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CE QUE DIT M.

OCTAVE MIRBEAU

M. Octave Mirbeau, on le sait, se tient soigneusement au courant du mouvement


littéraire actuel. Il suit attentivement les jeunes, parmi lesquels Apollinaire tient la place que
nous venons de dire. Aussi avons-nous estimé intéressant de demander à l'auteur du Jardin
des Supplices ce qu'il pense du cas qui nous préoccupe.
M. Octave Mirbeau nous répond :

— Je tiens M. Guillaume Apollinaire en haute estime, pour son caractère et


pour son talent littéraire. Il n'a pas encore donné tout ce qu'on peut attendre de lui :
c'est un artiste, c'est un érudit, c'est un travailleur ardent : il ne peut pas être un
malhonnête homme.
Le clan des profiteurs, des lâches, des arrivistes féroces ne compte pas un
homme de la valeur de Guillaume Apollinaire.
Celui-ci n'avait pas besoin de recourir aux profits du vol, car il mérite, déjà, de
gagner largement sa vie avec sa plume.
J'ai lu, ce matin, dans Paris-Journal, le récit de son arrestation. C'est tout
simplement ignoble.
On met sous les verrous un écrivain pour un délit que le Code connaît, mais
que ma conscience ne connaît pas ! Voilà les mœurs d'aujourd'hui ! Si je rencontre M.
Guillaume Apollinaire dans la vie, après une condamnation infligée à l'aide des justes
lois, je lui tendrai la main, et j'estime que cet incident n'aura aucune influence sur la
carrière qu'il doit poursuivre...
Et dire, ajoute M. Mirbeau, que tout cela est arrivé à cause du vol de la
Joconde... un tableau de commerce, et rien autre chose...
J'aurais voulu féliciter M. Camille de Sainte-Croix du courageux article écrit
par lui à propos de cette œuvre, qui fit commettre tant de sottises...
Le « sourire » de la Joconde... il existe, certes, ce sourire, bête comme nombre
de sourires. Il a fallu la « littérature » pour le rendre licencieux. Mais pourquoi tant
d'histoires, quand il y a, tout près du panneau vide, un Giorgione et tant de merveilles
dans la salle des Primitifs ?
Mais le Louvre, c'est le Louvre où l'on pouvait tout imposer et tout voler sous
le solennel savant qu'était M. Homolle, et où l'on peut encore tout imposer et tout
voler sous l'inconnu qui le remplace, sans être un savant : l'administration, c'est
l'administration des Beaux-Arts, avec M. Dujardin-Beaumetz à sa tête, et la justice,
c'est celle qui emprisonne Guillaume Apollinaire !...
Laissez-moi dire encore combien celui-ci compte d'amis parmi les écrivains, y
compris dans notre Académie des Goncourt, M. Léon Daudet, qui a chaudement
défendu le livre de ce « juif ».
Pourtant, tout cela manque de poids auprès de M. Drioux !...»

Paris-Journal, 10 septembre 1911

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