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Immunologie

B 322

Immunoglobulines E
Rôle dans l’allergie et l’atopie
PR Michel ABBAL
Laboratoire d’immunologie, hôpital de Rangueil, 31043 Toulouse Cedex 4.

Points Forts à comprendre IgE


Les réagines décrites par Coca et Grove en 1921 étaient
• L’immunoglobuline E (IgE), dernier responsables du transfert des manifestations cliniques
isotype des immunoglobulines décrit d’un sujet allergique à un sujet sain par la technique de
vers les années 60, est bien connue pour Prausnitz et Küstner. Les IgE, supports de cette activité,
son implication en allergie. Le lien avec l’atopie n’ont été découvertes qu’en 1967, bien après les IgM,
est moins évident en raison d’une définition IgD, IgG et IgA. Leur concentration, très faible dans les
imprécise, suivant les écoles. liquides extracellulaires et en particulier dans le plasma,
Il correspond à une notion ancienne de terrain, n’avait pas permis d’en soupçonner l’existence. La
caractérisé par la propension d’individus protéine monoclonale ND à l’origine de l’identification
à développer des manifestations allergiques. par Johanson de cette nouvelle classe d’anticorps a
Cela implique un certain déterminisme permis d’en étudier la séquence, d’en extrapoler les
génétique, plus ou moins influencé propriétés fonctionnelles et surtout de produire des anti-
par des facteurs de l’environnement. corps spécifiques permettant le dosage des IgE totales et
• À côté des manifestations cliniques (asthme, spécifiques, point de départ de l’essor de l’exploration
rhinite et eczéma), des taux élevés d’IgE totales de l’hypersensibilité médiée par les IgE.
et spécifiques d’allergènes fréquents sont Les antigènes reconnus par ces IgE font partie pour la
souvent utilisés dans les études épidémiologiques plupart de notre environnement quotidien, comme les
pour définir les groupes de sujets atopiques. pneumallergènes ou allergènes aéroportés, les trophal-
• L’hypersensibilité regroupe les manifestations lergènes de l’alimentation, mais aussi les médicaments
relevant de mécanismes immunologiques et bien d’autres, y compris des auto-antigènes.
particuliers, délétères pour des cellules
ou des tissus qui ne sont pas directement
les cibles des anticorps ou des lymphocytes T. Structure des IgE
Elle se différencie ainsi de l’auto-immunité Comme toutes les immunoglobulines, les IgE sont
et du rejet de greffe par exemple. constituées de 2 chaînes protéiques : 2 lourdes (H) ε et
2 légères (L) κ ou λ, organisées en domaines d’environ
110 acides aminés chacun. Cette organisation est retrouvée
dans d’autres molécules appartenant à la « superfamille
Les manifestations d’hypersensibilité peuvent revêtir des Ig », (cytokines, récepteurs, etc.). La chaîne lourde ε
tous les degrés de gravité, depuis le simple désagrément comporte 5 domaines : 1 domaine variable (VH) différent
(prurit ou éternuements) jusqu’au décès par collapsus. d’une molécule à l’autre et 4 domaines constants (CH)
L’antigène déclenchant est fréquemment une molécule conservés, soit un de plus que la molécule de référence :
dénuée de tout pouvoir pathogène, comme un pollen, un l’IgG. Elle ne possède pas de région charnière à proprement
médicament ou un aliment. Dans ce contexte, l’antigène parler, ce qui peut être à l’origine d’une certaine rigidité,
est appelé allergène. Sur la base chronologique de sur- et sa teneur élevée en sucres est voisine de 12 %. Les
venue des manifestations par rapport au contact avec séquences d’acides aminés spécifiques reconnues par
l’allergène, on distingue classiquement 3 types d’hyper- des anticorps monoclonaux qui servent à l’identification
sensibilité : immédiate, intermédiaire et retardée. Selon et au dosage de cette classe d’immunoglobuline sont
des critères physiopathologiques, la classification de localisées sur les domaines constants de la chaîne lourde ε.
Gell et Coombs en dénombre 4. Le type I relève d’un Les IgE ne fixent pas le complément et ne traversent pas
mécanisme médié par l’IgE, les types II et III d’anticorps le placenta. Elles exercent leurs effets biologiques grâce
non IgE et le type IV d’une réaction à médiation cellulaire. à la liaison d’une courte séquence de leur domaine CHε2
Si les IgE sont en principe exclusivement impliquées et CHε3 avec des récepteurs cellulaires membranaires
dans les manifestations d’hypersensibilité immédiate spécifiques : les Fcε-R. L’interaction IgE-allergène-
de type I, les intrications entre ces mécanismes sont FcεR entraîne dans certaines conditions l’activation des
fréquentes, associant, par exemple, une composante IgE cellules, génératrices alors des effets caractéristiques de
à une réponse cellulaire dans l’eczéma. l’hypersensibilité.

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L’IgE, beaucoup plus sensible que les IgG à la dégradation non traduit est une étape importante dans la commutation
par les enzymes protéolytiques, perd sa capacité à se lier IgE. L’IL-4 provient de l’environnement immédiat :
à son récepteur spécifique par simple chauffage à 56 °C. lymphocytes CD4/Th2, mais aussi mastocytes, baso-
philes, éosinophiles et cellules NK qui en relarguent
Biosynthèse des IgE dans leur environnement. Pour les lymphocytes T CD4
se pose le problème du déséquilibre de la balance
Le sujet atopique ne semble pas présenter un répertoire Th1/Th2 en faveur des Th2 dans l’atopie et pour les
anticorps particulier. En effet, l’ADN de chaque précurseur autres cellules productrices d’IL-4 du phénomène d’auto-
de lymphocyte B subit un premier réarrangement entretien et d’amplification d’une réponse IgE déjà
génique associant strictement au hasard un gène VH à installée. Les mastocytes et certains éosinophiles peuvent
un gène DH et à un gène JH. La juxtaposition VDJ, de plus jouer le rôle de cellules présentatrices d’antigène
résultant de cet arrangement génique code l’extrémité N (CPA) et coopérer avec des lymphocytes B à la place des
terminale de la future chaîne lourde ε qui s’associe au T CD4 pour leur délivrer les signaux orientant la répon-
produit du réarrangement VJ de la chaîne légère, pour se vers l’isotype IgE. L’IL-4 induit également l’expres-
former le site anticorps. Après une courte phase de sion du récepteur de faible affinité pour les IgE (CD23)
maturation par accumulation de mutations améliorant la qui joue lui aussi un rôle dans la régulation de l’expres-
spécificité vis-à-vis de l’antigène, ce bloc d’ADN réar- sion des IgE.
rangé se transmettra inchangé à toutes les cellules filles Chez l’homme, l’IL-13 a des effets superposables à
qui exprimeront la même spécificité anticorps. Les ceux de l’IL-4. Si l’IL-4 peut se lier au récepteur de
seules modifications ultérieures possibles seront le l’IL-13 par la chaîne IL-4Rα qu’ils partagent, l’inverse
changement de partie constante, c’est-à-dire d’isotype. n’est pas possible. Les souris ne possédant pas sur leurs
Dans un premier temps, le bloc VDJ est associé à la lymphocytes T ce récepteur, il n’est pas possible d’extra-
partie constante d’une IgM, anticorps dit de réponse poler à l’homme les résultats obtenus in vivo chez cet
primaire, exprimé à la membrane du lymphocyte B. animal. L’invalidation du gène de la molécule de trans-
L’interaction de cette immunoglobuline avec l’épitope duction du signal STAT6 abolit la production d’IgE et
de l’antigène va, en coopération avec des lymphocytes T confirme le rôle capital de la voie de l’IL-4R et de l’IL-4
CD4, initier une réponse immune spécifique. Une dans la commutation IgE. In vitro, l’effet de l’IL-4 peut
majorité des lymphocytes B impliqués se divisera et se être antagonisé par les interférons γ et α ainsi que par les
différenciera en plasmocytes producteurs de l’anticorps prostaglandines E2.
IgM retrouvé dans les liquides extracellulaires. Une
minorité donnera des cellules mémoires, perpétuant la 2. Couple CD40/CD40L
possibilité de développer une réponse spécifique rapide Le marqueur CD40 est exprimé de façon constitutive à
et amplifiée à l’occasion d’une nouvelle rencontre avec la membrane des lymphocytes B et son ligand CD40L
l’antigène. Ces cellules mémoires vont produire une inductible sur les lymphocytes T CD4 comme sur les
molécule de même activité anticorps, mais avec une mastocytes. L’interaction CD40/CD40L active les
partie constante différente : c’est le phénomène de lymphocytes B, lui permettant d’exprimer des isotypes
commutation ou switch, caractéristique de la réponse autres que l’IgM. Les anomalies de l’un ou l’autre de
secondaire. À une IgM succédera le plus souvent une ces partenaires ou des voies de signalisation que leur
IgG, parfois une IgE à l’origine d’une hypersensibilité. interaction induit dans les lymphocytes B sont respon-
La commutation peut aussi se produire d’une IgG vers sables du syndrome hyper-IgM et donc de l’impossibilité
une IgE. L’atopie serait l’aptitude à la commutation vers d’une commutation en un autre isotype. L’interaction
l’IgE et non à générer des activités anticorps spécifiques CD40/CD40L au cours du processus de coopération
d’allergènes. cellulaire entre lymphocyte B et T CD4 est nécessaire
mais non spécifique pour l’expression des IgE.
Mécanismes de la commutation IgE 3. Couple CD23/CD21
Trois types d’interactions moléculaires et cellulaires au Le récepteur de faible affinité pour les domaines Cε3
moins gouvernent la commutation IgE : l’action des et Cε4 des IgE-FcεRII est identique au CD23, décrit
interleukines IL-4 et IL-13, l’interaction CD40/CD40L, initialement comme une protéine induite par le virus
et CD23/CD21. Epstein-Barr (EBV) infestant les lymphocytes B. Il est
présent sous forme d’un homotrimère membranaire à la
1. IL-4 et IL-13 surface des lymphocytes B et T, des cellules présentatrices,
Le rôle initiateur de l’IL-4 dans la commutation IgE est des éosinophiles et de bien d’autres cellules. Il joue un
primordial mais insuffisant à lui seul. L’IL-4, en se liant rôle en amont dans la production des IgE et en aval dans
à son récepteur spécifique l’IL-4R sur les lymphocytes la génération de médiateurs de l’inflammation, par les
B, induit la transduction d’un signal impliquant les JAK éosinophiles en particulier. L’IL-4 induit l’expression de
kinases et aboutissant à la translocation nucléaire d’une CD23 qui concourt à l’activation du lymphocyte B par
molécule STAT6 qui se lie à son tour au promoteur de Iε sa liaison avec le CD21, lui-même lié à CD19 associé au
en amont de la zone CεH. La synthèse de ce transcrit Iε récepteur B. Un pontage peut aussi avoir lieu entre le

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CD23 membranaire d’un T CD4 et l’IgE de membrane (Immunoreceptors tyrosin-based activation motifs) de la
d’un lymphocyte B aboutissant au même effet activateur. partie intracytoplasmique des chaînes β et γ doivent se
La présence dans l’environnement cellulaire de formes rapprocher et se maintenir côte à côte. Le pontage par un
solubles de CD23 et d’IgE peut interférer avec ces inter- allergène entre 2 IgE proches fixées à leur récepteur
actions membranaires et moduler la réponse IgE. La assure cette contrainte physique. Les séquences ITAM
manipulation génétique d’animaux et l’utilisation d’anti- sont alors phosphorylées et la cascade d’activation
corps anti-CD23 devrait permettre une meilleure com- intracellulaire se poursuit, entraînant l’augmentation du
préhension du rôle encore mal connu de CD23. Alors calcium intracytoplasmique et la translocation nucléaire
que la description initiale rapportait une augmentation de facteurs activateurs de gènes.
nette de la production des IgE, des modèles récents de Les effets de cette activation des basophiles et des
souris invalidées pour le gène de CD23 ont fourni des mastocytes sont bien connus. Ils sont la conséquence de
résultats discordants, probablement en raison de fonds la libération de médiateurs préformés qui survient dès
génétiques différents. Des animaux transgéniques surex- les premières minutes après le stimulus et de médiateurs
primant la forme membranaire de CD23 au niveau de néoformés libérés plus tardivement. Les principaux
leurs lymphocytes T et B, et n’exprimant pas la forme médiateurs préformés sont : l’histamine, les protéo-
soluble, ont une diminution très nette de la production glycanes, les protéases (tryptase, carboxypeptidase,
des IgE. C’est dire que le rôle exact de CD23 reste chymase) et des peptides chimiotactiques. À l’instar de
encore à démontrer. l’histamine qui agit via les récepteurs H1 et H2 sur les
cellules musculaires lisses ou les cellules sécrétoires, ils
entraînent des manifestations assez stéréotypées quel
Génération des manifestations que soit l’allergène déclenchant le processus. La phase
cliniques médiées par les récepteurs secondaire dont les effets peuvent perdurer plusieurs
des IgE heures est essentiellement due à la synthèse de prosta-
glandines et surtout de leucotriènes dérivés de l’acide
Les IgE ne peuvent jouer un rôle dans l’hypersensibilité arachidonique, ainsi que du PAF (platelet activating
que par leur capacité à entraîner l’activation des masto- factor)-acéther. L’activation du mastocyte est également
cytes, des basophiles et des éosinophiles et peut-être responsable de la synthèse et de l’excrétion de nombreuses
d’autres cellules. C’est le type de récepteur FcεRI et cytokines dont en particulier l’IL-4, l’IL-5 et l’IL-6 qui
FcεRII et la nature des cellules qui conditionneront les amplifient et entretiennent la réponse IgE, ainsi que le
effets pathogènes. recrutement des éosinophiles.
L’activation cellulaire peut aussi résulter d’un pontage
FcεRI par un anticorps anti-IgE ou directement par un anti-
récepteur, en absence de tout allergène.
Le FcεRI ou récepteur de haute affinité (constante de
dissociation de 10-9 à 10-10 M) est fait de 3 variétés de FcεRII
chaînes : 1 chaîne α, 1 β, et 2 γ. La chaîne α lie l’IgE par
la zone située entre les deux domaines α1 et α2 extra- Il est radicalement différent du FcεRI et de la plupart
membranaires. Les chaînes β et γ servent à la transduction des autres récepteurs impliqués en immunologie. Il
du signal. La partie extérieure de la chaîne α est composée appartient à la famille des lectines de type C et aux
de 2 domaines Ig-like de 85 acides aminés chacun qui protéines membranaires de type II. La liaison avec l’IgE
contrastent avec la taille habituelle de 110 acides aminés a lieu au niveau de son extrémité la plus externe grâce
de la plupart des domaines des molécules de la super- à une séquence peptidique DGR complémentaire de la
famille des immunoglobulines. Onze acides aminés du séquence d’adhésion type fibronectine RGD. Il est
domaine α1 et 17 du domaine α2 délimitent une sorte de présent essentiellement sur les éosinophiles, mais aussi
cavité qui lie le domaine Cε3 de l’IgE. Deux trypto- les macrophages alvéolaires, les plaquettes. Les inter-
phanes au moins jouent un rôle capital dans cette liaison. actions FcεRII/IgE sont trop faibles pour assurer la
De même, 7 positions glycosylées situées à distance de stabilité d’un complexe unitaire IgE-récepteur. Il faut la
la zone d’interaction sont capitales pour empêcher sommation de liaisons unitairement faibles entre plu-
l’agrégation spontanée de 2 récepteurs voisins qui sieurs IgE et plusieurs récepteurs pour que le rappro-
entraînerait l’activation cellulaire. La liaison de l’IgE à chement qui en résulte ait une durée de vie suffisante
son récepteur constitue une entité stable à vie longue à la et entraîne l’activation de la cellule. La condition est
surface de la cellule. Comme les récepteurs ont fixé les remplie lorsque des IgE solubles se complexent directe-
IgE au hasard de leur disponibilité dans leur environ- ment à l’allergène et du fait de leur multivalence peuvent
nement cellulaire, chaque mastocyte porte à sa surface alors se fixer sur la cellule ou lorsque que des épitopes
des milliers de molécules IgE différentes représentant le sont nombreux et proches par exemple à la surface d’un
spectre des spécificités produites par l’individu. Chaque parasite. L’activation des éosinophiles entraîne de puissants
FcεRI lie une seule molécule d’IgE, ce qui, contrairement effets cytotoxiques et inflammatoires particulièrement
à la plupart des récepteurs, ne suffit pas à entraîner efficaces pour la destruction des Helminthes. Les plus
l’activation cellulaire. Pour ce faire, les séquences ITAMs connus de ces médiateurs sont : la protéine cationique

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des éosinophiles (ECP), la neurotoxine dérivée des L’IgE pourrait aussi jouer le rôle
éosinophiles (EDN), la protéine basique majeure (MBP) d’antigène
et la peroxydase de l’éosinophile (EPO).
C’est une autre face cachée de l’hypersensibilité qui
relève aussi de mécanismes auto-immuns et qui serait
Rôle des IgE dans l’hypersensibilité susceptible de bénéficier d’une approche thérapeutique
différente. Des auto-anticorps anti-IgE ont été rapportés
L’IgE joue le rôle d’anticorps dans la littérature à la fin des années 1980, avec
parfois des fréquences très élevées de l’ordre de 20 %
Deux situations peuvent être rencontrées : l’antigène est chez les sujets en bonne santé et les asthmatiques, et
étranger à l’organisme (pollen, aliment, médicament, en de 80 % chez des patients atteints d’eczéma chronique.
d’autres termes un allergène banal) ou, plus rarement et Les données récentes rapportent des chiffres beaucoup
moins classique, l’antigène est un auto-antigène. plus faibles chez les sujets en bonne santé et dans
Les IgE anti-allergènes génèrent des réactions d’hyper- la plupart des hypersensibilités, mais avec toujours
sensibilité en initiant l’activation des basophiles, masto- l’exception de l’urticaire chronique (ou récidivante) où
cytes et éosinophiles via leurs récepteurs spécifiques. l’on observe des fréquences élevées. Mais, pour des
L’IgE libre dans l’espace extracellulaire se lie de façon raisons techniques, il est difficile de faire la part de ce
stable au récepteur de forte affinité FcεRI des baso- qui relève de véritables auto-anticorps anti-IgE et
philes, des mastocytes et de certains éosinophiles. Ainsi d’anti-FcεRIα beaucoup plus fréquents, qui ont les
revêtues d’IgE, ces cellules sont à la merci d’une rencontre mêmes effets d’activation cellulaire in vitro et proba-
avec l’allergène natif ou ses métabolites. L’agrégation blement in vivo. La mise en évidence de ces anticorps
de récepteurs consécutive à l’établissement d’une liaison repose sur des techniques souvent indirectes par
antigène-anticorps entre l’IgE et l’allergène n’est possible mesure d’un effet d’activation sur des cellules témoins.
que si ce dernier est au minimum divalent. En d’autres La disponibilité d’outils d’investigation performants
termes, il doit exprimer au moins 2 épitopes, identiques serait certainement d’un grand apport diagnostique ne
ou différents pour lier 2 molécules d’IgE. Cette serait-ce que pour subdiviser ces pathologies en auto-
contrainte est facilement réalisée lorsque l’allergène est immunes et allergiques justifiant des thérapeutiques
une grosse molécule native ou partiellement dégradée. adaptées.
Par contre, lorsqu’il s’agit d’une petite molécule comme La présence incontestée, dans ces affections cutanées,
un médicament, jouant le rôle d’haptène monovalent, la d’une forte contribution auto-immune pose, par analogie,
condition n’est plus remplie et l’activation peut même la question, en pathologie respiratoire, de la subdivision
être inhibée. Mais en réalité, elle peut avoir lieu si cet ancienne de l’asthme en formes extrinsèque et intrinsèque.
haptène ou plusieurs haptènes différents se fixent sur Cette dernière, caractérisée par l’absence d’IgE spéci-
une même molécule porteuse qui deviendra le maillon fiques de pneumallergènes, n’a cependant pas de parti-
physique indispensable au rapprochement et à l’agré- cularités propres accréditant un statut différent, mais un
gation de plusieurs récepteurs. La seule présence d’IgE mécanisme auto-immun ne peut être écarté.
spécifiques ne suffit donc pas pour générer des manifes- Enfin, des IgM et des IgG anti-IgE ont été retrouvées
tations cliniques. La conformation moléculaire, entre dans le lupus et pourraient être à l’origine de lésions
autres de l’allergène, conditionne l’activation cellulaire. articulaires et vasculaires.
De plus, les effets des médiateurs libérés sont soumis à
leur biodisponibilité.
L’IgE membranaire peut aussi initier l’internalisation Contribution génétique
de l’allergène dans un processus de présentation à un
lymphocyte T CD4. Le mastocyte et même l’éosinophile Parmi les nombreux gènes candidats impliqués dans
ont cette capacité. En produisant de l’IL-4, ils orienteront l’atopie et l’hypersensibilité, 3 régions des chromo-
la réponse lymphocytaire vers le pôle T CD4 Th2 et somes 5, 11 et 12 semblent fortement impliqués
contribueront ainsi à l’auto-entretien et à l’amplification dans la production des taux élevés d’IgE. Sur le chro-
d’une réponse de type IgE. De même les lymphocytes B mosome 5, la liaison est forte avec la région codant en
exprimant des IgE de membrane pourront lier l’allergène, particulier pour les interleukines IL-4 et IL-13 dont on a
l’internaliser et jouer à la fois le rôle de cellule vu l’implication directe dans la production des IgE.
présentatrice à un lymphocyte T CD4 qui induira leur L’hypothèse d’une mutation de la région promotrice
prolifération et leur différenciation en plasmocytes responsable d’une forte expression du gène en aval
producteurs de cette même IgE. L’IgE ne peut que pourrait, si elle était démontrée, apporter une contri-
favoriser et entretenir l’hypersensibilité. bution décisive à la compréhension de la physio-
Mais à côté des IgE anti-allergènes, des IgE auto- pathologie de l’atopie. En l’absence de moyens d’inves-
anticorps présentant une réaction croisée avec des anti- tigation pertinents au niveau génique, le rôle des IgE
gènes d’origine végétale animale ou bactérienne ont été dans l’atopie et l’hypersensibilité ne peut être abordé
décrites dans l’eczéma atopique et dans la pemphigoïde en pratique que par le dosage des IgE totales et des IgE
bulleuse. spécifiques.

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Immunologie

Contribution du laboratoire atteindre un maximum vers l’âge de 10 ans et baisser


de routine à la mise en évidence légèrement ensuite pour se stabiliser à l’âge adulte. De
du rôle des IgE dans l’atopie façon plus ou moins consensuelle, la limite supérieure
et l’hypersensibilité du taux normal des IgE chez l’adulte est de l’ordre
de 130 kU/L. Des taux supérieurs, en dehors bien
Le taux des IgE totales ainsi que des IgE spécifiques évidemment de certaines parasitoses bien connues pour
dépend en partie des sollicitations allergéniques entraîner une augmentation importante des IgE, sont en
auquelles est soumis l’organisme avec, pour preuve, les faveur d’une atopie. D’ailleurs, comme on l’a déjà dit,
variations saisonnières montrant chez les individus sen- une élévation du taux de ces IgE fait partie de la définition
sibilisés à des pollens une élévation des taux des IgE en même de l’atopie. Par contre, il existe d’authentiques
période de pic pollinique et une diminution en dehors. hypersensibilités IgE médiées, chez des patients dont le
De même, la diminution très significative du niveau taux des IgE totales est strictement normal. Les IgE
d’exposition à des acariens de poussière de maison, totales ont été également dosées dans différents liquides
entraîne des baisses significatives du taux des IgE biologiques : les sécrétions, la salive y compris la sueur,
spécifiques. Mais, en pratique, les variations observées les larmes chez le sujet normal et dans différents
sont peu informatives à l’échelle individuelle. L’intérêt contextes pathologiques pour une contribution diagnos-
du dosage des IgE est ailleurs. tique des plus minimes.
2. IgE spécifiques
Dosage des IgE Leur implication directe dans la genèse des manifesta-
tions d’hypersensibilité de type I fait en principe de leur
La demi-vie des IgE libres est de 2,5 j lorsque les taux dosage un élément clé du diagnostic. Cependant, il faut
circulants sont normaux et sensiblement plus longue tempérer cette affirmation à la lumière de nombreux cas
pour des taux élevés. Pour la forme liée aux cellules, elle où la présence d’IgE spécifiques d’un allergène ne
est d’environ 15 j. Les taux circulants d’IgE libres repré- s’accompagne pas de manifestations cliniques. On parle
sentent environ 30 % du total des IgE et 65 % pour les alors de sensibilisation du sujet. À cela, plusieurs hypo-
taux très élevés comme dans les syndromes d’hyper IgE. thèses, non biodisponibilité de l’allergène, existence
Étant donné ce turn over rapide et le relatif équilibre entre d’anticorps spécifiques non IgE en compétition avec ces
la phase libre accessible par une ponction veineuse et la derniers, génération inefficace des médiateurs ou de
phase liée tissulaire impliquée dans les manifestations leurs inhibiteurs naturels. Mais le manque d’informativité
cliniques, un simple dosage sérique est informatif de du dosage des IgE spécifiques relève aussi d’une absence
l’état actuel d’un individu. de définition de seuils de positivité pertinents basés sur
des valeurs prédictives positives et négatives, clairement
1. IgE totales établis pour chaque allergène. En effet, quel que soit
De très nombreux travaux ont été consacrés à la l’allergène, le seuil de positivité est de 0,35 kU/L. Ce
définition de valeurs normales chez l’adulte et chez l’en- seuil garantit pour certains allergènes une excellente
fant en apparente bonne santé ainsi que dans sensibilité, au détriment d’une spécificité acceptable. Il
différents groupes de malades atopiques et allergiques, conviendrait de définir des seuils assurant un compromis
ou atteints de maladies parasitaires, rhumatologiques acceptable entre ces 2 paramètres. Quelques rares études
et bien d’autres. Toutes les études soulignent la grande bien documentées démontrent que, pour chaque allergène,
disparité des valeurs au sein d’un même groupe et le il faudrait définir un seuil spécifique qui, dans certains
chevauchement des taux observés d’un groupe à l’autre, cas, se situe à des valeurs plus de 10 fois supérieures au
minimisant la portée diagnostique d’un dosage indivi- seuil universel de 0,35 kU/L.
duel des IgE totales pour définir un état ou prédire un
risque. Depuis les années 1980, de nombreuses
recherches ont été effectuées chez le nouveau-né pour Le traitement peut-il minimiser
dégager des informations prédictives d’atopie ou le rôle des IgE ?
d’hypersensibilité. Chez le nouveau-né normal, le taux
des IgE totales est inférieur à une unité. Le mois de En préambule, il faut signaler le paradoxe des traite-
naissance (taux augmentés pour les enfants nés en ments actuels à visée surtout symptomatique par les
automne et hiver), le sexe (taux plus élevés chez glucocorticoïdes et les agonistes β-adrénergiques qui
les garçons), l’ethnie, mais plus vraisemblablement augmentent le taux circulants d’IgE. À l’opposé, des
l’environnement et le niveau socio-économique, et bien médicaments conventionnels comme le chromoglycate
d’autres facteurs influencent les taux mesurés à la et le nédocromil de sodium pourraient avoir, entre autres,
naissance. Compte tenu de tous ces paramètres, des taux un effet bénéfique en diminuant la synthèse des IgE.
élevés à la naissance sont en faveur d’un terrain En raison de leur relative inefficacité sur la réponse anti-
atopique et de la survenue ultérieure d’un asthme ou corps et surtout de leurs effets secondaires, les immuno-
d’une hypersensibilité alimentaire. Les taux d’IgE suppresseurs classiques ne sont pas envisageables. De
totales sont régulièrement croissants avec l’âge pour même, comme dans d’autres pathologies, la déviation

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d’une réponse Th2 vers Th1 ne peut se concevoir dans cellules effectrices. Ils ne peuvent réagir avec une IgE
sa globalité, les 2 types de réponse étant bénéfiques et déjà fixée sur une cellule puisque évitant ainsi une
adaptés à des situations et des antigènes particuliers. Par activation cellulaire qui serait particulièrement délétère.
contre, coupler l’utilisation de cytokines orientant vers De plus, pour développer une action thérapeutique effi-
une réponse Th1, comme l’IL-2 (interleukine) ou l’IFNγ cace, ils doivent si possible lier les IgE de membrane des
(interféron) avec des stimulations spécifiques d’un aller- lymphocytes B pour entraîner soit leur apoptose, soit
gène sont envisageables. Dans des contextes patholo- leur mort par cytotoxicité. De tels anticorps chimériques
giques suffisamment graves : dermatite atopique sévère, ou humanisés ont été produits à partir d’anticorps mono-
syndrome d’hyper-IgE, le recours à l’interféron se justifie clonaux de souris. L’administration d’une simple dose
mais les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. entraîne un abaissement quasi immédiat des IgE circu-
Une diminution significative du niveau de production lantes. En fait, les taux mesurés sont faussés par la per-
des IgE et une amélioration nette de la symptomatologie sistance d’IgE complexées à l’anti-IgE qui en fait sous-
sont obtenues mais de façon transitoire. Plus en aval, estimer la concentration. Les essais cliniques de phase II
l’inhibition de l’IL-4 pourrait se révéler utile. Plusieurs dans la rhinite et l’asthme ont rapporté des effets béné-
approches sont possibles. La première est d’utiliser une fiques significatifs. Mais l’efficacité dépendant de la dose
forme d’IL-4 mutée capable de se lier à son récepteur ne dure que le temps de l’administration de l’anticorps.
avec une forte affinité et incapable d’initier une trans- Pour y pallier, des stratégies plus hardies et plus risquées
duction du signal. Chez le singe, cette molécule s’est sont envisagées, comme le déclenchement par l’hôte lui-
montrée efficace dans un modèle d’hyperréactivité même d’une réponse anti-IgE. ■
bronchique. Les autres voies sont l’utilisation de formes
solubles du récepteur pour l’IL-4 ou l’emploi d’anti-
corps bloquant soit l’IL-4, soit le récepteur à l’IL-4. De Points Forts à retenir
tels anticorps bloquants sont efficaces dans des modèles
murins, de même des formes solubles du récepteur de
• Le dosage des IgE spécifiques reste l’outil
l’IL-4. Enfin, l’utilisation de SOCS-1 inhibiteur de
privilégié pour affirmer un état
STAT-6 pourrait s’avérer utile en thérapeutique.
de « sensibilisation » à défaut d’une hyper-
L’intervention thérapeutique peut concerner directement
sensibilité de type I.
les IgE, soit en bloquant leur capacité de liaison aux
• Les interventions thérapeutiques ciblées
récepteurs par une forme recombinante de celui-ci, soit
sur le couple IL-4-récepteur ; IgE-récepteur
par l’utilisation d’anti-IgE. Plusieurs anti-IgE font
et à un moindre degré de rééquilibrage
l’objet d’essais cliniques. En ciblant le site de liaison de
de la balance Th1-Th2 sont prometteuses.
l’IgE avec ses récepteurs, ces anticorps empêchent sa
fixation aux cellules inhibant toute activation des

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