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ETUDE DE CAS

Centrale Danone « Une vache à lait qui se prend un fouet »

Les temps ont changé et l’exigence du consommateur s’accentue au fil des années, et laisse
place à une attitude rebelle vis-à-vis d’une marque. Ce risque menace l’image de cette
dernière et sa pérennité.
Dans les mêmes faits, le développement d’Internet et des réseaux sociaux a facilité la
diffusion des appels aux mouvements de boycott. Ce facteur menaçant met toute entreprise
dans l’obligation d’investir dans une veille informationnelle.
Dans cette étude nous mettrons en exergue un cas de boycott qui est une réponse à des
pratiques de l’entreprise qui sont jugées condamnables par les consommateurs marocains,
ainsi que les réactions et stratégies mises en œuvre par différents acteurs, pour s’opposer à ce
mouvement.

Questions :
1- Quel est le contexte de crise de l’entreprise Centrale Danone ?
2- Quelles sont les causes de cette crise ?
3- Quels impacts sur l’entreprise ?
4- Comment Toyota a-t-elle géré cette crise ?
5- Quels enseignements peut-on tirer tout en se référant à la démarche d’intelligence
économique ?

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ANNEXE 1 : Aperçu historique
Créée dans les années quarante, Centrale Laitière est pionnière de l'industrie laitière au
Maroc. Dès 1953, l'entreprise devient partenaire du groupe Danone, référence mondiale avec
qui elle partage les savoir-faire. Centrale Laitière devient filiale en 1981 du Groupe ONA,
bénéficiant de l'expertise, des synergies et du réseau de compétences du premier groupe privé
marocain.1
https://www.cdgcapitalbourse.ma
En avril 2013, Danone devient actionnaire majoritaire dans le capital de Centrale Laitière. Ce
changement d’actionnariat sera suivi, en 2015, par le fait de sceller matériellement leur union
avec le changement de raison sociale de l’entreprise et un nouveau logo qui lie physiquement
les deux entités en une nouvelle : Centrale Danone, filiale d’un groupe international avec des
racines marocaines fortes et solides.2
http://corporate.danone.ma

ANNEXE 2 : Mission et vision de Centrale Danone3


Avec pour mission d'apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre, Danone est
l'un des leaders mondiaux dans le secteur alimentaire, à travers ses quatre métiers : les
Produits Laitiers et d'Origine Végétale, les Eaux, la Nutrition Infantile et la Nutrition
Médicale. Danone vise à inspirer des habitudes alimentaires et de consommation plus saines
et plus durables, en ligne avec sa vision - Danone, ‘One Planet. One Health’. Cette vision
reflète la conviction que la santé des hommes et celle de la planète sont étroitement liées.
S'appuyant sur des catégories de produits tournées vers la santé, Danone s'engage à agir de
manière efficace et responsable pour créer de la valeur durable et la partager.
« ‘One Planet. One Health’ est un appel à rejoindre la révolution de l’alimentation. Nous
voulons faire de cette révolution une réalité pour le plus grand nombre, et ce, partout dans le
monde »
Emmanuel Faber, Président-Directeur Général
http://corporate.danone.ma

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https://www.cdgcapitalbourse.ma/trader/market/MA0000012049/XCAS/ISIN/profilCompany;jsessionid=CEA0
DC7E5D2FD7895BD11DD101EBB290.FDD0092FFA904E69FA
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http://corporate.danone.ma/fr/pour-tous/danone-au-maroc/lhistoire-de-centrale-danone/
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http://corporate.danone.ma/fr/pour-tous/danone-au-maroc/lhistoire-de-centrale-danone

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ANNEXE 3 : Activités et chiffres clés
Au cours de ses longues années d'existence, Centrale Laitière n'a cessé d'innover et de créer
des produits sains et équilibrés, au service du bien-être de millions de consommateurs à
travers tout le Royaume. Cette société a une production annuelle qui dépasse les 626 631
tonnes de lait et de produits laitiers ultra frais tel que les desserts, les boissons, les yaourts et
les fromages. Par conséquent, celle-ci détient 65% de parts de marchés. De plus, Centrale
Laitière fédère et soutient 850 centres de collecte regroupant 112 000 éleveurs laitiers à
travers tout le Maroc. Sa flotte de camions citernes sillonne chaque jour six grandes zones de
collecte : Tadla, Haouz, Doukkala, Chaouia, Gharb - Loukkos et Saiss - Zemmour. Centrale
Laitière maintient une relation étroite avec les éleveurs partenaires, leur apportant un soutien
important et une formation permanente. Enfin, Centrale Laitière compte à ses actifs quatre
sites de production (Salé, El Jadida, Meknès et Fkih Ben Salah), 550 camions, 21 agences
commerciales et une distribution dans plus de 65 000 points de vente.4
https://www.cdgcapitalbourse.ma
Centrale Danone en chiffres (2018)5 :

– 60 ans de présence au Maroc


– 75000 points de vente
– 120 000 éleveurs
– 1800 coopératives laitières
– 4 usines (Mèknes, Salé, El Jadida, Fkih Ben Saleh)
– 30 centres de distribution
La Vie Eco, 31 août 2018

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https://www.cdgcapitalbourse.ma/trader/market/MA0000012049/XCAS/ISIN/profilCompany;jsessionid=CEA0
DC7E5D2FD7895BD11DD101EBB290.FDD0092FFA904E69FA
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https://www.lavieeco.com/economie/boycott-centrale-danone-joue-la-transparence/

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ANNEXE 4 : Appel au boycott des marques Sidi Ali, Centrale Danone et Afriquia6
Tout a commencé le vendredi 20 avril, sur Facebook. Comptant plus de 750 000 « likes », la
page Wavo, dont les administrateurs sont anonymes, a publié un post dans lequel elle appelle
ses fans à boycotter les marques Sidi Ali, Centrale Danone et Afriquia dans l’espoir qu’elles
revoient les prix de leurs produits de grande consommation à la baisse.
« Une nouvelle campagne va être lancée, ce sera la première du genre dans l’Histoire du
Maroc. Nous allons tous nous mettre d’accord pour boycotter un produit pendant un mois,
jusqu’à ce qu’on baisse son prix », annonce la publication.
« Le gouvernement a exagéré. Il ne fait qu’augmenter les prix (NDLR, ceux des produits de
grande consommation). Le citoyen est dépassé. La campagne sera menée dans tout le
Royaume et ne prendra fin qu’une fois l’objectif atteint », préviennent les administrateurs de
la page.

D’autres pages ont pris le relais pour supporter la campagne, invitant leurs fans à y adhérer.
Une heure après le post de Wavo, c’est la page Casa Bel Visa, comptant plus de 700 000 fans,
qui relaie le message. « Vous (les entreprises visées par le boycott,NDLR) n’êtes pas les seuls
à savoir planifier. Nous savons le faire aussi. Une campagne de boycott semblable a été
menée avec succès en Suède pour faire baisser le prix du carburant. Pour que le boycott fasse
le même effet au Maroc, il faudrait que tout le monde se mette d’accord », conclut le message.

Les trois marques concernées par le boycott sont des leaders dans leurs marchés respectifs:
l’eau, les produits laitiers et les carburants. Dans deux cas, leurs propriétaires sont des figures
connues des paysages politique et économique marocains.
Il s’agit notamment de Miriem Bensaleh-Chaqroun, patronne de la CGEM, dont la famille est
propriétaire du groupe Holmarcom auquel est rattachée la marque Sidi Ali. Afriquia, elle, est
la propriété du ministre de l’Agriculture et président du RNI, Aziz Akhannouch, qui la détient
à travers son holding Akwa.
TELQUEL, 26 avril 2018

https://telquel.ma/2018/04/26/aux-origines-de-la-campagne-de-boycott-de-sidi-ali-centrale-danone-et-afriquia
_1592569/?utm_source=tq&utm_medium=normal_post

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ANNEXE 5 : Centrale Danone au cœur de l’appel au boycott7
Nous sommes le mercredi 25 avril 20188. Au Salon international de l’agriculture du Maroc
(SIAM), Centrale Danone s’apprête à lancer “Fellah Bladi”. Présenté comme le premier
programme d’agrégation de la filière laitière, le projet mobilise un budget total de 880
millions de dirhams et devra profiter à 20.000 exploitants de la région de Doukkala. Pour
sceller ce partenariat, sourire aux lèvres, les signataires ainsi que le ministre de l’Agriculture,
Aziz Akhannouch, boivent devant l’assistance des verres de lait.

Le geste est pourtant loin d’être anodin et la forte symbolique qu’il comporte est un message à
peine voilé adressé aux Marocains. Car depuis quelques jours, une vague de fronde court sur
les réseaux sociaux et des internautes mécontents multiplient les appels au boycott de certains
produits de grande consommation, dont le lait de Centrale Danone. L’ampleur du phénomène
est telle que des journalistes présents au SIAM à Meknès remontent l’information et
demandent des réactions officielles.

https://www.huffpostmaghreb.com/entry/boycott-comment-centrale-danone-a-rate-sa-communication-de-cris
e-au-maroc_mg_5ae9ebc6e4b00f70f0ee823a
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22 jours avant le mois de ramadan (1er ramadan le 17/05/2018)

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La première est celle du ministre lui-même. “On parle là de choses qui concernent les sources
de revenus d’un certain nombre de citoyens, ce n’est pas un jeu. Les 470.000 personnes qui
travaillent dans la filière ne seront arrêtées ni par Internet, ni par qui que ce soit”, lance un
Aziz Akhannouch visiblement excédé par l’insistance des médias sur la question. Une attitude
de déni qui, couplée à la provocation contenue dans la scène de dégustation générale, jette de
l’huile sur les braises déjà incandescentes du mouvement.

“Il semble que dans un élan collectif inconscient, les consommateurs, à l’approche de
Ramadan, ont fait le lien entre un produit qu’ils consomment grandement et un ras-le-bol
général concernant l’effritement de leur pouvoir d’achat”, nous explique un professeur de
sciences humaines. Une assimilation qui deviendra de plus en plus consciente, surtout après la
sortie d’un des cadres de la société.

Interpellé à chaud par des journalistes alors qu’il se trouvait également au SIAM, Adil
Benkirane9 s’emporte et traite de “traître à la nation” quiconque s’en prendrait à “la
consommation nationale” à travers ce boycott. “Je sais que ces mots sont durs, mais j’en
assume l’entière responsabilité”, insiste le directeur des achats.

Il n’en fallait pas moins pour mettre le feu aux poudres. Sur les réseaux sociaux, les réactions
se multiplient et le ton de mépris assumé, adopté par le responsable, choque et offense. Au
lieu de calmer les esprits, la déclaration fédère encore plus de gens contre la marque qui
accapare dorénavant le devant de la scène à l’heure où les autres concernés se font plus
discrets.

Entre comparaisons des prix de produits marocains et européens, déclarations de certains


éleveurs qui se plaignent de la rémunération insuffisante de Centrale Danone et partages
montrant l’ampleur du boycott, les posts explosent sur Facebook. Certains se sont
même évertuer à peser les briques de lait pour montrer que même si les prix du lait n’ont pas
augmenté, la compagnie laitière a opéré une baisse de grammage qui fait que le produit coûte
in fine plus cher.

D’autres ont opté pour une démarche plus complexe en épluchant les états financiers de la
société cotée en Bourse pour démontrer que les bénéfices tirés de la vente des marchandises
en l’état (lait) étaient insignifiants (7%) face à d’autres rentrées d’argent, notamment celles
issues de la vente des produits transformés et services estimés à 6,35 milliards de dirhams
pour l’exercice 2016. Ce qui devrait, selon eux, largement justifier une baisse des prix du lait
sans que cela n’impacte les résultats du groupe.

Des arguments qui se discutent, mais qui en l’absence de réponses officielles, ont pris du
poids jusqu’à éclipser toute autre vérité. Ce n’est qu’après tout ce temps que Centrale Danone
finit par réagir. Sur le plan purement informatif, le communiqué publié ce mercredi 2 mai se
contente de présenter des excuses et de corriger des informations erronées, dont la hausse
supposée du prix du lait. Une attitude passive qui n’apporte aucune mesure concrète, ni
sanction envers le responsable.

les commentaires qui ont accompagné la diffusion de cette communication sur la page
officielle de la société sur Facebook sont majoritairement négatifs, Dans un effort pour
éteindre l’incendie, Abdeljalil Likaimi, vice-président et porte-parole officiel de Centrale

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Directeur des achats à Centrale Danone

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Danone a bien donné une déclaration vidéo à un site d’information électronique, mais il s’est
contenté de reprendre le contenu du communiqué en précisant que les déclarations de
Benkirane ne concernent que lui.

Ce dernier a, à son tour, présenté des excuses officielles dans une vidéo envoyée aux
rédactions. Dans un ton contrit, le responsable avoue prendre conscience sincèrement d’avoir
commis une erreur en donnant une telle déclaration, s’excusant d’avoir offensé et blessé les
Marocains. « Mon seul objectif était de dire que le monde rural et l’agriculteur ont besoin de
notre soutien à tous », ajoute-t-il.

Huffpost, 09 mai 2018

ANNEXE 6 : Cinq semaines après le début du boycott : un plan d’urgence10

Cinq semaines après le début du boycott de son lait, l’heure est grave chez Centrale Danone.
L’intensité et l’ampleur de ce mouvement ont surpris le management qui doit affronter des
pertes qui s’annoncent d’ores et déjà très importantes.

Elles sont en tout cas «significatives», concède Daniel Lamblin, PDG de Centrale Danone,
invité hier, mardi 29 mai, au Club de L’Economiste. Etant une société cotée à Casablanca et à
Paris, il n’est pas possible d’avancer une estimation chiffrée. C’est une contrainte
réglementaire, justifie le président de Centrale Danone.

Ni la reconquête à coup de promotions, ni l’opération «réconciliation» avec le consommateur


lancée à la mi-mai, n’ont eu d’effets escomptés. Au contraire, le boycott ne faiblit pas et
chaque jour qui passe renforce la détermination des boycotteurs. Plus grave, de nouvelles
catégories de consommateurs se sont jointes au mouvement. Les ventes plongent et le compte
d’exploitation de l’entreprise va très mal. Il fallait agir pour assurer la pérennité de l’outil
économique.

Deux mesures d’urgence viennent d’être prises par la direction avec effet immédiat. D’autres
plus draconiennes sont envisagées au cas où la situation n’évolue pas. Depuis hier mardi 29
mai, Centrale Danone a instauré des quotas d’achat de lait auprès des éleveurs en appliquant
la même pondération chez tout le monde.

L’industriel collectera donc moins de volume de lait, soit une réduction de 30%.
Concrètement, cela signifie moins de revenu pour les 120.000 petits exploitants auprès

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https://www.leconomiste.com/article/1029000-boycott-un-plan-d-urgence-chez-centrale-dan
one

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desquels il s’approvisionne. Le management de Centrale Laitière a par ailleurs prévenu
certains prestataires de transport l'arrêt des contrats.

Plus spectaculaire est l’arrêt immédiat de tous les contrats du personnel sous statut
«intérimaire» (travail temporaire). La mesure va impacter 1/7e des 6.200 personnes qui
travaillent dans les différents sites de Centrale Danone, soit 886 employés. Malheureusement,
ces centaines de personnes qui perdent leur emploi pourraient ne susciter guère d’empathie
auprès de boycotteurs.

C’est un des enseignements issus de focus-groupe organisés par la société afin de tenter les
motivations de ceux qui boycottent son produit. Pour la plupart, le rôle de Centrale Danone
dans l’économie rurale ne constitue pas un argument pour les persuader de revenir sur leur
décision.

Encore plus grave, tous les programmes de structuration et de mise à niveau des petits
éleveurs annoncés au Siam sont gelés. Il en est ainsi du programme de la mise en place de la
couverture médicale pour 50.000 petits exploitants et du projet d'amélioration du rendement.

Bien malin qui pourra prédire l’issue de ce boycott «inédit», une opération à laquelle le
groupe Danone n’a jamais été confronté nulle part au monde. Dans plusieurs endroits du pays,
ce boycott prend des formes d’intimidation. La pression est terrible sur les vendeurs de
Centrale Danone qui quadrillent le réseau des 78.000 épiceries du Royaume.

Ils sont menacés physiquement tous les jours et les véhicules de livraison sont régulièrement
attaqués. Plusieurs vendeurs ont été agressés à l’arme blanche, révèle le président-directeur
général. La société a déposé 9 plaintes contre X au tribunal. La seule petite lumière dans ce
sombre tableau est l’attachement des épiceries à la société. Le petit nombre qui a renoncé aux
produits Centrale Danone, l’a fait sous la pression et la menace.
L’économiste, 30 mai 2018

ANNEXE 7 : Centrale Danone paie la facture du boycott11

Perte de 115 millions de DH.


Le chiffre d'affaires en dessous de 3 milliards pour la 1re fois depuis 2010.

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https://www.leconomiste.com/article/1033811-centrale-danone-paie-la-facture-du-boycott

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Les mesures d'urgence prises cinq semaines après le début du boycott ont permis d'atténuer la
chute des résultats de Centrale Danone. Malgré tout, le groupe agroalimentaire a essuyé une
perte sèche de 115 millions de DH.
A fin juin, Centrale Danone a enregistré une perte sèche de 115 millions de DH contre un
bénéfice de 56 millions de DH à la même période l'année dernière. Les pertes sont
significatives, mais leur ampleur est moins lourde qu'anticipé puisque l'entreprise tablait sur
un résultat déficitaire de 150 millions de DH dans le profit warning publié début juin. Les
mesures d'urgence prises cinq semaines après le début du boycott ont permis de limiter les
préjudices.
L'entreprise avait décidé de réduire de 30% les achats de lait auprès des éleveurs et de
supprimer les contrats de 886 employés intérimaires. Pour autant, l'excédent brut
d'exploitation a diminué de moitié à 167 millions de DH. Pour la première fois depuis 2010, le
chiffre d'affaires de Centrale Danone sur le premier semestre est passé en dessous de 3
milliards de DH. Il s'est établi à 2,6 milliards de DH en retrait de 19% comme prévu par
l'industriel.
L’économiste, 20 septembre 2018

ANNEXE 8 : Le PDG de Danone Emmanuel Faber prend les choses en main12


Pour le géant de l'agroalimentaire, c'est la panique. À tel point que fin juin, le PDG de Danone
en personne débarque à Casablanca. Emmanuel Faber enchaîne les rencontres et réalise
une vidéo d'une minute aux mots soigneusement choisis, dont cette déclaration: «À vous tous
qui avez choisi de ne plus acheter la marque Centrale, je voudrais dire que je respecte votre
choix, totalement, même si je le regrette profondément.»
Après cette reprise en main, c'est la mobilisation générale. Centrale Danone organise une
campagne de consultation –«Ntwaslo w Nwaslo», «Discutons pour aller de l'avant»–, qui
touche quelque 100.000 personnes. Une cinquantaine de collaborateurs et collaboratrices, de
la maison ou consultants extérieurs, sont à pied d'œuvre.
Début septembre, Emmanuel Faber est de retour à Casablanca. Il annonce la mise sur le
marché d'un nouveau produit «économique», une brique de lait demi-écrémé vendue 2,50
dirhams [soit 23 centimes d'euro] les 470 ml, et la baisse du prix de la brique de lait entier, qui

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http://www.slate.fr/story/171975/economie-danone-maroc-boycott-gestion-de-crise-communication

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passe de 3,50 à 3,20 dirhams les 470 ml [de 32 à 29 centimes d'euro], son niveau d'il y a dix
ans. Ce dernier produit est vendu à prix coûtant, donc sans marge pour Danone, explique
Emmanuel Faber, qui s'engage à préserver la rémunération des éleveurs et commerçants.
Le PDG met enfin l'accent sur la transparence et la proximité: visites de sites et d'élevages
pour le grand public, publication du prix payé aux éleveurs, des audits et contrôles qualité, le
tout diffusé via la page Facebook de Centrale Danone.
Pas le premier boycott, mais le plus délicat
En 2014, au Maroc déjà, Centrale Danone avait été visée par un autre boycott, lancé par la
Fédération marocaine des droits du consommateur et soutenu par l'exécutif, pour protester
contre la hausse des prix des produits laitiers, et notamment des yaourts. Une mauvaise passe
de courte durée, à laquelle le géant agroalimentaire avait opposé la nécessité de
l'augmentation des prix, inchangés sur les dix dernières années malgré des coûts de
production de plus en plus élevés –dont celui des carburants, indispensables à la collecte du
lait.
«Les boycotts de réaction, à une hausse de prix par exemple, ne sont pas les plus inquiétants,
parce qu'ils sont émotionnels et souvent de courte durée, souligne Natalie Maroun, directrice
associée du cabinet Heiderich, spécialisé en gestion de crise. Dans le cas présent, on a assisté
à un boycott militant et communautaire, autour de la défense du pouvoir d'achat, un
mouvement beaucoup plus durable et dommageable», d'autant qu'il est attisé par les réactions
des autorités nationales et des responsables des entreprises incriminées.
Pour Damien Liccia, directeur associé de l'agence de communication IDS Partners, il existe
également une dimension politique à prendre en compte. L'étude qu'il a réalisée, décryptant la
mécanique du boycott marocain sur Twitter et Facebook, montre que le mouvement a été
instrumentalisé à des fins politiciennes et visait principalement le ministre de l'Agriculture
Aziz Akhannouch, Centrale Danone n'étant qu'une cible secondaire, une victime collatérale.
Image de marque à réparer
Toujours est-il que le boycott a bousculé l'ordre établi sur le plan économique. Si Centrale
Danone conserve sa place de numéro un sur le marché des produits laitiers, il l'a perdue sur le
créneau du lait, dépassé par son concurrent marocain, la marque Jaouda, produite par la
Coopérative agricole de Taroudant (Copag). «Dans les rayons des supermarchés et supérettes,
il y a eu un net rééquilibrage en faveur de la deuxième», commente un couple de Tanger, qui
n'achète plus la marque Danone que de façon ponctuelle.
Pour autant, les efforts consentis sur les prix par cette dernière ont porté ses fruits. « Même si
nos ventes ne se sont pas totalement rétablies, nous progressons dans la reconstruction d’un
agenda de croissance», déclare le groupe français qui, prudent, considère toutefois que la crise
n'est pas encore terminée.
Outre l'impact financier, c'est sa relation clientèle et son image de marque qu'il doit rebâtir. Un
comble pour Danone, qui se présente comme un modèle d'entreprise responsable, pionnière
dans ce domaine et jouissant d'un fort capital sympathie.
«Le lien entre une marque et ses acheteurs est très facile à casser, beaucoup plus difficile et
long à reconstruire», note Marc Drillech, auteur de deux ouvrages sur les boycotts. Cela passe
par une meilleure communication, mais aussi par des actions : pédagogie pour expliquer la
chaîne de fabrication du lait et financement de projets sociaux, entre autres.

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Plus de 1.500 personnes ont déjà participé aux visites de sites mises en place, souligne
Centrale Danone, qui s'est également engagée à associer les consommateurs et
consommatrices à la création de nouveaux produits et à la fixation du prix du lait –une
démarche proche de ce que propose la marque C'est qui le patron ?! en France.
«Reste que, pour l'heure, l'entreprise n'est pas allée au bout de la logique, puisqu'elle n'a pas
dévoilé l'ensemble de la structure du prix du lait», tempère AzeddineAkesbi, professeur
d'économie à Rabat et ancien secrétaire général de Transparency Maroc.
Si nul ne doute de la capacité de Danone à se relever du boycott, celui-ci met en lumière le
malaise des entreprises face aux réseaux sociaux. «C'est l'exemple type de scénario craint par
l'ensemble du secteur agroalimentaire», confirme la communicante Natalie Maroun.
Comment utiliser les outils numériques sans qu'ils ne se retournent contre vous? Comment
limiter les risques de crise qu'ils génèrent? Faut-il recruter des analystes pour renforcer les
équipes de communication? «Pour la majorité des entreprises, c'est encore une terra
incognita», note Damien Liccia. Au Maroc, Danone apporte un début de réponse à ces
questions.
Slate.fr, 01 janvier 2019

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