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DROIT DES AFFAIRES

MASTER MANAGEMENT & ADMINISTRATION DES ENTREPRISES

Enseignante : Marianne DOURNAUX

Séance n° 5 : Droit des sociétés – La formation d’une société et la question de


l’intégration d’objectifs sociaux et environnementaux

Cas « Green Lodge »

Promotion 2023/2024
Droit des sociétés
Formation d’une société
Le droit est peuplé d’abstractions qui permettent de structurer le réel et de fournir des instruments
efficaces pour servir différentes fins utiles. L’économie moderne repose presque toute entière sur un
tel instrument, apte à concentrer le capital, à porter une entreprise, à organiser un partenariat ou à
optimiser la gestion patrimoniale, juridique ou financière : la société.

De quoi s’agit-il ?
La société procède d’abord d’un contrat (sauf société unipersonnelle). Ce contrat de société est l’acte
fondateur de la société, il règle les rapports de collaboration entre plusieurs personnes, conformément
à la définition du Code civil (art. 1832) : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui
conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de
partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ».
Si les parties peuvent s’en tenir là, néanmoins, presque toujours, elles souhaitent donner vie à « une »
société, c’est-à-dire à une entité autonome. Pour cela, la société doit être immatriculée, formalité qui
insuffle la personnalité morale et confère à la société tous les attributs de la personnalité juridique,
notamment la capacité à agir et un patrimoine propre.
Autrement dit, la société est à la fois un contrat (dont les termes forment « les statuts » de la sociétés)
et une personne (la société).

La période de formation est délicate :


- Il faut bien choisir la forme sociale en fonction de la situation, des associés et des objectifs de
la société.
- Il faut la doter d’un capital social : celui-ci présente la triple utilité de sceller l’accord des
associés par un apport personnel ; de fournir à la société les moyens indispensables à la
réalisation de son objet social ; et de donner un minimum de gage de sérieux aux futurs
créanciers et partenaires.
- Il faut lancer l’activité, ce qui suppose de mener dans le même temps l’économique et le
juridique, de réaliser tous les actes nécessaires à la société alors même que la société est encore
souvent en gestation et qu’elle n’a pas alors d’existence légale.

Ce sont quelques-uns de ces différents aspects de la formation d’une société que nous allons examiner
dans le cas suivant, articulé autour de deux séries de questions : l’une relative au choix de la forme
sociale et aux apports, l’autre concernant les actes effectués au nom d’une société en formation.

Composition du dossier :

Cas « Green Lodge »

• Document 1 : Tableau résumant les caractéristiques des principales formes sociales, extrait de
Droit commercial, Sociétés commerciales, Ph. Merle, collab. A. Fauchon, 27e éd. Dalloz 2023

• Document 2 : Extrait de Droit des sociétés, M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, LexisNexis 2023

• Documents 3 :
o Extrait de Droit des sociétés, V. Magnier, 10e éd., Dalloz 2022
o Article collectif : La société à mission : risque et opportunités d’un dispositif
transformateur, in Cahier de droit de l’entreprise, juin 2022, p. 8 s.

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• Documents 4 :
o Art. L. 227-1 Code de commerce
o Art. 1833, 1835, 1843-2, 1844-1 Code civil
o Art. L. 210-10 et L. 210-11 Code de commerce
o Arrêt de la Cour de cassation (Ch. com.) du 16 novembre 2004, n° 00-22713

• Documents 5 :
o Art. 1843 Code civil
o Extrait du Mémento Francis Lefebvre, Société commerciales 2023 sur le mandat

_______________________________________________________________

CAS « Green Lodge »

I/ Trois cousins – Hugo Bardet, Stella Canzi et Valentine Solis – désireux de changer de vie,
envisagent de développer en France le concept d’écolodge, déjà en vogue dans plusieurs endroits du
monde. Il s’agit de développer des campements en tentes de luxe dans des environnements naturels
d’exception. Pour mener à bien ce projet, ils ont décidé de créer une société qu’ils souhaitent sans trop
de contraintes formelles, sans trop de risques non plus pour leur patrimoine propre et aisément
adaptable aux évolutions de l’entreprise.

M. Bardet entend apporter à la société la propriété de l’immense terrain qu’il possède en Ardèche, à
Antraigues.
Mme Canzi, quant à elle, désire mettre à disposition de la société pour qu’elle y établisse son siège
social, le petit manoir familial et le terrain annexe qu’elle possède à la limite du terrain de M. Bardet.
Elle ne veut pas perdre, cependant, son droit de propriété sur ce bien.
Enfin, Mme Solis propose de mettre son savoir-faire au service de la société. Elle a en effet dirigé
pendant huit ans un complexe semblable aux Etats-Unis. Elle serait la dirigeante de la société.

Ces apports risquent toutefois de ne pas être suffisants pour conférer à la société la crédibilité requise
pour prétendre solliciter le soutien des banques, d’autant que la société souhaite rapidement exploiter
son concept en France et en Europe. Il faudra, à moyen terme, ouvrir le capital à de nouveaux
investisseurs pour financer cet essor.

Pour l’heure, M. Bernard Lenglois, riche homme d’affaires lyonnais, a été contacté par les
entrepreneurs pour participer à la société. Celui-ci a accepté d’apporter 1 millions et demi d’euros
mais n’entend pas prendre de risque. Il a par conséquent exigé que les autres associés s’engagent
solidairement, dans un contrat distinct des statuts, à lui racheter l’intégralité de ses titres s’il leur en
fait la demande dans un délai de 5 ans, et ce pour un prix au moins égal à celui versé pour la
souscription initiale de ces titres, majoré de 2 % par année écoulée à la date de la levée de l’option.

Les trois cousins vous consultent sur les questions suivantes :

- a) Quelle est la forme sociale souhaitable pour la société projetée compte tenu de la
situation et des objectifs ?

- b) Serait-ce une bonne idée d’adopter le statut de « société à mission ?

- c) Les apports envisagés peuvent-ils être réalisés et sous quelles conditions ?

- d) Que pensez-vous du contrat proposé par M. Lenglois ?


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Documents requis :

à doc. n° 1 ; doc. n° 2 (n° 199 à 231 ; n° 236 à 241, n° 253) ; doc. n° 3 ; doc. n° 4 (articles de lois
et arrêt de la Cour de cassation).

II / Le 12 septembre dernier, M. Bardet et Mmes Canzi et Solis ont signé les statuts de la société
Green Lodge. M. Lenglois, finalement, a renoncé à devenir associé.

Aux termes de l’article 32 des statuts :


« Les associés donnent mandat à M. Bardet de souscrire tous engagements pour le compte de la
société en formation.
L’immatriculation de la société au registre des sociétés emportera de plein droit reprise par elle
desdits engagements ».

En vertu de cet acte, M. Bardet a conclu le 25 septembre avec la société Safari un contrat portant sur
l’acquisition de 32 tentes de luxe, 8 yourtes et 12 tipis. Le vendeur a accepté un règlement à 45 jours
fin de mois.

La société Green Lodge a été régulièrement immatriculée le 9 octobre. Cependant, dès le 16 octobre,
la société connaît un grave échec commercial : le n° 1 des ventes privées de voyages Via-p qui s’était
montré intéressé dans un premier temps pour commercialiser les prestations Green Lodge a refusé de
donner suite. Les négociations contractuelles étaient pourtant déjà bien avancées et sur le point
d’aboutir. Mais Via-p a en effet appris que les tentes ont été conçues par un fabricant qui fait réaliser
ses produits par un sous-traitant au Bangladesh dans des conditions écologiques et sociales
déplorables. Elle considère que Green Lodge ne respecte pas l’esprit du concept « écolodge » et a
brutalement coupé court aux négociations.

Les prévisions d’activité à court terme s’effondrent, les banques refusent leurs concours et la situation
financière devient très rapidement intenable, la société manquant de numéraire dès l’origine. Au 30
novembre, le règlement de la somme due à Safari ne peut être honoré, celle-ci en réclame le paiement
à M. Bardet.

M. Bardet, qui dirige Green Lodge, vous consulte :

- a) Qui est tenu de payer la dette à l’égard de Safari ?

- b) Que pensez-vous du motif allégué par Via-p pour mettre un terme aux négociations ?

Documents requis :

à Doc. n° 2 (n° 332 à 338) ; doc. n°4 ; doc. n° 5 (l’article et l’extrait du mémento).

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Document n° 1

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Document n° 2 :
Extrait de Droit des sociétés, M.
Cozian, A. Viandier, F. Deboissy,
LexisNexis 2023

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Document 3 :
Extrait de « Droit des sociétés »,
V. Magnier, 2022

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Document 3 (suite) :
Article sur la société à mission

Table ronde
AVEC > HERVÉ CASTELNAU, AVOCAT ASSOCIÉ DU CABINET LATOURNERIE WOLFROM
AVOCATS, PAULINE ABADIE, MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN DROIT PRIVÉ, UNIVERSITÉ
PARIS-SACLAY, EMMANUELLE BELY, VP GENERAL SECRETARY WATERS, AFRICA &
COMPANY PARTNERSHIPS, DANONE

3 LA SOCIÉTÉ À MISSION : RISQUES


ET OPPORTUNITÉS D’UN DISPOSITIF
TRANSFORMATEUR
PROPOS INTRODUCTIFS D’HERVÉ CASTELNAU

La présente table ronde porte sur le thème de la qualité de société à mission, sous l’angle des
risques juridiques mais aussi des opportunités qu’elle implique dans un environnement
global marqué par la multiplicité des engagements RSE souscrits par les entreprises
volontairement ou imposés par la loi (plan de vigilance, article 1833 du Code civil...).
Il sera tout d’abord brièvement rappelé ce qu’est une société à mission, avant de décrire les
responsabilités juridiques qui en découlent pour l’entreprise et ses dirigeants, au-delà de
l’exigence qu’elle porte d’un point de vue social et environnemental.
Ce, en distinguant deux types de responsabilités : celles découlant strictement du dispositif
légal prévu par la loi Pacte puis celles résultant, plus largement, à la fois des engagements
volontaires pris par l’entreprise via notamment les objectifs constitutifs de sa « mission » et
de ceux qui s’imposent à elles de par la loi (devoir de vigilance...).
Nous examinerons enfin dans quelle mesure la société à mission peut constituer, dans un
environnement global marqué par la multiplicité des engagements RSE souscrits par les
entreprises, volontaires ou imposés par la loi, à travers la dynamique qu’elle induit et via les
organes internes et externes contribuant à la mise en œuvre des objectifs sociaux et
environnementaux, une opportunité de réduire les risques juridiques de l’entreprise.
Nous échangerons donc autour de quatre thèmes centraux :
- rappel des éléments constitutifs d’une société à mission ;
- responsabilité découlant strictement du dispositif légal ;
- autres responsabilités induites ;
- la société à mission : outil de réduction du risque juridique ?

NdA : La forme orale de l’échange a été conservée.

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Table ronde

Hervé CASTELNAU : Avant d’aborder les responsabilités


qu’elle implique, qu’est-ce qu’une société à mission ?

H. C. : Une société à mission n’est pas, contrairement à ce


que son nom indique, une forme nouvelle de société, c’est une
qualité. Cette distinction est très importante. Toute société
peut avoir la qualité « société à mission », et la faire inscrire à
son Kbis, pour autant qu’elle en fasse le choix et qu’elle rem-
plisse quatre conditions. La première est de se choisir une
raison d’être et de l’inclure dans ses statuts. La seconde est de
définir un ou plusieurs objectifs sociaux ou environnemen-
taux également inclus dans ses statuts. La troisième est de
prévoir, là encore dans les statuts, un comité de mission, chargé
de suivre l’exécution de la mission par l’entreprise, dont la loi
laisse le fonctionnement très ouvert, souvent composé de per-
sonnes issues de l’entreprise mais aussi de personnes indépen-
dantes, externes à l’entreprise. La quatrième et dernière est
enfin de se voir contrôlée par un organisme tiers indépendant
dit « OTI », souvent un cabinet d’audit accrédité, qui va
contrôler annuellement la façon dont l’entreprise met en
œuvre ses objectifs et émettre un avis qui pourra servir de base
Hervé Castelnau
Hervé Castelnau est avocat associé au sein du cabinet Latournerie Wol-
au ministère public ou à tout tiers intéressé pour demander en from Avocats. Il intervient depuis plus de 30 ans dans le domaine des
justice le retrait de la mention de société à mission sur son Kbis. fusions-acquisitions en France et à l’international, aux côtés d’acteurs
Voilà dans les grandes lignes, et sans entrer dans le détail, ce industriels français et internationaux de premier plan, d’actionnaires de
qu’est une entreprise qui choisit d’avoir la qualité de société à groupes familiaux, d’entreprises de croissance et de fonds d’investisse-
mission. ment. Il dispose également d’une expérience approfondie en matière de
conseil aux entreprises à participation publique ainsi que sur les problé-
H. C. : Emmanuelle, après ce bref exposé un peu tech- matiques de gouvernance d’entreprise (y compris sous l’angle RSE). Il
nique, pouvez-vous évoquer l’expérience concrète de est membre de la Communauté des Entreprises à Mission. Avant de
Danone dans l’adoption de la qualité de société à mission ? rejoindre Latournerie Wolfrom Avocats, Hervé Castelnau a commencé
sa carrière en 1988 chez Coudert Brothers (New York) puis Coudert
Emmanuelle BELY : J’aimerais tout d’abord vous remercier Frères (Paris), avant de participer à la création de SDM & C en 1994 et
Hervé pour votre initiative dans l’organisation de cette table de rejoindre en 2005 Norton Rose dont il a dirigé le département M & A,
ronde. Je suis ravie d’être là avec vous aujourd’hui. Ce que je puis Jones Day en 2011.
voudrais dire tout d’abord sur la qualité de société à mission,
c’est qu’il existe, à mon sens, deux types d’engagements. Il y a
des engagements qui sont singuliers à l’entreprise ou histo- buer à la lutte contre le changement climatique. Le troisième
riques, spécifiques à celle-ci, comme sa raison d’être et ses est de construire le futur avec nos équipes, c’est-à-dire un
engagements sociaux et environnementaux. Puis, il y a des engagement vraiment centré sur nos employés qui s’appuie sur
engagements de gouvernance et de contrôle qui sont communs notre héritage en matière d’innovation sociale, et correspond
à toutes les sociétés à mission comme le comité de mission et bien à l’historique de l’entreprise qui a toujours été pionnière
l’OTI, même si leurs modalités peuvent différer. Pour citer dans ce domaine. Il s’agit de donner à chacun de nos salariés le
l’exemple de Danone, nous avons une raison d’être qui consiste pouvoir d’avoir un impact sur les décisions de l’entreprise tant
à « apporter la santé par l’alimentation au plus grand au niveau local que global. Le quatrième est de promouvoir
nombre » depuis 2005. Elle n’était pas inscrite dans nos statuts une croissance inclusive en agissant pour l’égalité des chances
jusqu’à l’adoption de la qualité de société à mission en 2020. au sein de l’entreprise, en accompagnant les acteurs les plus
Nous avions arrêté en 2020, neuf objectifs de société à 2030, fragiles de notre écosystème et en développant des produits au
dont quatre objectifs sociaux et environnementaux. Cette rai- quotidien accessibles au plus grand nombre. Par ailleurs, nous
son d’être et ces engagements sociaux et environnementaux avons un comité de mission et un OTI, c’est-à-dire un cadre de
sont aujourd’hui inscrits dans nos statuts et, par définition, gouvernance renforcé qui est commun à toutes les sociétés à
engagent Danone. Le premier engagement est d’améliorer la mission. Nous avons choisi d’avoir un comité de mission
santé, grâce à un portefeuille de produits plus sains, à des composé d’experts compétents sur les sujets qui nous inté-
marques qui encouragent de meilleurs choix nutritionnels, et à ressent, tels que la santé, la nutrition, l’eau, l’alimentation,
la promotion de meilleures pratiques alimentaires au niveau l’agriculture, les emballages, l’environnement et toute une
local. Le deuxième est de préserver la planète et renouveler ses panoplie d’autres sujets importants pour Danone, comme la
ressources, en soutenant l’agriculture génératrice, en proté- biodiversité, l’innovation sociale et les enjeux humains et
geant le cycle de l’eau et en renforçant l’économie circulaire des sociaux. Ce comité de mission est composé de personnes
emballages, sur l’ensemble de notre écosystème, afin de contri- externes à Danone, et d’un employé, comme la loi nous

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l’impose mais aussi car, pour nous, les employés sont essentiels
dans la construction de notre démarche de société à mission. Il
y a également un membre du conseil d’administration qui fait
le lien avec les autres organes sociaux de Danone. Nous avons
souhaité que le comité de mission ne soit pas cantonné à un
comité de pur suivi des objectifs sociaux et environnementaux,
mais qu’il puisse vraiment permettre de mieux intégrer à notre
modèle de croissance rentable et durable nos objectifs sociaux
et environnementaux et disposer de vrais moyens pour assurer
ce rôle. De ce fait, nous partageons énormément d’informa-
tions avec ce comité. Nous créons le lien entre le comité de
mission et les autres organes sociaux de manière à ce que ce
comité de mission puisse participer à la co-construction et à
l’évolution de la réalisation de nos objectifs sociaux et environ-
nementaux. Concernant l’OTI, son rôle est de renforcer la
crédibilité et l’efficacité du travail du comité de mission. Il
revoit le rapport annuel qui est préparé par le comité de
mission. Il va se prononcer objectif par objectif sur la réalisa-
tion de chacun de ces objectifs. Il est possible d’imaginer qu’à la
suite d’avis négatifs d’un OTI, le risque sera plus grand qu’une Emmanuelle Bely
personne saisisse le tribunal pour demander le retrait de la Emmanuelle Bely a débuté sa carrière en 1993 en tant qu’avocate M&A
qualité de société à mission. Notre comité de mission et l’OTI au sein du cabinet d’avocats Gide Loyrette Nouel à Paris. Elle a poursuivi
ont été nourris avec les indicateurs de performance que nous sa carrière en tant qu’avocate au sein du cabinet Willkie Farr & Galla-
gher (en partie aux États-Unis) avant de rejoindre Freshfields Bruckhaus
avions mis en place depuis 2001 dans notre système Danone
Deringer en 1999. En 2007, elle a été nommée General Counsel Legal &
Way et les indicateurs que nous mesurons dans le cadre de nos
HR du Groupe Smithfield. Suite à la fusion du Groupe Smithfield et de
certifications B Corp. Nous avons conduit un exercice de Campofrio en 2008, elle a été promue Group General Counsel et a
sélection et de priorisation avec le comité de mission. Nous étendu ses responsabilités au Corporate Development. Elle était basée
avons en fait créé un nombre plus limité d’indicateurs qui sont en Espagne. Emmanuelle a rejoint Danone en septembre 2014 en tant
les indicateurs principaux que suit le comité de mission et que que General Counsel et Chief Compliance Officer Europe et General
l’OTI va pouvoir vérifier. Counsel Partnerships. En 2016, elle a étendu son rôle pour devenir
General Secretary Europe et General Counsel Partnerships. En 2017,
H. C. : Au-delà de ces deux incitations ou contraintes Emmanuelle est devenue VP, General Secretary Regions and General
prévues par la loi Pacte que constituent le comité de mission Counsel Partnerships. Grâce à ce rôle, elle a renforcé l’organisation du
et l’OTI, au-delà de la sanction que peut constituer le retrait secrétariat général de Danone à travers le monde. Elle a rejoint la divi-
de la qualité de société à mission, n’y a-t-il pas une responsa- sion des Eaux et de l’Afrique en mars 2019 et fait partie du Board de
cette division. Elle fait également partie du conseil d’administration de
bilité accrue de l’entreprise et de ses dirigeants à raison de
la Communauté des Entreprises à Mission.
l’adoption de cette qualité ?

E. B. : Je pense qu’aujourd’hui chacun a des attentes face aux


ment de notre qualité de société à mission, et nous les avons
entreprises, notamment et au premier plan sur la lutte contre le
d’ailleurs pris bien avant d’adopter cette qualité.
changement climatique. On le voit dans les déclarations de
certains investisseurs comme BlackRock, dans les prises de H. C. : Mais est-ce que vous ressentez plus d’attentes
position d’ONG mais aussi auprès de nos consommateurs. Il y depuis que vous êtes une société à mission ?
a donc une forme de responsabilité de l’entreprise qui dépasse
le fait qu’elle soit ou non une société à mission. À partir du E. B. : Il me semble que ceci rejoint le fait de savoir comment
moment où nos consommateurs souhaitent des produits qui est-ce que l’on devient une société à mission. Parce qu’en fait, il
sont éco-responsables, il y a aura toujours une part de respon- y a une histoire particulière chez Danone, qui fait toute sa
sabilité à assumer. Par exemple, je tiens en ce moment cette singularité. Tout a commencé en 1972 par un discours
bouteille en PET recyclé qui est neutre en carbone. Chez d’Antoine Riboud qui est l’un des fondateurs de Danone
Danone, nous travaillons sur ces éléments-là pour pouvoir devant l’équivalent du Medef de l’époque, où il a annoncé la
apporter à nos consommateurs des produits qui puissent pré- création de ce que l’on appelle le double projet économique et
server la planète. Peu importe le statut de la société, nous avons social de Danone. Antoine Riboud a précisé, dès 1972, que la
pris et nous continuons de prendre des engagements que nous responsabilité de l’entreprise ne s’arrêtait pas aux portes de
inscrivons notamment sur nos emballages et qui indiquent l’usine, mais qu’elle les dépassait et allait bien au-delà. Et puis
que cette bouteille est en PET 100 % recyclé, sauf le bouchon et comme rappelé tout à l’heure, nous avons créé notre raison
l’étiquette, et qu’elle est neutre en carbone. Ces engagements d’être en 2005, qui est toujours la même aujourd’hui. En 2020,
sont pour nous générateurs de responsabilité, indépendam- nous avons créé nos objectifs pour 2030 qui comprenaient nos

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Table ronde

objectifs sociaux et environnementaux, nous n’étions toujours démarche doit être sincère, réelle et effective, car elle crée des
pas une société à mission, puis nous nous sommes transformés attentes supérieures chez les parties prenantes.
en société à mission en 2020, comme vous le voyez, en
construisant sur ce que nous avions déjà bâti depuis 50 ans. H. C. : Au-delà de ce qui vient d’être exposé, au-delà des
Cette démarche est très cohérente avec notre ambition d’obte- risques d’image et de l’exigence accrue des parties prenantes,
nir la certification B Corp au niveau mondial en 2025 : B Corp au-delà des incitations ou contraintes prévues par la loi
et la qualité de société à mission sont des couches différentes Pacte que constituent le comité de mission et l’OTI ainsi que
mais complémentaires de notre engagement en faveur de la la sanction que peut constituer le retrait de la qualité de
création de valeur durable et responsable. société à mission, cette qualité ne va-t-elle pas, d’un strict
point de vue juridique, contraindre davantage les entre-
H. C. : Il existe en effet une spécificité très forte de Danone, prises qui choisissent cette voie ?
qui sort de l’ordinaire et qui la distingue fortement de toutes les
autres entreprises. Chez Danone, il semble que vous êtes Pauline ABADIE : Oui évidement, c’est une bonne ques-
devenu une société à mission, comme une forme d’aboutisse- tion. Je voudrais tout d’abord poser le cadre en disant que l’on a
ment d’une démarche originelle. Alors que d’autres, qui ont parlé à de nombreuses reprises de ce terme « engagement »,
développé leurs activités sans trop penser à toutes ces problé- mais qu’il existe en fait toute une série d’engagements que l’on
matiques sociales et environnementales, au vu de l’évolution pourrait, d’un point de vue strictement juridique, classer en
des problèmes climatiques, ont décidé de changer de cap. Chez deux catégories. Dans le grand groupe des engagements RSE, il
Danone, c’est un aboutissement plus qu’un changement de y a, d’une part, les engagements facultatifs où l’entreprise va en
cap. Chez de nombreuses entreprises, je pense, et c’est impor- son âme et conscience décider de développer une politique de
tant de le rappeler ici, ce peut être à l’inverse un profond RSE et, d’autre part, les engagements imposés d’origine légale.
changement de cap. Les engagements facultatifs de RSE sont clairement les plus
nombreux. Ils peuvent prendre des formes extrêmement
E. B. : Concernant les attentes des parties prenantes pour variées : un partenariat avec le WWF, un choix d’exploitation
revenir à votre question, ces parties prenantes sont prises en durable de matières premières, un label zéro déforestation,
considération et elles étaient déjà prises en compte avant que etc., mais tout ce qui réunit ces engagements, c’est leur carac-
l’on devienne une société à mission. Donc est-ce que le fait de tère facultatif. Il y a par ailleurs des engagements imposés de
devenir une société à mission change les attentes de nos RSE, qui sont d’origine légale. Je pense notamment au devoir
consommateurs ? Non, il s’agit plus, là encore, de la consécra- de vigilance applicable aux entreprises dépassant différents
tion de toute une évolution de plus de 50 ans. Pour nous, ce seuils de chiffre d’affaires et de nombre de salariés. Dans ce cas,
changement en société à mission est en réalité un outil de l’entreprise doit s’engager et cartographier les risques. Le Code
transformation pour aller encore plus loin et pour être encore civil oblige aussi les entreprises, et ce, quelle que soit leur taille :
plus précis dans la direction que l’on souhaite prendre en c’est l’article 1833, modifié par la loi Pacte, qui énonce que
termes de réalisation de nos engagements sociaux et environ- toutes les sociétés doivent être gérées dans leur intérêt social
nementaux. « en prenant en considération » les enjeux socio-
environnementaux. C’est une obligation légale de gérer de
H. C. : Je voudrais juste faire un commentaire à ce sujet, manière responsable une entreprise, même si l’on ne sait pas
avant de laisser la parole à Pauline sur les aspects plus juri- encore exactement quels sont les effets juridiques de cette
diques. Sur ces attentes des parties prenantes et du public que inscription dans le Code civil. À noter que parmi les engage-
j’ai évoquées tout à l’heure, je pense encore une fois que ments facultatifs, il y en a certains pour lesquels le législateur a
Danone est dans une situation un peu différente. Les entre- posé un cadre formel, c’est le cas de la raison d’être et de la
prises n’ayant pas la même histoire spécifique, dès lors qu’elles qualité de société à mission. Le législateur a dit : « vous êtes une
adoptent cette qualité de société à mission, les attentes de leurs entreprise, vous souhaitez vous engager en matière de RSE,
parties prenantes deviennent supérieures, ce qui induit une vous pouvez le faire comme vous le souhaitez ». Il y a des
forme de risque accru pour l’image voire en termes juridiques, figures libres, mais il y a aussi des figures imposées. Dans ce
auquel elles sont moins bien préparées. L’exemple récent dernier cas, vous pouvez choisir de vous doter d’une raison
d’Yves Rocher, qui est une entreprise qui a choisi la qualité de d’être, laquelle n’est pas nécessairement inscrite dans les sta-
société à mission et qui s’est vu attaquée sur des probléma- tuts. Mais celles qui veulent aller plus loin peuvent, en outre,
tiques sociales au sein de ses filiales turques et qui a concomi- choisir de devenir une société à mission. L’article L. 210-10 du
tamment invoqué son statut de société à mission pour justifier Code de commerce précise les quatre conditions rappelées par
son absence de retrait de la Russie peut en être un exemple. Ces Hervé permettant à une société de faire publiquement état de
incidents ont déclenché un tumulte médiatique, des réactions la qualité de société à mission. Dans le cadre de la société à
fortes, qui, je pense, n’auraient pas eu lieu, tout au moins dans mission, c’est donc du « facultatif encadré » avec un certain
ces dimensions, si Yves Rocher n’avait pas eu cette qualité de nombre de sanctions, comme la perte de cette qualité. Je trouve
société à mission. Il est ainsi très important que la qualité de que c’est très intéressant ce que vous avez dit tout à l’heure,
société à mission, qui est très valorisante d’une certaine quand vous vous êtes posé la question : comment perd-on, en
manière, ne soit pas effectivement qu’une simple qualité adop- pratique, cette qualité ? Le législateur a prévu que si l’une des
tée, même pour des raisons sincères mais de façon « légère » : la quatre conditions ci-dessus n’est pas respectée, ou lorsque

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l’avis de l’OTI conclut qu’un ou plusieurs des objectifs que la
société s’est assignée ne sont pas respectés, « le ministère public
ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal
statuant en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous
astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la
mention « société à mission » de tous les actes, documents ou
supports électroniques émanant de la société ». C’est tout ce que
dit la loi, et l’on verra comment ça se passe à moyen et long
termes. Peut-être que l’on ne perdra pas cette qualité si facile-
ment. Je pense que l’on reste quand même dans quelque chose
de très positif. Il s’agit de règles applicables à la société à
mission visant à transformer l’entreprise de l’intérieur et
l’amener à faire des choses meilleures. On n’est pas là pour la
sanctionner. Néanmoins, la qualité de société à mission avec
une raison d’être inscrite et déclinée dans ses statuts, peut
évidemment avoir des effets juridiques. En droit des sociétés, si
une entreprise a une raison d’être et une mission inscrite dans
ses statuts, et si son dirigeant prend une décision qui les
contredit, il commet une faute, indépendamment du point de
savoir s’il a agi dans l’intérêt social. Dans ce cas-là, on distingue Pauline Abadie
classiquement l’ordre interne et l’ordre externe. Cette faute Pauline Abadie est maître de conférences en droit privé à l’Université
pourra constituer un juste motif de révocation du dirigeant Paris-Saclay. Elle est l’auteur de nombreux articles dans les domaines
dans l’ordre interne. Le dirigeant pourra également engager sa de la responsabilité sociale des entreprises, et notamment ses implica-
responsabilité vis-à-vis des actionnaires s’ils ont souffert un tions en matière de gouvernance d’entreprise et de compliance, et en
préjudice personnel. Et imaginons qu’il y ait des actionnaires droit comparé de l’environnement. Ancienne Hauser Fellow de la faculté
de droit de l’Université de New York, titulaire d’un LL.M en droit de l’envi-
qui soient des fonds éthiques, ils subiront potentiellement
ronnement de l’Université de Golden Gate, elle reçoit en 2014 le prix
dans ce cas un préjudice personnel dès lors qu’ils ont eux- Jean Carbonnier de la Mission de recherche Droit & Justice et le Prix
mêmes pris des engagements vis-à-vis de ceux leur ayant, sous Canada de l’Académie internationale de droit comparé pour sa thèse :
condition, apporté des fonds. Dans l’ordre externe, il y a en « Entreprise responsable et environnement : recherche d’une systémati-
revanche peu de risque pour le dirigeant, car classiquement la sation en droits français et américain », publiée aux éditions Bruylant.
jurisprudence exige que la faute du dirigeant, dès lors qu’un
tiers souhaiterait engager sa responsabilité personnelle, soit
séparable des fonctions. Or, en tout état de cause, en violant ou de son contrat de travail incombe à l’employeur (avec les
ne respectant la raison d’être ou les objectifs environnemen- conséquences en résultant en termes d’indemnisation) ?
taux et sociaux, le dirigeant aura agi dans le cadre de ses
fonctions, le tiers ne pourra donc pas engager la responsabilité P. A. : Cette question est intéressante mais abordons-la tout
personnelle du dirigeant. Ça, c’est pour la responsabilité vis-à- d’abord sous l’angle des partenaires commerciaux. Imaginons
vis du dirigeant lorsque les statuts ont été violés. une entreprise qui n’a pas l’historique de Danone, qui devient
Après, il y a la possibilité d’envisager, mais c’est assez théo- société à mission. Du fait qu’elle devient société à mission, des
rique, qu’un tiers puisse invoquer la violation de la mission partenaires commerciaux vont souhaiter travailler avec elle,
inscrite dans les statuts pour remettre en cause un contrat car ils sont eux aussi en train de se positionner sur des marchés
conclu entre l’entreprise et un partenaire commercial. Pour durables, dans une dynamique de RSE. Pour eux, cette qualité
peu que le tiers en ait connaissance, l’hypothèse n’est pas de société à mission est importante, ils ont eux aussi des clients,
inenvisageable au regard de la jurisprudence récente si la mis- des partenaires commerciaux, des actionnaires, etc. Que se
sion a été assortie d’une clause limitative des pouvoirs du passera-t-il si cette qualité n’est pas respectée et qu’elle n’était
dirigeant, et que le contrat a été conclu au mépris de cette que du purpose washing ? Ce partenaire commercial pourrait-il
dernière. En tout cas, de nombreuses questions restent remettre en cause les contrats qu’il a conclus avec cette société ?
ouvertes à ce stade. La question devient alors : est-ce que la qualité de société à
mission était un motif déterminant de son consentement ?
H. C. : C’est très intéressant. Pour illustrer plus précisé- L’impact pourrait être accru si, dans le contrat en cause, était
ment ce que vous venez d’évoquer, un salarié pourrait-il dire insérée une clause à l’appui de cette affirmation. Cela dépendra
qu’il est entré dans l’entreprise chez Danone au regard de sa aussi de la manière dont la société à mission s’est exprimée à
raison d’être et de ses objectifs qu’il a trouvés formidables, l’extérieur, de la façon dont elle s’est présentée. Par hypothèse,
engageants,et que,dès lors qu’il constaterait que l’entreprise elle aura mis en avant sa qualité de société à mission. Et il sera
ne les poursuit pas, ou que certaines de ses activités ne sont plus intéressant encore d’envisager la situation où l’entreprise
pas conformes à sa raison d’être, il pourrait par exemple est sincère au début et puis, au cours de sa vie sociale, finit par
quitter l’entreprise de ce fait en considérant que la rupture ne plus vraiment respecter sa mission en raison des aléas liés à

12 © LEXISNEXIS SA - CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 3, MAI-JUIN 2022 26


23
Table ronde

la vie des affaires. Les contrats qu’elle a conclus au regard de le fait que, grâce à ses engagements RSE, Shell a probablement
cette qualité très particulière seront-ils caducs ? Nuls ? Inexé- obtenu des marchés ou des financements. « Ethic pays »,
cutés et donc sanctionnables au titre de la panoplie de remèdes comme l’on dit. Mais, symétriquement, s’il est rentable d’être
prévus à l’article 1217 ? Pourquoi pas. C’est une piste. D’où une entreprise responsable, il faut aussi en assumer les charges
l’intérêt de revenir au droit commun des contrats. juridiques.

E. B. : C’est notre pratique. Nous contractualisons effective- E. B. : Oui, et encore récemment Total s’est fait aussi pour-
ment des principes de sustainability dans nos contrats depuis suivre en justice pour greenwashing dans ses publicités.
très longtemps, d’ailleurs là encore bien avant de devenir P. A. : Certes, dans cette affaire en cours, le fondement est
société à mission. Attention cependant, les modalités pratiques celui des pratiques commerciales trompeuses.
de la mise en œuvre de ces principes peuvent changer. Nous
faisons à cet égard des mises à jour des principes que nous H. C. : C’est une très bonne transition sur d’autres fonde-
établissons et contractualisons notamment avec nos fournis- ments possibles pour la mise en cause de la responsabilité
seurs, avec nos partenaires, et tous ceux avec qui nous évoluons des entreprises insincères. Sachant que la réalisation des
année après année. À noter que certains de ces principes sont objectifs sociaux et environnementaux a un coût dès lors
aussi pris en compte ou déclinés du fait de notre devoir de qu’elle implique des investissements importants en termes
vigilance. de CAPEX, qui affectent la marge de l’entreprise, une entre-
prise peut-elle, sur le fondement de la concurrence déloyale,
H. C. : C’est intéressant, l’on constate en effet une véri- poursuivre des concurrents qui afficheraient des objectives
table interaction entre droit « dur » (les obligations légales vertueux mais ne les exécuteraient pas ?
telles que le devoir de vigilance, etc.) et le droit « mou »
résultant des engagements facultatifs de RSE. Sur ces der- P. A. : Oui, tout à fait, je pense que ça viendra. Et en toutes
niers, Pauline, comment anticipez-vous potentiellement hypothèses, les autorités de régulation telles que la DGCCRF
l’attitude du juge, des tribunaux s’agissant de ces engage- ou encore l’Autorité de la concurrence peuvent aussi déclen-
ments pris « spontanément » par l’entreprise ? cher des actions et imposer des sanctions si elles constatent de
telles distorsions de concurrence. C’est comme la pratique du
P. A. : Dans les engagements facultatifs, on l’a dit tout à dopage. Pourquoi interdit-on le dopage dans le cyclisme ?
l’heure, il y a des figures libres et des figures imposées (raison Parce que cela crée une distorsion et de l’injustice pour ceux
d’être, société à mission) et, en tout état de cause, ces engage- qui ne se dopent pas. C’est pareil ici. Dire que l’on est une
ments entrent de la façon la plus certaine dans le droit et créent entreprise responsable alors qu’il n’en est rien est un dévoie-
des risques. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les risques en ment de concurrence autant pour les entreprises réellement
termes de responsabilité. Or, ces risques résultent de engagées que pour celles qui ne le sont pas. Cela pourrait donc
l’influence que ces engagements peuvent avoir sur l’apprécia- être une source de responsabilité, c’est du délictuel. Pratiques
tion que le juge se fait de la faute de l’entreprise. Prenons anticoncurrentielles ou pratiques commerciales trompeuses, il
l’exemple de fuites dans les usines d’un industriel et que cer- s’agit de droit spécial. Quoiqu’il en soit la base demeure
taines communautés souhaitent intenter une action contre cet l’article 1240 du Code civil.
industriel pour ces faits de pollution. Indépendamment d’une
E. B. : Je souhaiterais revenir rapidement sur les interactions
législation environnementale quelconque, il va falloir appré-
intéressantes entre le devoir de vigilance et les engagements de
cier si cette société a commis une faute. Le juge va apprécier le
RSE « spontanés ». Parmi les indicateurs qui sont suivis par
comportement de l’entreprise au regard de ses propres engage-
notre comité de mission, nous avons un indicateur qui est le
ments de RSE. Il va les utiliser comme un standard pour dire
devoir de vigilance dans le cadre d’une chaîne d’approvision-
est-ce que cette entreprise a oui ou non agi de manière raison-
nement responsable et respectant les droits de l’Homme. Ce
nablement prudente, en « bon père de famille ». Et il va utiliser
que l’on mesure, c’est l’adhésion et l’autoévaluation des four-
pour cela un étalon de mesures constitué des propres engage-
nisseurs en pourcentage. Il y a donc ici une imbrication des
ments de l’entreprise. Il l’a fait par exemple dans l’affaire de
engagements obligatoires et des engagements facultatifs. En
l’Erika, dans l’affaire de pollution à l’encontre de Total. Il a
fait, quand nous regardons les différents indicateurs que nous
évalué la faute de Total, société mère, au regard de son propre
suivons aujourd’hui, certains résultent d’engagements faculta-
plan de vetting – procédure interne de vérification des navires
tifs, si je prends le changement climatique, la réduction sur un
afin de prévenir les risques de pollution maritime. Dans le
an d’émission de CO2, l’agriculture régénératrice ou l’écono-
même esprit, le tribunal de la Haye a rendu, l’année dernière,
mie circulaire. Tout cela relève du facultatif, mais nous avons
un arrêt contre l’entreprise Shell en disant que Shell n’avait pas
par ailleurs d’autres engagements qui résultent du devoir de
respecté ses obligations climatiques, et que sa trajectoire n’était
vigilance, qui sont des engagements obligatoires. D’une cer-
pas compatible avec l’Accord de Paris. Shell n’était pourtant
taine manière, ils font partie d’une même démarche et je
pas signataire de l’Accord de Paris, mais le juge de La Haye a
trouve que cela fait sens qu’ils soient vus dans leur globalité, les
utilisé ce traité international comme référence, ce qui est en soi
engagements facultatifs et les obligatoires, ensemble.
remarquable ; en outre, il a évalué le manquement de Shell à
son « obligation climatique » au regard de ses propres engage- P. A. : Certes, les interactions sont évidentes mais la
ments de RSE qu’il n’a pas respectés. Avec aussi en toile de fond démarche n’est pas exactement la même puisque dans la loi sur

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CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 3, MAI-JUIN 2022 - © LEXISNEXIS SA 13
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le devoir de vigilance, il est demandé d’identifier des risques serait parfois beaucoup plus bénéfique d’aider les entreprises à
par projet, par type de risques, par région, par filiale ou sous- passer moins de temps sur le reporting et plus de temps à régler
traitant, le tout inscrit dans un plan intégré ou annexé au les problèmes qu’elles peuvent éventuellement avoir, pour
rapport de gestion. Certains engagements facultatifs n’en réellement progresser en matière de RSE.
relèvent pas forcément, et a fortiori lorsque l’entreprise n’est
pas soumise à la loi sur le devoir de vigilance dès lors qu’elles ne H. C. : J’aimerais vous poser à toutes les deux une dernière
sont estimées qu’à 200-250 en France. Avec la loi sur le devoir question. Les entreprises, nous venons de le voir, font face
de vigilance, on pousse les entreprises à être de plus en plus aujourd’hui à une multiplicité de textes générateurs d’obli-
précises. Les plans doivent être très concrets. À l’inverse de la gations, auxquels s’ajoutent leurs propres engagements RSE
logique de la société à mission, on est dans une dynamique où ou leurs objectifs pour celles ayant choisi la qualité de société
on vous demande d’identifier les risques, c’est une pure à mission, également générateurs d’obligations, de respon-
démarche de compliance. sabilités spécifiques. Dans ce contexte, la qualité de société à
mission est-elle, selon vous, une contrainte supplémentaire
H. C. : Absolument. Les objectifs d’une société à mission que s’impose l’entreprise, ou bien au contraire une aide pour
sont déclinés en positif, là où le plan de vigilance s’inscrit en faire face à l’ensemble de ces obligations ?
négatif. Les deux peuvent se rejoindre dans l’objectif ultime
bien entendu, le devoir de vigilance est dans une logique de E. B. : Je pense que, sans aucun doute, devenir société à
prévention de risques, tandis que dans la mission, nous nous mission nous a permis de mieux nous organiser. D’abord,
situons dans un but positif de réalisation d’objectifs que l’on comme expliqué précédemment, rien que sur notre reporting
s’est fixés. extra-financier, nous sommes passés d’un nombre d’indica-
teurs à quatre chiffres, à un nombre d’indicateurs à deux
E. B. : Quoiqu’il en soit, engagements volontaires ou obliga- chiffres. Nous sommes passés à une rationalisation et une
toires, je pense qu’il y a aujourd’hui pour l’entreprise une très concentration sur les éléments qui sont les plus importants
grande profusion de textes (loi sur le devoir de vigilance, loi pour Danone en termes d’objectifs sociaux et environnemen-
Sapin...) qui ont été édictés de façon un peu opportuniste en taux. C’est un premier point. Le deuxième point, c’est que nous
vue des problématiques qui se sont présentées au fil de l’eau et avons un comité de mission qui dispose d’une feuille de route
auxquelles nous avons souhaité apporter une réponse. et qui, réunion après réunion, vérifie les progrès qui sont
Aujourd’hui, nous n’avons pas forcément une articulation effectués et nous oriente dans un contexte économique qui est
parfaite de tous ces textes et malheureusement les remettre compliqué. Je pense donc que cette qualité nous a permis un
tous à plat prendrait probablement énormément de temps. suivi régulier de ce qui est essentiel mais aussi une anticipation
Tous ces textes ont aussi un coût pour l’entreprise, qui doit et une certaine adaptabilité au regard des objectifs que l’entre-
pour chacun d’entre eux nommer des personnes en charge prise se donne, pour nous permettre de les ralentir ou de les
d’un reporting spécifique. Et d’une certaine manière, nous accélérer. Quand on achète du PET recyclé, par exemple, on a
imposons à l’entreprise tellement d’obligations sur tous ces des problèmes de fourniture, parfois nous n’arrivons pas à
sujets, qui sont parfois redondantes, et dont le résultat pourrait trouver la matière première. Cela va à l’encontre des engage-
finalement être bien meilleur si ces obligations étaient plus ments que nous avions pris à un moment où la matière pre-
cohérentes. mière était plus accessible. Il faut donc revoir les engagements,
savoir comment les ajuster temporairement, tout en conti-
H. C. : C’est un peu le « Trop d’impôts tue l’impôt », « Trop nuant dans la trajectoire de réalisation des objectifs. Enfin, je
de textes tue les textes ». pense que l’existence du comité de mission en interne, de l’OTI
P. A. : Mais en même temps, et c’est le problème de la RSE, le en externe, nous aiguille plus généralement sur la construction
législateur a préféré utiliser des obligations légales souples, de notre stratégie. Cela nous pousse à réfléchir à la stratégie de
sous l’angle « regarde-toi et raconte ce que tu observes », afin Danone sur tous ces sujets. Cela nous oblige à nous structurer,
de changer les entreprises de l’intérieur. Du coup, c’est beau- à nous discipliner plus encore, et je pense vraiment que cela
coup de reddition de comptes, de reporting et d’autres choses nous permet de progresser. Ceci dit, une petite précision,
similaires. Cela représente un coût, notamment au regard des incidente mais importante, à ce sujet : je pense qu’il faut être
personnes qui préparent ces documents. Mais tout cela pour conscient que l’on vit dans un contexte qui est mouvant pour
finalement éviter quelque chose de beaucoup plus contrai- l’entreprise. Et il est donc important que l’OTI, dans son rôle,
gnant, de beaucoup plus « command and control ». Le législa- puisse adopter une certaine flexibilité et ne soit pas juste dans
teur fait confiance à l’entreprise pour qu’elle se responsabilise, un rôle de « tick the box », « cet objectif a été atteint, celui-là ne
et évite d’être plus directif. Mais les choses changent. La loi sur l’a pas été », « oui ou non », sans autre considération. Car,
le devoir de vigilance ou l’obligation de gestion responsable de parfois, il peut y avoir des raisons pour lesquelles les objectifs
l’article 1833 en sont la preuve. ont été dépassés ou au contraire n’ont pas été atteints, tout
simplement parce que ce n’était pas possible, pour des raisons
E. B. : Oui, l’objectif est parfait, le but de mon commentaire étrangères à l’entreprise. Je sais qu’il y a tout un travail qui est
n’était pas du tout de remettre en cause ces réglementations, fait à ce sujet, notamment avec la Compagnie nationale des
mais plutôt un appel à remettre de la discipline dans leur commissaires aux comptes, pour réfléchir justement au réfé-
nombre et leur éventuelle redondance. Et de garder en tête qu’il rentiel à utiliser par les OTI, qui ne doit pas être le même que

14 © LEXISNEXIS SA - CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 3, MAI-JUIN 2022


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Table ronde

celui qui est utilisé par les auditeurs. C’est très important, et oblige l’entreprise à réfléchir profondément à ces aspects et en
toute cette réflexion doit permettre une évolution qui est ce qu’elle implique un suivi et un contrôle régulier des engage-
essentielle car la loi ne donne aucune indication à ce propos. ments RSE via le comité de mission et l’intervention annuelle
de l’OTI, pourrait potentiellement réduire ce risque d’insincé-
H. C. : Je vois bien ce que vous voulez dire, on essaye rité et donc, corrélativement, le risque juridique. L’on pourrait
d’objectiver les choses qui ne le sont pas forcément – mais d’un même bien imaginer qu’être une société à mission pourrait
autre côté on ne peut être trop dans la subjectivité, ce n’est pas permettre, non pas bien sûr d’exonérer l’entreprise de sa res-
évident. ponsabilité, mais de générer de la part du juge une appréciation
favorable de l’attitude de l’entreprise, de sa sincérité. Hors bien
E. B. : L’idée est quand même d’éviter de créer des sociétés à
sûr toute hypothèse de purpose washing qui aurait au contraire
mission qui seraient vouées à l’échec. Il peut y avoir des
pour effet d’accroître la volonté de sanction de la part du juge,
moments où une société est en difficulté de performance
d’aggraver la faute de l’entreprise.
économique, où il va peut-être falloir qu’elle mette ses objectifs
un peu en pause pour se refaire une santé financière, régénérer H. C. : Merci Pauline. Le mot de la fin pourrait donc être
ses profits afin précisément d’être ensuite en mesure de réaliser qu’il y a certes dans la qualité de société à mission une potenti-
ses objectifs. Je ne parle pas spécifiquement de Danone. Je fais alité d’accroissement du risque juridique, mais également, plus
partie de la communauté des entreprises à mission et je vois fondamentalement, une démarche et une dynamique ainsi que
différents types de sociétés et il y a des sociétés qui débutent l’existence d’organes internes (comité de mission) et externes
leur projet, qui sont à des phases où elles ne peuvent pas (OTI) qui permettent à l’entreprise de mieux appréhender,
investir autant même si elles sont dans une démarche de RSE suivre et donc maîtriser son risque RSE global. C’est, je pense,
tout à fait sincère. Comment adapter le rôle de l’OTI à ces un enseignement intéressant de la discussion que nous avons
différents cas de figure, qui sont multi-facettes, c’est un point pu avoir tous ensemble et je vous en remercie.
qui me semble important aujourd’hui.
E. B. : Merci à vous Hervé et si je peux ajouter un dernier
H. C. : Merci beaucoup Emmanuelle. Et vous Pauline mot, il me semble aussi intéressant, car nous avons aujourd’hui
qu’en dites-vous ? La qualité de société à mission peut-elle beaucoup discuté du cadre français de la société à mission, de
aider une entreprise à mieux maîtriser sa responsabilité en dire qu’il serait bon d’avoir, au niveau européen, des guidelines,
matière de RSE ? ou un cadre permettant de définir une « purpose driven com-
pany » au niveau européen compatible avec celui qui existe en
P. A. : Si l’on admet que c’est essentiellement l’insincérité de France. Le développement de règles communes au niveau
l’entreprise qui, en matière de RSE, va être génératrice de européen, aurait en effet, me semble-il, plus de sens pour les
responsabilité, la qualité d’entreprise à mission, en ce qu’elle entreprises qui travaillent à l’international.

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CAHIERS DE DROIT DE L’ENTREPRISE N° 3, MAI-JUIN 2022 - © LEXISNEXIS SA 15
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Documents 4
Article L. 227-1 du Code de commerce (Modifié par Ordonnance n°2023-393 du 24 mai 2023)

Une société par actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes qui ne supportent
les pertes qu’à concurrence de leur apport.
Lorsque cette société ne comporte qu'une seule personne, celle-ci est dénommée " associé unique ".
L'associé unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés lorsque le présent chapitre prévoit une prise
de décision collective.
Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent
chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception de l'article L. 224-2 , du second
alinéa de l'article L. 225-14 , des articles L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126 , L. 225-
243 , du I de l'article L. 233-8 et de l'article L. 236-17, sont applicables à la société par actions
simplifiée. Pour l'application de ces règles, les attributions du conseil d'administration ou de son
président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses
dirigeants que les statuts désignent à cet effet.
La société par actions simplifiée peut émettre des actions inaliénables résultant d'apports en industrie
tels que définis à l'article 1843-2 du code civil. Les statuts déterminent les modalités de souscription et
de répartition de ces actions.
Par dérogation au premier alinéa de l'article L. 225-14, les futurs associés peuvent décider à
l'unanimité que le recours à un commissaire aux apports ne sera pas obligatoire, lorsque la valeur
d'aucun apport en nature n'excède un montant fixé par décret et si la valeur totale de l'ensemble des
apports en nature non soumis à l'évaluation d'un commissaire aux apports n'excède pas la moitié du
capital.
(…)
___________________________________________________________________________

Article 1833 Code civil (Modifié par LOI n°2019-486 du 22 mai 2019 - art. 169)

Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés.
La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et
environnementaux de son activité.
___________________________________________________________________________

Article 1835 Code civil (Modifié par LOI n°2019-486 du 22 mai 2019 - art. 169)

Les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme,
l'objet, l'appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son
fonctionnement. Les statuts peuvent préciser une raison d'être, constituée des principes dont la société
se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité.
___________________________________________________________________________

Article 1843-2 Code civil

Les droits de chaque associé dans le capital social sont proportionnels à ses apports lors de la
constitution de la société ou au cours de l'existence de celle-ci.
Les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à
l'attribution de parts ouvrant droit au partage des bénéfices et de l'actif net, à charge de contribuer aux
pertes.
___________________________________________________________________________

27
Article 1844-1 Code civil

La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion
de sa part dans le capital social et la part de l'associé qui n'a apporté que son industrie est égale à celle
de l'associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire.
Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou
l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa
charge la totalité des pertes sont réputées non écrites.
___________________________________________________________________________

Article L. 210-10 du Code de commerce (Création LOI n°2019-486 du 22 mai 2019 - art. 176)

Une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions
suivantes sont respectées :
1° Ses statuts précisent une raison d'être, au sens de l'article 1835 du code civil ;
2° Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne
pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
3° Ses statuts précisent les modalités du suivi de l'exécution de la mission mentionnée au 2°. Ces
modalités prévoient qu'un comité de mission, distinct des organes sociaux prévus par le présent livre
et devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente
annuellement un rapport joint au rapport de gestion, mentionné à l'article L. 232-1 du présent code, à
l'assemblée chargée de l'approbation des comptes de la société. Ce comité procède à toute vérification
qu'il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l'exécution de la
mission ;
4° L'exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l'objet d'une
vérification par un organisme tiers indépendant, selon des modalités et une publicité définies par
décret en Conseil d'Etat. Cette vérification donne lieu à un avis joint au rapport mentionné au 3° ;
5° La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la
publie, sous réserve de la conformité de ses statuts aux conditions mentionnées aux 1° à 3°, au registre
du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat.
___________________________________________________________________________

Article L. 210-11 du Code de commerce (Création LOI n°2019-486 du 22 mai 2019 - art. 176)

Lorsque l'une des conditions mentionnées à l'article L. 210-10 n'est pas respectée, ou lorsque l'avis de
l'organisme tiers indépendant conclut qu'un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux
que la société s'est assignée en application du 2° du même article L. 210-10 ne sont pas respectés, le
ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux
fins d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la
mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la
société.

28
Arrêt de la Cour de cassation, Chambre commerciale, du 16 novembre 2004, n° 00-22713

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant:

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2000), que par acte du 17 novembre 1989, M. X... s'est engagé à
participer à une augmentation du capital de la société Laboratoire Actimed en souscrivant 300 actions nouvelles de 100
francs assorties chacune d'une prime d'émission de 2 250 francs ; que ce même acte comportait une clause par laquelle M.
Y... et Mlle Z..., principaux actionnaires de la société, s'engageaient à racheter les titres de M. X..., dans le cas où ce
dernier en ferait la demande entre le 1er janvier et le 10 juin 1993, au prix minimal de 700 000 francs augmenté d'un
intérêt de 14 % par an sur trois ans ; qu'après avoir exercé son option dans le délai convenu, M. X... a demandé que M. Y...
et Mlle Z... soient condamnés à lui payer le prix stipulé ;

Attendu que M. Y... et Mlle Z... font grief à l'arrêt d'avoir accueilli cette demande alors, selon le moyen, qu'une clause de
rachat est réputée non écrite lorsqu'elle exonère son bénéficiaire de toute participation aux pertes de la société en lui
assurant le remboursement intégral des sommes qu'il a versées pour l'achat de ses parts sociales, si bien qu'en statuant de la
sorte dès lors que M. X... avait la faculté en cas de pertes de la société d'imposer, en levant l'option, le rachat de ses actions
au prix de 700 000 francs assorti des intérêts ou en cas de réalisation de bénéfices de conserver les titres, ce dont il résultait
que cet associé était exonéré de toute contribution aux pertes sociales tout en pouvant participer aux bénéfices de la
société, l'arrêt a violé les dispositions de l'article 1844-1 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la convention litigieuse constituait une promesse d'achat d'actions et relevé qu'elle avait
pour objet, en fixant un prix minimum de cession, d'assurer l'équilibre des conventions conclues entre les parties en
assurant à M. X..., lequel est avant tout un bailleur de fonds, le remboursement de l'investissement auquel il n'aurait pas
consenti sans cette condition déterminante, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que cette clause ne contrevenait
pas aux dispositions de l'article 1844-1 du Code civil dès lors qu'elle n'avait pour objet que d'assurer, moyennant un prix
librement convenu, la transmission de droits sociaux entre associés et qu'elle était sans incidence sur la participation aux
bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux, peu important à cet égard qu'il s'agisse d'un engagement
unilatéral de rachat ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... et Mlle Z... aux dépens ; (…)

___________________________________________________________________________

Documents n° 5

Article 1843 du Code civil

Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation sont tenues des
obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité
dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui
sont alors réputés avoir été dès l'origine contractés par celle-ci.
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Extrait du Mémento Francis Lefebvre, Société commerciales 2023 :

« CARACTERE DU MANDAT
Pour que la procédure de reprise puisse s'appliquer, les engagements doivent être déterminés et leurs modalités
précisées dans le mandat. Un mandat général et indéterminé est donc inefficace (Cass. com. 21-7-1987 : Bull.
civ. IV n° 209), comme, par exemple, celui habilitant un associé à passer « les actes et engagements entrant
dans l'objet statutaire et conformes à l'intérêt social » (Cass. com. 24-3-1998 n° 798 : RJDA 8-9/98 n° 984).
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