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Comprendre la peau Ann Dermatol Venereol

2005;132:8S49-68

Les grandes fonctions de la peau


Cicatrisation cutanée

L
a peau isole et protège l’organisme contre le milieu Phase initiale vasculaire et inflammatoire
extérieur. Lorsqu’elle subit une brèche (plaie aiguë) ou
une altération (plaie chronique) le processus de cicatri- Le clou plaquettaire arrête le saignement, rapidement conso-
sation met en jeu un grand nombre de variétés cellulaires lidé par la formation du caillot dit “thrombus blanc”. La
(fig. 8). migration des cellules participant à la réaction inflammatoire
Nous prendrons pour type de description les plaies aiguës. va ensuite s’effectuer.
On peut distinguer trois grandes étapes dans la cicatrisation
cutanée. Au cours de la première phase, vasculaire et inflam- ÉTAPE VASCULAIRE
matoire, se crée un caillot de fibrine dans la plaie, tandis que
sont recrutées des cellules inflammatoires qui assureront Dans le cas d’une plaie aiguë, la lésion met à nu le sous-
par la suite la détersion de la plaie. La deuxième phase est endothélium vasculaire et provoque l’adhésion plaquettaire.
celle de la réparation tissulaire dermique et épidermique C’est essentiellement par l’intermédiaire du facteur Willebrand,
aboutissant à l’épithélialisation de la plaie. La dernière glycoprotéine appartenant à la famille des intégrines, que se
phase, moins connue, est celle du remodelage de la matrice fait cette fixation.
extracellulaire et de la maturation de la cicatrice. Ces phases La thrombine et le collagène extravasculaire contribuent
sont intriquées dans le temps (fig. 9). également à l’agrégation et à l’activation des plaquettes
incluses dans le caillot. Les plaquettes activées libèrent le
Plaquettes KGF
contenu de leur granules (thrombospondine, fibronectine,
Kératinocytes
Macrophages EGF le “platelet factor-4” (PF-4)). L’extravasation sanguine apporte
en outre de nombreuses protéines : fibrinogène, fibronectine,
thrombospondine, vitronectine, thrombine, facteur Willebrand
EGF, PDGF KGF aboutissant à la formation du caillot de fibrine. Le réseau de
TGFβ, PDGF
VEGF, TGFβ, bFGF
bFGF fibrine-fibronectine offre un réservoir aux nombreux
facteurs de croissance libérés dans la plaie (“platelet-derivated
Fibroblaste growth factor” (PDGF), le “basic fibroblast growth factor”
TGFβ, bFGF
VEGF PDGF
(bFGF) et le “transforming growth factor α et β” (TGFα, β)) qui
TGFβ sont responsables de la migration et de l’activation des
polynucléaires neutrophiles et des macrophages. Ce sont ces
Capillaire PDGF cellules qui vont lutter contre l’infection, déterger la plaie et
TGFβ, bFGF
jouer un rôle nutritionnel local.
Matrice extracellulaire
ÉTAPE INFLAMMATOIRE
Fig. 8. Cicatrisation cutanée : les intervenants
À une phase de vasoconstriction rapide, indispensable à
l’hémostase immédiate, succède une vasodilatation permettant
aux cellules circulantes d’affluer sur le site de la plaie. Cette
vasodilatation est médiée par plusieurs facteurs dont l’hista-
mine, certains dérivés du complément (C3a et C5a) et les
prostaglandines. Les neutrophiles et les monocytes sont attirés
dans la plaie non seulement par les facteurs libérés par les
plaquettes, mais également par des peptides bactériens, des
facteurs du complément et des produits de dégradation de la
fibrine. Les polynucléaires neutrophiles sont les premiers
leucocytes présents dans la plaie. Libérant des enzymes
protéolytiques comme l’élastase et des collagénases, ils favori-
sent la pénétration des cellules dans la plaie [73]. Ils assurent
également la détersion des lésions et une action anti-infectieuse
locale. Les monocytes se fixent sur les cellules endothéliales
Fig. 9. Cicatrisation cutanée : les étapes et migrent dans la plaie d’une façon similaire à celle des

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neutrophiles. Une fois dans le milieu tissulaire, ils se diffé- ÉPITHÉLIALISATION


rencient en macrophages et adhérent aux protéines de la
matrice extracellulaire. Les macrophages jouent un rôle anti- La réépithélialisation se déroule en plusieurs phases : la
infectieux et de détersion locale grâce à leurs capacités de migration des cellules épithéliales à partir des berges ou des
phagocytose, ils participent également au remodelage matri- annexes, leur multiplication, puis la différenciation de
ciel. Mais ils sont surtout, comme les plaquettes, une source l’épiderme ainsi reformé. La synthèse de la jonction dermo-
épidermique est concomitante grâce aux interactions derme-
essentielle de cytokines dont “l’insulin growth factor 1” (IGF1),
épiderme. Les kératinocytes migrent sur les composants
le “transforming growth factor β” (TGFβ), le “tumor necrosis
matriciels (fibronectine, collagène I et IV, thrombospondine).
factor α” (TNFα) et le “platelet-derivated growth factor”
Lorsque la plaie est fermée par une monocouche de kérati-
(PDGF). Ces substances amplifient la réponse inflammatoire
nocytes, ceux-ci arrêtent leur migration, se multiplient et se
et stimulent la prolifération des fibroblastes, la production
différencient. Ce n’est qu’ensuite que se produit la colonisation
de collagène et plus généralement la formation du tissu de de l’épiderme par les cellules de Langerhans et les mélanocytes.
granulation. Entre 48 et 72 heures après l’apparition de la
plaie, les macrophages y prédominent, présents en nombre
supérieur à celui des neutrophiles. Vers le 5e, 7e jour, peu de Phase de maturation
cellules inflammatoires persistent, les fibroblastes deviennent
le type cellulaire prédominant. Le remodelage de la matrice extracellulaire passe par une
phase inflammatoire et proliférative durant jusqu’à 2 mois
après la fermeture de la plaie, suivie par une phase de régres-
Phase de réparation tissulaire sion qui peut persister jusqu’à 2 ans. Peu à peu, le tissu de gra-
nulation se raréfie en fibroblastes, une structure collagénique
plus dense apparaît, tandis que le réseau vasculaire s’organise. Le
FORMATION DU TISSU DE GRANULATION
remodelage matriciel va accroître la résistance de la cicatrice
Elle dure 10 à 15 jours et correspond à la prolifération des de façon considérable, jusqu’à 80 à 90 p. 100 de sa force fina-
fibroblastes, à l’angiogenèse et à la synthèse de la matrice le vers la 6e semaine. La fibronectine et l’acide hyaluronique
extracellulaire. Cette phase est largement dépendante des sont progressivement remplacés par les collagènes, les fibres
cytokines. La migration des fibroblastes dans la plaie est élastiques et les glycoaminoglycanes (dermatane sulfate,
précoce (48e heure), favorisée par l’expression sur la chondroïtine 4 sulfate). Les collagénases (métalloprotéinases)
membrane des fibroblastes de récepteurs de la famille des et leurs inhibiteurs (“tissue inhibitors of metalloproteinases” ou
TIMP), les protéases synthétisées par les fibroblastes, les poly-
intégrines pour les composants de la matrice extracellulaire
nucléaires et les macrophages principalement, interviennent
(fibronectine, vitronectine, collagène, etc.). La migration et la
de façon importante dans les phénomènes de remodelage
prolifération des fibroblastes est sous la dépendance des cyto-
matriciel. L’âge, les forces de tension, la pression influencent
kines produites par les plaquettes et les macrophages, notam-
la synthèse et l’organisation des molécules de collagène. Les
ment “l’insulin growth factor 1” (IGF1), “l’epidermal growth fac-
cicatrices sont néanmoins, dans tous les cas, moins résis-
tor” (EGF), le “tumor necrosis factor α” (TNFa,) le “transforming tantes et moins élastiques que la peau normale, en partie à
growth factor β” (TGFβ) et le “platelet-derivated growth factor” cause d’un certain déficit en élastine.
(PDGF-BB), mais également par les fibroblastes eux-mêmes.
Les fibroblastes synthétisent une nouvelle matrice extracellu-
laire composée au début principalement de collagène III, Cas particuliers
puis de collagène I, de fibronectine, de protéoglycanes (acide
hyaluronique, chondroïtine sulfate, dermatane sulfate, hépa- CICATRISATION CHEZ LE FŒTUS
rane sulfate). Ils participent également au remodelage
matriciel en produisant des enzymes protéolytiques dont les Chez le fœtus, pendant les deux premiers tiers de la gestation,
métalloproteinases (collagénase ou MMP-1, gelatinase ou la cicatrisation cutanée est rapide, sans tissu de granulation ni
MMP-2), favorisant aussi la migration cellulaire dans la signe inflammatoire restituant une peau “sans cicatrice”.
matrice. La matrice sert également de réservoir de facteurs de
croissance qui s’adsorbent sur les héparane sulfates. CICATRISATION CHEZ LE SUJET ÂGÉ
La migration des cellules endothéliales s’effectue à partir
La cicatrisation chez les sujets âgés semble caractérisée par
des vaisseaux sains les plus proches. Elle est également
une diminution de la réponse inflammatoire et de la prolifé-
stimulée par l’hypoxie tissulaire de la plaie et facilitée par les
ration des fibroblastes. Le ralentissement de la synthèse du
protéases dégradant la matrice extracellulaire. L’angio- collagène, de l’angiogenèse et de l’épithélialisation peuvent
genèse aboutit à la formation d’un réseau vasculaire indiffé- être dus à une diminution des capacités cellulaires à produi-
rencié (bourgeon charnu) visible vers le 5e jour. re et à répondre aux facteurs de croissance. La synthèse et la
La contraction de la plaie contribue à rapprocher les berges dégradation du collagène est moindre chez le sujet âgé que
et est étroitement lié à la formation du tissu de granulation. chez le sujet jeune, mais le collagène semble mieux organisé,
Cette contraction est due à la transformation de certains restituant une cicatrice souvent moins visible que chez le
fibroblastes en myofibroblastes capables de se contracter. sujet jeune et exceptionnellement hypertrophique.

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