Vous êtes sur la page 1sur 41

Université IBN ZOHR

Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales


D’Ait Melloul

Département Economie et Gestion

Master Analyse et Politique Economiques

Option : Analyse Microéconomique et Politiques de Développement


territoriales

Support de cours

Matière : Economie des Transports Urbains


Semestre : 3

Professeur : Hassan REHAIMI

Année Universitaire : 2023/2024

1
Introduction :

Ce cours a pour objet d’étudier les apports des théories de la justice sociale en matière
des transports urbains.

D’abord, nous allons passer en revue, brièvement, les théories de la justice sociale en
nous concentrant sur les travaux poignés en la matière ; il s’agit principalement de
l’approche utilitariste et les théories égalitaristes (on se limitera juste aux apports des auteurs
précurseurs des théories égalitaristes : John Rawls et Amartya Sen).

Ensuite, nous allons passer un survol de la littérature d’économie des transports est
nécessaire avant d’examiner les déclinaisons des théories de la justice sociale en matière des
transports urbains. Cela s’explique par le fait que le système des transports urbains est un
système « sanguin » des villes contemporaines.

Enfin, ce qui nous intéresse ici, quels apports des théories de la justice sociale en
matière des transports urbains ; surtout dans un contexte qui est le notre où existe des villes
caractérisées par le phénomène de ségrégation sociale et où la quête d’un développement
durable est une préoccupante des aménageurs urbains.

2
§.1. Les théories de la justice sociale : un survol théorique
Nous proposons d’analyser plus amplement, d’un point de vue théorique, les principes
qui fondent les théories de la justice sociale. Ces théories ont introduit des conceptions
multiples, divergentes et complexes de l’équité. Eu égard aux objectifs qui sont les nôtre,
nous ne rentrerons pas dans le détail des différentes théories et des nombreux prolongements
qu’elles ont suscités.
Ainsi, nous commencerons d’abord à étudier l’approche utilitariste et l’analyse coûts-
avantages. Ensuite, nous examinerons les approches égalitaristes comme une alternative à
l’approche utilitariste. Premièrement, nous s’intéresserons à la théorie de la justice sociale
proposée par John Rawls et deuxièmement nous finirons cette sous section par l’étude de
l’apport d’Amartya Sen.

1. L’approche utilitariste et l’analyse coûts-avantages :


Les fondements des outils de l’évaluation des choix d’investissements publics
notamment dans le domaine du transport relèvent du calcul économique – analyse coûts-
avantages - qui repose sur la représentation d’un système à l’aide d’une théorie
microéconomique normative : l’utilitarisme. Ce cadre d’analyse a longtemps constitué le
cadre dominant de la réflexion éthique des économistes1. Sous des conditions de concurrence
pure et parfaite, la finalité de l’utilitarisme est de maximiser la satisfaction ou le bien-être
collectif. L’utilitarisme entend ainsi satisfaire les préférences de tous les individus, avec pour
seule restriction qu’elles soient rationnelles. L’utilitarisme peut être qualifié de
conséquentialiste dans le sens où les politiques sont jugées en fonction des conséquences
qu’on peut, avec plus ou moins de certitude, leur attribuer. Il est également individualiste,
dans le sens où l’évaluation d’une politique se réduit à « l’agrégat des biens individuels et
le « tout social » […] n’excède pas la somme des parties » (Arnsperger et Van Parijs, 2003)2 .
Enfin, il est qualifié de welfariste3, car la seule chose qui intervient dans l’évaluation est le
bien-être, mesuré par l’utilité, des individus et de la société.

1
Arnsperger et Van Parijs distinguent quatre courants de la réflexion contemporaine en éthique économique
et sociale : L’utilitarisme, le libertarisme, le marxisme et l’égalitarisme. (Arnsperger C. et Van Parijs P. (2003).
« Ethique économique et sociale ». Coll. Repères, Paris, La Découverte, p.12).
2
Ibid. p.16.
3
Le welfarisme se réfère chez les économistes à l’économie du bien être qui se définit comme une branche de
l’économie qui stipule que le bien être collectif est conçu comme étant l’agrégation du bien être de chacun des
individus composant la société.

3
Les critiques et les limites de l’analyse coûts-avantages et de l'utilitarisme sont
largement abordées dans la littérature. En effet, on peut fortement reprocher à l’utilitarisme
de passer à tort de la maximisation du bien être individuel à la maximisation du bien être
collectif. L’utilitarisme fait comme si la société n’était constituée que d’un seul individu
« représentatif » de l’ensemble des individus et de ce fait ne prends pas en compte leurs
diversités et pluralités ainsi que le droit que chaque individu a de poursuivre et de réaliser
ses propres désirs.
De même, la conséquentialité de l’utilitarisme qui implique que seuls comptent les
résultats des actions ou des politiques, peu importe leur nature intrinsèque. La norme de
justice utilitariste peut ainsi légitimer la discrimination raciale si la majorité des individus
est raciste car elle n’exclut pas les préférences illégitimes au départ (préférences égoïstes,
discriminatoires…).
L’autre limite éthique de l’utilitarisme est liée au fait que cette approche ne prend pas
en considération la question de la répartition du bien-être au sein de la population ; elle
évacue de fait toute considération redistributive. De plus, le critère de maximisation de
l’utilité collective, par le biais de l’égalisation des utilités marginales, conduit à une
répartition favorable aux plus avantagés (Gamel .C, 1992)1. En matière de choix des
investissements de transports, par exemple, cette méthode revient à encourager les
investissements les plus rentables « Ce sont les zones les plus denses, celles qui connaissent
des problèmes de congestion, généralement situées dans les régions développées bénéficiant
d’un niveau initial d’accessibilité élevé, qui bénéficient ainsi de ces investissements »2.
L’utilitarisme participe par conséquent à l’exacerbation des différences de conditions
initiales, résultat peu compatible avec les valeurs des sociétés démocratiques modernes.
Ainsi si l’on se réfère à l’utilitarisme, aucune compensation n’est envisagée pour les
individus défavorisés (pauvres, chômeurs, handicapés), tandis qu’on augmentera les
avantages des individus dont les goûts dispendieux maintiennent leur utilité à un niveau
relativement faible.
La nouvelle économie du bien-être, initiée par Pareto, tente de limiter ces dérives en
instituant le principe « de moindre sacrifice du plus petit nombre » comme critère de justice.
Une situation est juste lorsque le sort d’un individu ne peut être amélioré sans détériorer,

1
Gamel .C, (1992), Economie de la justice sociale. Repères éthiques du capitalisme, Editions Cujas, Paris.
2
Bonnafous .A et Masson .S, (1999), Evaluation des politiques de transports et équité spatiale. Document de
travail n° 99/02. Laboratoire d'économie des transports, p : 5.

4
même faiblement, celui d’au moins un autre individu. La notion d’ordinalité des préférences,
préférée à celle de cardinalité, rend cependant impossible la comparaison et la mesure des
différences d’utilité et joue comme une contrainte supplémentaire puisqu’elle suppose un
accord unanime de la société afin d’aboutir à la situation pareto-optimale. Ce contexte, plus
respectueux des préférences individuelles, restreint cependant fortement le champ
d’application de la théorie utilitariste.
Concernant la prise en compte des inégalités, la nouvelle économie du bien-être
présente la même défaillance que l’utilitarisme traditionnel : rien n’est dit sur la manière
dont les ressources se répartissent entre les individus à partir du moment où le critère de
Pareto est respecté.
Sur la base de cet ensemble de critiques, qui s’est adressé à l’approche utilitariste, que
s’est développé une autre approche alternative dite égalitariste. Cette dernière vient combler
les limites de l’approche utilitariste. Elle a été proposée et développée principalement par
John Rawls et Amartya Sen. Nous examinerons, dans ce qui suit, successivement les apports
de chacun de ces auteurs.

2. L’opposition de Rawls : Le libéralisme égalitaire


Les travaux de Rawls constituent le référent principal des débats suscités sur la justice
sociale. La conception de la justice comme équité proposée par Rawls, apparait comme une
alternative de taille à l’utilitarisme.

2.1. Biens premiers et principes de justice :


Pour Rawls1 la justice doit être la qualité première des institutions sociales. C’est elle
qui régit la répartition des biens premiers sociaux. Ces biens correspondent aux ressources
élémentaires nécessaires à la satisfaction de n’importe quel type de préférences. Il propose
une liste comportant cinq catégories de biens premiers sociaux : a) les libertés
fondamentales, b) les opportunités offertes aux individus, c) les pouvoirs et privilèges, d) les
revenus et la richesse, ainsi que, e) les bases sociales du respect de soi2. Ces biens sont
qualifiés de « premiers » car ils sont désirés par toutes personnes rationnelles et de « sociaux

1
Rawls .J, (1971), Théorie de la justice, Seuil, édition 1987, Paris
2
Les trois dernières catégories de biens sociaux premiers correspondent aux avantages socio-économiques que
les individus retirent de leur position sociale.

5
» parce qu’ils sont directement sous le contrôle des institutions économiques, sociales et
politiques de la société.
Pour définir les principes de justice selon lesquels ces biens doivent être distribués,
Rawls envisage une situation hypothétique dans laquelle chaque agent serait placé sous un
voile d’ignorance. Sous ce voile chacun ignore sa place dans la société, ses qualifications,
ses dons naturels ou encore ses traits caractéristiques. Les individus ont tous le même poids,
ils diffèrent entre eux mais sont égaux dans l’ignorance. Ce subterfuge permet à Rawls de
définir un contrat social à travers lequel les individus s’accordent de manière consensuelle
sur un système commun de principes de justice. Ceux-ci sont considérés comme rationnels,
ils ne reposent ni sur la bienveillance ni sur la malveillance des individus (Cazenave et
Morrisson, 1978)1.
Deux principes de justice sont issus de cette négociation :
1. Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés
de base pour tous, qui soit compatible avec un même système de liberté pour
tous (principe d’égale liberté) ;
2. Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :
- elles doivent être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans
des conditions de juste égalité des chances (principe d’égalité des chances),
- elles doivent procurées le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés
de la société (principe de différence).
Le premier principe régit la distribution des biens de la première catégorie (a). Le
principe d’égalité des chances régit la distribution des opportunités (biens de la deuxième
catégorie (b)), tandis que le principe de différence énonce que les avantages socio-
économiques (c,d,e) doivent être distribués à l’avantage des individus les plus défavorisés
(Maguain, 2002)2.
L’ordre entre ces principes est lexical : c’est-à-dire que le principe d’égale liberté est
prioritaire par rapport au principe d’égalité des chances, lequel est lui-même prioritaire par
rapport au principe de différence. Ainsi, il n’est pas envisageable que l’amélioration de la
situation des plus défavorisés se réalise au détriment des libertés fondamentales ou conduise
à une restriction du principe d’égalité des chances.

1
Cazenave .P et Morrisson .C, (1978), Justice et redistribution, Economica, Paris
2
Maguain .D, (2002), « Les théories de la justice distributive post-rawlsiennes : une revue de la littérature »,
Revue économique, Volume 53, N° 2, pp : 165-199.

6
2.2 Priorité aux plus défavorisés
Selon la théorie rawlsienne les individus doivent disposer des mêmes libertés de base
et d’une juste égalité de chances. La question de la responsabilité individuelle n’est pas
éludée (Fleurbaey, 2003)1. La société doit répartir de manière équitable les moyens dont les
individus ont besoin pour mener leur vie, mais chacun reste maître de son propre destin. Les
inégalités qui résultent d’une concurrence loyale entre les individus sont justes.
De façon plus originale, le principe de différence, conduit à rendre les inégalités
acceptables si elles concernent la répartition des avantages socio-économiques (c, d, e) et
dans la mesure où elles bénéficient aux plus défavorisés. Cette répartition doit se faire selon
le principe du maximin qui consiste à maximiser ce qu’une personne en position minimale
peut obtenir. Ce critère, formulée sous la forme d’une priorité accordée aux défavorisés,
intègre une articulation des objectifs d’efficacité et d’égalité.
Le principe de différence est cependant relativement complexe à mettre en œuvre car
il suppose d’évaluer l’ensemble du système social et économique et la place des plus
défavorisés dans ce système lorsque l’on introduit une modification de son
fonctionnement. Ainsi, ce principe est à l’origine de la politique de discrimination positive
appliquée dans plusieurs secteurs tels l’éducation, la santé, etc. (par exemple : sous la forme
d’un impôt négatif sur le revenu).
Par son contenu, mais également par les débats suscités, la théorie de la justice comme
équité a été l’objet d’une production intense. Plusieurs critiques lui ont été adressées,
notamment le fait que Rawls ne s’intéresse pas aux biens premiers naturels (santé, talents),
ce qui ne lui permet pas d’envisager de compensation en cas de handicaps. De même, Rawls
envisage une juste répartition des moyens permettant d’accéder au bien-être sans se
préoccuper de l’usage que les individus font de ces biens compte tenu de leurs aptitudes. Cet
aspect est l’objet des prolongements proposés par Sen.

3. Sen et le raisonnement en termes de « Capabilités2 » :

1
Fleurbaey .M, (2003), « La société démocratique face aux inégalités : quelle conception de l'égalité ? »,
Cahiers français, n°314, pp. 18-23.
2
La traduction linguistique de « Capability » en capacité est un néoligisme et un raccourci linguistique, qui
peut être corrigé en utilisant le terme de « capabilité ». Dans ce qui suit nous utiliserons au même temps les
notions suivantes qui correspondent à la traduction de « Capability » et qui sont utilisées dans la littérature :
capacités, capabilités, opportunités, possibilités ou encore « chance ».

7
Comme Rawls, Sen rejette l’approche utilitariste standard. Cependant, tout en
reconnaissant l’importance de la contribution de Rawls, Sen s’en démarque nettement. Il
critique l’égalité des biens premiers sociaux telle qu’elle est présentée chez Rawls car pour
lui la diversité et l’hétérogénéité des individus supposent des quantités différentes de biens
pour satisfaire les mêmes besoins.
Sen (2000) montre que certains individus traversant des « situations d’adversité et de
privations persistantes » peuvent avoir malgré tout un niveau de satisfaction subjective élevé
et échapper au processus de redistribution utilitariste. Il argumente en faveur d’une prise en
compte objective des situations individuelles car l’approche subjective est «
particulièrement appauvrissante lorsqu’on se trouve en présence d’inégalités solidement
implantées »1. Certains être humains sont dans une gêne en raison d’une oppression
politique, culturelle ou économique : qu’en est-il de leur choix ? Peut-on réellement parler
de liberté et d’égalité pour ces individus ?
Pour Sen la relation entre le bien-être des individus et la quantité de biens premiers
sociaux auxquels ils accèdent n’a rien de mécanique. Les individus disposent de capacités
très inégales pour atteindre leurs objectifs, même s’ils ont accès à la même quantité de biens
sociaux. Ces différences de « potentialités » sont liées aux caractéristiques physiques ou
intellectuelles des individus ainsi qu’à l’environnement naturel, social, politique ou culturel
dans lequel ils évoluent. Les individus ont donc besoin de quantités différentes de biens
primaires pour satisfaire les mêmes besoins.
Pour aller au-delà des ressources, Sen utilise le concept de functionning, concept
intermédiaire entre la possession d’un bien et l’utilité qu’il permet d’obtenir. Un
functionning est une réalisation à laquelle l’individu peut aboutir compte tenu de ses
capacités et des biens dont il dispose. Selon la manière dont la personne utilise les biens qui
sont en sa possession, elle peut atteindre plusieurs vecteurs de functionning. L’ensemble de
ces vecteurs constitue ses « capabilités ».
« Dans l’évaluation de la justice fondée sur la capabilité, les revendications des
individus ne doivent pas être jugées en fonction des ressources ou des biens premiers qu’ils
détiennent respectivement, mais de la liberté dont ils jouissent réellement de choisir la vie
qu’ils ont des raisons de valoriser »2. Sen soutient ainsi qu’une répartition juste doit garantir
un niveau de possibilités identique pour tous les individus. Les capabilités des individus

1
Sen .A, (2000), Repenser l'inégalité, Seuil, Paris, p : 23.
2
Ibid., p : 122.

8
constituent la principale dimension sur laquelle la répartition doit agir pour atteindre
l’égalité.
Cependant l’approche reste relativement floue dans ces modalités opérationnelles. Sen
ne précise pas réellement les capabilités qu’il convient d’égaliser, de même rien n’est dit sur
l’ordre de priorité entre les différentes capacités. En revanche, l’adoption d’une approche
objective ainsi que la volonté de rendre compte des différentiels de capabilités, nous
semblent des pistes de réflexion riches et pertinentes dans l’évaluation des situations
sociales.
La théorie de Sen se situe dans une logique qui met l’accent sur les opportunités
offertes aux individus plutôt que sur les résultats et qui tient compte de l’hétérogénéité des
individus et donc de ce qui fait l’objet ou non d’une politique redistributive. Dans une
perspective similaire on trouve les travaux d’Arneson (1989), de Cohen (1989), de Roemer
(1998) et de Fleurbaey (1996)1. Ces auteurs divergent sur l’appréhension de ce qui relève de
la responsabilité individuelle et de ce qui est de la responsabilité de la société. Dans l’optique
de Sen, les capacités des individus sortent du domaine de leur responsabilité.

Au terme de cette analyse rapide sur les grands courants actuels des théories de la
justice sociale. Nous posons l’interrogation suivante : quelles déclinaisons de ces théories en
matière des politiques des transports urbains ?
Avant de répondre à cette interrogation, il est intéressant d’abord de passer,
brièvement, en revue l’économie des transports urbains. C’est ce que fera l’objet de la sous
section suivante.

§.2. L’économie des transports urbains :


La thématique des transports urbains s’intéresse aux déplacements des biens et des
personnes dans une zone urbaine (ou métropolitaine) ainsi que l’offre et la demande de
déplacements et des infrastructures de transport.
Dans une perspective de court terme, les décisions de déplacement sont contraintes par
l’objectif, la fréquence, le timing, la destination et le mode de déplacement. Aussi, à long
terme sont influencées par la localisation résidentielle et celle du lieu de travail, qui sont
fixées, également par la possession d’un véhicule et par la disponibilité de différents modes
de transport à la localisation résidentielle.

1
Cité in : Maguain .D, (2002), Op.cit.

9
Dans ce cadre là, nous tenterons de voir comment la littérature économique analyse
les transports urbains. Pour ce faire, nous commencerons par l’étude de la modélisation du
système de transport urbain, l’un des trois sous système de la ville. Ensuite, nous
examinerons la demande et l’offre de transports urbains. Le transport urbain porte à la fois
sur le transport public et l’infrastructure de transport et enfin, nous finirons cette revue par
l’étude d’un certain nombre de politiques tarifaires que le planificateur utilise pour réguler
le système de transport urbain.

1. La modélisation du système de transports urbains :


Le système de transports urbains est l’un des trois sous systèmes du système urbain
global. Selon Bonafous et Puel (1983)1, le milieu urbain peut être interprété comme étant
l’imbrication des trois sous systèmes. Chacun d’entre eux est doté d’une logique de
fonctionnement et de transformation qui s’articule avec les autres sous systèmes selon des
relations de causalités.
Les trois sous systèmes sont le système de localisation des dynamiques urbaines, le
système des pratiques et rapports sociaux et le système de transports. Selon Bailly (1995)2,
le système de transport est un ensemble composé des véhicules, de l’infrastructure et des
techniques d’exploitation afin de remplir une fonction donnée. Cette fonction définit la
finalité des éléments du système et est définie par l’aire géographique au sein de laquelle
s’effectue le transport. Les interactions entre les éléments de ce sous système sont traduites
par la mobilité spatiale.
Le système de localisation des dynamiques urbaines se réfère à la localisation des
résidences, des différentes activités et renvoie à l’aménagement du territoire urbain. Le
système des pratiques et rapports sociaux se réfère à une forme du vécu du temps urbain.
Ces pratiques et rapports sociaux sont en relation directe avec les caractéristiques sociales et
professionnelles intra et intergénérationnelles des individus, et de ce fait, avec les activités
journalières des individus (programme quotidien d’activités) qui constituent un mode de
fonctionnement de la société. Les interactions entre les éléments de ce sous système sont
traduites par la mobilité sociale. Le système de transport constitue le support entre les
interactions des deux systèmes précédents et permet la réalisation des mobilités sociales et
spatiales.

1
Bonnafous . A et Puel .H, (1983), Physionomie de la ville, Economie et humanisme.
2
Bailly .A, (1995), Les concepts de géographie humaine, Masson, Paris.

10
Les systèmes de transports urbains sont caractérisés par le phénomène de congestion
du trafic. Cette congestion apparaît parce que les ménages qui habitent à différentes distances
du centre arrivent sur le lieu du travail (Center business district : CBD) et reviennent au lieu
de résidence au même moment de la journée. Ainsi, le système de transports urbains devient
rapidement saturé, ce qui implique des vitesses de déplacements réduites. La congestion
représente une externalité négative, parce qu’à partir d’un certain seuil, chaque nouveau
véhicule entrant dans le système de transport à un impact négatif sur les vitesses de
circulation de tous les usagers du système.
Selon Henderson (1985)1, il y a trois moyens pour modéliser les systèmes de transports
congestionnés : les modèles où la demande de transport dépend des conditions passées et
futures de déplacement, les modèles où les vitesses présentes de déplacement dépendent des
conditions futures et passées et le modèle traditionnel (une version « statique » ou les flux et
la densité sont considérés comme uniformes pendant une période de temps).
Dans ce qui suit, nous allons nous intéresser d’abord au modèle traditionnel et ensuite
nous examinerons les développements de ce modèle : les modèles dynamiques.

1.1 Modélisation statique de la congestion :


Le sujet de la congestion a été introduit dans les analyses de transports par Beckmann
et al. (1955)2. C’est une analyse dans un cadre statique, où on modélise la relation entre le
flux de transport (ou le volume) en fonction de la densité spatiale des déplacements (nombre
de véhicules par unité de distance) et de la vitesse moyenne (ou l’inverse de la durée) de
déplacement :

Flux = Densité x Vitesse


Selon cette identité la relation entre le flux et la densité peut être exprimée comme une
relation entre la vitesse moyenne et la densité ou entre la vitesse et la densité.

1
Henderson J.V, (1985), Economic theory and the cities, Academic Press Inc, Harcourt Brace Jovanovich
Publishers, New York.
2
Beckmann M.J, McGuire C.B et Winsten C.B, (1955), Studies in the economics of transportation, New
Haven, Yale University Press.

11
Figure 1 : Les relations Vitesse-Flux-Densité

Flux Vitesse Vitesse

Densité Densité Flux


Graphique repris de Small (1992)1
Des études empiriques statiques ont été menées pour estimer la forme exacte de ces
courbes. On peut rappeler l’étude de Walters (1961) qui estime la relation vitesse-densité
dans la zone de New York, en utilisant une fonction vitesse = - Vm log (Densité/Dm) où Vm
et Dm sont des paramètres. La relation entre le flux du trafic et la densité a été étudiée sur la
région de Washington par boardman et Leave (1977) avec une fonction quadratique2.
Analytiquement, le phénomène de congestion dans une ville monocentrique est
modélisé comme suit. On suppose que chaque ménage génère un seul déplacement en
véhicule. Si m(x) est le nombre de ménages qui sont localisés à la distance au centre, on peut
définir le flux du trafic qui passe par le cercle de rayon x comme le nombre de ménages qui
habitent à une distance supérieure à x :
𝑥
M(x) = ∫𝑥 𝑓 𝑚(𝑥 ) 𝑑𝑥
Où xf est la frontière de la ville.
Quand il y a congestion du trafic, le coût de transport dépend de la quantité de sol
disponible pour le réseau routier (ou capacité de la route). Généralement dans la littérature,
le temps moyen (ou le coût moyen) privé encouru par chaque véhicule qui traverse x est
défini par une fonction de la forme :
M(x) 𝑎2
t(x) = a0 + a1 [ B(x) ]

où t(x) est le temps (ou le coût) de transport par unité de distance, B(x) est la quantité du sol
allouée aux routes à la distance x (la capacité de la route) et a0, a1 et a2 sont des constantes
positives. Le coût ou le temps de déplacement est une fonction croissante convexe par
rapport au volume de trafic M(x) si a2>1. Cette fonction est très répandue dans la littérature,

1
K. Small, (1992), urban transportation economics, Harward Academic Publishers.
2
Cité in : Quinet .E, (1998), Principes d’économie des transports, Economica, Paris.

12
et correspond à la fonction du bureau of Public Roads employé dans les modèles d’équilibre
des réseaux.
Une exception à cette formalisation a été introduite par Arnott et MacKinson en 19781, en
utilisant une fonction exponentielle :
M(x) 𝑎2
t(x) = a0 + exp{a1 [ B(x) ] }

ils utilisent cette fonction parce que l’élasticité de la congestion privée par rapport au
volume du trafic est supérieure à 1, et le taux de l’externalité de congestion marginale par
rapport à la congestion privée est une fonction croissante par rapport au flux.
Dans le cas général, le coût de transport par voyageur et par unité de distance à la
distance x, ou le coût marginal de transport en x, est une fonction du rapport trafic-capacité
t(M(x)/B(x)). Le coût total de transport à chaque distance x sera :
𝑥 𝑀(𝑥)
T(x) = ∫𝑥 𝑓 𝑡 ( 𝐵(𝑥) ) 𝑑𝑥
𝑐

Où xc est la frontière du CBD. Dans cette catégorie de modèles les transports à


M(x)
l’intérieur du CBD sont ignorés. Dans la littérature, la fonction t ( B(x) ) est supposée positive,

croissante et strictement convexe.


Avec cette formalisation nous pouvons mettre en évidence l’effet de la congestion sur
l’ensemble du trafic du réseau. Ainsi, un voyageur supplémentaire qui habite à la distance x
et qui se déplace au centre traversant chaque distance (x < xf), cause un coût de congestion
𝜕𝑡(𝑀(𝑥)⁄𝐵(𝑥))
supplémentaire de .
𝜕𝑀(𝑥)

Ce coût (ou cette augmentation de la durée de déplacement) sera supporté par


l’ensemble des usagers du réseau, ce qui détermine la nature d’externalité de la congestion.
Cela a des implications sur l’efficacité de la ville, puisqu’en présence d’externalités il est
nécessaire d’introduire une taxe pour externaliser ces effets.
En particulier durant les périodes creuses, les différences de vitesses de déplacement
des usagers d’une route représentent probablement une des principales causes de la
congestion. Verhoef et al. (1999)2 analysent la congestion crée par ces différences de
déplacement : les véhicules plus lents ralentissent les autres usagers.

1
Arnott R.J et Mackinson J.G, (1978), « Market and shadow land rents with congestion », American economic
Review, 68, pp. 588-600.
2
Verhoef E.T, Rouwendal .J et Rietveld .P, (1999), « Congestion caused by speed differences », Journal of
Urban Economics, n ° 45, pp. 533-556.

13
1.2 Modélisation dynamique de la congestion :
On reproche à la modélisation statique de la congestion de ne pas tenir compte du fait
qu’en réalité la congestion n’est pas constante en temps mais elle varie fortement entre les
périodes de pointe (quand le système de transport devient hyper-congestionné) et les
périodes creuses quand le trafic est quasiment fluide et donc il n’y a pas du tout
d’encombrement.
Quand on prend en compte le temps dans la modélisation de la congestion, le problème
devient complexe : les usagers avec des horaires de travail fixes varient leur moment de
départ et d’arrivée où ils peuvent choisir leur emploi en fonction de leurs préférences pour
l’horaire du travail. Les employés comme les employeurs peuvent eux aussi répondre à la
congestion avec des horaires flexibles (Moore et al, 1984)1.
Le modèle utilisé dans la littérature est le modèle de goulot d’étranglement (Bottleneck
model). Ce modèle développé par Arnott, De Palma et Lindsey (1993)2, constitue une façon
de prendre en compte les possibilités de réorganisation des horaires de départ, reprenant
l’idée avancée par Vickerey (1969) selon laquelle la durée de congestion est endogène :
l’usager souhaitant arriver à une certaine heure est amené, en période de pointe, à arbitrer
entre le temps de trajet et le temps d’avance ou de retard à l’arrivée s’il décale son départ.
Dans ce cadre, la congestion se manifeste par le fait qu’un accroissement du nombre
d’usagers aura pour conséquence un plus fort étalement de cette pointe.
Dans ce modèle, l’arrivée est régulée par l’intermédiaire d’un goulot ponctuel de débit
maximum fixé, en amont duquel une queue se forme, dont la longueur détermine le temps
d’attente.
Les hypothèses standards dans les modèles de bottleneck sont les suivantes :
- Le goulot permet d’un certain débit et quand le taux d’arrivée des véhicules
dépasse cette valeur, une queue se développe. Les usagers passent à travers le
goulot dans leur ordre d’arrivée ;
- Les usagers se déterminent en fonction du coût généralisé du transport qui, en
plus des coûts monétaires, incorpore le temps d’attente passé dans la queue, le

1
Moore A.J, Jovanis P.P et Koppelman F.S, (1984), « Modeling the choice of work schedule with flexible
work hours », Transportation science, n°18, pp : 141-164.
2
Arnott R.J, De Palma .A et Lindsey .R, (1993), « A structural model of peak-period congestion: A traffic
bottleneck with elastic demand », American economic Review, n°83, pp. 161-179.

14
temps de retard (ou d’avance) à l’arrivée par rapport à un objectif d’heure
d’arrivé.
Le nombre d’usagers de la pointe est supposé fixe. A l’équilibre de marché les flux de
départ s’établissent de manière à égaliser les coûts généralisés de chaque usager puisque
ceux-ci sont homogènes. Dans ce modèle, à l’équilibre, le coût global d’attente dans la queue
représente finalement la moitié du coût total du transport. Ceci signifie que l’équilibre de
marché est largement sous optimal. En effet, le temps passé dans la queue représente une
pure perte : si les usagers ne prenaient le départ qu’une fois que ceux qui les précèdent sont
déjà passés dans le goulot, les heures d’arrivée seraient les mêmes mais le temps de queue
seraient annulés.
La situation optimale ne constitue pas un équilibre sans intervention d’un régulateur :
les usagers modifieront leur comportement pour rapprocher leur départ, recréant ainsi le
phénomène de queue. Cet optimum peut être réalisé grâce à un péage de congestion variable.

2. La demande et l’offre de transports urbains :


Au niveau de ce deuxième point, nous étudierons d’abord la demande de transport
urbain en distinguant entre les modèles conventionnels de planification des déplacements et
les modèles probabilistiques qui prédisent les déplacements qu’ils soient réalisés ou non.
Ensuite, nous examinerons l’offre de transport urbain. Cette dernière porte à la fois sur
l’infrastructure (l’affectation du sol aux infrastructures et leur capacité) et l’offre de transport
public.

2.1 La demande de transports urbains :


Chaque consommateur fait un ensemble complexe de décisions de déplacements en
fonction de ces ressources, de ses besoins et de son environnement. Ces décisions incluent
l’objectif, la fréquence, le timing, la destination et le mode de déplacement. En plus de ces
aspects à court terme, il faut prendre en compte des décisions à plus long terme, comme la
possession d’un véhicule, la localisation de la résidence et du lieu du travail.
Il faut souligner que le transport n’est pas en soi un bien de consommation, mais il est
consommé concomitamment avec d’autres activités comme le travail, les courses, les
loisirs…
Une des caractéristiques communes des modèles de transports urbains est de répondre
aux objectifs des politiques de transports urbains. Au niveau de ces modèles, on distingue

15
les modèles conventionnels de planification des transports urbains et les modèles
probabilistiques.

2.1.1 Les modèles conventionnels de planification des transports urbains :


Les premiers modèles qui s’intéressent aux déplacements dans un contexte urbain sont
les modèles appelés modèles de planification des transports urbains. Ces modèles ont été
souvent critiqués parce qu’ils ne sont pas comportementaux et ils ne répondent pas aux
besoins de politiques de transports urbains, mais ils constituent des travaux fondamentaux
dans l’analyse des transports urbains. Ils ont été développés aux Etas-Unis dans les années
50 dans le contexte des études des transports de Chicago et Detroit, et puis « importés » en
Grande Bretagne dans les années 60.
Dans cette optique la fonction de demande est modélisée en quatre étapes (Quinet,
1998)1 :
- Génération de déplacements : on y modélise le nombre de déplacements
effectué à partir d’un centre d’émission ;
- Distribution (ou gravitation) : on y détermine comment ces déplacements se
répartissent entre les destinations possibles ;
- Choix modal : pour chaque ensemble de trajets entre une origine et une
destination donnée, répartition de ces trajets entre les modes de transports
possibles ;
- Choix d’itinéraires ou affectation des routes : cette étape concerne
essentiellement le mode routier et vise à répartir les usagers de ce mode entre
les différents itinéraires joignant l’origine à la destination en cause.
La plupart des études sur les transports urbains utilisent les quatre étapes du modèle
conventionnel. En Europe, les applications les plus utilisés du modèle en quatre étapes sont
les modèles STEMM (Strategic European Multi Modal Modelling), SATURN (Simulation
and Assignment of traffic in Urban Road Network) etc… Aux Etats-Unis, on trouve
notamment les modèles : SYSTEM II, TRANPLAN, etc…

2.1.2 Les modèles probabilistiques :

1
Quinet .E, (1998), Op.cit.

16
Dans cette branche de la littérature, on modélise la probabilité de faire un choix de
déplacement, sans répondre à la question si le déplacement a lieu ou non. Ainsi ces modèles
ne peuvent pas fournir des analyses sur le nombre d’usagers du système de transport urbain,
mais ils prédisent, en valeurs relatives, le pourcentage de l’ensemble de la population qui va
prendre un certain mode de transport. C’est pour cette raison que ces modèles sont appelés
aussi modèles de choix modal (ou de choix discrets).
Les modèles de choix discrets tirent leurs fondements théoriques des modèles de
fonctions d’utilité aléatoires (Mc Fadden, 1973)1. On suppose qu’un agent de catégorie n
doit choisir entre les alternatives discrètes i = 1…I. La fonction d’utilité est composée d’une
partie déterministique (connue comme utilité systématique) et d’un terme aléatoire :
𝑈𝑛𝑖 = 𝑉𝑛𝑖 (𝑧𝑛𝑖 , 𝑠𝑛 , 𝛽) + 𝜀𝑛𝑖
Où : 𝑧𝑛𝑖 est un vecteur d’attributs de l’alternative i comme ils sont perçus par l’agent
n, 𝑠𝑛 est un vecteur des caractéristiques démographiques ou socioéconomiques de l’agent n,
𝛽 est un vecteur des paramètres inconnus et 𝜀𝑛𝑖 est la composante non observée de l’utilité
qui capture la dispersion des choix observés faits par les agents de catégorie n. 𝑈𝑛𝑖 et 𝑉𝑛𝑖 sont
connues comme des fonctions d’utilité indirecte conditionnelles, parce qu’elles sont
conditionnées par le choix i et, comme dans la théorie standard du consommateur, elles
incorporent la contrainte budgétaire. Le modèle est complet si on spécifie la distribution de
la variable, pour i = 1…I. On peut alors calculer la probabilité du choix de l’alternative i :
𝑗
𝑃𝑛𝑖 = 𝑃𝑟𝑜𝑏 (𝑈𝑛𝑖 > 𝑈𝑛 , ∀ 𝑗 ≠ 𝑖)
𝑗 𝑗
= 𝑃𝑟𝑜𝑏 (𝜀𝑛 − 𝜖𝑛𝑖 < 𝑉𝑛𝑖 − 𝑉𝑛 , ∀ 𝑗 ≠ 𝑖)
L’estimation de ces modèles des choix discrets permet de déterminer usuellement des
rapports de coefficients, qui sont interprétés comme des taux marginaux de substitution.
L’application la plus utilisée est le calcul du taux marginal de substitution entre l’argent et
le temps, ce qu’on appelle la valeur marginale du temps. Cette variable représente la valeur
monétaire que les voyageurs accordent au temps. Elle est très importante dans l’évaluation
des améliorations du système de transport, qui souvent ont comme objectif d’améliorer la
mobilité de la population. Un élément important est le fait que la valeur du temps varie entre
classes sociales en fonction de leurs revenus2.

1
Mc Fadden .D, (1973), « Conditional logit analysis of qualitative choice behavior », Frontiers in
Econometrics, Academic Press, pp. 198-272.
2
Le lecteur intéressé à ces modèles probabilistiques ainsi qu’a leurs estimations Cf. Mac Fadden (1973), Ibid. et
Gaudry .M.J, JARA Diaz .S.R et Ortuzar J.D, (1989), « Volume of time sensivity to model specification »,
Transportation research B, n°23, pp : 151-158.

17
2.2 L’offre de transports urbains :
L’offre de transports urbains porte à la fois sur l’infrastructure de transports ainsi que
les transports publics. De ce fait, nous commencerons par étudier l’offre d’infrastructure qui
détermine la capacité d’un système de transport. A ce niveau là, nous distinguerons
l’optimum de premier rang et celui du deuxième rang. Ensuite, nous passerons en revue
l’offre de transport public qui se traduit en produit final et en produits intermédiaires. L’offre
de ces produits est en lien avec les coûts des transports publics.

2.2.1 L’offre d’infrastructure de transports urbains :


L’offre d’infrastructure de transport est définie souvent comme la capacité du système
de transport. Ainsi, pour étudier l’offre d’infrastructure de transports urbains, les modèles
économiques urbains s’intéressent surtout à l’allocation optimale du sol pour le système de
transport urbain. La question est de déterminer comment le sol consacré aux routes devrait
varier avec la distance au centre ville. Le planificateur doit faire un arbitrage entre les coûts
marginaux croissants de l’investissement quand on s’approche du centre (le coût
d’opportunité du sol augmente) et les bénéfices marginaux croissants potentiels du fait des
véhicules additionnels et l’augmentation potentielle de la congestion. Nous allons distinguer
les analyses de l’optimum de premier rang (first best) et de second rang (second best).

2.2.1.1 La capacité du système de transport urbain : l’optimum de premier rang


Plusieurs travaux ont analysé l’équilibre de premier rang du système de transport.
Strotz (1965)1 examine le péage optimal de premier rang et le problème de l’allocation dans
une ville découpée en zones concentriques discrètes. Mills et De Ferranti (1971)2 posent le
problème d’optimalité de premier rang, comme une minimisation des coûts totaux de
développement de la zone résidentielle d’une ville monocentrique, en supposant que tous les
ménages consomment la même surface fixée de logement. Dans ce modèle, la fonction B(x)
devient un instrument de politique urbaine.
Nous allons synthétiser les résultats de ces premiers travaux. On va noter xc la frontière
exogène du CBD. Le secteur des transports, comme les autres activités dans la ville, est

1
Strotz R.H, (1965), « Urban transportation Parables », édité par J. Magolis, The public economy of urban
communities, Johns Hopkins, Baltimore.
2
Mills .E.S et De Ferranti .D.M, (1971), « Market choices and optimum city size », The American Economic
Review, n°61, pp. 340-345.

18
caractérisé par sa capacité à enchérir pour le sol. La fonction d’enchères du secteur des
transports est définie comme le bénéfice marginal du sol pour le transport en chaque
localisation x :
𝑀(𝑥) 𝜕𝑡(𝑀(𝑥)⁄𝐵(𝑥))
𝛹( )=− 𝑀(𝑥)
𝐵(𝑥) 𝜕𝐵(𝑥)
Cette expression nous dit que si une unité supplémentaire du sol est ajoutée au système
de transports à la distance x, le coût marginal de transport en x diminue de 𝜕𝑡(𝑀(𝑥)⁄𝐵(𝑥))
, diminution qui profite à tous les usagers qui traversent le système routier à cette distance
x.
A partir de cette définition des enchères du système de transport et selon le principe le
plus fort enchérisseur, nous pouvons déterminer la règle coût-bénéfice de l’allocation
optimale du sol pour les transports. Quand le secteur des transports ajoute une unité
supplémentaire de sol pour le transport à la distance x, il doit payer le coût du sol (la rente
foncière) R(x). Il suit que l’allocation optimale du sol pour les transports doit être choisie de
manière à égaliser le coût marginal et le bénéfice marginal du sol dans le secteur des
transports :
𝜕𝑡(𝑀(𝑥)⁄𝐵(𝑥))
𝑅(𝑥) = − 𝑀(𝑥)
𝜕𝐵(𝑥)
Dans la figure n°2, sont représentées les formes optimales de la fonction B(x) qui
émergent en trois cas de figure. Pour une ville petite (de taille𝑥𝑓1 ), l’allocation optimale du
sol pour le système de transport est une fonction concave décroissante qui est nulle à la
frontière de la ville (𝑥𝑓1 ). Pour une ville moyenne (de taille 𝑥𝑓2 ) la courbe reste concave, mais
elle est d’abord croissante et puis décroissante jusqu’à ce qu’elle devienne nulle, à la
frontière de la ville. Pour des grandes villes (de taille 𝑥𝑓3 ) le sol peut être alloué même en
totalité pour les routes dans une couronne entourant le CBD. Après un certain seuil, B(x)
reprend une forme concave, croissante dans un premier temps et puis décroissante jusqu’à
la frontière de la ville, où elle est nulle.
Figure 2 : L’allocation optimale pour le système de transport urbain avec le CBD
exogène :
B(x) 2πx

19
𝑥𝑐 𝑥𝑓1 𝑥𝑓2 𝑥𝑓3 𝑥
Source : Levesey (1973)1.
Levesey apporte une contribution au débat, en utilisant une frontière endogène du CBD
(xc). Ainsi, selon lui, la fonction de capacité du système de transport n’est pas globalement
concave, mais elle devient convexe à l’intérieur du CBD (voir figure n°3). Cette fonction
arrive au maximum toujours à la frontière du CBD et le système routier ne prend jamais la
totalité du sol à une certaine localisation.
Selon Levesey, une ville avec un système de taxation de la congestion est plus
compacte (une surface totale de la ville plus faible) et avec une population plus dense (dû à
l’augmentation du coût de déplacement).
Figure 3 : L’allocation optimale pour le système de transport urbain avec le CBD
endogène :
B(x) 2πx

𝑥𝑐1 𝑥𝑐2 𝑥𝑐3 𝑥𝑓1 𝑥𝑓2 𝑥𝑓3 𝑥

Source : Levesey (1973)2


2.2.1.2 L’optimum du deuxième rang
Quand le décideur public ne peut pas appliquer un péage de congestion optimal, la
capacité du système de transport optimale de second rang peut être supérieure ou inférieure
à la capacité optimale de premier rang (quand un péage optimal est mis en place). Cela
dépend d’un paramètre crucial qui est l’élasticité de la demande (Wilson, 1988)3.

1
Levesey D.A, (1973), « optimum City size: Aminimum congestion cost approach », Journal of Economic
Theory, n°6, pp: 144-161.
2
Ibid.
3
Wilson P.M, (1988), « Wage variation resulting from staggered work hours », Journal of Urban Economic,
n°24, pp: 9-26.

20
Kanemoto (1980)1 souligne qu’à l’équilibre de marché (qu’il n’y a pas de taxes de
congestion), le planificateur continue de choisir l’allocation du sol au système de transport
selon le critère coût-bénéfice, mais en absence de taxes de congestion, cela aboutit à une
allocation inefficace du sol. Ainsi, il y a besoin d’examiner les effets des différentes
distorsions sur le fonctionnement de la ville et de faire des comparaisons entre les différentes
solutions de second rang, mais aussi par rapport à l’optimum de premier rang.
Pour pallier à ces problèmes, les économistes utilisent des simulations numériques.
Parmi ces simulations, la plus complète est peut être celle de Dixit (1978)2. Dans son modèle,
l’auteur s’intéresse à la taille optimale en termes de population d’une ville fermée. La
production est concentrée dans le CBD et est caractérisée par des rendements d’échelle
croissants par rapport à deux facteurs de production : le sol et le travail. Comme dans le
modèle de Levesey, la taille du CBD est endogène, mais le transport à l’intérieur est négligé.
Les ménages ont une fonction Cobb-Doglass définie sur un bien composite et la surface du
logement, qui est maximisée sous contrainte budgétaire et de temps. L’auteur utilise une
fonction de congestion comme définie auparavant : et il suppose que le bien composite
produit au CBD est consommé localement et les rentes sont distribuées équitablement entre
les résidents.
Avec des salaires égaux à la productivité marginale du travail, et selon l’hypothèse de
rendements d’échelle constants, la ville aurait une taille infinie s’il n y aurait pas de coût de
déplacement. Même sans congestion du trafic, l’utilité d’équilibre des ménages va atteindre
un niveau maximal pour une population finie de la ville, parce que les coûts de déplacements
vont l’emporter à partir d’un certain seuil sur l’augmentation des salaires due à une
augmentation de la population. La congestion du trafic augmente encore les coûts de
déplacement, ce qui détermine une population optimale plus petite. Avec des paramètres
plausibles, Dixit obtient une population optimale d’approximativement 200 000 ménages,
mais ce résultat est très sensible aux valeurs des paramètres de la fonction de congestion (a0,
a1, a2).

2.2.2 L’offre de transports publics

1
Kanemoto .Y, (1980), « Theories of urban externalities », édité par A. Andersson et W. Isard, Studies in
Regional Science and Urban Economics, Vol. 6, North-Holland, Amsterdam.
2
Dixit .A, (1978), « The optimum factory town », The Bell Journal of Economics and Management Science,
n°4, pp: 637-651.

21
Par transports publics on entend les transports en commun. L’intérêt d’inciter les
voyageurs à utiliser les transports en commun est justifié par une réduction de la congestion
du trafic urbain et une réduction de la pollution émise par les transports urbains.
Dans les analyses économiques, l’offre de transports publics se traduit en produit final
(déplacements des passagers) et en produits intermédiaires comme routes-kilomètres,
véhicules en services dans les périodes de pointe, véhicules-heures, véhicules-kilomètres,
etc… l’offre de ces produits est en lien avec les coûts des transports publics.
On distingue plusieurs approches dans la modélisation des coûts et l’offre de transports
publics. Les études des coûts de comptabilité supposent que les coûts sont linéaires par
rapport aux produits intermédiaires énoncés (Allport, 1981)1.
Les études des coûts technologiques prennent en compte les spécifications techniques
détaillées des différents moyens de transports publics en addition des investigations
statistiques et comptables (Mayers et al. 1996)2. Les études des coûts statistiques permettent
de relâcher l’hypothèse de rendements d’échelle constants, spécifiques à la formalisation
linéaire de la fonction des coûts des les études comptables. Viton (1981)3 utilise des
fonctions translog pour estimer les coûts des transports publics en fonction de l’output, des
prix de certains facteurs de production et du stock du capital fixe. Viton détermine le stock
du capital optimal (le parc de bus) quand il y a seulement des coûts opérationnels.
Nilson (1972)4 note que les volumes de passagers doivent être endogènes, puisque la
demande de déplacements est sensible à la qualité du service. Ainsi, il faut tenir compte des
inputs des usagers, notamment le temps total du déplacement. Ce qui constitue le temps d’un
déplacement en transports publics est constitué du temps pour accéder au système de
transports publics, pour attendre des véhicules, pour le voyage, et éventuellement pour le
transfert entre plusieurs véhicules de transport en commun.

1
Allport .R.J, (1981), « The costing of bus light rail transit and metro public transport systems », Traffic
Engineering and Control, n°22, pp: 633-639.
2
Mayers .I, Ochelen .S et Proost .S, (1996), « The marginal external cost of urban transport », Transportation
Research D, Vol. 1, n°2, pp: 11-130.
3
Viton .P.A, (1981), « A translog cost function for urban bas transit », Journal of Industrial Economics, n°24,
pp: 287-304.
4
Nelson .G.R, (1972), « An Econometric model of urban bus transit operations », édité par J.D Wells et al.,
Economic characteristics of the urban public transportation industry, chapter 4, Institute for Defense Analysis,
U.S. Government Printing Office.

22
En introduisant le temps d’attente dans la fonction de coûts, Mohring (1972)1 montre
que les transports en commun ont une technologie caractérisée par des rendements d’échelle
croissants (en termes de produit final ou produit intermédiaire). Cela a un effet important sur
la taxation optimale des transports publics. Dans ce modèle, on obtient qu’une fréquence
optimale des bus est proportionnelle à la racine carrée de la densité des passagers (le nombre
de passagers par heure de pointe) connue comme la règle de la racine carrée pour les
politiques d’opération des transports publics. Les rendements d’échelle croissants
impliquent que la tarification optimale ne couvre pas entièrement le coût total du fournisseur
des transports en commun. En fait, le prix optimal est nul, parce que les véhicules ne sont
pas remplis et donc il n’y a pas de coûts supplémentaires à prendre un passager
supplémentaire. La subvention totale sera égale à la valeur totale du temps d’attente pour
tous les passagers.

3. Les politiques tarifaires :


Les politiques tarifaires représentent un instrument de régulation des anomalies du
système de transport urbain. De ce fait, adopter une telle politique implique pour le
planificateur de bien l’étudier pour atteindre l’objectif souhaité. Dans ce cadre là, nous
examinerons dans ce qui suit trois politiques tarifaires : le péage de congestion, la tarification
des parkings et enfin la tarification des transports en commun.

3.1 Le péage de congestion :


Plusieurs types de péages urbains sont appliqués dans les grandes villes. Les charges
zonales ont été introduites récemment à Londres : chaque véhicule qui circule dans la zone
est taxé d’un montant unique indépendamment de la distance parcourue. Une taxation
« proportionnelle » (flat) a été considérée aux Pays-Bas, et représente une taxation fixe par
kilomètre parcouru, qui n’est pas différencié en temps : 𝜏 = 𝜏𝑘𝑚 𝑥 , où x est la distance
parcourue (ce qui dans un contexte monocentrique constitue aussi la variable de localisation)
et 𝜏𝑘𝑚 est la taxe unitaire par kilomètre. Avec un péage de type « cordon », comme celui
appliqué à Singapour, chaque usager des routes qui passe le cordon paye la même charge
indépendamment de la distance parcourue avant et après le passage du cordon. Les usagers

1
Mohring .H, (1972), « Optimization and scale economics in urban bus transportation », American Economic
Review, n°62, pp: 591-604.

23
qui restent en dehors ou à l’intérieur du cordon ne payent pas de taxes. Dans un contexte
monocentrique, ce péage est défini comme suit :
𝜏 , 𝑆𝑖 𝑥 ≥ 𝑥𝑐𝑜𝑟
𝜏 = { 𝑐𝑜𝑟
0 , 𝑆𝑖 𝑥 < 𝑥𝑐𝑜𝑟

Les économistes ont appliqué longtemps le principe de la taxation au coût marginal


pour la congestion routière (Pigou, 1920). Les modèles de péage urbain ont été élaborés et
développés par Mohring et Harvitz (1962), Vickry (1963, 1968), Johnson (1964)1.
Rappelons que la congestion crée une différence entre le coût moyen et le coût
marginal de transport. Ainsi, il est nécessaire de taxer les usagers pour chaque voyageur
prenne en compte le coût marginal social de son déplacement. Dans une optique
pigouvienne, cette taxe est égale à la différence entre le coût marginal et la partie du coût
moyen déjà supporté par l’usager. Si la seule externalité présente est la congestion (sans
externalité environnementales), le coût moyen variable est supporté intégralement par le
voyageur. Avec une taxe de congestion, on internalise l’externalité de congestion, ce qui
conduit à une répartition Pareto-optimale du trafic.
Les analyses de l’optimum de premier rang (quand le décideur public peut intervenir
simultanément sur l’allocation du sol et la taxation) montre que chaque usager devrait
supporter non seulement son coût moyen t(x) mais également le coût marginal induit :
∂t(x)
t(x) + M(x) ∂M(x)

Dans une optique de second rang, dans une ville avec une population homogène, la
stratégie de taxation au coût marginal maximise le niveau d’utilité d’équilibre à long terme,
pour une fonction de la capacité de la route B(x) donnée.
Il est important de noter que le but du décideur public est l’allocation efficace des
ressources et non pas l’élimination totale de la congestion. Ainsi, une taxe de congestion
optimale n’élimine pas la congestion. Le niveau optimal de congestion dépend de plusieurs
facteurs, notamment les coûts du secteur du transport. En particulier dans les centres des
agglomérations urbaines, ces coûts peuvent être très importants (par exemple une unité
supplémentaire du sol alloué aux routes induit un coût foncier très élevé). Ainsi

1
Cité in Derycke .P.H, (1997), Le péage urbain : Histoire-Analyse-Politique, Economica, Paris.

24
l’infrastructure de transports dans la zone centrale d’une ville doit être utilisée intensivement
à cause de son coût d’opportunité (Derycke 2000)1.

3.2 La tarification des parkings


Les parkings représentent une partie majeure des coûts sociaux d’un déplacement en
automobile dans une zone avec une forte densité urbaine (Small, 1992)2, et sont souvent
subventionnés par les pouvoirs publics locaux et par les employeurs. L’introduction d’un
péage du parking au coût marginal ou au coût moyen peut affecter le comportement de
déplacement, notamment le choix du mode de transport : il aura un switch modal entre les
voitures et les autres modes de transport, spécialement le carpool (voyage de plusieurs
personnes dans un seul véhicule).
Plusieurs études confirment l’importance du péage du parking sur le comportement
de déplacement3. Gillen (1977)4 introduit explicitement les prix du parking dans un modèle
de choix modal et trouve que leur effet sur le choix modal est non négligeable et plus
important qu’une augmentation identique des coûts variables de déplacement.
Glazer et Niskamen (1992)5 montrent que la congestion urbaine peut être réduite par
l’introduction de la tarification du stationnement. Ainsi, quand l’usage des routes est tarifiée
de manière sous optimale, un péage forfaitaire du parking peut augmenter le bien être,
contrairement à un péage par unité de temps. En effet, une augmentation du prix de parking
conduit chaque usager à stationner moins de temps, ce qui permet l’usage d’un plus grand
nombre des places de stationnement et ainsi augmente le trafic. C’est pour cette raison que
les usagers eux-mêmes peuvent préfèrer que le parking ne soit pas gratuit.
Dans un article d’Arnott et Inci (2006)6 propose une analyse structurale de la
congestion du CBD dérivée de la densité des voitures en transit et en recherche d’une place
de parking. Le modèle traite des parkings saturés, ce qui constitue une hypothèse réaliste des

1
Derycke .P.H, (2000), « Perspectives-Mobilité-Congestion-Péage : Réflexions sur les politiques de réduction
de l’encombrement urbain », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, pp : 157-168.
2
Small .K.L, (1992), Op.cit.
3
Une revue de cette littérature est réalisée par Young .W, Thompson .R.G et Taylor .M.A.P, (1991), « A review
of urban car parking models », Transport Reviews, n°11, pp : 63-84.
4
Gillen .D, (1977), « Estimation and specification of the effects of parking costs on urban transport mode
choice », Journal of Urban Economics, n°4, pp: 186-199.
5
Glazer .A et Niskanen .E, (1992), « Parking fees and congestion », Regional science and Urban Economics,
n°22, pp:123-132.
6
Arnott .R.J et Inci .E, (2006), « An Integrated Model of Downtown Parking and traffic congestion », Journal
of Urban Economics, pp: 1-25.

25
parkings centraux et qui simplifie l’analyse. La demande agrégée de déplacement est une
fonction du coût total d’un déplacement ; sans péage ce coût est égal au coût monétaire et en
temps du déplacement, augmenté du coût en temps nécessaire pour trouver une place de
parking. Dans une analyse de premier rang, il faut augmenter le nombre de places de parking,
jusqu’à ce que le péage efficace du parking égalise l’externalité de congestion. L’analyse de
l’optimum de second rang, quand le péage du parking est fixe, montre que le nombre de
place de parking optimal détermine un parking saturé mais le temps nécessaire pour la
recherche d’une place est éliminé. Dans cette situation, le coût généralisé de transport reste
inchangé.
Pour conclure ce point, nous avons constaté que selon la majorité des études
s’intéressant aux problèmes liés à la congestion du stationnement, l’élimination des parkings
subventionnés dans les centres des agglomérations urbaines est une priorité pour améliorer
l’efficacité des transports urbains : réduction des coûts des facilités du parking, libération du
sol pour d’autres activités et une modification souhaitable du choix modal, avec une
réduction des coûts sociaux (congestion, pollution).

3.3 La tarification des transports en commun :


En s’intéressant à la tarification des transports en commun, nous analyserons deux
sujets importants : le niveau moyen de la tarification (et des subventions) et la structure des
prix des transports publics.
Lorsqu’il y a des rendements d’échelle et que la valeur du temps est prise en compte,
la tarification optimale des transports en commun est nulle. Cela est vrai si un passager
supplémentaire n’implique pas d’effets externes sur les autres passagers.
Le problème s’avère plus complexe s’il y a un autre mode de transport qui n’est pas
tarifé au niveau optimal, C’est le cas notamment des déplacements en voiture privée.
Henderson (1977)1 dérive des solutions de deuxième rang et confirme l’intuition qu’une
subvention des transports en commun est nécessaire. L’analyse de Dodgson et Topham
(1987)2 incorpore des éléments supplémentaires comme des préférences distributionnelles
et différentes taxes.

1
Henderson J.V, (1985), Op.cit.
2
Dodgson .J.S et Topham .N, (1987), « Benefit-Cost rules for urban transit subsides », Journal of Transport
Economics and Policy, n°21, pp: 57-71.

26
Les auteurs montrent que la subvention optimale du point de vue des usagers est
légèrement influencée par la sous tarification du mode privé (l’automobile).

Dans cette sous section, nous avons vu comment la littérature économique analyse les
transports urbains. Souvent les modèles de transports urbains ont un objectif de politique
urbaine et offrent différentes solutions pour résoudre un des problèmes majeurs des villes
contemporaines : la congestion. Il y a un éventail d’instruments qui sont à la disposition du
décideur public, comme les instruments tarifaires et l’offre d’infrastructures de transport et
de services de transports en commun.
D’ailleurs, nous avons étudié les principales théories de la justice sociale ainsi que les
principaux éléments d’économie des transports urbains. Il convient maintenant de voir
quelles sont les déclinaisons de ces théories en matière des transports urbains ?

§.3. Les apports des théories de la justice sociale en matière des


transports urbains
Cette dernière sous section a pour objet d’examiner notre interrogation posée au départ
de cette section. Il s’agit des apports des théories de la justice sociale en matière de transport
urbain. Pour répondre à cette interrogation nous aurons examiné, d’abord, les applications
de ces théories dans le domaine des transports. Ensuite, nous serons amenés à étudier l’équité
sociale dans les politiques de transport urbain puisqu’elle constitue une quête de toute théorie
de justice sociale et notant que ces politiques de transport urbain peuvent créer et même
renforcer une ségrégation sociale au sein des villes d’où la remise en cause de l’efficacité de
ces politiques.

1. La dominance de l’analyse coût avantage et la difficulté


d’opérationnalisation des théories égalitaristes dans les politiques de
transport urbain :
L’analyse coût-avantage représente une méthode d’évaluation des projets de transport,
notamment l’étude de leur aspect économique qui se traduit par la maximisation du bien être
collectif et par des indicateurs synthétiques généraux (Tableau n°3)

27
Tableau 3 : Indicateurs synthétiques couramment utilisés dans l’évaluation des projets
de transports
Indicateurs Définitions Formules

La valeur actualisée nette Différence entre les recettes R et les 𝑛 𝑅 −𝐷


𝑛
VAN(t)= ∑ (1+𝑡) 𝑛
dépenses D de toutes natures,
actualisées au taux d’actualisation t sur
la durée d’exploitation du projet

Le taux de rentabilité Taux t* qui annule la VAN VAN(t*)= 0


interne financier

Le bénéfice actualisé pour la Différence entre les avantages A 𝑛𝐴 −𝐶


𝑛
B= ∑ (1+𝑡) 𝑛
collectivité monétarisés et les coûts C monétarisés
de toutes natures, eux-mêmes actualisés
au taux d’actualisation t sur la durée de
vie du projet

Le taux de rentabilité Taux t* qui annule le bénéfice actualisé B(t*) = 0


interne pour la collectivité

Le bénéfice pour la Rapport entre le bénéfice actualisé et le B/I


collectivité par euro investi coût actualisé I du projet

Le temps de retour financier La première année A, pour un taux à l’année A, VAN


d’actualisation donnée t, telle que la (t)>0 et à l’année A-1,
VAN soit positive VAN (t)<0

Le taux de rentabilité Quotient de l’avantage économique à TRI(t) = Ai/I


immédiate pour la l’année de mise en service (appelée i)
collectivité par le coût actualisé I du projet

Sources : Boiteux, 19941.

Ces différents critères sont purement financiers. L’évaluation que revêt un projet ne
visera que l’intérêt financier. Dès lors que cet outil traite de critères socio-économiques, il
s’agit de rendre compte de l’ensemble des coûts et des avantages monétarisables d’un projet
de transport. Ces coûts et ces avantages peuvent être non seulement économiques, mais
également environnementaux ou sociaux. Très souvent, ils sont réduits aux seuls éléments
financiers (coûts d’investissements et d’exploitation d’un projet) et au mieux à l’évaluation
des gains de temps et de la sécurité. Et ce même si les évolutions du calcul économique ont

1
Boiteux .M, (1994), Transports : pour un meilleur choix des investissements, Commissariat Général au Plan,
La Documentation Française, Paris.

28
permis de prendre en compte d’autres éléments dans les avantages, tels que la pollution
atmosphérique, la congestion ou l’occupation de l’espace (Boiteux, 2001)1.
Il nous apparait que la dimension sociale est absente dans ces pratiques évaluatives.
Cela va nous pousser à penser la question de justice sociale. Or, les politiques peuvent créer,
amplifier ou réduire des inégalités, des iniquités… . C’est pour cela que le débat éthique sur
la justice et l’égalité, suscité par les approches de J. Rawls et A. Sen en termes de théories
égalitaristes de la justice, s’établit principalement sur une interrogation soulevée par A. Sen
« Egalité de quoi » (Sen, 2000)2.
Les réponses apportées à cette interrogation reposent sur une formalisation de
l’égalisation des chances et non sur l’égalisation des résultats. En effet, l’ensemble des
égalitaristes s’accordent en affirmant que si l’on veut traiter de justice sociale, d’équité ou
d’égalité, ce n’est pas les résultats ou le bien être des individus qu’il faut égaliser mais les
chances ou les capabilités qu’ont les individus d’atteindre les réalisations et le bien être qu’ils
souhaitent.
Par ailleurs, les préoccupations des acteurs publics portent de plus en plus, dans les
projets et les politiques d’aménagement (notamment dans le domaine des transports), sur
cette problématique d’égalité des droits et des chances, Compte tenu des constats de
croissance des inégalités de la mise en évidence des processus de ségrégation et de
concentration des populations dans les espaces urbains. Toutefois, le problème de ces
théories égalitaristes tient à leur difficulté d’opérationnalisation ce qui rend difficile la
réussite et l’efficacité des politiques de transport urbain.
Dés lors que la dimension sociale est une préoccupation dans les projets et les
politiques de transports urbains et que les questions de justice sociale ont une légitimité
théorique en éthique économique et sociale. Cela va nous pousser à examiner dans le point
suivant la place de l’équité sociale dans les politiques de transport urbain.

1
Boiteux .M, (2001), Transports : choix des investissements et coûts des nuisances , Commissariat Général au
Plan, La Documentation Française, Paris.
2
Sen .A, (2000), Op.cit.

29
2. Les politiques de transports urbains et l’équité sociale :
Le concept d’équité suppose une répartition « juste » des coûts et des gains liés aux
politiques de transport. Il est abordé dans divers travaux (Banister, 19931 ; Raux et Souche,
20012). On y trouve deux principes d’équité récurrents :
1. l’équité horizontale qui prône que des personnes dans des situations similaires
ou comparables doivent être traitées de la même manière en termes d’allocation de coûts et
de bénéfices. Chacun doit obtenir des bénéfices correspondants à ses charges.
2. l’équité verticale qui vise à distribuer des services en tenant compte des
caractéristiques personnelles des individus (revenu, le niveau d’études ou les capacités
physiques…). Ce principe est utilisé pour justifier l’attribution de subventions ou
l’opposition aux augmentations de prix qui pourraient affecter les plus défavorisés.
Certains auteurs insistent sur l’équité spatiale (ou équité territoriale) (Bonnafous et
Masson, 1999 ; Raux et Souche, 2001). Il s’agit d’un principe fondateur de la politique
d’aménagement du territoire, qui consiste « […] à donner des chances comparables de
développement à chacun des territoires urbains ou régionaux en résorbant du mieux
possible leur déficit d’accessibilité»3. Raux et Souche (2001)4 proposent une acception de
l’équité territoriale qui vise à rendre effectif le droit au transport sur le plan spatial à partir
du concept d’accessibilité et en termes de tarification du service.
Selon nous, ces notions peuvent in fine être rapprochées de celle de l’équité verticale
car elles insistent sur l’atténuation des disparités géographiques pour atteindre une « justice
spatiale ». Si les conceptions de l’équité sont variées, les voies pour parvenir à un meilleur
degré de justice sociale dans la distribution des services de transport le sont également.
Chitwood (1974)5 réduisent la diversité des possibilités à trois solutions « basiques » :
1. une distribution dépendante de la contribution financière des individus ;
2. une distribution égale pour tous : chacun reçoit une part égale de la dépense
publique ou un niveau égal de service public ;

1
Banister .D, (1993), Problèmes d'équité et d'acceptabilité posés par l'internalisation des coûts des transports.
Internaliser les coûts sociaux des transports. OCDE-CEMT.
2
Raux .C et Souche .S, (2001), « Comment concilier efficacité et équité dans la politique tarifaire des transports
? Le cas de TEO à Lyon », Les Cahiers Scientifiques du Transport, n°40, pp. 27-52.
3
Bonnafous .A et Masson .S, (1999), Op.cit, p : 3.
4
Raux .C et Souche .S, (2001), Op.cit.
5
Chitwood (1974), cité par Thisse .J-F, (1994), « L'équité spatiale », in J.-P. Auray, A. Bailly, P.-H. Derycke
et J.-M Huriot, Encyclopédie d’économie spatiale, Economica, Paris, pp. 225-231.

30
3. une distribution inégale qui tient compte des besoins de chacun : cela suppose
d’identifier les différents groupes concernés et les critères pertinents pour évaluer leurs
besoins.
L’évolution des valeurs au sein des sociétés démocratiques conduisent
progressivement à privilégier une redistribution progressive, soit les modes de distribution
(2) et (3). Une synthèse sur les principes d’équité et des exemples sur les moyens pour y
parvenir dans le secteur du transport est fournie par Banister (1993) :
Tableau n°4 : Les principes d’équité dans le transport
Amélioration de l’égalité Amélioration de l’égalité des
des résultats chances

Equité horizontale Répartition du service selon Répartition du service afin


la demande d’atteindre un niveau minimal

⇓ ⇓
Service fondé sur le marché Service dispensé à toutes les
sans subventions communautés à un niveau similaire
avec des normes minimales

Equité verticale Répartition du service selon Discrimination positive pour les


les besoins plus défavorisés

⇓ ⇓
Réductions tarifaires pour Offre de services spéciaux
des groupes spécifiques
défavorisés

Source : Banister, 19931

La prise en compte de l’équité dans les processus décisionnels a fait l’objet de quelques
travaux. Abraham (2001) propose ainsi d’intégrer dans le calcul économique un nouvel
indicateur rendant compte du sentiment d’amertume qu’éprouvent les exclus du projet.
L’amertume correspond à l’écart entre le niveau du péage et ce que l’usager potentiel aurait
été disposé à payer : « l'amertume, c'est, pour l'usager exclu, ce qui lui est réclamé « en trop
». Il y a vraisemblablement une relation étroite entre l'amertume, telle que définie ci-dessus,
et la rancoeur ou le mécontentement des exclus, ce mécontentement s’exprimant de façon

1
Banister .D, (1993), Op.cit.

31
d’autant plus vive que la consommation concernée est considérée comme un droit »1. Le
calcul économique devrait dorénavant prendre en compte à la fois le surplus des usagers qui
empruntent la nouvelle infrastructure et l’amertume de ceux qui en sont exclus. De même,
Lanmyrth (1997)2 identifie les critères de justice qui peuvent émerger de la mise en place du
péage urbain, sur la base de quelques cas de tarification de la congestion en Norvège : le
principe d’égalité de traitement (la nouvelle mesure doit être appliquée à tous de manière
égale), le principe du bénéfice social (le coût de la nouvelle mesure est faible et procure des
bénéfices supérieurs issus d’une affectation particulière des recettes et d’une tarification
différenciée), le principe de garantie des besoins de base (la route serait un besoin de base
dont la responsabilité ne devrait incomber qu’à l’Etat), le principe du bien être (distribution
des bénéfices vers les plus défavorisés), le principe de la responsabilité (faire payer plus ceux
qui circulent aux heures de pointes puisqu’ils sont les responsables de la congestion), le
principe du mérite (nécessité de prendre en compte le prix qui est déjà payé par les
automobilistes), le principe de la contribution et du statut (faire payer les individus en
fonction de leur contribution à la valeur sociale), le principe des attentes (l’intérêt moral de
la planification publique), le principe de la soutenabilité (affectation des recettes en direction
des modes de transport les plus respectueux de l’environnement) et le principe de la justice
procédurale (référendum pour décider ou non de la mise en œuvre du projet).
Encore peu de recherches francophones proposent une traduction directe des principes
de justice issus du renouveau des théories anglo-saxonnes. A partir d’un indicateur
d’accessibilité inspiré par Koenig (1974), Bonnafous et Masson (1999)3 tentent d’intégrer
un critère d’équité spatiale dans l’évaluation des projets en se fondant sur les propositions
de Rawls. La référence aux principes de la justice comme équité, revient à garantir
l’accessibilité aux lieux (principe de liberté) tout en accordant une priorité aux individus (ou
aux territoires) les plus défavorisés (principe de différence). Ce cadre théorique conduit à
maximiser la situation des plus défavorisés et justifie les politiques de « discrimination
positive ». Raux et Souche (2001)4 rapprochent les principes de justice rawlsiens des critères
d’équité applicables dans le champ des transports. Les critères d’équité territoriale,

1
Abraham C., (2001), « Amertume et acceptabilité des péages : les émeutes du Pont d'Arcole », Les Cahiers
Scientifiques du Transport, n°40, p : 62.
2
Langmyrh .T, (1997), « Managing equity: The case of road pricing », Transport Policy, Vol. 4, n°1, pp. 25-
39.
3
Bonnafous .A et Masson .S, (1999), Op.cit.
4
Raux .C et Souche .S, (2001), Op.cit.

32
horizontale et verticale sont ainsi respectivement mis en parallèle avec le principe de liberté,
le principe d’égalité des chances et le principe de différence. Notons enfin que la référence
explicite à la théorie de Sen apparaît plus rarement encore dans les recherches dédiées aux
transports, à l’exception des travaux de Purwanto (2004)1. Cela tient probablement au fait
qu’elle pose d’importantes difficultés de traduction.
Au bilan, la plupart des approches qui tentent d’intégrer les critères d’équité sociale
dans les choix publics demeurent assez théoriques (surtout dans le domaine des transports
urbains), dans leur formulation comme dans leurs préconisations. Cela résulte
vraisemblablement de l’épineux problème que soulève la mise en application concrète, au
niveau sectoriel, de principes universalistes souvent abstraits.

Au terme de cette section nous avons passé en revue d’abord, les principales théories
de la justice sociale : Premièrement, l’examen de l’approche utilitariste et l’analyse coût-
avantage est nécessaire du fait de ses applications dans le domaine des transports urbains ;
deuxièmement l’étude des théories égalitaristes est essentielle puisqu’elles viennent de
combler les lacunes de l’approche utilitariste. Ensuite, nous avons survolé les principaux
éléments d’économie des transports urbains. Le problème de congestion constitue un
élément central que chaque modélisation du système de transport urbain tente de résoudre.
Et enfin, nous avons mis en œuvre les apports, mêmes s’ils sont limités, de ces théories de
justice sociale en matière de transport urbain.

1
Purwanto .A-J, (2004), Dynamique des inégalités entre les Franciliens face aux transports, Thèse de
doctorat, Faculté de sciences économiques et de gestion, Université Lumière Lyon 2.

33
Conclusion :

Nous avons pu mettre en évidence que le recours aux théories de la justice sociale,
offrait des pistes de réflexion intéressantes permettant d’intégrer des considérations d’ordre
éthiques et sociales dans les politiques publiques, notamment dans le domaine des transports
urbains, en les fondant sur des bases théoriques solides. Quelques tentatives ont illustré
comment ces enseignements théoriques pouvaient se décliner dans le domaine des
transports. Cet exercice nous a permis d’envisager la difficulté d’une traduction sectorielle
de principes de justice universels. En effet, la déclinaison concrète des principes de justice
est un exercice complexe et délicat qui n’est pas exempt de certaines simplifications.

Finalement, nous avons examiné le système de transport urbain et les déclinaisons des
théories de justice sociale dans les politiques visant l’efficacité de ce système et de ce fait
les termes du débat de notre thème sont bien explicités.

34
Annexes :

1. Inégalités et transports urbains : inégalités de mobilité


Les inégalités liées au transport urbain peuvent concerner :
▪ l’inégale répartition des infrastructures de transport ;
▪ l’inégal accès à l’automobile ;
▪ l’inégal accès au transport collectif surtout pour les populations habitant dans des
zones non desservies.
Ces inégalités influencent la mobilité des personnes et de ce fait nous aurons une
différenciation de mobilité qui participe à la production et à la reproduction des inégalités
socioéconomiques (Paulo, 2006)1.
En effet, les inégalités de la mobilité des personnes auront des conséquences sur
l’accès à l’emploi, l’école, les achats, l’administration et d’une manière générale l’accès aux
activités de la ville.
Ainsi, aux Etats unis les politiques de transport adoptées sont fortement influencées
par l’hypothèse du spatial mismatch (mauvais appariement spatial). Elles se sont
essentiellement concentrées sur l’accessibilité physique au marché du travail des individus
à bas revenu. Des approches plus globales visant à intégrer l’ensemble des motifs de
déplacement de la vie quotidienne (achats, loisirs, visites…) tendent à se développer, mais
elles restent encore marginales (Clifton, 2003)2.
Aussi, les difficultés de mobilité vers l’emploi sont particulièrement aiguës pour les
individus à bas revenu, souvent localisés dans les « ghettos » des centres urbains alors que
l’emploi peu qualifié s’est fortement délocalisé en banlieue. En outre, le Personal
Responsability and Work Opportunities Reconciliation Act (1996) a initié une vaste politique
de remise au travail des bénéficiaires des aides sociales. Le passage d’une politique de

1
Paulo, .C, (2006), Inégalités de mobilités : disparités des revenus, hétérogénéité des effets, thèse en sciences
économiques, Université Lumière Lyon 2, Lyon.
2
Clifton Kelly J. Examining Travel Choices of Low-Income Populations : Issues, Methods, and New
Approaches. 10th International Conference on Travel Behaviour Research, Moving through nets : The physical
and social dimensions of travel. Lucerne, 10-15 August 2003, 23 p.

35
welfare à une politique de workfare (ou welfare-to-work), a suscité un certain renouveau des
recherches.
En France, la question des inégalités de mobilité est une thématique relativement
récente qui a pris deux orientations principales. La première s’est développée autour
d’analyses axées sur la compréhension des pratiques de populations, hétérogènes dans leurs
caractéristiques, mais ayant en commun le faible montant de leur revenu. La seconde s’est
intéressée aux modes de différenciation territoriale en privilégiant une approche spatialisée
du problème.
Le plus souvent, les travaux adoptant une entrée par les caractéristiques socio-
économiques, analysent la mobilité de groupes spécifiques : jeunes, chômeurs, femmes ou
immigrés… (Buffet, 20031 ; Costes, 20022 ; Coutras, 19933). Les conditions de mobilité
particulières rencontrées par ces catégories d’individus ont ainsi pu être explicitées :
difficultés à se repérer dans la ville, sentiment d’insécurité dans un espace public, contexte
social soucieux de préserver certaines valeurs culturelles, modèles de consommation
spécifiques, etc.
C’est pour cela que les politiques menées en France sont concentrées sur l’amélioration
des transports collectifs afin d’améliorer la mobilité des plus démunies. Toutefois, Caubel
(2005)4, par une méthode qui est déclinée sur l’agglomération lyonnaise, a montré
l’existence entre les individus d’inégalité de chances d’accès au panier de biens en 1999, au
détriment des quartiers les plus pauvres. Ces inégalités procèdent d’un inégal accès à
l’automobile trois fois plus performante que les transports collectifs, mais aussi de la
répartition hétérogène des activités et de la qualité de l’offre en transports collectifs.

En concluant, en matière de transport urbain, l’inégalité porte sur l’infrastructure,


l’accès à l’automobile et aussi les transports collectifs ce qui produit des inégalités en matière
de mobilité d’une catégorie sociale (femmes, chômeurs, handicaps,…).

1
Buffet .L (2003), Les différences sexuelles de l'accès à l'espace urbain chez les adolescents de banlieues
défavorisées. XXXIXème Colloque de l'ASRDLF, Concentration et ségrégation, dynamiques et inscriptions
territoriales. Lyon, 1-3 Septembre.
2
Costes . L, (2002), Immobilités, inégalités et management de la mobilité des étudiants en Ile-de- France.
Rapport pour le Ministère de l’Equipement des Transports et du Logement. PUCAPREDIT. RATP mission
Prospective, 87 p.
3
Coutras .J, (1993), « La mobilité des femmes au quotidien », Les Annales de la Recherche Urbaine, n°59-60
Juin-Septembre, pp. 162-179.
4
Caubel .D, (2005), Politique de transports et accès à la ville pour tous ? Une méthode d’évaluation appliquée
à l’agglomération Lyonnaise, Thèse en sciences économiques, Université Lumière Loyon 2, Lyon.

36
2. L’exclusion sociale liée au transport urbain :
Rappelons que notre thèse porte sur un espace urbain. Cela nous amène à étudier quelle
relation existe entre le transport et l’exclusion sociale dans cet espace. En effet, le système
de transport urbain peut contribuer ou même renforcer ce phénomène d’exclusion sociale au
sein de l’espace urbain. Nous parlons de l’exclusion sociale liée au transport urbain si ce
dernier aboutit à l’exclusion des individus et/ou des groupes sociaux à un certain nombre
d’endroits comme par exemple : le droit d’accès aux zones d’emploi, le droit d’accès aux
écoles et aux universités, le droit d’accès aux hôpitaux, le droit d’accès aux centres
commerciaux et le droit d’accès aux aménités urbaines d’une manière générale (espaces
verts, monuments historiques…) etc.
D’ailleurs, le système de transport urbain représente un moyen qui facilite l’accès des
populations à l’ensemble des activités de la ville ; de ce fait ; son inefficacité influencera
beaucoup les capabilités des individus et par conséquent leur réussite dans leur vie.
Ainsi, l’inefficacité du système de transport urbain peut apparaitre par exemple par le
non desservi des zones urbaines en transports collectifs et/ou la non possession d’une voiture
particulière par les ménages de ces zones seraient des facteurs qui peuvent entrainer ou
renforcer une exclusion sociale selon ses différentes dimensions pour ces populations.
Pourtant, Lucas (2004)1 a mené des recherches en Grande Bretagne sur la question des
transports et d’exclusion sociale. Confirmant les mécanismes cités plus haut, il considère
que cette question est corrélée à un grand nombre de mécanismes interdépendants et se
renforcent mutuellement :
▪ l’étalement des agglomérations ;
▪ la raréfaction des services de proximité et le taux élevé de délinquance dans les zones
défavorisées ;
▪ le manque de voiture chez les ménages à faible revenus ;
▪ la dégradation des services de transports publics ;
▪ la hausse des prix des transports et l’insuffisance des revenus ;
▪ l’exposition à la pollution et aux accidents ;
▪ la combinaison de tous ces facteurs.

1
Lucas .K, (2004), « Mobilité et pauvreté : le diagnostic au Royaume-Uni », in Orfeuil . J-P (dir), Transports
Pauvretés Exclusions : pouvoir bouger pour s’en sortir, éditions de l’aube, pp 75-98.

37
De même, le rapport de l’unité d’exclusion sociale (SEU, 2003)1 conclut que les
nouveaux modèles d’affectation des sols et la dégradation des services de transports publics
contribuent de deux façons à l’exclusion sociale : d’une part, la réduction de l’accessibilité
aux services de base limite la participation des groupes concernés aux activités quotidiennes,
et d’autre part, l’exposition excessive de ces mêmes groupes aux effets néfastes de la
circulation automobile fragilise leur condition physique. L’impact de ces mécanismes se fait
sentir non seulement au niveau des personnes concernées et de la vitalité des communautés
auxquelles elles appartiennent, mais se répercute aussi plus largement sur tout le secteur
économique et social.
L’insuffisance des moyens de transport peut avoir pour effet de priver définitivement
certaines personnes d’un emploi ou d’une formation, pérennisant ainsi leur manque de
qualification et les maintenant dans l’incapacité de gagner leur vie.
La conjonction des effets dus à une desserte insuffisante, à la pollution et au sentiment
d’insécurité ressenti lors des trajets entraîne une baisse de l’activité économique et sociale
au sein des communautés défavorisées. Il peut s’ensuivre d’un effet d’entrainement en
termes de délinquance et de comportements antisociaux, affectant la sécurité des personnes
et l’image générale de ces localités.

Au terme de ce point, nous pouvons dire que l’exclusion sociale est une notion plus
large et englobe les modalités selon lesquelles certaines personnes sont tenues à l’écart des
grands processus sociaux, économiques et politiques. L’inefficacité du système de transport
relié avec les autres mécanismes cités précédemment renforce ce phénomène d’exclusion
sociale.

3. Pauvreté, déprivation sociale et transport urbain :


J.P. Orfeuil (2004)2 souligne que se déplacer au quotidien n’a jamais été aussi facile
qu’aujourd'hui, grâce à la diffusion de l’automobile et aux progrès des transports publics.
Jamais aussi facile, certes, mais jamais aussi nécessaire, tant la vie quotidienne a changé
d’échelle et de rythme. Mais jamais aussi sélectif pourtant, car se déplacer est difficile pour
ceux que les handicaps culturels, éducatifs, économiques, privent d’une mobilité sans souci.

1
Social Exclusion Unit, (2003), Making the connections: Transport and social exclusion,
www.socialexclusionunit.gov.uk
2
Orfeuil . J-P, (2004), Transports Pauvretés Exclusions : pouvoir bouger pour s’en sortir, éditions de l’aube.

38
Or plus on est pauvre, plus il est nécessaire de se déplacer, plus il est difficile de le faire,
plus cela coûte cher, moins on accède au potentiel de la ville, et plus on risque d’être entraîné
dans des spirales qui mènent à la très grande pauvreté, à la marginalité, à l’exclusion.
De ce fait, la pauvreté des populations influence négativement leur mobilité. Cela peut
remettre en cause leur accès à la ville : des difficultés d’accès aux différentes opportunités
offertes par la ville, emplois, services, achats, équipements sanitaires et scolaires…
En effet, la limite des ressources budgétaires des ménages influence leurs pratiques
modales. Diaz olvera et al. (2005)1 a constaté que les populations des périphéries sous
équipés sont d’autant plus affectées par ces problèmes d’accessibilité que l’allongement des
distances accroit parallèlement la nécessité d’un recours aux modes de transports mécanisés.
Mais, avec une tarification élevée et la limite des ressources budgétaires rendent difficiles le
recours au transport collectif et par conséquent la marche à pied représente le seul moyen de
transport réellement accessible.
De même, Diaz olevra et al. (1998 et 2002)2, sur la base des enquêtes ménages, dans
un certain nombre de villes d’Afrique dont les taux de pauvreté sont très élevés, sur les
déplacements : Ouagadougou (1992), Bamako (1993), Niamey (1996) et Dakar (2000)
trouvent que la part de la marche à pied dans l’ensemble des déplacements quotidiens dans
ces quatre villes varie entre deux déplacements sur cinq et trois déplacements sur quatre :
42% à Ouagadougou, 57% à Bamako et jusqu’à 69% à Niamey et 73% à Dakar. Pourtant,
selon ces auteurs, le lien entre pauvreté et l’intensité de la pratique pédestre paraît tellement
net que le taux de déplacement à pied pourrait même être utilisé comme indicateur de
pauvreté.
Finalement, la relation entre la pauvreté et les transports urbains peut être se traduit
par un cercle vicieux. Si nous avons une situation de pauvreté, comme nous l’avons vu
précédemment, les populations pauvres vont choisir les modes de transports doux (surtout
la marche à pied, vélo,… dont le coût est très moindre). Ceci rendra leurs déplacements à se

1
Diaz Olvera .L, Plat .D et Pochet .P, (2005), « Marche à pied, Pauvreté et ségrégation dans les villes d’Afrique
de l’Ouest :Le cas de Dakar », in Buisson .M-A, Mignot .D (Eds), Concentration économique et ségrégation
spatiale, Bruxelles, De Boeck, coll. Economie Société Région, pp 245-261.
2
Diaz Olvera .L, Plat .D et Pochet .P, (1998), Villes africaines au quotidien, Lyon, LET, Coll. Etudes et
Recherche.
Et aussi Diaz Olvera .L, Plat .D et Pochet .P, (2002), Mobilité quotidienne et pauvreté. Méthodologie et
résultats : Enquête sur la mobilité, le transport et les services urbains à Dakar, Rapport final pour le CETUD,
Lyon, ARTUR.

39
limiter juste aux petites distances (des lieux qui seront proches de leur domicile) et de ce fait
les liens qu’elles entretiennent avec la ville seront faibles.
Cette déconnexion, qui remettra en cause l’accès des populations pauvres à la ville et
ses aménités, aura pour effet de limiter les possibilités d’améliorer la situation économique
des ménages pauvres et par conséquent la dégradation des conditions de vie de ces
populations.
Pour conclure, nous avons vu que la pauvreté des populations réduit leur mobilité et
influence leurs pratiques modales qui les soumettre un cercle vicieux de la pauvreté.

3. Transport urbain et ségrégation :


Dans la perspective de la problématique envisagée, si les transports n’étaient utilisés
que comme indicateurs de la structuration de l’espace urbain, cela impliquerait de déterminer
tout autant les liens très étroits entre transport et aménagement urbain, corroborant cette
affirmation de Pierre Merlin : « l’espace module les transports tout comme ceux-ci modulent
l’espace »1. Cette relation s’accompagne également d’une structuration sociale de l’espace
urbain qui créer ou même renforcer une ségrégation sociale au sein de ces espaces
Cette hypothèse de travail s’articule à partir de trois axes majeurs :
1. tendance à la concentration de la population et des services le long de l’axe de
transport ou des zones accessibles par différents moyens de transport disponibles ;
2. l’axe de transport joue un rôle majeur dans le renforcement des points desservis ;
3. et surtout la localisation des ménages et l’organisation sociale de l’espace urbain
sont largement fonction du système de transport qui est en interaction avec le marché du
logement jouent un rôle majeur dans la production de ségrégation sociale.
Certes, d’aucuns pensent que « les moyens de transport eux-mêmes (infrastructures,
véhicules, entreprises) ne sont, en fait, que des instruments des mouvements pendulaires,
bien plus qu’ils n’en sont les facteurs déterminants »2.
Pourtant, force est de constater que les transports peuvent être un facteur déterminant
dans la mesure où le choix de la pendularité sera en fonction de l’existence ou non d’un

1
Merlin .P, (1991), Géographie, économie et planification des transports, PUF, Paris, p 39.
2
Prenant .A, (1992), « Mobilité résidentielle, mobilité sociale et migrations pendulaires dans les pays du monde
arabe », in changement économique, social et culturel et modifications des champs migratoires internes dans
le monde arabe, Rapport final, URBAMA, p : 20.

40
mode de transport… pratique, rapide, peu onéreux, confortable, assurant une desserte et une
sécurité satisfaisantes, etc.
De la même façon, il a été démontré que l’investissement voirie favorisait la croissance
automobile (Cancalon et Gargaillo, 1991)1 et que les transports jouent un rôle structurant de
l’espace. C’est pourquoi il semble logique de replacer les transports urbains dans leur
contexte spatial.
En effet, l’aménagement des quartiers, notamment périphériques et leur desserte par
les transports collectifs urbains traduisent le degré d’intégration de ces espaces à
l’agglomération, et de ces habitants à la communauté urbaine.
De ce fait, les transports collectifs sont un facteur d’intégration ou de ségrégation des
populations selon qu’ils permettent ou non une mobilité suffisante pour modifier le vécu
urbain, répondre à des besoins de déplacements susceptibles d’éviter une marginalisation.
Les transports collectifs ont notamment un rôle intégrateur pour certains groupes sociaux
(handicapés, jeunes et femmes –moins motorisées que les hommes-, captifs financiers)2, qui
doit se traduire par une réelle accessibilité à l’ensemble des composantes de la ville, ce qui
autorise à revendiquer le droit au transport.

1
Cancalon .F et Gargaillo .L, (1991), Les transports collectifs urbains : quelles méthodes pour quelle
stratégie ?, éd. Celse, Paris, p : 7.
2
Ibid. p : 195.

41

Vous aimerez peut-être aussi