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L’archéologie de sauvetage au Maroc, même dans une ville millénaire comme Fès, n’a ni
la place ni les moyens qu’elle mérite. D’ailleurs, rêver d’intervenir sur un site archéo-
logique découvert en cours de travaux d’équipement est un fantasme. Sans texte législatif
spécifique et péremptoire, rares sont les aménageurs qui autorisent les archéologues à
approcher leurs chantiers. L’opération de la Qarawiyyin réalisée en 2006 reste donc une
initiative méritoire et un exemple en fouille préventive à suivre. Le résultat est plus que
prodigieux : la découverte, sous la mosquée, de niveaux archéologiques dont l’un remonte
à l’aube de la ville de Fès au milieu du IXe siècle.
Ahmed S. ETTAHIRI
>> Professeur à l’Institut national des Sciences de l’archéologie et du patrimoine, Rabat
42 / Dossiers d’Archéologie / n° 365
FÈS ET SA MOSQUÉE
L
a destinée de la ville de Fès fut, depuis sa
fondation à la fin du VIIIe siècle par la
principauté des Idrissides, frayée. Ses deux
premières agglomérations, installées de part et d’au-
tre de l’oued al-Jawahir (« le fleuve des merveilles »)
Plan de la mosquée
– appelé aussi l’oued Lakbîr (« le grand f leuve) » al-Qarawiyyin à Fès
par opposition à ses autres bras de moindre impor- montrant la zone
fouillée.
tance –, se dotèrent de deux grandes mosquées dont A : emplacement
les rôles et le rayonnement ne vont jamais cesser de du mihrab utilisé
de 856 à 1134 ;
s’amplifier : la mosquée des Andalous (869-870) sur B. Mihrab construit
la rive droite et la moquée al-Qarawiyyin (856-857) en 1134.
DAO A.S. Ettahiri.
sur la rive gauche. Le noyau de celle-ci, fondé par
Fatima al-Fihriya, fut agrandi en 956 par le gouver-
neur de la ville avec l’aide du calife omeyyade de
Cordoue. La superficie de la Qarawiyyin, qui ne
dépassait guère 1 429,12 m2, atteignit alors 4 399 m2.
Moins d’un siècle plus tard, le sanctuaire devint trop
exigu pour une population apparemment de plus
en plus nombreuse. À l’époque du règne de l’émir
almoravide, Ali Ibn Youssef (1107-1134), la Qara-
wiyyin connut un second accroissement. Après avoir partie de la mosquée des IXe-Xe siècles. Un troisième 1. Fassi : nom donné
aux habitants de Fès.
reçu l’approbation de l’émir des musulmans, le juge ensemble correspondrait à des restes d’édifices anté-
de la ville acheta les biens attenants à la mosquée du rieurs, au moins du milieu du Xe siècle. Si les struc-
côté Sud-Est, les démonta et entama les travaux à tures de ce dernier se caractérisent par la simplicité
partir de 1134. En annexant le terrain de ceux-ci, la et l’austérité, ceux du premier et du second ensem-
Qarawiyyin s’agrandit de trois autres nefs, d’un nou- bles révèlent, dans un contexte scellé, un mobilier
velle niche du mihrab, d’un minbar neuf, d’une exceptionnel dont certains éléments sont inédits
Vue du côté Sud-Est
mosquée des morts et d’une nef axiale fastueuse- dans tout l’Occident musulman. de la maison 1 en cours
ment embellie. Son étendue, qui approcha 6 300 m2, Sous l’agrandissement du début du XIIe siècle, de fouille. Le pilier au milieu
en fit la seconde mosquée de l’Empire après celle de la fouille a mis au jour les restes de deux maisons. du patio fait partie de ceux
construits en 1134 lors de
Cordoue. D’autres mosquées et oratoires de quar- Desservies par une impasse, ces demeures se com- l’agrandissement ; au fond,
tiers virent le jour aux quatre coins de la ville. Pour- posaient de deux grandes pièces rectangulaires s’ou- une porte d’accès
à la chambre Nord-Ouest ;
tant, la Qarawiyyin restera, non seulement le vrant sur des patios à ciel ouvert dont les parements au premier plan, accès
sanctuaire le plus spacieux de la cité, mais aussi le des murs étaient recouverts de stucs peints. Les par- à la chambre Sud-Est.
Photo A. S. Ettahiri.
plus adoré des Fassis 1. Les successeurs des Almora- ties encore debout furent relevées et recouvertes,
vides se contentèrent d’opérations ponctuelles d’em-
bellissement et de consolidation.
alors que les pans démontés ont été récupérés. Les d’une peinture rouge unie, les parties latérales
ornements furent exécutés sur des enduits lissés furent réduites. Les éléments générateurs du pan-
dont l’épaisseur ne dépasse pas 1 cm. Avec un ins- neau central que cernent des chaînettes à quatre
trument pointu et une réglette, la trame de base fut brins sont les entrelacements des rubans. Ceux-ci, de
tracée. En dernier lieu, le décorateur appliqua, à forme rectiligne ou curviligne, dessinent des rosaces
l’aide d’un pinceau, une couche de peinture ocre dans les angles alternant avec de grands losanges et
rouge pour faire ressortir les bandes et prévoir des enserrent une étoile à huit pointes placée au milieu.
réserves pour dessiner les motifs de remplissage. Sur le mur opposé, une autre composition utilise les
mêmes procédés, mais reproduit une série de pan-
LES STUCS PEINTS neaux où la composition est assez différente. Les
La simplicité de la première maison rubans s’entrecroisent et dessinent une combinai-
Les stucs de la première maison sont simples. son à base de formes recti-curvilignes, de losanges et
Utilisant uniquement des motifs géométriques, ils de tresses. D’autres panneaux présentent des com-
reproduisent des panneaux dont les dimensions, la binaisons composites ; ils combinent avec délicatesse
richesse et la complexité sont tributaires des surfaces et assurance des rosaces, des étoiles à huit pointes,
à orner et de leurs emplacements. Le panneau déco- des losanges à pointes évidées et des polygones recti-
rant l’angle du patio où fut aménagé le puits en est curvilignes. Les piliers furent embellis de panneaux
un exemple représentatif. Le mur fut divisé en trois unis et de bandes composées de tresses losangiques
panneaux égaux par deux bandes dont les entrela- et d’étoiles à quatre pétales.
cements forment des losanges et des polygones dans
les bordures verticales, et des polygones et des tresses
dans la bordure horizontale. Les panneaux latéraux
À droite : Alternance de
sont simples ; ils sont enduits d’une couche de pein-
registres décorant le mur ture rouge unie. Le panneau médian présente une
intérieur de la chambre
rosace polylobée dont le centre fut peint en rouge.
Sud-Est dans la maison 1.
Photo A. S. Ettahiri. L’ensemble est coiffé d’une frise composée par le
développement des bandes ; elle fait alterner des arcs
En bas, à droite :
Exemple de la décoration aveugles polylobés avec des cercles rythmés par des
géométrique des murs losanges, dont deux des quatre pointes se terminent
donnant sur le patio
de la maison 1.
en creusements de forme ovale.
Photo A. S. Ettahiri Pour orner les autres parties qui sont plus expo-
sées, les panneaux sont plus fournis. Le mur Sud du
Ci-dessous :
Combinaisons de la patio fut ainsi peint d’une décoration géométrique
décoration du mur assez complexe offrant, comme la précédente, une
attenant au puits
et sa margelle. représentation tripartite qui court au-dessus d’une
Photo A. S. Ettahiri. large bande rouge. Traitées en hauteur et enduites
Maison 2, exemple
de la combinaison
des décorations végétale,
géométrique
et épigraphique et
alternance des panneaux.
Photo A. S. Ettahiri.
Ci-dessus : Encadrement en
stuc sculpté combinant
galons et petites perles.
Photo A. S. Ettahiri.
peinture aux tons vifs pour rehausser ses Fragment de panneau présentant
des palmettes en éventail et
« tableaux ». L’étude en cours permet déjà de dis- des palmettes simples affrontées.
tinguer plusieurs emplois. Des stucs formaient des Photo A. S. Ettahiri.
encadrements d’arcs, de registres ou de claustra ;
d’autres appartenaient à des frises, à des écoinçons,
à des chapiteaux ou aux stalactites. Les types les plus
distingués parmi cette catégorie procèdent de l’en-
trelacement en nœuds à distances régulières de deux
galons plats dont les rainures ont été peintes en
rouge. Parfois, ils développent une tresse à trois
brins. Certains, plus archaïques, reproduisent des
pastilles ou petites perles qui épousent la forme de
l’encadrement. Un troisième type combine les
galons et les pastilles perforées. Plus complexes et
plus composés sont les encadrements en bandes rec-
tangulaires. Ils utilisent soit des entrelacs végétaux