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Séminaire « Technocraties : rationalités anciennes, enjeux contemporais »

Leopoldo Iribarren (EHESS)


Séance du 22 mars 2024

• Marcuse, L’homme unidimensionnel [1964], trad. M. Wittig, Ed. Minuit, Paris, 1968.

« Les techniques d’industrialisation sont des techniques politiques, et comme telles elles
condamnent d’avance les objectifs de la Raison et de la Liberté. […] Quand ce stade est atteint, la
domination – en guise d’abondance et de liberté – envahit toutes les sphères de l’existence privée et
publique, elle intègre toute opposition réelle, elle absorbe toutes les alternatives historiques. La
rationalité technologique révèle son caractère politique en même temps qu’elle devient le grand
véhicule de la plus parfaite domination, en créant un univers vraiment totalitaire dans lequel la
société et la nature, l’esprit et le corps sont gardés dans un état de mobilisation permanent pour
défendre cet univers. » (p. 42-43)

« Certes, Marx soutenait que si les « producteurs immédiats » organisaient et dirigeaient l’appareil
productif, il y aurait un changement qualitatif dans la continuité technique : c’est-à-dire que la
production viserait à satisfaire les besoins individuels qui se développeraient librement. Cependant,
dans la mesure où l’existence privée et publique dans toutes les sphères de la société est engloutie
dans l’appareil technique établi – il devient le moyen de contrôle et de cohésion dans un univers
politique où sont intégrées les classes laborieuses – dans cette mesure un changement qualitatif
implique un changement de la structure technologique elle-même. » (p. 49)

« La transformation technologique est donc en même temps une transformation politique, mais le
changement politique ne peut devenir lui-même un changement social et qualitatif que dans la
mesure où il changerait le sens du progrès technique – c’est-à-dire dans la mesure où il peut
développer une nouvelle technologie. Car la technologie établie est devenue l’instrument d’une
politique destructive. » (p. 252)

• Marcuse, Eros et civilisation. Contribution à Freud [1955], trad. J.G. Nény et B. Fraenkel, Ed. Minuit,
Paris, 1963.

« […] dans notre tentative pour élucider l’étendue et les limites de la répression dominante dans la
civilisation contemporaine, nous devrons la décrire à l’aide du principe de réalité spécifique qui régit
les origines et le développement de cette civilisation. Nous l’appelons principe de rendement pour
insister sur le fait que, sous sa loi, la société est stratifiée d’après le rendement économique
compétitif de ses membres. […] Le principe de rendement, qui est celui d’une société orientée vers le
gain et la concurrence dans un processus d’expansion constante, présuppose une longue évolution,
au cours de laquelle la domination a été de plus en plus rationalisée : la direction du travail social
assure maintenant la continuation de la société à une grande échelle dans des conditions améliorées.
Pendant longtemps, les intérêts de la domination et les intérêts de toute la société coïncident ;
l’utilisation fructueuse de l’appareil de production permet aux besoins et aux facultés des individus
de s’accomplir. Pour la grande majorité des habitants, l’étendue et la forme de la satisfaction sont
déterminées par l’usage de leur propre labeur, mais ce labeur est un travail pour un appareil qu’ils ne
contrôlent pas, qui opère comme un pouvoir indépendant auquel les individus doivent se soumettre
s’ils veulent vivre. Et plus la division du travail se spécialise, plus cet appareil leur devient étranger.
Les hommes ne vivent pas leur propre vie, mais remplissent des fonctions préétablies. Pendant qu’ils
travaillent, ce ne sont pas leurs propres besoins et leurs propres facultés qu’ils actualisent, mais ils
travaillent dans l’aliénation. […] La libido est détournée vers des travaux socialement utiles où
l’individu ne travaille pour lui-même que dans la mesure où il travaille pour l’appareil, engagé dans
des activités qui ne coïncident, la plupart du temps, ni avec ses propres facultés ni avec ses désirs. »
(p. 49-50)

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