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100 partie 2 Le comportement individuel

4. L’intelligence culturelle est la capacité de comprendre sa propre culture et celle des


autres et de s’entendre avec des gens de tous horizons sans les juger. Cette intelligence
est cruciale à l’heure des échanges commerciaux internationaux et de la diversité en
milieu de travail.

La persOnnaLité et Le COnCept de sOi


La personnalité est ce qui fait notre unicité, autrement dit, ce qui nous rend uniques ;
elle est partie intégrante du concept de soi, c’est-à dire de la façon dont nous nous
concevons ou nous percevons. Nous agissons en général de façon cohérente, c’est-à-dire
que nos comportements reflètent le plus souvent possible ce concept de soi41. Ainsi, si
mon identité, entre autres, est faite de mon appartenance à une communauté (concept
de soi donc), j’agirais de manière à renforcer cette identité. Plusieurs traits de person-
nalité sont liés à ce concept de soi et cette relation est traitée au chapitre suivant, avec
la perception.
Ces traits de personnalité sont l’estime de soi (la valeur que l’on se donne), l’optimisme
(qui caractérise les gens qui ne se découragent pas facilement et qui voient la vie posi-
tivement), le sentiment d’efficacité personnelle (propre aux gens qui croient en leur
capacité de mener à bien une tâche donnée), le lieu de contrôle (qui désigne le degré de
contrôle qu’un individu croit posséder sur les événements) et la résilience (l’adaptation
positive face à l’adversité).
Une classification très connue des types de personnalité est celle de Holland. Le
mérite de cet auteur est d’avoir relié certains types de personnalité à des catégories
d’activités professionnelles.

La persOnnaLité et Le ChOix de Carrière : La typOLOgie


de hOLLand
Une carrière est bien plus qu’un appariement de compétences avec les exigences d’un
emploi. C’est une harmonisation complexe de traits de personnalité, de valeurs et de
talents avec les exigences et les caractéristiques du milieu de travail. C’est ce qu’a mis en
évidence John Holland, un spécialiste en choix de carrière42. Certaines recherches ont
démontré qu’une harmonisation de ces facteurs était associée à une meilleure perfor-
mance, à une plus grande satisfaction de l’individu et à la durée de l’emploi. Toutefois,
d’autres études ne corroborent pas parfaitement ce modèle43.
John Holland classe les personnalités en six types : réaliste, investigateur, artistique,
social, entrepreneur et conventionnel. Le tableau 3.2 présente ces types de personna-
lité, les groupes d’activités professionnelles qui leur correspondent le mieux ainsi que
des exemples de professions. Ainsi, une personnalité artistique ne trouverait pas une
satisfaction optimale au travail dans des activités professionnelles relevant du type
investigateur.
Rares sont les individus qui correspondent parfaitement à une seule catégorie de
Holland. Une personne dite hautement « différenciée » correspond à une seule catégo-
rie, tandis que la plupart des gens appartiennent à deux catégories ou plus. La théorie
de Holland est-elle valide ? Il s’agit certainement du modèle de correspondance psy-
chologique et professionnelle le plus populaire à ce jour, et de nombreux orienteurs y
ont recours. Bien que certaines recherches appuient les principes généraux qui sous-
tendent le modèle de Holland, quelques chercheurs émettent des réserves quant à cer-
tains points. L’un des problèmes tient au fait que les types de personnalité de Holland
représentent seulement deux des cinq grandes dimensions de la personnalité (Big Five),
soit l’extraversion et l’ouverture à l’expérience, quand on sait qu’elles constituent nos
traits fondamentaux. Par contre, les autres dimensions du modèle sont pertinentes en
orientation professionnelle et peuvent prédire raisonnablement l’adaptation des indivi-
dus à leur emploi44. Une autre limite du modèle de Holland est que celui-ci ne s’applique
pas nécessairement à toutes les cultures. Néanmoins, ce modèle permet d’expliquer avec
une certaine justesse les attitudes et les comportements individuels45.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 101

Tableau 3.2 Les six types de personnaLité de hoLLand et Les groUpes d’aCtivités
professionneLLes

Type de personnalité Traits de personnalité Groupes d’activités professionnelles Exemples de professions

Réaliste Pratique, timide, Travaille avec ses mains, des machines ou des outils ; Travailleur à la chaîne,
matérialiste, stable vise des résultats tangibles. nettoyeur à sec, ingénieur
mécanique

Investigateur Analytique, introverti, Découvre, recueille et analyse des données ; résout Biologiste, dentiste, analyste
réservé, curieux, précis, des problèmes. de systèmes
indépendant

Artiste Créatif, impulsif, idéaliste, Crée de nouveaux produits ou génère de nouvelles Journaliste, architecte,
intuitif, émotif idées, la plupart du temps dans un milieu non directeur de publicité
structuré.

Social Sociable, extraverti, Sert ou aide d’autres personnes ; travaille en équipe. Travailleur social, infirmière,
consciencieux, besoin enseignant, orienteur
d’appartenance

Entrepreneur Confiant, incisif, énergique, Dirige d’autres personnes ; atteint des objectifs grâce Vendeur, courtier, politicien
besoin de pouvoir à d’autres personnes dans un milieu orienté vers les
résultats.

Conventionnel Fiable, discipliné, ordonné, A un travail qui implique la manipulation systématique Comptable, banquier,
pratique, efficace de données ou d’informations. administrateur

Sources : Basé sur D.H. Montross, Z.B. Leibowitz et C.J. Shinkman, Real People, Real Jobs, Palo Alto, Davies-Black, 1995 ; et J.H. Greenhaus, Career Management, Chicago,
Dryden, 1987.

Certaines personnes peuvent être au bon poste, posséder des traits de personnalité
qui leur permettent même d’être efficaces et néanmoins avoir un caractère qui rend
leur fréquentation pénible, pour leur entourage et parfois pour elles-mêmes. Ce sont des
personnalités difficiles.

Les persOnnaLités diffiCiLes


personnalité difficile Parfois, on appelle les personnalités difficiles des employés « toxiques », car ils empoi-
Personne aux comportements sonnent le climat de travail et la satisfaction au travail de leurs collègues ainsi que la per-
pénibles pour elle-même et formance d’équipe46,47. Ils peuvent également provoquer le départ de ceux qui n’arrivent
son entourage. pas à transiger avec eux. Leurs comportements se traduisent par de l’agressivité, des
plaintes constantes, du harcèlement psychologique et des tentatives de manipulation,
même si leur performance est parfois supérieure à celle de leurs collègues48. Sont
exclues de ces comportements les conduites pathologiques.
Plusieurs auteurs ont tenté de circonscrire rigoureusement les types de personnalité
et de comportements difficiles49. Par exemple, Bramson a travaillé pendant 25 ans sur
le sujet, a observé des dirigeants et écouté des employés décrire les personnes les plus
difficiles rencontrées dans leur vie50. Malgré les différents termes les désignant, on peut
dégager sept types de personnalité caractérisant des employés difficiles : l’agressif ou le
compétitif, le geignard, l’apathique, le complaisant, le négatif, le prétentieux et l’indécis
(voir le tableau 3.3 à la page suivante). On trouvera d’autres types de personnalité au
chapitre 13, caractérisant, ceux-là, des leaders à tendance névrotique.
Maintenant, comment gérer ces employés ? On peut penser à des solutions préven-
tives et curatives. Le tableau 3.3 présente aussi quelques-unes de ces mesures basées
essentiellement sur la nature des relations interpersonnelles et l’exemple positif du
groupe d’appartenance des personnes difficiles. On peut recourir aux sanctions bien
documentées dans les cas extrêmes.
Puisque nous traitons des variables individuelles qui influent sur le comportement, il
est difficile de parler de types de personnalité ou d’attitudes sans parler de valeurs. En
effet, celles-ci peuvent déterminer l’orientation d’une attitude. Si, par exemple, une de
102 partie 2 Le comportement individuel

Tableau 3.3 types de personnaLités diffiCiLes et mesUres à prendre

Types de personnalités difficiles Comportements typiques Mesures à prendre

L’agressif ou le compétitif Arrogant, n’a jamais tort, directi, aime contrôler, dénigre Entraîner ces personnes dans des décisions
autrui ouvertement ou subtilement, bruyant, impatient, sûr d’équipe, exiger d’elles du respect, interrompre
de lui, sarcastique. leurs attaques et être erme.

Le geignard Toujours de mauvaise humeur, se plaint de situations où Orienter les échanges vers la résolution de
il n’apporte par ailleurs pas de solutions, démoralise les problèmes.
autres, blâme autrui indirectement.

L’apathique Se prononce rarement, semble indiérent aux choses et Poser des questions précises et exiger des
aux autres. réponses claires.

Le complaisant Veut plaire à tout le monde et en toutes choses ; évite la Exprimer son appréciation ; établir des
conrontation ; prend des engagements qu’il ne peut tenir. échéances et des objectis précis.

Le négatif Pessimiste envers le travail et l’organisation ; décourage les Exprimer son optimisme sans dire à cette
personnes motivées (« ça ne marchera pas »). personne qu’elle a tort ; utiliser ses ressources.

Le prétentieux Intelligent, mais pense avoir toutes les réponses ; dédaigne Reconnaître les qualités de la personne ;
l’autorité (considérée comme ignorante) ; peut être agréable. l’utiliser là où elle sera le plus eicace.

L’indécis A des diicultés à prendre des décisions, qu’il peut remettre Établir un climat de coniance, d’initiative et de
indéiniment ; appuie celles des autres ; peu airmati. soutien.

Source : Adaptation des synthèses de B.L. Raynes, « Predicting difcult employees : The relationship between vocational interests, sel-esteem, and problem communication styles »,
Applied H.R.M. Research, vol. 6, no 1, 2001, p. 33-66.

mes valeurs est la famille, j’aurais une attitude favorable envers mon entreprise qui a
institué des horaires flexibles pour les parents ou des garderies en milieu de travail. À
l’heure où les citoyens et les employés sont choqués des récentes conduites amorales et
immorales de chefs d’entreprises et de leurs organisations, il faudra aussi examiner la
question des valeurs morales, de l’éthique et de la responsabilité sociale des institutions.

Les vaLeUrs aU travaiL, L’éthiqUe et La responsabiLité


soCiaLe des entreprises (rse)
OA4 Dans cette section, nous traiterons les thèmes des valeurs, de l’éthique et de la responsabi-
lité sociale. Ces thèmes sont intimement liés (voire confondus, parfois), car on ne peut
concevoir une éthique et une RSE qui ne seraient pas guidées par des valeurs morales.

Les vaLeurs
Dans la littérature administrative ou dans l’histoire des sociétés performantes, on men-
tionne aujourd’hui de plus en plus l’importance des valeurs comme guides pour la direc-
tion des entreprises et pour leurs employés. La responsabilité sociale des organisations,
par exemple, est aussi souvent citée comme l’une d’entre elles.
valeurs Croyances stables et Les valeurs sont des croyances stables et durables d’un individu sur ce qui est impor-
durables d’un individu (ou d’une tant pour lui et qui guident jusqu’à ses choix de vie51. Elles gouvernent nos conceptions
société) à propos de ce qui est du bien et du mal. Les valeurs ne représentent pas seulement ce que nous voulons ; elles
important pour lui. indiquent aussi ce que nous « devons » faire.
système de valeurs Hiérarchie L’ensemble de nos valeurs forme une hiérarchie de préférences appelée système de va-
des croyances d’un individu. leurs. Par exemple, les valeurs familiales peuvent être plus importantes que le travail acharné
(autre valeur) chez un employé d’une culture donnée. Chaque individu possède son propre
système de valeurs, qui est créé ou renforcé par l’éducation, le milieu familial, l’appartenance
religieuse, les amis, les expériences personnelles et la société dans laquelle il vit.
La hiérarchie des valeurs d’une personne est stable et permanente. Par exemple, une
étude révèle que les systèmes de valeurs d’un échantillon d’adolescents étaient demeurés
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 103

remarquablement similaires vingt ans plus tard52. Les valeurs sont importantes parce qu’elles
exercent une profonde influence sur plusieurs aspects de la vie au sein de l’organisation :
les perceptions, la prise de décision, le comportement des dirigeants d’entreprise, la citoyen-
neté organisationnelle, l’éthique et les transactions avec d’autres cultures53, etc.

Les types de valeurs


Il faut distinguer ici les valeurs individuelles (propres à une personne en particulier)
et les valeurs collectives, que partagent tous les membres de l’organisation. Dans ce
dernier cas, on parle alors de valeurs organisationnelles. Ici, nous traiterons surtout
des valeurs individuelles. Les valeurs de l’organisation font partie de sa culture, aussi
seront-elles décrites plus en détail au chapitre 15.
Les valeurs revêtent de multiples formes, et les chercheurs ont passé beaucoup de
temps à essayer de les classer dans des catégories cohérentes. Le modèle élaboré et
expérimenté par le psychologue social Schwartz a fait l’objet d’un nombre considérable
de recherches dans plus de 40 pays54 (voir la figure 3.4).
S’inspirant d’un autre chercheur connu sur le sujet, Milton Rokeach, Schwartz a
réparti 57 valeurs personnelles en 10 grandes catégories. De plus, il a classé ces catégo-
ries en quatre groupes (cadrans) de valeurs : l’ouverture au changement, le dépassement
de soi, la continuité et la valorisation de soi55.
L’ouverture au changement représente la mesure dans laquelle une personne est motivée
à innover, ce qui inclut les valeurs de l’autonomie (indépendance d’esprit et d’action),
de la stimulation (excitation et défi) et de l’hédonisme (poursuite du plaisir). La conti-
nuité, située à l’extrémité opposée, est la mesure dans laquelle une personne est motivée
à préserver le statu quo. Cette dimension est associée au conformisme (adhésion aux
normes et aux attentes sociales), à la sécurité (et à la stabilité) et au respect de la tradition.

Figure 3.4 sChéma des vaLeUrs de sChwartz

Ouverture au Dépassement de soi


changement Universalisme
Autonomie

Stimulation Bienveillance

Conformisme
Hédonisme Tradition

Accomplissement
Sécurité
Valorisation de soi Continuité
Pouvoir

Source : S.H. Swartz, « Universals in the content and structure of values : Theorical advances and empirical tests in 20 countries »,
Advances in experimental social psychology, vol. 25, 1992, p. 1-65 ; S.H. Swartz et G. Sagie, « Values consensus and importance : A
cross national study », Journal of cross-cultural psychology, vol. 31, juillet 2000, p. 465-497.
104 partie 2 Le comportement individuel

Le troisième cadrant du modèle de Schwartz représente la valorisation de soi, c’est-


à-dire la mesure dans laquelle une personne est motivée par son intérêt personnel ; cette
dimension est liée à l’accomplissement (la poursuite du succès personnel), au pou-
voir (la domination d’autrui ou des événements) et à l’hédonisme (qu’elle partage avec
l’ouverture au changement). Le quatrième cadran, le dépassement de soi, désigne la
motivation à promouvoir le bien-être des autres et de l’environnement ; il fait référence
à la bienveillance (le souci des autres) et à l’universalisme (le souci du bien de tous les
êtres humains et de la nature).
Comme Swartz le mentionne, toutes ces valeurs peuvent être positionnées sur deux
grands axes bipolaires : la dimension du changement (ouverture-continuité) et l’intérêt
porté aux personnes (dépassement de soi-valorisation de soi).
Nos valeurs déterminent-elles toujours nos actions ? Pas nécessairement, car les situa-
tions que l’on rencontre n’exigent pas toujours qu’interviennent nos valeurs. De plus,
quand elles nous influencent, nous n’en sommes pas toujours conscients, notamment
lorsqu’il s’agit de valeurs sociétales fermement intégrées. Toutefois, certaines circon-
stances activent le système de valeurs, notamment lorsque nous nous retrouvons devant
un dilemme éthique, lorsqu’une situation va directement à l’encontre de notre système
de valeurs, ou encore lorsque le coût d’enfreindre une de nos valeurs est supérieur au
gain qui en découlerait 56.

Les valeurs de la main-d’œuvre canadienne


Les valeurs de la main-d’œuvre canadienne diffèrent selon les générations. Chez 80 %
des travailleurs âgés de plus de 60 ans (c’est-à-dire 22,2 % de la population québécoise),
on valorise l’ordre, la discipline, l’autorité et les préceptes judéo-chrétiens. Les baby-
boomers (nés entre 1945 et 1964, soit 27,4 % de la population québécoise) rejettent
l’autorité, doutent des bonnes intentions des entreprises et des gouvernements, se préoc-
cupent de l’environnement et de l’égalité en milieu de travail et dans la société ainsi que
de leur avenir professionnel et financier. La génération X (comprenant les individus nés
entre 1965 et 1976, soit 18,4 % de la population québécoise) est friande d’expériences
nouvelles, elle est matérialiste et recherche la reconnaissance, le respect et l’admiration
en même temps que l’indépendance financière et l’autonomie. Une partie importante
des individus de cette génération se soucie d’écologie et du respect des droits de la per-
sonne. La génération Y (composée des individus nés entre 1977 et 1997, qui représen-
tent 26,7 % de la population québécoise) est curieuse, flexible, coopérative, optimiste, a
l’esprit d’équipe, une estime de soi élevée, est impatiente, jalouse de son autonomie, de
sa liberté d’expression et de son bonheur57. Il faut noter que, au Québec, famille et travail
restent des valeurs très importantes pour toutes les générations et, fait étonnant, dans
cet ordre d’importance là58. Comparés aux Canadiens anglophones, les Québécois sont
généralement plus permissifs en ce qui concerne les relations de couple et la sexualité59.

La convergence des valeurs


convergence des valeurs La convergence des valeurs est une situation dans laquelle deux ou plusieurs entités
Situation dans laquelle deux ou possèdent des systèmes de valeurs similaires. On peut distinguer trois types de conver-
plusieurs entités possèdent des gence. Le premier concerne la personne et l’organisation. Cette convergence est la simi-
systèmes de valeurs similaires. litude des valeurs de l’employé et de celles de son organisation. Lorsqu’elle est élevée, on
observe davantage de satisfaction au travail, de comportements de citoyenneté organi-
sationnelle et moins de stress chez l’individu.
Le second type de convergence de valeurs concerne les valeurs adoptées officielle-
ment par l’entreprise et les valeurs réellement en usage. Valeurs adoptées et valeurs en
usage peuvent coïncider ou pas. Dans le premier cas, elles sont dites convergentes ; dans
le second, elles sont divergentes, voire contradictoires (Enron avait officiellement un
code de conduite exemplaire !). Cela arrive quand une organisation se réclame de va-
leurs irréprochables pour se donner bonne conscience et présenter une image publique
favorable sans manifester une volonté réelle de les appliquer et sans prendre les moyens
de le faire60. L’exemple d’IKEA, présenté dans la capsule ci-après, en est une illustration.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 105

IkeA rvoit la cllul familial


La femme ne serait pas l’égale de l’homme dans certaines éditions du catalogue IKEA !
Du moins pas en Arabie saoudite, où l’entreprise suédoise de meubles compte trois
magasins. C’est que, cet automne, elle a décidé de retirer les femmes des photos de
son célèbre catalogue. Il a fallu que la nouvelle, avec photos comparatives, sorte dans
les médias suédois et que des ministres réprimandent publiquement l’entreprise (« Ça
ne va pas du tout ! », « Carrément moyenâgeux ! »), pour qu’IKEA s’excuse dans un
communiqué, après avoir d’abord soutenu qu’il fallait s’adapter à chaque marché :
« Nous aurions dû réagir et réaliser qu’exclure les femmes de la version saoudienne
du catalogue entrait en conflit avec les valeurs du groupe IKEA. » Une idée aussi mal
structurée que certains de ses plans de montage d’étagères !
Source : La Presse, 28 décembre 2012.

Une étude mondiale rapporte que seulement 55 % des employés pensent que la haute
direction agit conformément aux valeurs essentielles de l’entreprise61.
Un troisième type de convergence est celle qui survient entre les valeurs de l’entreprise
et celles de la communauté où elle exerce ses activités62. Par exemple, une entreprise qui
essaie d’imposer sa culture à un pays où elle fait affaire risque de rencontrer de nom-
breux problèmes, voire des conflits avec la communauté environnante, comme le
montrent les déboires de Toys R Us en Suède (voir la rubrique Autour du globe 3.1). Nous

U Lbe 3.1
aUtUr

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pu ê coûux
Le choc de Toys R US en suède
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comm ls Suédos. en 1995, l gén mécn  ouv os
mgsns à Sockolm, Göbog  Mlmö, vc l fm
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Commn ? en obnn l’u d’us syndcs, ou
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cssé d’y nso l mcnds. Mêm ls mloyés d
l bnqu on êé d  ls déôs  us nsc­
ons fnncès du délln ! C’s sns com qu l
hndlsnsällds Föbund  lncé un boycog nonl dél du ys, un oulon comn bucou d
d l’ns. juns (22 % d mons d 17 ns)  un  nconsé ds
Suédos nvs l culu mécn, l délln d jous 
Un retrait du marché
déclé fof. « Mons d dux ns lus d, toy r Us – fc
Slon un cl u à l’éoqu dns l jounl d guc The
à un ublc suédos osl, ds gèvs  un vlnc d
Militant, c’é l mè fos qu’un ns n d
cqus dns ls méds –  cédé ss oéons à un con­
mn ss ffs n Suèd sns syndc dus l nv
cun dnos n vu d’un cons  s’s é
d McDonld’s, 10 ns lus ô. Ds 300 nss los ésn­
du mcé », ésum l tundbd Scool of Globl Mn­
s n Suèd, un sul u, Jonson & Jonson, s’é vn­
gmn. L vc­ésdn sonsbl du dévlomn
ué à gno l culu locl, l un éud d cs d l
nnonl d toys r Us  fn  dm dns ls méds
tundbd Scool of Globl Mngmn, n azon.
qu’l u dû mux f ss dvos.
Cs dux géns on fn  sgn. tou comm toy r Us.
Ms l ml é f. Mlgé l cossnc ds vns u Source : Marie-Ève Fournier, Les Affaires, 22 décembre 2012.
106 partie 2 Le comportement individuel

Encadré 3.2 divergenCe des vaLeUrs aU travaiL63

• 94 % des 1 943 étudiants au MBA au Canada, aux États-Unis et en • 83 % des employés des 10 « meilleurs employeurs » canadiens
Grande-Bretagne pensent que des confits entre leurs obligations pro- disent que leurs valeurs personnelles coïncident avec celles de leur
essionnelles et leurs valeurs personnelles seraient une source de stress. organisation.
• 65 % des 1 508 employés canadiens interrogés pensent qu’il y a une • 36 % seulement des employés des 10 entreprises au dernier rang
discordance entre les valeurs de leur employeur et les leurs. du classement des « meilleurs employeurs » disent que leurs valeurs
• 83 % des 1 943 étudiants au MBA, au Canada, en Grande-Bretagne et coïncident avec celles de leur organisation.
aux États-Unis pensent que leurs obligations proessionnelles et leurs
valeurs personnelles sont parois en confit.

Note : Ces enquêtes ont été menées en 2007 et en 2008.

reviendrons au chapitre 15 sur cette question des valeurs à travers le prisme de la culture
des entreprises nationales et internationales.
On peut voir dans l’encadré 3.2 à quel point les divergences de valeurs peuvent être
courantes.
Faut-il comprendre que les organisations les plus prospères font en sorte d’harmoniser
parfaitement leurs valeurs et celles de leurs employés ? Ce serait souhaitable, mais
jusqu’à un certain degré seulement. En effet, comme nous le verrons au chapitre 8, les
employés qui nourrissent des valeurs divergentes apportent des points de vue différents,
voire des conflits constructifs. De plus, une convergence trop grande risque de créer un
« culte d’entreprise » qui peut finir par saper la créativité, la souplesse organisationnelle
et même l’éthique64.

Le COmpOrtement éthique et L’entreprise


Notre étude des valeurs serait incomplète si nous laissions de côté la question de
éthique Discipline ayant l’éthique au travail. L’éthique est l’étude des principes moraux ou les valeurs qui déter-
pour objet d’étude les principes minent si une action (et ses résultats) est bonne ou mauvaise. Les valeurs morales per-
moraux ou les valeurs qui mettent de déterminer « la bonne chose à faire ».
déterminent si une action (et ses La question de l’éthique dans les entreprises se pose de façon plus aiguë que jamais
résultats) est bonne ou mauvaise. dans une période où les groupes économiques et financiers multinationaux traversent
une grave crise interne. En témoignent de multiples pratiques « irresponsables » socia-
lement ainsi qu’au regard de l’éthique : faillites frauduleuses, acquisitions douteuses,
tricheries dans les comptes, rémunérations très élevées (et injustifiées) de dirigeants,
non-respect de valeurs essentielles, corruption dans l’octroi de contrats municipaux
dans le milieu de la construction (au Québec, entre autres), etc. Selon une étude récente,
presque la moitié des employés interrogés disent avoir été témoins de gestes répréhensi-
bles : abus des biens de l’entreprise, incivilités, mensonges au personnel et autres parties
prenantes, conflits d’intérêts, discrimination et manque de transparence65.
Aujourd’hui, devant l’ampleur des dégâts – fort heureusement médiatisés – et les réac-
tions indignées du public, des citoyens, des gouvernements et même des actionnaires,
qui préfèrent des « investissements propres », les chefs d’entreprises ont été amenés à se
pencher davantage sur les principes moraux qui devraient les guider66 (voir aussi le cha­
pitre 2). Cette préoccupation est d’autant plus justifiée que l’opinion publique la demande.
Ainsi, parmi les 2 100 Canadiens consultés récemment sur la qualité la plus importante
chez un leader, 48 % choisirent l’honnêteté, avant même l’intelligence, l’esprit de déci-
sion et la bienveillance67. Bien que le Canada soit considéré de par le monde comme un
pays aux normes éthiques élevées68 (notamment grâce à un faible indice de corruption),
il a eu son lot de scandales dans le monde des affaires : participation d’Air Canada à un
cartel de compagnies aériennes ayant fixé les prix du transport cargo en Europe et ail-
leurs, violation par des compagnies minières des règles environnementales et des droits
de la personne69, etc.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 107

Plusieurs sociétés sont préoccupées par la question de savoir où commencent et


où s’arrêtent les entorses à l’éthique et à leur responsabilité sociale et comment déter-
miner la bonne chose à faire. Cette dernière section du présent chapitre tente d’apporter
quelques éléments de réponse.

Les trois principes éthiques


Les philosophes et d’autres penseurs en ont relevé plusieurs. Toutefois, la plupart de ces
principes peuvent être classés en trois grands groupes : l’utilitarisme, les droits indivi-
duels et la justice70. La préférence pour un principe particulier dépend de nos valeurs
sous-jacentes et des situations. Mais souvent, ces trois principes doivent être considérés
conjointement.
utilitarisme Principe moral • L’utilitarisme nous incite à rechercher le plus grand bonheur pour le plus grand
selon lequel les décideurs nombre. Autrement dit, il faut choisir l’option qui apporte la plus grande satis-
devraient rechercher le plus faction à toutes les personnes concernées si cela est possible. Les multinationales
grand bonheur pour le plus grand qui s’installent dans un pays pauvre ou en émergence appliquent le principe de
nombre. l’utilitarisme. En effet, elles prétendent que les bienfaits de leur investissement dans
le pays hôte surpassent les coûts qu’il entraîne pour les actionnaires, la population
locale, les clients et autres parties prenantes. Le critère d’évaluation de la moralité
est l’utilité de l’acte, déterminée par l’ensemble de ses conséquences. L’éthique est
vue comme une clé stratégique pour la survie et la rentabilité des firmes et considérée
comme « payante ». Le problème, en ce qui concerne l’utilitarisme, c’est qu’il est dif-
ficile d’évaluer avec clarté les bénéfices ou les coûts de nombreuses décisions, surtout
quand un grand nombre d’actionnaires ont des valeurs et des besoins très différents.
Un autre problème tient au fait que l’utilitarisme conduit à juger la moralité en fonc-
tion des résultats obtenus et non en fonction des moyens pris pour les atteindre. Les
pressions actuelles pour un monde juste et propre font que ce critère d’utilitarisme
n’est plus suffisant pour juger un comportement éthique.
principe des droits • Le principe des droits individuels est un principe moral selon lequel les personnes
individuels Principe moral sont toutes égales en droit. Ces droits (que l’on voudrait universels) sont la liberté de
selon lequel les personnes sont mouvement, la sécurité physique, la liberté d’expression, le droit à un procès équi-
toutes égales en droit. table et le droit à son intégrité physique. Outre les droits légaux, le principe des droits
individuels englobe les droits accordés selon des normes sociétales. Par exemple,
le droit à l’éducation et à la connaissance n’est pas un droit légal, mais la plupart
d’entre nous le considèrent comme un droit individuel. Certains droits individuels
s’opposent malheureusement à d’autres. Ainsi, le droit des actionnaires d’être infor-
més des activités de l’entreprise peut entrer en conflit avec le droit d’un dirigeant à sa
vie privée, par exemple.
justice organisationnelle • La justice organisationnelle est un principe moral ayant trait à l’équité, jugée autant
Principe moral ayant trait à par les résultats que par les moyens pris pour les obtenir, notamment par le respect
l’équité, jugée autant par les des règles établies. La justice distributive est celle qui permet d’atteindre un résultat
résultats que par les moyens pris équitable pour les parties.
pour les obtenir.
Pour des spécialistes de la question, l’éthique est plus que la conformité aux lois. Elle
émane aussi d’un système de valeurs auquel l’entreprise adhère volontairement.

La décision et l’éthique : facteurs d’influence


Outre les principes éthiques que nous avons vus et leurs valeurs sous-jacentes, trois
grands facteurs influent sur le comportement éthique au travail : 1) les caractéristiques de
la problématique éthique ; 2) les variables individuelles et 3) le contexte (voir la figure 3.5
à la page suivante).
Les caractéristiques du problème éthique La problématique éthique présente des
caractéristiques qui suscitent des réponses différenciées de la part des décideurs :
l’intensité morale, la sensibilité éthique et la vigilance71.
L’intensité morale est la mesure dans laquelle un problème exige l’application de
principes moraux. Plus cette intensité est forte, plus il faut se fier à des principes moraux
108 partie 2 Le comportement individuel

Figure 3.5 faCteUrs d’infLUenCe dU Comportement éthiqUe

Caractéristiques de la Caractéristiques
Contexte
problématique éthique des personnes

• Intensité morale • Lieu de contrôle • Culture d’éthique de


• Sensibilité éthique • Stades de développement l’entreprise
moral • Comportement de la
• Vigilance
direction

Comportement éthique

• Ce comportement tient
compte des trois facteurs
ci-dessus.

pour résoudre le problème. Voler son employeur est généralement considéré comme un
problème d’une grande intensité morale, tandis qu’utiliser un stylo de la société pour
son usage personnel est un acte beaucoup plus bénin. L’intensité morale perçue d’un
problème dépend de plusieurs facteurs :
• le problème entraîne clairement de grandes conséquences, positives ou négatives ;
• plusieurs membres de la société jugeront de ce qui est bon ou mauvais ;
• le décideur se sent concerné par le problème et il a une certaine influence sur la
situation ;
• plusieurs personnes seront affectées par la décision.
intensité morale Mesure Même si un problème possède une forte intensité morale, il est possible que certains
dans laquelle un problème exige employés dotés d’une faible sensibilité éthique ne reconnaissent pas son importance.
l’application de principes moraux. La sensibilité éthique est une caractéristique personnelle qui permet de recon-
naître l’existence et l’importance relative d’un problème d’ordre moral 72. Les per-
sensibilité éthique
sonnes pourvues de sensibilité éthique n’ont pas nécessairement un comportement
Caractéristique personnelle
plus responsable que les autres. Cependant, elles peuvent déterminer si un problème
qui permet à une personne
est d’ordre moral et évaluer avec justesse son intensité morale. En général, elles
de reconnaître l’existence et
font preuve d’une plus grande empathie. Dans une situation donnée, elles peuvent
l’importance relative d’un
également détenir plus d’information sur le sujet. Par exemple, les comptables mani-
problème d’ordre moral.
festent une plus grande sensibilité éthique à l’égard des opérations comptables que
les profanes.
Un autre facteur qui pousse les gens à commettre des actes non éthiques est la baisse
de la vigilance à cet effet. On ne pense pas toujours consciemment que l’on s’engage
dans cette voie, car nous agissons souvent de façon automatique, sans nous poser de
questions sur l’intensité morale d’une décision73. Par exemple, l’employé ne remet pas
en question des façons de faire son travail, car il présume que ses chefs les ont déjà
avalisées en fonction de l’éthique. Cependant, une des plus grandes fraudes comptables
a été précisément commise par le vice-président aux finances d’une grande entreprise,
personne hautement respectée dans l’industrie74 !
Les caractéristiques des personnes Une conduite éthique dépend aussi de la person-
nalité des individus. La littérature à ce sujet mentionne deux facteurs pertinents : le lieu
de contrôle et le stade de développement moral.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 109

1. Le lieu de contrôle. Nous verrons plus en détail ce trait de personnalité au chapitre 4. Le


lieu de contrôle consiste à attribuer les causes de l’occurrence d’une situation soit à
des facteurs sur lesquels l’individu considère qu’il a peu de prise, comme la chance
(contrôle externe), soit à des variables dont il se sent responsable (contrôle interne).
Les individus dont le lieu de contrôle est interne sont plus susceptibles que les autres
de compter sur leurs propres exigences éthiques pour orienter leur comportement.
stade de développement 2. Les stades de développement moral. La recherche menée par Kohlberg, princi-
moral Étape par laquelle se palement, montre que le développement de la morale passe par trois étapes évolu-
construit le sens moral. tives, elles-mêmes composées de deux stades75 (voir la figure 3.6). Plus un individu se
situe à l’extrémité droite de cette échelle de développement, moins il est dépendant
des influences externes et susceptible, par conséquent, d’agir de façon éthique. Le
premier niveau est dit préconventionnel, le second, conventionnel et le troisième,
postconventionnel.
La recherche indique que les individus passent par ces stades un à la fois, sans néces-
sairement atteindre le dernier niveau76. La plupart des adultes se situent quelque part au
milieu de cette échelle, car nous sommes influencés par nos pairs, les lois et les règle-
ments. Ceux qui sont à la dernière étape valorisent beaucoup la liberté d’autrui, sans
égard à l’opinion de la majorité, et remettent en question les pratiques de l’organisation
ou des institutions s’ils croient qu’elles briment la justice et les droits individuels. Ces
personnes prennent les décisions les plus éthiques.
Le contexte La troisième dimension qui explique pourquoi de bonnes personnes
commettent des actions répréhensibles est liée au contexte, aux circonstances dans
lesquelles le comportement douteux se produit. Quelques enquêtes indiquent que la
plupart des employés ont l’impression de subir une pression suffisante pour com-
promettre leur comportement éthique. Par exemple, près des deux tiers des gestion-
naires interrogés dans le cadre d’une recherche ont affirmé que la pression provenant

Figure 3.6 stades dU déveLoppement moraL (seLon KohLberg)

Postconventionnel

6. Considérer les principes


éthiques comme universels
5. Défendre les droits individuels ;
porter un regard critique sur
les institutions
Conventionnel

4. Remplir les obligations


sociales sur lesquelles vous
vous êtes engagé
3. Rechercher l’approbation
de vos proches

Préconventionnel

2. Suivre les règles quand cela


est dans votre intérêt
immédiat
1. Suivre les règles pour éviter
d’être sanctionné

Source : Adapté de L. Kohlberg, « Moral stages and moralization : The cognitive-developmental approach », dans T. Lickona (éd.), Moral
development and behavior : Theory, research, and social issues, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1976, p. 34-35. Librement traduit
de S. Robbins, Organizational behavior, 5e édition canadienne, Pearson Canada, 2010, p. 472.
110 partie 2 Le comportement individuel

de la haute direction incitait les employés à renier leurs convictions ; toutefois, 90 %


des membres de la haute direction n’étaient évidemment pas d’accord avec cette
affirmation77.
Comment appuyer les comportements éthiques ? La plupart des grandes entreprises
(60 % des 650 grandes organisations canadiennes) possèdent des codes d’éthique pres-
crivant autant leur responsabilité sociale que les conduites professionnelles 78. Mais
un tel code ne suffit pas, encore faut-il l’appliquer (Enron avait un code d’éthique
substantiel, mais cela n’a pas empêché ses dirigeants d’en dévier et de mener cette
entreprise à la faillite 79). Beaucoup d’entreprises ont aussi recours à de la formation
en matière d’éthique. Par exemple, Molson Coors tient une formation en ligne sous la
forme d’une expédition, dont chaque étape présente un réel problème d’éthique que
les employés doivent résoudre. Un prix récompense les bonnes réponses 80. D’autres
entreprises, comme Rogers Cable Communication, mettent une ligne téléphonique
ou un site Web à la disposition des employés pour les aider à résoudre des pro-
blèmes éthiques81. UPS Canada a aussi un tel programme de formation depuis 1999.
Des audits sur l’éthique ou un bureau d’ombudsman peuvent également être mis en
œuvre, comme cela a été fait chez Bell Canada, à l’Université de Toronto et chez The
Body Shop82.
Plusieurs entreprises engagent en permanence ou sporadiquement des spécialistes
en éthique et des consultants, notamment des médiateurs, des arbitres et des ombuds-
mans83. On peut citer CIBC, la Banque Royale, Postes Canada, Magna International
et McDonald’s Canada. Toutefois, plusieurs chercheurs s’entendent pour dire que les
entreprises ne font pas assez pour améliorer les pratiques éthiques ou pour assumer
davantage leurs responsabilités sociales84. Malgré cela, quelques mesures sont dignes
de mention. Sur le plan gouvernemental, des mesures ont été prises par de nombreux
pays pour encourager et protéger les employés qui dénoncent des actes frauduleux (en
anglais, on les appelle les whistleblowers, littéralement « ceux qui sifflent la faute »). En
juillet 2002, le Congrès américain a adopté la loi Sarbanes-Oxley (dite SOX). Cette loi
impose aux sociétés américaines un code d’éthique et un système permettant aux sal-
ariés de dénoncer les malversations et les fraudes financières et comptables et d’être
protégés en cas de représailles de la part des personnes fautives. Le Canada a légiféré
dans le même sens en septembre 2004.
Il est difficile de séparer éthique et responsabilité sociale des entreprises, car elles
s’alimentent mutuellement. Par exemple, on ne peut se sentir responsable de la préser-
vation de l’environnement si on n’est pas guidé par des valeurs morales et, de ce fait, par
l’éthique. Nous avons déjà traité de la RSE au chapitre 2, mais nous compléterons cette
notion par la perspective dite des parties prenantes.

La respOnsabiLité sOCiaLe des entreprises et La perspeCtive


des parties prenantes
La Commission européenne formule ainsi sa définition de la responsabilité sociale des
entreprises (RSE) : concept selon lequel les entreprises décident de leur propre initia-
tive de contribuer à améliorer la société et à rendre plus propre l’environnement. Cette
responsabilité s’exprime vis-à-vis des salariés et, plus généralement, de toutes les parties
prenantes (stakeholders). Les parties prenantes sont les individus, groupes ou institu-
tions qui ont un lien avec l’entreprise : employés, syndicats, actionnaires, fournisseurs,
gouvernements, groupes d’intérêt (consommateurs ou défenseurs de l’environnement,
communautés et clients).
Les sociétés se sont rendu compte que rentabilité et comportement responsable ne
sont pas incompatibles (voir l’encadré 3.3), d’autant plus qu’un consensus semble main-
tenant acquis pour promouvoir la RSE, autant du côté des entreprises et des action-
naires que de la population. Des enquêtes montrent que 93 % des Canadiens interrogés
sont d’avis que la RSE est aussi importante que le profit et la richesse des actionnaires
et 78 % d’entre eux quitteraient leur emploi actuel pour un employeur soucieux de
l’environnement85.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 111

Encadré 3.3 respeCt de L’environnement et prodUCtivité vont de pair

Une étude ranco-américaine ébranle une perception répandue selon idées innovantes pour améliorer la productivité, écrit-on. Les contacts entre
laquelle respecter des critères environnementaux pourrait réduire la pro- employés peuvent (aussi) améliorer leur satisaction et leur motivation. »
ductivité. Ce serait plutôt… l’inverse.
Un cercle vertueux
Les employés d’entreprises « vertes » sont 16 % plus productis que la
Le ait d’être une entreprise « verte » acilite aussi le recrutement, selon
moyenne, conclut une étude signée par Magali Delmas, proesseure à
Mme Delmas. Elle cite l’exemple du manuacturier caliornien d’équipement de
l’école de gestion de l’Université de Caliornie à Los Angeles. Mme Delmas,
plein air Patagonia, qui recueille 900 candidatures pour chaque poste oert,
d’origine rançaise, et sa collègue Sanja Pekovic, de l’Université Paris-
ce qui lui permet de sélectionner des candidats de premier ordre. « Du coup,
Dauphine, ont tiré leur conclusion des résultats d’un sondage rempli en
poursuit-elle, ceux-ci sont plus productis, les relations interpersonnelles dans
2006 par plus de 7 700 entreprises rançaises privées comptant au moins
l’entreprise sont meilleures, ils sont plus motivés… C’est un cercle vertueux. »
20 employés. Elles en ont conservé 5 220 et ont scruté plus attentivement
les réponses de plus de 10 000 de leurs employés. La grande question est touteois de savoir si ces entreprises sont plus pro-
ductives parce qu’elles sont vertes ou si elles sont vertes parce qu’elles sont
Par des procédés mathématiques avancés, les deux chercheuses ont
plus productives. Lequel est venu en premier ? « On ne le sait pas, car notre
isolé une multitude de acteurs qui auraient également pu aecter la pro-
étude est ondée sur les données d’une seule année, reconnaît Mme Delmas.
ductivité : le nombre d’heures travaillées, le nombre d’employés, les reve-
On ne peut savoir quelle ormation avait été dispensée avant, par exemple. »
nus de l’entreprise, ses exportations, son secteur d’activité, le sexe des
employés, etc. L’écart de productivité de 16 % à l’avantage des entre- Dans les circonstances, un gestionnaire d’une entreprise « non verte » qui
prises vertes a été calculé en excluant tous ces critères. Une méthode lirait ces résultats devrait-il être incité à adopter l’une de ces certifca-
diérente afchait un accroissement de la productivité de 21 %, mais les tions dans l’espoir de voir sa productivité augmenter ? Mme Delmas hésite.
auteures ont prééré l’option conservatrice. « Ça ne peut pas nuire, dit-elle. Très clairement, il y a dans les entreprises
vertes des systèmes de gestion sophistiqués et des mécanismes qui ont
Trois raisons que les employés sont plus motivés, qu’on attire les meilleurs, etc. Le
« Notre thèse principale, à savoir que les entreprises vertes étaient asso- cercle vertueux doit commencer quelque part. »
ciées à de meilleurs taux de productivité du travail, est confrmée par nos
résultats », écrivent les chercheuses. Elles avancent pour cela au moins
trois raisons.
Premièrement, les auteures avancent que le ait de travailler dans une
entreprise verte crée « une association émotionnelle plus orte entre
les employés et l’entreprise », laquelle se traduirait en une plus grande
productivité du travail. Leur deuxième hypothèse est plus concrète. Les
chercheuses ont considéré comme « vertes » les entreprises dotées de la
certifcation ISO 14001 ou encore d’étiquettes telles que « bio » et « com-
merce équitable ». Or, dans la plupart des cas, le processus de certifca-
tion ou d’obtention de ces étiquettes implique des séances de ormation
du personnel qui ont un eet direct sur la productivité.
Finalement, l’adoption de ces normes suppose généralement une
meilleure communication entre les employés, « ne serait-ce que parce
que les responsables de diérents services doivent se parler et travailler
ensemble », explique au téléphone Mme Delmas. « Les relations interper-
sonnelles et la communication entre employés avec des habiletés dié-
rentes acilitent les échanges de connaissances et peuvent mener à des

Source : Jean-François Codère, Les Affaires, 29 septembre 2012.

La perspective des parties prenantes en gestion signifie que l’organisation, pour


être plus efficiente et plus efficace, se doit de considérer les besoins et les attentes de
divers groupes affectés par ses activités ou qui l’affectent86. L’idée est de considérer
l’entreprise comme un système ouvert à son environnement, et ses partenaires externes
et internes comme une donnée dynamique et non immuable. Dans cette perspective, il
est possible de les « gérer » et de négocier avec eux87.
L’organisation, bien sûr, ne peut satisfaire pleinement toutes ses parties prenantes en
même temps, d’autant plus qu’elles ont des intérêts souvent divergents. Aussi l’entreprise
doit-elle travailler sur les priorités qu’elle doit donner à chaque groupe, en commençant
par le plus puissant88. Mais il ne faut pas négliger pour autant les groupes dont le pou-
voir est moindre, car ils peuvent former des alliances efficaces et gagner beaucoup de
sympathies s’ils sont vus comme étant brimés.
112 partie 2 Le comportement individuel

La RSE est un ensemble d’actions profitant à la société et à l’environnement et, il


faut le noter, au-delà des intérêts financiers immédiats et des obligations légales89. Elle
exprime l’idée que l’entreprise a un « contrat » avec ses parties prenantes de manière à
pouvoir survivre en s’acquittant de ses buts économiques, sociaux et environnemen-
taux90. Cependant, ce ne sont pas tous les penseurs en la matière qui conviennent de ce
contrat, la croissance des profits de l’entreprise devant être prioritaire pour eux91.
En ce qui concerne les mesures qui permettent de mettre en œuvre la RSE, elles sont
semblables à celles, déjà décrites, qui permettent à l’organisation d’être plus éthique
(mission adéquate, audits, codes de conduite, etc.). On peut y ajouter la consultation et
la coopération avec les parties prenantes, comme nous l’avons vu, et avec des organismes
spécialisés comme Global Reporting Initiative (GRI), Global Compact, ISO 26000. etc.
Cette section clôt le traitement des caractéristiques individuelles stables. Maintenant,
conformément au modèle exposé dans la figure 3.1, à la page 89, nous abordons ici
les caractéristiques individuelles variables par le traitement des compétences et de leur
apprentissage, par la perception ainsi que par les attitudes au travail. Les trois premières
seront brièvement évoquées puisqu’elles font l’objet du prochain chapitre. Les attitudes,
par contre, prendront beaucoup d’espace dans ce chapitre-ci.

Les CompétenCes et L’apprentissage : Un aperçU


Les compétences sont la somme des apprentissages de l’individu et de son expérience. Les
compétences sont le produit des aptitudes (c’est-à-dire des talents naturels qui, pour se
concrétiser en compétences, exigent du travail de la part de l’individu) et des habiletés, qui
sont l’ensemble des connaissances et du savoir-faire appris. Les compétences sont d’une
importance majeure pour une performance élevée92. Le défi pour les entreprises consiste
à placer les bonnes personnes aux postes où elles seront les plus efficaces et satisfaites. On
y parvient par la formation et la sélection des individus pour un poste particulier ou par
une modification des postes en fonction des compétences de l’employé (voir le chapitre 7).

La perCeption (dU rôLe) de L’empLoyé


Puisque le sujet de la perception en général sera développé au chapitre 4, disons un
mot sur une perception particulière pour sa capacité de prédiction : la conception que
l’on se fait de son rôle. La conception du rôle indique généralement ce que l’employé a
compris de ce que l’on attend de lui en référence à son poste et comment il remplit ce
rôle. Cette compréhension est cruciale, car elle permet à l’individu d’orienter ses efforts,
d’être motivé pour atteindre les buts qui lui ont été fixés et de coordonner son travail
avec celui de ses collègues.
Malheureusement, les employés ne se trouvent pas toujours dans cette situation idéale.
Par exemple, 76 % des employés canadiens consultés lors d’une enquête disent qu’ils
comprennent bien les buts de l’organisation, mais 39 % d’entre eux affirment avoir des
difficultés à les transposer dans leurs propres tâches93.

Best Buy clarifie le rôle des employés pour le Black Friday


Le Black Friday est le lendemain de l’Action de grâces aux États-Unis et le jour où
l’achalandage dans les magasins est le plus élevé, car les commerces offrent leurs
meilleures réductions sur leur marchandise ce jour-là. Pour faire face à la cohue
annoncée, les employés de Best Buy reçoivent de la formation et ils répètent même
scrupuleusement les rôles et les tâches qui leur ont été assignés. Cette photo montre
le superviseur Kevin Huey orchestrer cette répétition dans un magasin de San Diego94.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 113

Les attitUdes aU travaiL


Les attitudes au travail, c’est-à-dire ce parti pris favorable ou défavorable des gens vis-
à-vis d’autres personnes, objets ou événements, ont toujours été un sujet central en psy-
chologie des organisations. En effet, des attitudes telles que la satisfaction au travail,
par exemple, on le comprend, ont des effets profonds sur le comportement des indivi-
dus, leur performance et celle de leur organisation (voir la figure 3.7). Nous décrirons
dans un premier temps les composantes des attitudes. Nous passerons ensuite en revue
des attitudes importantes et fréquemment étudiées comme la satisfaction au travail,
l’engagement organisationnel et l’implication de l’employé. Parmi les attitudes néga-
tives, le préjugé mérite d’être expliqué ici car, d’une part, la main-d’œuvre actuelle est
de plus en plus diverse et, d’autre part, il est inacceptable, moralement et légalement,
d’exercer de la discrimination envers des groupes peu représentés dans la force de tra-
vail, ce dont nous parlerons également.

La définitiOn et Les COmpOsantes de L’attitude


OA5 Les attitudes sont l’ensemble des croyances et des sentiments qui nous prédisposent à
agir dans un sens défini envers une personne ou un événement95. C’est donc aussi un
attitude Ensemble des parti pris au sens général, un positionnement personnel. Les attitudes englobent trois
croyances et des sentiments dimensions : cognitive (croyances), affective (sentiments) et comportementale (inten-
qui nous prédisposent à agir tion d’agir) (voir la figure 3.8 à la page suivante).
(intention) dans un sens défini
1. Les croyances correspondent à ce que l’on perçoit et à ce que l’on sait de l’objet de
envers des personnes ou des
l’attitude. C’est l’aspect cognitif de l’attitude. Par exemple, on peut penser que les
événements.
fusions entraînent toujours des mises à pied ou qu’elles permettent aux entreprises
de survivre à l’ère de la mondialisation. Ces croyances découlent des expériences et
des apprentissages passés96.
2. Les sentiments proviennent de l’évaluation positive ou négative de l’objet de l’attitude.
Certains pensent que les fusions sont bénéfiques, d’autres non. Le fait qu’on aime ou
non les fusions provient de l’opinion ou du sentiment subjectif à l’égard de l’objet de
l’attitude. C’est la dimension affective.

Figure 3.7 qUatre Catégories d’attitUdes aU travaiL

Engagement
organisationnel

Catégories
Satisfaction d’attitudes Implication
au travail au travail de l'employé

Préjugé
(attitude
négative)
114 partie 2 Le comportement individuel

3. L’intention « comportementale » ou d’agir correspond à la motivation potentielle


d’adopter un comportement particulier à l’égard de l’objet de l’attitude. Ainsi, à la
suite de ce qu’elle sait des fusions (croyances) et des sentiments négatifs qu’elle
entretient à cet égard, une personne pourrait par conséquent envisager de quitter
l’entreprise qui fusionne. Mais la correspondance entre l’intention et l’acte n’est pas
automatique : la personne peut penser à quitter l’entreprise sans nécessairement le
faire (par exemple, elle peut trouver d’autres avantages à son entreprise, qui com-
pensent largement la fusion). Il s’agit de la dimension comportementale.
Il faut noter que les chercheurs donnent de plus en plus de place à l’influence des
émotions dans la formation de nos attitudes97. Le lien entre les émotions et les attitudes
sera traité plus amplement au chapitre 5.
On s’est beaucoup intéressé à la possibilité de mesurer les attitudes (on le verra à pro-
pos de la satisfaction au travail) pour essayer de prédire le comportement (par exemple,
l’absentéisme ou le roulement du personnel). Mais cela n’est pas facile. Notamment,
des attitudes générales ne permettent pas de prédire des comportements particuliers.
Ainsi, des attitudes générales envers la tolérance ou l’ouverture à autrui ne permettent
pas de prédire si un patron engagera des membres de minorités visibles. Selon Ajzen
et Fishbein, des attitudes spécifiques annoncent des comportements spécifiques98. Par
ailleurs, plus il s’écoule de temps entre la mesure de l’attitude et l’observation de cer-
tains comportements, et plus il est probable qu’il n’y ait pas de rapport entre l’une et
l’autre (on le voit dans les sondages). Les attitudes et l’intention d’agir sont également
influencées par les normes, c’est-à-dire les règles de comportement qui poussent un
individu à accepter ou à refuser la conduite qu’il avait l’intention d’adopter. Ces normes
sont d’autant plus fortes qu’elles sont accompagnées de « récompenses » ou de sanc-
tions. Supposons que vous n’aimiez pas avoir de femmes jeunes dans votre équipe (vous
alléguez qu’elles s’absentent souvent, par exemple pour des raisons de maternité). On
pourrait en déduire que votre intention est d’éviter d’en recruter, mais vous ne le ferez

Figure 3.8 trois Composantes de L’attitUde

Environnement perçu

Croyances
(composante
cognitive)

Sentiments Réactions
Attitude
(composante affective) émotionnelles

Intention
d’agir

Comportement
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 115

pas, car ce comportement est inadmissible (norme) et si vous le faisiez, vous risqueriez
d’être sanctionné pour cause de discrimination. Les intentions sont également soumises
aux contraintes (réelles ou supposées) perçues par la personne (dans notre exemple, ce
pourrait être le fait que le processus de sélection soit mené par plusieurs personnes).
Le phénomène psychologique de la dissonance cognitive permet de mieux com-
prendre la relation entre les attitudes et le comportement.

La dissonance cognitive
OA6 C’est le psychologue Leon Festinger qui a introduit cette notion de dissonance cogni-
tive99. Il y a dissonance cognitive lorsqu’une personne perçoit une incohérence, une
dissonance cognitive contradiction ou une incompatibilité entre ses attitudes ou entre ses croyances, ses sen-
Contradiction perçue, d’une part, timents et ses comportements. Cette contradiction crée une tension désagréable qu’on
entre les attitudes et, d’autre cherche à atténuer en modifiant l’attitude générale ou l’un de ces facteurs. Prenons le
part, entre les attitudes et le cas d’Emmanuelle, qui travaille pour ce patron dont elle apprend qu’il n’est pas favo-
comportement. rable au recrutement de jeunes femmes, ce qu’elle réprouve fortement. Pourtant, elle
trouve que c’est un bon patron. Cette discordance de points de vue pourra entraîner
une modification de comportement chez elle visant à réduire la dissonance : elle peut
convaincre son chef d’agir autrement, ou encore changer de poste. Si cela lui est difficile
pour plusieurs raisons (dont les motifs d’ordre économique), elle peut aussi justifier la
situation pour réduire la dissonance : « Le chef est d’une autre génération et il ne peut
comprendre que les choses ont évolué. » Elle peut enfin modifier ses sentiments et ses
croyances en se disant qu’elle est bien payée grâce à lui (et à son travail) et que ce n’est
pas si important que ça, que les gens exagèrent, etc.
Les attitudes sont relativement persistantes, mais elles sont modifiables. Les attitudes
liées au travail ont fait l’objet de nombreuses recherches, du fait qu’elles produisent plu-
sieurs effets (positifs ou négatifs) en entreprise : performance, absentéisme, roulement
du personnel, etc. Parmi les attitudes les plus étudiées en comportement organisation-
nel se trouve la satisfaction au travail, qui fait l’objet de la prochaine section.

La satisfaCtiOn au travaiL
satisfaction au travail La satisfaction au travail décrit l’attitude (positive ou négative) d’une personne à l’égard
Attitude d’une personne à l’égard de son emploi et de son milieu de travail. C’est probablement l’attitude la plus étudiée
de son emploi et de son milieu de en psychologie du travail100. Il s’agit essentiellement d’une évaluation, d’un jugement sur
travail. les caractéristiques de l’emploi, les conditions de travail et les expériences marquantes
dans le milieu de travail. Chez les employés satisfaits, cette évaluation, fondée sur leurs
observations et leurs expériences affectives, est plutôt favorable. En fait, la satisfaction
au travail est un ensemble d’attitudes à l’égard de certains aspects précis du travail.
Par exemple, une personne peut être satisfaite de ses relations avec ses collègues, mais
moins apprécier la charge de travail ou d’autres facettes de l’emploi. Pour la plupart
d’entre nous, la satisfaction au travail est une partie importante de notre vie.
Les employés sont-ils satisfaits au travail ? Cela dépend des personnes, de l’employeur et
du pays. Des enquêtes globales indiquent de façon constante que la satisfaction au travail
est plus élevée au Danemark et dans les pays scandinaves (Suède, Norvège et Finlande), en
Inde et aux États-Unis. Les indices les plus bas de satisfaction se retrouvent dans plusieurs
pays asiatiques101 (la Chine et la Corée du Sud). La satisfaction au Canada est en général
plus élevée qu’ailleurs dans le monde (bien que 40 % seulement de Canadiens se disent très
satisfaits de leur emploi), mais inférieure à celle des États-Unis102 (47 % des États-Uniens
se disent très satisfaits). Au Québec, un sondage révèle que plus de 9 travailleurs sur 10 se
disent satisfaits de leur travail actuel, 50 % se disant très satisfaits et 42 %, satisfaits. Aussi,
90 à 95 % des sujets se disent motivés par leur travail et la même proportion de personnes
affirme trouver un sentiment d’accomplissement personnel dans leur emploi103.
Ces résultats signifient-ils que nous sommes satisfaits de notre travail ? Peut-être bien,
mais sans doute pas autant que les statistiques le laissent croire. Le problème est que
les sondages se composent souvent d’une seule question directe telle que : « Dans quelle
mesure êtes-vous satisfait de votre travail ? » Or, de nombreux employés mécontents
116 partie 2 Le comportement individuel

hésitent à révéler leurs sentiments en répondant à une question ainsi formulée. En effet,
une réponse négative reviendrait à admettre qu’ils ont mal choisi leur emploi et qu’ils
n’éprouvent pas de plaisir dans la vie.
Comment peut-on savoir si les taux globaux de satisfaction ont été surestimés ? En
voici un indice : alors que la plupart des employés canadiens se disent satisfaits au tra-
vail, la moitié d’entre eux répondent qu’ils quitteraient leur emploi si une autre organi-
sation leur offrait un emploi semblable avec un salaire légèrement plus élevé104.
Il faut aussi garder à l’esprit que les valeurs culturelles compliquent la comparaison
de la satisfaction au travail d’un pays à l’autre. Par exemple, les Chinois, les Sud-Coréens
et les Japonais ont tendance à dissimuler leurs émotions en public ; aussi ils évitent sans
doute les réponses extrêmes comme « très satisfait105 ».

La satisfaction t ls réactions d l’mployé (modèl DeLN)


De nombreuses entreprises canadiennes et d’autres se préoccupent beaucoup de la
satisfaction au travail ces temps-ci. Dans certaines organisations, les primes versées
aux cadres dépendent en partie du taux de satisfaction des employés. La raison en est
simple : la satisfaction au travail influe sur un grand nombre de comportements indi-
modèle départ-expression- viduels, comme la citoyenneté organisationnelle et l’absentéisme. Le modèle départ-
loyauté-négligence Les expression-loyauté-négligence (DELN) permet d’organiser et de comprendre les
quatre réactions des employés conséquences de l’insatisfaction au travail. Comme son nom l’indique, ce modèle définit
quant à l’insatisfaction au travail. quatre types de réactions des employés lorsqu’ils sont insatisfaits106.
1. Le départ. Cette réaction consiste à se retirer de la situation en cherchant un autre
emploi, en démissionnant ou en demandant une mutation. Le roulement de la main-
d’œuvre est une conséquence bien établie de l’insatisfaction au travail, surtout chez
les employés qui trouvent de meilleures possibilités d’emploi ailleurs. Des preuves
récentes démontrent aussi que le départ est lié à des « événements-chocs » particuliers,
par exemple un conflit ou des attentes fortement déçues107.
2. L’expression. Ici, l’expression est définie comme toute tentative de modifier la situa-
tion désagréable par la manifestation de ses opinions ou de ses actes plutôt que de
chercher à la fuir. De nombreux chercheurs voient désormais l’expression comme
une réaction très positive ou constructive. Par exemple, l’employé tente de régler le
problème avec la direction ou contribue activement à améliorer la situation. Toute-
fois, l’expression peut parfois prendre des formes de confrontation, par exemple
lorsque l’employé dépose un grief ou qu’il adopte des comportements improductifs
pour forcer le changement108.
3. La loyauté. La loyauté est un concept qui a été décrit de différentes manières109. La
conception la plus répandue est que les personnes loyales sont des employés qui
restent attachés à leur organisation et qui réagissent à l’insatisfaction en se conten-
tant d’attendre que le problème se règle de lui-même ou qu’il soit réglé par d’autres.
Certains décrivent ces employés comme des personnes qui « souffrent en silence110 ».
4. La négligence. L’employé insatisfait peut aussi réagir en relâchant ses efforts, en négli-
geant la qualité du travail effectué ou en s’absentant davantage. La négligence peut
entraîner des conséquences négatives pour l’organisation. Les recherches ont démon-
tré que les employés insatisfaits ont tendance à s’absenter plus souvent, comme nous
le verrons plus loin111.
Laquelle de ces quatre réactions les employés insatisfaits choisiront-ils ? Cela dépend
des caractéristiques des personnes et du contexte112. Par exemple, si les possibilités de
trouver un autre emploi sont faibles, l’employé délaissera l’option du départ. Celui qui
s’identifie à son organisation sera plus enclin à s’exprimer qu’à partir. La personnalité est
un autre facteur qui influence le comportement à adopter. Ainsi, les employés respon-
sables, extravertis ou émotivement stables seront portés à s’exprimer davantage. Enfin,
les expériences antérieures influencent le choix d’une ligne de conduite. Les employés
qui, par le passé, se sont exprimés sans succès auront plus tendance, à l’avenir, à partir
ou à adopter des comportements de négligence s’ils sont insatisfaits au travail113.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 117

Les origines de la satisfaction au travail


On peut trouver un élément de réponse dans deux théories : celle, très connue, dite des
deux facteurs de Frederick Herzberg, et la théorie de la valeur.
Nous ne détaillerons pas ici la théorie de Herzberg114, car elle est aussi considérée
comme une théorie de la motivation (voir le chapitre 6). Rappelons simplement que cet
auteur postule que les employés sont satisfaits si leurs besoins de croissance (appelés
aussi facteurs de motivation) sont comblés, et mécontents quand ils ont de piètres con-
ditions de travail sur les plans de la sécurité et de l’encadrement, par exemple. Ces der-
niers facteurs ne font que prévenir l’insatisfaction sans motiver pour autant les employés.
La théorie de la valeur postule que la satisfaction au travail ne se fera sentir que si
les effets liés au travail (par exemple, les récompenses) sont cohérents avec les résultats
désirés, valorisés par l’employé, quels qu’ils soient (d’où le nom de la théorie)115. L’accent
est mis ici sur l’écart entre ce que l’employé trouve dans son travail et ce qu’il désire.
Plus grand est l’écart, plus grande est l’insatisfaction, à plus forte raison quand il s’agit
d’aspects jugés importants par l’employé (par exemple, l’autonomie au travail). D’où
l’importance de réduire ces écarts et, si cela est possible, de les combler, ce qui est plus
facile à dire qu’à faire ! Cette théorie s’est cependant avérée valide.
Quel rôle jouent le salaire et la personnalité dans la satisfaction au travail ? Pour les
gens vivant au-dessous du seuil de pauvreté, le lien entre ces deux facteurs est élevé.
Mais quand l’employé atteint un certain niveau de rémunération qu’il juge confortable
(environ 40 000 $ au Canada, mais ce seuil varie selon le lieu et la taille de la famille),
cette relation s’estompe116.
La satisfaction n’est pas qu’une question de conditions de travail. La personnalité y
joue un rôle non négligeable. En effet, les recherches montrent que les employés qui
ont confiance en leurs capacités (core self evaluation) ainsi qu’une bonne estime d’eux-
mêmes retirent une plus grande satisfaction au travail que ceux qui font une évalua-
tion négative d’eux-mêmes. Ces derniers ont tendance à se fixer des objectifs peu
élevés et à abandonner aux premières difficultés, ce qui, à la longue, leur apporte de
l’insatisfaction117.
Pour résumer cette section, la figure 3.9 présente quelques façons de susciter la satis-
faction au travail.

Figure 3.9 Comment sUsCiter La satisfaCtion aU travaiL ?

Donner aux employés des tâches qui représentent un défi, qui requièrent
leurs compétences et correspondent à leurs intérêts.

Établir un milieu de travail aux pratiques équitables


(paie, promotions, etc.).

Comment susciter
la satisfaction Établir un milieu de travail sain, c’est-à-dire sécuritaire,
au travail ? confortable et commode.

Créer un milieu social plaisant : collègues et patrons solidaires,


amicaux et empathiques.

Faire de l’entreprise un endroit où l’on a du plaisir à travailler,


un milieu agréable, où l’humour n’est pas exclu et où le stress
est maintenu à un niveau modéré.
118 partie 2 Le comportement individuel

La satisfaction au travail et la performance


OA7 Il existe une croyance qui a la vie dure dans le monde des affaires : un employé heureux
est un employé productif. Est-ce vrai ? Dans les années 1980, les chercheurs en étaient
arrivés à la solide conclusion qu’il existait un lien faible, voire négligeable, entre la sat-
isfaction au travail et la performance118. Aujourd’hui, les preuves démontrent que la
croyance populaire repose sur quelques fondements de vérité et qu’il existe un lien
modéré entre ces deux variables. Par exemple, on a trouvé un lien modéré (et inverse)
entre la satisfaction au travail et l’absentéisme et le roulement du personnel119. Quand
on sait que le remplacement d’un employé coûte environ le salaire annuel d’un spéciali-
ste, par exemple, il est important d’avoir une main-d’œuvre satisfaite au travail. Certains
chercheurs estiment même que la satisfaction au travail rend l’entreprise plus riche
(voir l’encadré 3.4).
Cette corrélation modérée nous conduit à la prochaine question : pourquoi ce lien
entre la satisfaction au travail et la performance n’est-il pas plus fort ? Bien que les
réponses soient multiples, nous en examinerons les trois plus courantes120. L’une
des raisons est que les attitudes générales (comme la satisfaction au travail) ne per-
mettent pas de prédire avec précision des comportements particuliers. En fait, certains
employés demeurent productifs tout en se plaignant (expression), en cherchant un
autre emploi (départ) ou en attendant patiemment que le problème se règle (loyauté).

Encadré 3.4 satisfaCtion aU travaiL et performanCe de L’entreprise

Des employés heureux = une entreprise plus riche ? Il a procédé le plus simplement du monde pour en avoir une idée. Il a tout
d’abord mis la main sur la liste des « 100 Best Compagnies to Work or in
Quand un employé est épanoui dans son travail, il est toujours plus peror-
America », de 1984 à 2009. Cette liste est publiée chaque année depuis
mant. Il y a des études à la pelle qui le démontrent. Mais peut-on pousser
1998 par le magazine Fortune. Elle est établie à partir de questionnaires
le raisonnement plus loin ? Oui. Peut-on armer que des employés heu-
soumis à toutes sortes d’employés et comporte donc un grand nombre
reux rendent automatiquement l’entreprise plus perormante, et même
de questions permettant d’évaluer le niveau de satisaction au travail de
plus rentable ? Impossible à dire, pensez-vous probablement. Eh bien si,
ceux-ci. À noter que, selon l’institut qui dresse cette liste, un « lieu de tra-
la réponse existe. Je l’ai dénichée dans une étude passionnante intitulée
vail agréable » est caractérisé par le ait que « les employés ont conance
The link between job satisaction and frm value, with implications or
envers les personnes pour lesquelles ils travaillent, sont ers de ce qu’ils
corporate social responsability, signée par Alex Edmans, proesseur de
ont et apprécient leurs collègues ».
nance à Wharton. Et elle a des implications intéressantes en matière
de management… Puis, il a compilé tous les résultats mensuels des titres boursiers des
entreprises gurant dans le palmarès de Fortune. Et ce, entre 1984 et
Ainsi, le proesseur de nance a eu la curiosité de se demander si le
2009. Enn, il a regardé s’il y avait une corrélation entre les deux banques
niveau de satisaction des employés pouvait avoir un impact direct sur
de données. C’est-à-dire qu’il a scruté à la loupe si, quand le niveau de
la valeur du titre boursier de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. S’ils
satisaction des employés d’une entreprise bougeait, la valeur du titre
sont globalement heureux, le titre grimpe-t-il en Bourse ? Et inversement,
coté en Bourse évoluait systématiquement dans le même sens.
s’ils sont maussades au travail, le titre a-t-il tendance à reculer ?
Résultat ? Son intuition avait visé dans le mille ! Oui, il y a corrélation : des
employés heureux entraînent une hausse de la valeur de l’action de l’entre-
prise. Le chercheur est même allé plus loin, en comparant la perormance
boursière des entreprises du palmarès de Fortune à d’autres comparables
qui n’y étaient pas. Et il a découvert que celles du «100 Best» voyaient en
moyenne leur titre boursier croître chaque année de 2,4 à 3,7 points de
pourcentage de plus que les autres. Une diérence majeure. M. Edmans
ne s’est pas contenté de ces résultats bruts. Il a tenu à vérier par ailleurs
que cette corrélation n’était pas le ruit du hasard, qu’elle était bel et bien
réelle […]. On peut par conséquent armer (selon lui) sans se tromper
que des employés heureux entraînent toujours des actionnaires heureux !
Le proesseur de Wharton a enn réféchi aux implications de sa décou-
verte pour ceux qui dirigent l’entreprise, en particulier pour les managers.
Il en a identié trois : rendre les employés heureux au travail, miser sur
la responsabilité sociale de l’entreprise et viser le long terme en aaires.

Source : Olivier Schmouker, Les Aaires, 14 mai 2012.


Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 119

Une deuxième raison tient au fait qu’un bon rendement engendre de la satisfaction
au travail (plutôt que l’inverse), mais seulement quand ce rendement est lié à des récom-
penses appréciées121. Le lien entre la satisfaction au travail et le rendement demeure
faible également parce que de nombreuses organisations ne récompensent pas toujours
la performance.
La troisième raison est liée au fait que la variation de la performance peut dépendre
de causes autres que la satisfaction au travail de l’individu : variations économiques
(comme à la bourse), améliorations de la machinerie ou des structures, etc. Le lien entre
la satisfaction au travail et la performance est généralement plus fort dans les emplois
complexes où les employés disposent d’autonomie122.

La satisfaction au travail et la satisfaction du client


Outre le lien entre la satisfaction au travail et le rendement, les chefs d’entreprise (comme
Richard Branson, fondateur du groupe Virgin) sont convaincus que les employés heu-
reux rendent les clients heureux. Ce point de vue est défendu à juste titre, puisqu’il est
étayé par des études réalisées dans les domaines du marketing et du comportement
organisationnel123.
Deux facteurs principaux font en sorte que la satisfaction au travail a un effet positif
sur le service à la clientèle. Premièrement, la satisfaction au travail prédispose l’employé
à se montrer aimable avec le client. Deuxièmement, les employés satisfaits, étant moins
susceptibles de quitter leur emploi, acquièrent de l’expérience et donnent un meilleur
service ; les clients tissent des liens particuliers avec eux, ce qui les fidélise124.
Pour clore cette partie consacrée à la satisfaction au travail, on trouvera dans
l’encadré 3.5 quelques façons de mesurer cette attitude.
Une autre attitude qui a fait l’objet de nombreuses recherches et publications est
l’engagement organisationnel.

L’engagement OrganisatiOnneL
OA8 Vers le milieu des années 1800, Samuel Cunard fondait Cunard Lines, la meilleure flotte
de paquebots ayant jamais sillonné l’océan Atlantique. Ce Néo-Écossais plein d’entrain
a réussi à rendre le transport par bateau fiable et sûr, bien avant qu’on ait cru cela pos-
sible. Pour ce faire, il utilisa les meilleurs navires et il tria sur le volet ses officiers et
ses équipages. Il fit passer la sécurité avant le profit et, en suivant les conseils de ses
experts, il profita des plus récentes innovations techniques. Par-dessus tout, Samuel
Cunard s’appuyait sur la conviction, peut-être démodée, qu’en choisissant les bonnes
engagement organisationnel personnes, en leur versant un salaire décent et en les traitant bien, celles-ci le rendraient
Attitude qui reflète la force en loyauté et en fierté125.
du lien entre l’employé et son Près de 150 ans plus tard, les hypothèses de Samuel Cunard sur l’engagement
organisation. organisationnel ont été solidement étayées par les recherches sur le comportement

Encadré 3.5 qUeLqUes façons de mesUrer La satisfaCtion aU travaiL

Étant donné sa complexité, la satisaction au travail est un concept di- qui appréhende également divers aspects du travail127. L’avantage de ces
cile à saisir. Mais elle est d’une importance cruciale quant à son infuence questionnaires est qu’ils peuvent être administrés rapidement et qu’ils
sur les comportements proessionnels et l’ecacité de l’entreprise. Cette orent des normes de satisaction pour plusieurs corps d’emploi.
attitude peut être mesurée à l’aide de divers instruments, notamment
des questionnaires et des incidents critiques. Un des instruments de La technique de l’incident critique consiste à aire relater par les employés
mesure de la satisaction au travail les plus populaires est le JDI (ou des situations où ils se sont sentis particulièrement satisaits ou insa-
Job Descriptive Index), qui sonde l’opinion des employés sur le travail tisaits (c’est la technique utilisée par Herzberg). L’entrevue (y compris
lui-même, ainsi que sur la paie, les possibilités de développement, le type celle de départ) est une technique qui privilégie le dialogue direct et qui
de supervision et les collègues. Cet instrument s’est avéré able126. Un est riche en enseignement pour détecter les causes de satisaction ou
autre outil bien connu est le Minnesota Satisfaction Questionnaire (MSQ), d’insatisaction.

Note : Ces enquêtes ont été menées en 2007 et en 2008.


120 partie 2 Le comportement individuel

organisationnel. L’engagement organisationnel est l’attitude qui reflète la force du lien


entre l’employé et son organisation. Il ne s’agit pas d’un état homogène puisqu’il peut
revêtir trois formes distinctes.
engagement affectif La première forme, l’engagement affectif, renvoie à un attachement émotionnel de
Attachement émotionnel de l’employé envers son organisation, qui le porte à s’identifier à elle et à s’y investir128.
l’employé et identification de Dans ce cas, les objectifs de l’organisation sont intériorisés par l’employé. La seconde
celui-ci à son organisation. forme, l’engagement de continuité, est une forme d’attachement instrumental, ou par
engagement de continuité défaut129. Elle caractérise les employés qui croient qu’ils ont intérêt à demeurer dans
Attachement instrumental, par l’organisation parce que le coût lié à leur départ serait trop élevé (perte de salaire ou
défaut, basé sur l’évaluation des d’avantages extralégaux, transfert limité de compétences spécifiques, faibles possibili-
coûts liés à un départ éventuel de tés de changer d’emploi, etc.). Enfin, la troisième forme, l’engagement normatif, est
l’organisation. le propre des employés éprouvant un sentiment d’obligation morale à l’égard de leur
organisation. Les trois formes d’engagement sont présentes à des degrés divers chez
engagement normatif tous les employés.
Attachement basé sur un Certains sondages indiquent que la loyauté organisationnelle serait en déclin. Les
sentiment d’obligation morale à résultats de l’un d’eux révélaient qu’il y a plus d’une décennie, 62 % des Canadiens
l’égard de l’organisation. étaient loyaux envers leur employeur130. Comme on peut le voir dans la figure 3.10, ce
taux est tombé à 45 %.
Comment expliquer cette tendance ? D’abord par le fait que la plupart des organisa-
tions ont connu des changements majeurs et récurrents tels que des fusions, des rachats,
des acquisitions et des restructurations, qui rendent leurs valeurs et leurs objectifs loin-
tains aux yeux de bon nombre d’employés. Ensuite, parce que les organisations sont de
plus en plus insérées dans des ensembles multinationaux dont les centres de décision
semblent s’éloigner de la réalité des salariés. Devant cet état de fait, on peut s’attendre à ce
que les employés développent et entretiennent leurs liens d’attachement envers d’autres
entités qu’ils ressentent comme plus proches d’eux que l’organisation. On observe en
effet que, outre l’engagement organisationnel, les employés manifestent différents
degrés d’engagement envers des cibles internes ou externes à l’organisation, comme leur
supérieur, les membres de leur équipe, leurs clients ou encore leur profession.

Figure 3.10 poUrCentage d’empLoyés à travers Le monde qUi sont totaLement


engagés envers LeUr organisation131

75 %

65 %
60 %
60 %
53 %
45 % 47 %
45 %
43 %
40 %
38 %
36 %
30 %

25 %

15 %

0%
Hongrie Moyenne Singapour Royaume Moyenne Canada Moyenne Chine Inde Pologne
Europe -Uni globale Asie

Pays sondés*

* Plus de 134 000 personnes dans 29 pays ont fait l’objet de cette enquête menée par Kelly Services en 2009-2010.
Chapitre 3 La personnalité, les valeurs, l’éthique et les attitudes 121

Les conséquences de l’engagement organisationnel


Les trois formes d’engagement contribuent à réduire le risque de départ volontaire de
l’organisation. Autrement dit, un employé qui s’engage sur un plan affectif, normatif
ou de continuité a plus de chances de rester membre de son organisation. Or, on sait
qu’une main-d’œuvre loyale constitue un avantage concurrentiel significatif pour les
organisations.
Cependant, les trois formes d’engagement ont des effets différents sur la performance
au travail. Les employés qui sont attachés affectivement à leur entreprise fournissent
un rendement légèrement supérieur aux autres, sont plus motivés par leur travail et
sont moins susceptibles de s’absenter. Ils présentent également plus de comportements
de citoyenneté organisationnelle (concept que nous verrons plus loin), qui, sans être
explicitement requis dans le cadre de leur travail, contribuent néanmoins au bon fonc-
tionnement de l’organisation132.
Les mêmes effets se produisent avec l’engagement normatif, mais leur ampleur est
plus limitée, car cette forme d’engagement repose sur une obligation de nature morale
et non sur des émotions positives ressenties à l’égard de l’organisation. En revanche,
l’engagement de continuité, bien qu’il réduise l’envie de partir de l’employé, tend aussi
à réduire son efficacité professionnelle. Des recherches (pour la plupart effectuées au
Canada) ont révélé que les employés qui privilégient fortement l’engagement de conti-
nuité donnent un rendement inférieur et sont moins susceptibles d’adopter des com-
portements associés à la citoyenneté organisationnelle. De plus, les employés syndiqués
sont plus enclins à recourir aux griefs, tandis que les employés qui manifestent un
solide engagement affectif sont portés à trouver des solutions créatives aux problèmes
quand les relations employeur-employé se détériorent133. Malgré ces avantages, au total,
l’engagement organisationnel n’est que modestement corrélé à la productivité134. Une
étude englobant 27 recherches suggère que le lien entre l’engagement et la productivité
est nettement plus fort chez les nouveaux employés que chez les plus expérimentés135.
L’art de gérer l’engagement organisationnel de ses employés consiste donc à augmenter
leur engagement affectif, à stimuler modérément leur engagement moral et à mainte-
nir leur engagement de continuité à un niveau aussi bas que possible.

Les facteurs de l’engagement organisationnel et le contrat psychologique


Il existe de nombreuses manières de construire la loyauté organisationnelle. Néanmoins,
les activités énumérées ci-dessous sont les plus souvent mentionnées dans les docu-
ments de recherche136 :
• La justice, le soutien organisationnel et des valeurs partagées. L’engagement affec-
tif est plus fort dans les organisations qui remplissent leurs obligations envers leurs
employés et qui respectent des valeurs humanistes comme l’équité, la courtoisie,
la tolérance et l’intégrité morale. Ces valeurs sont liées au concept de justice orga-
nisationnelle, que nous aborderons au chapitre 6, qui porte sur la motivation. Les
organisations qui soutiennent le bien-être de leurs employés et valorisent leurs
contributions obtiennent également une plus grande loyauté en retour137.
• La sécurité d’emploi. Les menaces de mise à pied portent le plus grand coup à la
loyauté des employés, même ceux dont les postes ne sont pas immédiatement mena-
cés138. Pour susciter l’engagement, il n’est pas nécessaire de donner aux employés
une garantie à vie. Cependant, les entreprises doivent offrir une sécurité d’emploi
suffisante pour que leurs employés éprouvent un certain sentiment de permanence
et de réciprocité dans leur relation avec leur employeur. Les employés de l’entreprise
DLGL, au Québec, maintes fois honorée pour ses politiques de ressources humaines,
lui sont d’une grande loyauté, en partie parce que cette entreprise sait garder son
personnel.
• La compréhension de l’organisation. Comme un employé engagé affectivement
s’identifie à l’entreprise, il est logique que cette attitude soit renforcée chez les
employés qui sont liés aux événements et aux gens de l’organisation. Plus précisément,
122 partie 2 Le comportement individuel

la loyauté des employés s’accroît si ces derniers sont tenus informés de ce qui se
passe dans l’entreprise (buts, projets, etc.) et qu’ils ont la possibilité d’interagir avec
des collègues de l’ensemble de l’organisation139,140.
• La participation des employés. Les employés ont l’impression de faire partie de
l’organisation quand ils participent aux décisions qui déterminent l’avenir de celle-
ci. De plus, en faisant participer les employés, l’entreprise démontre qu’elle leur fait
confiance, et cela a un impact direct sur leur loyauté141.
confiance Conviction qu’un • Faire confiance aux employés. Faire confiance, c’est être convaincu qu’autrui (organi-
tiers ne nuira pas à nos intérêts sations ou personnes) ne nuira pas à nos intérêts. Nous avons confiance quand nous
en fonction d’accords tacites ou avons des attentes positives par rapport aux intentions et aux actions de l’autre partie
explicites. à notre égard, et plus encore dans des situations menaçantes142. Il s’agit aussi d’une
relation réciproque. Pour gagner la confiance des autres, il faut leur faire confiance.
La confiance joue un rôle crucial dans l’engagement organisationnel, parce qu’elle est
au cœur de la relation employeur-employé. Les employés s’identifient à une organisa-
tion et se sentent tenus de travailler pour elle seulement s’ils font confiance à leurs
dirigeants.
contrat psychologique • Le respect du contrat psychologique. Le contrat psychologique renvoie aux
Croyances d’une personne en croyances de l’employé concernant les obligations réciproques entre lui et son organi-
ce qui concerne les modalités sation (par exemple, celles qui concernent les rôles, les rétributions, l’adhésion aux
et les conditions d’une entente valeurs proclamées, et notamment la sécurité d’emploi, etc.). S’il y a non-respect ou
réciproque entre elle-même et violation du contrat psychologique, l’engagement organisationnel risque d’être forte-
une autre partie. ment touché et de diminuer.
Comme le contrat psychologique repose surtout sur des perceptions, des attentes
et souvent des non-dits, la compréhension de celui-ci peut différer d’un individu à
l’autre. Par exemple, le passage soudain de Richard Dufresne, ex-numéro 2 de la chaîne
d’alimentation Métro, chez son plus grand concurrent Loblaws, en tant que chef de
la direction financière, a fait couler beaucoup d’encre. Il n’aurait donné aucun préa-
vis pour accepter l’offre de George Weston limitée, propriétaire de Loblaws. Peut-on
parler, dans ce cas particulier, de rupture d’un contrat psychologique de la part de ce
cadre ?
Il existe au moins deux types de contrats psychologiques : le contrat transactionnel
et le contrat relationnel143. Le contrat transactionnel repose surtout sur des accords
économiques et des obligations formelles réciproques entre les deux parties. Le contrat
relationnel est une entente à long terme, tacite et explicite à la fois. Il englobe une vaste
gamme d’obligations et d’attentes réciproques, au-delà des considérations économiques.
Les employés démontrent alors un engagement normatif (moral) et des comportements
relevant de la citoyenneté organisationnelle. Selon une étude canadienne, un engage-
ment de continuité de la part des employés est lié à la perception d’un contrat transac-
tionnel, tandis qu’un engagement de type affectif est associé à un contrat psychologique
relationnel144. Les contrats psychologiques changent en fonction des cultures nationales
et de l’évolution des valeurs de la main-d’œuvre. Par exemple, les jeunes travailleurs
canadiens ne s’attendent plus à un contrat à vie avec l’employeur, pas plus qu’ils ne
veulent s’engager jusqu’à leur retraite envers l’entreprise. Une étude de Towers Watson
publiée en juillet 2012 montre que 67 % des Canadiens ne s’engagent pas complètement
dans leur travail parce que l’employeur ne remplit pas ses promesses145.
On peut se questionner quant à la tendance de certaines entreprises à soutenir
par-dessus tout l’engagement de continuité. En effet, de nombreuses entreprises lient
leurs employés financièrement à l’organisation en leur offrant des prêts à faible taux
d’intérêt et des options d’achat d’actions. Ces « menottes en or » sont efficaces pour
diminuer le roulement, mais elles favorisent aussi l’engagement de continuité plutôt que
l’engagement affectif146.
Enfin, l’engagement organisationnel poussé à l’extrême peut avoir certains effets
négatifs. En effet, la loyauté organisationnelle entraîne une baisse du roulement de la
main-d’œuvre, ce qui limite l’apport de nouvelles connaissances et d’idées originales
qui découlent de l’embauche de nouveaux employés. De plus, la loyauté engendre le

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