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Cardiologie - Pathologie vasculaire

B 373

Thrombolytiques
Principes et règles d’utilisation
Pr Bernard CHARBONNIER, Dr Gérard PACOURET
Cardiologie D et unité de soins coronaires intensifs, CHU Trousseau, 37044 Tours cedex

Points Forts à comprendre L’affinité de l’anistreplase pour la fibrine du thrombus est


limitée. Les problèmes allergiques et antigéniques sont les
mêmes qu’avec la streptokinase.
• Les thrombolytiques, quels qu’ils soient,
transforment le plasminogène en plasmine pour Urokinase et pro-urokinase
lyser le thrombus.
• Fibrinospécifiques ou non, aux doses utilisées, les 1. Urokinase
thrombolytiques provoquent par l’intermédiaire Elle est produite à partir de cultures de cellules rénales. For-
de la plasmine libre une baisse du plasminogène et mée de deux chaînes polypeptidiques, elle existe sous deux
une dégradation des facteurs de coagulation (V et formes de haut et de bas poids moléculaire. L’urokinase
VIII). transforme directement le plasminogène en plasmine, elle
• Les thrombolytiques sont toujours plus n’est pas antigénique, les traitements itératifs sont possibles.
rapidement actifs que l’héparine pour lyser les
thromboses d’origine artérielle ou veineuse. 2. Pro-urokinase
• Les thrombolytiques, surtout ceux de dernière Ou single chain urokinase type plasminogen activator (scu-
génération, augmentent le risque hémorragique PA). Synthétisée par génie génétique, la pro-urokinase ou
par rapport à l’héparine, notamment en cas saruplase est un polypeptide monocaténaire précurseur de
d’explorations invasives et au niveau cérébral. l’urokinase. En présence de fibrine, elle devient capable
d’activer le plasminogène en plasmine ; elle a donc une
fibrinospécificité relative.
Activateur tissulaire du plasminogène
(tissue-plasminogen activator t-PA) et dérivés
Nature et mécanismes d’action
(fig. 1) 1. t-PA
Il est synthétisé par les cellules endothéliales. Il est présent
Streptokinase (SK) à l’état de traces dans le plasma. Produit par génie géné-
et complexe plasminogène-streptokinase tique, le recombinant t-PA (rt-PA) ou alteplase est une gly-
acylée (APSAC ou Éminase) coprotéine monocaténaire. En présence de fibrine, le rt-PA
devient un activateur très puissant et très rapide du plas-
1. Streptokinase minogène. Il se fixe sur la fibrine du thrombus et est donc
La streptokinase est produite par plusieurs variétés de strep- fibrinospécifique. L’effet lytique plasmatique est plus faible
tocoques. Elle n’a pas d’activité enzymatique propre. Elle qu’avec les autres thrombolytiques.
ne peut transformer le plasminogène en plasmine qu’après 2. Reteplase
formation d’un complexe équimoléculaire streptokinase-
plasminogène dit complexe activateur. Elle n’a aucune Produite par génie génétique, c’est un dérivé du t-PA natu-
fibrino-spécificité. Elle est antigénique. Le taux d’anticorps rel, dont la structure moléculaire a été modifiée. Ce chan-
reste élevé plusieurs mois, contre-indiquant les traitements gement de structure entraîne une diminution de la clairance
répétés dans un délai de 6 à 12 mois. Il est nécessaire de plasmatique et donc une augmentation de la demi-vie et
donner une dose de charge initiale pour neutraliser d’éven- une augmentation du pouvoir thrombolytique (5 fois plus
tuels anticorps anti-streptokinase. puissant expérimentalement que le t-PA).

2. Anistreplase ou APSAC
(anisoylated plasminogen streptokinase
Complications des thrombolytiques
activator complexe) Accidents vasculaires cérébraux (AVC)
L’anistreplase est un complexe équimoléculaire de strep- La fréquence des accidents vasculaires cérébraux lors des
tokinase et de lysil plasminogène. Le site actif de ce com- thrombolyses dans le traitement de l’infarctus du myocarde
plexe est bloqué par un groupement anisoyl retardant la (IDM) est de l’ordre de 1,2 % contre 0,8 % avec l’hépa-
formation de plasmine active après injection intraveineuse. rine standard. Cette différence de 0,4 % est due essentiel-

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THROMBOLYTIQUES

Plasminogène
Streptokinase
Plasmine
Pro-urokinase Urokinase Plasminogène
Fibrine Arg 560
Plasminogène-
streptokinase
Val 561 Déacylation
Fibrine
APSAC

Urokinase
t-PA

Fibrine
Plasmine

1
Mode d’action des thrombolytiques.

lement à l’augmentation de la fréquence des hémorragies TABLEAU I


cérébrales dont 60 à 70 % sont mortelles. Avec l’alteplase
et la reteplase, le risque d’hémorragies cérébrales est plus Contre-indications
important qu’avec la streptokinase. D’autre part, le risque des thrombolytiques
d’accidents vasculaires cérébraux augmente chez les sujets
âgés, de faible poids, ayant des antécédents d’accidents
vasculaires cérébraux et d’hypertension artérielle. Contre-indications absolues
– Manifestations hémorragiques en cours ou récentes
Accidents hémorragiques autres – Antécédents d’accident vasculaire cérébral
Les accidents hémorragiques majeurs nécessitant une trans- – Antécédents de traumatisme crânien, d’intervention neuro-
fusion ou comportant un risque vital sont rares, de l’ordre chirurgicale récente et de tumeur intra-crânienne ou médul-
de 1 % avec la thrombolyse contre 0,4 % avec l’héparine laire
seule. Les accidents sont très dépendants de la pratique – Rétinopathie diabétique ou autre pathologie ophtalmolo-
d’explorations complémentaires invasives – coronarogra- gique à risque hémorragique
– Hypertension artérielle sévère
phies ou angiographies. L’adjonction d’héparine ou – Réanimation cardiopulmonaire prolongée
d’autres antithrombotiques, en dehors de l’aspirine, aug- – Anomalies de l’hémostase acquises ou constitutionnelles
mente le risque hémorragique. – Suspicion de péricardite ou dissection aortique
– Grossesse
Hypotension artérielle
Elle survient surtout avec la streptokinase et l’anistreplase. Contre-indications relatives
L’injection rapide de streptokinase en augmente la fré- – Âge supérieur à 75 ans
quence. Les hypotensions majeures sont peu fréquentes, – Chirurgie ou traumatisme récents (15 j)
5 % environ avec la streptokinase, 7 % avec l’anistreplase – Ponction artérielle ou biopsie d’origine récente (15 j)
et 2 % avec l’alteplase. – Antécédents d’hypertension artérielle
– Traitement par antivitamines K
Réactions allergiques – Insuffisance hépatique ou rénale
La streptokinase et l’anistreplase sont souvent responsables
des réactions allergiques ; les réactions anaphylactiques Contre-indications spécifiques (SK-APSAC)
graves avec état de choc sont exceptionnelles (0,5 %). Les – Réaction allergique connue à la streptokinase
réactions minimes – fièvres, arthralgies, éruption cutanée – Terrain atopique connu
– sont favorisées par l’existence d’un taux élevé d’anti- – Traitement antérieur par streptokinase ou anistreplase
corps anti-streptokinase.
Bilan initial
Surveillance biologique
Il comporte au minimum numération globulaire et pla-
des thrombolytiques quettaire, taux de prothrombine (TP), temps de céphaline
Elle a été simplifiée au cours des années. Elle est utile au activée (TCA) et dosage du fibrinogène. Il peut mettre en
décours de la thrombolyse pour adapter les traitements anti- évidence une contre-indication éventuelle à la thrombo-
coagulants. lyse : thrombopénie inférieure à 100 000/mm3, taux de pro-

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thrombine inférieur à 50 %, allongement excessif du temps puis 18 % entre la 4e et la 6e heure et 14 % entre la 7e et la


de céphaline activée. 12e h. Les tentatives de réduction des délais de traitement
sont à l’origine de la thrombolyse préhospitalière, à domi-
Après thrombolyse cile ou dans les SAMU.
La surveillance du temps de céphaline activée permet
d’adapter le traitement anticoagulant et la numération glo- 3. Choix du thrombolytique
bulaire pourra dépister un saignement non extériorisé. Le et modalités de traitement (tableau II)
taux de fibrinogène circulant reflète l’état lytique systé-
mique mais il n’est pas corrélé avec le risque hémorragique La stratégie thérapeutique de thrombolyse (tableau II) de
ou l’efficacité du traitement. l’infarctus du myocarde aigu traité avant la 6e-12e h, sauf
contre-indication, comprend l’administration systématique
d’aspirine à la dose de 160 à 325 mg dont l’intérêt a été
Utilisation des thrombolytiques démontré dès 1988. L’héparine intraveineuse est associée
à l’alteplase et la reteplase.
Dans l’infarctus du myocarde
La comparaison des thrombolytiques entre eux lors d’es-
Le traitement thrombolytique, quel qu’il soit, réduit la mor- sais géants est en faveur d’une association alteplase accé-
talité de l'infarctus du myocarde par rapport au traitement lérée plus aspirine et héparine standard par voie intravei-
classique par héparine intraveineuse (voir : « Pour appro- neuse. Avec ce traitement, la perméabilité coronaire
fondir 1 »). précoce satisfaisante est notée dans 54 % des cas dès la
1. Sélection des patients 90e min, la fonction ventriculaire gauche est meilleure
La thrombolyse est indiquée chez un patient ayant un qu’avec la streptokinase et la mortalité globale est dimi-
tableau clinique d’infarctus du myocarde avec douleur nuée de 14 % par rapport à celle-ci. Certes, ces résultats
angineuse évoluant depuis plus de 30 min et moins de 12 h sont obtenus au prix d’un taux d’accidents vasculaires céré-
avec, sur l’électrocardiogramme, un sus-décalage du seg- braux et d’hémorragies cérébrales légèrement supérieur.
ment ST ou un bloc de branche quel que soit l’âge. Testés La reteplase comparée à l’alteplase donne des résultats
contre placebo au cours des 3 premières heures dans plu- similaires quant à la mortalité précoce, de l’ordre de 7,4 %,
sieurs essais géants, les thrombolytiques permettent une avec un taux d’accidents vasculaires cérébraux identique.
réduction de la mortalité précoce de l’infarctus du myo-
carde d’environ 28 %. Dans l’infarctus antérieur où la zone Dans l’embolie pulmonaire (EP)
myocardique menacée est importante, les résultats sont plus
significatifs que dans l’infarctus du myocarde inférieur. La mortalité de l’embolie pulmonaire est corrélée au degré
d’obstruction artérielle pulmonaire et au retentissement cli-
2. Délai de traitement nique. Récemment, a été mise en évidence la relation entre
Le bénéfice des thrombolytiques est d’autant plus impor- mortalité et surcharge ventriculaire droite. Le but de la
tant que le traitement est commencé précocement. Ainsi, thrombolyse est de désobstruer rapidement les artères pul-
en cas de thrombolyse dès la première heure, la mortalité monaires afin de diminuer la surcharge ventriculaire droite
diminue de 50 %, de 30 % dans les trois premières heures, (voir : « Pour approfondir 2 »).

TABLEAU II
Thrombolytiques et modalités de traitement

Alteplase Streptokinase Anistreplase Reteplase

Bolus 15 mg non 30 U (3-5 min) 10 U (< 2 min)


+
10 U (< 2 min)
à 30 min intervalle
Perfusion 0,75 mg/kg/30 min 1,5 millions U
(max 50 mg) 30 à 60 min
puis 0,5 mg 60 min
(max 35 mg)
total max. 100 mg
Aspirine 160-325 160-325 160-325 250-350
(mg/j) puis 81-325 puis 81-325 puis 81-325 puis 75 à 150
Héparine Bolus 5 000 U non non 5 000 U
puis 1 000 U/h sous-cutanée sous-cutanée puis 1 000 U/h
TCA 50-70 s 4e-12e heure 4e heure TCA 50-70 s

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THROMBOLYTIQUES

Tous les thrombolytiques sont supérieurs à l’héparine stan- POUR APPROFONDIR


dard par voie intraveineuse quant à la rapidité et l’impor-
tance de la désobstruction artérielle pulmonaire et à l’amé-
lioration hémodynamique qui en résultent. 1 / Thrombolyse et infarctus du myocarde
En revanche, la diminution de la mortalité n’est clairement Il y a plus de 20 ans, la corrélation entre la durée de l’occlusion coronaire
établie que dans les embolies pulmonaires massives avec et la taille de l’infarctus qui en résulte a été démontrée chez le chien.
Le rôle de la thrombose intracoronaire dans la genèse de l’infarctus chez
mauvaise tolérance clinique. Dans des essais récents, les l’homme a été démontré en 1980, avec visualisation d’un thrombus intra-
thrombolytiques se sont montrés plus efficaces que l’hépa- coronaire dans 87 % des cas pendant les 4 premières heures.
rine standard dans le traitement des embolies pulmonaires La thrombolyse par voie intracoronaire puis par voie intraveineuse a éta-
avec dysfonction ventriculaire droite. Parmi les thromboly- bli la relation entre recanalisation coronaire précoce et préservation de la
tiques utilisés, l’alteplase 100 mg/2 h est plus rapidement fonction ventriculaire gauche et donc diminution de la mortalité. Cette
théorie de l’artère ouverte a été confirmée par l’étude GUSTO compa-
efficace que l’urokinase à dose conventionnelle. rant la streptokinase et l’alteplase administrée en 90 min par voie intra-
veineuse. L’alteplase permet d’obtenir une artère coronaire parfaitement
perméable dans 54 % des cas avec dans ces cas une fonction ventricu-
laire gauche conservée. La mortalité dans ce cas est de 4,4 % contre 8,9 %
Protocoles d’administration en cas d’artère occluse ou ayant un flux imparfait.
des thrombolytiques
dans l’embolie pulmonaire 2 / Thrombolyse et embolie pulmonaire
Streptokinase 1 Dose de charge 250 000 UI/30 min La publication, en 1973, de l’essai UPET (Urokinase Pulmonary Embo-
puis 100 000 UI/h pendant 24 h lism Trial) a démontré la supériorité de la thrombolyse sur l’héparine
Urokinase 2 Dose de charge 4 400 UI/kg/10 min quant à l’amélioration hémodynamique et angiographique. En revanche,
puis 4 400 UI/kg/h pendant 12 à 24 h à partir du 7e jour, aucune différence n’existait entre les deux traitements.
Alteplase 3 100 mg/2 h Les comparaisons héparine standard intraveineuse et alteplase, faites plus
récemment avec des contrôles hémodynamiques et angiographiques, ont
Dates d’approbation par la FDA : 1. 1977, 2. 1978, 3. 1990.
montré des résultats identiques.
NB. Aucun des protocoles ne comporte l’administration d’héparine
Aucun essai randomisé n’a pu démontrer avec un nombre suffisant de
pendant la thrombolyse.
patients une diminution de la mortalité avec la thrombolyse par rapport
à l’héparine. Il est admis cependant, dans les formes graves, notamment
avec état de choc, que la thrombolyse est plus efficace que l’héparine
Dans tous les cas, le recours à la thrombolyse augmente le intraveineuse.
risque hémorragique (3 fois plus dans les registres récents Les progrès de l’échocardiographie transthoracique et l’analyse de la ciné-
consacrés à l’embolie pulmonaire). Le risque d’accidents tique ventriculaire droite ont permis de définir un profil d’embolies pul-
vasculaires cérébraux est au moins aussi important que dans monaires sévères ou graves ayant un pronostic péjoratif sous héparine stan-
dard. Ces données nouvelles permettront d’affiner les indications de la
le traitement de l’infarctus du myocarde de l’ordre de 1 à thrombolyse à côté des données cliniques, angiographiques et (ou) hémo-
1,5 %. Cela souligne la nécessité d’une grande prudence dynamiques.
pour la prescription de la thrombolyse dans l’embolie pul-
monaire et de l’appréciation soigneuse du rapport du béné-
fice au risque.
Indications autres des thrombolytiques Points Forts à retenir
1. Thromboses veineuses des membres inférieurs
Les thrombolytiques permettent une désobstruction vei- • Dans l’infarctus du myocarde de moins de 12 h,
neuse plus rapide et plus fréquente que l’héparine seule. la thrombolyse a transformé le pronostic avec une
Cependant, le risque hémorragique est multiplié par 2,9. diminution de la mortalité hospitalière de 30 %.
Les schémas thérapeutiques sont imprécis, le traitement est Le traitement doit être institué le plus rapidement
souvent poursuivi plusieurs jours, soit en continu, soit avec possible en évitant les pertes de temps, soit à la
des injections répétées. prise en charge (intérêt de la thrombolyse
2. Thromboses des prothèses valvulaires préhospitalière) soit à l’admission.
• Dans l’infarctus du myocarde, alteplase ou
Peu de patients ont été traités ; le pourcentage de succès est
reteplase, en association à l’héparine intraveineuse
de l’ordre de 70 à 80 % avec des complications hémorra-
et aspirine, sont les stratégies thérapeutiques les
giques rares mais, en revanche, les accidents emboliques
plus performantes.
cérébraux ou périphériques sont fréquents (7 à 8 %). Les
• Dans les autres pathologies thromboemboliques,
protocoles sont encore assez flous quant à la posologie et
la thrombolyse est une option thérapeutique parmi
la durée du traitement. L’alteplase semble très efficace.
les autres dont le bénéfice n’est pas toujours
3. Accidents vasculaires cérébraux ischémiques objectivement établi.
Les résultats des différents essais randomisés sont discor- • Dans tous les cas, l’utilisation des
dants, seul un essai avec l’alteplase donne des résultats en thrombolytiques comporte un risque
faveur de la thrombolyse. Le délai « idéal » de traitement hémorragique supérieur au traitement
est mal déterminé ; le choix entre alteplase et streptokinase héparinique.
est encore incertain. ■

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