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En effet, le loup domine dès son entrée en scène : son accusation agressive initiale est sans nuance et
la menace immédiate (« tu seras châtié de ta témérité ») prend une valeur catégorique grâce au futur
de certitude. Sa mauvaise foi (l’eau ne lui appartient pas, et l’agneau boit en aval)) va le pousser à
multiplier les arguments absurdes : accusation infondée de médisance au vers 19, déplacement
illogique de l’accusation sur un proche inexistant, puis, passage à l’acte brutal au nom d’un impératif
« il faut que je me venge » sans aucun fondement : la tournure d’obligation émane ici d’un locuteur
insaisissable, camouflé derrière le pronom unipersonnel et passe-partout « on » !. Malgré cette
parole qui abonde en défauts de logique, contre-vérités et mauvaise foi, le loup sort vainqueur du
dialogue car en réalité, le discours ne lui servait qu’à donner un vernis de respectabilité à un acte
indigne : tuer le plus vulnérable. C’est donc le loup qui domine, certes physiquement, mais aussi
grâce à une pratique manipulatrice et mensongère du langage.
L’agneau est mangé, il a donc été dominé…mais par la force physique et non par la force de la parole.
La Fontaine est clair : les atouts du loup sont sa « rage » (vers 7) et sa cruauté (vers 18) ainsi que son
mépris des règles d’un dialogue honnête : en effet, il mange l’agneau « sans autre forme de procès »,
c’est-à-dire en niant tout principe de justice, et en coupant court à la défense pertinente de son
contradicteur.
Or, si on l’écoute bien, cette mascarade de justice, avec son alternance d’accusation et de défense,
tourne à l’avantage de l’agneau. En effet, ce dernier se révèle courtois, et très prudent face à un
adversaire qu’il flatte avec les appellations pleines de respect : « sire » et « Votre majesté ». Réfléchi
et observateur, il démontre, rationnellement au loup qu’il ne peut troubler l’eau en buvant en aval. Sa
démonstration s’assoit sur une démarche qui emprunte au logos, face à un loup sans ethos, sans
pathos, sans logos. Les arguments de l’agneau s’appuient sur l’évidence des faits, et, implicitement, ils
signalent l’absurdité de ceux de l’adversaire.