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Histoire du travail

SOCA D 446
Nicolas Verschueren nicolas.verschueren@ulb.be

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Bienvenue

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Aspect de contrainte – d’exploitation

• Dimension affective
• Impact du new management (vocabulaire, encadrement, gestion
des ressources humaines, coach,…
• De l’aliénation à l’adhésion
Qu’est-ce que • Le travail: lieu de réalisation de soi?

le travail? Travail en tant qu’activité, en tant que notion dans la


société, en tant que facteur intégrateur

Travail: dimensions économiques, sociales,


culturelles, philosophiques, techniques,…

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Paul Lafargue, Le droit à la
paresse, 1880
• « Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations
où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa
suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux
siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour
du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à
l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa
progéniture Au lieu de réagir contre cette aberration
mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes, ont
sacro-sanctifié le travail. Hommes aveugles et bornés, ils
ont voulu être plus sages que leur Dieu; hommes faibles et
méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce que leur Dieu avait
maudit.

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Le Travail Maudit
Le Travail à la
croisée des
chemins
La Punition divine
du Travail
Qu’est-ce que le
travail?
Quand est-il
apparu?
La Révolution Le Travail
industrielle sacralisé

Capitalisme et
Travail

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Quel cours d’histoire?

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1. Informations pratiques et
mises en bouche

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1. Informations
pratiques
• 7-8 séances
• Cours théoriques avec analyse de cas
historiques
• Livre à lire et discuté en classe

• Examen

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1. Informations pratiques
• Principaux thèmes et questions
centrales
 Approche critique de la notion de travail
 Comprendre la notion de travail comme
une création historique, une notion
évolutive
 Approches culturelles et techniques du
travail

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Support du cours • Pas de syllabus, seulement les slides sur
l’UV et les notes de cours
• Slides:
 À compléter avec des notes de cours

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Lecture
obligatoire

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Le cours
• De la préhistoire à nos jours?
• Toutes les formes et concepts, toutes les évolutions du
travail?
• Impossible à mettre en œuvre
• Nombreux biais dans le contenu
 Focalisation sur l’histoire du travail en Occident

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Qu’est-ce que j’attends de vous?
• Connaissances des grandes étapes de l’histoire du travail, de l’évolution de la notion
de travail
• Un esprit critique
• Comprendre comment le rapport au travail a évolué de la préhistoire à nos jours
• Avoir certaines notions d’une approche technique, sociale et culturelle de l’histoire
du travail
• Comprendre ce qui est en jeu dans chaque partie, thème ou chronologie abordée
• Casser les idées préconçues, les raccourcis historiques
• Et surtout pas juste copier-coller de notes de cours

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Première Partie:
De la Préhistoire au Moyen-Âge
I. Préhistoire et sociétés primitives: des sociétés sans travail
I. Le travail dans les sociétés primitives
II. Le temps de « travail » dans les sociétés primitives

II. L’Antiquité
I. Question sur la notion de travail
II. Approche critique et philosophique

III. Une approche culturelle dans la longue durée

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Première
partie
Nos ancêtres travaillaient-ils ou
travaillaient-ils plus ou moins?

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Première Partie:
De la Préhistoire et/ou sociétés primitives
• Sorte de temps zéro
• Vision de sociétés humaines avant l’apparition de la notion du
travail moderne
• Qu’est-ce que le travail à l’origine? Y aurait-il eu un moment où le
Travail est né?
• Qu’est-ce que le travail dans ses sociétés préhistoriques?
• Quel était leur temps de « travail »? Retour sur l’époque
contemporaine, vision romantique et rousseauiste?

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Le travail en Occident
• Jürgen Habermas, « nos sociétés occidentales sont fondées sur le
travail »
 Objet d’études matérielles et conceptuelles

• Le
travail tel que nous « l’entendons » est-il une référence
homogène dans le temps et dans l’espace?
 Christianisme: Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième
 Opus-création/Travail-labeur
 Travail: tripalium/torture
 Le travail a commencé? Naissance
 Travail comme peine, comme valeur, comme création

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Le travail en Occident
 Difficile de sortir de notre contexte historique, de notre vécu pour
aborder l’histoire du travail
 Illusion de trouver une référence première, une définition, une
expérience à l’origine de tout et qui aurait évoluée par la suite
 Le travail a-t-il été inventé?
 À ces difficultés, s’ajoute celle de séparer les notions d’emploi et de
travail, l’activité, la production, le rapport social.
 Image d’un oignon dépourvu de centre

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Le travail en Occident
• Le travail point commun de tous les politiciens (gauche à droite)
• Sans travail : pas de « richesse »
 Problème de la pénurie
 Mais d’autres sociétés: présupposé de l’abondance
 Séparation travail et loisir?
 Qu’est-ce qui est nécessaire et indispensable?

 Pourquoi autant d’importance au travail par rapport aux chasseurs-cueilleurs?


 Alors qu’on vit d’abondance pourquoi tant d’inquiétude sur la pénurie?
 Pourquoi tant d’inquiétude face à l’automation et l’IA?
 L’urbanisation comme vecteur d’inégalité et création d’une identité à travers le travail
 Le travail sédentaire: la chute du paradis
 Pourquoi travaille-t-on autant? Peut-être est-ce que parce qu’on est surabondant.

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James Suzman, Work, A
history of how we spend
our time

• Évolution: pas seulement une


bataille pour faire face à la
pénurie mais également pour
« gaspiller des ressources »

• Être humain?/!

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James Suzman, Work, A
history of how we spend our
time
• L’importance du feu et de la cuisine
• Temps libéré
• Importance de l’ennui
• Début de la civilization?
• Rôle des longs hivers comme saut
“civilisationnel” ou “cognitif”

• Chasser l'ennui à tout prix est vulgaire, comme


de travailler sans plaisir.
• (Nietzsche)

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James Suzman, Work, A
history of how we spend our
time
• La sédentarisation a généré l’augmentation du
travail (exemple: le travail du sol)
• La sédentarisation a généré un déclin sanitaire
• Mais productivité plus importante pour éviter
la pénurie
• Le poids de l’enthropie (plus c’est complexe
plus…
• One of the most profound legacies of the
transition to farming was to transform the way
people experienced and understood times
(p.235)

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Les sociétés sans travail

1. Les sociétés primitives


2. Les sociétés antiques (Egypte-Grèce-
Rome)

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Les sociétés primitives?
• Pour bien comprendre ce qu'est la société en général et, en particulier, notre société
urbaine moderne, il est utile d'étudier les sociétés qui ressemblent le moins à la nôtre,
soit, les sociétés dites "primitives". Sous certains rapports, toutes les sociétés sont
semblables ; sous d'autres, toutes diffèrent. Nous posons donc comme postulat que
toutes les sociétés primitives ont certains traits communs qui nous permettent de nous
les représenter comme correspondant à un certain type, - type qui est l'antithèse de la
société urbaine moderne.
• Ce type-là est purement idéal. C'est une construction de notre esprit. Aucune société
connue ne correspond parfaitement à ce type ; cependant, les sociétés auxquelles se sont
surtout intéressés les anthropologues s'en rapprochent beaucoup.
• Robert Redfield, 1947

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Sociétés primitives?
• Chasseurs-Cueilleurs

• Sociétés préhistoriques non sédentaires?


• Vision idéale-typique
• Vue de l’esprit
 Multiplicité des situations

• Sociétés restreintes, isolées, illettrées,…

• Un moyen « d’idéaliser les sociétés humaines originelles »


• Qu’en est-il du travail dans ces sociétés?
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29
Des sociétés sans travail?
• Le travail dans les sociétés primitives
 Approche très différente du travail, pas d’idée
d’accumulation et de production pour l’échange
 « tâches à effectuer pour la reproduction sociale »
 Inexistence de la notion de travail ou sens très différent
 Double perception des sociétés primitives: écrasées par le
travail (immaturité technologique, rationnelle,…) ou
dépourvues d’une économie basée sur l’augmentation des
richesses par un accroissement de la valeur par le travail.

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Des sociétés sans travail?

 Le travail n’est donc pas une notion économique mais davantage un


fait social non individuel.
 Il ne peut être abstrait ou détaché d’autres faits sociaux
 Le travail existe-t-il s’il n’est pas considéré comme tel?
 En Occident: l’économie, le travail, la production des biens ne sont
devenus des faits dissociés qu’au courant du 18 ème siècle
 Le salariat ou l’homme vendant sa force de travail n’apparaît donc
que très tardivement y compris en Occident (12-14 ème s.) et
généralisation plus tardive

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Des sociétés sans travail?
• Le travail n’est pas né avec l’homme et la vie en société
 C’est une création historique dont l’essence a fortement changé au
cours du temps et des territoires
 Impossible d’analyser les sociétés primitives à partir de nos cadres
de référence
 Il n’existe aucune définition capable de proposer une réponse à la
question du travail dans toutes ces sociétés: contraire d’un invariant
historique. Il n’existe pas de notion générale universelle du travail

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Des sociétés sans travail?

Dans les sociétés primitives:


Le travail n’est pas vecteur d’identité, de statut
social, de qualifications, les individus ne se
définissent pas par leur « travail »

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Des sociétés sans
travail?
 Absence de la notion de travail
ou pluralité de sens

 Absence de terminologie
propre au travail et/ou Pluralité
des significations qui lui sont
consacrées
 Le plus souvent, il n’y pas une
quête vers l’abondance,
l’accumulation des richesses ou
à la thésaurisation, le temps
consacré à la satisfaction des
besoins est en somme très
réduite

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Des sociétés sans travail?
• Letravail peut alors être défini dans une approche plus extensible à ce
que l’on connaît, associant le jeu, les rites,… ou beaucoup plus
restrictive
• Toujoursest-il que le travail ne se conçoit pas comme une activité
spécifique, indépendante des autres fonctions sociales.
• Absenced’une perspective économique aux relations sociales, pas
d’échange économique tel que nous le percevons depuis le 18 ème siècle
(mais don-contre don, relations inter-tribus,…)

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Exemples

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Des sociétés sans travail
• « Le Trobriandais travaille guidé par des mobiles fort complexes,
où interviennent la société et la tradition; ses objectifs réels n’ont
absolument rien à voir avec la satisfaction des besoins présents
ou la réalisation immédiate de projets utilitaires. C’est ainsi que
le travail ne se base pas sur la loi du moindre effort. Bien au
contraire, beaucoup de temps et d’énergie est consacré à des
tâches tout à fait superflues. En outre, le labeur, au lieu de
représenter un moyen en vue d’une fin, est en un sens une fin en
soi ».
• Malinowski, Les argonautes du Pacifique occidental.

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38
• Le Trobriandais consacre à la culture la moitié de sa vie active, et une part plus grande encore de ses soucis et de ses ambitions tourne autour du
jardinage. Aussi convient-il de s'arrêter un instant et d'essayer de comprendre son attitude à cet égard, car elle est typique de la manière dont il
s'acquitte de tous ses travaux. Tant que l'on persistera à voir dans l'indigène un enfant de la nature insouciant et paresseux, qui évite dans toute
la mesure du possible de s'employer à une tâche et de se donner du mal, qui attend que lui tombent mûrs dans la bouche les fruits qu'une Nature
tropicale féconde lui dispense avec générosité, on s'abusera, et on restera incapable de saisir les motifs qui l'inspirent et les buts qu'il poursuit
quand il se lance dans une expédition Kula ou dans toute autre entreprise. Bien au contraire, la vérité est que l'indigène peut travailler, et, en
certaines occasions, travaille effectivement très dur ,et de façon systématique, avec endurance et volonté, et qu'il n'attend pas pour le faire d'y
être contraint par des besoins urgents.
• Dans le jardinage, par exemple, les indigènes produisent beaucoup plus qu'il n'est vraiment nécessaire, et chaque année moyenne les voit
récolter peut-être le double de ce qu'ils peuvent manger. De nos jours, ce surplus est exporté par les Européens pour nourrir la main-d'oeuvre
des plantations dans d'autres parties de la Nouvelle-Guinée; jadis, il était simplement destiné à pourrir. En outre, ils produisent ce surplus d'une
manière qui exige bien plus de travail qu'il n'est utile. Beaucoup de temps et d'application sont consacrés à des travaux d'aménagement : veiller
à la bonne ordonnance des jardins, faire que ceux-ci soient propres et déblayés, édifier de belles et solides clôtures, se pourvoir de gros et
résistants tuteurs à ignames. Tout cela est, dans une certaine mesure, requis pour que les plantes arrivent en de bonnes conditions à maturité,
mais il n'est pas douteux que les indigènes poussent la conscience professionnelle bien au delà de l'indispensable . L'élément non utilitaire de
leur travail apparaît encore mieux dans les diverses tâches qu'ils accomplissent à des fins uniquement esthétiques, pour se conformer aux rites
magiques et aux usages de la tribu. Ainsi, une fois que le sol a été scrupuleusement défriché et qu'il est prêt pour être planté, les indigènes
divisent chaque parcelle en petits carrés de quelques yards de côté, et ceci n'est fait que par fidélité à la tradition, afin de donner aux jardins
belle apparence. Aucun homme qui se respecte ne songerait à se soustraire à cette obligation. De plus, dans les jardins particulièrement soignés,
de longs bâtons horizontaux sont attachés aux supports des ignames, pour les embellir davantage. Un autre exemple de travail non utilitaire, et
sans doute le plus intéressant, nous est fourni par les gros tas en forme de prisme, appelés kamkokola, qui servent au décor et aussi à la magie,
mais n'ont rien à voir avec la culture (comp. Pl. LIX).
• Parmi les forces et les croyances sur lesquelles repose le travail de jardinage et qui servent à le régenter, la magie est sans doute la plus
importante. Elle forme un domaine séparé, et le magicien des jardins, à côté du chef et du sorcier, est le principal personnage du village. La
situation est héréditaire, et, dans chaque hameau, un système particulier de magie est transmis, en ligne féminine, de génération en génération.
Je l'ai qualifié de système, car, sur le jardin, le magicien doit célébrer une série de rites et prononcer des formules qui se synchronisent avec la
marche de l'ouvrage, qui marquent le début de chaque étape du travail et de chaque développement nouveau de la vie végétale. Mais avant que
ne commence la tâche, il doit consacrer le site par un important acte cérémoniel auquel tous les hommes du village participent. Cette cérémonie
ouvre officiellement la saison du jardinage, et ce n'est qu'après sa célébration que les villageois commencent à désherber leurs lopins de terre.
Brûlage, défrichement, plantage, sarclage et récolte - autant de phases qui, l'une après l'autre, sont inaugurées par le magicien en une suite de
rites.
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• Le Trobriandais consacre à la culture la moitié de sa vie active, et une part plus
grande encore de ses soucis et de ses ambitions tourne autour du jardinage.
• Aussi convient-il de s'arrêter un instant et d'essayer de comprendre son attitude à cet
égard, car elle est typique de la manière dont il s'acquitte de tous ses travaux. Tant
que l'on persistera à voir dans l'indigène un enfant de la nature insouciant et
paresseux, qui évite dans toute la mesure du possible de s'employer à une tâche et de
se donner du mal, qui attend que lui tombent mûrs dans la bouche les fruits qu'une
Nature tropicale féconde lui dispense avec générosité, on s'abusera, et on restera
incapable de saisir les motifs qui l'inspirent et les buts qu'il poursuit quand il se lance
dans une expédition Kula ou dans toute autre entreprise.
• Bien au contraire, la vérité est que l'indigène peut travailler, et, en certaines
occasions, travaille effectivement très dur ,et de façon systématique, avec endurance
et volonté, et qu'il n'attend pas pour le faire d'y être contraint par des besoins urgents.

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• Dans le jardinage, par exemple, les indigènes produisent beaucoup plus qu'il n'est vraiment nécessaire, et chaque
année moyenne les voit récolter peut-être le double de ce qu'ils peuvent manger. De nos jours, ce surplus est
exporté par les Européens pour nourrir la main-d'oeuvre des plantations dans d'autres parties de la Nouvelle-
Guinée; jadis, il était simplement destiné à pourrir. En outre, ils produisent ce surplus d'une manière qui exige
bien plus de travail qu'il n'est utile.
• Beaucoup de temps et d'application sont consacrés à des travaux d'aménagement : veiller à la bonne ordonnance
des jardins, faire que ceux-ci soient propres et déblayés, édifier de belles et solides clôtures, se pourvoir de gros
et résistants tuteurs à ignames. Tout cela est, dans une certaine mesure, requis pour que les plantes arrivent en de
bonnes conditions à maturité, mais il n'est pas douteux que les indigènes poussent la conscience professionnelle
bien au delà de l'indispensable. L'élément non utilitaire de leur travail apparaît encore mieux dans les diverses
tâches qu'ils accomplissent à des fins uniquement esthétiques, pour se conformer aux rites magiques et aux
usages de la tribu.
• Ainsi, une fois que le sol a été scrupuleusement défriché et qu'il est prêt pour être planté, les indigènes divisent
chaque parcelle en petits carrés de quelques yards de côté, et ceci n'est fait que par fidélité à la tradition, afin de
donner aux jardins belle apparence. Aucun homme qui se respecte ne songerait à se soustraire à cette obligation.
De plus, dans les jardins particulièrement soignés, de longs bâtons horizontaux sont attachés aux supports des
ignames, pour les embellir davantage. Un autre exemple de travail non utilitaire, et sans doute le plus intéressant,
nous est fourni par les gros tas en forme de prisme, appelés kamkokola, qui servent au décor et aussi à la magie,
mais n'ont rien à voir avec la culture.

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• Parmi les forces et les croyances sur lesquelles repose le travail de jardinage et qui
servent à le régenter, la magie est sans doute la plus importante. Elle forme un
domaine séparé, et le magicien des jardins, à côté du chef et du sorcier, est le
principal personnage du village. La situation est héréditaire, et, dans chaque hameau,
un système particulier de magie est transmis, en ligne féminine, de génération en
génération. Je l'ai qualifié de système, car, sur le jardin, le magicien doit célébrer une
série de rites et prononcer des formules qui se synchronisent avec la marche de
l'ouvrage, qui marquent le début de chaque étape du travail et de chaque
développement nouveau de la vie végétale.
• Mais avant que ne commence la tâche, il doit consacrer le site par un important acte
cérémoniel auquel tous les hommes du village participent. Cette cérémonie ouvre
officiellement la saison du jardinage, et ce n'est qu'après sa célébration que les
villageois commencent à désherber leurs lopins de terre. Brûlage, défrichement,
plantage, sarclage et récolte - autant de phases qui, l'une après l'autre, sont
inaugurées par le magicien en une suite de rites.

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Des sociétés sans travail?
• A. Absence de notion de travail
• B. Décalages, pluralité de la notion de travail

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Des sociétés sans travail?
• A. Absence de la notion
• Maenge d’Océanie
 « Il n’existe pas de notion de travail comme telle, non plus que de mot distinct pour
isoler les « activités productives » des autres comportements humains (…) En revanche,
il existe, fortement marquée et fréquemment évoquée, la notion de peine ou de
souffrance qui apparaît entre autres contextes, dans celui du jardinage » Michel Panof,
L’Homme, 1977.

• Les Achuar d’Amazonie


 « ils ne disposent d’aucun terme ou notion qui synthétiserait l’idée de travail en général,
c’est-à-dire l’idée d’un ensemble cohérent d’opérations techniques visant à produire tous
les moyens matériels de leur existence »

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45
Des sociétés sans travail?
• B. Décalages de la notion de travail
• Si la notion existe bel et bien, son emploi dépasse le seul aspect de la
production.
 Chez les Tatuyo d’Amazonie: un chef et chaman dit:
 « Le chaman pense, il pense toutes les choses du monde, tous les lieux du monde. Penser est son
travail (utilisation du terme propre à désigner le travail des femmes dans les plantations); il
travaille avec son cœur, il travaille avec sa tête. Il travaille la nuit, il travaille aussi le jour. Le soir il
mange de la coca et la nuit il ne dort pas, il pense, son cœur pense, il voit les choses….
 Patrice Bidou, le travail du chaman, 1983
 Développement d’une conception du travail qui est très différente des conceptions
chrétiennes ou modernes. Le travail est alors une notion s’étendant à toutes les activités
effectuées pour la « société ».

46
47
Des sociétés sans travail?
• Une division en genres (sexe) des activités, du travail dans toutes les sociétés?

• En Occident, généralement, lorsqu’une activité se féminise, elle se dévalorise socialement et


économiquement
• Métier féminin? Lié aux rôles attribués à la femme (enfantement, éducation, travail
domestique: laver, coudre,…), le métier de la femme est vu comme une continuité de ses
aptitudes « naturelles », de sa fonction: mère et/ou épouse

• Mais pas perçu de la même manière dans d’autres sociétés


 Tâches différenciées mais pas hiérarchisées
 Inversion des rôles attribués aux hommes et aux femmes dans les sociétés occidentales par
rapport à certaines sociétés primitives
 Femmes qui cultivent la terre
 Indiens du Mexique: hommes qui travaillent la laine 48
Des sociétés sans travail?
• Réactions des conquistadores espagnols au Mexique au 16 ème
siècle face aux Indiens tarasques:
 « les hommes lavent la laine, la cardent et la filent, dans ce village comme
dans toute la province de Michoacan; et ils la filent non seulement à
l’intérieur de leurs maisons, mais sur la porte et dans les rues, tenant la
touffe de laine d’une main et le fuseau de l’autre; et ils n’en éprouvent
aucune honte, quoique cela nous fasse rire, nous, Espagnols. » Jean Pierre
Berthe, « L’évangile et l’outil…

49
Province de Michoacan

50
Débat historique et sujet
capital en histoire du travail
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont-elles
écrasées par la quête de nourriture et des moyens
de subsistances permettant la reproduction de ces
sociétés?

51
Débat: les sociétés de chasseurs-cueilleurs sont-elles
écrasées par la quête de nourriture et des moyens de
subsistances permettant la reproduction de ces sociétés?
• Type de préjugés

 Écrasés par cette quête de nourriture >< Longs périodes de « loisirs »?


 Choc culturel des premiers Européens face aux peuplades d’Amérique du Sud
 Résistances au travail, mises en esclavages
 Voir le rapport de Roger Casement sur l’exploitation des Indiens d’Amazonie ou
du Congo

52
Débat
• Les Bushmen du Kalahari, les Indiens Guyaki,...
 Les activités de chasse, de pêche et de récolte ne dépassaient pas 4 heures par jour
 Longues périodes d’ « oisiveté »

• Pas de nécessité de dégager des surplus alimentaires ou autres (tabac,…)


• Les éventuels surplus sont consommés ou jetés

• L’éventuel progrès technique ne sert pas à produire davantage dans le même laps
de temps mais à produire la même quantité dans un temps plus court.
• Une fois les besoins satisfaits aussi limités fussent-ils, rien n’oblige ces sociétés
à produire davantage

53
Débat
• Chasseurs
cueilleurs perçus comme des sociétés en quête
permanente de moyens de subsistance
• Cultivateurs-éleveurs: progrès dans les conditions de vie
-> début de la civilisation (écriture, artisanat, commerce,
…)

54
Débat
• Congrès de Chicago de 1966 sur les chasseurs-cueilleurs
 Percée de l’idée des sociétés primitives non écrasées par la quête des subsistance

• Contribution la plus célèbre: Marshall Sahlins, Stone Age Economics, 1972


 Chapitre 1: “The Affluent Original Society”
 Cfr Galbraith, The Affluent Society, 1958 (début des 30 glorieuses)
 Intérêt renouvelé: republié en français et en anglais

• Les chasseurs cueilleurs disposeraient d’une alimentation aussi abondante et riche


que les agriculteurs et éleveurs avec une moins grande charge de travail
• Et lorsque des progrès techniques apparaissent (par contacts de culture: ils ont été
utilisés souvent pour accroître les périodes de oisiveté).

55
Débat
• Ils
vivaient de manière prospère mais sans abondance car leurs
besoins étaient réduits
• Le retour du mythe du bon sauvage?
• Marshall Sahlins « Les chasseurs-collecteurs travaillent moins
que nous et (...) loin d'être un labeur continu, la quête de
nourriture est, pour eux, une activité intermittente, (...) ils
jouissent de loisirs surabondants et dorment plus dans la journée,
par personne et par an, que dans tout autre type de société »

56
Débat

• Indifférence pour les biens matériels


• Meilleursconstitutions physiques, régime plus varié, vie
plus saine (sédentarisation: alimentation moins diversifiée,
maladie,…)
• Reproduction plus espacée dans le temps.

57
Temps consacré aux activités de recherche et de préparation
alimentaire chez les chasseurs cueilleurs d’Australie

58
Débat
• Marshall Sahlins: « les Hadza ont refusé les bienfaits de la révolution
néolithique afin de sauvegarder leurs loisirs. « Circonvenus de tous côtés
par des agriculteurs, ils ont refusé jusqu’à tout récemment d’adopter des
pratiques agricoles, « alléguant pour motif principal que cela entraînerait
trop de travail ». En cela, ils rejoignent les Bochimans qui, à la question
néolithique, répondent par une autre : « Pourquoi planterions-nous,
lorsqu’il y a tellement de noix mongo-mongo dans le monde ? »
• Témoignage actuel: « ‘Il n’y a aucun souvenir de famine dans notre
histoire orale. Ce qui s’explique par un mode de vie très dépendant des
ressources naturelles, telles les baies, les tubercules, les fruits des
baobabs, le miel et les animaux sauvages dont nous nous nourrissons. En
vivant de cette façon, nous maintenons l’équilibre de l’environnement
dont nous dépendons.’

59
Hadza,
Ju/’hoansi,Yolngu,…

• “gaspillage” de nourriture

• Pas d’accumulation

• Nourriture et biens également


répartis

• Demand sharing (contredit


l’opposition entre égalité
matérielle et liberté
individuelle)

• Celui qui “capitalise”, qui


chasse et récolte de manière
abondante est rayé

60
Débat: Pierre CLASTRES, “La Société contre l’État”,1974.
• C’est dire qu’une fois assurée la satisfaction globale des besoins énergétiques, rien ne saurait inciter la société
primitive à désirer produire plus, c’est-à-dire à aliéner son temps en un travail sans destination, alors que ce
temps est disponible pour l’oisiveté, le jeu, la guerre ou la fête. à quelles conditions peut se transformer ce
rapport de l’homme primitif à l’activité de production ? à quelles condi­tions cette activité s’assigne-t-elle un
but autre que la satis­faction des besoins énergétiques ? C’est là poser la question de l’origine du travail comme
travail aliéné.

• Dans la société primitive, société par essence égalitaire, les hommes sont maîtres de leur activité, maîtres de la
circu­lation des produits de cette activité : ils n’agissent que pour eux-mêmes, quand bien même la loi
d’échange des biens médiatise le rapport direct de l’homme à son produit. Tout est bouleversé, par conséquent,
lorsque l’activité de pro­duction est détournée de son but initial, lorsque, au lieu de produire seulement pour
lui-même, l’homme primitif produit aussi pour les autres, sans échange et sans réciprocité. C’est alors que l’on
peut parler de travail quand la règle égalitaire d’échange cesse de constituer le “code civil” de la société,
quand l’activité de production vise à satisfaire les besoins des autres, quand à la règle échangiste se substitue
la terreur de la dette. C’est bien là en effet qu’elle s’inscrit, la diffé­rence entre le Sauvage amazonien et
l’Indien de l’empire inca. Le premier produit en somme pour vivre, tandis que le second travaille, en plus,
pour faire vivre les autres, ceux qui ne travaillent pas, les maîtres qui lui disent il faut payer ce que tu nous
dois, il faut éternellement rembourser ta dette à notre égard.

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• Quand, dans la société primitive, l’économique se laisse repérer comme
champ autonome et défini, quand l’activité de production devient travail
aliéné, comptabilisé et imposé par ceux qui vont jouir des fruits de ce travail,
c’est que la société n’est plus primitive, c’est qu’elle est devenue une société
divisée en dominants et dominés, en maîtres et sujets, c’est qu’elle a cessé
d’exorciser ce qui est destiné à la tuer : le pouvoir et le respect du pouvoir.
La division majeure de la société, celle qui fonde toutes les autres, y compris
sans doute la division du travail, c’est la nouvelle disposition ver­ticale entre
la base et le sommet, c’est la grande coupure politique entre détenteurs de la
force, qu’elle soit guerrière ou religieuse, et assujettis à cette force. La
relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique
d’exploi­tation. Avant d’être économique, l’aliénation est politique, le pouvoir
est avant le travail, l’économique est une dérive du politique, l’émergence de
l’État détermine l’apparition des classes.

62
Débat
•À l’inverse
• Pendant très longtemps, perçus comme une vie d’âpres quêtes pour
la nourriture ne laissant aucun temps pour le développement des
techniques, la construction
• Le
développement de l’agriculture était perçu comme un progrès
humain, une étape vers le développement de la culture

63
Débat

• Arguments opposés à la théorie de l’Original Affluent Society

 Biais dans le choix des groupes pour soutenir cette hypothèse


 Investigation sur de courtes périodes
 Que se passe-t-il dans des périodes anormales (mauvaises conditions
météo,…)
 Les chasseurs cueilleurs du 20ème s. utilisent des instruments modernes

64
Débat

• Arguments opposés à la théorie de l’Original Affluent Society


 Attention particulière sur les chasseurs-cueilleurs du Kalahari: perçus
comme des peuples bienheureux (les dieux nous sont tombés sur la tête)
 Études menées pendant les saisons les plus prospères
 Exemple: étudier les peuples esquimaux en juin-juillet
 Négligent une série d’activités: réparation des outils, cuisiner…
 Et dans les sociétés modernes: pose la question de la nature du travail
 Entretenir son jardin, lire, cuisiner,…

65
Débat

• Arguments opposés à la théorie de l’Original Affluent Society


 De nombreuses études contredisent l’interprétation d’une société prospère chez les
Bushmen: nombreuses périodes de faim, de sous-alimentation
 Ils n’ont pas choisi de limiter leur besoin, ils n’avaient pas d’autres choix (saison
chaude Kalahari: 60° au soleil, sable à 70°)
 Le succès de cette approche est lié au contexte des années 1960-1970

66
Que conclure sur cette question?
• Impossibilité de trouver une définition du travail commune pour
ces sociétés
• Impossibilitéde trouver une date, un évènement, une société où la
notion de travail a véritablement commencé
• Leschasseurs-cueilleurs, peuples de la liberté, des loisirs et/ou de
l’abondance?
 Une question irrésolue
 Une projection de nos questionnements contemporains

67
Que conclure sur cette question?
• Pour des étudiants en sciences du travail
 Réflexion sur les « débuts » du travail
 Regard critique sur les études scientifiques
 Une forme d’instrumentalisation des peuples primitifs
 Le travail est une notion construite dans le temps, sa fonction, sa valeur s’est
modifié dans le temps
 Donc

 Elaborer un contre-discours ou développer notre esprit critique

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