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Séance 4
La consolidation d’une civilisation Atlantique au XVIIIe
siècle
Le déjeuner, François Boucher (1703-1770), 81 cm x 65 cm, peinture à l’huile sur toile, RMN-Grand
Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Sommaire
Séance 4
La consolidation d’une civilisation Atlantique au XVIIIe siècle�������������������������������1
1. La circulation des savoirs������������������������������������������������������������������������������������������������������3
2.1. R
approcher deux œuvres d’art pour caractériser un contexte historique�������������������������� 7
2.2. E
xtraire des informations d’un ensemble de documents pour caractériser
un groupe social����������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 9
Ouverture vers la prochaine séquence d’histoire : L’Amérique et l’Europe en révolution
(des années 1760 à 1804)��������������������������������������������������������������������������������������������������������� 11
Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, faire le « voyage d’Amérique » n’est plus réservé aux
soldats ou aux administrateurs des métropoles coloniales, il est aussi le fait de « simples voyageurs »,
certes aisés, mais qui peuvent s’embarquer pour visiter ces terres et en rapporter des récits lus par
un large public. Ainsi, l’Atlantique est-il devenu autre chose qu’un lieu où les guerres et la quête des
métaux précieux sont les seules activités pratiquées par les Européens qui s’y aventurent.
Arrivé au Canada à l’âge de 17 ans pour tenter d’y faire fortune, il y reste 10 ans. Après son retour
en France, il publie en 1703 les Nouveaux Voyages dans l’Amérique septentrionale, suite de lettres
échangées avec un parent lors de son voyage au Canada.
La Hontan a bien connu le chef Huron Kondiaronk qui a inspiré le chef Adario dans les Dialogues de M.
le Baron de LaHontan et d’un Sauvage dans l’Amérique, publiés en 1703.
Le Huron Adario répond au sujet des lois
« Un homme n’est pas un homme à cause qu’il est planté droit sur ses deux pieds, qu’il sait lire et
écrire, et qu’il a mille autres industries. J’appelle un homme celui qui a un penchant naturel à faire le
bien et qui ne songe jamais à faire du mal. Tu vois bien que nous n’avons point de juges ; pourquoi ?
parce que nous n’avons point de querelles et de procès. Mais pourquoi n’avons-nous pas de procès ?
C’est parce que nous ne voulons point recevoir ni connaître l’argent. Pourquoi est-ce que nous ne
voulons pas admettre cet argent ? C’est parce que nous ne voulons pas de lois, et que depuis que le
monde est monde nos pères ont vécu sans cela. Au reste, il est faux, comme je l’ai déjà dit, que le mot
des lois signifie pour vous les choses justes et raisonnables, puisque les riches s’en moquent et qu’il
n’y a que les malheureux qui les suivent. »
Source : Dialogues publiés en 1703, texte extrait de l’édition Desjonquières, Paris, 1993, pp 62-63.
L’édition de 1703 Des Dialogues a été lue et reprise pendant une bonne partie du XVIIIe siècle et a
directement influencé les penseurs et les philosophes les plus divers. Parmi ceux-ci on peut relever
le Diderot des Suppléments aux voyages de Bougainville, Montesquieu, Rousseau. […] C’est surtout
[le recours] au thème du voyage et à la technique du dialogue philosophique que l’importance de notre
auteur aventurier se fait fortement sentir. Cette technique du dialogue philosophique qui juxtapose
de longues répliques faites […] par l’homme de la nature [face au] pseudo-défenseur de la civilisation
européenne aura une nombreuse postérité. Il n’est que de songer au Neveu de Rameau de Diderot.
[…] Alors se déploie le relativisme si cher au siècle des Lumières. […] Les dialogues sont rattachés à
cette longue tradition des voyages qui servent à remettre en question la civilisation occidentale. […]
La Hontan et le personnage de l’Indien Adario diffusent en 1703 des idées qui se retrouveront dans les
Lettres persanes (1721) ou les Lettres philosophiques.
Source : Imbert, P. (1976). Comment peut-on être lecteur de Lahontan et de ses dialogues ?
Lettres québécoises, 1 (1), 22 – 24.
Document 1
Question 1
Quels intérêts représentent les récits de voyageurs tels que La Hontan pour les lecteurs européens ?
Question 2
Quelle remarque pouvez-vous faire quant aux conditions dans lesquelles s’est effectué le voyage de La Hontan ?
Document 2
Question 3
Pourquoi le Huron estime-t-il ne pas avoir besoin de lois ? En quoi ce passage est-il une critique de la société
française ?
Document 3
Question 4
Certains voyageurs publient à leur retour le récit de leur périple dans le Nouveau Monde. Leurs livres
contiennent souvent des illustrations, des cartes, des petits dictionnaires de la langue des peuples
rencontrés. Ils sont largement lus, piratés et traduits en Europe. Ils influencent l’opinion de penseurs
du XVIIIe siècle, appelé siècle des Lumières, tels que Voltaire, Montesquieu, Diderot. Ces récits sont
l’occasion de poser un regard critique sur les sociétés européennes et contribuent à habituer l’opinion à
l’idée que l’Océan ne sépare pas deux univers radicalement étrangers l’un à l’autre.
Le Sauvage américain est montré comme un moyen pour le « civilisé », de prendre conscience de
lui-même. S’installe un procédé d’écriture qui va se développer tout au long du siècle et influencer les
philosophes des Lumières : faire parler le Sauvage et permettre au civilisé de trouver un sens dans
l’existence. La civilisation est montrée comme porteuse de violence et d’aliénation. Là où avant le
Nouveau Monde était vu comme une zone primitive à civiliser et à évangéliser, c’est désormais l’Europe
qui est renvoyée face à elle-même et à des questionnements sur son humanité.
2.1. R
approcher deux œuvres d’art pour caractériser un contexte
historique
DOCUMENT 4 : DEUXIÈME VUE DU PORT DE BORDEAUX, PRISE DU CHÂTEAU TROMPETTE
Vernet Joseph (1714-1789), 1759, huile sur toile, © Photo RMN-Grand Palais
Source : Meyer, Jean, « Les paradoxes du succès havrais », dans Corvisier, André (dir.),
Histoire du Havre et de l’estuaire de la Seine, Toulouse, Privat, 1987, p. 82-85
Source : Portrait de marguerite Deurbroucq, épouse d’un grand marchand et armateur nantais,
Pierre-Bernard Morlot, 1753. © Château des ducs de Bretagne - Musée d’histoire de Nantes
Question
En quoi ces deux tableaux illustrent-ils l’évolution de la place des ports français de la façade Atlantique dans les
importations coloniales au cours du XVIIIe siècle ? Appuyez-vous sur les éléments dénotés (éléments présents
dans l’image) pour justifier votre réponse dans un court paragraphe de 4 à 5 lignes.
Tout au long du XVIIe siècle, la prospérité des ports français repose largement sur les relations avec les
colonies situées aux Antilles. Dans ce contexte, les ports de la façade Atlantique, Bordeaux au premier
chef, monopolisent la quasi-totalité des importations coloniales. Ils représentent des marchés de
consommation majeurs. Ils connaissent un développement démographique important. Bordeaux passe
par exemple de 45 000 habitants en 1700 à environ 110 000 en 1790. Nantes pour sa part passe de
45 000 à 80 000 habitants au cours de la même période.
Les relations transatlantiques sont de trois types :
• l’exploitation de la pêche à la morue le long des côtes d’Amérique du Nord
• le commerce en droiture avec les territoires colonisés dans l’aire Caraïbe (voir séance 3)
• l’envoi de marchandises dans les ports espagnols de Séville et Cadix
2.2. E
xtraire des informations d’un ensemble de documents pour
caractériser un groupe social
DOCUMENT 6 : LA NOUVELLE IDENTITÉ DU COMMERÇANT AU LOIN
Dès la fin du XVIIe siècle, le commerçant au loin, surtout atlantique, se forge une nouvelle identité :
il quitte la « marchandise » devenue vulgaire, pour entrer dans ce que l’on appelle désormais le
« négoce ». Un siècle plus tard, les signes […] de l’attraction exercée par le modèle de la noblesse, sont
évidents. […] L’armateur de la fin du XVIIIe siècle n’est ni un bourgeois gentilhomme, ni un bourgeois
conquérant. Il ne constitue ni une force révolutionnaire luttant contre la féodalité, ni une classe sociale
déclinante. Utilisant au mieux de ses intérêts immédiats les idées de son temps, il sait se vêtir de
plusieurs costumes à la fois tout en gardant son âme. Il rêve d’une société de « fonction » dans laquelle
les individus seraient classés selon leur « utilité » [et] dans laquelle il serait important. En attendant
ce moment, il n’a pas d’autre choix que de mimer son contraire, de ressembler à la noblesse. Les deux
visages du négoce, le matérialiste et l’ostentatoire, ne s’opposent donc pas. Ils définissent le notable
(celui qui a une autorité sur les affaires publiques), ou celui qui aspire à la devenir, et augurent déjà des
grandes lignes de force de la société française post-révolutionnaire.
Source : Pétré Grenouilleau Olivier. Les négoces atlantiques français. Anatomie d’un capitalisme relationnel.
In : Dix-huitième Siècle, n° 33, 2001. L’Atlantique, sous la direction de Marcel Dorigny. pp. 33-48
En 1740, arrivait à Bordeaux un jeune homme de 17 ans, François Bonnaffé, […] accompagné de son
père qui désirait le présenter chez un des premiers courtiers de commerce de la ville pour y faire
son apprentissage. […] admis chez le courtier bordelais aux conditions ordinaires, 300 livres par an
pour l’apprentissage, la nourriture et le logement, François se mit résolument au travail. Il ne devait
compter que sur lui-même pour faire son avenir, mais il avait l’esprit droit, une probité scrupuleuse,
une activité à toute épreuve et le génie des affaires ; il était sûr de réussir. L’apprentissage terminé, il
débuta modestement, tâtant le terrain, cherchant à se créer une clientèle, complétant son éducation
par l’étude comparée des marchandises de qualité et d’origines diverses, et se faisant peu à peu
la réputation d’un excellent connaisseur. Bientôt le cercle de ses affaires s’agrandit. « Il s’occupa
de pacotille, d’assurances, d’armements à Terre-Neuve, à la Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-
Domingue. En même temps, il faisait venir son plus jeune frère, Marc, pour étudier le commerce
sous sa direction et le seconder dans ses affaires. 14 ans après son arrivée à Bordeaux en 1754, il
avait alors 31 ans, ses bénéfices dépassaient déjà 400 000 livres ». […] Il organise un vaste système
de relations avec les principaux marchés de l’Europe et de l’Amérique, […] achète des navires, en fait
construire pour son compte, fonde un comptoir à Saint-Domingue, […] pour recevoir ses navires, en
vendre la cargaison. […] Il s’est marié en 1756 avec Anne Boyer, la fille de Boyer de Poyen, créole de
la Guadeloupe […] où il introduisit la culture de la canne à sucre. […] la profession d’armateur était la
première de toutes et la plus considérée. François Bonnaffé l’appréciait si bien qu’il ne voulut jamais
changer d’état en achetant une charge qui lui aurait fait acquérir des privilèges. […] À Bordeaux, sur
800 négociants, armateurs ou banquiers, on en comptait une soixantaine dont la fortune dépassait
plusieurs millions. […] Parmi les négociants français de la ville, notre armateur était l’un des plus
riches, sinon le plus riche ; sa fortune s’élevait à près de 15 millions ; il possédait plusieurs navires,
deux domaines et 23 maisons en ville. […]
Source : Edmond et Pierre Bonnaffé, Un armateur Bordelais au XVIIIe siècle, Féret et fils éditeurs, Bordeaux, 1909.
Question 1
Question 2
Quelles sont les qualités dont fait preuve François Bonnaffé et qui le conduisent à la réussite ?
Question 3
Pourquoi peut-on supposer que François Bonnaffé a aussi construit sa richesse sur le commerce triangulaire ?
Au début du XVIIIe siècle, l’économie maritime entre de plain-pied dans l’univers colonial et dans
une croissance spectaculaire. Il est principalement animé par les négociants. Le négoce porte non
seulement sur des produits mais aussi sur des hommes (voir séance 3).
C’est un milieu constitué par des clans familiaux. Être négociant, c’est le signe d’une certaine aisance
financière mais aussi d’une reconnaissance sociale. Ils font du commerce en gros et forment une classe
sociale très influente dans les sociétés portuaires. Ni marchand, ni bourgeois, ils se caractérisent par
l’esprit d’entreprise, des facultés individuelles, la maîtrise d’un réseau, et de puissants capitaux. Ils
occupent des rôles importants dans la gestion des villes. Ils sont marchands, mais aussi armateurs,
propriétaires de navires et parfois même constructeurs de navires. Bien souvent, l’affaire familiale est
poursuivie de génération en génération.
Dans un milieu colon peu réputé pour son goût de la chose culturelle, l’inventaire de succession
d’Antoine Mercier, propriétaire de l’habitation La Ramée au quartier du Grand Cul-De-Sac dans la
paroisse de Sainte-Rose, en Guadeloupe, frappe en cette fin du XVIIIe siècle par l’exceptionnelle
bibliothèque que s’était constituée le défunt. Exceptionnelle d’abord par sa localisation dans une
habitation sucrerie […]. Exceptionnelle, plus encore par le nombre de volumes […] On n’en dénombre
pas moins de 480, sans compter les brochures, journaux, périodiques. […] Homme de son temps,
Mercier l’est plus encore par le nombre d’ouvrages qui se rattachent au mouvement des Lumières. […]
Montesquieu, que Mercier classait parmi ses ouvrages de droit, […] Voltaire dont les quarante-deux
volumes écrasent Gil Blas et Robinson Crusoë, […] un Racine en trois volumes, […] un certain goût pour
le XVIe siècle avec un Rabelais. […] Sorte d’exil intérieur choisi par ce notable richement possessionné.
[…] Attitude contradictoire - l’esprit à Paris, mais les réalités, pour le meilleur et pour le pire, sur place.
Le 15 août 1784 une dizaine d’hommes se sont réunis au Cap Français dans le nord de la grande
colonie française de Saint-Domingue pour constituer une petite société scientifique et médicale, le
Cercle des Philadelphes. Fondé sur le modèle d’une académie de province du XVIIIe siècle, le Cercle des
Philadelphes fut une académie coloniale des sciences installée sous les tropiques. Première académie
coloniale française – l’Angleterre et les Pays-Bas possédaient déjà les leurs – le Cercle fut très actif
et connut un grand succès pendant la période assez brève de son existence institutionnelle, qui dura
neuf ans. […] Doté de 3 000 livres par le gouvernement, il déploya une grande activité jusqu’en 1789.
Il a notamment publié un corpus non négligeable de travaux scientifiques et médicaux par exemple,
des ouvrages sur le tétanos (1786), sur les maladies épizootiques (1788), sur la cochenille (de Thierry
de Menonville, 1787), sur les eaux minérales (ses Mémoires de 1788) et sur les moyens de conserver
le papier dans les pays chauds. […] Le roi de France signa, à Versailles le dimanche 17 mai 1789, les
Lettres Patentes qui reconnaissaient formellement la naissance de La Société Royale des Sciences
et des Arts du Cap Français ; cette création fut la toute dernière des académies royales de l’Ancien
Régime.
Source : James E. McClellan III, « L’historiographie d’une académie coloniale : le Cercle des Philadelphes (1784-1793) »,
Annales historiques de la Révolution française, 320 | 2000, 77-88
Documents 8 et 9
Question
Le XVIIIe siècle est resté dans les mémoires comme le siècle des Lumières incarné par des penseurs
tels que Kant, Voltaire, Diderot… Ils ont posé les bases d’une nouvelle approche de la pensée qui
consacre la notion d’individu doué de raison et de libre arbitre. Cet ensemble de valeurs partagées
qui s’incarne dans la République des Lettres, espace virtuel qui dépasse les frontières en Europe
pour réunir les lettrés de tous pays à travers des échanges épistolaires ou des rencontres, touche
également les colonies. Les idéaux de progrès scientifique et moral atteignent une part importante des
élites coloniales. Ces « planteurs des Lumières » se trouvent, avant la Révolution française, face à une
situation contradictoire, d’un côté pris dans les rouages économiques de la société esclavagiste, et de
l’autre au contact de l’idéologie progressiste des Lumières.
Ainsi, les savoirs coloniaux s’inscrivent dans le vaste mouvement qui fait de Paris à l’époque moderne
une « capitale philosophique » de premier plan qui s’affirme comme un modèle culturel à l’échelle de la
planète et que la Révolution Française va encore affermir.