Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
DN35EN01
public : éviter de grignoter entre les repas, à consommer avec modération, fumer tue, manger
bouger, zéro alcool pendant la grossesse, lavez-vous les mains fréquemment... ; on admettra aussi
facilement la santé comme référentiel et/ou aspiration individuelle incontournable (qui dirait ne pas
valoriser sa santé?) ; pourtant, même dans cette culture du risque qui caractériserait notre époque et
« qui exhorte chaque individu à devenir autonome et responsable » (Perretti-Wattel, 2013, p. 30)
l'homme ne se laisse pas circonscrire à un homo medicus doté d'une rationalité instrumentale et
d’une forte préférence pour sa santé future. Il apparaît bien souvent plus raisonnant que rationnel,
c'est à dire qu'il modifiera plus aisément ses croyances pour les adapter à ses actes qu'il ne
modifiera ses actes pour les mettre en conformité avec ses croyances. Perretti-Wattel et Moatti
(2009, p. 52) mettent alors en garde contre les abus de cette aspiration sociétale qu'ils nomment le
culte de la santé et les effets pervers structuraux de la prévention que sont la stigmatisation, le
conservatisme moral et la cristallisation d'enjeux commerciaux. Hours (2004) soutient quant à lui
que la santé occuperait aujourd'hui « la place centrale avant-hier dévolue aux religions du salut ».
C'est dire la prégnance et l'ubiquité de cette notion de santé qui est difficile à penser avec rigueur,
dont la définition reste imprécise et sur laquelle pèse toujours un soupçon politique (François, 2017,
p. 10-14).
Cette notion de santé va de pair avec celle de maladie qui ne s'est pas plus révélée être un objet fixe
« il n'y a pas de principe théorique qui permettrait de désigner les conditions nécessaires
constitue pas [...] une entité objective et indépendante de toute conception que nous
nous faisons de l'état désirable d'un être humain [… et ] la maladie mentale implique des
3
Dans le même sens Goffi (2016) argumente que la maladie est avant tout « le déploiement de
puissances parfaitement indifférentes à ce bien qu'est la santé ou à ce mal qu'est la maladie » et que
toute catégorisation est un acte social. Il rappelle que sans vignerons ou arboriculteurs le mildiou et
la moniliose, respectivement maladie de la vigne et des arbres fruitiers, ne seraient « que des
processus naturels affectant les plantes ». Pareillement pour les handicaps ou les pathologies
affectant les êtres humains : s’il est possible de constater des écarts par rapport à des normes,
qu'elles soient biologiques ou non, « décider qu'il s'agit là de conditions relevant de la médecine
plutôt que des secours de la religion, de l'exhortation morale ou de la réforme sociale (voire de la
Le découpage de la réalité, entre ce qui est maladie et ce qui ne l'est pas, n'est pas un découpage
naturel mais un découpage historique et construit qui remplit un certain nombre de fonctions
sociales, politiques et économiques (Pierret, 1991, p. 225). Ce lien fonctionnel apparaît clairement
pour la santé mentale, qui, dès le début de son apparition, quand elle vient remplacer les notions
d'hygiène et de prophylaxie mentale, est une catégorie intimement liée aux politiques publiques
(Doron, 2015).
Aujourd'hui, dans un contexte où les maladies chroniques représentent la principale cause de décès
dans le monde (OMS, n.d.-a) et où la catégorie du handicap s'étend par la multiplication des
personnes ayant des incapacités (Marcellini, 2018) les définitions extensives de la santé, c'est-à-dire
celles qui ne se limitent pas à une absence de maladie, ou au silence des organes, mais intègrent la
qualité de vie, soutiennent cette dimension éminemment politique des questions de santé. Trépied
(2014) met ainsi en avant la médicalisation pour souffrance psychique des comportements déviants
des résidents en Ehpad et Doron (2015) soutient que l’« une des fonctions essentielles de la santé
La santé est autant un enjeu personnel que public et définir et contrôler la santé ou la maladie c'est
4
définir et contrôler les hommes et la société dans laquelle ils vivent. À l’inverse, ne pas être soumis
au point de vue d'autrui quant à la définition de ce qui peut nous troubler et nous faire souffrir, être
réellement acteur de sa santé c’est reprendre le pouvoir d’agir, de vivre et de décider de la vie qu’on
souhaite mener.
5
1 - Schizophrénie, maladie mentale et handicap : une
approche critique
1.1 - Une conception déficitaire de la schizophrénie
Dans le contexte des théories de la dégénérescence du 19ème siècle Kraepelin (1919) élabore, par le
biais des différentes éditions de sa nosographie entre 1883 et 1899, le terme de « démence précoce »
pour décrire un tableau déficitaire apparaissant chez le jeune adulte. Il y regroupe dans une même
puberté), la catatonie de Kahlbaum (folie musculaire, folie de tension caractérisée par un figement
généralisé) et la démence paranoïde qu'il a lui-même décrite en 1893 (Torris, s.d.). Le concept a
d’emblée été l'objet de critiques mais, malgré ses faiblesses conceptuelles, il a emporté une forte
adhésion, probablement du fait de la finesse des descriptions sémiologiques de Kraepelin ainsi que
La démence précoce se caractérise, selon Kraepelin (1919), par son incurabilité et son inéluctable
détérioration. Cette vision déficitaire du trouble a tôt été remise en cause par Bleuler qui en 1908
hétérogène au sein desquelles il inclut la démence précoce. Il s’agissait pour Bleuler de montrer, et
de faire admettre par les « aliénistes » contemporains, que la « démence précoce » de Kraepelin
n’était pas une démence, que son évolution n’était pas inéluctablement celle d’une déchéance
intellectuelle et affective progressive et irrémédiable. Défendre une telle position fut à la fois lucide
et courageux en son temps mais même un chercheur qui innove radicalement ne saurait échapper
entièrement au paradigme scientifique qui domine. Bleuler ne devait pas déroger à la règle et il
schizophrénie. Aujourd'hui cette possibilité évolutive n'est cependant mentionnée que prudemment
par le DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003, p. 356) : « une rémission complète
6
(c’est-à-dire un retour complet à un fonctionnement prémorbide) n’est probablement pas courante
dans ce trouble ». On observe également un regain des théorisations dégénératives (Azorin et al.,
2006) et il apparaît ainsi que la vision déficitaire reste populaire auprès des professionnels.
Ainsi dès 1980, Huber et al. indiquent que sur une cohorte de 502 patients diagnostiqués
schizophrènes entre 1945 et 1959 le pronostic et l'évolution individuelle ne sont en aucun cas
certains. 65 % des personnes diagnostiquées font état de rémission quand 35 % présentent une
évolution déficitaire. Les deux groupes ne sont pas a priori différenciables sur la base de la
symptomatologie.
En 2007, sur une cohorte de 6865 sujets, représentant toutes les premières admissions de personnes
diagnostiquées schizophrènes entre 1978 et 1986 en Israel, Rabinowitz et al. observent qu'une
majorité de 75 % des patients voient leur état s'améliorer et une minorité se détériorer.
En 2011, sur une cohorte de 2290 sujets, Levine et al. identifient 4 groupes se différenciant
significativement sur l'âge d'apparition des troubles, les conditions ethniques et socio- économiques
des sujets et sur les conditions familiales des sujets. En dépit de ces différences les quatre groupes
connaissent la même évolution constituée d'une détérioration initiale suivie dans tous les cas d'une
amélioration.
Des témoignages individuels de plus en plus nombreux viennent également habiller ces données
En psychométrie, la fidélité ou fiabilité (reliability en anglais) est la capacité d'un test à mesurer son
7
objet de manière cohérente et sans erreur trop importantes. La fidélité est l'idée que tout résultat ou
toute découverte doit être reproductible. Si on parvient à construire un test fiable alors on admettra
que le concept mesuré, bien que non concret, correspond à une réalité. Si au contraire on ne parvient
pas à un test fiable cela indiquera soit que le test est mal construit soit que le concept que l'on tente
de mesurer ne correspond pas à une catégorie correctement définie. Dit autrement on ne sait alors
pas vraiment ce que l'on mesure, il n'y a pas d'objectivité à ce que l'on mesure.
Read (2013) indique comment dès sa conception le concept de schizophrénie n'a jamais fait preuve
d'une fiabilité satisfaisante. L'expérience la plus emblématique faisant état d'un manque de fidélité
inter-juges est peut-être celle menée début des années 1970 entre le Royaume-Uni et les États-Unis
(Copeland, Cooper, Kendell, et Gourlay, 1971; Kendell et al., 1971; United Kingdom Cross-
National Project, 1974). Les mêmes vidéos de patients ont été présentées à des cliniciens américains
et anglais et on leur a demandé de poser un diagnostic. Il a été observé que les diagnostics portés
par les psychiatres différaient pour un même cas. Les psychiatres américains diagnostiquaient deux
relève que l'introduction du DSM-III en 1980 indiquait encore que les critères diagnostiques étaient,
en dépit d'intense recherche et testing, toujours peu clairs, inconsistants voire contradictoires. La
Tel que défini par le DSM, le concept de schizophrénie un concept rendu trop diffus et inutilisable
de par son caractère disjonctif. Un concept disjonctif est un concept basé sur un ensemble d'attributs
où chacun des attributs n'est pas nécessaire dans chaque cas. Ainsi il est possible de faire rentrer
dans la même catégorie de schizophrénie des personnes qui ne présente aucun symptôme commun.
Le DSM-5 a tenté de réduire ce caractère disjonctif mais Read (2013) indique qu'il a toujours 12
possibilités de diagnostiquer une schizophrénie sans que les personnes n'aient de symptômes
communs.
8
Cette hétérogénéité des critères de la schizophrénie est aussi relevée par Poland (2006). Dit
simplement, il n'existe aucun accord scientifiquement valable quant à qui serait atteint de
schizophrénie.
Dans cette situation d'absence de fiabilité Read (2013) rappelle que parler de validité n'a aucun sens
et la question pourrait être écarté d'emblée. Si l'on explore néanmoins les éléments constitutifs de la
validité que sont la validité de construit et la validité critérielle, on observe pareillement que ceux-ci
La validité de construit : pour l'établir il faudrait pouvoir regrouper entre elles des caractéristiques
Poland (2006, p.103) autant que Read (2013) indiquent qu'il n'existe pas d'ensemble de
Poland indique de plus qu'il n'existe pas non plus de cadre théorique supporté empiriquement où la
schizophrénie soit bien définie. Même le modèle neuro-developpemental n'a pas non plus de
support empirique et reste plutôt spéculatif dans son état actuel (Poland, 2006, p. 104).
schizophrénie avait une bonne validité critérielle, le diagnostic de schizophrénie (sur lequel on vient
de voir que les cliniciens ne parvienne pas à s'accorder) devrait permettre de faire de bon pronostic
quant à l'évolution des personnes. Or ce n'est pas le cas. Selon Read (2013) les meilleurs critères
pronostiques sont les facteurs psychosociaux et non le diagnostic. Ciompi (1980, p. 420, traduction
processus de vie ouvert a une grande variété d'influence de toutes sortes qu'à une maladie avec un
cours déterminé ».
9
conserver une valeur prédictive, c'est en raison du caractère vague et disjonctif des prévisions à
l'instar des astrologues qui peuvent acquérir un certain pouvoir prédictif sur le futur à condition que
La schizophrénie n'a pas de bonne validité critérielle et ne peut pas être associé à une évolution
Parce que les attentes peuvent être un facteur si puissant dans le rétablissement, les
patients, les familles et les cliniciens ont besoin de l’entendre... L’ISoS se joint à
d’autres pour délester les patients, les soignants et les cliniciens du paradigme de la
chronicité qui a dominé la pensée pendant une grande partie du 20e siècle (Harrison et
« En définitive le concept de schizophrénie ne peut pas être considéré comme une construction
scientifique bien définie ce qui soulève de sérieux doutes quant à la crédibilité scientifique de toute
Le déséquilibre chimique est une explication courante et séduisante pour nombre de troubles
mentaux. Elle est largement répandue au sein des professionnel de santé mentale alors qu'il n'existe
aucune preuve scientifique et/ou expérimentale que ce soit là la cause initiale des troubles mentaux.
Moncrieff (2018a) rappelle ainsi qu'aucune recherche n'a jamais établi qu'un état cérébral particulier
Il n'existe pas non plus de test biologique permettant d'établir un diagnostic de trouble psychique
contrairement à des pathologies comme le diabète qui est objectivable par une hyperglycémie
supérieure à 1,26 g/l à jeun ou supérieure à 2g/l à n'importe quel moment de la journée (Fédération
Il est aussi paradoxal d'avancer une étiologie organique alors que dans la définition même d'un
10
trouble psychique se trouve l'exclusion de toute atteinte organique. Ainsi le critère « E » de la
Schizophrénie dans le DSM 5 (APA, 2015) stipule : « la perturbation n'est pas imputable aux effets
physiologiques d'une substance (par exemple, une drogue d'abus, un médicament) ou à une autre
condition médicale ». Si les perturbations sont de nature biologique cela annihile la notion même de
maladie mentale (Bachand, 2012). Si un trouble psychique peut s'expliquer par une anomalie
biologique comme « une anomalie du cerveau, elle sort du champ de la maladie mentale pour
rejoindre celui de la maladie physique » (Bachand, p. 17). Historiquement c'est ce qui a été le cas
par des habitudes immorales et non par un dérèglement biologique. En fait, la paralysie
générale est une inflammation diffuse du cerveau provoquée par la syphilis. L'origine
syphilitique de la maladie est suspectée dès 1879 et confirmée en 1913. [...] Dans la
se sont révélés explicables par des anomalies biologiques, on présume que les
souvent présenté est alors que si les psychotropes ont un effet positif sur les symptômes c'est qu'ils
doivent guérir une maladie sous-jacente. Si l'augmentation du taux de sérotonine diminue les
symptômes dépressifs ce serait parce que les dépressifs souffrent d'un déficit en sérotonine. Or ce
raisonnement est faux, il équivaut à soutenir que si l'ingestion d'alcool diminue l'anxiété sociale
c'est parce que ces personnes souffrent d'un déficit d'alcool. L'alcool peut soulager l'anxiété sociale,
mais ce n'est pas parce que les gens ont un déficit en alcool (Moncrieff, 2018b).
11
1.3.4 - La schizophrénie : une idée reçue
Les critiques développées ci-dessus soutiennent que le concept de schizophrénie n'a pas de
fondement scientifique. Pourtant, pas plus que les critiques sociopolitiques cherchant à dévoiler les
engagements idéologiques et les intérêts que sert le concept, elles n'ont réussi à changer le rôle
une maladie mentale grave dans toutes les sphères de la société » (Poland). Est-ce qu'en dépit de
son absence de crédibilité scientifique le concept aurait une utilité pratique ? Poland argumente que
non. Le concept de schizophrénie est un stéréotype qui introduit des partis pris préjudiciables dans
les pratiques cliniques et qui, par conséquent, va à l’encontre de certaines valeurs et objectifs
cliniques essentiels. Selon Poland, ces partis pris peuvent survenir dans au moins dans cinq
d’inférences, la compréhension clinique, l’intervention, ainsi que les identités, rôles et relations
cliniques (c’est-à-dire l’infrastructure sociale). Ensemble, de tels partis pris vont à l’encontre des
objectifs et des valeurs des pratiques cliniques que sont la résolution de l’incertitude clinique (quel
est le problème de cette personne si problème il y a ?, quels processus causaux sont en jeux? Quelle
est la signification de tels problèmes et processus dans la vie d'une personne souffrant ? Quelle
intervention est susceptible d'être efficace ?) la conception et la mise en œuvre des stratégies et
éthiquement appropriées. Ces partis pris nuisent à la fois aux cliniciens et à ceux qui ont besoin de
leur aide.
Si, sans fondement scientifique et sans utilité pratique, le concept de schizophrénie reste populaire
c'est qu'il convoie une idée reçue, c'est-à-dire une opinion qui prend l’apparence d'une vérité
démontrée en venant répondre de manière apparemment simple à une question complexe. Cette idée
reçue qui sert de fondation à toute pensée et action concernant la schizophrénie comprend des
12
affirmations comme :
Ce traitement s’est amélioré de façon importante dans la dernière décennie (par exemple, par
5. la schizophrénie est stigmatisée de façon injustifiée et cette stigmatisation peut être réduite
Les premiers modèles et classifications du handicap ont été développés pour palier l'incomplétude
de la Classification Internationale des Maladies (CIM) qui ne permettait pas de rendre compte des
conséquences de la maladie. Ces premiers modèles ont été rapidement et vivement critiqués pour
leur description insuffisante des désavantages, leur absence de prise en compte de la dimension
Dans ces premiers modèles le handicap résulte d'une incapacité elle-même conséquence d'une
→ Incapacité (disability)
→ Désavantage (handicap)
13
L'incapacité est la conséquence de la déficience. C'est la difficulté ou l'impossibilité
travail.
Dans ce modèle c'est la lésion ou la déficience qui rend les personnes handicapées. En réaction, de
nouveaux modèles dits « modèles sociaux du handicap » ont été développés par les mouvements de
personnes handicapées pour s’opposer à ce « modèle médical » et aux pratiques de prise en charge
Dans ces nouvelles conceptions du handicap, le handicap est conçu comme « la conséquence des
obstacles posés par la société aux personnes présentant une déficience (ce sont dès lors ces
circonstances matérielles ou sociales qui doivent être amendées) » (Pachoud, Leplège et Plagnol,
2009), alors que dans les premiers modèles du handicap celui-ci était conçu comme la
« conséquence d’un déficit ou d’une incapacité de l’individu, qui doit par conséquent s’adapter »
(Pachoud et al., 2009). Les évolutions conceptuelles ont pu mettre l'accent sur les déterminants
évolutions comme dans le modèle canadien de Processus de Production du Handicap (PPH) ont
également apporté une définition plus sociale et processuelle du handicap, en tant que désavantage
dont la société est en partie responsable et ont permis d'orienter les interventions vers des
modifications de l'environnement et de mettre l'accent sur les ressources plutôt que sur les
déficiences de la personne.
Les modèles précédemment présentés et le vocabulaire utilisé pour décrire les atteintes à la santé
14
physique ou psychique ne sont pas anodins. Ils restent tous liés à une notion de maladie et/ou de
déficience et reposent sur une conception de ce qu'est la « normalité ». Dans ces modèles la
Si les modèles sociaux du handicap ont mis en avant la production sociale du handicap, Marcellini
(2019) décrit comment le handicap se reproduit. Prenant l'exemple des personnes sourdes,
permet une prise de conscience collective et le développement progressif d'un point de vue
minoritaire. Cette dynamique collective d’émancipation va dans un troisième temps céder le pas à
une attention plus soutenue aux individus, « la liberté gagnée vis-à-vis des contraintes sociales
préalables [autorisant] chacun et chacune à accorder d'avantage d'attention aux espaces nouveaux et
à poursuivre des projets individuels » (Marcellini, p. 22). Les politiques d'intégration en viennent
groupe qui s'était constitué en vient à être scindé entre ceux « qui resteront assignés au monde de
Cette mise en avant de l'individu et de l'individualisme, où les droits, les intérêts et les projets
disparition de la différence ». Il est attendu que chaque personne, pour être intégrée, soit
performante et qu'elle fasse preuve de sa capacité à faire « comme tout le monde ». Les personnes
« Avoir des limitations de capacités et vivre des situations de handicap est aussi
l'expérience des personnes âgées dites dépendante, des personnes ayant des maladies
15
chroniques invalidantes, ou des personnes ayant diverses maladies génétiques, rares ou
non, évolutives parfois ou des troubles, en particulier les multiples « troubles dys »
Marcellini (2018).
Ce sont alors selon l'OCIRP (2017) 12 millions de français qui sont touchés par un handicap.
L'OMS (n.d.-b) indique quant à elle que plus d'un milliard de personne, soit environ 15 % de la
population, vivent avec une certaine forme de handicap. Le handicap n'est plus la spécificité d'une
minorité mais en vient à concerner tout le monde. Il n'est quasiment plus une famille qui n'ait en son
Cette limitation des capacités est directement liée à l'idée de dépendance qui « dans le champ des
maladies chroniques [...] de la gériatrie [et] du handicap — a été définie par les professionnels par
dépendance comme l’insuffisance respiratoire chronique tel qu'analysé par Bret (2007) « conduit à
modèle « d’une dépendance continue du sujet au monde social passant par un ensemble de liens se
« l'autonomie n'est pas significative d'absence de liens, bien au contraire. Une personne
autonome n’est pas une personne qui décide et agit seule, mais dont le pouvoir
décisionnel et les capacités d’action sont soutenus par de multiples relations (sociales,
ou par les professionnels, « d’autonome » n’est pas une personne isolée, mais une
personne qui se fabrique et est fabriquée à travers ses relations à différents dispositifs.
Autrement dit, elle est à la fois dépendante et autonome, ou encore, elle est autonome à
Toutes les situations habituellement qualifiées de dépendance ou d'autonomie deviennent alors des
situations d'interdépendance qui ne se distingue plus que par la nature, la forme des relations
16
sociales que noue la personne, ainsi que leur nombre et leur diversité. Les personnes deviennent
respiratoire
concentrant ses efforts sur sa survie, entraîne un processus de raréfaction des relations
qu’elle entretenait avec des humains [...], plus ou moins nombreux, divers et variés. À
L’objectif central et par moment unique des pratiques et du dispositif de prise en charge
réanimation) est de maintenir les fonctionnalités vitales « d’un corps », lui-même réduit
sous forme d’une limitation au dispositif biomédical, entraîne alors une transformation
des affects et de l’univers symbolique intériorisé par la personne, dans le sens d’une
Inversement, « la personne est qualifiée ou se sent autonome lorsque ses multiples délégations,
Il ne s'agit plus alors de différencier des personnes handicapées ou en situation de handicap d'autres
personnes qui ne le seraient pas mais d'appréhender chaque individu dans ses capacités avérées et la
17
18
2 - Les concepts ouvrant à de nouvelles pratiques
2.1 - Le rétablissement
On peut différencier trois acceptions ou conceptions du rétablissement.
Le rétablissement en tant que résultat ou conception médicale s’appuie sur des critères
→ une rémission symptomatique mesurée sur l'échelle Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS)
→ un niveau de fonctionnement social objectivé par le temps consacré à une activité scolaire ou
professionnelle, la fréquence des relations sociales, la capacité à ne pas dépendre entièrement des
→ une durée minimum de maintien des critères sus-cités de deux années consécutives.
Dans cette acception, le rétablissement se conçoit comme un retour à un état proche ou identique à
(Koenig-Flahaut et al., 2012). Dans cette acception, les personnes peuvent être considérées rétablies
critères pour identifier ce rétablissement sont de nature expérientielle et subjective. Selon Andresen
retrait protectif
2. « la conscience », la personne a une première lueur d'espoir d'une vie meilleure et entrevoit que le
rétablissement est possible, cela inclut la conscience d'un soi en dehors de la maladie
19
composantes de la personnalité » (Koenig-Flahaut et al., 2012)
4. « la reconstruction », la personne travaille à se forger une nouvelle identité et à établir une image
positive d'elle-même. Elle prend la responsabilité de gérer la maladie et prend le contrôle de sa vie
5. « la croissance », la personne n'est pas nécessairement libre de tout symptôme mais sait comment
gérer sa maladie et maintenir une vision optimiste de l'avenir. Elle vit une vie qui vaut la peine
d'être vécue et a le sentiment que l'expérience a fait d'elle une meilleure personne que s'il en avait
été autrement.
marqué par la capacité à se dégager d'une identité de malade psychiatrique (Pachoud, 2012). Il
invite à donner sens aux expériences déstabilisantes dans un cadre de compréhension et de référence
On dégagera alors des déterminants et des conditions de ce processus (Pachoud, 2012 ; Evans et
Sault, 2012) :
d’un contrôle sur sa vie sont les plus significatifs (Pachoud, 2012).
rétablissement est possible, que l'horizon de ses troubles n'est pas un inéluctable et irrémédiable état
déficitaire mais que la personne peut réaliser ses rêves et ses objectifs
→ le plaidoyer pour soi-même : la personne s'efforce de communiquer avec les autres de façon
efficace afin d’obtenir ce dont elle a besoin, ce qu'elle veut et ce qu'elle mérite pour continuer à aller
bien et à se rétablir
→ l’éducation : la personne recherche et apprend tout ce qu'elle peut sur ce qu'elle éprouve, elle
exploite toutes les informations disponibles tant quant aux services de soins offerts que quant aux
20
savoirs expérientiels de ses pairs afin de pouvoir prendre les bonnes décisions concernant tous les
→ la confiance de l’entourage, des soignants, ou des proches, dans les potentialités de la personne
accepter le soutien d’autrui tout autant que savoir aider autrui participent au mieux-être et à
→ la responsabilité personnelle : il incombe à chacun, avec l’aide des autres, d’agir et de faire ce
2.2 - L'empowerment
L'empowerment est un terme polysémique, « il s'agit aussi bien du geste de quelqu'un conférant un
pouvoir » (Deutsch, 2015, p. 2). Bacqué et Biewener (2013) ont identifié différents modèles de
l'empowerment. Dans son acception la plus radicale la notion d'empowerment est portée par des
critique peut être portée de manière facilement identifiable autour de la question des mauvais
se limite pas à ces aspects les plus bruyants mais aussi peut-être les plus minoritaires. La critique de
l’oppression porte plus largement sur tout ce qui, selon la définition de Mullaly (2010) cité par
Lapierre et Leveque (2013), exclut la personne d'une participation pleine et entière à la société sur
la base d'une appartenance à un groupe ou à une catégorie de personne. Vidal-Naquet (2009) relève
ainsi l'expérience problématique générée par le double statut associé aux notions de maladie
21
mentale et de handicap psychique. Double statut qui, certes, donne accès à des droits mais qui aussi
limite par cette appartenance même lorsque le stigmate n’apparaît pas d’emblée au grand jour et que
Selon Deutsch (2015) l'empowerment est un mouvement d'émancipation porté par un processus de
trouve son expression dans la capacité d’agir et de mettre en œuvre les connaissances
L'empowerment ne peut pas se concevoir sans une remise en cause de la relation soignant-soigné,
sans interroger les rapports de pouvoir. « Choisir, participer, comprendre sont les 3 piliers de
l’appropriation du pouvoir » (Ouellet, 2010, p. 13) et de la capacité « à faire face aux frustrations et
à lutter pour influencer l’environnement » (Deutsch, 2015, p. 6). Bacqué et Biewener (2013, p. 144)
résument alors l'empowerment comme étant « un processus sociopolitique qui articule une
L'empowerment est entre-autre lié au rétablissement en ce que pour Ouellet (2010, p. 14) par
exemple il ne peut « y avoir rétablissement sans appropriation du pouvoir ». Cette prise de pouvoir
prend aussi la forme d'une prise de parole, où « ce n'est pas de la valeur de la parole dont il est
Ci-dessous quelques témoignages de rétablissement, qui sont donc des prises de parole et de
pouvoir mais aussi le média de la transmission du savoir expérientiel que nous allons maintenant
développer.
22
Eleanor Longden : http://www.ted.com/talks/eleanor_longden_the_voices_in_my_head
Vincent Demassiet : https://www.youtube.com/watch?v=hPYissZZ8cg (à partir de 17:21)
Peter Bullimore : https://www.youtube.com/watch?v=5DBXm0eanjA
Patricia Deegan : https://www.youtube.com/watch?v=jUvJFsvPM9o
Karoll-Ann Souffrant : https://www.youtube.com/watch?v=oAFMiGsRoQk&feature=share
postuler que l'expérience confère une compétence et donc que l'expérience personnelle des
personnes en souffrance psychique sévère peut ouvrir des perspectives nouvelles dans les actions et
les soins à prodiguer. Le savoir expérientiel diffère du savoir académique. Il se transmet par
spécifiques comme le mouvement international sur l'entente de voix (Hearing Voices Movement).
Les débuts du Mouvement sur l'Entente de Voix (Hearing Voices Network, HVN)
Marius Romme, psychiatre néerlandais se trouvait en difficulté avec une de ses patientes,
suicidaires. Le seul élément positif des entretiens entre le psychiatre et la patiente était la
théorie développée par la patiente sur son vécu. À partir de l’œuvre de Julian Jaynes
(1976/1994) sur l'origine de la conscience, elle avait été amenée à considérer ses voix non
comme le symptôme d'une maladie mentale mais comme une expérience normale, ce qui la
trouver cette théorie acceptable et si cela ne pouvait pas leur être utile. Il pensait aussi que
cela pourrait avoir un effet positif sur le sentiment d'isolement de la patiente et sur ses
tendances suicidaires. Des rencontres avec d'autres entendeurs de voix furent planifiées et il
s'avéra que les participants se reconnaissaient dans leurs expériences réciproques. Ils restaient
23
néanmoins impuissants et incapables de composer avec leur voix. Vient alors l'idée que
certains entendeurs géraient peut-être mieux leurs voix et que de rentrer en contact avec eux
psychiatre et la patiente entrèrent en relation avec 400 entendeurs de voix dont 150 disaient
avoir trouvé des moyens de composer avec leur voix. Un congrès fut organisé qui permit à ces
du phénomène et des multiples stratégies de coping mises en place par ces experts
On voit que le partage d'expérience, dans ce qu'il offre de rupture de l'isolement, de normalisation
international sur l'entente de voix (Hearing Voices Movement). On saisit aussi comment l'expertise
par expérience n'est pas de l'éducation thérapeutique, de la psycho-éducation, ou tout autre savoir
savant externe à l'individu sur un quelconque objet « maladie ». L’expertise d'expérience est un
Tout comme le rétablissement qui admet plusieurs acceptions (voir 2.1) ou l'empowerment dont on
peut différencier plusieurs modèles (voir 2.2) l'expertise d'expérience recouvre différents sens et
pratiques. Pour s'orienter au sein des différents dispositif se revendiquant d'une mise en œuvre de
personnelle de la capacité de « faire des choses », en général, et si possible des choses « normales »,
Il revient de différencier l'auto-support, la pair-aidance et les GEM. Tous trois peuvent être vu
comme des expressions de l'expertise d'expérience mais les contextes dans lesquels ces pratiques et
24
institutions se sont développées et s'observent diffèrent.
Les groupes d'entraide mutuelle en tant qu'institution ont été rendus possible par la loi de 2005
dite loi Handicap. Ce ne sont, selon la loi, pas des structures de soin ni des structures médico-
vie en société » (Arrêté du 18 mars 2016). Au sein de ces structures le terme « membre » renvoie à
toute personne venant au GEM et « adhérent » aux personnes ayant validé leur adhésion à
Une des conditions à remplir par l'association constituant le GEM pour être conventionnée et
financée en tant que GEM est d'avoir le soutien d'un parrain et de conclure une convention de
entraîne que ces structures ne bénéfice que d'une autonomie relative et que les liens au monde
médical restent forts. Les GEM peuvent différer en étant organisés autour d'une pathologie distincte
(les cérébro-lésés) ou non. Pareillement l'organisation interne peut grandement différer selon qu'elle
est ou non assurée par des animateurs professionnels salariés n'ayant pas eu d'expérience des
troubles psychiques.
La pair-aidance est définie comme l'entraide entre personnes souffrant ou ayant souffert d'une
l'expertise par expérience et des compétences qui en découlent prend la forme de la pair-aidance.
Les pairs-aidants alors aussi appelés médiateurs de santé sont des usagers de la psychiatrie qui sont
inclus dans les équipes de soin en santé mentale. Ils accompagnent et soutiennent leurs pairs par la
25
Les pratiques d'auto-support s'identifient elles en ce qu'elles sont, sur la base d'un principe
d'autonomisation, toujours portées par et pour les personnes concernées. La structure décisionnelle
est ainsi faite que rien ne peut y être décidé pour les personnes sans que celles-ci soient incluses
dans le processus même de décision. Un exemple en serait les groupes d'entendeurs de voix qui se
dotent individuellement de règles de fonctionnement qui leurs sont propres et qui sont, à tout
moment, modifiables. Les personnes s'y retrouve également non pas sur la base d'un diagnostic ou
d'une pathologie identifiée, mais sur la base d'une expérience commune comme celle d'entendre des
voix.
Dans les pratiques d'auto-support aucune forme d'organisation n'est imposée par une autorité
extérieure et ce sont les personnes elles-mêmes qui se saisissent des ressources à leur disposition. Si
ces personnes choisissent de s'organiser dans un cadre associatif aucun parrainage n'est requis et les
2.4 - L'inclusion
Usagère de la psychiatrie depuis de nombreuse années et professeur à l'Université Hanz de
Gronigen aux Pays-Bas, Wilma Boevink (2012) affirme que « le concept de rétablissement met fin à
l’idée qu’il faut qu’on soit « guéri » et exempt de symptômes pour (être autorisé à) jouer un rôle
dans la société ». Le concept de rétablissement dans son acception émancipatrice invite alors à
Selon Davidson et al. (2012) « c’est l’intégration sociale qui a été le plus souvent utilisée dans
intégration peut s'appliquer à toute personne qui a été mise à l'écart, comme des délinquants sortants
de prison, ou qui ne faisait initialement pas partie du corps social, tels les immigrés. L'intégration
vise à faire disparaître ce qui différenciait la personne. L'intégration passe pour cela par une
acculturation des personnes à la société par laquelle elles veulent être adoptées. Ce processus fait
disparaître « ce qui distinguait la personne des autres et justifiait son besoin d'être intégrée »
26
(Davidson et al., 2012). Dans le cas des troubles psychiques, cela implique alors que les troubles
aient disparu avant que la personne puisse être à nouveau accueillie au sein de la communauté.
Ceci est problématique quand il s'agit de troubles dits chroniques où par définition le trouble n'est
pas appelé à disparaître. L'intégration devient asymptotique et ne se réalise jamais, la personne est
insérée dans la cité, mais n'y participe jamais véritablement en restant exclue de la société et
maintenue au sein de réseaux de soins et de structures adaptatives dont elle ne parvient jamais à
norme (symptomatologique ou non) pour accéder à la citoyenneté. Elle considère au contraire « les
personnes aux prises avec une maladie psychique grave avant tout comme des citoyens à part
entière » (Davidson et al., 2012). Ce faisant « l’inclusion met en discussion le concept même de
normalité » (Dutoit, 2006). Ce qui distingue la personne n'a plus à disparaître et la différence
devient une « différence normale ». Ce qui précédemment distinguait la personne est réintégré dans
27
3 - Quelle traduction dans la pratique ?
3.1 - La formulation comme alternative au diagnostic
Parmi les outils à la disposition du psychologue, différent à la fois du diagnostic (à visée descriptive
et catégorielle) et des tests psychologiques (visant à situer les caractéristiques de la personne par
cadre d’une prise en charge psychologique. La formulation se veut être une approche ascendante
(bottom up), partagée (collaborative) et contextualisée par opposition à une approche descendante
(top down) représenté par l'application d'une théorie ou la détermination du traitement en fonction
du diagnostic. La formulation peut être comprise comme un acte ou un processus. Dans le sens d'un
acte, la formulation est un 'objet', un acte qui souvent se concrétise sous la forme d'une lettre
d'orientation, d'un texte écrit ou d'un diagramme partagé entre le professionnel et le patient. Mais la
réflexion, de feed-back et de révision qui est partie intégrante du processus d'une psychothérapie.
La formulation est sous cette forme processuelle probablement plus proche de la réalité clinique que
formulation est une hypothèse étayée par des théories psychologiques sur les difficultés rencontrées
par la personne. De ce fait, elle doit toujours être ouverte à de possibles reformulations. Les
compréhension des difficultés (Cooke et Kinderman, 2018). Cette imposition d'un cadre de
référence pré-conçu est ce que Sironi (2003) a théorisé comme de la maltraitance théorique. Cette
maltraitance se produit lorsque des théories sont « plaquées sur une réalité clinique qu'elles
particulièrement présent quand s'agit de penser « ce qui est habituellement considéré comme 'allant
28
de soi' » (Sironi) ou quand on appuie son intervention sur des idées reçues (voir 1.3.4.).
La formulation comme alternative au diagnostic même dans les situations habituellement comprises
comme des manifestations d'ordre psychotique se justifie du fait que les détresses les plus sévères et
les comportements les plus déroutants peuvent souvent être compris psychologiquement (Cooke et
Kindermann, 2018).
Dans le développement d'une formulation la prise en compte des questions suivantes peut être utile
1. Quels sont les problèmes ? Une compréhension commune des problèmes est essentielle et
devrait être exprimée dans le langage quotidien de la personne, par exemple : « je suis très contrarié
parce que les gens me dévisagent et je m’inquiète qu’ils pensent de mauvaises choses à mon sujet ».
Différentes personnes peuvent comprendre leurs problèmes de façon très différente selon leur
milieu, leur culture ou sous-culture, leurs croyances et leurs expériences de vie antérieures. Il est
important que les professionnels aient ces choses à l’esprit, qu'ils le demandent, et qu'ils respectent
Comment les problèmes interfèrent-ils avec leur vie ou les empêchent-ils de faire des choses qu’ils
aimeraient faire ?
2. Qu’est-ce qui aurait pu causer les problèmes ? Des expériences précoces de négligence ou la
critique peuvent nous amener à avoir des vues profondément ancrées de nous-mêmes qui sont très
négatives, par exemple : « je ne vaux rien », « je suis un raté ». Quelle était la signification
personnelle des événements et/ou des circonstances et quelle a été leur incidence sur la personne ?
Ainsi, la violence peut avoir laissé quelqu'un se sentir honteux ou coupable ; les violences
conjugales ont pu convaincre quelqu’un qu'il est sans valeur et piégé ; la pauvreté aurait pu amener
29
quelqu’un à se sentir exclu et dévalué. Certaines personnes – peut-être plus particulièrement
ceux qui conçoivent leurs problèmes sous le prisme de la maladie – pourraient s’interroger sur le
rôle d’une sorte de prédisposition génétique. Toutes ces idées sont susceptibles de se développer au
cours de la conversation alors que les deux personnes essaient de donner un sens aux expériences.
3. Qu'est-ce qui provoque ou déclenche les problèmes ? Exemple : à chaque fois que je me sens
triste les voix apparaissent. Cela a tendance à se produire quand je suis seul.
4. Qu'est-ce qui maintient les problèmes ? Cela peut être des pensées (« les gens ont raison de me
juger ») des choses que l'on fait (j'évite de sortir, quand je sors je garde ma tête baissée et essaie de
ne pas regarder les gens) et/ou se retrouver coincé dans des schémas d'interactions avec autrui.
sociales ont protégé la personne et empêché que les problèmes ne s’aggravent ? Cela pourrait par
exemple être le courage de continuer à sortir malgré les angoisses, ou des relations soutenantes avec
des amis qui ne jugent pas. Comment ces forces peuvent-elles être mises à profit et renforcées ?
Ci-dessous vous trouverez deux exemples, tirés du rapport de consensus sur la schizophrénie publié
2. une formulation centrée sur les facteurs de maintien des difficultés rencontrées par la personne.
30
Jane a 20 ans et a commencé à entendre des voix critiques et hostiles. Si un diagnostic lui avait été
alternative une formulation écrite, développée avec Jane sur quelques semaines ou mois pourrait
ressembler à cela :
Tu as eu une enfance heureuse jusqu’à ce que ton père meure quand tu avais huit ans. Enfant, tu te
sentais très responsable du bonheur de ta mère et tu as repoussé ton propre deuil. Plus tard ta mère
s'est remariée et quand ton beau-père a commencé à abuser de toi, tu ne t'es pas sentie en mesure de
te confier à qui que ce soit ou de risquer la rupture du mariage. Tu as quitté la maison aussi tôt que
de traiter avec ton patron, dont le harcèlement te rappelait ton beau-père. Tu as quitté ce travail mais
les longues journées dans ton appartement ont rendu difficile de continuer à repousser tes
sentiments enfouis. Un jour tu as commencé à entendre une voix masculine te dire que tu étais sale
et méchante. Cela semblait exprimer comment l'abus t'a fait te ressentir et cela te rappelait des
choses que ton beau-père t'avait dites. Tu as trouvé la vie quotidienne de plus en plus difficile au fur
et à mesure que les événements passés te rattrapaient et que beaucoup d'émotions refaisaient
Dans ce premier exemple l'accent est mis sur comment les problèmes ont commencé et se sont
31
3.1.2 - Exemple de formulation de maintien des difficultés
Un homme de 22 ans (appelons-le Dan) avait reçu un diagnostic de schizophrénie. Les cliniciens
ont décrit qu’il a des « idées de persécution, de diffusion de la pensée (croire que d’autres personnes
peuvent entendre vos pensées) et l'illusion qu’il pouvait lire les pensées d'autrui. Il a initialement
développé ces expériences et croyances après une période prolongée de forte consommation de
drogues et d’alcool trois ans plus tôt. Il a évalué à 100 % la probabilité que ses croyances soient
vraies.
Il avait une bosse dans le cou, qu'il craignait être un appareil pouvant transmettre ses pensées aux
autres et pouvant être utilisé pour recueillir des preuves à son sujet. Il vérifiait et sondait souvent
cette bosse, scrutait son environnement en recherche de dangers et cherchait à se faire rassurer par
sa famille et ses amis. Il évitait de sortir pour rester en sécurité et essayait de contrôler ses pensées
Le Professeur Morrison et ses collègues relevèrent que si Dan avait des craintes légèrement
différentes au sujet de sa bosse, il aurait probablement reçu un autre diagnostic et n'aurait pas été vu
comme psychotique. Par exemple s’il s'était inquiété de savoir si c'était un cancer, et qu'il n'était pas
rassuré par les tests il aurait pu recevoir un diagnostic d'hypocondrie. Le Professeur Morrison et ses
collègues suggèrent que les personnes sont vues comme psychotiques si leurs croyances et peurs
Dan croyait aussi qu'il pouvait volontairement transmettre ses pensées et que cela amenait les gens à
obéir à ses souhaits. Il pensait qu'il pouvait entendre les gens – habituellement ses amis ou les
membres de sa famille – penser de mauvaises choses à son sujet, y compris : « Je vais te tuer ». Ces
craintes étaient pires quand il était stressé et l'amenaient à se sentir en colère, anxieux, déprimé et à
éprouver des changements physiques comme des rougeurs et des palpitations. Pour cette raison il
32
En collaboration avec son psychologue clinicien, Dan a trouvé ce qu'il pense qui se passe. Il a
découvert qu'il était bloqué dans différents cercles vicieux qui maintenaient le problème. Des
expériences passées l'avaient amené à voir le monde d'une manière particulière. Par exemple, avoir
été harcelé l'avait conduit à se sentir mal dans sa peau et aussi à trouver difficile de faire confiance
aux autres. Cela affectait la manière dont il interprétait les situations ambiguës. Ainsi quand il a
trouvé la bosse il a été plus rapide que d'autres auraient pu l'être à en conclure que cela était causé
par d'autres essayant de lui faire du mal. La façon dont il a réagi à ces croyances – par exemple en
s'isolant et en évitant les autres – l'empêchait de découvrir qu'elles n'étaient pas vraies.
Ensembles, Dan et son psychologue clinicien ont développé une 'formulation' qu'ils ont consigné
sous la forme d'un diagramme. Ce diagramme montre comment les expériences de Dan l'avaient
33
Conclusion ?
Les souffrances psychiques extrêmes et handicapantes ont aujourd’hui plus à gagner à être
accueilles dans la diversité des expériences et expressions humaines qu'à être prévenues,
diagnostiquées, médicalisées, traitées. Les différences humaines peuvent s'affirmer et s'assumer, non
nécessairement sans révolte, mais sans conflictualité destructive. L'émancipation ne signifie pas de
se sur-adapter, de prendre la place d'autrui et de reproduire ce contre quoi on s'est élevé ou qui nous
a fait souffrir, mais de travailler les rapports sociaux pour faire naître une société pleinement
34
Lectures et ressources conseillées :
Ouvrages critiques
Cooke, A. (dir.), Basset, T., Bentall, R., Boyle, M., Cupitt,C., Dillon, ...Wikes, T. (2017)
Understanding psychosis and schizophrenia. Leicester, Royaume-Uni : The British
Psychological Society. Site de l'éditeur. Récupére de https://www.bps.org.uk/what-
psychology/understanding-psychosis-and-schizophrenia
Moncrieff, J. [UNE Center for Global Humanities]. (2013a, février). The Myth of the Chemical
Cure: The Politics of Psychiatric Drug Treatment [vidéo]. Récupéré de
https://www.youtube.com/watch?v=IV1S5zw096U
Read, J. (2013). Does 'schizophrenia' exist? Reliability and validity. J. Read et J. Dillon (dir.)
Models of madness. Psychological, social and biological approches to psychosis. Routledge
« Classer les troubles mentaux : aide ou entrave aux soins ? Le cas de la schizophrénie »
https://www.prescrire.org/Fr/150/1884/57396/6073/ReportDetails.aspx
Romme, M. et Escher, S. (2012). Accepter les voix. (E. Montpas et J.-A. Morasse trad.). Editions
Claude Bussières. (Ouvrage original publié en 1990 sous le titre Stemmen horen accepteren.
Rijksuniversiteit Limburg, Vakgroep Sociale Psychiatrie Siso).
Sur la formulation :
35
RÉFÉRENCES
American Psychiatric Association (2003). DSM-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux. 4ème édition, Texte Révisé (J.-D. Guelfi et M.-A. Crocq (dir.) trad.). Masson.
(Ouvrage original publié en 2000 sous le titre Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorders. APA).
American Psychiatric Association (2015). DSM-5® manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux (M.-A. Crocq et J.-D. Guelfi (dir.) trad.). Elsevier Masson.
Andresen, R., Oades, L. et Caputi, P. (2003). The experience of recovery from schizophrenia:
towards an empirically validated stage model. Australian & New Zealand Journal of
Psychiatry, 37 (5), 586-594.
Arrêté du 18 mars 2016. (2016) Arrêté du 18 mars 2016 fixant le cahier des charges des groupes
d'entraide mutuelle en application de l'article L. 14-10-5 du code de l'action sociale et des
familles. Récupéré du site officiel du gouvernement français pour la diffusion du droit par
l'Internet : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?
cidTexte=JORFTEXT000032487039&dateTexte
Azorin, J.-M., Kaladjian, A. et Fakra, E. (2006) Origine et renouveau du concept de démence dans
la schizophrénie. Annales médico-psychologiques, 164, 457-462.
36
Doron, C. (2015). L’émergence du concept de « santé mentale » dans les années 1940-1960 : genèse
d’une psycho-politique. Pratiques en santé mentale, 61 (1), 3-16.
https://doi.org/10.3917/psm.151.0003
Ciompi, L. (1980). Three Lectures on Schizophrenia: The Natural History of Schizophrenia in the
Long Term. British Journal of Psychiatry, 136 (5), 413-420.
https://doi.org/10.1192/bjp.136.5.413
Cooke, A. (dir.), Basset, T., Bentall, R., Boyle, M., Cupitt,C., Dillon, ...Wikes, T. (2017)
Understanding psychosis and schizophrenia. The British Psychological Society. Récupéré du
site de l'éditeur : https://www.bps.org.uk/what-psychology/understanding-psychosis-and-
schizophrenia
Cooke, A. et Kinderman, P. (2018). “But What About Real Mental Illnesses?” Alternatives to the
Disease Model Approach to “Schizophrenia”. Journal of Humanistic Psychology, 58 (1),
47-71. https://doi.org/10.1177/0022167817745621
Copeland, J. R. M., Cooper, J. E., Kendell, R. E., et Gourlay, A. J. (1971). Differences in Usage of
Diagnostic Labels amongst Psychiatrists in the British Isles. British Journal of Psychiatry,
118, 629-640. Récupéré de
http://www.wpic.pitt.edu/research/biometrics/Publications/Biometrics%20Archives
%20PDF/384-Copeland,Cooper,Kendell,&Gourlay%2019710001.pdf
Dutoit, M. (2006). Des pratiques pour sortir des ghettos et promouvoir l’inclusion en Santé mentale.
Vie sociale, 4 (4), 81. https://doi.org/10.3917/vsoc.064.0081
Evans, B., et Sault, K. (2012). Créer son Plan d’action de rétablissement et de bien-être (wrap).
Dans E. Jouet, et T. Greacen (dir.), Pour des usagers de la psychiatrie acteurs de leur propre
vie (p. 75–84). Eres.
Fédération Française des Diabétiques (s.d.). Qu'est-ce que le diabète ? Site de l’organisme.
Récupéré le 11 novembre 2020 de
https://www.federationdesdiabetiques.org/information/diabete
François, A. (2017). Éléments pour une philosophie de la santé. Les belles lettres.
Harrison, G., Hopper, K., Craig, T., Laska, E., Siegel, C., Wanderling, J., … Wiersma, D. (2001).
Recovery from psychotic illness: A 15- and 25-year international follow-up study. British
Journal of Psychiatry, 178 (6), 506-517. https://doi.org/10.1192/bjp.178.6.506
37
135-144. https://doi.org/10.3917/autr.029.0135
Huber, G., Gross, G., Schüttler, R. et Linz, M. (1980). Longitudinal studies of schizophrenic
patients. Schizophrenia Bulletin, 6 (4), 592–605. DOI: 10.1093/schbul/6.4.592
Kendell, R. E., Cooper, J. E., Gourlay, A. J., Copeland, J. R. M., Sharp, L. et Gurland, B.J. (1971).
Diagnostic Criteria of American and British Psychiatrists. Archives of General Psychiatry, 25
(2), 123-130. https://doi.org/10.1001/archpsyc.1971.01750140027006
Koenig-Flahaut, M., Castillo, M.-C., Schaer, V., Le Borgne, P., Bouleau, J.-H. et Blanchet, A.
(2012). Le rétablissement du soi dans la schizophrénie. L’information psychiatrique, 88 (4),
279-285. DOI :10.3917/inpsy.8804.0279
Kraepelin, E. (1919). Dementia Praecox and paraphrenia. (M. Barclay trad.) J. and J. Gray and Co.
Printers. (Ouvrage original publié en 1909 sous le titre Text-Book of Psychiatry,' vol, iii., part
ii., section on the Endogenous Dementias).
Lapierre, S. et Levesque, J. (2013). 25 ans plus tard… et toujours nécessaires ! Les approches
structurelles dans le champ de l’intervention sociale. Reflets : Revue d’intervention sociale et
communautaire, 19 (1), 38-64. DOI :10.7202/1018041ar
Levine, S. Z., Lurie, I., Kohn, R. et Levav, I. (2011). Trajectories of the course of schizophrenia:
From progressive deterioration to amelioration over three decades. Schizophrenia Research,
126 (1-3), 184-191. DOI :10.1016/j.schres.2010.10.026
Liberman, R.P., Kopelowicz, A., Ventura, J. et Gutkind, D. (2002). Operational criteria and factors
related to recovery from schizophrenia. International Reviw of Psychiatry, 14 (4), 256-72.
38
Radio, Récupéré de https://outsidementalhealth.com/ )
OCIRP (2017, mise à jour 12 juillet 2018). Les chiffres clés du handicap en France. Récupéré du
site de l'union à but non lucratif https://www.ocirp.fr/actualites/les-chiffres-cles-du-handicap-
en-france
Ouellet, J.-N. ( 2010). L’appropriation du pouvoir : un concept au bout de ses promesses ? Dans
Actes de la journée de réflexion et d'échange sur l'appropriation du pouvoir individuel et
collectif par et pour les personnes vivant un problème de santé mentale avec l'AGIDD-SMQ
(p. 8-16). Récupéré de
https://www.advocacy.fr/upload/actes_colloque_app_du_pouvoir_2010.pdf
Poland, J. (2006). Étapes vers un monde sans schizophrénie. Philosophiques, 33 (1), 99-124.
https://doi.org/10.7202/012949ar
Pierret, J. (1991). Les significations sociales de la santé : Paris, l'Essone, l'Hérault. Dans M. Augé et
C. Herzlich (dir.) Le sens du mal. Anthropologie, histoire, sociologie de la maladie. Éditions
des archives contemporaines.
Rabinowitz, J., Levine, S.Z., Haim, R. et Häfner, H. (2007). The course of schizophrenia:
progressive deterioration, amelioration or both? Schizophrenia Research, 91(1-3), 254-258.
https://doi.org/10.1016/j.schres.2006.12.013
Read, J. (2013). Does 'schizohrenia' exists? Reliability and validity. Dans J. Read et J. Dillon (dir.)
Models of madness. Psychological, social and biological approches to psychosis. Routledge
Romme, M. et Escher, S. (2012). Accepter les voix. (E. Montpas et J.-A. Morasse trad.). Claude
Bussières. (Ouvrage original publié en 1990 sous le titre Stemmen horen accepteren.
Vakgroep Sociale Psychiatrie Siso).
39
Torris, G. (n.d.). Démence précoce. Encyclopædia Universalis. Récupéré du site de l'encyclopédie :
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/demence-precoce/
40