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EMC-Dentisterie 1 (2004) 71–81

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Physiologie de l’hémostase
The Normal Haemostatic Process
T. de Revel (Professeur agrégé du Val-de-Grâce, chef de service
adjoint) a,*, K. Doghmi (Assistant des Hôpitaux des Armées,
spécialiste d’hématologie) a,b
a
Service d’hématologie, Hôpital d’Instruction des Armées Percy, 101 avenue Henri-Barbusse,
92141 Clamart, France
b
Service d’hématologie, Hôpital militaire d’instruction Mohammed V, Rabat, Maroc

MOTS CLÉS Résumé Le processus physiologique de l’hémostase est déclenché par le développement
Hémostase primaire ; d’une brèche vasculaire. Il vise à son obturation et au colmatage de la fuite sanguine par
Coagulation ; deux étapes distinctes mais intriquées et dépendantes l’une de l’autre : l’hémostase
Fibrinolyse ; primaire et la coagulation plasmatique. L’hémostase primaire est le mécanisme d’ur-
Plaquettes ; gence mettant en jeu les plaquettes sanguines circulantes qui adhèrent à l’endothélium
Thrombine ;
pour former le thrombus blanc ou clou plaquettaire. Secondairement, le thrombus
Fibrine ;
Temps de céphaline
plaquettaire est consolidé par la constitution d’un réseau de fibrine qui enserre les
activé ; plaquettes agrégées dans ses mailles. La fibrine insoluble est générée à partir d’une
Temps de Quick protéine plasmatique soluble, le fibrinogène, sous l’action de la thrombine, produit final
de la cascade d’activation enzymatique du système de la coagulation. Le thrombus
fibrinoplaquettaire est secondairement résorbé par la mise en œuvre d’une enzyme
protéolytique, la plasmine, principale protéine du système fibrinolytique. Les différentes
phases de l’hémostase sont hautement régulées par un système d’activateurs et d’inhi-
biteurs plasmatiques assurant un contrôle local de la constitution du caillot et évitant
l’activation de la coagulation à distance de la brèche vasculaire.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Abstract Haemostasis is a physiological process triggered by a breach in a blood vessel.


Primary haemostasis; Haemostasis plugs the breach and stops the loss of blood via two distinct but intertwined
Coagulation; and interdependent mechanisms: primary haemostasis and plasma coagulation. Primary
Fibrinolysis; haemostasis is an emergency mechanism in which circulating blood platelets adhere to
Platelets;
the injured endothelium to produce a white thrombus or platelet plug. Then, the platelet
Thrombin;
Fibrin;
plug is strengthened by the development of a fibrin network that entraps the aggregated
Activated partial platelets. Insoluble fibrin is produced when the soluble plasma protein fibrinogen is
thromboplastin time; exposed to thrombin, the final product of a cascade of enzymatically activated reactions
Prothrombin time among clotting factors. The fibrin-platelet thrombus is eventually dissolved by the
proteolytic enzyme plasmin, which is the main protein of the fibrinolytic system. The
various phases of haemostasis are tightly regulated by a system of plasma activators and
inhibitors that locally control the development of the clot and avoid activation of
coagulation at a distance from the vascular injury.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : hematologie.percy@wanadoo.fr (T. de Revel).

© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.


doi: 10.1016/S1762-5661(03)00007-2
72 T. de Revel, K. Doghmi

Introduction cellules musculaires lisses et la couche externe de


tissu conjonctif ou adventice.
Toute rupture de l’intégrité du circuit vasculaire à La propriété fondamentale de la paroi vascu-
l’origine d’une fuite sanguine, déclenche une série laire, qui sous-tend l’équilibre physiologique des
de processus cellulaires et biochimiques assurant mécanismes de l’hémostase, est l’hémocompatibi-
l’obturation de la brèche et le contrôle de l’hémor- lité de la cellule endothéliale au repos qui est ainsi
ragie. L’hémostase 1,2 répond à l’ensemble de ces thromborésistante en prévenant l’activation du
mécanismes physiologiques et comprend plusieurs système de la coagulation. En revanche, la cellule
étapes intriquées et interdépendantes qu’il endothéliale activée et surtout les structures sous-
convient d’isoler par souci descriptif en : endothéliales sont hautement thrombogènes.
• hémostase primaire, première étape d’ur- Toute rupture de l’intégrité de la couche endothé-
gence du contrôle hémorragique, conduisant liale met ainsi à nu les structures sous-
au thrombus plaquettaire en une durée de 3 à endothéliales qui, en contact direct avec le sang
5 minutes ; circulant, induisent les phénomènes de l’hémos-
• hémostase secondaire, ou coagulation plasma- tase primaire et de la coagulation à l’origine d’un
tique, dont le rôle est de consolider le throm- thrombus.
bus plaquettaire par la constitution d’un ré-
seau protéique de fibrine en une durée de 5 à Cellule endothéliale
10 minutes ; Les cellules endothéliales tapissent la surface in-
• fibrinolyse assurant secondairement la dégra- terne de la lumière vasculaire et sont agencées en
dation enzymatique de la masse fibrinopla- une monocouche de cellules cohésives dont les
quettaire à l’issue de la réparation vasculaire propriétés sont nombreuses et varient en fonction
en une durée de 48 à 72 heures. de leur état d’activation : thrombomodulation,
L’ensemble de ces processus est étroitement production protéique, perméabilité sélective assu-
régulé par la mise en œuvre d’un système très rant les échanges entre le sang et le milieu inté-
complexe d’activateurs et d’inhibiteurs, permet- rieur. Les cellules endothéliales sont arrimées sur
tant à l’hémostase de se développer au foyer même une couche de macromolécules qu’elles synthéti-
de la brèche vasculaire sans extension à distance. sent elles-mêmes et qui sont très thrombogènes :
collagène, fibronectine, laminine, VWF, glycosami-
noglycanes.
Hémostase primaire La thromborésistance de la face interne de la
cellule endothéliale est assurée par des propriétés
Il s’agit de l’ensemble des mécanismes physiologi- actives et passives qui sont la charge ionique néga-
ques conduisant à l’obturation initiale de la brèche tive de la membrane, l’agencement antiadhésif des
vasculaire et aux premières étapes de sa répara- protéines de surface, la production locale de mé-
tion. Le clou plaquettaire, ou thrombus blanc, est diateurs antiagrégants plaquettaires, d’inhibiteurs
le produit final de l’hémostase primaire qui est de la coagulation ou encore d’activateurs de la
secondairement consolidé par la mise en œuvre des fibrinolyse. La thrombogénicité de la cellule endo-
processus de la coagulation. théliale s’exprime à travers la modulation de ces-
Quatre acteurs principaux dominent cette propriétés induite par divers médiateurs activa-
phase : les composants de la paroi vasculaire, les teurs tels que les endotoxines bactériennes, les
plaquettes sanguines, et deux protéines plasmati- cytokines pro-inflammatoires (interleukine [IL-1],
ques qui sont le fibrinogène et le facteur Wille- tumor necrosis factor [TNF]) ou encore la throm-
brand (VWF). Nous allons les décrire brièvement bine. La cellule endothéliale activée exprime des
avant d’aborder les différentes étapes de leurs protéines prothrombotiques (phospholipides, fac-
interactions conduisant au thrombus plaquettaire. teur tissulaire...) à sa surface membranaire, dé-
clenchant ainsi les phénomènes d’adhésion/
Partenaires de l’hémostase primaire agrégation plaquettaire ou les réactions de la coa-
gulation.
Paroi vasculaire La cellule endothéliale est par ailleurs le siège
La composition anatomique des vaisseaux repose d’une activité métabolique intense conduisant no-
sur un assemblage de plusieurs couches cellulaires tamment à la production de nombreuses molécules
et non cellulaires variant selon la nature et le impliquées dans les phénomènes d’hémostase :
calibre vasculaire. On retrouve, de dedans en de- • le collagène, une des principales protéines
hors, la monocouche de cellules endothéliales, les prothrombogène ;
Physiologie de l’hémostase 73

• le facteur, protéine d’adhésion plaquettaire, • système membranaire complexe intracytoplas-


stocké sous la forme de multimères de haut mique ;
poids moléculaire ; • système microtubulaire et microfibrillaire ;
• le facteur tissulaire, récepteur du facteur VII, • système de granulations intracytoplasmiques.
initiant la voie extrinsèque de la coagulation ; La membrane plaquettaire est classiquement
• la thrombomoduline qui, en présence de constituée, comme toute membrane cellulaire,
thrombine, active la protéine C, facteur inhi- d’une double couche lipidique au sein de laquelle
biteur de la coagulation ; viennent s’arrimer des glycoprotéines hydrophobes
• les protéines vasoactives telles que le mo- riches en acide sialique déterminant la charge né-
noxyde d’azote (NO) vasodilatateur ou l’endo- gative. Les phospholipides constituent 80 % des
théline vasoconstrictrice ; lipides membranaires et sont polarisés au niveau du
• les protéines modulant à la fois l’activité pla- feuillet interne lorsque la plaquette est au repos. À
quettaire et la vasomotricité telles la prostacy- l’état d’activation plaquettaire, les phospholipides
cline (PGI2), antiagrégante et vasodilatatrice sont exposés sur le versant externe de la mem-
ou la thromboxane A2 (TXA2), proagrégante et brane, au contact des composants plasmatiques,
vasoconstrictrice. assurant ainsi leur fonction procoagulante. Les gly-
coprotéines ancrées dans la membrane jouent un
Cellules musculaires lisses rôle de récepteur dont la fonction est de transmet-
Elles assurent le tonus vasomoteur, par le biais du tre un signal vers les structures cytoplasmiques,
système nerveux autonome et de médiateurs chimi- contractiles ou sécrétrices par exemple. Les glyco-
ques vasoactifs synthétisés par la cellule endothé- protéines dont les fonctions sont les mieux connues
liale comme le NO et l’endothéline. Leur proliféra- sont le complexe gpIb/IX, récepteur de VWF impli-
tion est sous la dépendance de facteurs de qué dans l’adhésion plaquettaire à l’endothélium,
croissance d’origine endothéliale (platelet derived et le complexe gpIIb/IIIa, récepteur du fibrinogène
growth factor [PDGF], fibroblast growth factor impliqué dans le processus d’agrégation plaquet-
[FGF]) dont le rôle est avancé dans la pathogénie taire.
des lésions d’athérosclérose. Un système membranaire complexe intracyto-
plasmique caractérise la cellule plaquettaire et ses
Plaquettes fonctions de sécrétion. Le système canaliculaire
Il s’agit de cellules anucléées de 2 à 3 lm de ouvert est un réseau membranaire constitué à par-
diamètre et d’un volume de 8 à 10 ftl, produites tir d’invaginations de la membrane plasmique, dont
dans la moelle osseuse par le biais d’une fragmen- le rôle est de permettre le déversement et le
tation cytoplasmique de leurs précurseurs mégaca- stockage des substances des granulations plaquet-
ryocytaires. Le taux de plaquettes sanguines varie taires. Le système tubulaire dense n’est pas ouvert
de 150 à 400 109/l, le tiers du pool plaquettaire sur l’extérieur et consiste en un lieu de stockage du
périphérique étant séquestré dans la rate ; elles ont Ca++ utilisé par les structures contractiles.
une durée de vie de 8 à 10 jours. Les microtubules et les microfibrilles représen-
Les cellules plaquettaires, ou thrombocytes, tent l’appareil contractile de la cellule plaquet-
présentent une structure très particulière en ac- taire ; ils assurent le maintien de sa forme discoïde
cord avec leurs fonctions primaires d’adhésion à au repos et ses mouvements et changements de
l’endothélium et d’autoagrégation (Fig. 1) : forme caractérisant son état d’activation, par le
• membrane cytoplasmique riche en glycoprotéi- biais des deux principales protéines contractiles qui
nes fonctionnelles ; sont l’actine et la myosine.
Trois types de granules intracytoplasmiques sont
individualisables, dont le rôle réside dans le stoc-
kage de nombreuses substances spécifiques à cha-
cune d’entre elles. Les granules alpha sont les plus
abondants et sont mis en évidence par leur teinte
azurophile en coloration par le May-Grünwald-
Giemsa en microscopie optique. Ils contiennent des
facteurs de la coagulation et des cytokines (PDGF,
transforming growth factor [TGF], epidermal
growth factor [EGF]...). Les granules denses sont
Figure 1 Représentation schématique d’une plaquette. Ga :
granules a ; Gd : granules denses ; Ly : lysosomes ; sco : système
les moins nombreux, de l’ordre de 5 à 10 par
canaliculaire ouvert ; mit : mitochondrie ; std : système tubu- cellule ; individualisables en microscopie électroni-
laire dense. que, ils contiennent des substances proagrégantes
74 T. de Revel, K. Doghmi

et vasoactives (adénosine diphosphate [ADP], adé- Temps vasculaire


nosine triphosphate [ATP], sérotonine, histamine, Le temps vasculaire est l’étape initiale secondaire
Ca++...). Les lysosomes, enfin, sont le lieu de stoc- à la constitution de la brèche vasculaire : il en
kage de diverses enzymes à activité antibacté- résulte une vasoconstriction réduisant le calibre
rienne ou protéolytique (phosphatase acide, pro- vasculaire qui ralentit le débit sanguin, permettant
téase, collagénase...). par là une réduction des pertes et une certaine
stase circulatoire qui favorise la mise en œuvre des
Facteur von Willebrand différentes étapes de l’hémostase.
Il s’agit d’une protéine synthétisée à la fois par les La vasoconstriction réflexe est induite par l’élas-
cellules endothéliales et par les mégacaryocytes. ticité de la tunique sous-endothéliale des cellules
Son précurseur est un monomère de 2 050 acides musculaires lisses, mais aussi par le système ner-
aminés d’un poids moléculaire de 270 kDa qui se veux neurovégétatif innervant les structures vascu-
polymérise secondairement en VWF de haut poids laires. De nombreuses substances sécrétées par les
moléculaire pour être stocké par la cellule endo- cellules endothéliales ou les plaquettes activées,
théliale, au sein des corps de Weibel-Palade, ou par comme la sérotonine, l’endothéline ou le TXA2,
les plaquettes, au sein des granules a, avant d’être entretiennent ou accroissent la vasoconstriction.
libéré dans la circulation.
Temps plaquettaire
Son rôle est double. Il permet l’adhésion des
plaquettes aux cellules endothéliales activées, ou
Adhésion plaquettaire
au sous-endothélium, via son récepteur plaquet-
Il s’agit d’un phénomène passif induit par la ren-
taire gpIb/IX. Ce rôle s’exprime essentiellement
contre des plaquettes circulantes avec les structu-
lors des contraintes hémodynamiques fortes. Le
res sous-endothéliales hautement thrombogènes
VWF représente en outre la protéine transporteuse
comme le collagène, mises à nu par la rupture de la
du facteur VIII coagulant, ou facteur antihémophi-
couche endothéliale. L’adhésion plaquettaire est
lique A.
permise par la fixation du VWF au collagène qui
s’arrime à la membrane plaquettaire par son récep-
Fibrinogène
teur, la gpIb. Différentes glycoprotéines plaquet-
Il s’agit d’une protéine soluble synthétisée par le taires participent également à cette adhésion des
foie, substrat final de la coagulation qui est trans- plaquettes, qui est un préalable indispensable à
formé en fibrine insoluble par la thrombine (cf. leur activation. En effet, l’interaction des récep-
coagulation). Le fibrinogène exerce en outre un teurs glycoprotéiques plaquettaires avec leurs li-
rôle important au niveau de l’hémostase primaire gands respectifs conduit à la transduction d’un
en assurant les ponts moléculaires interplaquettai- signal intracytoplasmique déclenchant les différen-
res à l’origine des agrégats plaquettaires. tes réactions métaboliques d’activation cellulaire.

Différentes étapes de l’hémostase primaire Activation plaquettaire


L’activation des cellules plaquettaires est caracté-
risée par deux phénomènes principaux, leur chan-
L’hémostase primaire met en œuvre une barrière gement de forme et leur activation métabolique. Il
hémostatique d’urgence par la constitution d’un s’agit de processus actifs nécessitant de l’énergie,
« clou plaquettaire », ou thrombus blanc, venant sous forme d’ATP dérivant du métabolisme du glu-
obstruer la brèche vasculaire. Ses caractéristiques cose, et la disponibilité intracytoplasmique des ions
sont la rapidité de sa génération mais aussi sa calcium (Ca++) indispensables à l’activation du sys-
fragilité, requérant une consolidation secondaire tème contractile actine-myosine.
par un réseau protéique de fibrine, produit final des Discoïdes à l’état de repos, les plaquettes acti-
processus enzymatiques de la coagulation plasma- vées deviennent sphériques, émettent des pseudo-
tique. podes et s’étalent sur la surface d’adhésion. Les
Plusieurs étapes permettent la formation du clou granules intracytoplasmiques fusionnent avec le
plaquettaire : système canaliculaire ouvert et y libèrent leur
• la vasoconstriction ; contenu, qui se déverse ainsi dans le plasma envi-
• l’adhésion des plaquettes au sous-endo- ronnant. Ce phénomène de sécrétion plaquettaire,
thélium ; libère de nombreuses substances proagrégantes
• l’activation et la sécrétion plaquettaire ; (ADP, fibrinogène, sérotonine), procoagulantes
• l’agrégation des plaquettes entre elles abou- (facteur V, VWF, fibrinogène) ou vasomotrices (sé-
tissant au clou plaquettaire. rotonine, NO, TXA2) contribuant à l’amplification
Physiologie de l’hémostase 75

du processus d’hémostase primaire et créant les Le processus central de la coagulation est la


conditions favorables à la coagulation plasmatique. génération de la molécule de thrombine, enzyme
Par ailleurs, la plaquette activée génère de nom- clé de la coagulation, permettant la transformation
breuses substances pharmacologiquement actives à du fibrinogène en fibrine et assurant la rétroactiva-
partir de ses phospholipides membranaires comme tion et l’amplification des différentes étapes tant
l’acide arachidonique. Celui-ci est métabolisé par de la coagulation que de l’hémostase primaire.
la phospholipase A2 pour aboutir à la TXA2, puissant
agent vasoconstricteur et proagrégant, et à Facteurs de la coagulation
d’autres prostaglandines modulant les activités
plaquettaire et vasculaire. On entend par facteurs de la coagulation des pro-
Un autre phénomène essentiel se déroulant au téines plasmatiques participant au processus de la
cours de la phase d’activation plaquettaire est le coagulation et dont on distingue trois groupes dif-
phénomène de « flip-flop » membranaire, permet- férents : les protéines à activité enzymatique, les
tant aux structures internes de la membrane de se protéines dénuées d’activité enzymatique mais ser-
repositionner vers l’extérieur en contact avec le vant de cofacteurs et les protéines ayant un rôle de
plasma. Cette modification permet aux phospholi- substrat (Tableau 1).
pides chargés négativement, et notamment la Ces protéines plasmatiques ont été initialement
phosphatidylsérine, de s’extérioriser et de devenir reconnues par défaut au cours de pathologies hé-
disponibles pour la fixation des facteurs de la coa- morragiques héréditaires liées à un déficit de syn-
gulation vitamine K-dépendants, amplifiant par là thèse. Elles ont été ensuite isolées, purifiées et
considérablement les processus enzymatiques de la leurs gènes séquencés, ce qui a permis l’étude de
cascade de la coagulation. leur régulation génétique et pour certaines leur
synthèse par voie recombinante.
Agrégation plaquettaire
Elles sont au nombre de 12 et bien qu’elles aient
L’ADP et les traces de thrombine initialement pro-
chacune un nom usuel, un numéro en chiffre romain
duites par les premières étapes de la coagulation
leur a été attribué selon la nomenclature interna-
sont les principaux agonistes de l’agrégation pla-
tionale (Tableau 1). Le facteur activé est désigné
quettaire, qui est ensuite amplifiée par d’autres
par son numéro suivi du suffixe « a ».
substances telles que la TXA2, l’adrénaline ou la
Les facteurs de la coagulation sont synthétisés au
sérotonine.
niveau du foie par l’hépatocyte, et toute insuffi-
L’agrégation est permise par le fibrinogène qui
sance hépatocellulaire sévère entraîne une diminu-
crée de véritables ponts adhésifs interplaquettaires
tion globale des facteurs de la coagulation par
par le biais de sa fixation à son récepteur membra-
défaut de production.
naire spécifique, la gpIIb/IIIa. Il s’agit d’un phéno-
Il est essentiel de bien comprendre que chaque
mène actif requérant ici aussi énergie et disponibi-
facteur de la coagulation est défini par son activité
lité de Ca++.
coagulante évaluée par des tests in vitro de la
Si les phénomènes d’adhésion, d’activation et
coagulation, et par son activité antigénique éva-
d’agrégation plaquettaire sont individualisables in
luée par le dosage de la protéine. Un défaut fonc-
vitro, ils se déroulent simultanément in vivo avec
tionnel se traduit ainsi par une diminution de l’acti-
un phénomène de recrutement amplifiant la masse
vité coagulante avec conservation de l’activité
cellulaire active conduisant au clou plaquettaire
antigénique.
hémostatique.
Précurseurs enzymatiques
Coagulation Les facteurs vitamine K-dépendants II, VII, IX, X
d’une part, et les facteurs contacts XI, XII, prékal-
L’hémostase obtenue par le clou plaquettaire est licréine d’autre part, circulent dans le plasma sous
fragile et temporaire, et doit être consolidée par la la forme d’un précurseur enzymatique inactif, ou
génération d’un réseau protéique qui réalise ainsi proenzyme. Ils possèdent un site actif protéolyti-
une hémostase permanente. Il s’agit du processus que au niveau de la région C terminale, qui est
de coagulation du plasma sanguin aboutissant à la masqué tant que la molécule n’est pas activée. Ce
transformation du fibrinogène plasmatique circu- domaine catalytique est caractérisé par une sé-
lant soluble en fibrine insoluble enserrant le clou quence précise d’acides aminés comportant notam-
plaquettaire par le biais d’une série de réactions ment un résidu sérine dans une conformation spa-
enzymatiques dont le contrôle continu permet une tiale particulière, d’où leur nom de sérine-
restriction locale sans diffusion à distance de la protéase. L’activation consiste en une hydrolyse
zone lésionnelle. partielle de la molécule démasquant le site sérine-
76 T. de Revel, K. Doghmi

Tableau 1 Facteurs et protéines de la coagulation.


Facteur Nom Fonction Lieu de synthèse Vitamine K dépendance
Facteurs de la coagulation
I Fibrinogène Substrat Foie
II Prothrombine Zymogène Foie +
V Proaccélérine Cofacteur Foie
VII Proconvertine Zymogène Foie +
VIII Facteur antihémophilique A Cofacteur Foie
IX Facteur antihémophilique B Zymogène Foie +
X Facteur Stuart Zymogène Foie +
XI Facteur Rosenthal Zymogène Foie
XII Facteur Hageman Zymogène Foie
XIII Facteur stabilisant la fibrine Zymogène Foie
Facteur tissulaire Récepteur VIIa Multicellulaire
Facteurs inhibiteurs
Antithrombine Inhibiteur Foie
Protéine C Zymogène Foie +
Protéine S Cofacteur Foie +
Thrombomoduline Récepteur IIa Cellule endothéliale

protéase. Le facteur activé a ainsi la capacité d’ac- pent aux processus de la fibrinolyse et de l’inflam-
tiver par hydrolyse un autre facteur dans une véri- mation, tous deux étroitement reliés au système de
table cascade enzymatique. la coagulation.
La vitamine K est nécessaire à l’acquisition des
propriétés fonctionnelles des facteurs II, VII, IX et X Cofacteurs : facteurs V et VIII
dénommés ainsi facteurs vitamine K-dépendants. Les facteurs V et VIII sont dépourvus d’activité
Le rôle de la vitamine K consiste en une carboxyla- enzymatique mais accélèrent les réactions entre
tion des résidus d’acide glutamique de la partie N une enzyme et son substrat, d’où leur nom de
terminale de la chaîne polypeptidique. La carboxy- cofacteurs. Ils sont activés par la thrombine (Va et
lation est nécessaire à la fixation du calcium, véri- VIIIa) qui réalise une hydrolyse partielle des molé-
table pont entre la chaîne polypeptidique et la cules, démasquant ainsi les sites de liaison du co-
surface phospholipidique plaquettaire ou tissulaire. facteur à l’enzyme et à son substrat. Les facteurs
En l’absence de vitamine K, le foie libère des Va et VIIIa ont donc un rôle de potentialisateur des
facteurs décarboxylés très faiblement actifs. interactions enzymatiques et interviennent respec-
La fixation des sérines protéases procoagulantes tivement au sein de deux complexes enzymatiques
à la surface des phospholipides confère trois types de la cascade de la coagulation, le complexe tenase
d’avantages au processus de coagulation : un ac- (VIIIa) et le complexe prothrombinase (Va) (cf.
croissement de la concentration accélérant les in- infra).
teractions entre les différents facteurs, une restric- Ces facteurs ne sont pas vitamine-K dépendants
tion locale de l’activation de la coagulation, une et sont synthétisés dans l’hépatocyte. Le facteur
protection des enzymes procoagulantes vis-à-vis VIII, ou facteur antihémophilique A, circule dans le
des inhibiteurs circulants de la coagulation. plasma associé au VWF qui joue ainsi le rôle de
Les facteurs contacts (facteurs XI, XII, prékalli- protéine transporteuse. Le gène codant pour le
créine), dont la synthèse ne dépend pas de la facteur VIII est situé sur le chromosome X.
vitamine K, sont essentiellement définis par leur
rôle dans le développement de la coagulation du Fibrinogène
plasma in vitro. En effet, leur activation est déclen- Le fibrinogène représente le troisième type de fac-
chée par le contact avec une surface non mouilla- teur de la coagulation, jouant un rôle de substrat
ble (verre du tube par exemple), ou chargée néga- sans activité enzymatique ou catalytique propre. Il
tivement (sous-endothélium). Il semble que leur s’agit du substrat final de la coagulation, hydrolysé
rôle dans l’hémostase physiologique soit mineur, par la thrombine qui le transforme en chaînes inso-
et, bien que leur déficit congénital perturbe gran- lubles de fibrine. Le fibrinogène est synthétisé par
dement les tests de coagulation, les sujets atteints l’hépatocyte et son taux plasmatique est de l’ordre
ne présentent pas de manifestations hémorragi- de 2 à 4 g/l, taux accru lors des états infectieux ou
ques. En revanche, les facteurs contacts partici- inflammatoires ou bien diminué par consommation
Physiologie de l’hémostase 77

excessive dans certains états pathologiques (coagu-


lation intravasculaire disséminée [CIVD] ou fibrino-
génolyse primitive).
Il s’agit d’un polypeptide formé de six chaînes
identiques deux à deux, reliées par des ponts disul-
fures. L’effet hydrolytique de la thrombine permet
la polymérisation des chaînes de fibrinogène en gel
de fibrine.
Le fibrinogène intervient également au niveau
de l’hémostase primaire, permettant l’agrégation
des plaquettes entre elles en se fixant sur son
récepteur membranaire gpIIb/IIIa.
Le facteur XIII, ou facteur de stabilisation de la
fibrine, renforce la cohésion des molécules de fi-
brine par la création de liaisons covalentes inter-
moléculaires, rendant le réseau de fibrine plus
stable et plus solide.

Phospholipides activateurs de la coagulation


Figure 2 Schéma simplifié de la cascade de la coagulation. Les
phospholipides, plaquettaires ou pariétaux, restreignent la cas-
Ils constituent une surface moléculaire catalytique cade enzymatique à leur surface. FT : facteur tissulaire ; IIa :
permettant le déclenchement de la coagulation par thrombine.
l’activation des facteurs procoagulants. Il faut en
effet comprendre que la coagulation est un proces- téine aux multiples fonctions. Son rôle à ce stade
sus de surface dont le déclenchement, la rapidité repose sur la transformation du fibrinogène en un
d’exécution et la restriction locale sont assurés par gel de fibrine qui est la finalité même de la cascade
ces phospholipides membranaires exposés lors de de la coagulation, mais la thrombine interagit aussi
conditions pathologiques ou réactionnelles. La fixa- sur de nombreux systèmes tels que l’hémostase
tion aux phospholipides membranaires de l’enzyme primaire, l’inflammation ou la fibrinolyse.
protéolytique, de son substrat et du cofacteur cata- Phénomène complexe, la coagulation in vivo est
lytique accélère grandement leurs interactions. régie par un certain nombre de principes fonda-
Les phospholipides impliqués dans le déclenche- mentaux que nous avons détaillés (cf. supra) :
ment et le déroulement de la coagulation compren- • elle est définie par une cascade de réactions
nent la phosphatidylsérine plaquettaire, ancienne- enzymatiques dont les facteurs circulent dans
ment dénommé facteur 3 plaquettaire (F3P), et le le plasma à l’état de précurseurs inactifs qui
facteur tissulaire ou thromboplastine tissulaire. sont activés par une hydrolyse partielle de leur
La phosphatidylsérine plaquettaire est exprimée chaîne protéique démasquant le site actif ;
à la surface de la membrane plaquettaire lors de • elle s’opère localement au contact des surfa-
son activation. Le facteur tissulaire, protéine trans-
ces phospholipidiques des membranes plaquet-
membranaire, est exprimé de façon inductible par
taires ou vasculopariétales ;
la cellule endothéliale activée, et de façon consti-
• elle est amplifiée par l’activité de cofacteurs
tutive par les cellules sous-endothéliales, fibroblas-
catalytiques et par des boucles de rétroactiva-
tes et cellules musculaires lisses. Le facteur tissu-
tion enzymatique ;
laire est ainsi exposé aux protéines procoagulantes
• elle est contrôlée par un système de régulation
lors d’une brèche vasculaire, avec mise à nu des
très précis lié à l’existence de protéines inhi-
structures sous-endothéliales.
bitrices de la coagulation et d’un système de
Le facteur tissulaire est le récepteur du facteur
destruction secondaire du caillot de fibrine, la
VII activé et leur liaison déclenche le processus de
fibrinolyse (cf. infra).
cascade enzymatique de la coagulation [cf. infra].
Plusieurs étapes sont identifiées :
Déroulement de la coagulation in vivo • 1re étape : déclenchement de la coagulation
par activation du facteur VII ;
La coagulation in vivo se déroule en plusieurs éta- • 2e étape : activation du facteur X et formation
pes qui sont intriquées avec les différentes phases du complexe enzymatique prothrombinase ;
de l’hémostase primaire (Fig. 2). • 3e étape : formation de la thrombine ;
L’ultime étape de la coagulation repose sur la • 4e étape : formation du réseau de fibrine inso-
génération de son enzyme clé, la thrombine, pro- luble.
78 T. de Revel, K. Doghmi

Déclenchement de la coagulation par activation Formation de la thrombine


du facteur VII
La rupture de la tunique endothéliale thromborésis- Le complexe prothrombinase assure la protéolyse
tante, secondaire à une lésion vasculaire, permet de la prothrombine (facteur II) en thrombine (fac-
le contact du sang circulant avec les structures teur IIa), protéine clé de la coagulation responsable
sous-endothéliales. La fixation du facteur VII plas- de la génération du caillot de fibrine. En outre, la
matique au facteur tissulaire, qui est exprimée de thrombine assure une amplification du rendement
façon constitutive par les cellules musculaires lisses de la cascade enzymatique en activant les cofac-
et les fibroblastes, représente le signal du déclen- teurs V et VIII qui accélèrent considérablement
chement de la cascade enzymatique. La liaison du l’activité des complexes de la prothrombinase (Va)
facteur VII permet en outre son autoactivation, et de la tenase (VIIIa), conduisant à un accroisse-
amplifiant considérablement l’activité du com- ment explosif de la production de la thrombine. On
plexe facteur tissulaire-facteur VII (FT-FVII). considère en effet que la présence du cofacteur
activé au sein du complexe enzymatique accroît
Activation du facteur X et formation du son rendement par un facteur 106. Ce phénomène
complexe enzymatique prothrombinase est nommé double boucle de rétroactivation de la
Le complexe FT-FVII active très rapidement par génération de thrombine sur laquelle repose toute
protéolyse le facteur X en facteur Xa. Celui-ci ac- l’efficacité et la puissance du système.
tive en retour le facteur VII, rendant le complexe
beaucoup plus actif et amplifiant ainsi sa propre Fibrinoformation
production. Le facteur Xa forme, en association La dernière étape repose sur la transformation du
avec les phospholipides plaquettaires, le calcium et fibrinogène soluble par l’hydrolyse de ces différen-
le cofacteur Va (cf. infra), un complexe enzymati- tes chaînes polypeptidiques en monomères de fi-
que assurant le clivage protéolytique de la brine, qui s’associent les unes aux autres grâce à
des liaisons hydrogène de faible affinité pour for-
prothrombine qui génère ainsi la molécule de
mer un gel de fibrine, ou le caillot de fibrine, qui
thrombine, d’où son nom de complexe prothrombi-
est tout d’abord instable. Le facteur XIII, facteur de
nase.
stabilisation de la fibrine, préalablement activé par
Par ailleurs, le complexe FT-FVII active, mais
la thrombine, solidifie alors les molécules de fibrine
beaucoup plus lentement, le facteur IX (facteur par l’établissement de liaisons covalentes entre les
antihémophilique B) en facteur IXa. Il se forme de différentes molécules conduisant à une polymérisa-
la même façon un complexe enzymatique, appelé tion des monomères de fibrine.
complexe tenase, associant facteur IXa, phospholi-
pides plaquettaires, calcium, et le cofacteur VIIIa
Régulation de la coagulation
(cf. infra), qui active le facteur X en facteur Xa,
amplifiant considérablement le rendement de la
Un système physiologique très complexe de régula-
production de prothrombinase.
tion de la coagulation est mis en œuvre, afin de
Il existe donc deux voies d’activation protéolyti- limiter l’extension locale du caillot et d’éviter la
que du facteur X qui sont distinctes dans leur ciné- diffusion à distance de la fibrinoformation. Celui-ci
tique. L’activation directe par le complexe FT-FVII a été démembré par l’identification de protéines
est très rapide, et constitue le starter de la cascade déficitaires chez des sujets présentant une patho-
enzymatique, pour aboutir précocement aux pre- logie thrombotique récidivante dans un contexte
mières molécules de thrombine, alors que la voie familial.
indirecte passant par l’activation du facteur IX est L’antithrombine a été la première molécule dé-
beaucoup plus lente à se mettre en place mais est crite et est l’un principaux inhibiteurs physiologi-
quantitativement prépondérante. ques de la coagulation. Il s’agit d’une glycoprotéine
Il existe une autre voie d’activation passant par synthétisée par le foie mais non dépendante de la
le facteur XI qui est activé lentement par la throm- vitamine K. Elle neutralise préférentiellement l’ac-
bine nouvellement formée. Le facteur XIa active en tivité de la thrombine (IIa) mais aussi celle des
retour le facteur IX pour renforcer la génération du autres facteurs de la coagulation à activité enzyma-
complexe tenase. Le facteur XI peut également tique (VIIa, IXa, Xa), à distance du caillot de fi-
être activé par les facteurs contacts après exposi- brine. Associée à son récepteur endothélial, l’hépa-
tion des composants du sous-endothélium, mais rane sulfate, son activité inhibitrice est con-
l’importance de cette voie d’activation est mineure sidérablement accrue, de l’ordre d’un facteur
et les déficits en facteurs contacts n’entraînent pas 1 000. L’antithrombine n’est pas active à la surface
de troubles hémorragiques. plaquettaire, lieu de formation du caillot, mais
Physiologie de l’hémostase 79

neutralise les facteurs enzymatiques dès qu’ils dif- sur le plasminogène est déclenchée lors de son
fusent à distance. adsorption sur la fibrine. La sécrétion vasculaire de
Le système protéine C-protéine S est de décou- t-PA est initiée par de nombreux stimuli d’activa-
verte plus récente. Il s’agit de deux protéines syn- tion de la cellule endothéliale : thrombine, cytoki-
thétisées par le foie sous la dépendance de la nes pro-inflammatoires, anoxie, acidose, stase...
vitamine K. La pro-urokinase ou activateur urinaire du plasmi-
La protéine C est activée par la thrombine après nogène (u-PA), est le second activateur du plasmi-
liaison à la thrombomoduline exprimée par la mem- nogène présent dans de nombreux tissus mais dont
brane endothéliale. La protéine C activée (PCa) en le rôle physiologique est moins connu que celui de
présence de protéine S neutralise les cofacteurs Va la t-PA.
et VIIIa, ralentissant par là considérablement la Les inhibiteurs de la fibrinolyse comportent des
vitesse de génération de la thrombine. Les person- inhibiteurs de la plasmine proprement dits et des
nes présentant des déficits constitutionnels hétéro- inhibiteurs de l’activité du plasminogène.
zygotes en protéine C et protéine S sont à risque L’a–2–antiplasmine est la principale protéine à acti-
accru de thrombose veineuse spontanée ou en pré- vité antiplasmine ; il s’agit d’une glycoprotéine
sence de facteurs de risque surajoutés. Plus récem- synthétisée par la cellule hépatique qui neutralise
ment a été décrite une mutation du gène du facteur la plasmine plasmatique circulante non liée à la
V, rendant la protéine insensible à l’action inhibi- fibrine. Le PAI de type 1 ou PAI-1 est le principal
trice de la protéine C activée : il s’agit de la inhibiteur des activateurs du plasminogène (PAI) ; il
« résistance à la protéine C activée », pourvoyeur s’agit d’une glycoprotéine synthétisée par la cel-
de thromboses familiales d’identification récente. lule endothéliale qui inhibe le t-PA et l’u-PA par
formation d’un complexe covalent. Le PAI-1 est
majoritairement localisé dans les granules a des
Fibrinolyse physiologique plaquettes, et est libéré lors de l’activation pla-
quettaire qui initie le processus de l’hémostase. Le
La fibrinolyse est un processus physiologique per- PAI de type 2 (PAI-2) est un autre inhibiteur synthé-
mettant la dissolution du caillot de fibrine. La tisé par le placenta au cours de la grossesse.
fibrinolyse est bâtie selon la même conception que Ce système très fin de régulation de l’activité de
le système de la coagulation comprenant des molé- la plasmine et de sa restriction à la surface de la
cules à activité protéolytique, qui agissent sur un fibrine explique le fait que la fibrinolyse physiolo-
substrat, contrôlées par un système d’activateurs gique soit un processus qui reste localisé au niveau
et d’inhibiteurs permettant une régulation physio- du thrombus. Son rôle réside en effet dans la lyse
logique très précise. progressive du caillot après la cicatrisation de la
L’enzyme centrale de la fibrinolyse est la plas- brèche vasculaire, mais aussi dans la prévention de
mine qui dérive d’un précurseur plasmatique inac- son extension évitant par là l’occlusion de la lu-
tif, le plasminogène, glycoprotéine d’origine hépa- mière vasculaire.
tique. Le plasminogène possède une grande affinité Une hyperfibrinolyse primitive pathologique
pour la fibrine, et s’y fixe par un récepteur spécifi- avec syndrome hémorragique peut s’observer au
que aux côtés de son activateur, permettant ainsi décours d’interventions chirurgicales intéressant
la génération locale de plasmine via le démasquage des organes très riches en activateurs du plasmino-
des sites protéolytiques. La plasmine protéolyse le gène (t-PA et u-PA). Il existe par ailleurs des ta-
fibrinogène et la fibrine en divers fragments de bleaux de fibrinolyse secondaire à des processus
tailles variables, identifiés comme les produits de pathologiques de CIVD se développant au cours de
dégradation de la fibrine, ou PDF, qui sont quanti- certaines hémopathies ou états septiques sévères.
fiables dans le plasma. Le taux de PDF plasmatiques
est ainsi un reflet de l’activité de la plasmine et
donc de l’activation de la coagulation. Les PDF sont Exploration de l’hémostase
emportés dans le courant plasmatique et épurés au
niveau du foie par le système macrophagique. Tout événement clinique hémorragique pathologi-
La fibrinolyse est contrôlée par deux systèmes que ou tout antécédent de manifestation(s) hémor-
équilibrés d’activation et d’inhibition de l’activité ragique(s) anormale(s) doit faire entreprendre un
de la plasmine. bilan d’hémostase à la recherche d’une cause ac-
Les activateurs principaux du plasminogène sont quise ou constitutionnelle. De même, une explora-
le t-PA (activateur tissulaire du plasminogène) et la tion de l’hémostase doit s’envisager à titre de bilan
pro-urokinase. Le t-PA est une sérine protéase opératoire pour des interventions chirurgicales pré-
d’origine endothéliale dont l’activité protéolytique sentant un risque hémorragique.
80 T. de Revel, K. Doghmi

L’interrogatoire est déterminant dans la acquises ou héréditaires, perturbant les fonctions


conduite du diagnostic, qui reposera sur un ensem- plaquettaires, ou dans la maladie de Willebrand. La
ble de tests biologiques explorant l’hémostase pri- maladie de Willebrand est la plus fréquente des
maire ou la coagulation plasmatique. L’existence maladies hémorragiques héréditaires et est carac-
d’antécédents hémorragiques familiaux oriente térisée par un déficit, quantitatif ou qualitatif, en
d’emblée vers une pathologie constitutionnelle. VWF dont on rappelle qu’il joue un double rôle
L’interrogatoire fait par ailleurs préciser la nature d’adhésion des plaquettes à la paroi endothéliale et
des épisodes hémorragiques, leur sévérité, leur de transporteur plasmatique du facteur VIII. Le
fréquence, les circonstances déclenchantes et diagnostic de maladie de Willebrand doit être évo-
l’âge d’apparition des premiers signes. qué devant un allongement du TS associé à un
accroissement modéré du temps de céphaline acti-
Exploration de l’hémostase primaire vée (TCA) (cf. infra). Le diagnostic est affirmé par
la diminution de l’activité fonctionnelle du VWF
Numération plaquettaire (agglutination des plaquettes en présence de risto-
Devant l’apparition d’un syndrome hémorragique, cétine) et de son activité antigénique (dosage im-
la numération plaquettaire à la recherche d’une munologique).
thrombopénie précède tout autre test. Rappelons
que le taux normal de plaquettes se situe entre Tests fonctionnels
De nombreux tests étudient in vitro les différentes
150 et 400 109/l. Un taux supérieur à 30 109/l
fonctions plaquettaires telles l’adhésion, la sécré-
n’entraîne pas de risque de saignement spontané.
tion ou l’agrégation. Ils sont indiqués devant un
La découverte d’une thrombopénie requiert un
syndrome hémorragique sans cause évidente avec
contrôle sur lame et une nouvelle numération sur
un TS allongé et une numération plaquettaire habi-
anticoagulant citraté, l’éthylène diamine tétra-
tuellement normale, ou modérément abaissée, à la
acétique (EDTA) habituellement utilisé pouvant gé-
recherche d’une thrombopathie héréditaire. Ils ne
nérer une agglutination des plaquettes in vitro,
sont pas de pratique courante et sont réservés aux
minorant par là le décompte particulaire de l’auto-
laboratoires spécialisés.
mate. En cas de thrombopénie avérée, la démarche
diagnostique s’emploie à retrouver l’étiologie,
qu’elle soit centrale par défaut de production mé- Exploration de la coagulation
dullaire ou bien périphérique par excès de destruc-
tion. Le TCA et le temps de Quick (TQ) sont les deux tests
de dépistage universellement utilisés pour explorer
Temps de saignement les différentes phases de la coagulation. Le dosage
Il s’agit de la pierre angulaire de l’exploration de spécifique des facteurs de la coagulation, à la re-
l’hémostase primaire, et il est défini comme le cherche d’un déficit isolé, est effectué en fonction
temps nécessaire à l’arrêt spontané d’un saigne- des résultats des tests précédents.
ment provoqué par une petite coupure superfi- Le TCA et le TQ explorent chacun la voie d’acti-
cielle. Il explore les différents éléments concourant vation de la coagulation qui lui est spécifique. En
à l’hémostase primaire, soit les plaquettes, la paroi effet, l’exploration in vitro de la coagulation a
vasculaire et le VWF. La standardisation des tech- depuis longtemps isolé deux voies distinctes d’acti-
niques par des procédés à usage unique a amélioré vation, la voie endogène mettant en jeu les fac-
la fiabilité de ce test qui s’effectue classiquement, teurs contacts et les facteurs IX et VIII jusqu’au
selon la méthode décrite initialement par Ivy, par complexe prothrombinase, et la voie extrinsèque
une incision cutanée superficielle au niveau de d’activation par le facteur tissulaire impliquant le
l’avant-bras sous une pression constante de facteur VII. La voie commune comprend la throm-
40 mmHg. Dans ces conditions, le temps de saigne- binoformation et implique les facteurs V, X et II et
ment (TS) se situe entre 4 et 8 minutes. Avant toute la fibrinoformation. Il est dorénavant admis que ce
schéma n’est pas directement applicable in vivo
pratique d’un TS, l’interrogatoire doit rechercher
mais qu’il reste utile dans l’exploration in vitro. Le
la prise de salicylés ou d’anti-inflammatoires non
TCA explore donc la voie dite endogène et le TQ la
stéroïdiens, qui allongent le TS par l’inhibition
voie extrinsèque, tous deux impliquant par ailleurs
pharmacologique des fonctions plaquettaires. Rap-
le tronc commun terminal (Fig. 3).
pelons par ailleurs qu’il est parfaitement inutile de
demander un TS devant une thrombopénie, et no- Temps de céphaline activé
tamment pour un taux inférieur à 50 109/l. En
l’absence de thrombopénie, le temps de saigne- Le TCA correspond au temps de coagulation d’un
ment est allongé dans les cas de thrombopathies, plasma, décalcifié et déplaquetté, en présence de
Physiologie de l’hémostase 81

V, II et le fibrinogène. Il est compris entre 10 et


13 secondes en fonction de la thromboplastine uti-
lisée, et est exprimé en pourcentage par rapport à
un pool de plasma calculé selon une courbe de
référence. On le nomme alors taux de prothrom-
bine (TP), ce qui peut amener une certaine confu-
sion terminologique. La normalité se situe entre
70 et 100 %. Le TQ pratiqué dans le cadre de la
surveillance d’un traitement anticoagulant par an-
tivitamine K doit s’exprimer en INR (international
normalized ratio) calculé selon un index internatio-
nal permettant de s’affranchir des variations de
sensibilité des différents réactifs utilisés.

Dosage spécifique des facteurs


Figure 3 Exploration in vitro de la coagulation. Le temps de de la coagulation
céphaline activé (TCA) explore les facteurs de la voie endogène
et de la voie commune ; le temps de Quick (TQ) explore le
facteur VII activé par le facteur tissulaire et les facteurs de la Ils doivent être demandés devant des tests de dé-
voie commune. pistage (TCA ou TQ) anormaux à la recherche d’un
déficit, acquis ou constitutionnel, en un ou plu-
céphaline, d’un activateur des facteurs de la phase sieurs facteurs de la coagulation. Il repose sur la
contact et de calcium. La céphaline est un substitut capacité du plasma à tester et à corriger le temps
des phospholipides plaquettaires dont il existe plu- de coagulation d’un plasma spécifiquement défici-
sieurs formes commercialisées, et l’activateur de la taire en un facteur à mesurer.
phase contact le plus communément utilisé est le
kaolin. Exploration de la fibrinoformation
Le TCA explore les facteurs contacts (facteurs
XII, XI, ) et les facteurs IX, VIII, X, V, II et le Elle repose sur deux tests simples, le dosage du
fibrinogène. Le temps normal dépend des activa- fibrinogène et le temps de thrombine.
teurs et de la céphaline utilisée par chaque labora- Le dosage du fibrinogène est effectué par diver-
toire, et varie de 30 à 40 secondes. Le TCA d’un ses méthodes et son taux est normalement compris
patient donné doit être comparé au TCA témoin du entre 2 et 4 g/l.
laboratoire, et on considère qu’un temps est patho- Le temps de thrombine est le temps de coagula-
logique pour une valeur supérieure de 6 à 10 secon- tion d’un plasma après apport d’une quantité fixe
des au-dessus du témoin. et diluée de thrombine. Il est déterminé pour être
Un TCA allongé de façon isolée, sans allongement normalement compris entre 16 et 20 secondes. Le
du TQ, chez un patient qui saigne, doit faire évo- temps de thrombine explore spécifiquement la fi-
quer un déficit en facteur IX (hémophilie B) ou en brinoformation et est allongé en cas d’anomalie
facteur VIII (hémophilie A), les déficits pour les quantitative ou qualitative du fibrinogène, ou en
autres facteurs de la voie endogène étant peu présence d’inhibiteurs de la thrombine, telle l’hé-
hémorragipares. parine par exemple.

Temps de Quick

Le temps de Quick correspond au temps de coagu- Références


lation d’un plasma, décalcifié et déplaquetté, en
1. Boneu B, Cazenave JP. Introduction à l’étude de
présence de thromboplastine, source de facteur
l’hémostase et de la thrombose. Reims: Boehringer
tissulaire, et de calcium. Ingelheim; 1997.
Le TQ explore le facteur VII, facteur de la voie 2. Sampol J, Arnoux D, Boutière B. Manuel d’hémostase.
extrinsèque, et les facteurs de la voie commune, X, Paris: Elsevier; 1995.

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