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Cognition et schizophrénie Elle assure la conservation durable de
l’information, en favorisant l’apprentissage.
Les informations retenues seront conso-
S. Harrois*, F. Ferreri*, C.-S. Peretti**
lidées en fonction de leur importance
émotionnelle et de leur répétition.
Anatomiquement, elle repose sur le cir-

L es troubles cognitifs observés chez


des patients souffrant de schizophrénie
sont principalement des troubles de l’atten-
pour évoquer les mémoires sensorielle,
visuelle, auditive et tactile. La mémoire
visuelle, par exemple, permet la formation
cuit de Papez (dit aussi “circuit hippo-
campo-mamillo-thalamique”, car les liens
entre corps mamillaires et hippocampe
tion (sélective et maintenue), des troubles de l’image d’un objet à partir de la rétine. sont macroscopiquement évidents) (6)
de la mémoire et des fonctions exécu- La mémoire à court terme (MCT), encore (figure 1).
tives. La mémoire de travail, la mémoire appelée “mémoire de travail”, est un Elle permet également de conserver les
explicite et la mémoire contextuelle système à capacité limitée dont l’empan souvenirs des faits anciens.
sont déficitaires tandis que la mémoire est en moyenne de sept plus ou moins
implicite (automatique) est préservée, deux éléments. Cette mémoire immédiate À chaque souvenir, sa mémoire
notamment la mémoire procédurale. Cette permet de maintenir et de manipuler sur La mémoire épisodique, ou mémoire
diversité des déficits cognitifs observés une durée brève (moins de 30 secondes) des événements, comporte la mémoire
dans la schizophrénie ne nous permet une information. C’est à elle que l’on autobiographique grâce à laquelle un indi-
cependant pas de spécifier un profil doit, par exemple, le fait de garder en vidu peut se rappeler son passé person-
cognitif type des patients schizophrènes. mémoire un numéro de téléphone le nel, par exemple un voyage à Marrakech,
Nous ferons, dans un premier temps, un temps de pouvoir le composer. L’infor- et se remémorer consciemment et délibé-
court rappel des différents composants mation est rapidement perdue si elle rément ce qu’il a vécu en se situant dans
de la mémoire ainsi que de l’attention n’est pas préservée par la répétition. un contexte temporel et spatial précis.
et des fonctions exécutives. Nous expo- La mémoire de travail n’est pas réduc- Elle comporte aussi le souvenir des évé-
serons ensuite les déficits fonctionnels tible à un système de stockage passif ; elle nements n’ayant pas impliqué l’indivi-
liés à ces capacités cognitives dans fonctionne comme un système pouvant du, par exemple l’assassinat de Kennedy
la schizophrénie, ainsi que les outils stocker mais aussi manipuler les infor- en 1963.
d’évaluation psychométrique susceptibles mations, permettant le maintien temporaire La mémoire sémantique permet l’ac-
d’être utilisés pour orienter le diagnostic. de l’information à la conscience, favorisant quisition, le stockage et la récupération
ainsi l’accomplissement de tâches comme des connaissances générales. C’est une
le raisonnement, la compréhension, la mémoire didactique qui concerne des
Mémoire, attention résolution de problèmes (3). informations dont l’évocation est
et fonctions exécutives : Selon Baddeley et Hitch (4), cette
mémoire de travail comporterait trois
dépourvue de toute référence à l’histoire
personnelle du sujet, comme le fait de
définition de ces différentes composantes : la boucle phonologique, le savoir quelle est la capitale de la France.
fonctions cognitives bloc-notes visuo-spatial et un adminis-
trateur central. La première permettrait
Contrairement à la mémoire épisodique,
la mémoire sémantique ne met pas en
La mémoire : véritable patchwork le stockage des informations verbales jeu de référence au contexte spatial et
d’entités (auditives ou visuelles), la seconde inter- temporel.
La mémoire sensorielle est un système viendrait dans le maintien temporaire La mémoire épisodique et la mémoire
de représentations perceptives. Les infor- des informations visuelles et spatiales ; sémantique peuvent être regroupées
mations sensorielles y sont maintenues quant à la dernière, elle permettrait le sous le terme de mémoire déclarative ;
fugitivement (200 à 300 ms) sous forme de monitorage de deux tâches différentes en effet, elles font l’objet du discours.
traces (1, 2). On parlera de mémoire sen- simultanées (1, 2, 5). La mémoire procédurale correspond
sorielle iconique, échoïque ou haptique La mémoire à long terme (MLT) permet au savoir-faire, aux automatismes. Elle
d’utiliser des apprentissages antérieurs, rend possible l’acquisition d’habiletés
comme la conduite automobile ou la motrices, perceptives et cognitives. Elle
* Service de psychiatrie des adultes,
CHU Robert-Debré, Reims. reconnaissance d’un visage familier, n’est pas consciente (on peut savoir faire
**Professeur de psychiatrie, hôpital mais aussi de comprendre le monde quelque chose et ne pas se souvenir de
Saint-Antoine, Paris. environnant. l’avoir appris) et comprend plusieurs

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met de mobiliser ces ressources sur la
Piliers du fornix
Hippocampe Corps mamillaires cible, et le traitement du distracteur ne
sera effectué que dans la mesure où des
ressources résiduelles peuvent encore y
Faisceau de
Cortex entorhinal Vicq d'Azyr être affectées. En situation d’attention
partagée, les ressources sont divisées
entre les différents traitements, ce qui
Gyrus cingulaire Noyau antérieur du thalamus confère la possibilité de faire deux
Figure 1. Le circuit de Papez. choses à la fois. En revanche, l’atten-
tion focalisée concentre ces ressources
entités, l’une d’elles étant le support du Lorsque les consignes ne font pas direc- sur un seul traitement, ce qui améliore
conditionnement classique. La mémoire tement référence à l’apprentissage anté- le niveau de performance.
procédurale ne peut s’exprimer que dans rieur, on parle de mémoire implicite.
un comportement manifeste ; elle n’est Elle comprend la mémoire procédurale, Le contrôle de la réponse
pas verbalisable (2, 7). C’est d’elle dont c’est-à-dire les habiletés et automa- et de l’activité
dépend, par exemple, le fait de savoir tismes (skill learning), et la mémoire Le traitement de l’information utilise deux
jouer au bridge sans avoir en permanen- perceptive. Le sujet apprend là à son insu. types de processus : les processus auto-
ce les règles présentes à l’esprit. matiques et les processus contrôlés (8).
Dans les épreuves fonctionnelles cogni-
tives, on utilise le dispositif de la tour de
L’attention : quatre composantes Les processus automatiques fonction-
nent de manière non consciente et non
Toronto. Ce dernier est constitué d’un essentielles délibérée ; ils ne consomment pas de
socle en bois, de trois tiges et de quatre La sélection de l’information ressources attentionnelles ; ils sont irré-
disques de couleurs différentes empilés Isoler dans une foule de gens le visage pressibles et extrêmement rapides.
sur la première tige. Le jeu consiste à attendu ou ne suivre dans le brouhaha Le fonctionnement contrôlé s’effectue
faire passer les disques sur la troisième d’une salle de réunion que la conversa- en revanche de manière consciente et
tige en respectant des règles précises. Le tion des voisins constituent des manifes- intentionnelle ; il exige de l’attention et
surentraînement confère au sujet la tations familières, mais complexes, du il est plus lent.
capacité à automatiser la résolution, traitement de l’information. Il s’agit, en
c’est-à-dire l’acquisition d’une habileté effet, de sélectionner une petite quantité L’attention soutenue
cognitive (skill learning). d’informations parmi toutes celles qui La nature de la tâche, la nature des
nous environnent au même instant (8). entrées (auditive ou visuelle), le degré
À chaque type de consigne, L’objet sélectionné (la cible) apparaît
perceptivement plus saillant que l’objet
d’expertise ou le caractère plus ou
moins automatique des compétences
une forme de mémoire non sélectionné (le distracteur). La concernées et l’inégale importance de la
Selon les “consignes” données au moment notion de filtre est souvent utilisée pour charge mentale en mémoire de travail
de la récupération de l’information, le type décrire cette opération qui implique un constituent autant de facteurs suscep-
de mémoire sera différent. On parlera processus de tri entre la ou les cibles et tibles d’interagir avec le niveau de vigi-
ainsi de mémoire explicite ou implicite. les distracteurs simultanément présents. lance, d’éveil, la durée de l’exercice et,
Lorsque les consignes font référence enfin, le moment de la journée où se
explicitement à la séance d’apprentissage Les ressources attentionnelles déroule la tâche (8).
et à son contexte, on parle de mémoire Selon le modèle de Kahneman (1973), le L’intérêt, la motivation, l’âge du sujet
explicite. Ainsi, lorsque l’on demande à système cognitif humain disposerait de sont également à prendre en compte lors
un sujet de rappeler les mots d’une liste “ressources mentales” n’existant qu’en de la réalisation de l’activité concernée.
présentée préalablement, on sollicite sa quantité limitée et qui détermineraient la
mémoire explicite. On fait référence qualité, l’efficience ou la profondeur du Les fonctions exécutives
directement (explicitement) au moment traitement cognitif effectué. Plus les res- La plupart des fonctions du lobe frontal
précis où le sujet a appris la liste. Ce sources seraient investies dans une tâche, sont rassemblées sous le terme de fonc-
type de mémoire requiert une remémo- meilleur serait le traitement correspon- tions exécutives, ce qui ne veut pas dire
ration consciente des informations apprises dant, et inversement (8). La focalisation que le lobe frontal soit chargé de fonc-
et, souvent, un effort de la part du sujet. attentionnelle sur un type de cible per- tions d’exécution (2). Le lobe frontal est

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chargé du contrôle de la mise en œuvre Les patients souffrant de schizophrénie cohérence de la remémoration consciente,
des actions (executive cognitive control) ont des difficultés à conserver la repré- que l’on peut rapprocher des sensations
par l’anticipation, le choix des buts à sentation d’une information contextuelle, de morcellement et de discontinuité psy-
atteindre, la planification, la sélection c’est-à-dire la représentation interne chique observées chez le patient souffrant
adéquate (qui requiert le choix d’une d’une information construite et mainte- de schizophrénie. Ce déficit de la remé-
réponse et l’inhibition des autres), la nue en mémoire de façon à être utilisée moration consciente pourrait expliquer
surveillance du déroulement et la vérifi- pour donner une réponse comportemen- pourquoi le sujet schizophrène ne peut
cation du résultat obtenu. tale appropriée à une situation (4, 11). utiliser le souvenir d’un événement
Il existerait un déficit des associations passé pour contrôler de manière appro-
Les déficits cognitifs entre l’information cible et l’informa-
tion contextuelle, ce qui perturberait les
priée son comportement, son affectivité
et ses croyances. L’évaluation des perfor-
des patients schizophrènes processus de remémoration consciente. mances en mémoire explicite s’effectue
Définition de la schizophrénie La mémoire contextuelle est en effet grâce aux épreuves de rappel.
C’est Kraepelin qui, en 1890, définit le déficitaire, quel que soit le type des infor- Le rappel libre nécessite d’organiser l’in-
premier cette pathologie alors dénom- mations contextuelles, qu’il s’agisse de la formation et impose une remémoration
mée “démence précoce”. fréquence de survenue d’un événement consciente du contexte d’apprentissage.
Aucune anomalie neuropathologique spé- ou d’un contexte particulier. Il est plus exigeant qu’une épreuve de
cifique n’avait pu être mise en évidence Les épreuves d’empan mnésique (digit reconnaissance, et les patients schizo-
chez les patients atteints de démence span), où il faut retenir dans un ordre phrènes y ont donc une performance plus
précoce. On restait pourtant persuadé inverse des chiffres énumérés préalable- déficitaire. Le déficit dans les épreuves
que des anomalies cérébrales ayant ce ment, sont de bons indicateurs du déficit de rappel peut être corrélé aux troubles
caractère de spécificité seraient bientôt en mémoire de travail. de l’attention, car le rappel libre exige
découvertes (9, 10). Selon la définition du L’épreuve d’empan visuo-spatial, comme des processus attentionnels contrôlés.
DSM-IV, pour répondre au diagnostic de l’épreuve des cubes de Corsi (12), De même, lorsque l’on demande aux
schizophrénie, le sujet doit présenter une consiste à pointer du doigt une série de sujets le rappel d’un texte, ils ont des
idée délirante bizarre ou au moins deux cubes dans un ordre déterminé à repro- difficultés à prendre en considération
autres symptômes caractéristiques (hallu- duire ensuite. Les patients schizophrènes l’organisation interne du texte, c’est-à-
cinations accompagnées d’idées délirantes, ont un faible empan dans ces épreuves et dire à utiliser les informations fournies
trouble du cours de la pensée, symptômes leur vitesse de traitement est diminuée. par le contexte verbal, ce qui entraîne
catatoniques et symptômes négatifs), avec Les performances diminuées au Stroop une diminution de leurs performances.
un dysfonctionnement social. confirment le déficit en mémoire contex- L’altération de la mémoire contextuelle
tuelle. Les patients souffrant de schizo- et la perte de la capacité de représenta-
phrénie ont des difficultés à utiliser tion d’une situation ou d’un acte peuvent
Des altérations mnésiques l’information contextuelle pour inhiber expliquer l’altération de la mémoire
La mémoire de travail la réponse automatique de lecture du explicite. Dans la vie quotidienne, cela
Composante de la mémoire à court mot lors de la tâche d’interférence. peut se traduire par l’oubli d’avoir ren-
terme, la mémoire de travail est un sys- contré telle personne à tel endroit.
tème de stockage à capacité limitée. La mémoire explicite Plusieurs études ont montré l’existence
Garder en mémoire un numéro le temps On retrouve chez le sujet schizophrène une d’une corrélation entre les symptômes
de pouvoir le communiquer est un dissociation, reflétant celle qui caractérise négatifs de la schizophrénie (émoussement
exemple courant de la mise en œuvre de la maladie, entre les tâches explicites et des affects, apragmatisme et pauvreté du
cette mémoire de travail. Les patients implicites (11). discours) et les déficits mnésiques.
schizophrènes ont une mémoire de tra- Ainsi, les performances des sujets schi- Il semble que ces symptômes interfèrent
vail déficitaire, ce qui les rend inca- zophrènes sont perturbées en ce qui avec l’effort des sujets, c’est-à-dire que
pables de conserver présente à la concerne la mémoire explicite, avec une les sujets aient une vitesse de traitement
conscience une information le temps de altération constante de la fonction de des informations ralentie. Cela affecte-
la soumettre à d’autres opérations cogni- rappel, tandis que celles des processus rait les performances mnésiques, notam-
tives. L’oubli du but d’une action en de mémoire implicite sont comparables ment la mémoire verbale : par exemple,
cours de réalisation va profondément à celles des sujets témoins. dans une épreuve de rappel immédiat puis
désorganiser leur comportement. On constate, notamment, une perte de la différé d’histoires (subtest du Wechsler),

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les performances des patients souffrant de la réaction d’habituation. En effet, demandant au patient de réagir à un seul
de schizophrénie sont diminuées. Elles le Tissot constate que, chez l’hébéphrène des stimuli. Les patients schizophrènes
sont d’autant plus si les sujets ne sont pas (schizophrène jeune), l’attention sélecti- ont des difficultés à sélectionner le
conscients de leurs symptômes négatifs. ve est constamment mobilisée, puisque signal cible. Dans une épreuve de double
La sévérité des symptômes négatifs tous les stimuli sont considérés comme tâche, les patients rencontrent les mêmes
affecterait également la mémoire de tra- nouveaux. difficultés. Cela peut se traduire dans
vail spatiale. En effet, la vitesse de trai- Les tâches attentionnelles habituelle- la vie quotidienne par des difficultés
tement de l’information étant ralentie, ment utilisées dans les bilans cognitifs à répondre à un interlocuteur lorsqu’ils
on peut noter un temps de dénomination des patients schizophrènes sont : sont engagés dans la lecture d’un livre ;
des couleurs plus long (épreuve du – le span apprehension test ou le CPT – les épreuves de masquage postérieur
Stroop) ainsi que des performances défi- (continuous performance test), qui sont mettent en évidence de faibles perfor-
citaires dans l’épreuve des codes (digit des tâches de discrimination dans les- mances chez les schizophrènes. Dans ce
symbol substitution test). quelles il s’agit de détecter le plus rapi- type d’épreuve, un stimulus cible pré-
dement possible un stimulus cible pré- senté sur un écran est suivi d’un masque
La mémoire implicite senté parmi des stimuli distracteurs (par (une série de croix) brouillant la cible, ce
La mémoire procédurale, mémoire auto- exemple, reconnaître un “A” parmi qui gêne considérablement la reconnais-
matique et inconsciente, correspond à l’ac- d’autres lettres) exposés pendant un sance de cette dernière et augmente le
quisition des habiletés perceptives, cogni- délai très bref. Dans les épreuves atten- temps d’identification.
tives et motrices (cognitive skill learning). tionnelles, les patients souffrant de schi-
Elle est préservée chez les schizophrènes. zophrénie présentent des performances En résumé, le déficit observé dans les
On utilise le dispositif de la tour de Toronto déficitaires ; ils ont des difficultés à épreuves évaluant l’attention sélective
dans l’évaluation de cette mémoire. Dans détecter et à repérer un signal parmi des chez les schizophrènes se traduit par une
cette tâche de résolution de problèmes, les distracteurs. Leurs performances témoi- diminution des capacités de détection (par
patients schizophrènes ont des difficultés à gnent d’un nombre réduit de bonnes exemple, traverser la rue au feu vert), une
changer de stratégie ; ils persévèrent dans réponses et d’un nombre élevé de fausses augmentation des phénomènes d’interfé-
l’erreur, incapables de s’autocorriger. alarmes (fausses reconnaissances) ; rence quand la tâche requiert le traitement
L’automatisation est cependant épargnée simultané de deux stimuli (comme lire
chez ces patients. – le Stroop (14) est une épreuve qui avec de la musique) et une perturbation
permet d’évaluer la sensibilité à l’inter- des procédures d’inhibition (Stroop).
Des altérations des capacités férence. Les sujets reçoivent, dans cette
tâche, la consigne de nommer la couleur
Le déficit attentionnel peut être dû aux
troubles du traitement de l’information
attentionnelles… de l’encre de mots présentés par écrit, contextuelle que rencontrent les patients
L’attention sélective comme le mot “vert” écrit en caractères souffrant de schizophrénie. En effet, ils
Les patients schizophrènes présentent rouges, qu’ils devront dénommer “rouge”. ont des difficultés à exploiter les infor-
des troubles de l’attention sélective ; ils La réponse correcte suppose d’inhiber la mations contextuelles, par exemple dans
témoignent de difficultés à extraire une réponse automatique (la lecture du mot) la reconnaissance d’un stimulus (11). Se
information spécifique d’un contexte au profit d’une réponse contrôlée (la remémorer avoir vu quelqu’un quelques
comportant plusieurs informations. lecture de la couleur de l’encre), plus jours plus tôt en se rappelant le nom de
Lorsque l’on demande la signification coûteuse en attention. Cette gymnastique la personne, son métier, les circons-
d’un panneau à un jeune conducteur qui exige une division de l’attention. Les tances exactes de la rencontre témoigne
écoute de la musique, on sollicite son patients souffrant de schizophrénie ont des bonnes capacités de remémoration
attention sélective. Les tâches d’évalua- des performances très perturbées dans consciente de l’information contextuelle.
tion de l’attention sélective mettent en cette épreuve ; ils sont très sensibles à Si l’on ne se souvient pas de tous les
évidence chez les schizophrènes, par l’interférence (les épreuves automatiques détails, mais simplement du visage de la
comparaison à des témoins, un allonge- sont davantage préservées car moins coû- personne (sentiment de familiarité),
ment significatif du temps de réponse teuses en ressources attentionnelles) ; notre conduite sera différente, bien plus
après l’apparition du stimulus, ainsi – la tâche d’écoute dichotique, qui “déficitaire”, témoignant d’un état de
qu’un ralentissement moteur. consiste en une présentation simultanée conscience perturbé. Le patient schizo-
Les troubles de l’attention sélective pro- de deux stimuli auditifs différents (par phrène est en permanence confronté à ce
viendraient, selon Tissot (13), du défaut exemple, deux mots) dans un casque, en type d’état de conscience (15).

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L’attention soutenue – Le trail making test (Reitan, 1958) et symptômes pathologiques par des
L’attention soutenue correspond au fait de version A consiste à relier une série de anomalies cognitives. Le modèle de
focaliser durablement son attention sur 25 points repérés par des nombres. On Cohen et Servan-Schreiber repose sur
une seule information. Une des épreuves mesure le temps de réalisation et le l’hypothèse qu’une seule et même ano-
permettant d’évaluer cette fonction nombre d’erreurs. Cette première partie malie, notamment un trouble de la
attentionnelle est l’épreuve de barrage permet d’évaluer l’attention. Les schizo- représentation interne du contexte,
(encore appelée “épreuve d’annulation phrènes y sont généralement plus lents permettrait d’expliquer les troubles
de symboles”). Les sujets doivent biffer que les témoins. attentionnels, de la mémoire de travail,
le plus d’items cibles en un temps limité. La version B évalue les fonctions exécu- du langage et de la perception chez les
Le nombre d’items biffés chez les patients tives. Le sujet doit toujours y relier patients souffrant de schizophrénie.
schizophrènes est moindre, manifestation 25 points mais, cette fois, alternative-
de leur distractivité. ment repérés par des lettres et des
nombres (1, a, 2, b, etc.). Les schizo- Conséquences
Des altérations des fonctions phrènes “oublient” d’alterner les séries
et ne prennent en considération que les de ces troubles cognitifs
exécutives chiffres ou les lettres. C’est une fois de Les conséquences des troubles cognitifs
Les fonctions exécutives entrent en jeu plus leur mémoire de travail qui est se traduisent par des altérations des
dans la planification d’une action. Leur responsable du déficit. capacités d’adaptation des sujets schizo-
atteinte est responsable d’un déficit – Enfin, la tour de Toronto, la tour de phrènes et de leurs habiletés fonction-
comportemental, d’une baisse de l’effi- Londres ainsi que la tour de Hanoi, qui nelles, en particulier celles nécessitées
cacité et d’une perte d’autonomie. sont toutes trois des épreuves similaires par les interactions sociales et interper-
– Le WCST (Wisconsin card sorting test) de résolution de problèmes, peuvent sonnelles et les actes de la vie quoti-
mesure l’aptitude du sujet à élaborer et à aussi mesurer les capacités de planifica- dienne (16, 17).
changer d’hypothèses (règles abstraites). tion des sujets. En règle générale, les Il a notamment été démontré l’existence
Le sujet doit apparier des cartes en fonc- sujets souffrant de schizophrénie ont un d’un lien entre déficit cognitif et capa-
tion de trois critères : le nombre (1, 2, 3 temps de réponse plus long ainsi qu’un cité de résolution de problèmes dans le
ou 4), la couleur (bleu, jaune, rouge, nombre de déplacements plus important contexte de la vie sociale, la demande et
vert) et la forme (triangle, croix, rond, que les sujets contrôles. Il y a, chez eux, le besoin de suivi médical, le niveau de
étoile). Il doit proposer une carte à l’ex- un déficit dans la résolution de pro- compétence sociale. Ce retentissement
périmentateur, qui indique, en fonction blèmes, sans déficit dans l’apprentissage des troubles cognitifs paraît donc impor-
d’une règle abstraite non formulée ver- des habiletés. tant à considérer pour optimiser la prise
balement, si l’appariement proposé est en charge des patients et, en particulier,
correct ou pas. Après une série de pour envisager leur réhabilitation sociale.
réponses, l’examinateur change la règle, Les troubles cognitifs selon Frith,
le sujet devant découvrir la nouvelle
règle d’appariement. Cette épreuve met
Cohen et Servan-Schreiber Conclusion
en jeu plusieurs opérations cognitives : Selon le modèle élaboré par Frith (16), Les déficits cognitifs des patients schi-
l’élaboration de concepts, la capacité à le sujet souffrant de schizophrénie pré- zophrènes étant principalement des
tester une hypothèse et le changement senterait une perturbation de la repré- troubles de l’attention sélective et main-
des règles du jeu. La mémoire de travail sentation consciente de ses propres buts, tenue, des troubles de la mémoire et des
apparaît comme une condition nécessai- qui serait à l’origine d’une altération : fonctions exécutives, l’exploration fonc-
re, mais pas suffisante, à l’exécution ◗ du contrôle de l’action ou des inten- tionnelle cognitive de ces patients doit
correcte de la tâche. tions : impulsivité, oubli du but d’une comporter une mesure de ces différentes
Chez les patients schizophrènes, on action en cours ; fonctions cognitives.
observe des erreurs persévératives, ◗ du contrôle des intentions d’autrui : Diverses tâches d’évaluation cognitive
c’est-à-dire des difficultés à changer les interprétation délirante des propos ou de peuvent être utilisées dans le but de pré-
règles de classement. Leurs perfor- l’attitude d’un tiers, par exemple l’appa- ciser les déficits ; elles ne sont cepen-
mances déficitaires dans cette tâche rition d’un épisode délirant de persécution dant pas spécifiques de l’exploration
reflètent des dysfonctionnements du lors d’un interrogatoire médical banal. des performances des schizophrènes.
lobe frontal. Ce modèle cherche à expliquer les signes D’autres épreuves d’évaluation peuvent être

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utilisées, comme le test de Grober et
Buschke ou l’échelle de Wechsler pour la
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EFFEXOR
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