’élégance
sur la passion que développe
Conan Doyle pour le spiritualisme à Blake et Mortimer.
qui l’entraîne à épouser des thèses
flirtant avec le grotesque.
On apprend dans ce livre
la querelle féroce et durable Une réussite.
© FLOC’H – FROMENTAL – BOCQUET / EDITION BLAKE ET MORTIMER/STUDIO JACOBS (DARGAUD-LOMBARD S.A.) 2023

on en passe, était donc l’homme de qui opposa l’écrivain à Houdini.

la situation. En trente-six chapitres,
il retrace la vie de ce jeune médecin
écossais sans argent, ami
de Walter Scott, Stevenson
et Kipling, et qui réussit, peu à peu,
à se faire une place au soleil, un
ARTHUR nom dans l’histoire de la littérature.
CONAN DOYLE Un écrivain qui refusera de vivre
De François Rivière, dans sa tour d’ivoire, préférant
Tallandier, aider ses frères durant la Première
239 p., 19,90 €. Guerre mondiale, montant
Ainsi qu’à Maurice Leblanc qui
s’amusa à mettre face à face son Floc’h est incontestablement
héros, Arsène Lupin, et Sherlock. le meilleur successeur de Jacobs.
Et Rivière, bien sûr, nous conte
la genèse de la plus fameuse
création de Doyle, Sherlock Holmes,
inspiré par un certain Joseph Bell,
professeur de médecine
de l’université d’Edimbourg. Rivière
termine son excellent ouvrage par
une bibliographie précise, fouillée
A

au créneau dans la presse pour de tous les écrits de Conan Doyle.

défendre un homme injustement BRUNO CORTY
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

6 Le tour du monde également psychanalyste, propose place à « la nature sacrée » (le mont
du sacré un tour du monde des lieux de spiri- Fuji, le Gange, la cascade de Saut-

À C’est un petit livre de 114 pages,

mais qui vaut le détour. D’abord, il
pose une question essentielle :
tualité - hors de France. Passages
obligés : Saint-Jacques-de-Com-
d’Eau en Haïti…). Tout un chapitre
est consacré au langage : les ma-

LIRE
qu’est-ce que le sacré ? Bien sûr, la
réponse dépasse le cadre religieux.
Accompagné des belles illustrations
LIVRES de Karin Doering-Froger, Daniel
Duigou, ancien journaliste, prêtre et
CADEAUX
postelle (partie espagnole), Jérusa-
lem, La Mecque, Le Potala (au Tibet),
les pyramides de Gizeh… Mais il va
au-delà, comme cette visite d’un
vieux cimetière juif en République
tchèque, ou en donnant une bonne
nuscrits de la mer Morte ou l’ONU.
M. A.
Atlas des lieux sacrés,
de Daniel Duigou,
illustr. de Karin Doering-Froger,
Arthaud, 114 p., 25 €.

Un festin de papier Pour saluer

Alphonse
Boudard
album Yves Camdeborde présente les 50 livres de cuisine qui l’ont influencé. Qu’il nous soit permis de dire ici
en quelques phrases
SÉBASTIEN LAPAQUE ce qui mériterait d’être raconté
slapaque@lefigaro.fr période Art déco sont fantastiques… les marchands spécialisés, ce bi- Nignon, Marcel Rouff et Édouard en une page. Mort

L
E BÉARNAIS Yves
Camdeborde est un
cuisinier qui aime le
grain des cuirs anciens,
l’odeur du vieux pa-
pier, les notes de vanille et
d’amande qu’exhalent les petits
in-octavo. La relation qu’il entre-
tient avec les manuels culinaires
d’autrefois est très sensuelle.
Avant de les lire, il aime les tou-
cher, les caresser, les respirer.
« Mes premières rencontres avec
les traités gastronomiques ont
d’abord été une affaire de plaisir.
J’étais plus sensible à leur saveur
qu’au savoir qu’ils contenaient.
Outre le bonheur de les collection-
ner, de manière parfois compulsive,
j’aimais leur esthétique. Ceux de la
Mais la beauté de L’Heptaméron
des gourmets, d’Édouard Nignon,
l’ouvrage le plus luxueux et le plus
rare de la cuisine moderne, est aussi
dans les mots. C’est “ma” référence.
Songez à la quatrième de couverture
rédigée par Guillaume Apollinaire,
aux textes de Lucien Descaves et de
Laurent Tailhade… Ces raretés bi-
bliophiliques se lisent comme des
poèmes, parfois même comme des
romans. À tous, je recommande ain-
si la découverte des quarante pages
introductives de La cuisine, c’est
beaucoup plus que des recettes,
d’Alain Chapel. Un chef-d’œuvre
du genre, le sommet de la littératu-
re gastronomique. »
Des plus anciens ouvrages, qui
atteignent souvent des prix très
élevés en salle des ventes et chez
bliophile passionné se contente de
rêver et de nous faire rêver.
Un travail considérable
Le Grand Livre des livres de cuisine,
que le chef publie aujourd’hui
avec l’éditeur Lau-
rent Seminel, offre à
la curiosité des ama-
teurs de petites et
grandes lichettes une
bibliothèque de cin-
quante titres majeurs
qu’une vie entière ne
suffirait pas à ras-
sembler.
Le travail considé-
rable des Éditions
Menu Fretin, qui ont
réédité La Reynière,
Jules Gouffé, Édouard LE GRAND LIVRE
DES LIVRES
DE CUISINE
D’Yves Camdeborde
et Laurent Seminel,
Hoëbeke, 224 p., 45 €.
de Pomiane, n’empêche pas quel- le 14 janvier 2000 à Nice,
ques traités classiques de rester Alphonse Boudard demeure
introuvables malgré l’intérêt per- un splendide écrivain de langue
sistant du public pour la littératu- française. Le recueil de chroniques
re culinaire depuis la publication, que publie aujourd’hui
en 1979, d’Un festin en paroles, Le Dilettante sous le titre
une histoire de la Merde à l’an 2000 (250 p., 19 €)
sensibilité gastrono- compose une manière
mique de l’Antiquité d’autobiographie intimiste
à nos jours par Jean- dans laquelme l’écrivain entrelace
François Revel, un le roman de sa vie avec l’histoire
pseudonyme que de son temps.
l’académicien a choi- Apprenti typographe
si en référence à un dans une imprimerie
restaurant de la rue du 13e arrondissement de Paris
Montpensier où il sous l’Occupation, résistant
avait ses habitudes. faucheur de vélos aux Boches,
Lequel Revel est nouveau Gavroche
retenu par Camde- sur les barricades d’août 1944,
borde dans sa biblio- Alphonse Boudard a raconté
thèque idéale. ■ sa guerre dans Les Combattants
du petit bonheur. Son après-
guerre a été plus nébuleux.
Tombé pour trafic de fausse
monnaie, il a fait ses classes
d’écrivain à la prison de Fresnes
où il a passé treize années.
Au soir de sa vie, ce forçat
de l’Underwood a été couronné
par le grand prix du roman
de l’Académie française,
ce qu’il raconte
dans un merveilleux petit texte
intitulé OK Conti.
S. L.

PAUL DELORT/ LE FIGARO

MERDE À L’AN 2000

D’Alphonse Boudard,
Le Dilettante,
256 p., 19 €.

Un siècle d’explorations françaises La Cendrillon du XVIIIe siècle Cendrars et Doisneau

autour du monde Après un premier volume tumultueux que fastueux. Tsarine
aux portes de Paris
C’est le souvenir des vers françaises autour du monde éblouissant, la Lituanienne Kristina populaire, louée pour son « bon « Ici il n’y a pas d’illusion, René Fallet et André Hardellet.
des Conquérants de José-Maria conduites entre 1714, Sabaliauskaitė, historienne de l’art, sens » et sa générosité, son goût pas d’ivresse exotique, Mais, ici, pas de guinguette
de Heredia que réveille la lecture sous la Régence, et 1854, poursuit sa saga historique pour l’art, elle parle ici de son amour pas de chiqué littéraire possibles (…), ou de vision idyllique à la Carné. Tout
de Routes nouvelles, côtes sous le second Empire, autour du personnage de la tsarine pour Pierre, de ses nombreux ici, c’est la misère. On touche un monde en marge, vu à travers huit
inconnues. À l’évocation des noms Hubert Sagnières a rassemblé d’origine balte Catherine Ire (1684- amants, de diplomatie, de sa vie du doigt un monde fadé, sonné, sections thématiques : Gosses,
de La Pérouse, une fabuleuse 1727), épouse de Pierre quotidienne, des qui a son compte, Amour, Décors,
Bougainville et collection de livres, le Grand. D’origine ruses déployées pour qui est allé au tapis, Dimanches et fêtes,
Dumont d’Urville, de carnets de voyage, modeste, orpheline calmer l’ardeur un monde truqué, Loisirs, Travail, Terminus,
on songe à leurs de dessins d’un couple de paysans, belliqueuse un monde Habitations. Nous voilà
prédécesseurs partis et de cartes née Marta Helena des Ottomans, immatérialiste, à Alfortville, Joinville,
affronter l’océan constituée au fil Skowronska, des cosaques injuste, dur, Saint-Denis, Montreuil,
immense sur le bois des ans. elle connut un destin ou des Suédois. méchant. » Billancourt, Arcueil,
léger, « penchés En découvrant ce livre, fabuleux qui fascina ses Le tout à la première En 1949, Sceaux, Gentilly où est
à l’avant le lecteur a le double contemporains, et plus personne. le bourlingueur né Doisneau, Nogent.
des blanches sentiment de tard Voltaire, qui l’aurait Défilent dans cette Cendrars pose Les décors : bistroquets,
caravelles » se promener en pays surnommée galerie extraordinaire son regard usines, terrains vagues,
où ils « regardaient de connaissance la « Cendrillon et tourbillonnante, sur la proche banlieue ponts ferroviaires,
monter en un ciel et de s’égarer du XVIIIe siècle ». Destin domestiques, favoris, de Paris, avec LA BANLIEUE jardinets, loges
ignoré/ Du fond ROUTES dans des contrées couronné en 1725, officiers, courtisans, la complicité de Robert DE PARIS de concierge… Les gens :
NOUVELLES, De Blaise Cendrars
de l’Océan des étoiles inconnues. Pour les après la mort du tsar, intrigants, Doisneau, de vingt- des couples d’amoureux,
CÔTES INCONNUES et Robert Doisneau,
nouvelles ». D’Hubert Sagnières, non-spécialistes, avec le titre L’IMPÉRATRICE conspirateurs, cinq ans son cadet. des gamins guenilleux,
Denoël,
Au début préface d’Olivier le voyage de de souveraine DE PIERRE ambassadeurs, Nous sommes 240 p., 49 €. des brocanteurs
du XVIIIe siècle, Poivre d’Arvor, la Coquille mené de toutes les Russies. De Kristina précepteurs, le clan dans l’après-guerre, et des colporteurs,
probablement l’âge Flammarion, vers l’Océanie par Dans le deuxième volet Sabaliauskaitė, des Glück, Piotr Cendrars vient d’anciens combattants,
d’or de l’aventure 400 p., 75 €. l’officier de marine, de son diptyque, traduit du lituanien Tolstoï, ancêtre de publier son autobiographique des ouvriers au labeur…
maritime française, explorateur et Kristina Sabaliauskaitė par Marielle Vitureau, de l’écrivain, Lotissement du ciel. L’heure Ce qui frappe à la lecture
les étoiles de la Croix du Sud, cartographe français Louis Isidore nous transporte Quai Voltaire, l’ami de la famille, est à la reconstruction, aux sinistres de cet album impressionnant,
du Toucan et la Mouche n’étaient Duperrey en 1822-1825 est à Saint-Pétersbourg, 380 p., 24 €. le gouverneur HBM (habitations bon marché), c’est la divergence entre le regard
plus si nouvelles. Mais il y avait une découverte. Comme celui du nouvelle capitale Menchikov. ancêtres des HLM. À travers désenchanté de l’écrivain et
encore des mondes à explorer, Malouin Auguste Bernard Duhaut- de l’Empire, et dans le palais voisin En résumé : le roman d’une vie les 130 clichés de Doisneau, « la gentillesse attendrissante qu’a
des fleurs et des oiseaux à Cilly, qui a servi dans l’océan Indien de Tsarskoye Selo. Au soir intrépide, haletante, qui se lit nous voilà transportés dans le photographe ». Et c’est ce qui fait
nommer. sous les ordres de Robert Surcouf de sa vie, entourée de sa cour comme une aventure intime cette zone aux portes des anciennes toute sa force, celle d’un classique.
A

Dans un splendide volume avant de naviguer jusqu’à Hawaï. et de ses médecins, Catherine Ire et historique. fortifs, « où la misère imprègne Indémodable.
consacré à 16 explorations SÉBASTIEN LAPAQUE déroule le fil de son destin aussi THIERRY CLERMONT tout ». C’est l’univers qui inspirera T. C.
 LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023

Des classiques re Pasquier (368 p., 13 €) ; de à froid, et ornées d’une bande co-
7
de toute beauté

À
Décidément, le format poche ne
cesse d’innover et de surprendre
agréablement. Pour Noël, la col-
Persuasion, de Jane Austen, tra- lorée avec impressions en dorure
duit par Pierre Goubert (432 p., - d’où des prix plus élevés que le
14 €) ; et de L’Appel de la forêt, de poche ordinaire. Chacun a sa

LIRE
lection « Folio classique » renou-
velle trois titres en les habillant
pour les fêtes de fin d’année. Il
s’agit de Mrs Dalloway, de Virgi-
nia Woolf, traduit par Marie-Clai-
Jack London, traduit Marc Am-
freville et Antoine Cazé (208 p.,
12 €). Ils sont réédités dans une
version « collector » très chic :
les couvertures sont reliées sur
velours avec motifs en marquage
couleur : Jane Austen en bleu,
London en vert et Woolf en rose.
La « prise en main » de l’objet-
livre est très agréable. Un seul
regret : on aurait aimé plus de ti- LIVRES
tres habillés ainsi ! M. A.
CADEAUX

ARO
RT/ LE FIG
SNJOR
De Christophe Jacrot,
LA CHUTE Éditions du Chêne,

PAUL DELO
DE LA MAISON 70 p., 60 €.
USHER
D’Edgar Allan Poe,

Fantômes, spectres
Illustré par Paul
et Gaëtan Brizzi,
Cinquante
Futuropolis, nuances
240 p., 32 €.
de neige

et amours défuntes
Le titre Snjor signifie « neige »
en islandais. Dans sa forme
la plus basique puisqu’il existe bien
des façons de décrire cet épisode
météorologique dans un pays
Album Edgar Poe est à la mode. On retraduit son roman « Histoire qui garde les yeux rivés au ciel
et n’aime rien tant que créer
d’Arthur Gordon Pym » et ses nouvelles sont illustrées par les frères Brizzi. ses propres mots pour exprimer
des nuances subtiles. Christophe
Jacrot a succombé à la beauté
féroce de ces paysages de glaciers
ALEXANDRE FILLON Force est de constater que la route Phébus dans un sobre volume car- avaient déjà mis en image trois nou- et de landes tolérant l’homme
du jeune Arthur Gordon Pym a été tonné. Où l’éditeur a eu la bonne velles du maître dans Double assas- pourvu qu’il reste humble. Son

HISTOIRE D’ARTHUR
GORDON PYM
D’Edgar Allan Poe,
Nouvelle traduction
de Christian Garcin
et Thierry Gillybœuf,
Phébus,
343 p., 26 €.
L’
AFFAIRE est complexe.
Edgar Allan Poe aurait
d’abord conseillé à
Arthur Gordon Pym de
rédiger le compte ren-
du de ce qu’il avait enduré lors de
son voyage vers les mers du Sud.
Pour finalement se charger en per-
sonne de le faire, sous le couvert de
la fiction. Avant que le natif de l’île
de Nantucket ne reprenne la main et
poursuive le récit. En narrant les
premiers déboires survenus au
moment de la découverte de sa
passion naissante pour la mer et les
équipées.
semée d’embûches et que le néo-
phyte a dû se livrer à bien des com-
bats contre l’adversité. D’abord à
bord de l’Ariel, puis du Grampus où
il embarqua clandestinement et res-
ta prisonnier de la cale du baleinier
alors qu’une mutinerie faisait rage !
Cet étonnant et déroutant roman
d’aventures initiatique, d’abord
publié aux États-Unis en 1838, était
connu des lecteurs français grâce à
la traduction qu’en avait donnée
Charles Baudelaire pour Michel
Lévy. Voici aujourd’hui celle signée
à quatre mains par Christian Garcin
et Thierry Gillybœuf, proposée par
idée d’ajouter une nouvelle inédite sinat dans la rue Morgue suivi de La
en français. Le Journal de Julius Vérité sur le cas de M. Valdemar et de
Rodman offrant aux amateurs de Poe Le Portrait ovale. Ils se sont emparés
un autre voyage, à travers les mon- cette fois de huit autres récits my-
tagnes Rocheuses. thiques dont Le Scarabée d’or, Hop-
Frog, Ligeia, Le Chat noir et Le Mas-
Plus de cent dessins
que de la mort rouge.
Chez Futuropolis, les admirateurs Sur plus de cent dessins, ils jouent
du grand Poe se procureront aussi, parfaitement avec les ombres et les
sans l’ombre d’une hésitation, La ambiances en choisissant d’injecter
Chute de la maison Usher et autres subtilement de la couleur dans du
histoires extraordinaires. Une élé- noir et blanc. Le tout en créant une
gante édition en grand format ri- ambiance collant à l’atmosphère et
chement illustrée. Les frères Gaëtan aux décors imaginés jadis par Edgar
et Paul Brizzi (qui ont déjà adapté Allan Poe dont le pouvoir de conteur
Balzac, Boris Vian et Cervantès) reste intact. ■
ouvrage rassemble les clichés
d’immensités blanches ponctuées
de petites maisons, piquetées
de flocons ou nimbées
d’un brouillard givrant. Forcément
très séduisants. Aucun texte mais
quelques légendes laconiques :
« Le phare », « La vague bleue »,
« Nids de poule » ou « La toute
petite maison ». Il existe en
islandais le mot « gluggavedur ».
On pourrait le traduire par « météo
de fenêtre » qui indique qu’il fait
(trop) froid dehors et que c’est
beau à regarder… de chez soi !
FRANÇOISE DARGENT

Sous les mers ou dans les airs,

Jules Verne l’éternel
« L’année 1866 fut marquée
par un événement bizarre,
un phénomène inexpliqué
et inexplicable que personne n’a sans
doute oublié. » Ainsi commence le
célèbre récit de Jules Verne :
de son vivant, l’écrivain visionnaire
attire aujourd’hui les petits
L E N OUV E AU LA RG O
et les grands lecteurs et a trouvé
sa place dans le Panthéon de la
littérature avec des personnages
E N F IN E N L IB RA IRIE
connus de tous tel que le capitaine
FRANCQ - GIACOMETTI © DUPUIS, 2023. LE PERSONNAGE DE LARGO WINCH A ÉTÉ CRÉÉ PAR JEAN VAN HAMME EN 1973.

20 000 lieux sous les mers.
Le fabuleux conteur est mort
en 1905, et pourtant il reste plus
vivant que jamais. Les Éditions
du Chêne, connues pour leur souci
du travail bien fait, ont la bonne idée
de reproduire l’édition originale avec
un cartonnage rouge et or du chef-
d’œuvre publiée par Hetzel et cie,
l’éditeur historique de Verne.
L’occasion de constater que ce récit
classé aussi bien roman d’aventures
que de science-fiction n’a pas pris
Némo, justement. De leur côté, les
Éditions Larousse offrent une version
« collector » du Tour du monde en
80 jours *. La première édition fut
publiée, il y a exactement 150 ans. 20000 LIEUES
Les deux livres, de belle qualité, SOUS LES MERS
font partie des « Voyages de Jules Verne,
extraordinaires », qui rassemblent illustré de 111 dessins
une cinquantaine de titres, sorte par Neuville gravés
de « série » avant l’heure. Décidément, par Hildibrand,
Verne avait tout pensé en avance. Éditions du Chêne,
MOHAMMED AÏSSAOUI 414 p., 39,90 €
LA SÉRIE BD A ÉTÉ CRÉÉE PAR JEAN VAN HAMME ET PHILIPPE FRANCQ EN 1989.

une ride, tout comme les illustrations * Le Tour du monde en 80 jours,

de Neuville, de véritables tableaux. de Jules Verne, collection « collector »,
Mieux même, longtemps déconsidéré Larousse, 240 p., 19,95 €.

Huxley revu et corrigé

pour le meilleur (des mondes)
Aldous Huxley est mort il y a
soixante ans et son titre-phare,
Le Meilleur des mondes, publié en 1932,
reste, avec 1984 de George Orwell,
sorti dix-sept ans après, un livre
marquant du XXe siècle. Plus que
d’autres, ces deux romans dystopiques
avaient besoin d’être revus, relus et
corrigés pour un lecteur moderne. 1984
a connu une nouvelle traduction en
2018 signée Josée Kamoun. Et c’est
tout naturellement l’ex-traductrice
de Philip Roth qui a été choisie pour
redonner une autre vie au Meilleur
des mondes. Dans sa préface
éclairante, Isabelle Jarry rappelle le côté
visionnaire de Huxley, né en 1894,
imaginant un monde pas si loin du nôtre
nouvelle civilisation, où l’on choisit
« le bonheur au détriment de la liberté,
la stabilité plutôt que la beauté et l’art,
la drogue à la place de Dieu ». Elle
précise aussi que le roman de Huxley, à
l’inverse de celui, très sombre, d’Orwell,
écrit après les horreurs de la Seconde
Guerre, ne manque pas d’humour.
Huxley était un type à la cool qui vivra
aux États-Unis, où il s’essaiera à toutes
sortes de drogues qui lui inspireront, en LE MEILLEUR
1954, son autre grand livre, Les Portes DES MONDES
de la perception, à l’origine du nom D’Aldous Huxley,
des Doors de Jim Morrison. Dans Nouvelle traduction
sa postface, Josée Kamoun donne de Josée Kamoun,
des exemples précis des choix qu’elle Plon, « Feux croisés »,
a dû faire pour rendre toute sa force 271 p., 20,90 €.
à ce chef-d’œuvre qui annonçait
AA

en 2024, où « consommation effrénée nos temps délétères. À lire d’urgence !

et loisirs » sont l’alpha et l’oméga de la BRUNO CORTY
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO

8 La folie en commun d’être excentriques ou Bathory. Heureusement, d’autres Mozart, des fesses, Rousseau, des
des grands hommes carrément fous, quoique dans des toqués sont moins orgiaques et fessées. L’auteur, Charlotte Chaulin,

À Voici une encyclopédie historique

destinée à ceux qui aiment les ru-
briques faits divers ou les maga-
proportions et selon des modes
différents. Il y a les dangereux para-
sadiques. Proust, Picasso, Wagner,
Andersen étaient de grands
qui collabore à l’émission Histori-
quement vôtre, raconte avec talent

LIRE
zines people. Une cinquantaine de
personnages célèbres, chefs d’État
ou artistes, sont présentés à tour
LIVRES de rôle, dans l’ordre chronologique,
de Caligula à Howard Hughes. Ils ont
CADEAUX
noïaques, le sultan Ibrahim Ier,
Robespierre ou Staline ; les psycho-
pathes, comme Ivan le terrible ou
Vlad Tepes ; et ceux qui pratiquent
la magie noire, Gilles de Rais ou
la comtesse hongroise Élisabeth
hypocondriaques. Dickens ou Satie et rigueur ces anecdotes qui, par-
avaient des tics et des tocs. Cer- fois, en disent long. A. L.
tains sont fous des bêtes : Henri III, Petites manies et lubies
des chiens, Tesla, des pigeons, sans des grands personnages,
compter Nerval et son homard. Il y a De Charlotte Chaulin,
aussi les obsédés, Colette, du bleu, Larousse, 216 p., 25 €.

Une excellente
traduction
du « Shining »
de Stephen King
Vous avez lu Shining de Stephen
King ? Ce n’était pas la bonne
version ! Le troisième roman du King
américain de l’horreur, paru
aux États-Unis en 1977, a connu
lors de son passage au français
de nombreuses et terrifiantes
coupes, a été victime de contresens,
de lourdeurs tels que c’est
un tout autre roman
que nous proposent les Éditions
Lattès dans une version collector.
À la baguette, il fallait un cador
pour renflouer le navire. C’est donc
vers Jean Esch que l’éditeur
s’est tourné. Maître-traducteur,
longtemps celui de Michael Connelly,

/ LE FIGARO
de Westlake, aujourd’hui
d’Emma Cline et de Stephen King,
l’adaptateur du nouveau Shining a dû
réintroduire les flash-back

CHON
supprimés et les passages
sur l’évolution psychologique

FRANÇOIS BOU
LA GRÂCE DES CATHÉDRALES. de Jack Torrance, le personnage
UNE ESTHÉTIQUE DU SACRÉ central de cette histoire qui se
De Mathieu Lours déroule dans le huis clos de l’hôtel
Éditions Place des Victoires, Overlook dans un Colorado enneigé.
320 p., 49 €. Dans sa judicieuse préface, Delphine
de Vigan, fan du King, dit bien que,
dans son adaptation, Stanley Kubrick

Le vrai « Livre
a dénaturé le propos du romancier.
LE LIVRE
Le temps DE LA JUNGLE
Dans le film de Kubrick, Jack est très
vite atteint de démence sans
des cathédrales De Rudyard Kipling,
« Bibliothèque
qu’on comprenne vraiment

de la jungle »
de la Pléiade », les raisons de ce phénomène. Il n’est
L’incendie de Notre-Dame de Paris, Gallimard, pas question de son enfance
qui a dévasté l’un des monuments 884 p., 60 €. blessée, de son père cogneur. Il boit
les plus emblématiques du Paris parce qu’il n’arrive pas à écrire
médiéval, dans la nuit du 15 au 16 avril mais son addiction n’est pas
2019, a eu pour mérite non pas analysée un instant. Roman

Pléiade L’ouvrage de Kipling est bien plus riche,

de remettre l’église au centre du village de nos peurs, Shining est un « grand
– mais les cathédrales au cœur roman psychologique » écrit avec

complexe et profond que sa version Disney.

des préoccupations de chacun, celui qui justesse Delphine de Vigan.
croit au Ciel et celui qui n’y croit pas. Une dimension totalement absente
Ce qui permet aux spécialistes de du film. Tout comme le rôle central
partager leur savoir avec un public de la mère du petit Danny, qui tente
élargi. Historien de l’architecture MOHAMMED AÏSSAOUI tirage spécial est incontestable- qui n’ont pas eu la chance d’entrer à la fois de sauver son couple
et des édifices religieux (synagogues, maissaoui@lefigaro.fr ment sa richesse, sa diversité et dans la postérité et qui valent et de protéger son enfant

Q
églises, mosquées), Mathieu Lours n’est l’érudition qui s’en dégage. Pour pourtant le détour, tels que Ko- de son mari et des maléfices
pas un médiéviste. Dans UI CONNAÎT vraiment toutes les époques, le plus jeune tick, le phoque blanc, qui défie la de cet hôtel où se sont déroulés
ses recherches, le temps Le Livre de la jungle ? Prix Nobel de littérature (42 ans en barbarie des hommes (en Alaska) ; d’affreux massacres. Le tout
des cathédrales, leur esthétique La question n’est pas si 1907) est resté un merveilleux Rikki-Tikki-Tavi, une jeune man- sur une terre ayant appartenu
singulière et la grâce qui s’en dégage anodine. Ce patrimoi- conteur et un sondeur de l’âme. gouste qui se bat héroïquement aux Indiens. Comme tous les grands
se poursuivent jusqu’à nos jours, ne de la littérature Les animaux ont la complexité et contre des cobras. De même que le livres, Shining, même amputé, avait
en Amérique du Sud, en Afrique mondiale est bien plus l’ambiguïté des humains, lesquels personnage de Shere Khan est bien marqué les esprits de ses lecteurs.
et en Asie, à travers un double riche que la « simple » histoire de ne sont pas dépourvus d’animalité, plus profond et différent que ce Le nouveau, en version restaurée,
phénomène d’acculturation Mowgli, recueilli par les loups dans nous explique-t-il. que l’on connaît de lui : il est boi- intégrale, comblera les lecteurs
et de revendication d’une identité la jungle indienne. La « Bibliothè- teux, toute la jungle se moque de du grand Stephen qui considèrent
nationale singulière. Que l’on songe que de la Pléiade » lui consacre un Un Shere Khan lui car il est incapable de mener parfois que ses meilleurs romans
simplement à la cathédrale « futuriste » volume – un tirage spécial illustré très différent une vraie chasse et ne se nourrit le (Carrie, Salem, Le Fléau, Dead Zone)
de Brasilia, dessinée par le génial issu des quatre tomes des œuvres Disney, avec ses versions tron- plus souvent que de cadavres… datent des années 1970.
architecte Oscar Niemeyer inaugurée de Kipling déjà publiés. quées, ses adaptations sur petit et Dans Le Second Livre de la jungle, BRUNO CORTY
en 1970. Comme il est souligné dans la grand écran, et sur les planches, il faut absolument lire le récit
En attendant la parution présentation, certains ouvrages raconte une aventure finalement Comment vint la peur. Sans comp-
de son ouvrage Les Cathédrales sont à la fois célèbres et mal assez simple pour ne pas dire sim- ter Le Conte du tabou, inédit en
dans le monde, entre religion, nation connus, Le Livre de la jungle est de pliste, avec les méchants d’un côté français. Chaque histoire est pré-
et pouvoir (« Folio Histoire », janvier ceux-là. D’ailleurs, il faudrait et les gentils, de l’autre. Il y a ces cédée d’un chant qui donne à l’en-
2024), Mathieu Lours nous invite écrire « des» livres de la jungle, personnages connus de tous : semble quelque chose de lyrique et
à une promenade richement illustrée car après le premier paru en 1894, Mowgli, donc, le petit d’homme ajoute au mystère. Exactement
dans près de 150 cathédrales françaises sort Le Second Livre de la jungle, en perdu dans la forêt et élevé par les comme on pourrait qualifier les il-
édifiées entre l’an mil et le XXe siècle. 1895 (1). À ce titre, la préface de loups, s’initie à la vie de la jungle lustrations qui jalonnent cette
Son texte éclaire le réaménagement Michel Renouard, professeur des aux côtés de la panthère Bagheera, « Pléiade », dont certaines sont si-
des sanctuaires, leur vie réinventée, leur universités, spécialiste de l’Inde et de l’ours Baloo, du python Kaa et gnées de John Lockwood Kipling,
capacité ancienne à donner l’exemple du Kenya britanniques, comme la du tigre Shere Khan, figure emblé- le père du célèbre écrivain, qui
d’une création en continu. On songe par courte chronologie de l’œuvre et matique du mal. En vérité, il y a avait publié, trois ans avant que ne
exemple à l’œuvre du sculpteur Goudji, de l’écrivain montrent l’extrême bien d’autres créations dans la paraisse Le Livre de la jungle, un
le Rodin du mobilier liturgique, à Notre- complexité de ce récit que l’on version originale, qui ressemble essai titré Hommes et bêtes en
Dame de Chartres, Saint-Vincent croit destiné aux enfants parce davantage à un recueil de nouvel- Inde… Les chiens ne font pas des
de Saint-Malo et Saint-Lazare d’Autun. qu’il met en scène des animaux qui les, dont la première est Les Frères chats… ■
SÉBASTIEN LAPAQUE parlent. L’autre point fort de ce de Mowgli. Suivent d’autres héros (1) En 1899 au Mercure de France.
SHINING
De Stephen King.
Nouvelle traduction de Jean Esch,
Un roman de chevalerie traduit du yiddish préface de Delphine de Vigan,
édition collector, JC Lattès,
Les Éditions de l’Antilope n’oublient d’Europe, de cette littérature et rusé, de belle stature. Son amante qui traversa l’Europe, de Nuremberg, 445 p., 25,90 €.
pas que le livre est un objet chrétienne où Dieu préside est noble, belle et vertueuse. Chacun où il naquit, jusqu’à Venise,
précieux : cette maison familiale, aux destinées, à l’amour, à la victoire des amants respecte ses parents, où il mourut en 1549. Elia Levita
qui travaille selon le rythme et à la justice. Cette culture mais l’amour-passion est plus fort. connaissait l’allemand, l’italien,
et les exigences de l’artisanat de l’épreuve nourrit l’histoire En découvrant Le Chevalier Paris le grec, l’hébreu et le yiddish.
éditorial, publie de beaux ouvrages. de l’amour impossible du chevalier et la Princesse Vienne, on est Pour les siens, il adapta la version
Leur dernier paru est un trésor Paris et de la princesse Vienne. stupéfait d’être à ce point charmé, italienne d’une œuvre écrite
littéraire. Sous une couverture Exaltation des sentiments, captif, de filer d’une traite du chant I en provençal, Paris et Vienne,
cartonnée embellie de fleurs et d’or, tourments et courage, tournois au chant X. C’est que le traducteur y mêlant les éléments chrétiens, juifs
LE CHEVALIER dans une édition à l’ancienne, cahiers et combats, secrets et malices, accomplit un miracle de musicalité : et musulmans, avec l’art du conteur
PARIS ET LA cousus, pages illustrées, joyaux et festins, navires ses vers rimés portent la lecture, qui maîtrise le rythme, l’émotion
PRINCESSE VIENNE
voici un roman de chevalerie traduit et voyages, tout y est de l’imaginaire par leur beauté transportent et l’humour, intervient avec drôlerie
D’Elia Levita,
traduit du yiddish du yiddish. médiéval, qui séduit les lecteurs le lecteur. Avec ce texte magnifique, et sagesse, ambassadeur
On douterait qu’existe pareil texte ! de tous âges. On n’y craint pas Arnaud Bikard ramène à la lumière d’un humanisme qui dépasse
A

par Arnaud Bikard,

L’Antilope, 288 p., 30 €. Mais bel et bien tout y est, dévolu la mort, ni la donner, ni la subir. la figure d’un érudit, poète, les clivages religieux.
et accessible à la communauté juive Le héros est valeureux, habile grammairien, traducteur, ALICE FERNEY

À
LIRE
LA CUISINE DES CONTRÉES
IMAGINAIRES
D’Alberto Manguel,
traduit de l’anglais
par Marie-Catherine Vacher,
Actes Sud,
172 p., 19,50 €.
Les recettes
inspirées
des lectures
d’Alberto
Manguel
Ceux qui ont eu le privilège
de partager la table d’Alberto
Manguel, dans l’ancien presbytère
poitevin où il a vécu quinze ans,
savent que c’est un excellent
cuisinier. Être lecteur et être
gourmand sont pour lui deux
propositions identiques.
Dans La Cuisine des contrées
imaginaires, délicieusement traduit
de l’anglais par Marie-Catherine
Vacher, l’écrivain a rassemblé
73 recettes inspirées par les livres
de sa vie : Les Mille et Une Nuits,
Alice au pays des merveilleux,
le Quichotte… Passionné
par la littérature enfantine,
il a imaginé la recette de « doigts
de magicien » des dîners
du pensionnat de Poudlard
dans la saga Harry Potter.
Son « ragoût de légumes d’utopie »
rend hommage à Thomas More.
En souvenir de Dracula,
Alberto Manguel n’a pas osé
pousser l’audace jusqu’à reproduire
la recette de shot de sang béarnais
qui fait les délices de Frédéric
Beigbeder lorsqu’il déjeune
chez la famille Camdeborde,
à Odéon. Il s’est contenté de teinter
son cocktail écarlate
avec de la tomate
et de la betterave.
S. L.
Ella Maillart, la magnifique
Élevée au bord du lac Léman,
Ella Maillart savait barrer
un dériveur à l’âge de 15 ans.
Aux études classiques,
elle préfère nettement l’école
de la vie et de l’aventure,
se sentant prête
à quitter Marseille
en 1923 avec
une amie pour mettre
le cap sur la Corse.
La jeune Ella est
admirative d’Alain
Gerbault, premier
navigateur à avoir
traversé
d’est en ouest l’océan
Atlantique à la voile
et en solitaire,
dont elle suit
les précieux conseils.
La mer est d’abord ELLA MAILLART,
sa grande passion. L’INTRÉPIDE FEMME
Au gré des marées DU GLOBE
et des aventures, De Gwenaëlle Abolivier,
elle noircit Paulsen,
ses carnets. Toujours 238 p., 39,90 €.
éprise de liberté
et ne tenant pas en place.
Pratiquant aussi bien la voile
que le ski alpin de descente,
la course à pied ou le hockey
sur gazon.
Cherchant à mener une vie
Desnos et Chagall
En février dernier, les Éditions
Seghers publiaient un superbe re-
cueil inédit de Robert Desnos, sous
le titre Poèmes de minuit, composé
au milieu des années 1930, et mira-
culeusement réapparu lors d’une
vente aux enchères. De cet ensem-
ble composé de quelque 80 poè-
mes, a été extrait Plus vivant
Ils prennent bien la vague
album Fred Bernard et Alain Bourdon évoquent avec talent l’esprit du surf et sa culture.
PAR ÉRIC NEUHOFF
eneuhoff@lefigaro.fr
É
tant donné la saison, une
tenue s’impose : on enfi-
lera une combinaison
avant d’ouvrir ce pré-
cieux album. On n’est ja-
mais trop prudent. Pour retracer
l’histoire de ce sport - passion se-
rait un terme plus juste -, ils s’y
sont mis à deux. Fred Bernard s’est
chargé des textes. Les illustrations
ont été pour Alain Bourdon, alias
The Minimalist Wave. Inutile de
tremper l’orteil dans la première
page : on plonge. Les auteurs dé-
crivent les différentes sortes de
vagues. Il y en a de rondes et de
carrées. Les « scélérates » sont
insurfables, évidemment. Certai-
nes, leur nom résonne comme de
la poésie : Coolangatta (Australie),
Tavarua (Fidji), Parlementia (Gué-
tary). Alain et Fred sont des spor-
authentique, à s’évader
autant que possible
et se montrant inlassablement
curieuse de tout. En cheminant
par Berlin ou Moscou, sur
les bords de la mer Noire
ou sur les hauts
plateaux kirghizes.
Avec à chaque fois
à cœur
de témoigner
de ce qu’elle voit,
d’apprendre
encore et encore
et de le restituer
dans les livres
qu’elle publie
chez Bernard
Grasset,
ses articles
de presse
ou les lettres
qu’elle envoie
à sa mère.
Superbement
illustré, l’album
que Gwenaëlle
Abolivier
vient de consacrer à Ella Maillart
constitue un formidable
éloge de l’exploratrice et
une porte d’entrée idéale
dans son œuvre.
ALEXANDRE FILLON
qu’aujourd’hui, composé en mars
1936, illustré pour ce précieux livre-
objet grand format, par une goua-
che spectaculaire de Marc Chagall,
L’Acrobate au bouquet, évoquant
en 1953, l’univers du cirque, que
Desnos avait chanté auparavant. Le
poème se termine par ses vers : « Je
serai demain matin / plus vivant /
plus vivant / qu’aujourd’hui. »
tifs. L’un roule en Norton Com-
mando 77, l’autre possède une
Moto Guzzi V7 de 1969. Les dessins
sont raffinés, que du bleu strié de
lignes blanches. L’effet est assez
hypnotique. Le duo sait tout. Rien
de ce qui concerne le sujet ne lui
est étranger. On apprendra que
Mark Twain s’était essayé à la dis-
cipline. L’essai n’a pas été
concluant. Parmi les Beach Boys,
seul Dennis Wilson, le batteur du
groupe, se débrouillait sur une
planche.
Hors compétition
Elles sont ici détaillées, Fish, Gun,
Shortboard. En France, le virus fut
introduit par le scénariste Peter
Viertel à Biarritz en 1956. Les
La France vue autrement
« Une nouvelle histoire de
la France. » Dominique Garcia
et Marc Bouiron tracent le cap.
Le premier est président
de l’Institut national de recherches
archéologiques préventives
(Inrap), le second,
directeur scientifique et
technique de ce même
établissement.
Tous deux pilotent cet
Atlas archéologique
de la France,
deux cents ans
de découvertes qui
permettent d’éclairer
un million d’années.
Pour cela, 100 cartes
et plans inédits,
ajoutés à plus
de 200 illustrations, ATLAS
constituent des balises ARCHÉOLOGIQUE
essentielles. Avec DE LA FRANCE
pour point de départ Sous la direction
le paléolithique, de Dominique Garcia
un « gouffre temporel » et Marc Bouiron,
qui renvoie aux origines Tallandier,
de l’humanité, 330 p., 36 €.
même si l’aventure
des primates, les grands singes,
démarre « loin de la France, loin
de l’Europe, en Afrique ».
Pour approcher le sol domestique,
les auteurs ont privilégié à la fois
Le poète-résistant Robert
Desnos est mort neuf ans plus
tard, en juin 1945, dans le camp de
concentration de Theresienstadt
à Terezin, en Bohême.
T. C.
« Plus vivant qu’aujourd’hui »,
de Robert Desnos
et Marc Chagall, non paginé,
Seghers, 38 €.
champions sont de la partie, com-
me Gerry Lopez, qui « joue avec
l’eau comme avec le feu ». Et puis il
y a les surfeuses, Joyce Hoffmann,
Jericho Poppler, Rell Sunn dont on
dispersa les cendres sur la plage de
Makaha (Hawaï). « Il en va des sur-
feuses et des surfeurs comme des
films à Cannes. Certains sont hors
compétition et valent leur pesant
d’or. » Nos deux hommes sont des
littéraires. On aime Les Immémo-
riaux de Segalen. On cite la der-
nière phrase des Vagues de Virgi-
nia Woolf, évidemment. Cela ne
les empêche pas d’effectuer un dé-
tour par Brice de Nice.
Une philosophie sourd de ces
pages. « Se sentir petit, c’est
l’expression du sublime. » Fred
des thèmes – le climat, les outils, le
peuplement, l’art, la religion, les
rites funéraires… - et des périodes
majeures, dans un entrelacs aussi
passionnant que pédagogique.
On connaît l’importance de la Gaule
romaine pour relier
les territoires, ou
celle du Moyen Âge
pour les fortifications,
en revanche sait-on
que l’architecture
monumentale est
née avec les
premiers agriculteurs
(6000-2300 avant
J.-C.) ou que
les ouvrages
hydrauliques,
« marqueurs
importants
de la topographie
urbaine » – font
la preuve de
leur efficacité à partir
du XVIe siècle. Fort
des connaissances
prodiguées par
cet atlas, on portera
un nouveau regard sur la France, à
l’affût de vestiges qui témoignent
ô combien de la trajectoire
d’un pays et d’une nation.
FRÉDÉRIC DE MONICAULT
LE FIGARO jeudi 14 décembre 2023
9
LIVRES
CADEAUX
conseille de lire ce volume en
écoutant une musique de François
de Roubaix. Cela donne envie de se
retrouver à Nazaré au Portugal, de
ne pas confondre les locaux et les
touristes, de défier les requins qui
en 2020 ont mordu 57 personnes,
en tuant 10, de revoir le (faux) do-
cumentaire Endless Summer ou de
ricaner devant Blue Hawaii avec
Elvis Presley. Il n’est pas interdit
non plus d’imiter Travolta dans
Pulp Fiction et de danser sur Misir-
lou, tiré du 33-tours Surfer’s Choi-
ce de Dick Dale and the Del Tones.
SURF
Bref, hiver comme été, cet ouvra-
De Fred Bernard et
ge est indispensable. On le rangera
The Minimalist Wave,
à côté du classique Jours barbares Albin Michel,
de William Finnegan. Excellent 224 p., 49 €.
voisinage. ■
FIGARO
HON / LE
IS BOUC
FRANÇO
« Les Frères Karamazov »
ressucités
Les Éditions Gallmeister durer et à figurer dans une bibliothèque !
n’existent que depuis 2006 Après Tom Sawyer et Huckleberry
mais l’ambition de leur fondateur- Finn, Orgueil et préjugés, un premier
propriétaire, Oliver Gallmeister, volume d’aventures de Sherlock
est sans limite. Voici donc, depuis Holmes, Le Comte de Monte Cristo,
quelques mois, son L’Île au trésor, Gatsby
grand projet dans le magnifique, voici donc
les librairies. La le dernier et monumental
collection « Litera » roman de Fiodor
est la bibliothèque Dostoïevski, Les Frères
de l’honnête Karamazov, publié
homme. deux ans avant la mort
On y trouve de l’écrivain. L’histoire
les classiques de la du père Karamazov, être
littérature mondiale vil, et de ses trois fils, Mitia,
(dans tous les Ivan et Aliocha, les deux
registres, polar, premiers atteints
amour, aventure…) de différents troubles,
dans de nouvelles le troisième épargné par
traductions son choix de la foi.
présentés dans LES FRÈRES La réunion de ces quatre
un très bel écrin : KARAMAZOV hommes, accumulation
un livre toilé souple, De Fiodor Dostoïevski, de violences verbales
un papier ivoire lisse. traduit du russe et physiques, se conclut par
Chaque ouvrage par Emma Lavigne, la mort du patriarche tyran.
est accompagné de 2 volumes reliés Comme chez Faulkner plus
préfaces, de notes sous coffret, tard, c’est l’éternelle
et d’une Éditions Gallmeister histoire de la confrontation
chronologie. On 1 544 p., 50 €. entre le bien et le mal.
se rapproche ainsi Freud voyait ce livre
d’un objet assez luxueux, pour comme « le roman le plus imposant
A
un prix oscillant entre 40 euros qu’on ait jamais écrit ».
et 50 euros. Des livres appelés à BRUNO CORTY
 jeudi 14 décembre 2023 LE FIGARO
10
LIVRES
CADEAUX
La légende
du Hollandais
volant
« C’était par une nuit
de tempête. Le souffle du vent
était si fort que presque toutes
les voiles du trois-mâts s’étaient
déchirées… » Les vagues
zébrées d’écume s’élèvent
comme des montagnes.
Le vaisseau menace de couler,
il faut tout jeter, les canons,
les tonneaux, les vivres.
Amassés comme des rats
sur le bateau, les marins
semblent crier vers nous.
Eux qui étaient seulement partis
récupérer un poivre plus cher
que l’or, font désormais les frais
de la cupidité de leur capitaine.
Le grand Hollandais aux yeux
verts défie l’océan. « Je livrerai
ma cargaison coûte que coûte ! »
Mais à quel prix ? Peut-on
menacer ainsi les dieux de la mer
et des cieux ? Voilà un bel album
aux vagues mauve et bleu.
L’océan de Marie Détrée est
un ciel. Magnifique, dangereux,
onirique. Un étrange phénomène
se produit durant cette nuit
de naufrage. Cyril Hofstein nous
le raconte avec zèle et poésie.
Sous ses mots, c’est un autre
monde qui surgit, une légende,
celle du Hollandais volant. A-t-il
vraiment existé ?
Il faudra lire les deux dernières
pages de ce bel album pour
le découvrir. Serez-vous assez
courageux pour embarquer
sur le célèbre vaisseau fantôme ?
A. D.
LA LÉGENDE
DU HOLLANDAIS VOLANT
De Cyril Hofstein,
illustré par Marie Détrée,
Flammarion jeunesse,
40 p., 15,50 €.
Hänsel et Gretel : un album
délicieux et dangereux
Hänsel et Gretel. L’histoire
est connue. Mais ce qu’en a fait
David Sala ? Les illustrations
de l’artiste méritent absolument
qu’on relise le conte des frères
Grimm. Il y a d’abord cette
couverture, peinture métallique.
Des arbres verts,
bleus, mauves
s’élèvent autour
de deux enfants,
sortes de fleurs
sauvages, avec leur
bonnet de cheveux,
orange fluo.
Viennent ensuite
les pages. Et quelles
pages ! Les arbres
semblent pleuvoir
sous le pinceau
magnétique HÄNSEL ET GRETEL
de l’illustrateur. Des frères Grimm,
Au milieu de illustré par David Sala,
cette forêt liquide, Casterman,
un bûcheron et sa 48 p., 18,50 €.
femme vivent avec
leurs deux enfants, Hänsel
et Gretel. Le père les aime fort,
mais l’amour ne les nourrit pas.
La belle-mère suggère alors
A
de les abandonner dans les bois
mais Hänsel élabore un plan :
Harry Potter connaissances en sortilèges, bo-
révèle ses secrets tanique mais également de tester
À Encore un livre sur Harry Potter ?
Oui et celui-ci réjouira les plus
sourcilleux des moldus. Harry
celles des amoureux de l’univers
de J.K. Rowling.
LIRE
Quel sorcier possède un « miroir
Potter. Le guide ultime se lit com- à double sens» ? Qu’est-ce que le
me une sorte d’encyclopédie ou « souafle » ? Que provoque-t-on
plutôt de grimoire. Sept chapitres, en lançant le mot « taran-
90 entrées et bien 1 kg de savoirs tallegra » ? Les pages tournent et
magiques ! De quoi vérifier ses
tournent encore. Les auteurs nous
UNE CHOSE
FORMIDABLE
De Rébecca Dautremer,
Sarbacane,
64 p., 27,90 €.
Le merveilleux souvenir
de Rébecca Dautremer
Album Jeunesse L’artiste est de retour avec Jacominus, son lapin
magnifique, dans un beau livre. Une promenade au pays des rêves.
ALICE DEVELEY tournent dans une explosion de
adeveley@lefigaro.fr couleurs. Voyage-t-on dans un
D
ES herbes hautes, des
rêve comme chez Alice au pays des
merveilles ? Le lapin blanc court ici
coquelicots et un lapin non pas après le temps mais ses sou-
en bottes. Au milieu venirs. À quoi pensait-il avant
de son jardin, Jacomi- d’être interrompu par son ami ?
nus, le lapin magnifi- Voilà les deux compères qui s’as-
que de Rébecca Dautremer, ratisse seyent et réfléchissent.
des feuilles. Il aurait déjà dû prépa-
rer un gâteau aux pommes pour sa Douce musique
douce et son ami Policarpe, mais D’un coup, un insecte avec un cas-
l’animal est fatigué. Le voilà qui que de pilote se dresse, immense, tel
dépose sa béquille, son râteau et un cerbère au milieu de montagnes
s’allonge à l’ombre d’un cerisier enneigées. Jacominus vole à dos
rose. Tandis que ses yeux se fer- d’aigle aux côtés de Policarpe. Se-
ment sur des images d’aubépines, rait-ce donc son souvenir ? Mal-
un souvenir lui revient en tête. heureusement pas… Notre lapin
Mais quoi ? Policarpe le réveille donne décidément sa langue au
soudain et Jacominus perd le fil de chat. Policarpe procède par élimi-
ses pensées. « Figure-toi que m’est nation. « Dirais-tu que cette chose
revenu ce moment où… » Où… ? Il formidable était plutôt rare ou très
ne sait plus. banale ? » Et nos deux amis repar-
Il y a quelque chose de Lewis Car- tent sur les chemins de la mémoire.
roll sous les pinceaux de Rébecca Mais qu’elle est donc capricieuse !
Dautremer. On voyage dans cet Aussitôt qu’un souvenir revient,
univers hypertrophié, dispropor- le voilà qui s’envole. Peut-être que
tionné, où les sauterelles sont plus Jacominus s’est rappelé sa sortie
grosses que des bœufs, les cochons, dans un café ? Il y avait tant de bruit,
en tricot et les gâteaux plus grands tant de monde ! Une smala d’ani-
que des chapiteaux. Les pages se maux : un basset hound turquoise,
François d’Assise au grand galop
Avouons-le, la vie de François
d’Assise, on pensait la connaître
il remplit ses poches de cailloux. par cœur, après avoir lu les livres
Tandis que le paternel d’Éloi Leclerc, Chesterton,
les abandonne, Hänsel sème Julien Green, François Cheng.
ses pierres. Et les voilà C’est avec curiosité néanmoins,
de retour, au grand dam connaissant la finesse spirituelle de
de la marâtre, qui décide de les Luc Adrian et son talent malicieux
plonger plus loin dans la forêt. pour dépoussiérer
Hänsel réitère son les images pieuses,
plan, cette fois-ci qu’on a ouvert
avec des miettes cette biographie,
de pain. Mais une fois romanesque mais
la nuit tombée, pas romancée, du
les oiseaux ont grand petit saint
tout mangé ! Voilà d’Assise.
les enfants perdus Et on s’est laissé
pour de bon. entraîner, étonné
La nuit s’illumine de redécouvrir
sous les pinceaux cet homme
de David Sala. mondialement
Est-on dans célèbre, grâce à un FRANÇOIS D’ASSISE, historiques
l’espace ou l’océan ? récit enlevé, plein de LE CHEVALIER
Les arbres sont fraîcheur SANS ARMURE
des méduses, et de profondeur, De Luc Adrian,
des algues, où l’humour et l’acuité Éditions Emmanuel,
des montgolfières. vont de pair. Par 308 p., 21 €.
Les pages exemple, l’auteur,
se tournent, les enfants qui adore les calembours, joue
découvrent une maisonnette avec les anachronismes, pour faire
en sucre, alors qu’une méchante sourire son lecteur certes, mais
femme débarque. On connaît aussi parce que nombre d’épisodes
la suite… Un délicieux conte de la vie de François font écho
sublimé par David Sala. A. D. aux nôtres : sa jeunesse de dandy
auraient-ils donc lancé un sort ? Il maines avant d’achever la lecture
ne faudra pas hésiter à pencher la de ce livre plein de secrets), les
tête, monter et descendre le re-
gard pour déchiffrer ce beau livre
aventures du plus grand sorcier de
tous les temps. A. D.
qui se dérobe décidément à son « Harry Potter. Le guide ultime ».
lecteur. Mais les mystères ne se Ouvrage collectif, traduit
révèlent-ils pas qu’aux vrais ma- de l’anglais par Jean-François
giciens ? Voilà un formidable voya- Ménard et Lætitia Devaux.
ge qui prolongera pour un long Citations de J.K. Rowling,
moment, (comptez quelques se- Gallimard Jeunesse, 208 p., 35 €.
Il y a quelque chose
de Lewis Carroll
sous les pinceaux
de Rébecca Dautremer.
N/LE FIGARO
CHO
FRANÇOIS BOU
un coq en veste violette, un canard
bleu en trois pièces… Non, ce n’est Une encyclopédie
toujours pas ça. Alors ce souvenir,
cette chose est-elle lourde ou légè-
pour petits et
re ? Elle serait légère… mais elle grands curieux
évoquerait aussi un moment pesant.
« Qu’est-ce que ça veut dire une cho- C’est un livre qui prendra bien
se pareille, grogna Policarpe. » On des mois, voire des années,
ne saurait mieux répondre ! avant d’être terminé. La Nouvelle
Rébecca Dautremer joue à la de- Encyclopédie illustrée s’inscrit
vinette et l’on entre dans son jeu dans cette lignée d’ouvrages
avec ravissement. Les pages se tour- qui se grignotent ici et là enfant,
nent, nous sommes au milieu de quand on a une question
bancs de sable, des animaux nous et que nos parents s’avèrent
observent, les pattes dans l’eau. Il y incompétents. Combien
a ce cerf qui promène sa poussette, de météorites tombent
ce couple de souris qui nous saluent. chaque année sur Terre ?
Le ciel est un sorbet à la pêche. Le Comment volent les montgolfières ?
souvenir de Jacominus ferait-il fi- Combien de mails sont envoyés
nalement écho à un jour triste, un chaque minute sur internet ?
changement de vie ? On s’approche, Évidemment, l’ouvrage triche
on tiédit. Tournons la page, vite ! sur son âge. Bien que destiné
Comme toujours avec l’artiste, aux « plus jeunes », il séduira
les livres nous transportent vers un tout autant les « moins jeunes ».
ailleurs poétique, surréaliste. Le Plus de 100 experts ont travaillé
temps se décante. Il devient même avec les auteurs de ce livre.
une douce musique. L’album est ac- Que ce soit sur l’Univers, la Terre,
compagné d’un disque où le lecteur les temps anciens ou les temps
pourra entendre la voix de son modernes, le curieux trouvera
auteur. Un bel ouvrage au parfum donc réponse à tout… Ou presque.
tendre et mélancolique. ■ C’est le charme de cette
encyclopédie, certains faits résistent
encore et toujours à notre
connaissance. Pourquoi rêvons-
nous, par exemple ? Pourrons-nous
fils à papa, ses rêves
un jour connecter des cerveaux
humains à des ordinateurs ?
chevaleresques d’en découdre, Voilà bien des sujets de réflexion…
sa confrontation avec son Petite cerise sur le gâteau :
bourgeois de père, ses rapports le lecteur pourra tester
avec la hiérarchie ecclésiastique, ses connaissances au fil
sa façon de sympathiser avec de sa lecture. De quoi s’amuser seul,
un loup, sa rencontre avec entre amis ou en famille !
les musulmans, le découragement, A. D.
la maladie, etc.
Le récit en accordéon,
avec de longues scènes
cinématographiques,
et des séquences
où le narrateur, tel un
troubadour, reprend le
fil, s’adresse au lecteur
comme à un frère, est
délicieusement allègre.
Luc Adrian s’autorise
des pas de côté -
brèves digressions
ou explications
mystiques -
sans quitter des yeux
ce qui animait son
héros : « Que le
Seigneur tourne vers
toi son visage et te donne la
paix ! » Un style qui sort LA NOUVELLE ENCYCLOPÉDIE
des sentiers battus pour emmener ILLUSTRÉE
à la suite de saint François les De Christopher Lloyd,
lecteurs de 13 à 93 ans. Éditions Les Arènes,
ASTRID DE LARMINAT 424 p., 29,90 €.