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Lecture Linéaire : Alain-René Lesage, Histoire de Gil Blas

de Santillane, 1ère Partie, ch.VIII, 1715-1747

Bref rappel de qui était Alain-René Lesage : il est d’abord étudiant en droit, il abandonne
rapidement sa carrière d’avocat et se consacre à la littérature. Il est d’abord traducteur, puis
adaptateur pour le théâtre (ce qui est très en vogue dans le début du 18ème siècle) en
particulier, il imagine une suite à Don-Quichotte. C’est dire si il connaît bien et la littérature
espagnole et la littérature picaresque. C’est à la fois un homme de théâtre et un romancier.
L’histoire de Gil Blas de Santillane est publié en plusieurs étapes de 1715 à 1747. La dernière
édition, en 1747 étant à titre posthume, Lesage mourant quelques mois avant cette dernière
publication. Les livres I à VI sont publiés en 1715, les livres VII à IX en 1724 et enfin un
dernier tome, donc le tome X, avant complément est publié en 1736.
Que nous l’histoire de Gil Blas de Santillane ? C’est un roman picaresque, il répond aux
caractéristiques du roman picaresque d’une part, le héros, Gil Blas traverse toutes les classes
sociales. D’autre part, le texte prend la forme autobiographique. Et exploite chaque expériences
qu’il vit pour en tirer une réflexion morale.

Lesage est un écrivain reconnu du 18ème siècle, il s’est beaucoup intéressé à la littérature
espagnole et à la littérature picaresque au point de faire de son héros un des personnages privilégié
d’un roman picaresque à la française.

Situation du passage : Nous sommes au début du roman. Gil Blas est un jeune orphelin, il
est envoyé par son tuteur à l’université de Salamanque pour y poursuivre ses études. En chemin, il
se fait dépouiller de son argent et, en traversant une forêt, il rencontre des briguants qui l’enlève et
qui le retienne prisonnier. Gil Blas essai de s’évader une première fois mais échoue et donc il décide
de faire semblant d’adhérer à la troupe de briguants (donc de feindre de participer à leurs
expéditions) pour saisir l’occasion de s’enfuir du souterrain dans lequel ils l’ont enfermé et plus
généralement de son statut de prisonnier. Pour cela, il doit faire ses preuves. Il est donc chargé, par
le briguants, de détrousser un moine dominicain. Eux-mêmes vont l’observer à distance et,
immédiatement avant le passage, le moine dominicain a tenté de convaincre Gil Blas de sa pauvreté
et donc a tenté de le persuader de le laisser partir puisqu’il n’aurait rien à lui proposer. Nous
sommes donc devant la première expérience de bandit de Gil Blas.

Projet de lecture : Comment le texte s’emploie t’il à transformer notre personnage d’un héros en un
anti-héros ?

Le texte s’articule en trois mouvements :


Un premier mouvement (des lignes 1 à 9) qui relate le vol réussi de la bourse du moine.
Un deuxième mouvement (des lignes 9 à 16) qui confirme le statut de héros de Gil Blas aux yeux
des autres.
Un troisième mouvement (des lignes 17 à la fin) qui renverse la situation en un coup de théâtre qui
le ridiculise aux yeux de tous et donc aux yeux du lecteur (bien évidemment).
La première partie met en scène un voleur audacieux Utilisation de la formule traditionnelle,
dont le pouvoir est assuré par toute une série d’éléments : qui est ici légèrement remaniée “la
→ Sa position : nous savons que le personnage est à bourse ou la vie“. Cette formule est ici
cheval, on le voit puisqu’à la ligne 9, il met « pied à terre accentué, travaillé pour la rendre plus
» tandis que sa victime, elle, est sur une « mule » ce qui efficace, plus significative, plus
le pose en contre-bas de Gil Blas. Le fait que le cheval dangereuse par conséquent. D’abord, il
soit la monture réservée aux héros assure également son est accentué par l’indice temporelle
pouvoir sur sa victime. C’est aussi cette position qui « tout à l’heure » qui a pour sens
explique le ton et l’autorité dont il fait preuve à l’égard “immédiatement“ et puis, cette formule
du moine. est développée : le moine fait face à une
→ Le discourt directe, qui débute notre passage, atteste à alternative : “vous jetez votre bourse ou
la fois de la fermeté de son discours et de coupé-court je vous tue“. Cette alternative fatale est
aux négociations qui ont été entreprise par le moine (c’est soulignée par la construction de la
là la conjonction de coordination « mais » prend une phrase qui met en relief les deux
fonction de rupture véritablement). Et, en même temps, champs possibles : vous « jetez » - « je
cela atteste aussi de la menace réelle qu’il représente. tue » cela est rendu visible par la
Cette menace s’exprime au travers, d’abord, des séparation rythmique et par la virgule
impératifs « finissons » L.1, « jetez » L.2 par exemple. Et « bourse à terre, ou bien je vous tue » et
puis par toute une série d’autres éléments : d’une part, la part l’utilisation d’une figure de style
mention de la présence de ses compagnons voleurs. que l’on appelle anacoluthe (est une
Alors, c’était déjà mentionné dans le titre du chapitre construction syntaxique de sorte que la fin
d’une phrase n’est plus en harmonie syntaxique
qui était juste au dessus du texte « Gil Blas accompagne avec le reste de la phrase → c’est une rupture
les voleurs » mais ici, ce qui est mis en évidence c’est, de construction). Ici, nous sommes devant
finalement, le double regard que constituent ces voleurs. une ellipse nous devrions avoir une
Ils sont le public de Gil Blas, dont ils vont vérifier la proposition subordonnée hypothétique
capacité de devenir le briguant qu’il prétend être et, « jetez votre bourse à terre, si vous ne
pour le moine, ils sont le public qui le regard obéir aux la jetez pas, je vous tue » tout cela est
ordres du héros. La relative explicative entre virgule rassemblé dans la conjonction de
« qui sont dans ce bois » souligne la présence caché coordination « ou » qui exprime, à elle
mais bien réelle des autres voleurs. Ses compagnons seule, la proposition elliptique qui
constituent donc une pression supplémentaire mais reprendrait les mêmes termes que la
invisible et pourtant terriblement efficace que Gil Blas proposition indépendante précédente
met en avant pour exiger du moine qu’il lui obéisse. c’est-à-dire « jetez », « bourse », « à
Deuxième pression exercé sur le moine : ce qui nous est terre ». Et cette ellipse accélère le
dit de ces voleurs : à savoir qu’ils « s’impatientent ». processus de menace et concentre la
L’intérêt de ce verbe c’est de rendre possible phrase et donc concentre aussi l’effet de
l’imagination du moine qui voit le groupe fondre sur lui danger. Cette autorité est
s’il négocie encore plutôt que d’obéir. immédiatement reconnue par le récit
lui-même.

Le paragraphe suivant, s’ouvre sur une bascule du Alors en même temps, rappelons la situation
discours direct au récit rétrospectif marqué par le c'est-à-dire essayons de visualiser ce qu’il en
passé simple. Ce récit rétrospectif commente ce est. D’un côté, le moine juchée sur sa mule,
qui vient de nous être dit, nous retrouvons, cette une mule dont on nous dit qu'apparemment
fois-ci et dans une forme succincte, la menace qui elle est poussive c'est ce que laisse entendre la
a été formulée précédemment, à la ligne trois, par ligne 8 « Je ne la croyais pas meilleur que celle
le complément circonstanciel « d’un air de mon oncle » ce qui est, évidemment, un
menaçant ». Donc, l’autorité, dont il a fait preuve jugement négatif par la comparaison. Et d'un
et que nous avons vue en acte, est confirmée par la autre côté, donc, le jeune Gil Blas sur son
narration qui lui reconnaît une attitude volontaire, cheval.
puissante et dangereuse.
L'adversaire, donc Comment ?
le moine est, quand → Premier élément : 1ère phrase du paragraphe 2, en montrant la peur qui
même, dans une est la sienne « il sembla craindre pour sa vie ». La réaction de cause à effet
situation qui est nous est souligné par le complément circonstanciel en tête de phrase « à ces
assez peu noble est mots » et le rejet en fin de phrase du résultat même des paroles qui ont été
assez dérisoire donc prononcé : la crainte.
Gil Blas ne s'attaque → Deuxième élément qui montre que le personnage a compris qu'il devait
pas à un ennemi qui céder : il obéit immédiatement au jeune voleur. Lui qui s'était employé
serait véritablement précédemment à négocier, il renonce à toute forme de discours qu'il ferait
dangereux (d'autant appel au raisonnement. L'évocation des figures de rhétorique qu'il jette au
plus qu'il est un visage de Gil Blas, pour montrer qu'il ne fait pas partie de ceux qui y serait
moine). Néanmoins, sensible est la démonstration que celui qu'il a en face de lui est insensible à la
ce moine craint pour raison, est insensible à l'intelligence, est insensible au raffinement même du
sa vie et donc va raisonnement. Qu’il est, au contraire, une force brute physique qui n'entend
souscrire aux ordres pas le discours est à la laquelle donc il faut immédiatement obéir parce qu'il
de Gil Blas. Nous est en puissance. C'est ce qui, finalement, ferai des voleurs des sortes des
arrivons donc, à formes primitives, presque animales face à l'intelligence ou l'éducation. Le
l'intérieur de cette moine stigmatise Gil Blas et ses compagnons dans une formule englobante et
première partie, à méprisante « vous autres » qui les réduit à n'être que des forces brutales.
un second temps qui → Troisième élément : la relation de cause à effet qui est souligné par le
est celui moine, exprimée ici par la conjonction de coordination « donc » et qui rend
précisément de la compte de la relation d'immédiateté entre la menace d'un côté et son effet. Ce
victoire de Gil Blas. que confirme l'absence de choix souligné par la proposition causale «
Le moine réagit puisqu'il le faut absolument » : le moine s’exécute devant la force qui ici fait
immédiatement à ce loi. Il le dit à deux reprises d'abord par le verbe « falloir » qui marque
qu'il a entendu et l'obligation et deuxièmement par l'emploi de l'adverbe « absolument » à
reconnaît qu’il est valeur superlative ici qui signifie “tout à fait“. Donc tout, dans la parole du
vaincu. moine, nous indique la pression dont il est victime et l’efficacité même de la
pression dont il est victime.

Ce jeune voleur et les autres voleurs auxquels → elle est « grosse » et cette taille est soulignée
le moine l’associe - ce qui est une manière de par un détail insignifiant : la « peau de chamois »
le hausser au niveau des autres voleurs « vous qui permet au groupe nominal d'être plus long. Par
autres » - fait de lui un héros. Un héros qui, la diction même, on augmente encore la taille de
comme tout héros, poursuit une quête. En l'objet et donc on augmente la valeur à la fois
l'occurrence, cette quête c'est la bourse qui a monétaire et, sans doute, symbolique de l'objet.
été réclamé depuis la ligne 2, est enfin Néanmoins, un indice nous indique que cette
obtenue aux lignes 5 et 6 « il tira de dessous bourse n'est peut-être pas exactement ce qu'elle
sa robe une grosse bourse » et, ligne 6 il la semble puisque quand Gil Blas la ramasse, elle est,
laisse « tomber à terre ». Le texte met en relief dit-on à la ligne 9, apparemment « pesante » ce qui
cet objet de la quête : la bourse est amplifiée. serait la confirmation de la réussite de notre héros.

Mais, ce qui est intéressant c'est Cette fuite est accélérée, une fois de plus, le moine ne se laisse
le verbe « paraître » parce que ce pas dire deux fois qu'il peut s’en aller : « il ne me donna pas la
verbe paraître laisse supposer peine de répéter » et, c'est renforcé par la manière qu'il a de
une faille. Si elle « paraît » presser la mule, la mule qui lui ressemble puisqu’elle aussi va
pesante c'est peut-être qu'elle répondre à l’injonction par un mouvement bien plus rapide que
n'est pas pesante. C'est peut-être celui auquel on pourrait s’attendre : elle prend « tout à coup un
que le poids qui est le sien est en assez bon train ». Donc, qu’il s'agisse du moine ou qu'il s'agisse
fait un poids de peu de valeur. À de sa mule, les deux finalement ne faisant qu'un, le moine
ce stade là, le verbe d’état montre, prouve, par la réussite de son action, la valeur de Gil
semble tout à fait anodin tant la Blas. Reste maintenant à faire que cette valeur soit reconnu
fuite du moine semble confirmer évidemment par ses acolytes qui vont sortir du bois au sens
que Gil Blas a réussi propre et au sens figurer et, éventuellement, qu'elle soit
véritablement son coup. confirmé par le contenu de son butin.

Gil Blas a donc réussi son épreuve ce que la seconde partie 1 : On nous le dit, ils l’« attendent ».
du texte va confirmer puisqu'il s'agit, à proprement parler, de 2 : Ce que dit le chef des voleurs,
la reconnaissance du héros par ses nouveaux pères que son « Rolando », qui insiste sur la
les brigands. Ce passage s’inscrit directement dans la surveillance et sur l'observation qui
tradition des romans chevaleresques où le héro triomphant a été la sienne « j’ai eu les yeux sur
vit cette sorte de moment de gloire où il est reconnu par tous toi pendant ton expédition » =
pour l’exploit qu’il vient d’accomplir. Le terme “exploit“ est Premier temps. Deuxième temp =
celui qui figure dans la seconde partie du titre du chapitre par « J’ai observé ta contenance ».
lequel le texte est inauguré. Ainsi, donc, le récit souligne la L’attitude de Gil Blas a été
réussite de l'épreuve imposée à Gil Blas. Plusieurs éléments décortiquée, analysée et c’est
dans le texte nous rappellent que ce qu’il s'est passé apparemment en toute
précédemment c'est fait sous surveillance et qu'il s'agissait connaissances de cause que les
véritablement d'un moment de jugement, un moment théâtral voleurs le félicitent et reconnaissent
mais aussi un moment où un verdict allait être rendu. en lui un futur « grand » parmi eux.

On remarque également que cette seconde Comment ?


partie fait directement écho à la précédente 1er élément : l'accélération temporelle indiquée
puisqu'on n'y retrouve les mêmes termes : dans la phrase « À peine me donnèrent-ils le temps
dans le début de notre texte, on évoqué de descendre de cheval » → l'adverbe de temps
« l'impatience » des camarades et ici, notre lancé en tête de phrase souligne la quasi
segment s’ouvre sur la même notation : les simultanéité entre le moment où Gil Blas descends
voleurs « attendaient avec impatience ». Mais de cheval et la précipitation de ses compagnons sur
là où l'impatience, qui était celle des lui pour le féliciter.
brigands, portée sur leur envie d'intervenir 2ème élément hyperbolique : le choix du verbe
(pour trucider éventuellement le moine), ici, « s'empresser » qui souligne la fièvre qu’ils mettent
il s’agit de marquer une autre forme de à venir tous le toucher, le prendre dans leurs bras
réussite donc le féliciter de sa victoire. Ces pour valoriser son action.
félicitations sont à la hauteur de l'exploit. 3ème élément : l’intensif « tant » qui souligne
Elles sont donc marquées par l'hyperbole. l’ardeur qui est la leur.

Cet empressement autour de Gil Blas est Mais, ces paroles prononcées sont, elles aussi,
confirmé par le discours direct formulé par le hyperbolique. Le vocabulaire nous le montre
chef des brigands donc, « Rolando ». bien sûr : le choix du terme « merveilles », le
Ce discours direct ajoute donc des félicitations, choix de l’adjectif « excellent » et on pourrait
cette fois-ci non plus seulement racontées, mais même ajouter l’expression « voleur de grand
rapportées. De la même manière que nous chemin » (puisque cela nous renvoie
avions eu avant un discours direct dans le récit, évidemment à un imaginaire de vol d'ampleur,
ici nous avons des éléments du récit et ensuite de vol de qualité par opposition à des petits
discours direct. larcins qui pourraient être le tout venant du
voleur). On pourrait ajouter enfin un dernier
terme qui serait « expédition » qui grandirait
encore la mission-même dont aurait été chargé
Gil Blas. Une expédition c'est un projet que l'on
met en place et que l'on mène à bien. Ici, le
projet est, quand même, tout à fait relatif
puisqu'il s'agit de détrousser un moine.
Cette déclaration donc, volontiers Et comment le font-ils ?
hyperbolique, dont la construction, Par l’utilisation d’une litote « je ne pouvais manquer de
également, ne cesse de progresser : l’accomplir quelque jour » cette tournure négative a une
On remarquera que « Rolando » valeur positive : “j’étais certain d’accomplir ce destin“. Gil
s'exprime en phrase qui sont des Blas, si l'on en croit à ce moment de l'histoire, est promis à
phrases relativement courtes et un extraordinaire avenir. Il en a, à ce moment-là, peut-être
simples (« Tu viens de faire des conscience. Quoi qu'il en soit, le héros, dans la fin de ce
merveilles » - « J'ai eu les yeux sur second temps, assume respectueusement cette nouvelle
toi pendant ton expédition » - « J'ai fonction en marge de la loi. Cela nous est dit en deux temps :
observé ta contenance »). La d'abord, l’image de sa Reconnaissance envers la parole qui
construction est systématiquement vient d'être tenu : il les remercie. Et, il montre à la fois le
para-tactique mais elle prépare la respect qu'il a pour eux et ça déférence (=Considération
dernière phrase, la plus importante respectueuse à l'égard d'une personne, et qui porte à se conformer à
bien sûr aux yeux de « Rolando » ses désirs et à sa volonté) puisque ce dont il les remercies c'est
celle de l'avenir même qui se de l’image qu’ils lui renvoient. Et deuxième temps, il
dessine pour Gil Blas, la prédiction s'engage à être à la hauteur de cette image donc il « promet »
qui va être rendue par celui qui a le nous dit-on et on voit que cette promesse, véritablement, est
savoir en matière de vol et de une promesse d'importance, dont l'enjeu est capital par la
bandits à savoir, donc, « un tournure d'insistance « tous mes efforts » et ici, le
excellent voleur ». Cette déclaration déterminant doit être accentuée : il a cette valeur de
personnelle de « Rolando » est renforcement et, bien sûr, le complément circonstanciel de
renforcée par l’assentiment général but « pour la soutenir » donner corps et chaire à ce qui,
qui consacre, littéralement, la valeur jusqu'à présent, n'est qu'une opinion.
de l'exploit. À la parole donc de Ce qui est intéressant ici c'est que le personnage montre bien
« Rolando » répond l’ensemble des les deux volets. Pour l'instant, Gil Blas est un voleur en
comparses « Les autres » nous dit- devenir : il est une sorte d’ébauche d’un voleur donc il
on qui participent tous : ils appartient à un concept. Et, ce à quoi il s'engage c'est à
« applaudissent » à la prédiction. On transformer cette image en une réalité matérielle. Gil Blas,
remarque que la réaction est en deux semble, à ce moment-là, avoir oublié que son intention
temps : d'abord, ils reconnaissent la n'était pas de devenir un voleur emporter par cet élan, grisé
qualité du chef → donc ils en quelque sorte par le succès. Le personnage semble
applaudissent à ce que vient de dire adhérer aux valeurs négatives qui sont celles des voleurs. La
le chef et, deuxième temps, ils réalité qui va se retourner contre lui dans la dernière partie
garantissent la parole du chef en la va, évidemment, le ramener à ce qu’il est c’est-à-dire Ni un
confirmant → donc ils assurent Gil voleur ni même la promesse d'un grand voleur simplement
Blas de la véracité de ce qui vient un jeune homme qui s'est fait abuser par un moine plus
d'être dit. intelligent que lui.

Le troisième temps est le temps Comment cela nous est-il montré ? En opposant ces deux
du coup de théâtre qui renverse la directions donc d'un côté l'impatience des brigands qui est
situation en faisant passer Gil Blas soulignée par le redoublement de l'impératif « voyons » - «
d’héros spectaculaire à anti-héros. voyons » et l'hypothèse formulée par l'un d'entre eux pleine
Dans un premier temps donc, un d'espoir : « Elle doit être bien garnie car ces bons pères ne
coup de théâtre va intervenir et voyagent pas en pèlerin ». Cette hypothèse est fondée sur
c’est sur ce coup de théâtre que le l'expérience d'une part et surtout sur l'image traditionnelle est
troisième et dernier paragraphe comique associé aux moines dans toute la littérature médiévale
s'ouvre. Coup de théâtre comique, et de la Renaissance. (C’est-à-dire que les moines, on la
bien sûr, fondée sur le décalage réputation d'être bon vivant et finalement de s'attacher plus aux
entre la joie et l'attente d'un valeurs matériels qu’aux valeurs spirituelles ce qui expliquerait
résultat spectaculaire, d'un côté, et qu'ils soit représentés souvent comme gros et gras et intéressés
la désillusion de l'autre. par l'argent qu'ils dissimulent sous leurs robes).
Cette hypothèse est présentée comme une quasi certitude ce
que nous indique la construction de la phrase en deux temps :
« Elle doit être bien garnie car » et la conjonction de
coordination à valeur causale qui vient donc, à l’avance
confirmer l’idée que la réussite de Gil Blas est totale : à la fois
dans les faits et par les résultats qu’il va pouvoir montrer. Tout
est réuni pour que le butin soit particulièrement spectaculaire.
De l’autre côté, et bien à la triste réalité insiste, au contraire,
sur l'absence de contenu. D'un côté, cette bourse avait été
qualifié, à la ligne 18, de « butin » c'est-à-dire le tribu qui est
payé par l'ennemi vaincu aux victorieux. À ce terme
butin ,vont s'opposer toute une série de terme qui disent, au
contraire, la petitesse et même, par antiphrase, l'absence
complète de valeur de ce qu'ils ont gagné.

Comment cela nous est-il indiqué ? L'ironie, ici, est double. D'une part, le butin n’est pas
1 → une faible quantité « deux ou trois celui auquel on pourrait s’attendre : la lourde « bourse »
poignées » nous dit-on, « quelques ne contient que quelques misères mais ces misères ne
scapulaires ». Donc, à un ensemble, sont même pas monnayables au sens strict puisqu'ils
nécessairement volumineux, répondent renvoient au salut de l’âme et non pas à une monnaie
des éléments nombrables seulement et d’échange terrestre va-t-on dire. On est donc, ici, dans le
surtout caractérisés par leur petit dénouement d'une scène de farce fondée sur le principe
nombre. bien connu de la farce : tel est pris qui croyait prendre.
2 → À cette faible abondance, s’ajoute la Dans cette farce, le dindon est évidemment Gil Blas
faible valeur. Donc faible quantité = parce que Gil Bla va, en un principe parfaitement
faible qualité : on peut compter ses burlesque, devenir un héros ridicule. Le récit, à partir de
médailles par « poignées » ce qui la ligne 21, confirme cet effet comique : le renversement
signifie qu’elles n’ont pas de valeur ironique Et indiquer dès le début de cette nouvelle
intrinsèque et, le terme même de phrase, par l'hilarité générale qui s'empare de tout les
« petites » nous renvoie à la taille est à la voleurs et qui confirme la dimension “farcesque“ de la
piètre valeur marchande que ses situation. Le spectacle, « à la vue » nous dit-on, qu'ils
médailles peuvent avoir. C’est confirmer découvrent provoque le rire incoercibles de tous les
par le matériau même qui est utilisé : le participants : des rires « immodérés » nous dit-on à la
cuivre. À l’or et l'argent répond la ligne 22. L’ensemble des compagnons de Gil Blas ne
dernière valeur qui n'en a aucune : le peuvent s'empêcher de rire au et fort. Le personnage de
cuivre. → Ce qui était intéressant dans Gil Blas devient, par conséquent, ridicule. En fait, ce
ce butin, c'est que, à cette faible valeur dont rient les personnages c’est d’abord de la situation «
marchande s'ajoute la nature même du à la vue du larcin » c’est l’objet même qu'ils
contenu c'est-à-dire des éléments contemplent qui provoque le rire. Mais, la conséquence
religieux : « des médailles » - « des de ces rires, c’est qu’ils vont se transposer, non pas, sur
Agnus Dei » - « des scapulaires ». La ce qu’ils voient mais sur l’origine même de ce qu’ils
nature religieuse de ce contenu fait voient, de ce qui en est la cause : c’est-à-dire Gil Blas.
sourire parce qu’il est absolument Gil Blas devient ainsi ridicule puisque c'est sur lui que,
inadapté à ceux qui volent, qui sont près par contre-coup, va se concentrer l'ironie des voleurs.
à tuer pour s'emparer de l'argent d'autrui.

Comment ? Que nous disent c'est trois phrases ?


→ par antiphrase dans le discours direct du D'abord, que la moquerie est aussi hyperbolique
lieutenant. Ce discours direct s'ouvre par une que l’ont été les louanges → répétition de ces trois
exclamation qui salue ironiquement la valeur phrase + l’utilisation du numérale « mille » à
religieuse du contenu « vive Dieu ! ». Et, en valeur hyperbolique. Autre caractéristique, bien
même temps, bien sûr, le lieutenant va sûr, l’origine-même de ces rires : la moquerie du
poursuivre la métaphore religieuse en lieutenant va trouver un écho chez ceux qui,
évoquant la nature salutaire du vol. L'adjectif précisément, sont des personnes dont les mœurs
“salutaire“ est celui sur lequel se déploie toute sont déréglés donc ils sont d’autant plus à même de
l'ironie du lieutenant puisqu’il ne s’agit pas, comprendre la moquerie anti-religieuse du
ici, d’une utilité matérielle pour la bande de lieutenant qu’ils sont eux même des hommes qui
voleur ce que serai l’argent si il y en avait se sont des hommes qui se sont mis en marge de la
dans la bourse mais du salut de leur âme de fois par leur immoralité, par leurs crimes. Pour
leur âme de pêcheurs. Ici, ce qui est mit en eux, la plaisanterie a d’autant plus de sel qu’ils
valeur c’est inefficacité de ce que vient de sont perdus à la cause religieuse. Le rire envahit
faire Gil Blas. Et la suite, va, d'ailleurs, littéralement le texte créant un groupe soudé dans
poursuivre la démythification du héros qu'il l’appréciation du comique de la situation :
était devenu puisque, par une sorte de l’ensemble des brigands et puis de l’autre, un
contagion, les rires qui étaient déjà personnage isolé : le personnage de Gil Blas qui,
extrêmement immodérés vont se répondre, se lui, reste, non pas insensible au rire, mais, au
multiplier. Après que le lieutenant a parlé, on contraire, humilié par la moquerie qui s'exerce
voit que la plaisanterie se répand : « en attira contre lui ce que nous indique la phrase
d’autres » nous dit on à la ligne 24. Toutes les extrêmement brève qui conclue notre texte « Moi
phrases suivantes montrent, précisément, seul je ne riais point » et qui souligne l’opposition
comment se répand la moquerie à l'écart de entre eux, donc les scélérats et le « moi ».
Gil Blas : Trois phrases disent la même chose ↘ On voit donc comment au groupe réponds
« en attira d’autres » - « commencèrent à l’unique. Comment, à la pluralité des rires, répond
s’égayer sur la matière » - « il leur échappa l’incompréhension et la colère face à l’humiliation.
mille traits ».

Conclusion : Les trois étapes de notre passages mettent en valeur l'échec du héros dans son
exploit et illustrent la thématique traditionnelle de la farce telle que l’on peut la trouver chez
Molière : le trompeur trompé. Le modèle héroïque du chevalier sur son destrier est détruit : Gil Blas
est ridiculisé et il est même moqué : ce n'est pas la société qui fera l'objet de la satire mais bien le
héros lui-même et donc, assume cette fonction d’anti-héros qui est caractéristique du roman
picaresque. La déception-même qui caractérise Gil Blas à la fin (qui est donc coupable de naïveté
mais qui, en même temps, qui se sentait humilié d’être rejeté par les autres brigands laisse à penser
qu’il aurait aimé, lui pourtant souhaitait faire semblant d’être un brigand pour pouvoir s’évader,
aurait aimé être reconnu comme tel par ceux qui l’avaient enlevé donc, il n'est peut-être pas si moral
que cela. Et, en conséquence, il n’est pas certain que le plaisir que nous prenons à lire ce texte
amène à cette instruction que pourtant Lesage a prit soin de rappeler dans l’adresse au lecteur qui
ouvre Gil Blas où l’on trouve un message assez similaire à celui que l’on va trouver chez Prévost ou
dans d’autres auteur de ce siècle et qui dit la chose suivante : « si tu lis mes aventures sans prendre
garde aux instructions morales qu’elles renferment, tu ne tireras aucun fruit de cet ouvrage mais, si
tu le lis avec attention, tu y trouveras, suivant le précepte d’Horace, l’utile mêlé à l’agréable » . Cela
résonne véritablement comme l’Avis au lecteur de Prévost et on voit bien comment ce passage de
l’immoralité est du mal pourrait être mis en relation avec certaines des aventures de Des Grieux et
en particulier, bien sûr son évasion de la prison.

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