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171 l Ne peut être vendu séparément Jeudi 15 mai 2008

1 - Leadership
SOMMAIRE

Vision : promesses Prisede responsabilité :


et si efficacité
Tous droits réservés − Les Echos − 2008

et dangersdes cathédrales lesclefs dela réussite


par Denis Bourgeois

Leadership,performance,
Lire pages 2 et 3 par Gilles Amado

Pour un apprentissage
Lire pages 5 à 7
rimait avec sérénité ?
développement durable du leadership
par Bernard Ramanantsoa Lire page 3 par Valérie Gauthier Lire pages 8 et 9

Dirigeants : leaders, managers Lecommandement militaire


ou simplement exécutants ? inspirationdu management
Par Michel Fiol et Nicolas Mangin par Nicolas Barbier, Isabelle Fetet
Lire pages 4 et 5 et Baudouin de Torcy Lire page 9 rendez-vous page 12

Equipes dedirection :pourquoi


unteldéficit decoopération ?
par Michel Fiol et Nicolas Mangin
Lire pages 10 et 11

[08 avr 2008, 18H40] 8481_CASE_O_001.2JLGBA.pdf


2 - Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 L’ART DU MANAGEMENT

Un art en pleine
mutation Vision :promesses
L a nouvelle série de « L’Art du
Management » que nous vous proposons,
avec le concours de l’équipe des chercheurs et
des professeurs d’HEC tranche sur plusieurs
points avec celles qui l’ont précédée. Plus
et dangersdes cathédrales
compacte, elle tiendra en trois cahiers ; plus IMPLICATION L’art du dirigeant serait d’élaborer une « vision » porteuse de valeurs
diverse, elle abordera trois thèmes distincts : le
leadership, la performance, le développement et transcendant le quotidien. Cet art consisterait ensuite à faire partager cette vision
durable. Ce choix apparemment aléatoire n’a et à mobiliser derrière elle l’énergie des collaborateurs.
rien d’arbitraire. Toutes les considérations sur
les qualités qui font un bon leader finissent par
conduire aux mêmes interrogations sur la
mesure de la performance. En ces temps cruels DENIS BOURGEOIS cathédrale. C’est un cas que nous rencontrons fréquem- Denis Bourgeois
pour les gouvernances court-termistes, il ment aujourd’hui. est professeur affilié
apparaitrait un peu vain de vouloir continuer à Les recherches et interventions que j’ai menées à HEC Paris. Il y est
distinguer les managers les plus performants depuis quinze ans m’ont convaincu d’une chose : il est le responsable de plusieurs

L
sans introduire une perspective temporelle ’histoire est souvent proposée dans plus souvent illusoire de vouloir faire adopter aux programmes pour cadres
plus longue, et une conception de la création des stages ou ouvrages de manage- collaborateurs la vision du dirigeant. Cela est même dirigeants dont
de valeur moins étroitement financière, ment : quelqu’un visite le chantier parfois malsain. C’est illusoire parce que, même dans les notamment le Master
comme le montre la vogue actuelle du d’une cathédrale, au Moyen-Age. Il organisations qui fonctionnent bien, dont les collabora- spécialisé, « Consulting
développement durable. En combinant ces interroge trois ouvriers sur ce qu’ils teurs sont impliqués, ces derniers se forgent un sens au and Coaching and
trois dimensions, nos amis d’HEC nous offrent font. Le premier lui répond : « Je travail qui est différent de celui de leur dirigeant. Les Coaching for Change ».
l’occasion de découvrir ce qui définit « l’état de gagne mon pain ». Le second lui dit : collaborateurs y respectent la vision qu’en communique Le fil directeur de ses
l’art » en matière de management aujourd’hui. « Je suis tailleur de pierre », et le troisième : « Je le dirigeant, sont heureux d’y contribuer, mais ce n’est activités (recherche,
Incontestable, et devenue encore plus construis une cathédrale ». Le plus souvent, ce troi- pascequi lesfaitmajoritairement vibrer ;ilsjouent le jeu formation, interventions
spectaculaire depuis la crise financière initiée sième ouvrier est cité comme exemple à suivre. Cela parce que, donnant-donnant, cette organisation et ce en tant que consultant)
par les mésaventures du « subprime », vientalorsenappui d’unereprésentationduleadership dirigeant leur permettent de trouver leur propre sens au est le sens que les
l’accélération du turn-over des PDG souligne qui se développe aujourd’hui : l’art du dirigeant serait travail, dans leur vie quotidienne. individus donnent
les ambiguités de la notion de leadership. Si d’élaborerune « vision », commeledisent lesanglo-sa- à leur travail.
l’horizon d’un dirigeant se raccourcit si xons, ou un grand projet, comme on le dirait en
drastiquement peut-on encore exiger de lui français, porteuse de valeurs et transcendant le quoti- Liberté etconfiance
d’avoir une « vision » pour son entreprise ? dien ; cet art consisterait ensuite à faire partager cette
Souvent les changements brusques de leader vision et à mobiliser derrière elle l’énergie des collabo- Un exemple parmi d’autres : ce dirigeant d’une unité
se traduisent par des séparations en cascade rateurs. industrielle performante me disait que la clef de son
dans les comités de direction. Est ce le coût succès était l’orientation vers le client, partagée à tous
caché de la glorification de l’esprit d’équipe lesniveaux.J’ai passéunematinéeentièreà parleravec
dont la littérature managériale fait son miel ? Ce recours à la vision du dirigeant, bon nombre de ses ouvriers sans que jamais ces
Non seulement il faut faire ses preuves de et à la cathédrale qu’elle invite à construire, derniers ne me parlent de client, sauf quand je leur
patron en moins en moins de temps, mais, comporte des promesses mais aussi des dangers posais une question à ce sujet. Ils étaient effectivement
semble-t-il, l’apprentissage de la fonction se Tout d’abord, pour rester dans le fil de la parabole, il heureux de se trouver dans cette entreprise, ils étaient
fait de plus en plus vite, car au sommet les importe de réhabiliter les deux premiers ouvriers (et par impliqués, mais ce qui faisait la valeur de leur travail à
transitions brutales, les sauts de génération, « ouvrier », j’entends ici toutes sortes de collaborateurs, leurs yeux était la liberté et la confiance dont ils
les ruptures de profils sont monnaie courante. manuels ou intellectuels). Ceux-ci également peuvent bénéficiaient, la capacité de prendre des initiatives et
Cela explique-t-il le sentiment assez répandu contribuer très efficacement et avec cœur à leur organi- defaire untravailtechniquementintéressant, dansune
que le monde des affaires, comme le reste de la sation. ambiance où ils se sentaient reconnus et respectés.
société, n’échappe pas à la crise du Etre tailleur de pierre, c’est développer un art, Bien sûr, ils étaient conscients que la satisfaction des
leadership ? c’est, au travers d’un canal particulier, enrichir ses clients était essentielle à la survie de leur entreprise
Quand la question de la performance vient capacités et travailler sur soi-même. C’est aussi un mais le sens du travail, pour eux, n’était pas là. On
s’ajouter à cette problématique déjà très riche, moyen de créer du beau ou du bon qui bénéficie à comprend que cela puisse en revanche être celui du
on rejoint des préoccupations à nouveau très d’autres autour de soi. C’est un
concrètes et d’une brulante actualité. Evoluant moyen de se prouver sa propre
dans un environnement d’une grande valeur. Une belle cathédralene
complexité, les entreprises sont contraintes de peut se construire sans tailleurs
gérer selon des critères toujours plus de pierre, experts et heureux
Etre tailleur de pierre, c’est développer
sophistiqués, ce qui ne rend pas évident de d’exercer leur art. Il convient un art, c’est, au travers d’un canal
fixer la ligne de partage entre performance et pour cela de leur laisser la
non performance. Les analystes financiers sont marge d’autonomie suffisante particulier, enrichir ses capacités
soumis à un feu continu de critiques, au fur et à pour qu’ils se sentent artistes et et travailler sur soi-même. C’est un
mesure des éclatements de « bulles » qu’ils non simples exécutants d’ins-
n’avaient pas vu venir. L’appréciation de tructions préétablies. Notons moyen de se prouver sa propre valeur.
l’efficacité de la recherche reste, à bien des aussi que, des trois ouvriers,
égards, un grand trou noir. Les méthodes seul le tailleur de pierre trouve
employées pour récompenser et stimuler les sonsensdansleprésent ;ilnedépendpasd’unailleursou chef : prendre des parts de marché et des points de
commerciaux ou les hommes de marketing d’un plus tard qui risque toujours d’être chimérique. rentabilité lui permet de faire face à des défis, de
doivent s’adapter à la part croissante du Ceux qui ne font que « gagner leur pain » sont développer sesqualités, de voir les effets directs de son
qualitatif et de la stratégie dans la relation également nécessaires.Il existe sur le chantierdestâches action. Pour resterdans le fil de notre parabole initiale,
client. moins qualifiées, où développer un art serait plus lechefimaginesouventcommecathédralecequile fait
Toutes ces remises en cause sont aussi un des problématique. La logique du gagne-pain peut facile- vibrerlui, entantquetailleurdepierre,danssonpropre
effets de l’impressionnante montée en ment conduire à une vie de travail triste ou morne. métier de dirigeant. En revanche, si l’implication des
puissance de la thématique du développement Cependant, cette logique n’empêche pas une contribu- collaborateurs ne procédait pas de la vision du diri-
durable. L’art du management est maintenant tion impliquée à l’organisation, à la condition que ces geant, elledevait beaucoupàlaqualité desonmanage-
celui du ménagement : la poursuite du ouvriers évoluent au sein d’une équipe où ils se sentent ment et de celui de son encadrement intermédiaire.
rendement sans égards pour ses propres exister, qu’ils aient le sentiment d’être respectés dans
ressources humaines, son environnement, ses leurs préoccupations et leur dignité. Cette reconnais-
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sous-traitants et fournisseurs n’a plus bonne sance est d’autant plus nécessaire que leur position Cela m’amène à expliquer pourquoi cette
presse. Concilier au mieux ces impératifs symbolique dans l’organisation les place souvent au bas promotion d’une cathédrale peut être malsaine
contradictoires, c’est un défi de taille pour les de la hiérarchie du prestige. Si ces conditions sont Tout d’abord, certaines visions proposées par des
hommes de gestion. réunies, au minimum, ils en retireront une vie accep- dirigeants ne sont pas vraiment des cathédrales. Vou-
HENRI GIBIER table, au mieux, ils en seront heureux parce que l’essen- loir, par exemple, être le numéro un mondial sur son
directeur de la rédaction des « Echos » tiel de leur vieest ailleursetqu’ils ne demandent pasplus marché peut certes constituer un but efficace, sans
à leur job que de financer cet essentiel. Cette logique doute satisfaire quelques egos, mais ne suffit pas à
peut se rencontrer aussi chez des collaborateurs quali- donner la profondeur et l’élan que suggère la cathé-
fiés ; elle se teinte alors d’un peu de celle du tailleur de drale, c’est-à-dire le service de ce qui nous dépasse.
pierre. Le cas est de plus en plus fréquent de nos jours. Ensuite, même quand cette vision peint l’orga-
Dans ces deux cas, nos ouvriers seront certes nisation comme étant au service d’un bien supérieur
L’Art du management est réalisé contents de savoir qu’ils collaborent à la construction pour la société et/ou les collaborateurs, il convient que
sous la direction d’Henri Gibier, d’une cathédrale mais ils pourraient être aussi heureux les actes suivent les paroles. Les collaborateurs savent
directeur de la rédaction des « Echos », sur d’autres chantiers. Ils n’ont pas besoin de la cathé- qu’il est des moments de vérité où les ressorts du
avec la collaboration drale pour être impliqués. Ceci est d’autant plus impor- sommetserévèlentetc’estlàqu’ilsjugentdel’authenti-
de Richard Perrin, directeur tant que, bien souvent,ils n’auront jamais vu les plans de cité d’une vision. On voit beaucoup de PDG perdre
de la communication d’HEC Paris la cathédrale et n’auront pas été associés à sa concep- leurplacepourdéfautdeperformancesfinancières ;on
de Bernard Ramanantsoa, tion ; il n’auront peut-être même jamais parlé directe- en voit peu souvent le faire, par exemple parce que les
directeur général d’HEC Paris ment avec l’architecte. Ils auront de ce fait une compré- collaborateurs de leur entreprise sont malheureux, ou
et président de la CEMS. hension limitée de leur contribution à l’ensemble et parce quelesproduitsde cette dernière sontnuisiblesà
auront des difficultés à se sentir les auteurs de la la société. Le dangerne guette pas que le secteur privé.
L’ART DU MANAGEMENT Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 - 3

RÉSUMÉ
Une belle cathédrale
ne peut se construire
sans tailleurs de pierre.
Les collaborateurs ont
besoin de savoir où ils
vont, à quoi contribue
ce qu’ils sont en train
de faire. Si la vision de
leur dirigeant est claire,
ils n’ont pas de doutes
à ce sujet.

Dale O’Dell/Tips/Photononstop
Une belle cathédrale ne peut se construire sans tailleurs de pierre, experts et heureux d’exercer leur art. Il convient pour cela de leur laisser la marge d’autonomie suffisante.

Le secteurpublic comme le tiers secteur (associations, Est-ce à dire qu’il faut en finir avec les cathé- action. Elle l’est également parce que quelqu’un qui
coopératives…) courent toujours le risque de voir drales ? Certes non. Travailler à créer des richesses est authentiquement mu par une vision est respecté
leursmissionsaltruistespasserau secondplanderrière matérielles dans la journée et servir des valeurs le soir par ses collaborateurs ; ils apprécient toujours qu’il ne
les enjeux de territoires, de carrière et de réélections. et le week-end conduit à la schizophrénie. Plus que secontentepasdesoignersespropres intérêts ou ceux
Dans tous ces cas où la vision sonne faux, le dommage jamais aujourd’hui, nous voyons que ce n’est pas de ses alliés. De plus, l’authenticité est contagieuse…
est double : d’une part, cela rend les collaborateurs durablement viable ni pour les individus, ni pour les Ensuite, les collaborateurs ont besoin de savoir où ils
cyniques et moins confiants en de possibles vraies organisations, ni même pour la société. Nous avons vont, àquoicontribuece qu’ils sont en train de faire.Si
cathédrales ; d’autre part, cette vi- la vision de leur dirigeant est claire, ils n’ont pas de
sion factice risque fort d’être un doutesà ce sujet. Enfin, cette vision doit aussi considé-
palliatif masquant les insuffisances rer la place des individus au sein de l’organisation de
du management, son incapacité à Diriger, ce n’est pas donner du sens, façonàpermettreàchacun de croître.Sanscettevision
rendre possible l’implication des fortement ancrée, le dirigeant résistera mal aux mul-
tailleurs de pierre et de ceux qui c’est tenir un cap en étant fidèle au sens tiples pressions qui peuvent le conduire à rechercher
viennent gagner leur pain. A ce l’efficacité par l’instrumentalisation de ceux qui l’en-
sujet, on doit remarquer que ce que l’on se donne et offrir aux autres tourent.
recours croissant à la vision du les conditions leur permettant Maisàpartirde là,la véritableimplicationdans
dirigeant est concomitant avec le le travail se produit quand l’organisation est capable
développement du taylorisme de se construire le leur. de faire sentir aux collaborateurs qu’ils sont réelle-
dans des secteurs toujours plus ment respectés en tant qu’être de sens, et, si possible,
nombreux. de leur donner les moyens d’être de bons tailleurs de
Enfin, même quand cette vision est vécue donc un cruel besoin de bâtir des cathédrales, mais il pierre. Diriger, ce n’est pas donner du sens, c’est tenir
authentiquement, le fantasme de toute puissance convient d’éviter les écueils décrits ci-dessus si l’on uncapenétant fidèleausensque l’onsedonneetoffrir
guette celui ou celle qui s’imagine être la source du veut récolter les fruits de leurs promesses et non ceux aux autres les conditions leur permettant de se
sens pour les autres. En d’autres temps ou d’autres de leurs dangers. construire le leur l
régimes,l’onappelaitcelapropagande,etl’onsaitbien Est-ce à dire, que le dirigeant ne doit pas avoir
dans quels errements cela peut mener. Le partage du de vision ? Certes non, elle est indispensable, mais ne L’auteur remercie Pierre Forthomme et Jean-Michel Fuzat pour
sens ne se décrète pas. Il émerge petit à petit du mélangeons pas tout. Elle est d’abord nécessaire au les échanges qu’il a eus avec chacun d’eux au sujet de cette
dialogue entre individus libres de construire le leur. dirigeant lui-même pour orienter et inspirer sa propre parabole de la cathédrale.

PRÉSENTATION

Leadership, performance, développement durable


Tous droits réservés − Les Echos − 2008

BERNARD RAMANANTSOA
la mesure de la performance, savoir mesurer quels doi- mais il doit aussi − et avant tout − participer à l’effort
vent être les critères à retenir aujourd’hui. Peut-on en- d’innovation que notre pays doit engager massive-
Pourquoi, avec « Les Echos », avons-nous choisi core se contenter de la valeur pour l’actionnaire ? Les ment pour rester compétitif. Un pays comme la
cestrois thèmes ? Incontestablement,danslapériode nouvelles normes comptables se revendiquant d’un France, ne parviendra à garder sa place dans la Bernard Ramanantsoa
actuelle, ils correspondent aux préoccupations ma- souci légitime de transparence ne rendent-elles pas en concurrence mondiale que si nous sommes capables est professeur
jeuresdesdirigeantsd’entreprise.Maisaussi, etj’ai en- faitplusfloue l’évaluation de la performancedes entre- deproposer,danslessciencesdegestioncomme dans au département
vie de dire surtout, parce que ces trois thèmes nécessi- prises ? les autres domaines scientifiques, des innovations et stratégie et politique
tent aujourd’huid’être revisitésde fondencomble. des nouveaux paradigmes. La vocation d’une institu- d’entreprise d’HEC,
l Développement durable : ce fut un gadget, puis tion comme HEC n’est pas d’enseigner des tech- directeur général d’HEC
l Leadership : un sujet majeur depuis qu’on en- un outil de marketing. N’est-ce pas aujourd’hui l’émer- niques, c’est-à-dire de reproduire du savoir ; elle Paris et président
seigne la gestion mais il faut bien reconnaître qu’on gence d’un nouveau paradigme en économie eten ges- consiste comme pour nos principaux collègues et de la CEMS.
rencontre dans la littérature plus de banalités et de tion des entreprises ? C’est en tous les cas ce que croit concurrentsétrangersà être capables de proposerles
lieux communsque d’étudesapprofondies. Quede fa- Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006, derniersrésultatsd’unerecherche,qui nepeutêtreju-
daises oude propos de convenancene lit-on pas sur ce concepteur du microcrédit, et c’est en tout cas une invi- gée que selon des critères internationaux. C’est là le
thème ? tation aux entreprises à inventer de nouveaux « busi- but ultime de cette série : proposer aux lecteurs des
nessmodels ». « Echos », c’est-à-dire aux dirigeants et aux cadres
l Performance : on pourrait presquetrouver dans Le choixdecestroisthèmesestaussi, je crois,lereflet d’entreprise, des pistes de réflexion et de débats qui
le thème, une forme de pléonasme. L’entreprise ne de l’identité etdelavision d’HEC.Lecorpsprofessoral s’appuient sur nos derniers travaux de recherche et
doit-elle pas se caractériser par la performance ? En- d’HEC doit bien sûr former les jeunes (et les moins qui susciteront chez eux, je l’espère, réactions et pro-
core faut-il, au-delà des débats toujours d’actualité sur jeunes) générations aux techniques de management positionsàmême d’enrichiràleurtour, nostravaux.
4 - Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 L’ART DU MANAGEMENT

Dirigeants : leaders, managers


ousimplement exécutants ?
POUVOIR Abraham Zaleznik distingue deux types de dirigeants : les leaders
qui sont des visionnaires provoquant ruptures et changements, les managers
MICHEL FIOL ET NICOLAS MANGIN
qui sont, au contraire, des hommes de compromis, partisans du travail en équipe.

D
ans un article célèbre (1) publié Michel Fiol
en 1977, Abraham Zaleznik, pro- Tableau 1 : les profils types de dirigeants intermédiaires est professeur
fesseur de psychologie sociale à au département
l’université d’Harvard, distingue Besoin de plus... Satisfaits Délaissés Désorientés Entravés Surmenés Egarés comptabilité
deux types de dirigeants, les lea- et contrôle de gestion,
ders etles managers,quidiffèrent d’autonomie = = = ++ + + à HEC Paris.
dans leur vision du monde. Les de direction = ++ ++ ++ + ++
leaders sont des visionnaires provoquant ruptures et Nicolas Mangin
changements. Dotés d’une forte personnalité, ils sont d’analyse du passé = = ++ + = ++ est doctorant HEC.
charismatiques, solitaires, empathiques, émotifs, intui-
de projection = + + + + ++
tifs et téméraires. Ils génèrent en permanence des idées
nouvelles et attisent l’amour ou la haine de leurs d’action = = = = - -
collaborateurs. Les managers, ou gestionnaires, sont au
contraire, des hommes de compromis, rationnels, mé- de réflexion ++ +++ ++ +++ +++ +++
thodiques et organisés, prudents et partisans du travail Répartition 31 % 19 % 11 % 15 % 4% 20 %
en équipe. Ils conservent et régulent l’ordre existant, en
idé
é
maintenant une coopération par la conciliation d’inté-
rêts parfois contradictoires. Ils utilisent les instruments
de gestion pour influencer leurs collaborateurs, mainte-
niruncontrôleetéquilibrerleurspouvoirs.Selonlathèse Tableau 2 : les profils types par niveau hiérarchique
de Zaleznik, les organisations rationnelles, « averse » au
risque et au désordre, n’offrent un terreau fertile que
pour les managers et inhibent le développement des
leaders qui ont besoin d’un cadre tolérant l’agressivité, N-2 N-3 N-4
l’élitisme et l’audace.
La vision manichéenne de Zaleznik est loin
d’être acceptée par tous les théoriciens du management.
Onnoteaumoinscinqpointsdeclivage.Les deux profils 18 % 16 % 26 %
sont-ils tout autant indispensables dans les organisa- 27 % 30 % 34 %
tions ? Une même personne peut-elle concilier les deux 5% 5 %
profils, ou doit-elle former un binôme avec son complé-
mentaire ? Un dirigeant peut-il être leader en toute 1%
circonstance,ouest-ill’hommed’unesituationdonnée ? 14 % 14 %
Comment devient-on leader ? Enfin les leaders appar-
tiennent-ils à une caste d’élus ou bien sont-ils disséminés 12 % 18 % 9%
36 % 23 %
à tous les niveaux de l’organisation ? Bien que la 0% 12 %
dichotomie leader-manager apparaisse trop simplifica-
triceauxyeuxdecertains,laquestionàlaquelleZaleznik
apporte une réponse est loin de perdre sa pertinence :
nos organisations permettent-elles le développement
des dirigeants dont elles ont besoin ? Satisfait Délaissés Désorientés Entravés Surmenés Egarés
Pour sortir du dilemme leader-manager, le
idé
concept de dirigeant paraît appro-
prié même s’il reste ambigu. Il peut
en effet désigner exclusivement le
directeur général ou s’appliquer à Dans sa relation avec ses comparer trois niveaux hiérarchiques. Selon les résul-
tous les opérationnels qui dirigent tats obtenus par questionnaire, 61 % ( voir tableau 1,
une équipe et sont générateurs de collaborateurs directs, tout dirigeant trois premières colonnes ) se sentent aussi autonomes
performance collective, comme les qu’ils le souhaitent, tous niveaux confondus. Ce pour-
directeurs de filiales, divisions, dé- est confronté à deux attitudes centage varie peu d’un niveau à l’autre ( 63 %, 65 %,
partements, etc. Il est néanmoins opposées et complémentaires : en 55 % respectivement pour les niveaux N-2, N-3 et
commode dans cette deuxième ac- N-4 ), même s’il semble tout de même régresser au
ception, car il concerne des popula- principe, il délègue et dirige par le sens. niveau N-4 : le besoin d’autonomie s’y ferait-il plus
tions plus larges sur plusieurs ni- sentir, ou le management de proximité contraindrait-il
veaux hiérarchiques. Les travaux de davantage (voir tableau 2) ? Par ailleurs, les 39 %
recherche menés depuis près de vingt ans à HEC- per dans un climat éthique, être en confiance et avoir restants manifestent un fort besoin d’autonomie et se
EXED offrent quelques éclairages qui laissent per- une pulsion de vie (2). perçoivent, lors des entretiens, comme des exécutants
plexes sur cette problématique du développement des Pour développer ses compétences de leader- (voir tableau 1, trois dernières colonnes).
dirigeants,toutdumoinsauseindesmultinationales.Au ship et/ou de gestion, tout dirigeant a besoin d’un Si l’autonomie estune condition nécessaire, elle
fil du temps, les dirigeants de ces entreprises apparais- certain degré d’autonomie par rapport à son supérieur, reste insuffisante pour faciliter le développement du
sent de plus en plus confinés à des rôles d’exécution, mais aussi de direction par le sens. Or les résultats de leadership et de la gestion chez les dirigeants. Elle
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permettant peu l’acquisition et l’exercice de compé- questionnaires remplis par 1.068 dirigeants, à des ni- requiert un équivalent de direction par le sens ; sinon
tences de leadership et de gestion. veaux hiérarchiques allant de N-2 à N-4 au sein de elle est vécue comme un abandon. Seule la moitié de
grandes entreprises appartenant à des secteurs diffé- ceux qui se déclarent aussi autonomes qu’ils le souhai-
Quelles situations vivent les dirigeants ? rents révèlent que 52 % d’entre eux s’estiment insuffi- tent, se sentent également dirigés par le sens. L’autre
Des enquêtes par questionnaires et entretiens portant samment autonomes. Le détail des réponses conduit à moitié regroupe ceux qui se disent « délaissés » ou
sur les relations contradictoires que tout dirigeant classer ces dirigeants en trois grands groupes : les « désorientés » (voir tableau 1).
développe avec un certain nombre de composantes de satisfaits de leur capacité ànégocier leursobjectifs et de
son univers de travail auprès de grandes entreprises. leur liberté d’action ; ceux auxquels les objectifs sont
L’interrelation dirigeant/dirigé est ici en jeu. Dans sa prescrits sans négociation mais qui se sentent libres Seprojeterdansl’avenir
relation avec ses collaborateurs directs, tout dirigeant dans l’action ; les prisonniers d’un système imposé
est confronté à deux attitudes opposées et complémen- d’objectifs et de moyens d’action. Ces résultats sont En outre, pour développer leurs compétences de lea-
taires : en principe il délègue et dirige par le sens. confirmés par des entretiens. Chacun de ces groupes dership et de gestion, les dirigeants ont besoin de se
Symétriquement, tout collaborateur est théoriquement peut ensuite se diviser en deux selon que les dirigeants projeter dans l’avenir, de faire des bilans sur les actions
autonome et dirigé par le sens. L’autonomie corres- ont l’impression que leur supérieur souhaite accroître passées et de disposer d’espaces de réflexion. Si, dans
pond à la possibilité de négocier ses objectifs et ses ou maintenir leurs marges de manœuvre, ou au l’ensemble, les dirigeants estiment analyser suffisam-
ressources, de mener à bien des projets sous tous leurs contraire, les restreindre. ment le passé et ne souhaitent pas être davantage dans
aspects, et de prendre des initiatives et des décisions Une étude plus poussée auprès de l’action, ils sont en revanche nombreux à manifester un
correctives importantes sans avoir à en référer systéma- 267 dirigeants d’une grande entreprise diversifiée per- fort besoin de projection et surtout de réflexion. Sur les
tiquement à son supérieur. La direction par le sens aide met d’approfondir l’analyse. Cette entreprise a été 267 dirigeants de l’échantillon, 61 % déclarent ne pas
les collaborateurs à mieux se situer dans l’organisation, choisie pour deux raisons : elle offre un bon taux de avoir suffisamment de temps pour préparer correcte-
à rêver, se sentir utile, se professionnaliser, se dévelop- satisfaction en matière d’autonomie ; elle permet de ment leurs activités futures et près de 82 % aspirent à
L’ART DU MANAGEMENT Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 - 5

disposer de beaucoup plus d’espaces de réflexion dans nier se qualifia lui-même d’exécutant. D’un côté des
leur travail. Le regroupement des dirigeants ayant les objectifs précis, émanant de plusieurs sources, lui
mêmes caractéristiques en matière d’autonomie et de étaient de plus en plus imposés par le siège ; de l’autre,
direction par le sens, de relation au temps et de rapport les exigences des normes de certification se multipliant
au contenu du travail, laisse apparaître six profils dans son activité imposaient le détail des actions à
distincts (voir tableau 1). Les « satisfaits » estiment mener. La multiplication des contraintes institution-
disposer de toutes les conditions (sauf, comme pour les nelles ou techniques, particulièrement marquée dans
autres profils, de suffisamment d’espace de réflexion) les structures matricielles, tend ainsi à réduire les
leur permettant d’exercer pleinement leur fonction et marges de manœuvre des dirigeants au point de leur
de développer des compétences de leadership ou de ôter tout pouvoir de décision, voire de les paralyser en
gestion. les plaçant dans des situations inextricables. Dans de
Les « délaissés » sont globalement autonomes telles conditions, il est possible de s’interroger sur la
et satisfaits de leur travail, mais ont des relations possibilité laissée à certains dirigeants de devenir des
difficilesouinexistantesavecleursupérieur,etpeinentà leaders ou des gestionnaires, tels que les décrit Zalez-
se situer dans l’entreprise. Leur proportion croît signifi- nik ;dessituationsorganisationnellesdanslesquellesles
cativement lorsque l’on monte dans la hiérarchie (voir dirigeants sont peuautonomes, ne savent pas où ilsvont
tableau 2). Les « désorientés » vivent dans l’instant, et ne font qu’agir dans l’instant, n’est a priori propice ni
faute de direction et de repères sur la situation de leur aux uns, ni aux autres : elles enferment dans un rôle
entité. Les « entravés » souffrent tant de l’imposition d’exécutant.
unilatérale d’objectifs que d’importantes limitations Hélas, cette tendance semble en plus se nourrir
dans leur liberté d’action. A ce déficit d’autonomie elle-même : le déficit de direction dont les personnes
s’ajoute pour eux un déficit de direction et une difficulté interrogées souffrent se répercute en s’amplifiant aux
à se projeter. Le nombre de dirigeants appartenant à niveaux hiérarchiques inférieurs et explique en partie le
cette catégorie est d’autant plus grand que l’on se besoin accru de réflexion exprimé par beaucoup qui
rapproche de la base opérationnelle. Les « surmenés » cherchent à trouver des repères et donner un sens à leur
souhaitentfortementsortirdelarésolutionquotidienne action. En effet, un dirigeant ne peut transmettre à ses
de problèmes opérationnelsafinde prendre letemps de subordonnés que ce qu’il a : il ne peut déléguer que
réfléchir à leur activité. Ce profil semble davantage l’autorité dont il dispose ; il ne peut leur donner une
représenté dans les niveaux les plus élevés de la orientation que s’il sait lui-même où il va. Lorsque cette
hiérarchie. Enfin, les « égarés » (20 %) déclarent souf- chaîne est brisée (et nos résultats semblent indiquer
frir d’un manque total de repères, situation aggravée qu’elle l’est déjà à des niveaux très élevés), l’organisa-

Martin Barraud/OJO images/Photononstop


par une absencede direction.Leur proportion, relative- tion ne souffre pas seulement du désengagement de ses RÉSUMÉ
ment importante croît fortement au niveau N-4. membres : elle perd sa capacité à former les dirigeants Les dirigeants des
dont elle a besoin pour le contrecarrer l entreprises apparaissent
Des situations peu propices au développement de plus en plus confinés
des compétences managériales (1) « Leaders and Manager : are they different ? », Harvard à des rôles d’exécution,
Préoccupants, ces résultats sont confirmés par les té- Business Review. Cet article a été republié dans la même revue en permettant peu
moignages denombreuxdirigeants,à l’instardeceluidu 1986, 1992 et 2004. l’acquisition et l’exercice
directeur général d’une filiale d’une multinationale à La multiplication des contraintes institutionnelles tend (2) La direction par le sens est un concept différent de ceux de de compétences de
structure matricielle. Au cours d’un entretien, ce der- à réduire les marges de manœuvre des dirigeants. direction par les ordres et direction par la stratégie. leadership et de gestion.

Prisederesponsabilité :
les clefs de la réussite
CHANGEMENT Trop d’analyse peut tuer l’action, l’action trop impulsive peut
conduire à l’échec, voire au drame. Or, dans les périodes de transition,
GILLES AMADO
lors de la prise d’un nouveau poste, certaines tensions se trouvent exacerbées.

P
ar bien des aspects, la transition repré- d’HEC et d’Ashridge. Plus de 40 entretiens ont été été publiées par l’équipe en octobre 2003 sous le titre Gilles Amado
sente l’état normal de la vie, sa forme menés auprès de dirigeants d’entreprises, de fonction- « Leaders in Transition : The Dramas of Ordinary est professeur
permanente, qu’il s’agisse de la vie naires, de responsables des ressources humaines et de Heroes », rapport de recherche conjoint Ash- au département
physiologique et psychologique, de « chasseurs de tête » dans différents pays d’Europe. Ont ridge/HEC. management
celle des organisations et des institu- participé à cette phase préliminaire : Alcatel, Alstom, Avec le soutien d’HEC/CPA, un travail d’ap- des ressources humaines
tions, des sociétés ou de l’écosystème. BP, Spencer Stuart, Egon Zehnder, NELMEHT, Lex, profondissement et de redéfinition des conclusions d’HEC Paris.
La stabilité n’est pas de ce monde, c’est Sauer Danfoss, Volkswagen, Holset, Ricardo, Danfoss, issues de la phase 1 a ensuite été entrepris afin d’appor- Il est l’un des membres
le mouvement qui domine, c’est-à-dire le développe- Amersham Nycomed, BBC, Department of Social ter aux responsables en activité des éléments suscep- fondateurs de
ment, aussi imperceptible soit-il, pour le meilleur... et Security, Sara Lee, Energis, Thomson CSF, Boots, Sihl, tibles d’éclairer leur pratique. Une nouvelle série l’International Society for
pour le pire. Mais il est des périodes où la transition est Scott Bader, Nokia, St Thomas’Hospital, Carnaud Me- d’entretiens a été conduite auprès des responsables des the Psychoanalytic Study
plus marquée. La prise de nouvelles responsabilités fait talbox, Zuricher Kantonalbank, Russell Reynolds, études de cas de la phase 1 pour leur soumettre ce que of Organizations (ISPSO),
partie de celles-là et mérite exploration en raison de sa Aventis, Shell. nous voyions émerger comme des tensions inhérentes du Centre International
complexité, de ses enjeux pour le nouvel « élu » mais Huit études de cas ont été pour la Recherche, la
aussi,bienentendu,pourl’ensembledel’organisation.Si réalisées. Les membres de l’équipe Formation et
les travaux des chercheurs et praticiens autour du de recherche ont accompagné des l’Intervention
leadership sont abondants, surtout dans les pays anglo- directeurs généraux et des respon- Il existe autour du leadership une sorte Psychosociologiques
saxons, traditionnellement plus mobilisés sur ce thème sables − et leurs équipes − nouvel- (CIRFIP), et le
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que la France, relativement peu nombreux sont ceux lement nommés pendant six à de mythologie de l’héroïsme qui semble corédacteur en chef de la
consacrés à cette phase critique qu’est la prise de poste. douze mois. Dans chaque entre- « Nouvelle Revue de
Nous avons nous-mêmes voulu aller voir de près prise étudiée, des entretiens ont été très éloignée de la vérité du quotidien. Psychosociologie ».
ce qui se passe concrètement dans la tête comme dans conduits dans l’entourage du nou- Tout nouveau responsable se débat
l’environnement de ces nouveaux leaders, et cela pour veau leader auprès de différents
plusieurs raisons. En premier lieu, on sait bien que, à acteurs directement concernés par en effet avec plus ou moins de talent,
l’instar des fusions et acquisitions d’entreprises, le pour- la transition : directeurs, encadre- de soutien, de lucidité, d’anxiété,
centage d’échec des nouveaux dirigeants est important ment intermédiaire, collabora-
sans que les raisons invoquées soient toujours satisfai- teurs, responsables des ressources avec son nouvel environnement.
santes. En second lieu, il existe autour du leadership une humaines, dirigeants. La démarche
sorte de mythologie de l’héroïsme qui nous semble très a accordé une large place à l’obser-
éloignéedelavéritéduquotidien.Toutnouveaurespon- vation des responsables en situation de prise de fonc- aux transitions de leadership. Nous leur avons de-
sable se débat en effet avec plus ou moins de talent, de tion dans leur nouvel environnement ainsi qu’au dialo- mandé de réexaminer leur expérience à la lumière de
soutien, de lucidité, d’anxiété, avec son nouvel environ- gue et à la discussion autour des décisions-clefs, ces éléments. Ces entretiens nous ont permis d’affiner
nement, « bricolant » jour après jour son insertion, son stratégies, actions et comportements du nouveau res- notre analyse. Dix dirigeants (secteur privé, adminis-
projet, sa légitimité, son action. ponsable et de son entourage. tration, enseignement, sport) ont par ailleurs été inter-
L’équipe de recherche a ensuite présenté les viewés en Grande-Bretagne et en France pour valider
C’est ce « bricolage » que nous avons étudié dans conclusions issues des études de cas dans le cadre de ces enseignements et réunir de nouveaux témoignages
une recherche de nature compréhensive (1) divers ateliers de travail, réunions et conférences en sur la prise de poste. L’ensemble est rapporté dans
Dans un premier temps, l’étude a regroupé plusieurs vue de valider les grands thèmes identifiés. Les conclu- l’ouvrage « Leaders et transitions », (Gilles Amado et
chercheurs européens, membres et collaborateurs sions des travaux de lapremière phase derecherche ont Richard Elsner, Village Mondial, 2004). xx
6 - Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 L’ART DU MANAGEMENT

Biographie
l Gilles Amado, professeur

de psychosociologie des
organisations au groupe
HEC, a développé depuis
plusieurs années l’approche
« transitionnelle du
changement » avec de
nombreux collègues à
travers le monde.
l « Leaders et transitions »

avec Richard Elsner,


Village Mondial, 2004, suit
d’ailleurs deux ouvrages
consacrés à cette
approche : « The
Transitional Approach to
Change » avec Antony
Ambrose, Karnac Books,
2001 et « The Transitional
Approach in Action » avec
Léopold Vansina, Karnac
Books, 2005.

Goodshoot/Photononstop
Le besoin de reconnaissance des leadersrisque d’être leur pire ennemi : c’estluiqui les empêche parfoisdepercevoir que le posteproposé correspond àune place impossible pourleur équilibre.

xx Pour décrire l’espace-temps sur lequel évoluent ment tout nouveau responsable : que doit-il préserver ? s’entourer des personnes compétentes, susceptibles d’ac-
nos responsables en transition, nous avons choisi de Que doit-il changer ? célérersaconnaissance del’organisation.C’estsacapacité
proposer une série de « tensions », centrales au cours Ledésird’imposersamarque,sonstyle,d’utiliser àaccepterlenon-savoirquiestenjeuicietqui« titille »son
de cette phase. La notion de tension renvoie en effet à son expérience passée se heurte inévitablement à l’exis- narcissisme. Le respect du savoir d’autrui est une marque
une problématique, incontournable sous bien des tence, à l’idiosyncrasie, à l’histoire du système en place, forte d’une attitude coopérative dont les effets peuvent
aspects, qui ne manque pas de se présenter de façon qui contient ses forces et ses faiblesses, largement être importants à moyen et long terme. Mais le personnel
plus ou moins permanente et avec laquelle le respon- inconnues au départ. Le risque d’une affirmation trop en place attend aussi de la valeur ajoutée du nouveau
sable se débat en fonction d’une série de contraintes brutale de certaines options peut conduire à la destruc- venu, du changement face aux scories du passé, du
et d’opportunités. Ce sont les dilemmes de la prise de tion de forces vives (départ de personnes compétentes, professionnalisme, du mieux-être. Trop d’adaptation à
poste. mise en place de procédures et mesures inadéquates), l’existant, trop d’accompagnement de la part des autres
Ces contraintes et opportunités dépendent en tandis qu’une préservation trop passive de l’existant risque d’être perçu comme de la superficialité voire de
grande partie des pressions objectives, d’une analyse peut aller à l’encontre d’un développement souhaitable l’incompétence, alors qu’une trop grande guidance peut
personnelle des situations, d’un style de leadership, et/ou souhaité (des politiques, des personnes). être appréhendée comme la marque d’une certaine
d’une personnalité et d’une histoire personnelle sin- Le nouveau responsable doit tenir compte des arrogance ou d’extranéité (« il n’est pas d’ici », « il ne
gulières, de la nature des interactions passées, pré- objectifs de l’organisation tels qu’ils lui ont été définis, connaît pas la boutique, le secteur,etc. ») ; la dialectique
sentes et prévues avec l’environnement immédiat et maisêtreaussicapabledeles modifierenfonctiondeson prendre-donner est bien au cœur de l’ouvrage et c’est
futur. appréciation personnelle de la situation qu’il rencontre. d’une juste réciprocité qu’il s’agit.
C’est parce que tous ces éléments intervien-
nent de façon plus ou moins consciente que le 2. Les relations avec les autres − supérieurs, 4.
Le style décisionnel :
nouveau responsable « navigue » souvent, en son for subordonnés, collaborateurs : développer imposer <-----> faciliter
intérieur, sinon dans son comportement, sur une sorte des liens <-----> maintenir une distance Tout nouveau responsable, après un diagnostic de la
de continuum entre des pôles, à la façon d’un curseur Il s’agit ici de la « juste » distance aux autres, de la situation, exprime en général ses objectifs, ses orienta-
qui se déplacerait sur un fil, au gré d’un vent partielle- gestion des frontières. Vouloir créer des liens est, tionsetdéfinitleclimatdetravailqu’ilsouhaitemettreen
ment maîtrisé. certes, important, non seulement
En choisissant la notion de « tension » pour pour parvenir à apprécier correc-
rendre compte des processus à l’œuvre dans la prise tement la nouvelle situation, mais
de poste, nous voulons dire que l’hésitation est aussi pour mettre en place, de Le nouveau responsable doit
normale, qu’elle ne doit pas être mise de côté trop façon concertée si possible, de
précocement, au risque de la fuite en avant. Une nouvelles démarches, voire pré- tenir compte des objectifs
certaine « idéologie » du management a en effet server les acquis du passé. En
tendance à survaloriser la prise de décision et à même temps, ces liens peuvent de l’organisation tels qu’ils lui
sous-estimer l’importance du doute, de l’ambiva- conduire sur une fausse route, soit ont été définis mais être aussi
lence, de l’ambiguïté. que leur privilège empêche de
Or, doute et engagement semblent indissolu- contacter des personnes tout capable de les modifier en fonction
blement liés dans toute « bonne » décision prise, dans aussi précieuses, souvent moins de son appréciation personnelle
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toute action bien menée. Ainsi, Aimé Jacquet, le extraverties, et plus compétentes.
coach de l’équipe de France de football de 1998, Le nouveau responsable se de la situation qu’il rencontre.
reconnaissait-il : « Chaque matin, au réveil, je suis trouve ici aux prises avec des
envahi par le doute… », ce qui ne l’a pas empêché de tentatives de séduction, d’in-
mettre en place un dispositif conduisant son équipe à fluence qui peuvent le conduire sur le mauvais che- place. Bien entendu, cela peut entraîner des résistances.
la victoire en Coupe du monde. min. Soumis en grande partie à ces nouveaux alliés, il Si certaines sont fondées, légitimes, d’autres peuvent
Si, bien entendu, trop d’analyse peut tuer risque d’en être le jouet. Conserver son libre-arbitre être le fruit de peurs irrationnelles, non justifiées au
l’action (c’est le versant obsédant, obsessionnel du implique une dépendance raisonnée à ces personnes, regardd’uneanalyse« sereine »delasituation.Toujours
doute), l’action trop impulsive (fruit d’une intolé- aux nouvelles informations. Mais une trop grande est-il que les résistances sont toujours là et que les
rance à la complexité) peut conduire à l’échec, voire distance peut être perçue comme de l’indifférence, responsables ne sont pas à égalité (de lucidité, d’hu-
au drame. Or, dans les périodes de transition, lors de une difficulté à supporter une certaine forme d’inti- meur…) face à elles. Elles touchent leur style de
la prise d’un nouveau poste, certaines tensions se mité et conduire en retour à une méfiance de la part du leadership, mettent en question leur tolérance à l’oppo-
trouvent exacerbées. personnel. Entre le bel indifférent et le complice naïf, sition, leurs capacités de négociation. Certains d’entre
il y a sûrement un juste équilibre à trouver en eux se conçoivent davantage comme « facilitateurs » du
permanence pour mener à bien sa mission. changement, prennent en compte les opinions des
Septtensionscapitales autres, accroissent leur implication dans les plans et les
3. La réciprocité : chercher réorganisations éventuelles. Tenants de la théorie X de
de l’aide <-----> ajouter de la valeur Mc Gregor (l’individu vise le moindre effort, n’est
1. La mission du nouveau responsable : La notion d’aide est cruciale dans les premiers moments. intéressé que par les compensations pécuniaires, …) et
transformer <-----> consolider Le nouveau responsable est amené, s’il n’est pas trop de la théorie Y (l’individu est naturellement motivé,
Cette première tension est celle qui anime prioritaire- mégalomaniaque, à reconnaître son besoin d’aide et à potentiellement créateur, …) s’opposent ici, alors que
L’ART DU MANAGEMENT Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 - 7

c’est la prise en compte des réalités de l’organisation l la confiance aveugle dans le diagnostic donné au Incertitude, surcharge de travail, déstabilisation sem-
et des comportements observables qui semble la plus départ par sa hiérarchie au nouveau responsable. blent le lot commun des nouveaux élus qui se
utile pour guider l’action. Dans les cas extrêmes, c’est Cette dernière « défense » semble constituer trouvent ainsi en difficulté pour solliciter l’engage-
l’opposition entre le dictateur et le « froussard » qui le piège le plus fréquent car il confère une sorte de ment collectif.
prend corps, à tort ou à raison, dans l’esprit des toute puissance due à l’adoubement tout en tradui- D’autant que la consigne suivante leur est
collaborateurs. sant la reconnaissance de dette : ayant été choisi soufflée à demi-mot : « Soyez prêts à faire tomber des
parmi d’autres postulants possibles par ses supé- têtes… y compris la vôtre ». Dans trois des études de
5. Le rythme du changement : rieurs, le nouveau leader leur est redevable en cas que nous avons menées, les responsables ont
prendre son temps <-----> foncer quelquesorte.Touteanalysedifférentedelasituation activement participé au démantèlement de leur
Notre étude montre que le timing du changement risque de susciter des sentiments de culpabilité. propre organisation tout en encourageant leurs colla-
n’est pas appréhendé de la même façon par tous. Or, c’est bien le maintien de son libre arbitre, borateurs à bâtir l’organisation du futur. A la fin de
Certains considèrent que plusieurs actions immé- de sa propre autonomie psychologique (cognitive et l’étude de cas, ou très peu de temps après, leur propre
diates doivent être prises, quoi qu’il arrive, dans les émotionnelle), de cette sécurité « ontologique » dont poste n’existait plus…
100 premiers jours, comme les responsables du Bos- parlait Laing (4), qui permet ce que je nomme « l’em- « Un héros charismatique tu seras ! », leader
ton Consulting Group le préconisent, voire dans les pathie contextuelle », c’est-à-dire la capacité à appré- et non plus « simple » manager, capable d’entraîner
90 premiers, comme le suggère Michael Watkins (2), hender le contexte organisationnel (son histoire, ses tes troupes, quoi qu’il arrive, vers le toujours plus
professeur à Harvard. Ces mesures immédiates enjeux,lessourcesdeson équilibre etdeseséventuels grâce à tes qualités de communicateur.
créent alors ce fameux « choc psychologique », dont déséquilibres…) sans porter de jugement radical, « Rien n’est jamais acquis », leur laisse-t-on
de nombreux entraîneurs d’équipes de sport sont dans une attitude compréhensive, en se laissant entendre. Tous nos responsables étaient conscients
friands quand ils reprennent un groupe en difficulté. précocement imbiber par lui
D’autres, au contraire, prennent leur temps, pèsent comme une éponge.
les choses, réfléchissent, consultent, expérimentent et Mais, on le sait, l’empathie
établissent des étapes plus progressives, comme le a comme corollaire toujours pos- Anticiper, accélérer, produire des
conseille le psychologue Gabarro (3). Dans cette sible la remise en cause de ses
phase de transition, le nouveau responsable ne dis- propres certitudes. D’où la me- résultats immédiats : cette pression
pose jamais de toutes les informations susceptibles nace identitaire de toute ouver-
d’éclairer son analyse commesonprojet. Hyperactifs, ture authentique. Au demeurant, était présente à un degré extrême
hypomaniaques, fonceurs, lièvres d’un côté, pru- le juste dosage entre empathie et dans la plupart des entreprises que
dents, hésitants, conciliants, tortues de l’autre, la engagement est toujours menacé
course n’est gagnée à coup sûr ni pour l’un ni pour par la démagogie d’un côté, la nous avons étudié d’où une priorité
l’autre, mais chacun est ballotté entre ces deux toute puissance de l’autre. accordée à l’action rapide plutôt qu’à
extrêmes, selon son analyse et son tempérament. Cette empathie contex-
tuelle mériterait d’être assortie la réflexion et la consultation.
6. Philosophie et valeurs : d’une compréhension, sinon
faire le ménage <-----> développer d’une connaissance approfondie
Trancher, « tailler dans le vif », « couper court » ou, dutravail lui-même, àtouslesniveaux. Car, comme le que leur carrière dans l’organisation était menacée si
au contraire, faire confiance, développer, redynami- rappelle Henry Mintzberg, les dirigeants qui s’inté- leur hiérarchie jugeait qu’ils avaient échoué dans leur
ser correspondent à des philosophies, des valeurs ressent avant tout au macromanagement sont inca- mission. La culture dominante du monde de l’entre-
différentes plus ou moins solidement ancrées. En pables de développer des stratégies intéressantes ou prise veut que l’on accorde les plus hautes récom-
réalité, ces deux mouvements existent au fond de des approches novatrices car ils n’ont aucune idée de penses (avec les excès que l’on sait) aux responsables
chacun de nous et se trouvent mis en évidence par ce qui se passe sur le terrain (5). qui réussissent et que l’on dispose de ceux qui ont
l’urgence perçue de la situation. Maisonsaitaussi que Autre écueil possible : le besoin de poser sa « échoué » avec une cruauté à peine déguisée. Dès
certainsdirigeantsfontappel à descoupeursdetêtesà marque, de laisser sa trace qui, pour légitime qu’il lors, on comprend que les responsables ayant parti-
certaines périodes du développement de leur organi- puisse paraître, peut conduire à l’effacement du cipé à notre étude se soient montrés particulièrement
sation, avant de les remercier lorsque celle-ci a pris sa passé, du prédécesseur, à l’intolérance au travail de vigilants quant à leur niveau de crédibilité auprès de
vitesse de croisière, sachant pertinemment qu’ils ne deuil des collaborateurs. leur boss.
peuvent gérer la stabilité. Le nouveau responsable
qui souhaite s’investir à long terme dans l’entreprise
n’échappe pas à ce dilemme éthique. Il peut être Figure 1 : les sept tensions capitales
perçu comme courageux ou comme tueur, s’il choisit
la « brutalité », comme timoré ou naïf s’il table sur le
développement de l’existant. L’expérience montre Fortes
qu’il y a des succès et des échecs dans les deux cas de pressions
figure et beaucoup de dégâts humains trop souvent. économiques
Agirviteet de manière décisivepeutéviterde longues et idéologiques
et pénibles guerres de tranchées mais l’impulsivité
incontrôlée existe aussi, avec ses écueils. Consolider
Développer des liens
7. Loyauté
Chercher de l’aide, faire son
Tout responsable est pris entre deux feux, sa hiérar- Transformer
chie d’un côté, ses collègues et subordonnés de apprentissage de l’organisation
Maintenir une distance
l’autre. Où va sa loyauté ? Idéalement envers tous. Faciliter
Pratiquement, il est aux prises avec des pressions Ajouter de la valeur
souvent contradictoires, sommé par les uns de faire Prendre son temps pour préparer
Imposer
passer une politique, par les autres de résister à Développer
l’ingérable. Curieusement, on trouverait autant de Aller vite pour obtenir des résultats
nouveauxresponsables évincésparcequ’ilsont pris le Faire le ménage
parti de leur direction en se coupant de leur base que
parce qu’ils ont trop soutenu celle-ci. C’est que le Servir la hiérarchie
responsable est payépourdiriger,impulsermaisaussi
pour contenir des paradoxes (et non les résoudre),
« fonctionner » comme médiateur entre des intérêts
divergents. Les transitions exacerbent cette comple-
idé
xité et font apparaître le nouveau responsable parfois
comme l’un des boys, en manque d’autorité, ou
comme le seul homme de la direction, insouciant du
bien-être de ses troupes. Enfin, et peut-être avant tout, le besoin de L’ensemble de ces injonctions semble donc
reconnaissance des leaders risque d’être leur pire faire pencher actuellement la balance des inévitables
ennemi : c’estlui quilesempêche parfoisdepercevoir tensions versl’un des pôles,comme l’indique la figure
Psychisme ettransition que le poste proposé correspond à une place impos- (ci-dessus).
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sible, voire dangereuse, pour leur équilibre. Maislesdéterminismesabsolusn’existentpas. RÉSUMÉ


Si tantde prisesdeposteconduisent àdeséchecs, c’est L’histoire n’est pas écrite, la volonté et le courage La prise de nouvelles
sans doute que ces dilemmes sont appréhendés avec contribuent àla créer. Laprise d’unnouveauposte est responsabilités constitue
une vigilance insuffisante mais peut-être aussi parce Les pressions du contexte ainsi l’occasion d’écrire quelques pages originales de toujours une transition
qu’ils mettent en cause des processus psychiques plus sa propre histoire, de celle de son organisation à complexe au cours de
profonds qu’il n’y paraît, donc difficiles à « maîtri- Toutefois, les tensions auxquelles sont soumis les travers les inévitables dilemmes et contraintes que la laquelle une série de
ser ». Essayons d’évoquer les plus manifestes. nouveaux responsables ne sont pas que des produc- vie ne manque pas d’imposer l tensions, de dilemmes
Dans la plupart des cas, le nouvel élu plonge tions intrapsychiques. Elles ont, bien entendu, à voir sont vécus. Cette
dans un environnement organisationnel et humain avec le contexte économique au sein duquel elles (1)Dans notre esprit, le bricolage est loin d’avoir un sens péjoratif. recherche menée
relativement méconnu. D’où un sentiment d’étran- prennent place,maisaussi avec unecertaineidéologie Il renvoie à l’acception que l’anthropologue Lévi-Strauss pendant deux ans auprès
geté, de solitude, des anxiétés plus ou moins persécu- managériale. Ainsi, l’univers concurrentiel et le nou- lui a donné dans son ouvrage « La pensée sauvage », Paris, Plon, de nouveaux élus de
trices parfois, dues à l’effritement des repères. Cette veau pouvoir conféré au « client » par les directions 1962. secteurs très divers
solitude initiale, les affects et représentations qui la d’entreprises servent-elles de leviers à une série (2) M. Watkins, « The First 90 days : critical Success Strategies for permet de mettre en
traversent, peuvent susciter plusieurs types de dé- d’injonctions. « Plus vite ! » est la première d’entre New leader at All Levels », Boston, Harvard Business School évidence sept tensions
fenses : elles. Anticiper, accélérer, produire des résultats Press, 2003. capitales plus ou moins
l la survalorisation de sa propre expérience : l’expé- immédiats : cette pression était présente à un degré (3) J. Gabarro, « When a New Manager Takes Charge », Har- exacerbées par le
rience acquise ailleurs est plaquée sur la situation extrême dans la plupart des entreprises étudiées d’où vard Business Review, 63 (3), 1985, p.110-123. contexte économique et
actuelle, comme si toutes choses étaient égales ; une priorité accordée à l’action rapide plutôt qu’à la (4) R. D. Laing, « The Divided Self », Londres, Tavistock Publi- idéologique actuel ainsi
l le crédit systématique accordé aux rumeurs et les réflexion et la consultation. « Adaptez-vous » en cations, 19. que par les résonnances
effets dangereux de la prophétie auto réalisatrice qui permanence suggère la remise en question possible à (5) H. Mintzberg, « European Business Forum », N° 23, qu’elles ont chez chacun
en résultent ; tout moment des plans et projets, voire des objectifs. 2005/2006. des leaders.
8 - Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 L’ART DU MANAGEMENT

Pour un apprentissage
du leadership
PERSONNALITÉ Le leadership s’apprend et se construit par un travail inscrit dans
une structure bien définie. MBA HEC forme ces « leaders de demain ». Le potentiel de
VALÉRIE GAUTHIER
chacun se dévoile tout au long du programme s’inscrivant dans la durée, sur le long terme.

F
ormer des « leaders de demain » a tou- Valérie Gauthier
jours été la vocation des meilleures est professeur
« business schools » mondiales (1). et directeur délégué
Mais à l’heure où tout le monde parle du MBA HEC Paris.
de leadership, on peut se demander de
quel leadership il s’agit. Certains
confondent leadership et pouvoir.
D’autres assimilent leadership et stratégie. D’autres
encorecentrentl’analysesurlapersonnalitéduleader.Si
toutes ces approches sont utiles, nous pensons que
l’exerciceduleadershipnese réduitniàceluidupouvoir,
ni à une stratégie ou ni à un type de personnalité. Le
leadership est avant tout un acte, comme nous l’expli-
querons en nous appuyant sur la thèse de Cyrille
Sardais (2). Nous montrerons ensuite comment nous
avonstransformé ce principeenpédagogiedans le cadre
du programme MBA HEC.
Nous verrons comment le leadership s’apprend,
seconstruitetsedéveloppeparuntravailinscritdansune
structure bien définie. Nous exposerons comment une
formationMBApeutcréeruncadre facilitantle passage
du management au leadership.

L’acte de leadership comme principe fondateur


Si penser le leadership passe par une démarche analy-
tique et critique essentielle, il convient également d’ob-
serverque « sansacte,leleadershipdemeureenpuissance
− doncn’existepas− » (3).Cettethèsemetenexergueun
lienintéressantentreleadershipetpouvoir,lepouvoirau

Image source/Photononstop
sens défini par Michel Foucault dans ses derniers
ouvrages comme un « mode d’action de certains sur
certains autres » (4). Sardais reprend ainsi l’idée d’un
pouvoir comme « une action sur des actions » qui « struc-
ture le champ d’action éventuel des autres ». Il associe ce
leadership comme « pouvoir en acte » au leadership Pour diriger, il faut être capable d’appréhender et d’affronter la complexité.
transformationnel.
Ainsi, c’est dans l’exercice du pouvoir que naît lien entre des savoirs, des compétences, des idées et à Un MBA aux standards internationaux est une
cetterelationparticulièreàl’autre,etc’estdansl’acteque gérer ces relations afin de jouer un rôle de leader. Nous formation impliquant une interruption de carrière signi-
le leadership existe en créant une relation leader-sui- appellerons ce talent le « savoir-relier » (8). ficative(dixàvingtet unmois)pour desindividusquiont
veur. Par ses actes, le leader est évalué, jugé, apprécié, Le leadership s’inscrit dans le rapport à autrui à déjà une expérience professionnelle de (quatre à cinq
aimé, rejeté et devient souvent, comme le dit Warren travers ce savoir-relier. Le regard de l’autre implique un ans en moyenne). Cette formation se situe à un moment
Bennis, un « écran sur lequel les suiveurs projettent leurs regard sur soi-même. La différence ou la distance entre charnière de la vie et de la carrière des individus
propres fantasmes dans la relation et le pouvoir » (5). deuxindividuspermetde secomprendre : plusl’écartest (vingt-huit, vingt-neuf ans). La pédagogie est adaptée
Etablir, développer, entretenir cette relation se fait dans grand, plus l’effort à fournir pour comprendrel’autre est pour faciliter unapprentissage prochedu terrain,touten
le temps et par étapes. important et plus l’on apprend à se connaître. C’est ainsi permettant une réflexion de fond à partir de données
que l’on construit la confiance en soi qui permettra au théoriquesetuneprisedereculsurlespremierstempsde
Du temps de l’apprentissage leadership, comme processus d’influence, de s’exercer. carrière et de vie.
à l’apprentissage du temps La construction de soi permet au leader de se découvrir L’un des éléments structurant d’un programme
Paraphrasant les sept ages de l’homme définis par et de se savoir capable d’agir comme tel. MBA repose en effet sur les participants eux-mêmes.
Shakespeare dans « As you like it », Warren Bennis Il existe un paradoxe entre cette nécessité du Avec des expériences professionnelles et culturelles très
parle des « Seven ages of the leader » (6). Il évoque les « savoir-relier » et la solitude du leader dans la prise de différentes, ils enrichissent les cours et leurs apports
étapes de la construction du leadership à travers les décision. La relation entre leadership et solitude est théoriques par un vécu partagé lors des travaux de
épreuves nécessaires à l’apprentissage. De l’enfant au complexe : il convient d’être en harmonie avec soi- groupe et par leurs remarques, échanges et questions
vieillard, de l’innocence à la sagesse, chaque moment même pour prendre une décision parce que, même si pendant les cours. A HEC, nous avons pris le parti de
comporte ses caractéristiques propres : trouver un men- elle est le produit d’une réflexion basée sur l’écoute, le proposer à ces individus qui prennent le risque d’inter-
tor, s’entourer d’équipes, en faire des suiveurs, gérer les leader prend seul ses décisions. Les médias parlent rompre leurcarrière la possibilitéde tester leurpotentiel
relations d’autorité, savoir écouter et s’adapter. Ce beaucoup de leader « responsable », de « responsabilité de leadership et de se situer dans leur capacité à prendre
temps de laconstructiondu leaderse retrouve au niveau sociale et sociétale » : en effet, si la décision est la des décisions, à être responsable pour eux-mêmes et
du temps de la décision. responsabilité du seul décideur, elle impacte et engage pour les autres. Si un programme comme le MBA ne
S’il faut en effet prendre le temps d’apprendre à les autres membres de l’organisation ; elle devient peut prétendre « fabriquer » des leaders à partir de rien,
devenir leader, il faut également apprendre à prendre le collective et sociale : « Le leader est celui qui nourrit nous pensonsqu’ildoitcependant jouerunrôleclefdans
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temps : l’acte de leadership, le moment de la décision l’identité collective de son identité personnelle. Cela le développement du potentiel de leadership. C’est sur
peuvent paraître soudains, mais le leader doit être supposedesapartuneélaborationpersonnellecapablede ce principe que le MBA HEC a choisi d’offrir à ses
capabled’écouter,des’adapter,de« donnerdutempsau transformer des talents particuliers en aventure participants un cadre où chacun se construit pas à pas
temps » pour peser le poids de ses propres actes et collective. » (9) dans la relationà soi-même,à l’autre et auxautres parun
décisions avant d’engager le processus de changement, La culture est au centre de ces propos. L’appren- travail individuel, interpersonnel et sociétal.
de renouvellement nécessaire à toute organisation. tissage du rapport à l’autre passe par la compréhension
Le leadership est ce qui va transformer l’organi- et l’acceptation des différences. La construction de soi « Visions of leadership » au MBA HEC :
sation banale en « institution »,c’est-à-direluipermettre doit se faire dans et par ces différences. L’exercice du l’exercice du leadership au quotidien
de devenir un corps social conscient de ses buts et de ses leadershipdansuneorganisationreposesur la capacitéà pendant seize mois
valeurs, capable de s’affirmer face aux autres (7). Le forger une identité fondatrice de valeurs communes, Pour devenir leader il faut développer la connaissance
leadershipest enquelquesortele pouvoir transforméen partagées par les individus qui participent de l’identité de soi et apprendre à penser le leadership, à poser les
action collective. collective. questions qui dérangent, à gérer l’inconnu, les incerti-
tudes, à dépasser ses doutes et ses peurs, mais aussi à
Le leadership se construit pas à pas Le travail de leadership prendre le temps de la décision. Quand le manager gère
dans la relation à l’autre, par un savoir-relier dans les formations MBA l’opérationnel, le leader doit construire, façonner l’ave-
moteur de la construction de soi Nous pensons que le travail sur le leadership induit des nir qui permettra à l’organisation d’avancer.
Pour diriger, il faut également être capable d’appréhen- réflexions/actions au niveau individuel, interpersonnel Lorsque que l’on parle de « Visions of leader-
der et affronter la complexité. Il s’agit alors de dévelop- et collectif. C’est en associant ces trois familles de ship » au MBA HEC, cela s’entend aussi comme
per cette intelligence de la complexité par un comporte- compétences que l’apprentissage pourra avoir lieu. Et « Vision du monde », anticipation des attentes et des
ment d’écoute et d’ouverture : travailler une capacité à nous pensons que le contexte d’un programme MBA à besoins, compréhension de l’environnement socio-éco-
mettre en relation des individus, des cultures, à faire le plein temps est l’espace-temps idéal pour ce travail. nomique et pari sur l’avenir(10).
L’ART DU MANAGEMENT Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 - 9

Quatre temps structurent notre programme de leader- constructif, puis pour travailler son propre regard sur MBA HEC forme ces « leaders de demain ». En créant
ship et rythment cet apprentissage pour permettre soi-même par l’autocritique. La capacité à prendre la le contexte qui permet cet exercice du leadership, le
l’exercice du leadership tout en facilitant une réflexion parole en public, à écouter et à communiquer est potentiel de chacun se dévoile tout au long du pro-
en continu. fondamentale dans l’exercice du leadership. Le travail gramme et bien au-delà, l’impact de la formation
sur la communication est la clef et le moteur du s’inscrivantdansladurée,surlelongterme.Lacapacitéà
Temps 1 : les conférences développement de la confiance en soi. prendre des décisions, à les exécuter en pilotant des
Uncyclede conférences avecdesleaders internationaux projets de groupe, en guidant d’autres individus, mais
de tous horizons permet aux participants d’être exposés Temps 4 : la « semaine du leadership » également à penser le leadership est ainsi testée et
à des exemples pour en analyser les réussites et les et les « récompenses » développée. Le leader se construit pas à pas, par des
échecs. La règle du jeu pour le leader est de « tomber le Une semaine entière est consacrée au leadership, alter- actes de construction de soi dans la relation à l’autre. Ce
masque » pour permettre aux participants de décorti- nant différents modes pédagogiques : cas réels exposés, n’est certes qu’un pas à l’échelle d’une vie. Mais c’est un
quer la réalité derrière la décision. Ainsi se nourrit la analysés et discutés en groupes avec le CEO, gestion de pas important, pour que le pouvoir, lorsqu’il s’exerce,
réflexion par l’exemple, les modèles et l’analyse de la projet, analyse et critique de leaderships politiques, soit un leadership de qualité, au centre duquel l’humain
réalité. Ces séances sont l’occasion d’une réflexion de communication de crise... Le contact, l’échange et la joue le premier rôle l
fond sur l’éthique et la responsabilité dans la prise de critique des échecs et réussites de grands leaders favori-
décision, mais aussi sur l’équilibre personnel et profes- sent la prise de conscience de la réalité du leadership. La (1) Le slogan de Harvard est « Educating leaders who make a
sionnel ou la comparaison entre leadership au sommet semaine s’achève par un travail écrit qui servira de difference in the world », celui de Wharton « Leadership in
par rapport à la position de « middle management ». premierrepère pour lesindividusamenésà « sepenser » action » et, celui de Stanford, « Developing leaders for a changing
en tant que leader, à analyser leur propre perception du global environment ».
Temps 2 : la dynamique de groupe leadership et à se projeter dans leur devenir. Ce premier (2) Cyrille Sardais, « Leadership et création d’institution » thèse
En créant des situations de relations complexes fondées essai, puis unsecond,permettentuntravaildeformalisa- soutenue en 2006 sous la direction de P. Fridenson et B. Rama-
sur la diversité dans des petits groupes de cinq à six tion de la pensée des participants qui gardent ainsi la nantsoa.
individus de nationalités et d’expériences tracede leur cheminement, de ce parcours de leadership (3) Ibid.
différentes (11), le MBA HEC apprend, les huit pre- tout au long du programme. L’évaluation de ces essais (4) Michel Foucault, section 306, « Le sujet et le pouvoir », « in
miers mois à s’ouvrir aux autres et à mieux se connaître est l’un des quatre critères de sélection des meilleurs Dits et Ecrits II », 1976-1988, Paris, Quarto Gallimard.
soi-même :tester son potentiel,sonseuilde tolérance,sa leaders de la promotion qui sont récompensés lors des (5) Warren Bennis « The Seven Ages of the Leaders », Harvard
capacité d’écoute, mais aussi sa capacité à diriger les « leadership awards » (les trois autres critères sont : un Business Review, 2004. RÉSUMÉ
autres, à mener la discussion, à entraîner le groupe vers vote de leurs pairs, les résultats académiques et les actes (6) Ibid. MBA HEC a choisi
une réalisation commune. Le leadership s’exerce égale- de leadership), autre moment fort du programme qui (7) B. Ramanantsoa et R. Reitter, « Pouvoir et Politique », 1985, d’offrir à ses participants
ment dans les groupes formés pour la gestion de projets vient clore le cycle « Visions of leadership » du MBA McGraw-Hill. un cadre où chacun
et l’organisation d’événements. HEC. (8) V. Gauthier, J. P. Larçon, J. Lendrevie, « Le Savoir relier », se construit pas à pas
l’« Ecole des Managers de Demain », 1994, Economica. dans la relation
Temps 3 : la communication (9) B. Ramanantsoa et R. Reitter, op.cit. à soi-même, à l’autre
L’apprentissage du leadership passe également par un Conclusion (10) D.Bernard, professeur affilié à HEC dans la « Tribune » du et aux autres
travail sur la communication. Les situations de commu- 27 avril 2007. par un travail individuel,
nication sont une opportunité pour apprendre à accep- C’est à travers une approche par l’analyse, la critique et (11) 55 nationalités, une expérience professionnelle d’environ six interpersonnel
ter le regard de l’autre sur soi, un regard critique et l’exercice du leadership (ACE) que le programme ans dans des contextes de management international. et sociétal.

Le commandement militaire,
inspiration du management
EXPÉRIENCE Une étude a été menée pour comprendre les parallèles qui existent
NICOLAS BARBIER, BAUDOUIN DE TORCY entre le commandement militaire et le management civil. Il en est apparu, que l’autorité
ET ISABELLE FETET
du leader repose sur quatre piliers : exigence, compétence, exemplarité et amour.

A
pprendre à diriger, voilà notre du leadership et la pertinence de cette comparaison. garder la tête froide dans l’urgence et le stress. Cette Nicolas Barbier
mission à l’Ecole Spéciale Mili- Cela était un moyen efficace de conceptualiser ce que exigence est d’autant plus vraie dans le monde militaire est étudiant à HEC.
taire de Saint-Cyr Coëtquidan. nous avions vécu sur le terrain mais aussi d’en tirer des que le commandant évolue dans un environnement
Durant une semaine, nous avons leçons très concrètes pour notre avenir professionnel. particulièrement dangereux. De plus, nous avons Baudouin de Torcy
été confrontés à un environne- Au terme de cette enquête, il nous est apparu, pour concrètement compris durant notre stage qu’il vaut est étudiant à HEC.
ment encore inconnu pour nous reprendre les termes d’un ancien Chef de l’Etat-major mieux qu’un leader prenne une décision même impar-
et qui devait devenir familier au de l’Armée de Terre, que l’autorité du leader repose sur faite qu’aucune décision. La compétence du leader se Isabelle Fetet
cours des années à venir. Cet environnement nous a été quatre piliers : exigence, compétence, exemplarité et traduit aussi dans sa capacité à communiquer avec tous est étudiante à HEC.
présenté comme celui du commandement et du mana- amour. Tout d’abord, le manager doit être exigeant les échelons hiérarchiques. Cela permet une bonne
gement, en portant l’accent sur le fait que les deux autant envers lui-même qu’envers ses employés. Cela compréhension des directives de la part des subordon-
réalités ne sont pas si éloignées que cela, et que dans afin d’obtenir un résultat toujours meilleur et d’amener nés mais aussi cela favorise la relation de confiance dans
certains cas, elles sont identiques. C’est pour com- ses employés à progresser dans tous les domaines. Cette la hiérarchie. La compétence débouche sur l’exempla-
prendre ce lien que nous avons passé quelques jours sur qualité peut aussi se traduire par le dévouement du chef rité, c’est-à-dire le désir du leader de faire de son mieux
le terrain à expérimenter ces concepts dans un contexte et de ses subordonnés dans leurs actions. dans tous les domaines de la vie professionnelle, mais
où militaires et civils coopérent pour la bonne marche aussi de la vie quotidienne, pour faire naître en ses
d’unemission. Pourcela, nousavonseul’occasion d’être subordonnés la volonté de lui ressembler.
initié à cette coopération à travers une mission de Espritde décision Enfin l’amour ou l’humanité − et les mots sont
sauvetageetunemission de surviesur le terraind’entraî- pesés − désigne le fait de considérer humainement ses
nement des militaires de l’Ecole Spéciale. En parallèle, Ensuite, l’autoritén’existe passanscompétence.Celane employés. Faire preuve d’humanité amène le subor-
des professeurs d’HEC étaient présents tout au long du signifie pas pour autant qu’il doit être spécialiste dans donné à travailler plus volontiers et à s’investir davan-
séminaire afin d’échanger sur notre expérience et dres- touslesdomainescarildoitlaisserlaplaceàsesemployés tage. D’autre part cela rejaillit sur les relations entre les
ser des comparaisons entre la théorie et le caractère là où ils peuvent être meilleurs que lui. En effet, il est employés eux-mêmes. Un général nous a confié que la
pratique de notre mission. Cette innovation de l’école nécessaire de déléguer afin que chaque acteur trouve un qualité la plus appréciée chez le commandant par des
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HEC constitue pour nous une première expérience du espace libre pour mettre sa compétence au service de la subordonnés est l’humilité, c’est-à-dire cette capacité à
managérat autour des notions de leadership et d’esprit compétence collective. Une des qualités essentielles reconnaître ses fautes mais aussi à se considérer comme
d’équipe. C’est à travers cette expérience qu’HEC a dans ce domaine est l’esprit de décision : la capacité à au service deseshommes et de la réalisationde l’objectif
souhaité nous faire découvrir le sens de ces commun. En un mot, l’objectif du leader avec
deux termes et leur importance dans le quoti- ses employés est de parvenir à un tout supé-
dien d’un étudiant en Ecole de Commerce et rieur à la somme des parties.
d’un futur manager. Nous avons eu l’occasion Les exigences du manager sont assez
à tour de rôle de prendre la position de leader similaires à celles du chef, mais la recette du
auseindesdifférentsexercicesquinousontété commandement dans l’armée n’est pas direc-
proposés, et chacun a pu obtenir un retour sur tementapplicabledansl’entreprise,avanttout
ce qui a été décidé et exécuté. Une chose parce que l’environnement est différent. Plus RÉSUMÉ
fondamentale en est ressorti le leader ne peut que de savoir faire respecter ses ordres, le Pour mieux
être un bon leader que s’il est suivi par une manager aura besoin de la capacité de mobili- comprendre le lien
équipe soudée et ceci que ce doit dans un ser l’enthousiasme de ses équipes sur une entre commandement
contexte de management ou de commande- mission par exemple. Il s’agit donc pour le militaire et management,
ment. manager de sélectionner les qualités du chef des élèves d’HEC
Nousavonsalors mené uneétudepour qui lui permettront de faire travailler efficace- ont passé quelques jours
comprendre les parallèles qui existent entre le ment ses équipes. Rigueur dans les valeurs, sur le terrain
commandement militaire et le management justesse de jugement et capacité de dialogue
DR

à Saint-Cyr Coëtquidan
civil. Pour cela nous avons rencontré plusieurs Lesélèves d’HEC,lorsd’une mission de sauvetage et d’une mission de survie sur font partie de ces qualités qui feront de lui un pour expérimenter
généraux et PDG afin de cerner leurs visions le terrain d’entraînement desmilitairesde l’Ecole Spéciale à Saint-CyrCoëtquidan. leader d’envergure l ces concepts.
10 - Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 L’ART DU MANAGEMENT

Equipesdedirection :pourquoi
unteldéficitdecoopération ?
FONCTIONS La qualité de la coordination hiérarchique au sein d’une équipe de direction
est en moyenne de 4,70 sur une échelle de 6. Les collaborateurs déclarent ne définir
MICHEL FIOL ET NICOLAS MANGIN
que rarement leurs objectifs eux-mêmes, avant de les négocier avec leur supérieur.

D
ans son livre « The Human or- Michel Fiol
ganization : its management Figure 1 : les trois formes de management selon Likert est professeur
and value » paru en 1976, le au département
psychologue américain Rensis comptabilité
Likert met en évidence quatre et contrôle de gestion,
types de management : autori- d’HEC Paris.
taire exploiteur, autoritaire pa-
ternaliste, consultatif et participatif. Le troisième Nicolas Mangin
apparaît, dans ses recherches, comme le moins per- est doctorant HEC.
formant bien qu’il soit à l’époque le plus répandu. Le
management participatif est quant à lui celui qui
conduit aux meilleurs résultats. Il repose sur le travail
en équipe, coordonné par un manager, et s’articule
autour derèglesdujeucommunes. Ausein de chaque
équipe, le développement individuel et collectif des Management exploiteur Management consultatif Management participatif
collaborateurs est de la responsabilité du manager. (autoritaire ou paternaliste) 1b (de groupe)
L’orientation s’organise autourd’objectifsglobaux et
personnels, ambitieux et fixés collectivement. Les 1a 1c
idé
membres du groupe coopèrent étroitement. La prise
de décision et le contrôle s’effectuent conjointement.
Enfin, dernier principe, chaque manager occupe une des équipes hétérogènes dans lesquelles les points de méfiance. Néanmoins, lors du déroulement du dispo-
position charnière entre deux niveaux hiérarchiques désaccord ont une plus grande chance de se multi- sitif pédagogique, les principales difficultés se situent
successifs, facilitant ainsi l’articulation verticale des plier ; accroître la fréquence des échanges car le clairement au niveau des relations latérales : c’est là
activités et la coordination globale au sein de l’entre- conflit est récurrent ; encourager la culture de rôles que se situe le nœud de conflits et que s’expriment les
prise. Le management participatif « de groupe », distincts dans laquelle chacun est incité à jouer le rôle antagonismes. Le temps passé en moyenne à renfor-
comme il est parfois qualifié (figure 1c), est fondé sur d’un autre pour mieux comprendre sa position ; cerla cohérence latérale(entrecollègues)esttroisfois
la coordination du manager et la coopération au sein développer des heuristiques pour organiser la supérieur à celui consacré à l’intégration verticale
de l’équipe. Il s’oppose à un management fondé sur la confrontation de points de vue. (avec le supérieur). La liberté de parole, permise par
devise « diviser pour régner » (figure 1a) et à la Cette prédominance du management consul- l’absence du supérieur et canalisée par le facilitateur,
pseudo-participation (figure 1b), qui consiste à réunir tatif s’observe également dans les équipes de direc- contribue à multiplier et densifier les échanges.
régulièrement les collaborateurs pour lesinformer et, tion en France. C’est ce que révèlent les différents L’application de ces démarches de manage-
le cas échéant, les consulter, mais sans jamais réelle- ateliers (1) organisés par HEC Exed dans lesquels ment met en lumière l’absence d’une coopération
ment entrer dans une confrontation de points de vue, environ 300 dirigeants d’entités organisationnelles globaleassurantà lafoisla différenciationetl’intégra-
tant hiérarchique que latérale. viennent présenter chaque année, sur le ton de la tion des responsabilités au sein des équipes de direc-
Qu’en est-il du management participatif au- confidence, dessituationscomplexesdemanagement tion. Elle illustre aussi le déficit de coopération
jourd’hui, trente ans après la recommandation de auxquellesilssont confrontéset danslesquelles ilsont latérale entre les collaborateurs directs du dirigeant.
Likert ? Son application s’est-elle intensifiée ou a-t- une décision à prendre. D’après
elle, au contraire, régressé ? Le modèle de manage- leursrécits, ilssevoientimposerla
ment préconisé par l’auteur s’avère-t-il suffisant à vision, quand il y en a une, et la
l’épreuve desfaitsetdu temps ? L’applicationde trois stratégie, quand elle est commu- Le management participatif, tel que
démarches mises au point à HEC Exed et largement niquée, sans jamais pouvoir don-
expérimentées (voir encadrés) auprès de nombreux ner leur point de vue. Même le propose Likert, manque de stabilité.
dirigeants de tous types d’entités et de plusieurs lorsqu’ils sentent qu’unegrave er-
secteurs d’activité montrent que le système consulta- reur est en train d’être commise, Fondé sur le travail en équipe, il ne
tif reste malgré tout dominant. Ces résultats sont ils doivent appliquer les direc- permet pas aux relations transversales
corroborés par des enquêtes menées en parallèle ces tives. Ils sont forcés de s’aligner
quinze dernières années. En outre, le management alorsqu’ils souhaiteraientunajus- entre collaborateurs de s’épanouir
participatif, tel que le propose Likert, manque de tement mutuel. Ils ne partagent et se consolider face à la prépondérance
stabilité et court en permanence le danger de se jamais en profondeur leurs expé-
déliter. Fondé sur le travail en équipe, il ne permetpas riences avec leurs pairs et éprou- des relations hiérarchiques.
aux relations transversales entre collaborateurs de ventune grande solitude. Lesréu-
s’épanouir et se consolider face à la prépondérance nions de comité sont plutôt rares
des relations hiérarchiques. et, quand elles ont lieu, ils y assistent sans y participer. Ce ressenti est confirmé par les résultats d’enquêtes
Les instruments de gestion multiplient les par questionnaire et d’entretiens individuels, sur le
contraintes, restreignentlechampd’initiative etcana- niveau de cohérence des responsabilités, des déci-
Le management consultatif lisenten conséquence lescomportements. Onest tout sions et des actions au sein des équipes de direction.
à fait dans la pseudo-participation dénoncée par La cohérence verticale, qui exprime la qualité de la
Malgré toutes les mises en garde émises à son Likert. coordination hiérarchique au sein d’une équipe de
encontre par les théoriciens des sciences humaines Par ailleurs, on constate que les dirigeants ou direction, est en moyennede4,70 sur uneéchelle de 6.
depuis de nombreuses années, le management cadres dirigeants responsables d’équipe n’ont pas Ce chiffre est certainement surévalué du fait de
consultatif continue à régner en maître dans les l’habitude de construire avec leurs collaborateurs questions relatives à la cohérence imposée par la
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entreprises. Kathleen Eisenhardt, professeur à l’uni- immédiats unprojet commun (un pourquoi etunvers direction par objectifs et les différents instruments de
versité Stanford, apporte en 1997 un témoignage quoi, puis un comment, et enfin un qui fait quoi, gestion. En effet, les collaborateurs déclarent ne
accablant à ce sujet. Ses recherches sur la prise de définis collectivement)(2). Il est rare que les uns et les définir que rarement leurs objectifseux-mêmes avant
décisionauseindescomitésdedirectiond’entreprises autres soient amenés à exprimer leurs visions et à en de les négocier avec leur supérieur, et estiment ne pas
nord-américaines conduisent aux constats suivants : débattre. Face à la proposition de les accompagner être évalués en fonction de l’atteinte des objectifs qui
le président accapare la parole, la participation des dans ce travail, ils réagissent assez souvent par un leursontimposés. La cohérence latérale, qui évaluela
autresmembres est faible, cesderniersn’affichentpas scepticisme a priori. Néanmoins, les résultats du qualité de la coopération entre les collaborateurs
de positions contraires à celle de leur dirigeant et il y a dispositif d’élaboration d’un projet commun mon- immédiats du responsable de l’équipe, se situe à un
très peu de conflits. End’autrestermes, même au sein trent combien celui-ci comble un déficit de travail en niveau moyen plusfaible 4,12 toujours suruneéchelle
des comités de direction, la participation de groupe équipe, satisfait un besoin oublié de travail collectif et de 6. Il ressort de l’analyse des résultats relatifs à cette
recommandée par Likertseraitunmythe. Eisenhardt aide à redécouvrir le plaisir à bâtir ensemble. composante, quatre constats. Les collaborateurs ont
avance quatre explications de cette absence de Enfin, l’application de la démarche de renfor- peu l’habitude de se coordonner entre eux. Ils n’har-
confrontation de points de vue : le leader réprime le cement de la cohérence verticale et latérale (3) re- monisent pratiquement jamais leurs objectifs avec
conflit, inhibant ainsi l’expression d’opinions diffé- quiert que les membres d’une équipe de direction ceux de leurs collègues. Ils élaborent très peu de
rentes ; la camaraderie entre les membres du comité harmonisent leurs visions, objectifs et plans d’action projets ou de plans d’action en commun. Enfin, ils
conduit à de l’autocensure ; le conflit est perçu entre eux, sans leur supérieur, avant d’entamer une recourent souvent à leur supérieur hiérarchique pour
comme désagréable et donc évité ; tous enfin redou- intégration hiérarchique avec ce dernier. Lorsque les arbitrer leurs différends. Ce faible niveau de cohé-
tentdes débats sans fin. Face à ce constat,elle suggère dirigeants sont informés par un facilitateur de la rence latérale s’explique par le fait qu’aucun équiva-
aux comités de direction, non pas de promouvoir démarche de son intention de travailler avec leurs lent à la démarche qualité, renforçant les relations
l’harmonie, mais de créer du conflit en leur sein en collaborateurs immédiats sans eux-mêmes, ils mani- latéralesauniveauopérationnel, n’a étédéveloppé au
appliquant l’un des quatre dispositifs suivants : avoir festent de la surprise, de l’inquiétude voire de la niveau des équipes de direction.
L’ART DU MANAGEMENT Les Echos - Jeudi 15 mai 2008 - 11

Enfinune dernièreenquête (4) destinée àexplorer la RÉSUMÉ


capacité des collaborateurs à travailler ensemble Figure 2 : sortir du management consultatif sans s’isoler Cet article repose
sans leur supérieur, a mis en évidence plusieurs sur les observations
conditions favorisant la coopération latérale au sein réalisées grâce
des équipes de direction. Trois sont particulièrement Supérieur à trois méthodes
discriminantes : le supérieur évite de diviser pour pédagogiques
régner ; ses actes sont en accord avec ses discours ; il Subordonnés développées à
traite de manière équitable tous ses collaborateurs. HEC Exed : Solfi,
Cinq autres apparaissent également importantes : Equipe de direction Ovar et Expo.
l’organisation de réunion entre collaborateurs en Pour les managers
l’absence de leur supérieur, la résolution de leurs Liens forts interviewés,
conflits sans que ce dernier n’intervienne, l’entraide le management
en cas de difficultés, la réalisation de projets collectifs Liens fragilisés consultatif exige moins
dont ils assument ensemble les conséquences, la de temps qu’un système
responsabilité conjointe d’un ou plusieurs objectifs. (e) Relations latérales participatif.
A l’inverse, deux facteurs n’influent en rien sur la
coopération latérale : le fait de se réunir entre
collaborateurs en dehors du travail et l’évaluation à
partir de critères de performance collective.

Quelques interprétations de ce manque


de coopération latérale
On peut faire l’hypothèse qu’il est difficile pour un
dirigeant de se départir d’un système fondé sur
l’autorité descendante et sur la séparation des fonc-
tions des collaborateurs. Pour les managers intervie- (d) Isolement (c) Relations hiérarchiques (a) Relations d’équipe
wés, le management consultatif exige moins de
temps qu’un système participatif. Il aligne les posi-
tions sans grand effort de conviction et de communi-
cation de sa part. Il confirme l’autorité du supérieur
et maintient les rapports de force. Il laisse le pouvoir
d’arbitrage au dirigeant. Il autorise enfin les compor-
tements inéquitables. A la domination des manage-
ments autoritaires exploiteur et paternaliste, les
dirigeants préfèrent le compromis de façade qu’au-
torise le management consultatif, mais ils résistent à
l’intégration latérale et au management participatif.
La peur de se couper de sa base et de devenir inutile, (b) Divisions
ou de créer les conditions d’une possible rébellion et idé
de perdre du pouvoir peut expliquer l’appréhension
desdirigeantsà laisser leur équipetravaillersanseux.
Mais, selon nos enquêtes, une autre raison, leur supérieur hiérarchique au détriment des autres geant (figure 2d). La coopération latérale doit être
plus surprenante vient s’ajouter aux précédentes : relations professionnelles, ou d’un rejet massif de la encouragée, dynamisée et protégée (figure 2e) pour
paradoxalement, lesmembresd’une équipe de direc- « réunionite » ? Il se pourrait que ce soit tout simple- assurer un management pleinement participatif (fi-
tion sont relativement peu demandeurs d’un renfor- ment parce qu’ils ne savent pas ce que c’est, faute de gure 2a).
cement de la cohésion latérale. Alors qu’ils sont l’avoir jamais pratiquée. Cet article repose sur les observations réali-
82 % à considérer la cohérence verticale comme Les instruments de gestion traditionnels qui sées grâce à trois méthodes pédagogiques dévelop-
importante, ils ne sont que 63 % à adopter la même s’inspirent tous à des degrés divers de la direction par pées à HEC Exed et utilisées régulièrement dans les
position au regard de la cohérencelatérale. Pourquoi objectifs et qui permettent aux dirigeants d’agir par formationsdecadres-dirigeants : Solfi qui estmiseen
ne veulent-ils pas davantage de cohérence latérale ? manettes interposées, sont fondés sur des postulats œuvre depuis dix ans, Ovar, depuis plus de vingt ans,
Est-ce du fait d’une conception individualiste de leur qui ne tiennent plus aujourd’hui. Trois exemples et Expo, née récemment. Ces trois démarches relè-
fonction, d’unefocalisation excessive surla relation à parmi d’autres : la stratégie de l’organisation est vent de la maïeutique. Elles sont pour but d’inciter
claire, connue et acceptée de tous ; face à une même les membres d’une équipe de direction à s’accorder
situation, les membres de l’équipe de direction sur les questions avant d’aborder les réponses. Cha-
partagent les mêmes chaînes de causalité entre cune vise, à sa manière et à partir de questions
Ovar objectifs et moyens ; les faits et les valeurs sont différentes, à ouvrir progressivement, par l’échange
facilement dissociables. Articulés dans le monde avec d’autres personnes, le regard des managers sur
Dans toute équipe chaque membre se représente menta- occidental autour de la prééminence du dirigeant, les les situations qu’ils vivent dans leurs équipes. En
lement sa fonction et celle de ses partenaires de travail. instruments de gestion alimentent le cloisonnement développant une réflexion plus fine sur les questions
Mais il est rare que ces différentes représentations men- entre les collaborateurs et la focalisation de chacun qui se posent à eux et sur la façon dont les personnes
tales émergent et soient partagées. En conséquence, tous d’eux sur sa propre responsabilité. La gestion par autour d’eux abordent ces mêmes questions, les
éprouvent des difficultés à décoder ce qui est attendu projets devrait remédier à ces effets pervers ; mais managers sont moins susceptibles de se mettre en
d’eux : ils n’y parviennent que par tâtonnement, au comme la démarche qualité, elle agit essentiellement danger par les réponses qu’ils y apportent l
hasard d’entretiens et de réunions. Chaque collaborateur au niveau opérationnel.
se représente ainsi la fonction de son supérieur et celle de (1) Ces ateliers s’articulent autour de la démarche Solfi mise au
ses collègues, mais toutes ces représentations ne sont que point de HEC Exed (voir encadré).
très rarement confrontées. Une des raisons de cette faible Troisfacteurs (2) C’est ici la démarche Ovar qui est utilisée dont l’une des
communication est l’absence d’une démarche qui l’orga- finalités est de servir de support pour construire un projet
nise. Ovar répond à ce besoin en organisant le partage des Acause de cestroisfacteurs, lemodèle participatifde commun avec l’ensemble des membres d’une équipe de direction
représentations et leur mise en cohérence. Likert ne parvient pas à se maintenir. En effet, tel (voir encadré).
Ovar répond à deux finalités distinctes et de ce fait revêt qu’il est conçu, ilrepose sur le travaild’équipe (figure (3) La deuxième finalité de la démarche Ovar, sollicitée ici,
deux modalités différentes. La première consiste à ame- 2a) qui combine des relations à la fois hiérarchiques consiste à renforcer la cohérence hiérarchique et transversale au
ner tous les membres d’une équipe de direction (supé- et latérales. Hélas, dans cette configuration managé- sein des équipes (voir encadré).
rieurs et collaborateurs directs) à construire ensemble un riale, la présence activedusupérieurtendà s’imposer (4) Enquête menée auprès des six groupes d’environ 25 cadres
projet commun, sur un horizon de préférence à moyen et à fragiliser les relations entre pairs (figure 2b). La dirigeants appartenant à la même entreprise et dont l’un seulement
terme (par exemple trois ans) et selon une approche relation hiérarchiquene trouve alors plus son contre- montrait que ses membres vivaient des situations de coopération
participative proche de celle recommandée par Likert. Il poids nécessaire dans les relations latérales. Ce latérale satisfaisantes.
s’agit de déterminer ensemble les représentations à processus aboutit à terme à une situation où seules
partager : ce que l’on veut devenir, les moyens d’y les relations hiérarchiques subsistent, établissant un
parvenir et le rôle de chacun dans l’accomplissement de management de fait consultatif. Le travail en équipe
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ce projet. L’objectif est alors de renforcer la cohésion se réduit à de la pseudo-participation (figure 2c).
socio-culturelle fondée sur le projet commun et la cohé- Dans cette situation, Freud met en garde contre le Solfi
rence globale de l’équipe reposant sur la répartition des danger de l’iniquité susceptible de fragiliser les
responsabilités conjointement définie. relations hiérarchiques, jusqu’à aggraver les antago- Confrontés à une situation complexe dans laquelle ils ont
La deuxième finalité est la mise en cohérence verticale et nismes entre pairs et provoquer l’isolement du diri- à décider, les managers réagissent en appliquant certains
latérale de l’équipe, sur un horizon à court terme (1 an). réflexes mentaux qui leur permettent de simplifier une
Elle amène méthodiquement chaque membre d’une situation : inférence du problème à partir des solutions
équipe à définir et à exprimer la représentation de sa connues ; vision étroite des situations faisant perdre en
fonction en devenir et de celle de ses partenaires. Puis, Expo champ de vision ce qui est gagné en focalisation ; postu-
dans l’interaction avec ces derniers, chacun prend lats et chaînes causales inconscientes ; repli sur les certi-
conscience d’éventuelles incompréhensions au sein de La démarche Expo est le pendant de la démarche Solfi en tudes ; etc.
l’équipe. La méthode leur fournit un cadre dans lequel ils ce qu’elle amène les participants à réfléchir non sur une La démarche Solfi regroupe des managers dans des
peuvent harmoniser leurs représentations, préalable né- situation difficile, mais sur des expériences positives. Il ateliers, comprenant quatre personnes accompagnées
cessaire à une coopération et une coordination actives. s’agit d’en dégager et d’en comprendre les ressorts afin d’un facilitateur et dans desquels chaque personne pré-
Point important, cette harmonisation se fait dans un d’en tirer des enseignements et de les présenter devant un sente une situation complexe à laquelle elle est confron-
premier temps en l’absence du supérieur hiérarchique, de panel de professeurs qui les interprètent à la lumière de tée. Les autres membres du groupe et le facilitateur aident
manière à ce que la coopération latérale ne soit pas leur propre grille d’analyse. Cette démarche pallie une alors le manager qui expose sa situation à prendre
perturbée par les arbitrages de ce dernier. Une fois les conséquence fâcheuse du management par exception : la conscience de ses principaux réflexes mentaux, à mieux
différents réglés entre pairs, l’équipe est réunie au com- concentration de l’attention des managers sur les échecs, comprendre la situation et à ouvrir les possibles en
plet, c’est-à-dire avec le supérieur. qui les empêche d’apprendre des succès. suggérant des éclairages jusque-là ignorés.

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