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MAYAN HAIM
Le veau d’or ou le culte des lois naturelles (Elie LELLOUCHE) - La construction du tabernacle : par le coeur et l’âme (Rav Moché BOTSCHKO) -
Kahal et Kéhila : le tout est plus grand que la somme des parties(Judith GEIGER) - La poule et l’oeuf, chabat et le michkan (David LEMLER)

PARACHAT VAYAKHEL
Un
Samedi Beth
02 MARS 2019
MAYAN HAIM
Hamidrach
25 ADAR 5779 parisien EDITION
entrée chabat : 18h15
sortie chabat : 19h22

PRÉSENCE DIVINE ET HARMONIE HUMAINE


Rav Elie LELLOUCHE

C’est au lendemain du pardon définitif accordé par Hachem, «Prenez de vous», c’est-à-dire de ce qui vous appartient sans la
après la faute du veau d’or, au Béné Israël, que Moché Rabbénou moindre contestation possible, «un prélèvement pour Hachem»
entreprend de rassembler le peuple, afin de lancer l’entreprise (Chémot 35,5), déclare le prophète. La probité du ‘Am Israël
tant attendue de construction du Michkan. Ce rassemblement, apparaît ici comme une condition sine qua non de l’édification du
qui eu lieu, le 11 Tichri 2449, jour qui suivit le don des secondes sanctuaire. En statuant sur la propriété juridique des matériaux
Tables de la Loi, coïncide avec un autre événement que nous que les membres du peuple d’Israël envisageaient d’offrir pour la
relate la Torah, beaucoup plus tôt dans le livre de Chémot, lors construction du Michkan, Moché voulait s’assurer que la sainteté
de la venue de Ytro dans le désert. Nous savons, en effet, que le de l’édifice ne fut pas compromis par une quelconque spoliation.            
beau-père de Moché assista son gendre lors de la longue journée
où celui-ci siégea pour rendre la justice et résoudre les litiges au Cependant, au-delà de l’aspect juridique, l’enjeu d’une telle justice
sein du peuple d’Israël. Selon Rachi, et tel que l’enseigne le Sifri, relevait d’un impératif beaucoup plus fondamental.  La présence
c’est également le 11 Tichri 2449, qu’eut lieu cet événement.     divine au cœur du ‘Am Israël ne peut être effective qu’à la condition
d’une harmonie parfaite entre les individus qui en constituent la
Censé transmettre au peuple les différentes lois permettant réalité vivante. La paix et la fraternité au sein d’une nation ne sont
d’établir une justice conforme à la volonté divine, Moché n’a pas des principes abstraits. Ces valeurs se construisent autour du
pu siégé, nous explique Rachi, qu’une fois la Torah donnée. sens de la justice tel que la Torah la définit. En rassemblant les
Or, depuis la Révélation du Sinaï jusqu’au lendemain du Yom Tribus d’Israël, au lendemain du pardon accordé par Hachem à
Kippour 2449, jamais Moché n’avait pu demeurer, ne serait-ce son peuple, Moché délivre au descendants des Avot un message
qu’un seul jour, avec le ‘Am Israël. Resté, au sommet du Har essentiel: La construction du Michkan dépend de la capacité de
Sinaï, une première fois quarante jours, afin d’y recevoir les chacun des membres du Klal Israël à œuvrer pour le Chalom au
premières lois et les deux Tables de l’Alliance, le fidèle serviteur sein de la nation juive.    
d’Hachem avait dû y retourner à deux reprises, après la faute
du veau d’or, chaque fois quarante jours, afin d’obtenir, pour le Œuvrer pour le Chalom ne saurait se résumer à la mise en place
‘Am Israël, le pardon divin. C’est donc 120 jours qui s’écoulèrent, d’une union factice faisant fi du respect du droit tel que la Torah
depuis le don de la Torah jusqu’au moment où Moché, assisté de nous l’enseigne. Car le droit que la Sagesse Divine commande,
son beau-père, rendit la justice au peuple d’Israël.           vise, justement, à permettre à chacun d’occuper précisément et
pleinement sa place dans l’élaboration du projet divin.    
Cette concomitance de la justice rendue par Moché au sein du
peuple et le rassemblement, lié à la collecte des dons pour la Ce lien indissociable entre l’entreprise que constitue la construction
construction du Michkan, n’est pas fortuite. Si le plus grand des du Michkan et l’établissement d’une paix harmonieuse au sein
prophètes d’Israël jugea nécessaire de résoudre, le jour même du peuple d’Israël permet de comprendre la raison pour laquelle
de son retour parmi les siens, alors même que s’amorçait l’appel cette construction se voit stoppée le jour du Chabbath, comme
aux dons pour la construction du Michkan, les litiges qui auraient le précise Moché lorsqu’il rassemble les Béné Israël. En cessant
pu opposer, entre eux, des membres du Klal Israël, c’est que la toute activité le Chabbath, l’homme peut se focaliser sur la place
résolution de ces litiges conditionnait la réalisation même de ce qui doit être la sienne dans le schéma divin. Prenant conscience
sanctuaire, et ce à un double titre.           de cette place et cherchant à l’assumer pleinement, l’homme
contribue, ainsi, par le biais de son propre épanouissement, à
Comme le développe le Kéli Yakar, la résidence prévue pour la œuvrer à l’établissement du Chalom au sein de l’humanité tout
Providence Divine au sein des Béné Israël, ne pouvait résulter de entière. Or, c’est bien le Chalom qui, seul, est à même de garantir
dons acquis malhonnêtement ou dont la propriété était contestée. la présence du Créateur au sein de sa création.
C’est le sens qu’il faut donner à l’expression du verset par
lequel Moché enjoint au peuple de contribuer à l’œuvre sainte.

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Association reconnue d’utilité générale habilitée à recevoir les DONS et les LEGS. Directeur : Rav Elie LELLOUCHE
LA CONSTRUCTION DU TABERNACLE :
PAR LE CŒUR ET PAR L’ÂME Rav Moché BOTSCHKO

L’un des faits les plus remarquables significative  : alors que tous les matériaux. Ainsi s’entrelacèrent les
de notre paracha est que la gens d’Israël voulurent donner deux dimensions, « et le tabernacle
participation d’Israël aux offrandes en constante abondance, les fut unifié » (Ex 36, 13).
nécessaires à la construction du princes prirent seulement sur eux
tabernacle était volontaire, pure de combler les manques, suivant Mais à la vérité, ce n’est pas
générosité  : «  Toute personne les nécessités de la construction, seulement pour sa sagesse que
de cœur généreux l’apportera, et non selon leurs possibilités Betsalel fut choisi ; car en lui aussi
l’offrande à l’É.ternel  » (Ex 35, propres. se trouve la force du don de soi.
5). L’esprit de bénévolat était si Il se peut que la Torah fasse La Torah insiste sur le fait qu’il
entraînant qu’on dut le contenir allusion à cela, quand elle nous descendait de Hour, lequel fut tué
: «  Le peuple offre en grande ordonne  : «  Tu aimeras l’É.ternel pour la sanctification du nom divin,
quantité, plus que le travail ne le de tout ton cœur et de toute ton et sur son appartenance à la tribu
requiert  », et Moïse fut contraint âme  » (Dt 6, 5). D’un côté, il est de Juda, tribu de Na’hchon, fils
de faire circuler dans le camp dit  : « Tu sauras aujourd’hui et tu d’Aminadav, qui sauta le premier
cette annonce  : «  Hommes et méditeras en ton cœur…  » (ibid. dans les eaux de la mer Rouge,
femmes, qu’on n’exécute plus 4, 39)  ; l’homme doit méditer risquant sa vie en faveur du peuple
d’ouvrage pour la contribution du des pensées en son for intérieur, tout entier (cf. Sota 37a). Aussi
sanctuaire ». Alors seulement, les pénétrer la profondeur des choses Rachi explique-t-il, au nom des
offrandes cessèrent d’affluer. autant qu’il y peut parvenir. Mais sages :
de l’autre, il est dit : « Tu aimeras Betsalel fit [l’arche] (Ex 37, 1)  :
Au contraire de ce qui est en usage l’É.ternel… de toute ton âme  » parce qu’il s’y dévoua plus que ne
dans le monde – selon quoi, pour (6, 5) ; il faut mettre en action les le firent les autres sages, l’œuvre
toute mission, on définit un budget forces intérieures et secrètes de est appelée d’après son nom.
et l’on calcule le nécessaire avec l’âme, avec un enthousiasme qui
exactitude – ici, le peuple s’abstint dépasse l’intellect, et dans des Betsalel s’est donc distingué par la
de tout calcul  : on donna encore recoins de l’âme que la pensée conjugaison rare de deux facultés :
et encore, selon ses forces et son rationnelle ne maîtrise pas. Car d’une part, la connaissance
enthousiasme. ces forces-là, qui aspirent à l’infini, profonde, de l’autre, le don de soi.
ne connaissent aucune limite. En cela, il fut comme une lanterne,
Mais les chefs de tribus agirent éclairant chaque homme d’Israël,
différemment. Rachi (au verset 27) Cette force de dévouement pour révéler ensemble la force de
rapporte en effet : spirituel, nous avons l’obligation l’intellect associée à l’élévation de
de l’associer à la construction du l’âme, afin que chacun participât
Ainsi parlèrent les princes : « Que tabernacle, car ce n’est qu’avec selon ses facultés et ses intentions :
le peuple offre ce qu’il offrira, nous l’expansion de l’âme que nous aussi bien en pénétrant, par sa
complèterons ce qui manquera  ». pourrons transcender les limites, réflexion («  de tout son cœur  »),
Quand il apparut que le peuple et parvenir au cœur de la sainteté, dans les profondeurs de l’œuvre du
avait tout offert – comme il est dit : dans le secret du sanctuaire. tabernacle, qu’en venant de toute
«  Les matériaux suffirent  » –, les son âme porter sa contribution,
princes dirent : « Que devons-nous Or dans l’œuvre du tabernacle, animé d’une joie parfaite. « Moïse
faire  ?  » Ils apportèrent alors les les deux forces se sont trouvées vit tout l’ouvrage, et voici : on l’avait
pierres de choham. associées  : la sagesse, d’une accompli comme l’avait ordonné l’É.
part, l’enthousiasme de l’autre. ternel, ainsi l’accomplirent-ils » (39,
Commentant cette attitude, Rachi En Betsalel, fut placée la sagesse 43). Alors, Moïse les bénit en ces
ajoute : du cœur (‘hokhmat halev) – termes (comme le rapporte Rachi
Parce qu’ils s’étaient montrés consistant à comprendre en ad loc.) : « Que telle soit la divine
d’abord paresseux, une lettre fut profondeur le secret de l’œuvre à volonté que la Chékhina repose sur
ôtée à leur nom. Il est écrit : accomplir – car ce sont des secrets l’œuvre de vos mains ! »
Véhanéssïm («  et les princes  », ineffables que recèle l’œuvre du
sans la lettre Youd). tabernacle. Mais Betsalel n’aurait Traduction Jean David HAMOU
évidemment pas pu pénétrer dans
Certes, les princes ne commirent toutes les intentions profondes
aucune mauvaise action ; mais la propres à l’œuvre, si le peuple ne
différence qui se révèle ici, entre lui eût apporté, avec un prodigieux
eux et les gens du peuple, est élan d’enthousiasme, tous les
KAHAL ET KEHILA : LE TOUT
EST PLUS GRAND QUE LA SOMME DE SES PARTIES Judith GEIGER

Dès le début de la paracha, Moché toutes nos occupations habituelles et communauté.


Rabeinou oeuvre pour réparer la faute nos intérêts personnels et nous nous C’est ainsi pour la synagogue, un petit
du veau d’or. réunissons ensemble en tant que beit mikdache, un espace particulier
La Torah nous fait comprendre cela communauté dans la synagogue, la qui était adopté par les deux autres
grâce à un indice grammaticale «maison» de ladite communauté. religions monothéistes.
en faisant usage des deux verbes Le judaïsme considère beaucoup Chaque fois que Moché Rabeinou
identiques: « Vayikahel le peuple sur l’homme, et chaque homme est un évoque la construction du Michkan, il
Aharon...» ( «Le peuple ...s’attroupa monde, mais force est de constater évoque le Chabath.
autour d’Aharon et lui dit «Allons! que lorsque les paroles « lo tov» (« il Nos sages nous enseigne que cette
fais- nous un dieu...» ( Chemot n’est pas bon») apparaissent pour la juxtaposition entre chabath et le
22, 1); et tout de suite après la première fois dans la Torah c’est dans michkan nous permet de déduire que
descente de Moshé Rabeinou avec le verset de Berechit 2, 18: « Hachem la construction du tabernacle ne se fait
les deuxième tables de la loi après dit: il n’est pas bon que l’homme soit pas pendant chabath.
40 jours, « Vayakhel Moshé toute la seul...»).
communauté́...» (« Moshé convoqua Une grande partie voire, la majorité́ de Nous apprenons aussi de cette
toute la communauté́ des enfants la Torah et les mitsvot ont le souci de juxtaposition que les 39 travaux
d’Israël...» Chemot 35,1). l’autre, de «l’être ensemble». La Torah qui servaient à la construction du
Ce sont les deux apparitions pour la reconnait la place et l’importance tabernacle, sont précisément les
première et unique fois dans Chemot de l’individu mais ne prône pas travaux interdis pendant chabath.
de cette racine K.H.L. l’individualisme. Mais nous pouvons déduire aussi
Le judaïsme est une religion, voire que la force d’une KEHILA, une
Le lien entre les deux apparitions une façon d’être dans le monde communauté se trouve dans le
semble parlant d’autant plus que sans communautaire. Les plus importantes Chabath! De même que plus que le
les voyelles, les deux mots s’inscrivent de nos prières, nous ne pouvons peuple d’Israël préserve chabath c’est
de la même façon, à l’identique : les faire que dans un Minyan (10 chabath qui préserve le peuple d’Israël,
Bnei Israël avaient fauté en tant que personnes réunies, considérées nous pouvons paraphraser et dire plus
communauté́, lorsqu’ils se sont réuni comme le minimum nécessaire pour que la communauté fait chabath, c’est
autour de Aaharon, et maintenant constituer une communauté́ ). chabath qui fait une communauté.
pour réparer la faute et se construire Toutes nos voeux lors des prières
à nouveau Moshé Rabeinou réitère et s’expriment avec le pronom personnel Construire une communauté qui se
les réuni en tant que communauté́. de la première personne du pluriel. réunit autour d’un objectif est une
La vie spirituelle juive est tout d’abord C’est pourquoi, pour réparer (faire tâche considérable, dur qui demande
communautaire. La communauté́, le Kapara) la faute beaucoup d’énergie. D’ailleurs, il suffit
destin social commun est à la base du veau d’or faite en tant que KEHILA d’observer les grandes idéologies du
des institutions juives même à l’heure , communauté́ soudée autour d’un 20ème siècle pour n’évoquer que le
de l’individualisme généralisé. objectif commun, Moché rabeinou Kibboutz à titre d’exemple.
Des recherches scientifiques réunit pour sanctifier les Bnei Israël Cette idée puissante a réussi à réunir
contemporaines nous renseignent dans le temps et dans l’espace. et à construire moult communautés
sur la force que la communauté́ et le autour de l’idée enivrante de légalité́
tissage social exerce sur notre vie. Revenons sur Chabath, le sociologue et le partage, mais 100 ans après
américain Maikel Wallzer, a sondé ...nada! C’est le sort de tous ces
Mais tout d’abord, voyons ce que fait la différence entre les «Hollydays» mouvements qui nous aide à se rendre
Moché Rabeinou avec son génie de les jours sacrés , ce qu’ils étaient compte de ce «cadeau» unique, le
dirigeant : dès son arrivé après son auparavant , et ce qu’ils se sont chabath qui depuis Matan Tora, sert
deuxième séjour sur le mont Sinaï, il devenus à nos jours, des jours des de tuteur sur lequel le peuple d’Israël
réunit les Bnei Israël et d’emblée se vacances. Si initialement il s’agissait peut s’appuyer pour faire partie d’un
concentre sur les deux pôles centraux des jours tournés vers des activités ensemble, d’un tout autour d’ un
du judaïsme : communautaires cultuelles, ils sont objectif «LIKRAT CHABAT LE’HOU
- Le pôle communautaire temporel, devenus un temps privé, et au mieux VENELE’HA».
le Chabat : « pendant six jours vous familial. Chaque personne planifie ses
travaillerez, mais au septième jour vacances, va où elle veut et fait ce Moché Rabeinou, lorsqu’il réunit les
vous arrêtera tout travail...(Chemot qu’elle veut. Bnei Israël, met au centre de la vie
35, 2) Le Chabath en revanche, est un temps du peuple juif la notion de la KEHILA,
- Le pôle communautaire spatial, le collectif « tu n’y feras aucun travail, et lui donne ses lettres de noblesse
Michkan, le tabernacle qui deviendra toi, ton fils ni ta fille, ton esclave... dans le temps et dans l’espace. C’est
le Beit hamikdache et ensuite la ni l’étranger qui est dans tes murs» ainsi qu’il souligne avec force que
synagogue. (Chémot 20,10), un temps à partager la communauté́ peut nous rendre
A travers ces deux pôles on reconnait ensemble. meilleurs de même que le veau d’or
la force de la communauté. Si pour les vacances nous partons nous montre comment l’influence
Chaque Chabath, comme un en famille, seuls ou avec des amis, d’une mauvaise communauté peut
métronome, nous laissons de côté le Chabath nous nous réunissons en nuire.
LA POULE ET L’ŒUF, CHABAT ET LE MICHKAN
David LEMLER

Il n’est rien de plus étrange que l’idée que une transformation significative du monde, est l’idôle (cf. Rachi sur 32,2). Tous s’empressent au
chabbat soit fondamentalement l’interruption de bien considéré comme un travail interdit à chabbat contraire de les apporter. De même, rien, pas même
la construction du Michkan (Tabernacle). Il s’agit (interdit de hotsa’ah, consistant soit au transfert chabbat, n’arrête spontanément l’entrain du peuple
pourtant bien de ce jour où il est interdit de travailler d’un objet d’un domaine privé à un domaine public à apporter sa pierre (précieuse) à l’édification du
à la mise en œuvre des conditions d’une résidence et réciproquement, soit à transporter un objet dans Michkan[1].
de Dieu parmi les hommes. Tel est l’enseignement le domaine public au-delà d’une distance de 4 amot,
essentiel de Vayaqel. 2 mètres environ). Pour apporter les offrandes à Malgré ces analogies concernant les matériaux
Moché, les membres du peuple devait en effet de construction et le zèle à les apporter, la
I. Formellement les choses se passent de les transférer de leurs tentes, domaine privé, au manière dont sont produits les deux édifices est
manière inverse. La paracha s’ouvre sur le rappel camp des Lévi, considéré comme domaine public. radicalement différente. Le veau n’est en réalité
public, après rassemblement du peuple dans C’est parce que ceci constitue une transgression pas construit. Il s’élève de lui-même, par une sorte
son ensemble, de l’interdit d’effectuer un travail de chabbat qu’on restreint l’ardeur du peuple à de mise en forme magique de la matière (cf. Rachi
à chabbat, avant la description du chantier du apporter des offrandes et non pas parce que, sur 32,3). C’est proprement ce que l’on appelle
Michkan et des différentes tâches qui le constituent. conformément au pchat des versets, les offrandes une hypostase, une entité purement fantasmatique
Rachi (Chemot 35,2) précise que cela vient nous étaient devenues superflues. qui semble pourvue d’une existence autonome.
enseigner que « la construction du Michkan n’est Le Michkan au contraire est le paradigme de la
pas do’hé (ne repousse pas) le chabbat ». On aurait Cet écart entre le pchat des versets et la drachah construction. Tout y est finalisé. Chaque élément
certes de bonnes raisons de penser le contraire. d’où la gemarah déduit que l’on parle bien de fait l’objet d’un travail transi de pensée.
Si chabbat est bien un « signe entre Lui et nous chabbat conduisent Rabbénu ‘Hananel et Tossefot
», 31,13), s’il y va bien d’un rapport entre Lui et sur place à rejeter cette lecture et à modifier la Sa marque distinctive est la durée du processus de
nous, du rappel, par l’interruption de nos travaux girsah (la version du texte) de la gemarah. Les construction, que chabbat vient scander. Chabbat
habituels, de Son « repos » au septième jour, alors versets ne parleraient pas de chabbat mais bien est le moment où le travail de construction d’une
il semblerait conforme à la destination de chabbat d’un jour profane ; le flux des offrandes se trouverait relation à Dieu est interrompu. Cette interruption
que l’on continue à y construire le Michkan, voire alors bien interrompu pour la seule raison logistique se concrétise par le fait de se tenir pendant une
qu’il soit justement le jour consacré à la construction qu’il est devenu superflu ; une autre source est journée dans l’anticipation de l’achèvement de ce
du Michkan. Or ce sont à l’inverse précisément invoquée pour apprendre que hotsa’ah constitue travail toujours à reprendre l’introduction d’une
les travaux du Michkan qui donnent un contenu à un travail à part entière. Des deux lectures en dimension de sens dans le monde. Chabbat est le
l’interdit abstrait de travailler le chabbat «Mélék’het présence, découlent ainsi des conséquences moment où enfin la circulation de la voix peut se
ma’hachévet assera Torah» (par exemple, radicalement inverses : dans la lecture Rabbénu substituer au flux ininterrompu et potentiellement
Beitsah 13b) : la Torah n’a rien interdit d’autre à ‘Hananel-Tossefot, l’afflux d’offrandes superflues infini de la circulation des objets. Il est cette
chabbat qu’un « travail pensé ». Cette expression témoignent d’un désir débordant, peut être hors scansion absolument illogique sur le plan de la
magnifique renvoie très précisément aux travaux de propos, mais néanmoins louable, du peuple logistique d’un tel chantier, qui constitue à la fois
de la construction du Michkan (35,33), travaux à contribuer à la construction ; dans la girsah son achèvement anticipé et sa relance. Il indique
d’artisan, voire d’artiste, mettant en l’œuvre les retenue par nos éditions du Shas et par Rachi, ces la différence fondamentale entre la « construction
procédures les plus efficaces à l’effectuation d’un offrandes surnuméraires deviennent une bravade » du veau et celle du Michkan. Formellement, l’un
certain type de transformation du réel. Se trouve à chabbat dont on venait de rappeler le principe ou, et l’autre se ressemblent : il s’agit de produire un
donc énoncé, dans un premier temps, l’interdit tout au moins, elles témoignent d’une ignorance objet servant au culte. Il suscite la même pulsion,
général de travailler à chabbat, puis précisé, dans de la part du peuple de ce qui est précisément le même désir de participer au processus de
un second temps, à travers la description des permis et interdit à chabbat. Or, si on suit cette construction entrepris par le groupe. Dans un cas,
travaux du Michkan, ce que « travailler » signifie seconde version, pourquoi les versets en question le processus en question est toujours déjà achevé
véritablement et très concrètement. désignent-ils chabbat d’une manière si alambiquée (c’est la génération spontanée du veau), manière
? Comment comprendre que chabbat soit signifié de dire que le culte ne vise rien d’autre que lui
Dès lors, la formulation de Rachi paraît étrangement par la restruction du zèle du peuple à apporter des même, s’autonomise pour devenir un pur mode de
inappropriée ? Car s’il en est ainsi, il est non offrandes de matériaux précieux pour construire fonctionnement social. Dans l’autre cas, le procès
seulement évident que la construction du Michkan le Michkan ? Qu’on dispose pour seul signe de de construction est toujours recommencé et rythmé
« n’est pas do’hé le chabbat », mais chabbat ne l’entrée de chabbat de l’excédent du matériau sur par des points de sens indiquant que la finalité de
prend sens qu’à s’abstenir de le construire. le travail restant à effectuer ? la construction lui est extérieure (le Michkan est un
support, n’est pas une fin en soi).
II. Tournons nous vers la manière dont chabbat III. La construction du Michkan est bien le tiqqun
intervient effectivement dans le processus de (réparation) de la faute du veau d’or (cf. Rachi sur C’est pourquoi chabbat apparaît comme le moment
construction : celle d’une interruption. Chabbat 31,18 et sur 35,1 et le Sifté ‘Hakhamim sur place). où la quantité de matériau disponible surpasse le
marque un coup d’arrêt. Ceci ressort clairement des analogies entre le récit travail à effectuer. C’est le moment où le travail est
des deux processus de fabrication. Le point de interrompu comme s’il était achevé. Mais ceci ne
Les psuqim 36,4-6 nous apprennent que le peuple rapprochement le plus criant est l’usage des mêmes s’effectue que sur fond d’un reste, d’un surplus de
apportait trop d’objets en offrande, devant servir matériaux : les objets précieux avec lesquels les matière qui indique précisément que le travail de
de matière première (de l’or notamment) pour la bené Israël sont sortis d’Égypte, conformément construction n’est jamais pleinement accompli.
construction. Ils en apportaient « trop » par rapport à la promesse faite à Moché (« vous ne sortirez De là aussi, l’étrange formulation de Rachi :
à ce qu’exigeait le travail de construction tel que pas les mains vides », Chemot, 3,21). Ces objets «la construction du Michkan n’est pas do’hé
prescrit par Dieu. En rapprochant le passouq 36,6 sont d’abord utilisés pour l’érection d’une idole le chabbat». Ce n’est que dans le cadre de la
(« ils firent circuler une voix dans le camp»), d’un d’inspiration égyptienne, puis pour la constuction construction du Michkan que quelque chose
passouq relatif à Kippour (« tu feras circuler le son d’un support à la résidence de Dieu au sein du comme chabbat est possible. Seule la construction
du chofar », Vayiqra, 25,9), la gemarah (Chabbat peuple. Mais le zèle du peuple à contribuer à l’un et du Michkan n’est fondamentalement pas do’hé
96b), comprend que cet épisode s’est déroulé à l’autre projet, pourtant absolument contradictoires, le chabbat, en tant qu’elle seule rend possible la
chabbat (« là-bas on parle d’un jour chômé, donc est décrit en des termes strictement similaires. saillie d’un sens dans ce monde.
ici aussi »). Ce passouq sur la « circulation de la Aharon comptait sur l’attachement des femmes et
voix » viendrait en réalité enseigner que le transport des enfants à leurs bijoux exportés d’Égypte, pour [1] Une différence notable est toutefois que les femmes qui apportent
de telles offrandes sont appelées, dans le cas du Michkan, ‘Hakham
d’un objet, activité qui ne semble pas constituer retarder, voire rendre impossible, la fabrication de Lev « de cœur sage ».

Ce feuillet d’étude est offert pour l’élévation de l’âme de Elicha Ben Yaacov DAIAN

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