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Chapitre 18

Les mesures de la création de valeur

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SECTION 1 : PANORAMA D’ENSEMBLE

Les indicateurs de création de valeur peuvent être de quatre natures :

• Les indicateurs de nature comptable : jusqu’au milieu des années 1980,


l’entreprise communiquait essentiellement sur le résultat net ou le bénéfice par action
(BPA), paramètres éminents de la comptabilité mais aussi éminemment sujet à
manipulations (window dressing en anglais) : éléments exceptionnels, provisions…
L’accent progressivement mis sur le résultat d’exploitation ou l’excédent brut
d’exploitation représente un progrès en réduisant très fortement l’impact de
l’exceptionnel ou des charges calculées.

Une seconde génération d’indicateurs comptables est devenue populaire (même si


les concepts existaient auparavant) lorsque le raisonnement s’est focalisé sur la
rentabilité, c’est-à-dire l’efficacité, qui rapporte les résultats dégagés aux capitaux
mobilisés pour les atteindre. On parle alors de rentabilité des capitaux propres (return
on equity, ROE), critère soumis néanmoins à l’effet de levier : une hausse judicieuse
de l’endettement accroît le plus souvent cet indicateur sans que la valeur en soit pour
autant augmentée, l’accroissement du risque compensant celui de la rentabilité.

La rentabilité économique (ou des capitaux investis ou employés, ou encore return


on capital employed, ROCE) évite ce biais, ce qui explique que, mis à part certains
secteurs dans lesquels elle n’a pas de sens (banque, assurance… où prédomine la
rentabilité des capitaux propres), elle tend à s’imposer comme indicateur de
performance économique.

• Les indicateurs de nature hybride mi-comptables, mi-financiers : ils


sont apparus avec la prise de conscience que la rentabilité dégagée est, en tant que telle,
un critère insuffisant en matière de valeur puisqu’elle ne prend pas en compte la notion
de risque. La rentabilité dégagée reste à comparer au coût des capitaux employés, c’est-
à-dire au coût moyen pondéré du capital1 (ou coût du capital, le WACC des Anglo-
Saxons) pour mesurer si de la valeur a été créée (rentabilité de l’actif économique
supérieure au coût des capitaux employés) ou détruite (le contraire).

La communication peut se limiter à cet écart. Elle peut aller au-delà en l’appliquant
aux capitaux employés en début d’exercice pour mesurer la création de valeur sur
l’exercice : celle-ci est alors exprimée en euro et non plus en pourcentage. Cette
mesure de la création de valeur a été popularisée sous le nom d’EVA (Economic Value
Added) par le cabinet Stern Stewart & Co ou de profit économique par d’autres.

1 Voir le Chapitre 20. Le coût du capital est le coût moyen des ressources financières (capitaux propres et
endettement) mises à la disposition de l’entreprise par les actionnaires et les prêteurs. C’est donc le taux de
rentabilité minimum qu’elle doit dégager sur son actif économique pour satisfaire les exigences de rentabilité de ses
pourvoyeurs de fonds.

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• Les indicateurs de nature financière : le meilleur de tous ces indicateurs
est indiscutablement la valeur actuelle nette puisque, par construction, elle mesure
exactement la valeur créée. Mais son calcul, qui s’étend nécessairement sur plusieurs
périodes, la rend souvent complexe pour l’analyste externe qui ne dispose pas de toutes
les informations nécessaires. D’où le recours à des indicateurs plus simples comme
ceux que nous venons de voir, mais aussi plus approximatifs et qui peuvent parfois
induire en erreur si l’on n’y prend garde.

• Les indicateurs de nature boursière : la Market Value Added (MVA pour


les intimes) et le Total Shareholder Return (TSR) sont, eux, fortement influencés par
la conjoncture boursière. La MVA correspond à l’écart entre la somme de la valeur
boursière des capitaux propres et de l’endettement net d’une part, et le montant
comptable de l’actif économique d’autre part ; elle s’exprime en euro. Le TSR s’exprime
en pourcentage et correspond conceptuellement à l’addition du taux de rendement de
l’action (dividende/valeur de l’action) et du taux de plus-value (plus-value sur la
période/valeur initiale de l’action). C’est le taux de rentabilité pour l’actionnaire qui
achète ses actions en début de période, touche des dividendes qu’il réinvestit en actions
de la même société et revend le tout en fin de période.

SECTION 2 : LA VAN : LE SEUL CRITERE FINANCIER

Le lecteur aura bien compris qu’à la notion de valeur telle que nous l’avons définie
correspondait parfaitement l’outil de la valeur actuelle nette. On verra que faire de
la finance d’entreprise c’est être perpétuellement à la recherche de la valeur actuelle
nette d’un investissement, d’un projet, d’une entreprise, d’une source de financement…
Il va de soi qu’en matière d’allocation des ressources on n’investira que lorsque la
valeur actuelle nette sera positive, donc lorsque la valeur de marché sera inférieure à
la valeur actuelle. La valeur actuelle nette traduit la création ou la destruction
de valeur dégagée par l’allocation de ressources de l’entreprise. On aura
donc une recherche permanente, d’une part, des flux financiers que l’on essaiera de
prévoir (tout en appréhendant le risque de ces prévisions) et, d’autre part, du taux de
rentabilité exigé (k) par les pourvoyeurs de fonds de l’entreprise.

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SECTION 3 : LES CRITERES HYBRIDES MI-COMPTABLES/MI-
FINANCIERS

LE PROFIT ÉCONOMIQUE OU L’ECONOMIC VALUE ADDED (EVA)

Moins ambitieux que la valeur actuelle nette, le profit économique mesure


l’enrichissement de l’entreprise sur un exercice et tient compte, non seulement du coût
de la dette comme le fait le résultat net, mais aussi du coût des capitaux propres.

L’innovation de l’approche du profit économique ou de l’EVA consiste à dégager un


niveau de résultat à partir duquel de la valeur est créée puisque ce dernier est calculé
après rémunération des créanciers et celle des actionnaires sur les fonds qu’ils ont
apportés à l’entreprise.

Le calcul du profit économique nécessite d’abord d’estimer quel a été le taux de


rentabilité économique gagné en surplus du coût moyen pondéré du capital. Cet écart
est ensuite multiplié par le montant comptable de l’actif économique de début de
période pour donner la création de valeur de la période.

Profit économique = Actif économique × (Re – k)


ou en anglais EVA = Capital employed × (ROCE – WACC).

où Re est le taux de rentabilité économique comptable après impôt, k est le coût moyen
pondéré du capital.

Une entreprise peut être tentée de maximiser son EVA une année au détriment des
EVA futures en sous-investissant ou en réduisant artificiellement son BFR. De façon
générale, il est très difficile de trouver un indicateur annuel qui soit le garant de la
création de la valeur d’une entreprise : seule la valeur actuelle de l’ensemble des flux
futurs peut rendre compte de la capacité de l’entreprise à créer de la valeur dans la
durée.

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SECTION 4 : LES CRITERES BOURSIERS

1. LA CREATION DE VALEUR BOURSIERE (OU LA MARKET


VALUE ADDED)

Pour l’entreprise cotée, la création de valeur boursière (Market Value Added ou MVA
en anglais), correspond à :

Création de valeur boursière = Capitalisation boursière + Valeur de


l’endettement net – Montant comptable de l’actif économique .

En l’absence d’information sur la valeur de la dette on suppose que celle-ci est égale
à son montant comptable, l’équation se simplifie alors et devient :

Création de valeur = Capitalisation boursière – Montant comptable


des capitaux propres.

La MVA, ou plutôt la variation de MVA, est un critère plus pertinent que la seule
évolution du cours de Bourse puisqu’il met en regard l’augmentation de valeur et les
capitaux investis pour y parvenir.

Cependant la MVA présente la faiblesse, aux yeux de ceux qui ne croient pas à
l’efficience des marchés, de reposer sur des valeurs boursières souvent volatiles. Mais
c’est le prix du marché !

2. LE TOTAL SHAREHOLDER RETURN (TSR)

Le TSR se calcule comme le taux de rentabilité de l’actionnaire qui a acheté l’action en


début de période, a touché des dividendes, que le plus souvent on suppose réinvestis
dans l’achat de nouvelles actions, et qui valorise, en fin de période, son portefeuille sur
la base du dernier cours de l’action. Il s’agit ni plus, ni moins, du taux de rentabilité
actuariel que nous avons vu au Chapitre 15.

Les marchés n’étant pas toujours à l’équilibre, il n’y a pas de liens automatiques
entre création de valeur intrinsèque et création de valeur boursière, en particulier en
période de krach (ou de boom) quand une entreprise peut gagner plus (moins) que son
coût du capital et pourtant avoir une valeur boursière de son actif économique qui
s’effondre (explose).

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SECTION 5 : LES CRITERES COMPTABLES

1. LE BÉNÉFICE PAR ACTION

Le bénéfice par action (BPA) reste le favori de beaucoup de financiers d’entreprise :


malgré ses limites, c’est le critère le plus utilisé aujourd’hui en raison du lien direct qui
l’unit à la valeur de l’action par le multiple du résultat net (PER). L’utilisation du
bénéfice par action est fondée sur trois méprises :
• croire que le bénéfice par action prend en compte le coût des capitaux propres
et donc le risque ;
• croire que les données comptables ont une influence mécanique sur la valeur de
l’entreprise. Ce n’est pas en changeant de méthode comptable (stocks,
amortissements, traitement de la survaleur…) que l’on peut modifier la valeur
de l’entreprise et ce, même si l’on modifie le bénéfice par action ;
• croire que toute décision financière qui tend à faire croître le bénéfice par action
fait croître la valeur. Ceci suppose que le PER reste constant avant et après la
décision financière, alors que, dans bien des cas, cette hypothèse est erronée. La
valeur n’est donc pas un multiple constant du bénéfice par action car la décision
peut affecter l’appréciation par les investisseurs du risque et du potentiel de
croissance de l’entreprise, et donc le niveau de PER de l’entreprise.

Considérons ainsi l’entreprise A dont le PER, compte tenu de son risque, de ses
perspectives de rentabilité et de croissance, est de 20 ; son bénéfice net est de 50. Soit
l’entreprise B dont la valeur des capitaux propres est de 450 avec un bénéfice net de
30, d’où un PER de 15. A décide d’acheter le contrôle de B en payant une prime de 33
% par rapport à la valeur de B, soit 600 au total. A se finance entièrement par
endettement à un coût de 3 % après impôt. A et B sont correctement évaluées compte
tenu de leur risque. Les synergies industrielles et commerciales permettant
d’augmenter le bénéfice du nouveau groupe sont inexistantes et il n’y a pas
d’amortissement/dépréciation de la survaleur2.

Dès lors, le résultat net de A devient :

Résultat net de A (avant) : 50


+ Résultat net de B : 30
– Coût de financement : 18 = 600 × 3 %
= Nouveau résultat net de A : 62, soit + 24 %

2 Voir Chapitre 6.

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A ayant intégralement financé l’acquisition de B par endettement, le nombre
d’actions de A est inchangé. La progression du bénéfice par action est donc égale à celle
du bénéfice net, soit 24 %. Époustouflant, n’est-ce pas ? Mais A a-t-elle créé de la valeur
en acquérant B ? Non, puisqu’il n’y a aucune synergie entre A et B, et que A a payé B
33 % de plus que son prix d’équilibre. Au contraire, A a détruit de la valeur à hauteur
de cette prime de contrôle, soit ici 150 qui n’a aucune contre-partie en synergies.

En fait l’explication de ce paradoxe (apparent) d’une progression de 24 % du


bénéfice par action et d’une destruction simultanée de valeur tient au fait qu’il y a
progression mécanique du BPA de l’acquéreur tant que l’inverse du PER
de la société achetée par endettement est supérieur au coût de
l’endettement après impôt. Ici, B a un PER de 20 compte tenu de la prime de 33
% payée par A pour l’acquérir. L’inverse de 20 (5 %) est bien supérieur à 3 % (le coût
de la dette après impôt pour A).

Nous ne saurions trop insister auprès de notre lecteur pour le mettre en


garde contre la fréquente assimilation de la croissance du bénéfice par
action à la création de valeur et parallèlement de la dilution du BPA avec
la destruction de valeur. Ceci est abusif, le BPA est un critère comptable et
non un critère de valeur.

En fait le critère du BPA ne peut être un indicateur pertinent de création de valeur


que si trois conditions sont respectées :
• le risque de l’actif économique est le même d’un exercice sur l’autre, ou avant et
après une opération (fusion, acquisition, augmentation ou réduction de capital,
investissement…) ;
• le taux de croissance des résultats est le même avant et après une opération
donnée ;
• la structure financière de l’entreprise est la même d’un exercice sur l’autre, ou
avant et après une opération donnée.

2. LES TAUX DE RENTABILITÉ COMPTABLES

Les taux de rentabilité comptables recoupent :


• le taux de rentabilité des capitaux propres : Rcp ou ROE ;
• le taux de rentabilité économique Re ou ROCE, dont, tout comme le précédent,
nous avons fait la connaissance au Chapitre 13.

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Considérons 3 la société Archibald, monoproduit, qui dégage une rentabilité
économique de 20 % sur un actif économique de 100. Située dans un secteur
hautement profitable, elle s’interroge sur ses opportunités de diversification : doit-elle
exiger de tout projet le taux de rentabilité actuel, soit 20 % ? Comment raisonner ?

Cette société dégage une rentabilité comptable de 20 %. Supposons que ses


pourvoyeurs de fonds exigent une rentabilité de 10 %, sa valeur de marché est alors de
20/10 %, soit 200.

L’investissement proposé s’élève à 100 et dégage, pour un risque identique, une


rentabilité de 15 %, le taux de rentabilité exigé demeurant constant à 10 % ; on constate
alors que :

Résultat d’exploitation actuel : 20 % × 100 = 20


Résultat d’exploitation sur
+ : 15 % × 100 = 15
nouvel
investissement
= Total : 35

soit une valeur de l’entreprise de 35/10 % = 350 (+ 150), pour une rentabilité
économique de 35/200 = 17,5 %.

La valeur de l’actif économique s’est accrue d’un montant supérieur aux fonds
engagés (150 contre 100) car l’entreprise a investi dans un projet dont la rentabilité est
supérieure au taux exigé par les pourvoyeurs de fonds. De la valeur a été créée. Il fallait
donc investir. Cependant la rentabilité économique a baissé de 20 % à 17,5 %, ce qui
prouve que ce critère n’est pas pertinent.

Plus généralement, la valeur d’une entreprise s’accroît d’un montant


supérieur aux fonds engagés tant que la rentabilité de l’investissement est
supérieure au taux de rentabilité exigé.

3 Nous supposons que les investissements projetés dégagent une rentabilité à l’infini, afin de simplifier les calculs
d’actualisation.

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