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L’ANNUAIRE

DE LA MEDITERRANEE
2010-2011

Printemps arabe, et après ?


L’Annuaire de la Méditerranée est publié en partenariat avec
la Fondation Friedrich Ebert

© Groupement d’Etudes et de Recherche sur la Méditerranée


Dépôt légal : 2010 MO 3073
ISBN : 978-9954-500-02-6
Pré-presse : Babel com
Impression : El Maârif Al Jadida
GROUPEMENT D’ETUDES ET DE
RECHERCHES SUR LA MEDITERRANEE

L’ANNUAIRE
DE LA MEDITERRANEE
2010-2011

Printemps arabe, et après ?

PUBLICATION DU GERM
Association scientifique reconnue d’utilité publique
B.Q. n° 5560 du 13 septembre 2007 (version arabe)
Correspondance : B.P. 8163, Agence des Nations Unies, Agdal, Rabat
Site web : www.germ.ma
Les organes du germ

Comité exécutif
Habib El Malki (Président)
Driss Khrouz (Secrétaire général)
Hamid Behaj (Trésorier)
Hakima Laala
Najat Benseghir
Loubna Beraich
Anne Balenghien
Houda El Khelloufi
Mohammed Khariss
Abdelouahab Maalmi
Jalil Hajarabi
Miloud Loukili
Aziz Hasbi
Fouad M. Ammor
Kamal Mehadoui
Larbi Harrass

Comité scientifique
Habib El Malki
Driss Khrouz
Ali Amahane
Mohammed Bennani
Yahya Bouabdellaoui
Hakima Laala
Anne Balenghien
Abdelouahab Maalmi
Miloud Loukili
Aziz Hasbi

Comité de rédaction
Abdelouahab Maalmi (Rédacteur en chef)
Driss Khrouz
Fouad M. Ammor
Mohammed Khariss
Najat Benseghir
Mohammed Bennani
Sommaire

Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Axe I. Les nouvelles dynamiques en Méditerranée : le « Printemps


arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Bouleversements politiques arabes : quelle nouvelle géopolitique
en Méditerranée ?
Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Où en est le mouvement d’émancipation en Tunisie ?
Annissa Ben Hassine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
Changements politiques et perspectives institutionnelles en Syrie
Barah Mikaïl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
Onde de choc dans le monde arabe : quelle grille de lecture de
la politique extérieure de la Turquie ?
Didier Billion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Révoltes et réformes dans les pays du sud de la Méditerranée
Driss Khrouz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
L’islam politique au Maroc à la lumière du Printemps arabe :
défis et perspectives
Fouad M. Ammor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Axe II. Fonction consultative et rôle du Conseil économique et


social dans les pays méditerranéens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
CESE et Seconde chambre au Maroc : quelle articulation ?
Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Les nouvelles orientations du CESE français
Christiane Therry . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques :
expérience du Conseil économique social et environnemental de
France
Elisabeth Dahan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
6 Printemps arabe, et après ?

Le rôle des conseils économiques et sociaux dans la promotion


de l’économie sociale de marché, prospère et solidaire
José Albino da Silva Peneda . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

Axe III. Les pays du groupe de Višegrad de l’Europe centrale . . 101


Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !?
Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Le groupe Višegrad : une double intégration raisonnée, quels
enseignements pour l’Afrique du Nord ?
Fouad M. Ammor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

Approches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN avec
les pays du Maghreb
Abdelouhab Maalmi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Etat et perspectives de l’Ordre international
Aziz Hasbi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et défis
Sabra Ammor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Annexes  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
I. Le « Printemps arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
1. Chronologie du « Printemps arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
2. Les réactions au « Printemps arabe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
La réaction de l’UE au « Printemps arabe » : MEMO 11/918,
Bruxelles, 16 décembre 2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
Conférence de presse du président B. Obama, Maison blanche,
15/2/2011 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
Déclaration de Camp David du G8, 18-19 mai 2012 . . . . . . . . . 197
Déclaration de Bagdad appuyant le Printemps arabe . . . . . . . . . . 199
II. Les Conseils économiques et sociaux en Méditerranée . . . . . . . . . . 201

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Présentation

Ce nouveau numéro de l’Annuaire du GERM est un peu particulier. Non


qu’il soit double, couvrant les deux années 2010 et 2011, mais parce que les
années en question ont été riches en événements inédits en Méditerranée.
Il s’agit, bien entendu, et en premier lieu, des bouleversements inattendus,
successifs et rapides qui, à partir de décembre 2010, se mettent à secouer
quasiment l’ensemble du monde arabe, du Maghreb à l’Arabie, à l’instar
des événements de novembre 1989 en Europe de l’Est qui conduisirent à
la chute du mur de Berlin. De là le thème principal de ce numéro, « Les
nouvelles dynamiques en Méditerranée » ou le « Printemps arabe », sur
lequel l’équipe du GERM a voulu, à l’aide de chercheurs marocains et
étrangers, engager une réflexion à la fois analytique et prospective. Il en
ressort que, contrairement aux transitions de 1989 en Europe centrale et
orientale, les événements dits du « Printemps arabe », tout en s’inscrivant
dans une dynamique globalement révolutionnaire ou de changement
profond, non seulement étaient moins pacifiques, mais encore étaient loin
d’apparaître, malgré les espoirs soulevés, comme un processus clair et
prévisible de passage de l’autoritarisme à la démocratie.
Le second événement important, auquel ce numéro fait écho, concerne
le Maroc. Avant l’adoption de la nouvelle Constitution en juillet 2011,
dans le sillage du « Printemps arabe » et du Mouvement du 20 février, le roi
Mohammed VI installe à Casablanca en février 2011, pour la première fois
depuis son institution dans la Constitution de 1992, le Conseil économique
et social, après qu’une loi organique le concernant eut été votée par le
parlement en mars 2010. Avec la révision constitutionnelle de juillet 2011,
ce Conseil voit ses missions s’élargir aux questions de l’environnement et
du développement humain, devenant ainsi le Conseil économique, social et
environnemental. La création et la mise en place tardive de cette nouvelle
institution soulevaient alors de nombreuses interrogations concernant
les enjeux qu’elle impliquait, son rôle et ses rapports avec les autres
8 Printemps arabe, et après ?

organes supérieurs de l’Etat. D’où, pour répondre à ces interrogations


et comprendre cette institution, l’approche comparative adoptée dans ce
numéro en replaçant la problématique du CESE marocain dans le cadre
plus large des institutions similaires existant dans différents pays de la
Méditerranée.
Le troisième grand thème de ce numéro, enfin, porte sur un petit
groupement d’Etats en plein cœur de l’Europe (Pologne, Hongrie,
République tchèque, Slovaquie), appelé Groupe de Višegrad, du nom de
la ville hongroise où en 1335 se réunirent les rois de Pologne, de Bohème
(royaume tchèque) et de Hongrie. La constitution de ce groupe en 1991, ses
performances intégratives indéniables, sa survivance à l’adhésion de ses
membres à l’UE et à l’OTAN et à la crise de la séparation tchéco-slovaque
nous interpellent à plus d’un titre, nous les Maghrébins, vu le sort qui est
celui de l’Union du Maghreb Arabe, créée à peu près à la même époque.
Ce sont les leçons et les enseignements à tirer de cette expérience pour les
pays du Maghreb que se sont attelés à dégager les deux contributions de
A. Maalmi et F. Ammor, dédiées au Groupe de Višegrad.
Outre ces grands thèmes, le présent Annuaire reproduit dans sa
rubrique « Approches » trois études portant chacune sur une problématique
d’actualité. Celle de A. Maalmi s’interroge sur la dimension multilatérale de
la coopération entre les pays du Maghreb et l’OTAN dont le bilatéralisme
demeure le trait dominant. Celle de A. Hasbi examine les perspectives d’un
nouvel ordre international au vu des nouveaux rapports de puissance qui
se dessinent. Celle de S. Ammor, enfin, essaie de montrer les enjeux et les
défis d’une introduction de la « finance islamique » au Maroc.
L’Annuaire s’achève enfin par quelques annexes destinées à compléter,
au plan documentaire et, si nécessaire, au plan bibliographique et
chronologique, les principaux thèmes qui y sont traités, notamment le
« Printemps arabe ».

Abdelouhab Maalmi
Etudes

Axe I
Les nouvelles dynamiques
en Méditerranée :
le « Printemps arabe »
Bouleversements politiques arabes :
quelle nouvelle géopolitique en Méditerranée ?
Abdelouhab Maalmi

A la lumière des événements que nous vivons depuis décembre 2010


sur la rive sud du bassin méditerranéen, avec le soulèvement populaire en
Tunisie et son extension au monde arabe, de l’Atlantique au Golfe arabo-
persique, sommes-nous à la veille d’un bouleversement géopolitique
profond en Méditerranée ?
Par bouleversement géopolitique en Méditerranée nous entendons
de nouvelles relations Nord-Sud qui seraient radicalement différentes
de celles que nous avons connues jusqu’ici, même dans le cadre du
Processus de Barcelone qui, malgré son apport indéniable et sa philosophie
transformatrice profonde, n’a eu, de l’avis de tous les analystes, qu’un
résultat limité.
Pourquoi penser que ces événements survenus au Maghreb et au
Moyen-Orient pourraient changer la donne géopolitique dans cette partie
du monde ? Depuis les années cinquante, le sud de la Méditerranée a connu
bien d’autres moments aussi dramatiques avec des ondes de choc terribles,
de la guerre de Suez aux deux guerres d’Irak en passant par les différentes
guerres israélo-arabes. Mais les événements que vient de vivre le monde
arabe, et que les media ont vite qualifiés de « Printemps arabe », sont à nos
yeux uniques. Seules les luttes de libération nationale qui avaient abouti
aux indépendances des années quarante-soixante dans le monde arabe
peuvent prétendre revêtir un sens historique aussi important que celui
que nous décelons dans les événements actuels. En effet, tandis que les
premières mirent fin à la domination coloniale, les derniers visent à libérer
les peuples arabes de régimes qui les oppriment et ne les représentent
plus.
Aussi la Méditerranée nous semble entrer dans une phase nouvelle où
les régimes qui jusqu’ici faisaient écran entre les peuples du sud et ceux
du nord n’existeraient plus ou devraient changer radicalement. Est-ce le
prélude à de nouveaux rapports entre le Nord et le Sud dans cette région
12 Abdelouhab Maalmi

du monde ? Auquel cas, quelle en serait la nature ? Quel en serait l’enjeu


fondamental ? Répondre à ces questions exigerait, logiquement, que l’on
montre dans un premier temps ce que l’on va appeler la problématique
géopolitique fondamentale en Méditerranée, celle qui a toujours défini
les rapports entre le Nord et le Sud, avant d’examiner, dans un second
temps, les retombées possibles ou probables sur cette problématique des
bouleversements actuels dans le monde arabe.

Problématique géopolitique fondamentale en Méditerranée


Pour mettre en évidence cette problématique, le concept de la
Méditerranée dégagé par Braudel nous paraît incontournable. Pour ce
dernier, en effet, la « Méditerranée » c’est « toute mer fermée au milieu
des terres et caractérisée par une certaine unité fondamentale physique,
culturelle et économique ». Une Méditerranée est ainsi en ensemble
géopolitique par excellence, riche de sens et en valeurs socio-historiques.
Aussi peut-on identifier plusieurs Méditerranées dans le monde et les
comparer (Méditerranées centre-américaine, sud-asiatique, baltique). D’où
la particularité de notre Méditerranée – la Méditerranée euro-arabe ou
l’Euro-Méditerranée – qui se distingue des autres par au moins trois
caractéristiques principales :
1. Elle a été pendant longtemps, et jusqu’à la découverte des Amériques
au 15e siècle, le centre du monde connu, ce qui lui a conféré une certaine
personnalité et fait que des événements lointains influent encore jusqu’à
l’heure actuelle sur son destin.
2. Elle a toujours fait objet de luttes hégémoniques, de l’Antiquité à nos
jours : Rome-Carthage ; Chrétienté-Islam ; Est-Ouest ; Etats-Unis-Europe.
Elle a été unifiée par deux fois dans son histoire. Une première fois et de
façon complète par Rome (2e siècle av. J.C. - 4e siècle ap. J.C.), dont on a
hérité deux notions significatives, sur lesquelles on reviendra : Pax romana
et Mare nostrum. Une seconde fois, mais partiellement, économiquement
et militairement, par l’Islam (entre le 9e et le 10e siècle). Depuis le 16e
siècle, la Méditerranée subit, sans être unifiée, l’hégémonie européenne
puis euro-américaine.
3. Elle est de nos jours traversée par une double fracture séparant le
Nord et le Sud : une fracture héritée du passé, celle opposant Occident et
Orient, Chrétienté et Islam, Occident et Islam ; elle est de nature culturelle
Bouleversements politiques arabes  13

et identitaire. Une fracture moderne, opposant Pays développés et Tiers-


monde, Nord-Sud ; elle est de caractère socio-économique et politique.
Toutes ces caractéristiques déterminent encore les rapports entre
les deux rives depuis les indépendances : des « rapports plus ou moins
contradictoires, tout à la fois complémentaires et antagonistes » selon
l’expression du géo-politologue Yves Lacoste.
Ces rapports ont toutefois connu trois étapes, peut-on dire, depuis la fin
de la Seconde Guerre mondiale :
•  La première étape est celle de la « guerre froide » au sens strict
du terme, c’est-à-dire la période allant, globalement, de 1947 au début
des années soixante-dix, où les tensions ont été intenses entre les deux
supergrands dans les zones sensibles comme l’Europe et l’Asie du sud-est
et orientale. Durant cette période, l’idéologie a exacerbé les antagonismes
(Nord-Sud et aussi Sud-Sud) en Méditerranée (nationalisme, socialisme,
tiers-mondisme contre atlantisme, développementalisme, libéralisme) ; mais
la Méditerranée en tant que telle a été géostratégiquement marginalisée :
vu ses divisions et sa proximité du centre de gravité de la lutte Est-Ouest,
la Méditerranée était bien surveillée ou convoitée mais elle n’était point
pensée en tant que totalité géopolitique, conformément à son concept.
• La seconde étape est celle de la « détente », et du « Processus
d’Helsinki » en Europe (novembre 1972 – août 1975), à la faveur desquels
l’Europe communautaire commence à concevoir un « cadre global de
coopération » avec les pays méditerranéens. Aussi lance-t-elle, à la suite
du premier « choc pétrolier », le « Dialogue euro-arabe » (1973-1977), tout
en initiant parallèlement, et pour la première fois, une « Politique globale
méditerranéenne » (1972-1990). Le monde multipolaire pointe ainsi à
l’horizon, l’Europe occidentale peut désormais prétendre élaborer et mettre
en œuvre des politiques régionales autonomes. Toutefois, l’antagonisme
global Est-Ouest n’en continue pas moins et se fait même intense dans le
tiers-monde en n’épargnant pas la Méditerranée où la présence des flottes
des deux supergrands et les différentes polarisations politico-idéologiques
autour de conflits locaux, tel le conflit israélo-arabe notamment, empêchent
qu’une politique globale et autonome de coopération apporte pleinement
ses fruits.
•  La troisième étape enfin, est celle qui a suivi la fin de la guerre froide,
l’effondrement de l’URSS et la disparition des blocs. Les années quatre-
14 Abdelouhab Maalmi

vingt-dix vont être celles de la montée en puissance de la Méditerranée,


mais dans sa dimension sud à la faveur d’un certain nombre d’événements,
tels que l’invasion du Koweït par l’Irak et la guerre de libération qui a
suivi au nom du nouvel ordre mondial popularisé par les Etats-Unis ; la
première Intifada palestinienne (1987-1993) et l’émergence du Hamas
d’obédience islamiste comme nouvelle force sur la scène palestinienne ;
le développement de l’islamisme politique et du djihadisme au Maghreb
et au Moyen-Orient ; et surtout la guerre civile en Algérie par suite de
l’interruption du processus électoral qui allait consacrer le FIS (Front
islamique du salut) comme principal parti du pays.
Au même moment, en Occident, apparaissent des thèses prétendant
traduire la nouvelle donne géopolitique mondiale telles que « L’empire
et les nouveaux barbares », « La fin de l’histoire » et autres « Choc des
civilisations ».
C’est dans ce contexte nouveau que la Méditerranée va connaître un
regain d’intérêt renouvelé, être pensée en tant que telle et faire l’objet de
nombre d’initiatives venant du Nord, qu’il s’agisse de pays européens
particuliers (Initiative du Groupe 5+5 en Méditerranée occidentale),
de l’Europe communautaire (Processus de Barcelone, PEV, UPM), de
l’OTAN (Dialogue méditerranéen), ou même des Etats-Unis (Eizenstat
Initiative, MEPI, MCA). Ces derniers, n’étant pas un pays méditerranéen
mais une puissance mondiale pour laquelle la Méditerranée n’est qu’un
des chaînons-clés sur l’échiquier géostratégique mondial, n’abordent
cependant cette dernière que différenciée en pays, en groupes de pays ou
en régions (Maghreb) et insérée dans des ensembles géographiques plus
vastes (MENA, GMO).
Toutes ces intiatives et politiques, à les voir de plus près, oscillent en fait
entre, d’une part, le rêve de Mare nostrum, c’est-à-dire une Méditerranée
réconciliée, organisée, intégrée et solidaire (promesse du Processus de
Barcelone) et, d’autre part, les nécessités de la Pax Romana, celles d’un
ordre hégémonique où prime la Realpolitik et prévalent les considérations
de sécurité et de stabilité. Et c’est, à l’évidence, la Pax Romana qui s’est
imposée en définitive, perpétuant ainsi le statu quo au détriment des
changements. C’est dans ce contexte qu’ont éclaté, de façon soudaine et
instantanée, les révoltes populaires arabes récentes provoquant la chute de
régimes apparaissant jusque-là comme solidement établis et inamovibles.
Bouleversements politiques arabes  15

Ces événements bouleverseront-ils la donne géopolitique fondamentale


commandant jusque là les rapports Nord-Sud en Méditerranée ?

Quelles retombées géopolitiques du « Printemps arabe » en


Méditerranée ?
En quelques semaines l’histoire a basculé dans le monde arabe. Il a suffi
d’une petite étincelle, à partir d’un fait divers presque anodin (l’immolation
de Bouazizi) dans une petite ville du centre de la Tunisie (Sidi Bouzid),
pour qu’une protestation locale devenant révolution nationale prenne les
dimensions d’un véritable « Printemps arabe ».
Par leurs caractères et certaines de leurs conséquences, voire de leurs
revendications, les révoltes du « Printemps arabe » rappellent beaucoup les
soulèvements populaires qui éclatèrent en 1989 et aboutirent à la chute du
mur de Berlin et à la fin des régimes communistes en Europe centrale et
orientale. Comme ces derniers, les révoltes arabes ont pris le monde par
surprise, ont revêtu un caractère populaire massif et ont eu un effet de
contagion rapide d’un bout à l’autre du monde arabe. De même, durant ces
révoltes, ont été brandies des revendications similaires telles que la liberté
et la dignité. Enfin, la chute de certains régimes (Tunisie, Egypte) a été
rapide et quasi pacifique. Mais au lieu du mur de Berlin, c’est le « mur de
la peur » que ces révoltes ont fait tomber.
En revanche, à la différence des soulèvements est-européens de 1989
qui furent pacifiques et homogènes quant à leurs conséquences, les révoltes
arabes ont, pour la plupart, du fait de la réaction des régimes en place,
viré à la violence et n’ont pas exprimé partout les mêmes revendications
(changement de régime ou réformes), ni eu les mêmes conséquences
(changement de régime, réformes, enlisements, chaos, outre le fait que bon
nombre de pays arabes n’ont pas été touchés par le phénomène, comme
l’Algérie et les monarchies du Golfe, à l’exception de Bahreïn).
Ces révoltes et leurs caractéristiques demandent bien sûr à être
expliquées, mais ce n’est pas le lieu pour nous ici de le faire. D’autres l’ont
fait déjà et le feront à l’avenir. Par contre, on peut s’interroger ici sur le
sens de ces révoltes par rapport à Histoire, globale ou régionale.
S’agit-il d’une rupture avec ce qu’ont appelé certains analystes
« l’exception arabe », par référence aux « vagues » de démocratisation
16 Abdelouhab Maalmi

qui ont déferlé sur le monde depuis au moins 1989 ? Est-ce donc la
manifestation d’une onde de choc tardive du bouleversement mondial
survenu il y a vingt ans avec les réformes de Gorbatchev, la chute des
régimes communistes est-européens et l’effondrement de l’URSS ?
Sommes-nous en présence de l’ultime étape d’un long mouvement
d’ensemble de libération des peuples arabes qui commença avec les
révoltes contre l’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale,
continua avec les mouvements de libération nationale contre l’impérialisme
colonial après la Seconde Guerre mondiale, pour finir avec les révoltes
d’aujourd’hui contre les régimes dominants vingt ans après la fin de la
guerre froide?
Cette idée de sens du « Printemps arabe », même sans que l’on puisse
pour l’instant y apporter une réponse définitive, nous paraît importante pour
notre problématique dans la mesure où elle détermine à nos yeux l’avenir des
relations Nord-Sud en Méditerranée. Les premières réactions aux révoltes
arabes de l’UE, des Etats-Unis, de l’OTAN et, plus globalement, du G8,
d’abord prudentes, puis plus ouvertement favorables aux revendications
populaires, prouvent que l’on parie sur un certain avenir dans lequel le Sud
et le Nord seraient significativement et résolument rapprochés au plan des
institutions et de certaines valeurs. Au fond, n’était-ce pas cela le pari de
toutes les initiatives de dialogue et de coopération qui ont été entreprises à
l’égard du Sud depuis la fin de la guerre froide ? Autrement dit, prévenir le
choc des civilisations ou des cultures entre les deux rives, voire construire
un espace de valeurs communes ? Mais, au-delà des discours, l’échec a été
patent à cet égard. Les systèmes de gouvernance, les régimes politiques
s’étaient révélés non réformables, sinon en surface. La conditionnalité
politique était demeurée sans effectivité.
Le « Printemps arabe », tel qu’il est perçu dans son élan libérateur,
rend-il maintenant ce pari possible ? C’est du moins ce qui ressort par
exemple des réactions de l’UE, pour nous limiter à celle-ci, au cours des
mois de mars, mai et juillet 2011.
Le 8 mars 2011, en effet, la Commission européenne et la Haute
représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de
sécurité, Mme Ashton, publient une communication conjointe appelant à
« un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud
de la Méditerranée » où l’accent est mis, entre autres, sur la transformation
Bouleversements politiques arabes  17

démocratique et la réforme des institutions (libertés fondamentales,


constitutions, justice, lutte contre la corruption). Le 25 mai, une seconde
Communication conjointe plus développée et adaptée est publiée, mettant
en place « une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation »
où il est question de « démocratie solide et durable » et de conditionnalité
renforcée. Entre-temps, le 11 mars, un conseil européen extraordinaire
adopte une déclaration où il appelle l’UE à tirer les « leçons de ce qui vient
de se passer » et « revoir les missions de l’Union pour la Méditerranée
afin de promouvoir la démocratie et de renforcer la stabilité dans la
région ». Enfin, en juillet, le président de la Commission européenne, José
M.D. Barroso, annonce au Caire le programme SPRING (Support for
Partnership, Reform, and Inclusive Growth), d’un montant de 350 millions
d’euros pour la période 2011-2012, destiné au soutien à la transition
démocratique dans les pays partenaires du Sud.
Or, au seuil de l’année 2012, des inquiétudes, des déceptions et des
doutes commencent à se faire jour. Non seulement à cause de la violence
et des difficultés de la transition dans la plupart des pays du « Printemps
arabe », mais aussi de la tournure islamiste qu’a prise finalement ce
dernier dans sa globalité, que ce soit dans sa phase transitoire (processus
de transition) ou post-transitoire (processus électoraux). Dès lors, et pour
revenir à notre problématique géopolitique, des interrogations peuvent
être soulevées sur le sens du « Printemps arabe » pour la Méditerranée.
Allons-nous vers une Méditerranée Mare nostrum ? Ou revenons-nous à la
Méditerranée de toujours, celle de la Pax romana, mais sur un mode peut-
être encore plus exacerbé ?
Aussi deux scénarios typiques d’avenir s’imposent-ils à nous : un
scénario qu’on pourrait appeler idéal et un scénario contrasté.
Le scénario idéal, c’est celui de la Méditerranée Mare nostrum. Il
suppose que les transitions vers la démocratie soient accomplies, que
la modération l’emporte sur les extrémismes, que les violences et les
désordres soient maîtrisés ou résorbés et que les conflits et divisions Sud-
Sud soient dépassés. Le but ultime étant d’évoluer vers une communauté
méditerranéenne à caractère kantien proche plus ou moins de l’Europe
actuelle. Il va sans dire que dans ce scénario le rôle du Nord est capital,
de même que celui de la Turquie dont l’exemple reste à méditer par les
islamistes du monde arabe, notamment pour ce qui est de la question
cruciale de la conciliation entre islam et modernité.
18 Abdelouhab Maalmi

Le scénario contrasté, c’est celui de la Méditerranée Pax Romana. C’est


le scénario qui a prévalu jusqu’ici. Mais avec les convulsions du « Printemps
arabe », il peut même être un scénario catastrophe si les transitions vers la
démocratie échouent et marquent un retour vers l’autoritarisme ou si le
fondamentalisme (version Frères musulmans, salafisme wahhabite, etc.)
l’emporte sur le modernisme, ou si les sociétés en mutation tombent dans
l’anarchie, le terrorisme et les guerres civiles. Contrasté ou catastrophe,
un tel scénario verrait, d’une part, l’accentuation des divisions sud-sud,
de par les divergences inévitables qui naitraient des évolutions politiques
internes, et, d’autre part, la multiplication des crises Nord-Sud liées aux
questions de l’identité (religion, charia), des libertés fondamentales (liberté
de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression) et des droits
de l’homme (femmes, minorités). Il en résulterait en Méditerranée un ordre
de type hobbesien tendu, instable et incertain où prévalent le bilatéralisme,
la peur de menaces et risques en tous genres (terrorisme, ingérences ou
interventions étrangères), et des « clashes » culturels à répétition (genre
« caricatures du prophète Mohammad », affaires du foulard, de la burqa,
etc.). Les rapports Nord-Sud s’apparenteraient alors ici au type de rapports
qu’ont déjà les Occidentaux avec certains pays du Moyen-Orient ou
d’Afrique comme l’Iran, la Syrie ou le Soudan, ou certains groupes
politiques comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah libanais.

Conclusion
La Méditerranée depuis fin 2010 est à coup sûr à un tournant géopolitique.
La montée au créneau des masses révoltées contre leurs régimes sur la
rive sud, met le Nord, pour la première fois depuis les indépendances,
directement face à des peuples qui veulent reprendre leur destin en main.
Toutefois, l’avenir demeure incertain, qu’il s’agisse de la nature et de
la direction des transitions en cours ou de leur impact sur les rapports entre
les deux rives de la Méditerranée. Entre le rêve de Mare nostrum (version
kantienne) et la réalité présente de la Pax romana (ordre hégémonique),
tous les avenirs sont possibles, du meilleur au pire. Ce que l’on pourrait
raisonnablement espérer cependant, c’est qu’au Sud triompheront le
réalisme ou la sagesse et qu’au Nord on saura faire preuve d’empathie,
ainsi l’on évitera de tomber dans le choc des cultures prédit par Huntington
ou dans l’orgueil arrogant du prétendu triomphe final de l’idéologie
libérale annoncé dans la Fin de l’Histoire de Fukuyama.
Bouleversements politiques arabes  19

Références

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20 Abdelouhab Maalmi

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n° 35, automne 2005, p. 65-83.
Où en est le mouvement d’émancipation vers plus
de justice sociale, de liberté et de dignité initié par
les Tunisiens en 2011 ?
Anissa BEN HASSINE *

Introduction
L’histoire des révolutions nous enseigne que rien n’est plus difficile à
gérer que ces étapes post-révolutionnaires où les peuples, libérés du joug
totalitaire qui les emprisonnait, sont pris dans un tourbillon euphorique de
réclamations tous azimuts, où des opportunistes tentent de profiter du vide
laissé par les anciens maîtres de la nation, où des contre-révolutionnaires
cherchent à semer le chaos, etc. Tous ces phénomènes, et bien d’autres
plus contextuels, ont été vécus en Tunisie, depuis que les Tunisiens ont
chassé le dictateur corrompu qui régnait sans partage sur leur pays depuis
vingt-trois ans.
Nous allons essayer de reprendre le cours des événements qui ont
secoué ce pays, pourtant réputé paisible, qu’est la Tunisie, pour étudier la
genèse de la révolution du 14 janvier 2011, ses principales étapes-clés et
la situation qui prévaut plus d’une année et demi plus tard.

La révolution tunisienne, un événement prévisible ?


Il est facile d’expliquer les crises a posteriori, mais dans le cas de la
Tunisie, cela faisait vraiment longtemps que la situation était explosive.
Quelques chiffres qui datent de 2010 en témoignent : 26 % des jeunes
Tunisiens de moins de 30 ans étaient au chômage, 23 % des jeunes
diplômés l’étaient aussi. 70 000 diplômés sortaient chaque année de
l’Université, mais l’économie tunisienne ne pouvait en absorber que
25 000. Près d’un Tunisien sur neuf vit en état de pauvreté, et près du
quart de la population tunisienne se trouve dans une situation précaire et
vulnérable. Pour compléter le tableau, de grandes disparités régionales
entre des villes côtières ouvertes à l’économie mondiale et des régions
intérieures enclavées et oubliées caractérisent le modèle économique

* Maître de conférence à l’ESSEC de Tunis, Université de Tunis.


22 Anissa Ben Hassine

et social tunisien. A titre d’exemple, le taux de chômage des diplômés


à Gafsa (le plus élevé en Tunisie) s’élève à 47,4 %, soit le double de la
moyenne nationale.
Ceci explique que c’est dans cette région, et plus exactement dans ce
que l’on appelle le bassin minier de Gafsa, qu’éclate, en 2008, une révolte
liée au chômage des jeunes dans cette région pour qui le travail dans les
mines de phosphate constituait l’un des principaux et rares débouchés
professionnels. Plusieurs manifestations, sit-in et grèves ont eu lieu autour
du principal employeur public de la région, la Compagnie Phosphate Gafsa,
la CPG. Elles ont tout de suite été toutes réprimées, plusieurs arrestations
arbitraires de manifestants et de syndicalistes ont été rapportées par des
militants des droits de l’homme. Mais très peu d’informations parvenaient
à filtrer. Les routes menant aux villes rebelles de Redeyf, Metlaoui et Oum
Larayes sont même surveillées par la police, et les entrées sont filtrées. Le
mouvement est finalement maté par une répression démesurée, certains
manifestants ne seront libérés qu’après le 14 janvier 2011.
L’autisme dont a fait preuve le régime de Ben Ali dans le traitement
de cette affaire en répondant à la détresse de milliers de familles par les
arrestations arbitraires et les mauvais traitements a augmenté la colère et
la frustration ressenties par tous les Tunisiens face au manque de libertés
individuelles et publiques mais aussi à la corruption endémique que l’on
retrouve à tous les niveaux de l’Etat et parmi les proches de l’ancien
président.

Un homme s’immole, un pays s’embrase


L’immolation de Bouazizi le 17 décembre 2010 a été le facteur
déclencheur qui a cristallisé toute cette colère et la frustration générale
ressenties dans tout le pays, un pays que l’on peut diviser en deux parties :
une partie qui a faim et qui veut travailler, celle des régions intérieures,
et une partie qui veut être libre de s’exprimer et de participer à la vie
publique, celle des grandes villes côtières et de la capitale. En fait, ce qui
s’est passé dès les premiers jours de la révolte de Sidi Bouzid, c’est que
la deuxième partie de cette Tunisie, riche et cultivée, s’est sentie solidaire
de la première partie de la Tunisie qui a crié son désespoir. Plusieurs
jeunes, qu’on appelle communément les blogueurs, sont partis munis
de leurs téléphones portables filmer les manifestations qui défilaient, la
police qui tirait, les blessés et les morts qui tombaient. Les blogueurs ont
Où en est le mouvement d’émancipation … initié par les Tunisiens en 2011 ? 23

partagé leurs photos et leurs vidéos sur les réseaux sociaux. Entre-temps,
les médias nationaux minimisaient la portée des événements et répétaient
qu’ils sont le fait de bandes de voyous qui veulent nuire à la stabilité du
pays. Mais cela faisait longtemps que la confiance était rompue entre les
Tunisiens et leurs médias. Le journalisme alternatif et citoyen a donc pris
le relais pour dénoncer les exactions, et El Jazzera a fait le reste.
La différence entre la révolte de 2008 dans le bassin minier et celle
de 2011 à Sidi Bouzid a été la plus grande présence, trois ans après, des
TIC dans la population tunisienne : des téléphones plus sophistiqués,
des réseaux sociaux bien diffusés dans la population (deux millions de
comptes facebook pour 11 millions d’habitants), une couverture du réseau
internet sur la grande majorité du territoire tunisien avec une bonne qualité
de débit à un prix relativement modéré.

Le chaos évité, des élections organisées


La fuite du président Ben Ali laisse le pays dans une situation
explosive. Ainsi, trois gouvernements sont nommés en moins de deux
mois, les sit-in se succèdent, les manifestations sont incontrôlables et
l’armée est omniprésente dans les rues des villes. Finalement, la situation
se stabilise, et des élections pour une assemblée nationale constituante ont
lieu le 23 octobre 2011, organisées, pour la première fois, par une instance
indépendante du pouvoir exécutif. 1 000 candidats se sont inscrits sur
1 711 listes pour 217 sièges, dont 50 % sont des femmes mais seulement
5 % parmi elles sont tête de liste. La campagne électorale s’est bien
déroulée à part quelques perturbations, et pourtant les Tunisiens avaient
du mal à y croire, et plus les élections approchaient, plus le sentiment
d’inquiétude que quelque chose allait arriver pour gâcher cette fête
électorale prédominait. Des familles ont même stocké de la nourriture, et
il y eut pénurie de certains produits de grande consommation, dont le lait
et l’eau minérale.
Le résultat des élections a pris de court tous les observateurs même
les plus avertis. Si tout le monde s’accordait à dire que le parti islamiste
Ennahda allait arriver en tête, peu de personnes (même parmi les propres
dirigeants du parti) le créditaient de 37 % des voix, ce qui correspondait
à 41 % des sièges (91 sièges sur 217). L’autre surprise a été l’émergence
d’une troisième force politique complètement inconnue dirigée par un
homme d’affaires tunisien établi à Londres, Hechmi El Hamdi, qui a
24 Anissa Ben Hassine

fait connaître cette liste à travers sa chaîne satellitaire El Moustakila et


qui a fait toute sa campagne dans les zones rurales en promettant des
allocations sociales aux plus démunis. Le Congrès pour la République
(CPR), parti nationaliste arabe de centre gauche, a aussi fait un score
inattendu (deuxième après Ennahda). Ettakatol, un parti laïc socialiste,
arrive quatrième. Du côté des défaites, inattendues elles aussi, le Parti
démocrate progressiste (PDP) fait un score très faible et crée la surprise
lui aussi, de même que le Pôle démocratique moderniste (PDM). L’échec
des personnalités indépendantes est aussi remarquable, des spécialistes
de droit constitutionnel comme Sadok Belaïd ou Jawhar Ben M’barek
ne sont pas élus, alors qu’on voit un chauffeur de voiture collective élu
dans le cadre de la liste El Aridha et beaucoup d’inconnus au détriment de
militants historiques tels que l’avocate et militante Radhia Nasraoui et son
mari Hamma Hammami, qui croupissait dans les geôles du ministère de
l’Intérieur le 14 janvier 2011.
Trois partis s’allient alors pour gouverner, à savoir Ennahda, le CPR
et Ettakatol. Ils se partagent les trois présidences, celle de l’Assemblée
nationale (Ettakatol), de la République (CPR) et du gouvernement
(Ennahda) ainsi que les portefeuilles ministériels dont les principaux sont
accaparés par le parti Ennahda qui non seulement veille à contrôler des
ministères régaliens comme celui de l’Intérieur, la Justice ou les Affaires
étrangères mais s’immisce dans tous les autres en plaçant si ce n’est un
ministre, un secrétaire d’Etat.
La troïka, comme on l’appelle alors, avance à pas incertains. A
l’incompétence de plusieurs de ses ministres, dont plusieurs sont d’anciens
prisonniers politiques, se rajoute une situation sociale instable avec des
syndicats très actifs et un environnement économique mondial en crise. Six
mois après sa formation à la fin du mois de décembre 2011, le gouvernement
peine encore à trouver ses marques, et l’Assemblée constituante, qui doit
préparer une constitution dans un délai n’excédant pas une année, s’enlise
dans des discussions byzantines avec une opposition minoritaire, mais
virulente, et une société civile active.

Une économie en panne et des politiques qui se cherchent


A la fin du mois de mai 2012, l’agence de notation Standard & Poors
dégrade la note de la Tunisie pour les investissements sur le long terme à
BB. La Tunisie devient ainsi une zone spéculative. En 18 mois, le pays a
Où en est le mouvement d’émancipation … initié par les Tunisiens en 2011 ? 25

perdu trois niveaux passant de BBB à BBB- puis BB+ et enfin BB. Fait
assez rare aussi, l’agence S&P commente cette dégradation en disant
que « le gouvernement de transition, en place depuis décembre 2011, ne
semble pas être en mesure de redresser suffisamment l’économie ».
En fait, l’économie tunisienne est la première victime de sa révolution :
à l’attentisme des premiers mois de l’année 2011 a succédé une vague de
fermetures de filiales de multinationales qui délocalisaient leur production
en Tunisie. Les entreprises qui appartenaient au clan de l’ancien président,
confiées à des administrateurs judiciaires, sont en attente d’une solution,
des dizaines d’hommes d’affaires demeurent encore interdits de voyage en
attendant leur jugement, et la consommation locale est en berne, et ce sans
parler de la situation du tourisme qui s’est largement rétracté. Tout ceci a
donné un taux de croissance qui avoisine les -2 % en 2011, alors que le
pays était habitué à des taux de 3 à 5 % durant les dernières années.
Afin de contrer ces mouvements, plusieurs membres du gouvernement
se sont relayés depuis le début du mois de juin 2012 dans les médias pour
affirmer que les indicateurs s’améliorent depuis qu’ils sont au pouvoir.
Problème, chacun d’eux cite des chiffres différents, rien qu’en matière de
croissance. En effet, alors que le Premier ministre parle de +4,8 %, son
conseiller politique avance le chiffre de +2,2 % alors que le ministre de la
Justice parle, lui, de +6,6 %. Il n’en fallait pas moins pour qu’une véritable
polémique s’installe dans le pays sur la récupération politique des chiffres.
Pour l’anecdote, certains disent que l’économie tunisienne se porte mieux
depuis que le nouveau gouvernement a nommé un nouveau PDG à la tête
de l’Institut national de la statistique.
Côté politique, l’Assemblée constituante, toutes composantes politiques
confondues, est l’objet de vives critiques pour sa lenteur et son enlisement
dans des affaires secondaires par rapport à sa mission principale de
rédaction de la Constitution. Les interventions spectaculaires de certains
députés créent le buzz sur le Net. Le dernier scandale est relatif à
l’augmentation des indemnités des députés, discutée à huis-clos, qui
s’élèveraient à 2 100 euros soit plus de 16 fois le SMIG. La troïka qui
gouverne le pays semble pleine de bonne volonté, mais elle avance en ordre
dispersé, les déclarations contradictoires sont légion et certains conseillers
du président de la République sont même ouvertement critiques vis-à-vis
de certains ministres. L’un d’eux, Chawki Abid, le conseiller économique,
va jusqu’à demander publiquement la démission du gouvernement à la fin
26 Anissa Ben Hassine

du mois de mai 2011. Il a d’ailleurs lui-même démissionné quelques jours


après. Tout cela fait désordre. Il faut dire que le manque de compétence
est le grief qui est le plus souvent adressé aussi bien aux membres de
l’Assemblée constituante, dont le plus célèbre est sans nul doute Kassas, le
chauffeur de louage du Sud, qu’à ceux du gouvernement où là l’ancienne
star du football tunisien, Tarak Dhiab, a défrayé la chronique quand il a
été nommé ministre des Sports, lui dont le niveau scolaire ne dépasse
pas les premières années du secondaire. Les autres sont surtout d’anciens
prisonniers politiques islamistes ou qui sont revenus de l’exil après avoir
été des opposants notoires à l’ancien régime de Ben Ali. Il faut aussi dire
que mis à part le parti islamiste Ennahda, qui a gardé son unité et une
certaine discipline dans ses rangs, les deux autres partis qui composent la
troïka, le CPR et Ettakatol, deux partis de la gauche laïque, ont implosé et
on n’y compte plus les défections, venues parfois de militants historiques
qui n’ont pas accepté cette alliance, que certains qualifient de contre-
naturelle, entre deux partis laïcs de gauche et un parti libéral islamiste.
Quant aux partis qui ne sont pas dans le gouvernement et qui se sont
déclarés dans l’opposition à la troïka, ils souffrent d’un émiettement dont
ils essaient de sortir en vain (37 % des électeurs ont voté pour Ennahda
mais pratiquement autant n’ont pas été représentés et ont vu leurs
voix dispersées entre les dizaines de listes qui se sont présentées dans
chaque circonscription). Plusieurs tentatives de fusion, de regroupement,
d’alliance ont bien eu lieu, mais il y a encore trop de dispersions et
de voix discordantes. Des initiatives comme celle de l’ancien Premier
ministre, Béji Caïd Essebdi, peinent à rassembler large, tout comme celle
issue de la fusion entre le PDP, Afek et le Parti républicain ou venant des
démissionnaires des partis de la troïka.

Une société plus que jamais divisée


Ce que le citoyen tunisien lambda retient de cette période chaotique,
c’est surtout que son pouvoir d’achat est en chute libre, avec un taux
d’inflation qui a atteint 5,5 % durant le premier trimestre de 2012 selon
la note de conjoncture de la banque centrale de Tunisie, et que les
produits alimentaires, particulièrement les produits frais, atteignent des
prix historiques, avec la difficulté de contrôler les filières de distribution
(contrôleurs des prix agressés, fuite de marchandises vers la Libye voisine,
etc.).
Où en est le mouvement d’émancipation … initié par les Tunisiens en 2011 ? 27

Quant à la société tunisienne, elle est fragmentée en trois parties.


Tout d’abord, la catégorie la plus démunie, pauvre et oubliée, celle du
bassin minier de Gafsa d’où est partie la révolte de 2008 et des villes du
centre-ouest d’où est partie la révolution de 2011 mais aussi des quartiers
populaires des grandes villes, a voté massivement pour le parti Ennahda
croyant en ses promesses électorales (400 000 emplois en une année, entre
autres) et pensant que des gens religieux ne seraient pas corrompus. Très
impatiente, cette catégorie des plus démunis s’est rapidement insurgée
contre les nouveaux gouvernants réclamant aides, emplois et infrastructures
de base à coups de blocage de routes et d’usines, de sit-in, de grèves de
la faim et même de tentatives d’immolation spectaculaires devant les
gouvernorats et les ministères.
La deuxième catégorie, très insatisfaite elle aussi de la dynamique
actuelle, est l’élite, en grande partie occidentalisée, qui compose le pays.
Autant cette dernière avait adhéré au discours et à la posture de l’ancien
gouvernement de la première phase transitoire, essentiellement composé
de technocrates issus du monde des affaires et de la société civile, autant
elle est en opposition farouche avec l’approche islamiste. Un véritable
dialogue de sourds en l’occurrence. En cause, les références qui ne
sont pas les mêmes : les islamistes parlent à partir du cadre référent de
l’islam et de la charia, alors que l’élite, représentée par tous les partis
qui se disent démocrates progressistes, parle à partir de cadres tels que la
Déclaration universelle des droits de l’homme, les libertés individuelles et
publiques et le « vivre ensemble ». Une radicalisation de ces deux camps
s’est ainsi opérée en faveur du clan islamiste qui a obtenu l’adhésion
des couches populaires de la société en prônant un retour à des valeurs
traditionnelles religieuses et a isolé l’élite qui est apparue en décalage total
avec les revendications de la grande masse (pauvreté, emploi, etc.) en se
concentrant sur la question des libertés individuelles et publiques.
La troisième catégorie, la plus importante, est cette fameuse classe
moyenne qui fait la force de la Tunisie, celle désignée par l’ancien Premier
ministre de Ben Ali, Mohamed Ghanouchi lors de sa démission à la fin
du mois de février 2011 comme la majorité silencieuse, cette masse de
travailleurs, salariés du privé et fonctionnaires, qui manifeste une totale
indifférence par rapport à toutes ses luttes intestines. Une bonne partie ne
s’est même pas inscrite sur les listes électorales, n’est pas allée voter et ne
comprend pas grand-chose aux débats actuels et aux enjeux tactiques et
28 Anissa Ben Hassine

géostratégiques qui secouent le pays. Tout ce que veulent ces Tunisiens-là,


c’est vivre en paix, ils sont même de plus en plus nombreux à dire, de plus
en plus ouvertement, « c’était mieux avant », « rien n’a changé » ou bien
« on en a assez ».
Une bonne partie d’entre eux veut laisser une chance au gouvernement
actuel et ne comprend pas l’insistance de l’élite et des partis d’opposition
à critiquer l’action gouvernementale ainsi que l’impatience des classes
défavorisées. Là-aussi, il y a un clivage entre cette classe moyenne et
la classe pauvre que la première accuse de ne pas vouloir travailler, de
chercher l’assistance, un travail dans le secteur public où elle n’aura pas
à fournir beaucoup d’efforts. La classe moyenne en veut également à son
élite qu’elle accuse d’avoir toujours profité du système et d’avoir gardé le
silence sous le règne de Ben Ali.

Les salafistes s’invitent dans le paysage


Quelle attitude adopter envers ce phénomène qu’on appelle le
« salafisme » récemment apparu avec force dans le paysage social et
politique tunisien ? Les attitudes divergent entre les partisans de la
méthode dure et ceux qui prônent le dialogue, et les débats passionnés à
ce propos sont sans fin.
Entre-temps, de plus en plus de groupes de personnes, reconnaissables
à leur longue barbe, leur kamis (robe) et leurs drapeaux noirs, tentent
d’imposer leur loi, celle de la charia, par la force. Leurs cibles préférées
sont des artistes, des professeurs d’art, des universitaires, des journalistes,
des intellectuels et… les femmes non voilées. Un lieu symbolique où
ils ont campé plus d’un mois a été l’université de la Manouba où ils
ont agressé doyen et enseignants pour imposer par la force l’entrée
d’étudiantes en niqab dans les salles de classe et d’examen. Sans succès.
Ces derniers temps, ils ont déclaré la guerre aux bars et aux hôtels dans
les villes de l’intérieur du pays. Ainsi, Sidi Bouzid, Jendouba et El Kef
ont vu des débits de boissons alcoolisées et des bars incendiés. Leurs
rassemblements sont aussi souvent le théâtre d’appels à la haine, à la
violence et au meurtre, comme cet appel au meurtre scandé contre l’ancien
Premier ministre Béji Caïd Essebsi sur l’avenue Habib Bourguiba même
et ces chants « Obama, Obama, nous sommes tous Oussama » scandés aux
abords de la grande mosquée de Kairouan ou encore ces cris « mort aux
Où en est le mouvement d’émancipation … initié par les Tunisiens en 2011 ? 29

juifs » répétés en chœur dans l’aéroport de Tunis-Carthage à l’accueil d’un


de ces prédicateurs invités par des associations islamistes.
Le Tunisien moyen ne semble pas conscient de la gravité de ces
mouvements parce que ceux-ci demeurent encore périphériques et
sporadiques et ne le touchent pas directement. Par ailleurs, lorsque les
salafistes s’attaquent aux bars, il est difficile pour un Tunisien de défendre
publiquement ceux qui consomment de l’alcool même si lui-même en
consomme. De même, les Tunisiens sont gênés de défendre la liberté
de la presse lorsque le directeur du journal qui a été emprisonné l’a été
parce qu’il a publié la photo d’une femme presque nue, difficile aussi de
défendre un film qui s’appelle Ni dieu ni maître et un autre, Persépolis, qui
représente Dieu, même si c’est en dessins animés.

Comment en est-on arrivés là ?


D’un mouvement d’émancipation vers plus de justice sociale, de
liberté et de dignité, le printemps tunisien serait en train de muer vers une
révolution religieuse et des luttes sur des lignes de fractures étrangères
comme celles entre chiisme et sunnisme.
C’est avec nostalgie que les Tunisiens se rappellent les jours qui ont
suivi le 14 janvier 2011, lorsque le monde entier regardait avec admiration
comment un peuple, muni de sa seule volonté et de son courage, a mis
un terme à l’une des pires dictatures qui existaient encore dans le monde
contemporain. Malgré l’absence d’Etat durant ces jours-là et surtout
l’absence de sécurité, les Tunisiens étaient tous unis pour protéger, ville
par ville, quartier par quartier, leurs biens et leurs enfants. Les images de
ces jeunes veillant à la belle étoile, gourdins à la main, pour empêcher que
les bandes de délinquants, de contre-révolutionnaires et de gardes restés
fidèles à l’ancien régime n’envahissent leurs maisons sont encore dans
tous les esprits comme un moment de communion exceptionnel.
Les citoyens tunisiens ont vécu les premiers mois de l’après
14 janvier 2011 dans une sorte d’euphorie, un état second. D’ailleurs, dès
le mardi 18 janvier 2011, la plupart des travailleurs ont repris le chemin de
leurs usines et de leurs entreprises avec beaucoup d’enthousiasme malgré
la peur et l’incertitude de la situation. Ils avaient envie d’y croire, qu’ils
seraient capables de reconstruire, seuls, leur pays maintenant qu’il était
débarrassé de ses voleurs, de ses corrompus et de son dictateur. Le mur de
30 Anissa Ben Hassine

la peur était brisé. Il y avait un humour décapant sur les réseaux sociaux,
et les médias (re)découvraient la liberté de s’exprimer et de rire de tout
ou presque. Des milliers d’associations ont été créées, dans l’humanitaire,
la citoyenneté, les micro-crédits, le développement régional, etc. Tous les
jours, des conférences, des initiatives, des débats avaient lieu dans les
centres culturels, les hôtels, et pour la première fois la télévision organisait
des débats politiques.
Beaucoup d’ONG, d’entreprises et d’associations allaient dans les
régions pour scruter les besoins, offrir des aides, rebâtir… Il y avait tant
de choses à faire car le miracle tunisien que racontait Ben Ali était juste le
fait d’une classe de favorisés sur les villes côtières … et encore !
Mais la communion a été de courte durée. Très vite, les dissensions ont
pris le dessus, au fur et à mesure qu’approchait la date des élections de la
Constituante, prévue initialement le 24 juillet 2011. Les réseaux sociaux
ont joué là aussi un rôle déterminant. Après avoir été un mouvement
spontané citoyen qui a servi de relais pour informer le peuple sur les
exactions qui avaient lieu dans les villes insurgées de Sidi Bouzid, Tala,
Kasserine, pendant la révolution, facebook, notamment, est devenu le
siège des rumeurs les plus folles sur tout et n’importe quoi.
Des pages entières sur facebook ont été dédiées (on cherche toujours
par qui) à l’organisation d’actions bien orchestrées avec des dénonciations,
des diffamations, des calomnies, des injures, des menaces, des attaques
personnelles contre des personnalités politiques ou civiles qui prônent
la laïcité. Ceux qu’on appelle les « admins » des pages facebook seraient
grassement payés. Des montages photo et vidéo circulaient ainsi que des
photos montrant beaucoup de personnes publiques dans leur intimité, dans
des rencontres privées, etc. Lina Ben M’henni, courageuse bloggeuse,
égérie de la révolution tunisienne mais humiliée sur les réseaux sociaux
suite à sa nomination pour le prix Nobel de la paix en est une illustration.
Et puis il y a eu les élections avec les résultats que l’on connaît…
Mais la relative stabilité que l’on attendait avec l’élection de la
Constituante n’est pas au rendez-vous. Le pays est soulevé continuellement
de manifestations sociales. Comme les partis d’opposition sont trop
faiblement représentés dans les nouvelles instances politiques et sont
dispersés, la première force d’opposition est devenue la société civile. Ce
sont même souvent les acteurs concernés par une cause qui descendent
Où en est le mouvement d’émancipation … initié par les Tunisiens en 2011 ? 31

eux-mêmes dans la rue pour manifester sans attendre d’être encadrés


par des partis politiques ou des organisations et des associations. Seul le
syndicat historique, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT),
auréolé de son rôle d’opposant historique et de son activisme lors de la
révolution, (le 14 janvier était jour de grève générale décrété par l’UGTT
à Tunis) a gardé sa crédibilité.
On voit ainsi les habitants d’une région qui ont des revendications que
ce soit pour l’emploi, l’eau, la destruction de leurs habitats construits sans
autorisation, etc. sortir sur la grande route la plus proche, une autoroute
parfois, pour la couper. Les médias arrivent alors et cela leur permet
de parler de leur problème. D’autres fois, ce sont les fonctionnaires
d’un ministère qui manifestent pour l’augmentation de leurs salaires ou
pour résoudre des problèmes particuliers, les blessés de la révolution,
les salafistes, ceux qui veulent appliquer la charria, etc. Quant à ceux
qui veulent défendre les libertés, ils saisissent des occasions nationales
comme la Journée de la femme le 8 mars quand des centaines de
femmes se rassemblent devant l’Assemblée constituante pour réclamer la
préservation des acquis des femmes tunisiennes. Puis le 20 mars, jour de
commémoration de l’indépendance du pays, est l’occasion de réaffirmer
l’attachement des Tunisiens à leur liberté et leur indépendance.
Mais force est de constater que les manifestations des salafistes
n’étaient ni réprimées ni même condamnées. Le leader islamiste Rached
Ghanouchi déclara même publiquement une fois que « ce sont des jeunes
enthousiastes qui nous rappellent notre jeunesse », alors que celles des
sans-emploi, des blessés de la révolution, etc. sont vivement condamnées,
un des députés d’Ennahda, se référant à un verset du Coran, ayant même
suggéré en pleine assemblée publique de leur couper les pieds et les
mains. Quant à l’élite, lorsqu’elle se mobilise pour les libertés, les droits
des femmes, les libertés académiques, elle est raillée et considérée comme
se préoccupant de causes secondaires et non des vraies préoccupations du
peuple.
De plus en plus de gens parlaient de deux poids deux mesures …
Et puis il y a eu le 9 avril 2012. Cette date a constitué un véritable tournant
dans la phase transitoire que vit la Tunisie. Alors que la bipolarisation était
à son comble, le 27 mars 2012, deux manifestations sont autorisées sur
l’avenue Habib Bourguiba, l’une pour les gens du théâtre à l’occasion de la
32 Anissa Ben Hassine

Journée mondiale du théâtre et l’autre pour les salafistes. Des affrontements


ont lieu à cette occasion, des artistes sont agressés par les salafistes qui
en profitent pour escalader l’horloge qui se trouve sur cette avenue. Du
coup, le ministère de l’Intérieur décide d’interdire toute manifestation sur
l’avenue Habib Bourguiba. Or une marche était prévue le 9 avril, jour de
commémoration des martyrs tunisiens tombés pour l’indépendance du
pays en 1938. Cette journée devait être aussi une occasion pour rendre
hommage aux martyrs de la révolution du 14 janvier 2011 et rappeler
aux politiques en place les objectifs de la révolution. Cette interdiction a
été vécue comme un affront par les manifestants qui voyaient dans cette
avenue le symbole même de la révolution, une avenue qui était interdite
aux manifestations à l’époque de Ben Ali justement et qui a été libérée par
les « dégage » scandés par des milliers de citoyens devant le ministère de
l’Intérieur le 14 janvier 2011.
Et ce fut l’affrontement, ce jour-là. Les manifestants sont descendus
malgré l’interdiction. Ils ont été sauvagement tabassés. Plusieurs
personnalités politiques dont des membres de l’ANC et de la société
civile sont blessées par les matraques et les gaz lacrymogènes. Le plus
surprenant, c’est qu’il y avait des hommes en civil qui aidaient les
policiers. Ils se présentaient comme des sympathisants d’Ennahda. Depuis,
on a commencé à parler de milices.
Le ministère de l’Intérieur a accusé les manifestants d’avoir jeté des
pierres sur la police et s’en tient à cette ligne de défense jusqu’à ce que
des photos et des vidéos montrent la hargne des policiers et de la milice
qui les accompagnait qui frappaient, sans distinction aucune, sur femmes
et enfants. Une commission d’enquête se constitue alors au niveau de
l’ANC… dont on attend toujours les résultats. Mais tout de même, la
fronde des manifestants aura permis de lever l’interdiction de manifester
sur l’avenue Habib Bourguiba.
Le 1er mai 2012 à l’occasion de la fête du travail, des milliers des
manifestants envahissent l’avenue Bourguiba sous la conduite de l’UGTT,
qualifiée de plus grande force du pays, et là les sympathisants d’Ennahda
changent de stratégie et se rallient aux manifestants dans une union
factice.
Mais la confiance est définitivement rompue.
Où en est le mouvement d’émancipation … initié par les Tunisiens en 2011 ? 33

Les associations de défense de droits de l’homme, les partis laïques,


les syndicats, les médias sont plus que jamais en guerre ouverte contre
le gouvernement et particulièrement le parti dominant Ennahda sur fond
d’insécurité entretenue par les violences des salafistes On en est là, on ne
sait pas où on va… mais on y va ensemble !
Changements politiques
et perspectives institutionnelles en Syrie
Barah Mikaïl *

Le dossier syrien n’a pas fini de faire la une de l’actualité. Prévalant


depuis le mois de mars 2011, le mouvement de contestation populaire qui
s’est inscrit dans le droit fil des événements du « Printemps arabe » semblait
parti, croyaient beaucoup d’observateurs, pour tourner la page du régime
de Bachar al-Assad. Or, un an et demi plus tard, force est de constater
qu’il n’en a rien été. Alors que les violences sur le terrain oscillent entre
prévalence d’un reste de contestation pacifique et affrontements violents
entre l’armée syrienne et des opposants armés, des configurations sans
cesse étendues de « guerre civile » aux relents confessionnels ont aussi pris
forme par-ci par-là.
Et pourtant, aucune solution effective ne semble pointer à l’horizon, à
ce stade s’entend. La fin du régime du colonel libyen Mouammar Kadhafi
avait, aide de l’Otan à l’appui, pris sept mois, certes ; mais les risques
y afférents en semblaient relativement contrôlés. Alors qu’en Syrie,
une transition hasardeuse semble pouvoir prendre le risque de plonger
l’ensemble de la sous-région dans un capharnaüm sans fin.
L’impératif est pourtant d’agir, même si nul ne semble savoir comment.
Certes, le régime syrien est loin d’être composé d’enfants de chœur,
comme en témoignent les actions lourdes de l’armée syrienne. Mais dans
le même temps, aussi barbare que puisse être la situation en Syrie, elle ne
peut faire l’économie de deux éléments-clés, entre autres : la cohésion du
pouvoir en place et l’extrême sensibilité des logiques confessionnelles. Le
tout sans oublier que, pour déterminés qu’ils paraissent à vouloir en finir
avec Bachar al-Assad, beaucoup des Etats voisins de la Syrie ne semblent
pas pour autant prêts à prendre le risque d’une transition brutale et non
calculée.

* Directeur de recherche sur l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à la FRIDE (www.fride.org).


Dernier ouvrage paru : Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », éditions du Cygne, 2012.
36 Barah Mikaïl

Un enchaînement d’événements prévisible ?


En février 2011, dans un entretien au Wall Street Journal, le président
syrien affirmait que, contrairement à la Tunisie ou l’Egypte, son pays
était prémuni contre toute forme de révolte. Principale raison selon lui,
l’idéologie, le fait que son pays ne soit pas inféodé aux Etats-Unis. Pour
autant, son diagnostic s’avérera erroné. Dans la ville méridionale de Deraa,
l’arrestation en mars 2011 de jeunes écoliers ayant dessiné par mimétisme
des tags en appelant à la chute du régime donnera lieu à leur arrestation
brutale par les forces de sécurité. La contestation populaire qui s’ensuivra
ne manquera pas de s’étendre progressivement à l’ensemble du pays. La
sévérité de la répression du régime ne fera qu’en ajouter à cette extension
de la vague contestataire. Dans le même temps, il faut aussi convenir de
ce que les logiques en cours en Syrie ne pouvaient supposer l’existence
exclusive d’une contestation pacifique réprimée dans le sang.
Probablement l’histoire nous permettra un jour de retracer le fil
précis des événements ayant permis la naissance de ce que l’on qualifie
aujourd’hui d’« oppositions syriennes », eu égard à leur grande diversité.
Il convient cependant de battre en brèche l’idée selon laquelle le recours
de certains opposants aux armes n’a été privilégié qu’après de longs
mois de combat. S’il faut insister sur le caractère légitime et sincère de
ceux des contestataires syriens appelant à des réformes et un changement
de la gestion politique du pays, il faut aussi voir que les volontés de
réappropriation des logiques des événements syriens à des fins partisanes
et idéologiques ont aussi prévalu très tôt. La manière par laquelle des
éléments islamistes se sont retrouvés mêlés dès le début à diverses
manifestations et actions anti-gouvernementales ne saurait réellement
étonner : outre que les Frères musulmans ont connu un massacre lors
des événements de Hama (1982), leur idéologie reste opposée à la
reconnaissance d’un système réputé être phagocyté par des membres de
la minorité alaouite. Mais d’un point de vue plus large, le rôle de certains
acteurs régionaux ne saurait non plus être passé sous silence. Le Qatar en
particulier, actif et frénétique en termes de soutien aux opérations menées
contre le régime libyen en 2011, a également tôt fait d’exprimer sa volonté
de voir un processus de transition prévaloir en Syrie. Celui-ci ne s’est pas
affiché dès le début des événements, mais la faveur des Qataris à voir
péricliter le régime syrien ne fait aucun doute. Le Conseil national syrien
(CNS), formation la plus audible parmi les structures de représentation des
Changements politiques et perspectives institutionnelles en Syrie 37

opposants syriens et dominée par les Frères musulmans, est née à la fin
du mois d’août 2011 avec la bénédiction (non officiellement révélée) et le
financement du Qatar.
Le régime syrien a évidemment les torts principaux dans l’empoi-
sonnement d’une situation qu’il aurait été mieux inspiré d’aborder avec
plus d’ouverture. Mais l’esprit de réforme et la souplesse n’étant pas le
fort d’un appareil d’Etat que des années d’animosité avec l’Occident et
certains voisins régionaux (dont Israël) ont rendu méfiant et paranoïaque,
les mouvements de contestation qui le toucheront seront vite interprétés
comme étant l’expression d’un complot. Accusations envers l’Arabie
saoudite et le Qatar parfois, Israël et les Etats-Unis aussi, seront le lot d’un
régime soucieux de prouver à sa population, ainsi qu’à un grand nombre
de citoyens arabes, que la Syrie répond nécessairement à un état d’excep-
tion régionale. Mais il faut croire que cet argument n’était pas entièrement
écarté par toute la population syrienne. Certes, images et témoignages
assoient l’idée selon laquelle l‘armée syrienne n’a pas hésité à développer
une politique ultra-répressive à l’encontre des mouvements d’opposition.
La réticence des autorités à permettre l’entrée de journalistes étrangers sur
son territoire demeurait elle-même un signe de ce que celles-ci avaient
forcément quelque chose à cacher. Mais quand bien même certaines villes
et quartiers ont fait parler d’eux du fait de l’ampleur de la violence y ayant
sévi (avec l’exemple notable de Baba Amr à Homs), il ne faut pas oublier
que plus d’un an passera avant que l’on assiste à des violences significati-
ves dans les deux villes les plus importantes de la Syrie : Alep, la capitale
économique, et Damas, la capitale politique. Or, l’on oublie souvent que
ces villes réunissent à elles seules près de la moitié des 23 millions de
Syriens. La violence étatique peut certes avoir un effet dissuasif sur des
contestataires craintifs. Cela étant dit, il est également légitime de penser
que, loin du grossissement parfois provoqué par la lentille des médias, ces
deux villes ont fait le choix d’un quiétisme par leur adhésion à la politique
du régime. Non que celui-ci leur convienne forcément ; mais dans le même
temps, si changement il devait y avoir, quelle était l’alternative clairement
posée à Bachar al-Assad ?

Une alternative manquante


Le régime syrien donnant, vu de l’extérieur, l’image d’un pouvoir
similaire à celui opérant en Corée du Nord, une majorité d’observateurs
38 Barah Mikaïl

auront été prompts à prévoir une nécessaire chute de celui-ci du fait


d’une volonté supposée de la population de passer à un système politique
plus ouvert et respectueux de ses droits. Mais si ces pronostics ont été
vite démentis, cela ne s’attribue pas seulement à la main de fer exercée
par Bachar al-Assad. Avant lui, Ben Ali, Moubarak et Kadhafi avaient
également développé des stratégies de répression vis-à-vis de leurs
citoyens, sans pour autant pouvoir s’éviter une chute.
Dans les faits, il faut ainsi garder à l’esprit que, si populaire soit-il
ou pas, Bachar al-Assad a bénéficié d’un ensemble de facteurs lui ayant
permis d’affermir son assise. De confession alaouite, il relève ainsi d’une
minorité dans un pays dans lequel plus de 70% de la population est
sunnite. Si le facteur confessionnel était si omniprésent dans l’esprit des
Syriens, comme certains se plaisent souvent à le répéter, alors la majorité
de la population syrienne serait effectivement sortie dans la rue pour faire
valoir son opposition au régime.
Or, on peut porter crédit à l’hypothèse voulant que, à ce jour, l’adhésion
d’une partie significative de la population au pouvoir de Bachar al-Assad
est toujours de mise. Il ne faut pas en déduire pour autant qu’il existerait
un amour sans bornes en faveur du chef de l’Etat. Mais la peur du
changement, l’exemple irakien toujours aussi frais dans les esprits, ainsi
qu’une méfiance quasi atavique de tout ce qui touche, de près ou de loin, à
« l’Occident », expliquent pourquoi, tout en se trompant sur son pronostic,
Bachar al-Assad exprimait aussi une réalité en parlant, dans son interview
au Wall Street Journal de février 2011, de l’importance de l’idéologie dans
la structuration des aspirations de la population syrienne. Evidemment, cette
affirmation peut paraître choquante ou erronée pour qui suit les évolutions
syriennes à travers les rapports des médias. Force est de constater pourtant
que, si une majorité de Syriens avait voulu effectivement faire chuter le
régime en place, elle serait beaucoup plus rapidement arrivée à ses fins.
Le soulèvement de la capitale Tunis a provoqué la chute de Ben Ali ;
Moubarak n’aurait pas connu son sort sans la mobilisation du Caire ; quant
à la fin de Kadhafi, elle n’a pu être actée qu’après la prise de Tripoli par
les rebelles. Pourquoi dans ce cas Damas n’a-t-elle pas suivi ? La question
mérite d’être posée, même s’il est plus compliqué d’y répondre.
Ce qui demeure certain, par contre, c’est que la difficulté pour une
opposition syrienne digne de ce nom à émerger et à prouver sa pertinence
et sa cohésion a joué en faveur du régime syrien. Les projets et mouvements
Changements politiques et perspectives institutionnelles en Syrie 39

d’opposition ont été légion, en effet, si nombreux au final qu’ils en sont


venus à affaiblir l’élan potentiel de la contestation anti-Bachar al-Assad. Si
personne ne saurait nier combien le régime syrien a agi de manière à affaiblir
et décontenancer tout projet potentiel interne d’opposition, il ne faut pas
oublier non plus qu’une grande partie des opposants situés à l’extérieur
de la Syrie ont aussi leur part de responsabilité dans cette situation. Ce
reproche pourrait principalement être adressé au Conseil national syrien
(CNS), la structure la plus visible de l’opposition syrienne, mais peu
représentative de la population syrienne aussi. Consacré à l’international,
le CNS n’a ainsi pas moins tenté de fédérer un noyau d’opposition au
régime syrien. Cependant, si ces tentatives ont avorté, c’est aussi parce
que le CNS refusait d’admettre une posture autre que celle d’un acteur
principal de la transition. Si l’on ajoute à cela le grand manque de cohésion
politique aussi bien qu’idéologique prévalant parmi les membres de ce
Conseil, on comprend vite pourquoi la machine oppositionnelle syrienne
s’est enlisée. Le résultat en sera, outre un affaiblissement supplémentaire
des mouvements syriens internes d’opposition (à commencer par les
fameux Comités locaux de coordination), l’émergence d’une opposition
armée incarnée par l’Armée syrienne libre (ASL), formation déconnectée
d’à peu près tous les mouvements syriens d’opposition, contrairement à ce
que l’on pense parfois. Bon nombre d’opposants syriens « de l’intérieur »
demeurent en effet attachés à une stratégie combinant absence de violence
armée et refus de tout scénario d’ingérence militaire étrangère. La tâche
n’en demeure pas moins compliquée, évidemment, les opposants internes
ne pesant pas grand-chose face à la machine de répression syrienne.
Reste posée la question de savoir quelle contribution la « communauté
internationale » pourrait apporter.

Quel rôle pour la « communauté internationale » ?


On ne peut globaliser l’expression « communauté internationale » en ce
sens que le consensus ne prévaut pas en son sein pour ce qui concerne les
modalités d’action vis-à-vis de la Syrie. Le fait que la Chine, la Russie et
bien sûr l’Iran soient en faveur du régime syrien suffit en soi à limiter la
réflexion potentielle sur le rôle soudé que pourrait jouer « la » communauté
internationale.
Cela étant dit, les acteurs omnipotents (et/ou importants voire
déterminants) existent. Figurent parmi eux les Etats-Unis, éventuellement
40 Barah Mikaïl

la Grande-Bretagne, mais aussi la France. Cette dernière ne fait plus


mystère de son soutien à des composantes de l’opposition syrienne,
même si les détails logistiques en la matière peinent à filtrer. On sait que
l’aide de type humanitaire et le soutien en termes de renseignements et
d’informations transmises par satellite sont bel et bien fournis . Mais rien
de plus n’est réellement révélé. La même chose pourrait être dite à propos
d’acteurs intéressés par l’affaiblissement du régime d’ al-Assad, comme
la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, dont les modalités effectives
d’intervention manquent aussi de précision.
Cependant, la question centrale consiste à savoir si une forme
d’intervention similaire à ce qui prévalut en Irak (2003) ou en Libye
(2011) pourrait être tentée dans le cas syrien. Evidemment, n’étaient les
craintes de beaucoup d’Etats occidentaux, ce scénario aurait déjà eu lieu.
Pour autant, à la rhétorique menaçante développée par ces acteurs contre
le régime répond en contrepartie une plus grande timidité quant à la
possibilité de créer les conditions effectives d’une chute d’el-Assad. Les
opposants armés sont en effet limités dans leurs possibilités d’accès à de
l’armement conséquent, cependant qu’aucun Etat ne souhaite réellement
se voir engagé physiquement et directement sur le sol syrien, du moins
dans l’état actuel des choses.
Sur qui compter dans l’hypothèse d’une chute soudaine de Bachar
al-Assad ? Voilà probablement le nœud de la question. La Syrie répond à
des enjeux stratégiques qui dépassent de loin ce que l’on pouvait retrouver
dans les cas de l’Irak et de la Libye. Sa relation avec l’Iran et le Hezbollah
libanais lui procure des atouts certains. Le fait que le pays ait, en dépit de
sa rhétorique, observé un relatif quiétisme face à Israël depuis la guerre
d’octobre 1973 joue tout aussi en sa faveur. Mais plus particulière est la
question confessionnelle et la manière dont elle se décline à l’intérieur du
pays. Avec le pourrissement de la situation syrienne, les affrontements de
type confessionnel se sont faits de plus en plus évidents. Instrumentalisée
par le régime syrien, cette question n’en a pas moins été utilisée aussi par
certains groupes d’opposition. Bien que n’ayant pas encore franchi un stade
structurant sur le plan sociétal, les tensions socio-confessionnelles n’en
font pas moins partie des réalités locales. Les incidents et affrontements
entre membres de communautés différentes ont ainsi été présents depuis
le début des événements ; mais limités dans un premier temps, ils ont
connu un effet crescendo par la suite. Par extension, cela pose forcément
Changements politiques et perspectives institutionnelles en Syrie 41

des questions sur la viabilité et la sécurité d’un après-Bachar, dans un


contexte où le président syrien est, paradoxalement, facteur de chaos et de
stabilité à la fois. Que le régime tombe, en effet, et les aspirations politico-
communautaires des Syriens pourront se traduire, outre les affrontements
et la formation de zones autonomes, par un débordement au-delà des
frontières syriennes. Le Liban a déjà prouvé sa perméabilité aux évolutions
syriennes ; l’Irak voisin a aussi évolué au diapason de celles-ci, comme le
montre l’octroi par certaines tribus irakiennes (sunnites) d’armes à des
forces de l’opposition syrienne ; quant à la Turquie, elle redoute de voir
les Kurdes syriens se renforcer, s’affirmer, joindre leurs efforts à ceux
des kurdes irakiens et inspirer fortement dans le même sens les Kurdes de
Turquie.
Ces craintes paraissent conforter l’idée d’un scénario du pire,
évidemment. Pour autant, si elles n’étaient pas avérées, pourquoi le
monde hésiterait-il à en finir une bonne fois pour toutes avec un régime
qui serait très probablement rapidement remplacé par une alternative
plus « occidentalo-compatible » ? La focalisation sur le risque islamiste
ne suffit en rien à résumer les enjeux de la situation. Bien qu’ils aient
une base populaire, il est douteux que les Frères musulmans puissent
emporter l’adhésion de la majorité de la population au cas où des
élections démocratiques seraient organisées. Les orientations générales
des Syriens tendent plutôt vers des formes (quoique diverses) de laïcisme,
de libéralisme et de progressisme.
Dans les faits, les déchirements d’ores et déjà avérés entre les
forces d’opposition syriennes ne permettent que peu d’optimisme quant
à la possibilité pour eux de prendre en main la transition d’un pays aussi
stratégiquement important que la Syrie. Qui plus est, la forte cohésion de
l’appareil d’Etat syrien en fait une machine dont il n’est pas si facile de se
débarrasser, du moins à ce jour. Les défections qui ont touché les rangs du
gouvernement et de l’armée syrienne, tout comme les assassinats de hauts
officiels, n’ont en rien fait plier le régime. Les opposants armés, à partir du
moment où ils proclament leur contrôle sur des quartiers et des zones, ne
se voient pas moins délogés par la force de frappe de l’armée syrienne. A
cela s’ajoute l’incertitude quant à la possibilité pour des troupes étrangères
« de libération » d’être accueillies favorablement par la population. L’Irak
a donné un exemple significatif des risques courus par des forces perçues
comme des troupes d’occupation.
42 Barah Mikaïl

Dans ce contexte, on croit pouvoir comprendre que des soutiens en


armes fournis à certains opposants cherchent à leur permettre d’affaiblir
le régime syrien, sans que cela implique nécessairement la chute soudaine
ou prochaine de ce dernier. Mais à quelle fin ? A part jouer la montre
et attendre des jours plus favorables à une action, voire que le régime
tombe sous l’effet d’un dépit plus large de la population, on voit mal ce
que sous-tend concrètement cette stratégie. Le véto russe à toute action
significative contre le régime syrien fait partie des raisons du blocage ;
mais concrètement, qui serait réellement prêt à laisser des plumes dans le
pays ? Au mieux, c’est le souhait d’un départ volontaire ou sous pression
de Bachar al-Assad du pouvoir qui paraît entretenu par ses adversaires.
Même les missions diligentées par l’ONU se voient déployées sans grand
espoir, comme si l’on voulait attribuer à la diplomatie le mérite d’exister,
sans nécessairement obtenir des résultats tangibles. Dit autrement, on voit
à travers le dossier syrien que les choses s’enlisent, sans horizon effectif,
sans porte de sortie perceptible. Tout le monde ou presque s’est mis
d’accord sur le nécessaire départ de Bachar al-Assad, mais sans que grand
monde n’y croie sincèrement. Et à moins d’un enchaînement inattendu des
événements, on pourrait se diriger vers une situation qui perdurera d’ici au
début de l’année 2012.

Conclusion
Le régime syrien a montré de fortes capacités de résistance à la vague
du « Printemps arabe ». Partie pour faire tomber la majorité des leaders les
plus autoritaires de la région, celle-ci aura finalement eu des effets parfois
inattendus. Le maintien de Bachar al-Assad et de son régime, en dépit de
l’embargo contre son pays et du grand nombre d’acteurs désirant sa fin,
aura constitué pour beaucoup d’observateurs l’une de ces surprises.
Les opposants politiques à Bachar al-Assad ne paraissent néanmoins
pas encore au bout de leurs peines. Leurs divisions et différends jouent
amplement contre eux, cependant que leurs soutiens étatiques ne paraissent
pas eux-mêmes vouloir dépasser à ce jour le cadre d’une stratégie basée
sur un affaiblissement progressif du pouvoir syrien. Or, plus le temps
passe, plus celui-ci paraît à même de résister.
Faut-il pour autant se résigner et continuer à assister à ce qui se passe
en Syrie ? Evidemment non. Mais quelles options y a-t-il au demeurant ?
Changements politiques et perspectives institutionnelles en Syrie 43

Une intervention militaire, fût-elle occidentale ou non, serait porteuse de


gros risques pour la cohésion du pays et la stabilité de la sous-région. Le
soutien aux opposants armés, quant à lui, outre qu’il a prouvé ses limites,
ne peut non plus faire fi du fait que personne n’est à même de déterminer
quelle adhésion aux principes d’une transition pacifique toutes ces forces
se révéleraient prêtes à faire valoir. Les Etats voisins de la Syrie, en dépit
parfois de certaines apparences, en ont conscience.
On ne saurait ainsi souhaiter mieux qu’une capacité des opposants
syriens, particulièrement ceux de l’intérieur, à se mettre d’accord sur des
principes communs qui leurs permettraient de montrer leur maturité. Aussi
basique que cela puisse paraître, cela n’a pu se matérialiser jusqu’ici. Or,
c’est de cette cohérence et de cette cohésion de l’opposition de l’intérieur
que dépend réellement son aptitude à ramener vers elle les opposants de
l’extérieur et leurs soutiens, à étendre son influence à de larges pans de la
population syrienne et à pouvoir opposer un bras de fer non militaire au
régime. Cela peut paraître peu satisfaisant de prime abord. Mais si d’autres
options viables étaient jouables, elles auraient probablement d’ores et
déjà été pensées et mises en application. Telle est la dure réalité syrienne,
confirmation en soi des sévères lois de la Realpolitik…
Onde de choc dans le monde arabe :
quelle grille de lecture de la politique
extérieure de la Turquie ?
Didier Billion *

Alors que les analyses de la politique extérieure de la Turquie sont


restées durant une longue période circonscrites à des cercles restreints de
chercheurs, elles se sont multipliées depuis quelques années pour verser
dans des raccourcis qui ne sont guère satisfaisants. Une des caractéristiques
qui s’affirme réside dans le fait que les nombreuses analyses produites sont
fréquemment démenties par les faits, notamment celles qui veulent décliner
l’idée d’une hypothétique nouvelle politique extérieure turque. Le propos
de cette contribution est de mettre en perspective cette politique extérieure
pour tenter d’en discerner les éléments véritablement nouveaux et ceux qui,
a contrario, s’inscrivent dans la longue Histoire. Il s’agira ensuite de
tenter de hiérarchiser les éléments les plus déterminants pour en saisir les
contenus.

La répétition conformiste de formules incantatoires


Parmi les thèmes abordés dans les analyses de la politique extérieure de
la Turquie, certains sont récurrents, nous n’en retiendrons que trois.
Le premier d’entre eux est le fameux – fumeux ? – concept de néo-
ottomanisme, abondamment utilisé sans comprendre qu’il soulève un
problème de méthode élémentaire : comment en effet comparer un Empire
qui, au milieu du XVIIe siècle, s’étend des frontières de l’Autriche au golfe
arabo-persique et des rivages de la mer Noire aux confins algéro-marocains,
avec une République qui, à ce jour, n’a pas de velléités expansionnistes ?
Dans le système ottoman, seules les conquêtes constantes apportaient de
nouveaux revenus qui à leur tour finançaient les conquêtes suivantes. Or,
quand le cycle a été rompu, l’absence de nouvelles conquêtes impliqua
l’absence de nouvelles ressources. Comment sérieusement comparer cela
à la situation actuelle…

* Directeur-adjoint, Institut de relations internationales et stratégiques.


46 Didier Billion

En outre, celles et ceux qui utilisent sans guère de discernement


cette expression renvoient, sans le formuler explicitement, à ce qu’ils
considèrent comme le caractère islamiste/islamique du Parti de la justice
et du développement (AKP) et donc à une prétendue islamisation de la
politique extérieure de la Turquie. Bien que cela fasse référence à d’autres
débats, que nous n’avons pas le loisir d’aborder ici (1), il est nécessaire de
souligner l’inanité du concept de politique extérieure islamiste, autant que
celle de politiques extérieures chrétienne, bouddhiste ou animiste… C’est
d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a pas de solidarité musulmane en tant
que telle dans le champ des relations internationales.
Le second s’exprime dans l’affirmation répétée de l’existence d’un
« modèle turc », qui induit à nouveau un problème de méthode. Il faut
tout d’abord manier le concept de modèle dans le champ des relations
internationales avec beaucoup de circonspection, les exemples de l’histoire
récente ayant toujours accouché de catastrophes politiques.
Ensuite, il est utile de souligner que les dirigeants turcs eux-mêmes,
pas plus qu’ils se réfèrent à une politique extérieure néo-ottomane, ne
revendiquent ce terme de modèle. Ainsi le Premier ministre, Recep Tayyip
Erdogan, expliquait-il, dans un entretien accordé à l’Agence France
Presse (2), que la Turquie ne se considérait pas comme un modèle mais
plutôt comme une source d’inspiration, propos repris par le président Gül en
visite au Caire le 3 mars 2011 – premier chef d’Etat à se rendre en Egypte
après la démission d’Hosni Moubarak – dans un débat avec de jeunes
Egyptiens ayant participé au mouvement de révolte. Au-delà de la formule,
il faut s’interroger sur la pertinence du raisonnement. Comment en effet
comparer une Turquie qui, depuis des décennies, construit patiemment,
certes de façon non linéaire, voire même avec des périodes régressives, un
Etat de droit, une démocratie parlementaire et pluraliste, une pratique de
l’alternance, avec des Etats qui, pour leur part, n’ont connu jusqu’alors que
des régimes autoritaires ou dictatoriaux ? Bien sûr cette expérience peut, et
doit, être objet de réflexion et de débat, ce qui est différent. Il est ainsi utile
de rappeler les résultats d’une enquête menée par un think tank turc en août
et septembre 2010, donc avant le début des révoltes dans le monde arabe,
auprès de près de 2 300 individus dans sept pays moyen-orientaux, dont
66 % considéraient que « la Turquie peut être un exemple pour la région »

(1) Voir à ce propos Didier Billion, « Laïcité, islam politique et démocratie conservatrice en
Turquie », Confluences Méditerranée, n° 76, hiver 2010-2011, p. 37-49.
(2) AFP, 24 février 2011.
Quelle grille de lecture de la politique extérieure de la Turquie ? 47

car elle constituait « une synthèse entre islam et démocratie (3) ». Le même
think tank, lors d’une nouvelle enquête réalisée entre octobre et décembre
2011, donc après le début de l’onde de choc qui traverse le monde arabe,
auprès de 2 300 individus dans seize pays du Moyen-Orient et d’Afrique
du Nord, confirmait l’appréciation avec 67 % sur la même question et plus
généralement un taux d’appréciation positive de la Turquie de 78 % (4).
Le troisième thème récurrent s’est incarné à maintes reprises ces
dernières années dans la formule « sommes-nous en train de perdre la
Turquie ? ». Outre que le « nous » est d’une insupportable condescendance
désignant prétentieusement, mais par ellipse, un Occident qui n’ose
pas dire son nom et qui se serait accaparé la Turquie. Outre que les
puissances occidentales ne sont plus en situation d’imposer leur ordre
au reste du monde – nous y reviendrons – les dernières évolutions de
la politique extérieure d’Ankara montrent à l’envi que ce pronostic est
radicalement erroné. De plus, les relations internationales ne sont pas un
jeu à somme nulle, et ce n’est pas parce que la Turquie affirme sa présence
et son influence dans son environnement géopolitique qu’elle abandonne
pour autant les alliances qu’elle a contractées au cours des décennies
précédentes, notamment avec les Etats-Unis.
Le point commun entre ces affirmations et interrogations est qu’elles
sont la plupart du temps formulées dans la fièvre de l’écume des
événements et sont l’expression d’un défaut de mise en perspective de
la politique extérieure turque. Pourtant celle-ci est nécessaire si l’on
veut s’interroger sur la pertinence du concept de « nouveauté » dans
la diplomatie ankariote. D’autant que les tentatives de réponse à cette
question ne sont pas univoques et qu’il est possible, et nécessaire, d’y
répondre à la fois affirmativement et négativement.

D’incontestables éléments de « nouveauté » dans la politique


extérieure de la Turquie
Affirmativement d’abord, par une conjonction de raisons complémen-
taires qui permet de saisir que de multiples nouveautés se conjuguent
en effet dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique extérieure
d’Ankara.

(3) M. Akgün, S. Senyücel Gündogar, J. Levack, G. Percinoglu, The perception of Turkey in the
Middle East 2010, TESEV Publications, Istanbul, 2011.
(4) M. Akgün, S. Senyücel Gündogar, The perception of Turkey in the Middle East 2011, TESEV
Publications, Istanbul, 2012.
48 Didier Billion

Tout d’abord, force est de constater que, depuis une vingtaine d’années,
la Turquie a connu de considérables évolutions aux niveaux politique,
économique, social, sociétal et culturel et qu’elle n’est donc plus la même.
Dans ce processus de transformation radicale, il serait pour le moins
paradoxal que sa politique extérieure ne se modifie pas.
Ensuite, deuxième paramètre, constatons que, dans la même période, la
configuration du monde s’est elle-même considérablement modifiée et que
les rapports de force ont radicalement évolué. Bien qu’il soit très rare que
la politique extérieure des Etats change brutalement, il n’en demeure pas
moins que les adaptations et les inflexions sont nécessaires pour ceux qui
veulent agir efficacement sur une scène politique internationale en pleine
transition.
Troisième facteur, la Turquie est désormais consciente de son potentiel,
ce qui constitue une indéniable nouveauté pour un Etat qui, pendant
longtemps, a hésité à s’affirmer sur la scène internationale et régionale.
Ankara s’est en effet longtemps contenté de fidèlement remplir sa fonction
dans un système d’alliances occidental et a préféré se concentrer sur
son propre développement en vertu d’une prudence exacerbée érigée en
principe. Cette remarquable évolution de sa propre perception explique la
multiplication de ses initiatives politico-diplomatiques au cours des années
récentes.
A ce propos, nous pouvons remarquer que ce sont les initiatives en
direction du Moyen-Orient qui sont le plus fréquemment évoquées. C’est
évidemment essentiel, mais en même temps fort restrictif. Les Balkans, la
Russie, le Caucase, l’Asie centrale, le rôle croissant de hub énergétique,
l’Afrique sub-saharienne, plus lointainement l’Amérique du Sud et l’Asie
sont aussi l’objet d’un intérêt croissant de la part d’Ankara. En ce sens le
terme de « diplomatie à 360 degrés » nous paraît totalement justifié, ce qui
constitue un véritable élément novateur.
Nouveauté aussi parce que la formule forgée par Ahmet Davutoglu de
« zéro problème avec ses voisins (5) », même si elle a conjoncturellement
de fortes difficultés à être mise en œuvre – mais elle a toujours été
présentée comme un objectif à atteindre dans un environnement compliqué
et non comme une réalité déjà atteinte –, ce n’est pas la même chose que

(5) A. Davutoglu, « Turkey’s Zero-Problems Foreign Policy », Foreign Policy, 20 mai 2010.
Quelle grille de lecture de la politique extérieure de la Turquie ? 49

« le Turc n’a pas d’autre ami que le Turc » qui a longtemps été un des
adages de la politique extérieure turque. Qui ne comprend le changement
de paradigme fondamental que cela exprime ?
C’est en fonction de ces évolutions qu’il faut saisir le rôle nouveau de
médiateur dont la Turquie cherche à se doter dans de nombreuses crises
ou dossiers régionaux délicats. On se souvient ainsi de la facilitation entre
la Syrie et Israël en 2008, malheureusement avortée à cause de la très
meurtrière opération « Plomb durci » déclenchée par l’Etat hébreu contre
la bande de Gaza en décembre 2008-janvier 2009. Moins connu et moins
médiatisé fut le rôle de la Turquie qui, au cours de l’année 2010, joua
un rôle, parfois déterminant, dans les crises gouvernementales en Irak
et au Liban, dans les tentatives de rapprochement entre les organisations
palestiniennes, à propos du dossier nucléaire iranien ou encore dans les
Balkans entre la Serbie et la Bosnie Herzégovine.
Au titre des paramètres expliquant les novations de la politique étrangère
de la Turquie, il faut aussi mentionner l’importance de l’AKP, acteur
et produit les profondes transformations mentionnées précédemment,
parti décomplexé, pragmatique, voire opportuniste, capable d’une grande
réactivité et d’une non moins grande plasticité, parti qui exprime les intérêts
de nouvelles catégories sociales qui cherchent à influencer les inflexions de
la politique extérieure du pays en fonction de leurs intérêts économiques,
concurrents avec ceux de la grande bourgeoisie turque mondialisée. La
multiplication des initiatives en direction de pays émergents ou en voie de
développement s’explique aussi par ce facteur.
Enfin, dernier paramètre dans cette esquisse non exhaustive : l’institution
militaire qui pendant des années a fortement participé à l’élaboration de
la politique extérieure, tentant même d’en faire un de ses prés carrés,
n’est plus désormais en situation de le faire. Ce que vit la Turquie est
la sortie d’une situation de mainmise de l’armée sur la société. A ce
stade, on peut considérer que l’institution militaire n’est plus réellement
capable d’exercer sa tutelle sur le régime républicain, ce qui constitue une
évolution potentielle radicale de la vie politique turque et de l’élaboration
de sa politique extérieure.
Ces quelques pistes indiquent la multiplicité des raisons qui explique les
inflexions, les adaptations qui, si elles étaient sous-estimées, ne permettraient
pas de saisir les dynamiques à l’œuvre. Ces inflexions signifient-elles
50 Didier Billion

rupture ? Nous ne le pensons pas. C’est pourquoi il est alors nécessaire de


placer cette politique extérieure en perspective, car cette dernière s’inscrit
dans la longue Histoire, comme c’est le cas pour toutes les nations qui
possèdent une forte tradition d’Etat et de pratique diplomatique.

La nécessaire mise en perspective historique pour saisir le


cours de la politique extérieure de la Turquie
Nous pouvons considérer qu’une véritable réorientation de la
politique extérieure s’est effectuée à partir de 1964 par la diversification
multidimensionnelle de ses axes, puis par son autonomisation à l’égard de
ses alliés afin de mieux maximiser ses ressources nationales. C’est pourquoi,
dès cette date, les dirigeants turcs ne sont plus inconditionnellement
alignés sur les Etats-Unis comme ils avaient pu l’être entre 1945-1946 et
1964, c’est-à-dire pendant l’acmé de la Guerre froide. Considérons que
cette évolution constitue un élément fondamental pour qui veut tenter de
décrypter les évolutions les plus récentes.
Sous l’impulsion de Bülent Ecevit, l’un des deux principaux dirigeants
politiques turcs des années soixante-dix, une idée – longtemps restée plus
théorique et idéologique que pratique – va officiellement s’enraciner au
centre de la réflexion politique nationale. La critique du type de rapports
que le pays entretient avec l’Alliance atlantique aux niveaux politique,
économique et militaire, va ainsi émaner de l’appareil d’État lui-même
et non d’organisations révolutionnaires et anti-impérialistes. Toutefois,
les responsables turcs n’ont jamais voulu en revenir à une politique
neutraliste, laquelle aurait probablement abouti à une « finlandisation » du
pays en raison de la disproportion entre sa puissance économico-militaire
réelle et celle de l’URSS.
Les modifications des axes de la politique extérieure n’en sont pas
moins essentielles et révèlent la quête de l’affirmation de la Turquie dans
le concert international. Cela se manifeste notamment par la réduction
de la perception mutuelle des convergences d’intérêts entre la Turquie
et l’Alliance atlantique. La difficulté, pour les stratèges, diplomates
et politiques turcs, consiste alors à conceptualiser la façon dont leur
pays, en tant que puissance secondaire, peut appréhender une nouvelle
problématique des questions de sécurité au moment où la perception
de la menace soviétique et la crédibilité de la protection assurée par les
Quelle grille de lecture de la politique extérieure de la Turquie ? 51

États-Unis sont toutes deux en train de décliner. La volonté turque de


réaménager sa relation au système occidental dans le sens d’une plus
grande indépendance, sans jamais aller jusqu’à sa remise en cause en
tant que telle, est toutefois porteuse de changements significatifs dans
l’équilibre régional des forces.
Si l’on ne craint pas de sauter allègrement quelques décennies, on
retrouve les mêmes problématiques lorsque, en mars 2003, la Turquie
refuse de satisfaire à la demande de George W. Bush de déployer 62 000
soldats sur le sol turc pour attaquer l’Irak par le Nord. Ayant accepté
d’être partie aux projets de reconfiguration de la politique étatsunienne
au Moyen-Orient élaborée par le président Clinton au cours des années
précédentes – d’où les accords de coopération militaire avec l’Etat
hébreu signés en 1996 – les dirigeants turcs ne peuvent suivre la politique
unilatéraliste fomentée par les néoconservateurs de l’administration Bush.
Outre le risque d’accentuation de l’isolement régional de la Turquie
qu’aurait constitué l’autorisation du déploiement étatsunien, l’AKP, au
gouvernement à Ankara depuis seulement le mois de novembre 2002,
ne pouvait s’opposer frontalement à son électorat. Or, tous les sondages
effectués à l’époque indiquaient que l’opinion publique était non seulement
très majoritairement contre la guerre mais aussi marquée par une forte
défiance vis-à-vis de la politique extérieure des Etats-Unis.
Les mois et les années qui suivent ne manquent pas d’étonner plus d’un
observateur puisque un spectaculaire réchauffement des relations avec la
Syrie et, dans une moindre mesure, avec l’Iran va se manifester, au grand
dam des dirigeants étatsuniens qui considèrent ces évolutions, qui plus est
avec des pays de l’« axe du mal », pour le moins inquiétantes. Ainsi Paul
Wolfowitz déclare : « Je pense que tout ce que la Turquie fait avec la Syrie
ou avec l’Iran devrait s’inscrire dans le cadre d’une politique générale
établie avec nous et visant à obtenir que ces pays changent leur mauvais
comportement (6). »
Ces quelques rappels, loin d’être exhaustifs, ne doivent pas être mal
interprétés. Si, par ces décisions, la Turquie indique qu’elle affirme sa
souveraineté nationale, cela ne s’opère jamais en rupture avec ses alliances
traditionnelles mais dans un rapport critique et dans une volonté de
réarticulation desdites alliances.

(6) AFP, 25 juillet 2003.


52 Didier Billion

Tous ceux qui aujourd’hui s’inquiètent d’un soi-disant tournant par


trop exclusif vers les pays culturellement musulmans devraient d’ailleurs
se souvenir que la Turquie a adhéré à l’Organisation de la conférence
islamique en 1976 au sein de laquelle elle prend une part importante dans
les domaines économique et financier, qu’en 1983 et 1984 les importations
turques en provenance des pays du Moyen-Orient et du Maghreb sont
supérieures à celles provenant de la Communauté économique européenne
et que le phénomène est identique pour les exportations turques dans la
même région de 1983 à 1985. N’en déplaise aux commentateurs impatients,
le retour sur l’Histoire, fût-elle récente, est singulièrement instructif pour
mieux hiérarchiser les faits et parvenir à discerner où sont les véritables
éléments novateurs de la politique extérieure de la Turquie.

En guise de conclusion temporaire…


C’est à la lumière de ces quelques points de repère que le concept
même de « nouvelle politique extérieure » doit être questionné et manié
avec précaution. Il vaudrait mieux parler d’évolution que de nouveauté.
Les questions sémantiques ont souvent leur importance dans le champ des
relations internationales : le concept d’évolution, d’une part, signifie qu’il
n’existe pas de bouleversement des paradigmes de la politique extérieure
de la Turquie et exprime, d’autre part, la volonté de cette dernière de
sans cesse tenter de s’adapter et de s’affirmer dans un environnement
international en pleine mutation. Cette évolution s’inscrit pleinement dans
la longue quête d’identité de la politique extérieure de la Turquie depuis
l’avènement de la République en 1923 (7).
Dans la période actuelle, cette quête d’identité s’inscrit au cœur
des nouveaux paradigmes qui commencent à structurer les relations
internationales autour de nouveaux axes. Pour la première fois dans
l’histoire de l’humanité, tous les peuples de la planète sont politiquement
actifs (8). Les puissances occidentales ne parviennent plus à faire valoir
leur hégémonie sur le reste du monde. Désormais leurs valeurs, qu’elles
continuent plus ou moins confusément à considérer comme universelles,

(7) Didier Billion, la Politique extérieure de la Turquie : une longe quête d’identité, Paris,
l’Harmattan, 1997.
(8) Voir à ce propos l’entretien avec Hubert Védrine, « La fin du monopole occidental », New
African, septembre-octobre 2009 et plus exhaustivement du même auteur Continuer l’Histoire,
Paris, Fayard, 2007.
Quelle grille de lecture de la politique extérieure de la Turquie ? 53

ne parviennent plus à s’imposer ni militairement, ni politiquement, ni


culturellement. De plus en plus nombreux sont les États qui refusent
manifestement de rester sous les fourches caudines du monde occidental.
Au-delà de leurs diversités évidentes, les puissances, dites émergentes,
s’affirment sur la scène internationale, participent de la diffusion de
la puissance et bousculent les équilibres anciens. C’est dans ce cadre
que ces Etats affirment leurs ambitions et leur volonté d’un partage
mieux équilibré du pouvoir au niveau mondial. En effet, si leur percée
économique est déterminante, elle ne suffit pas, et les pays émergents
sont conscients de la nécessité de développer des politiques extérieures
susceptibles de leur fournir un statut d’acteur à part pleine et entière sur
l’échiquier international.
La Turquie est une illustration de ce « bouleversement du monde ».
On l’a vu en mai 2010 lors de la signature de l’accord tripartite avec le
Brésil et l’Iran, qui proposait une alternative au nouveau jeu de sanctions
que le Conseil de sécurité s’apprêtait à voter à l’encontre de Téhéran à
propos du dossier nucléaire. Cela, contrairement à ce que d’aucuns ont
prétendu, ne signifiait pas un début de rupture d’Ankara avec ses alliés
occidentaux mais la volonté de promouvoir un nouvel ordre multilatéral
et multipolaire. La réaction n’a pas tardé puisque, le lendemain même,
l’encre de la déclaration conjointe à peine sèche, les États-Unis parvenaient
à convaincre les membres permanents du Conseil de sécurité de mettre à
l’étude un nouveau projet de sanctions. Décision formalisée et soumise au
vote le 9 juin suivant. Or, la Turquie, membre non permanent du Conseil
de sécurité depuis le 1er janvier 2009, votait, aux côtés du Brésil, contre
ce quatrième train de sanctions contre l’Iran. Ainsi la diplomatie turque
affirmait une véritable cohérence, même si ce vote allait lui attirer une
bordée de critiques plus ou moins acerbes.
Toutefois, la profonde onde de choc qui traverse le monde arabe depuis
la fin de l’année 2010 est venue rappeler quelques évidences. Si la Turquie
a été surprise par ces révoltes – qui ne l’a pas été ? – et a, dans une première
séquence, connu quelques hésitations, il n’a échappé à personne que, sur
l’essentiel, elle a adopté une posture politique très proche de ses alliés
traditionnels. On peut même considérer que les profondes modifications
à l’œuvre dans le monde arabe ont contribué à un resserrement et à une
fluidification des relations turco-étatsuniennes qui, nous l’avons vu, avaient
été quelque peu malmenées à l’époque des deux mandats de George
W. Bush. De ce point de vue, gardons en mémoire l’acceptation par
54 Didier Billion

Ankara du principe de l’installation sur le sol turc du radar de pré-alerte du


bouclier antimissile de l’OTAN actée au sommet de l’OTAN de Lisbonne
en novembre 2010 – donc avant même le début des révoltes arabes… Mise
en œuvre en septembre 2011, elle indiquait assez clairement que la rupture
des fondamentaux de sa politique extérieure n’était pas à l’ordre du jour du
calendrier politique d’Ankara. Le même constat peut être formulé à propos
de la politique mise en œuvre par la Turquie concernant les turbulences
induites par la crise syrienne depuis mars 2011.
Ainsi, dans un contexte d’incontestable montée en puissance régionale
de la Turquie, l’un des effets collatéraux des mouvements de contestation
dans le monde arabe a été de faire ressortir ses limites, voire ses
contradictions. Ankara n’est pas à ce stade un leader régional et ne le
revendique d’ailleurs pas comme tel. Cela ramène à leur juste mesure
toutes les analyses qui lui attribuent un rôle qu’elle-même ne revendique
pas. On peut se demander en outre si sa participation aux initiatives de
l’OTAN ne risque pas d’amoindrir son prestige vis-à-vis d’un certain
nombre de ses partenaires moyen-orientaux.
On peut donc considérer que la politique extérieure de la Turquie connaît
d’incontestables évolutions mais que ces dernières ne constituent pas des
ruptures. En ce sens, les inquiétudes formulées il y a quelques années par
des commentateurs un peu trop pressés ne sont pas véritablement fondées.
Le qualificatif de « nouvelle », non dénué de fondement, ne peut néanmoins
être repris dans l’acceptation étroite du terme. La mise en perspective des
évolutions de la politique extérieure turque nous fournit de ce point de
vue de précieux enseignements. C’est néanmoins la capacité de la Turquie
à se trouver à la confluence d’intérêts divergents, ou opposés, qui fait sa
force et fonde sa capacité d’attraction potentielle. Le nouveau rôle qu’elle
est en train d’acquérir est moins une rupture que l’affirmation des intérêts
nationaux d’un pays qui mesure ses atouts.
Au risque de manier le paradoxe, on peut même considérer que l’AKP
reprend à son compte certains des axes de la politique extérieure de la
Turquie initiée par Mustafa Kemal, à l’époque où le kémalisme n’avait pas
été ossifié par nombre de ses épigones. En évoquant cette piste, je m’expose
aux mêmes types de critique méthodologique que celle adressée à celles
et ceux qui manient le concept de « néo-ottomanisme » avec beaucoup de
légèreté. Comparaison est rarement raison, et les contextes sont évidemment
radicalement différents, mais la volonté politique d’insérer la Turquie dans
le jeu international comme puissance autonome est la même.
Révoltes et réformes dans les pays
du sud la Méditerranée
Professeur Driss KHROUZ

Les bouleversements que des pays de la rive-sud de la Méditerranée


vivent depuis janvier 2011 interpellent à plusieurs égards.
Présentées comme un « printemps arabe », en référence aux révolutions
qu’avaient connues l’Europe au printemps 1948, les révoltes en Tunisie et
en Egypte s’apparentent de plus en plus à des soulèvements complexes,
confus, diffus et brouillés dans les relents identitaires.
Avant d’analyser leur contenu, leurs acteurs et leurs portées, il est utile
de suggérer quelques pistes de réflexions susceptibles de mieux éclairer
leur nature.
Toutes ces révoltes ont explosé dans des pays dominés depuis des
décennies par des régimes politiques autocratiques où des clans familiaux
règnent sans partage par la violence, la répression, la corruption, la peur
et le spectre de l’intégrisme. Il n’est pas étonnant que dans ces pays,
comme c’est le cas en général dans tous les soulèvements populaires, la
spontanéité affichée ne soit qu’une façade et que les forces apparentes,
visibles dans les manifestations, ne soient en fait qu’un voile, un « front
office » manipulé et guidé par un « back office » qui détient les rênes des
foules et des forces en présence.
Les pesanteurs historiques, religieuses et idéologiques dans ces pays
sont de véritables chapes qui ont maintenu ces sociétés sous le poids de
pouvoirs autoritaires, illégitimes. Cela ne signifie pas que leurs peuples
soient hors de l’histoire, incapables et immatures pour la démocratie,
comme cela se dit abusivement.
Ce n’est pas parce que les populations sont dominées, assujetties et
méprisées qu’elles n’aspirent pas à la liberté, au respect, à la sécurité, à la
dignité et au bien-être.
Après l’Asie et avec les chocs qu’ont connus des pays comme la
Chine et la Russie et que connaissent d’autres pays comme le Pakistan,
56 Driss Khrouz

l’Afghanistan, l’Indonésie et les Philippines ; après la chute du mur


de Berlin et l’implosion du monde communiste et après les avancées
démocratiques en Amérique latine, l’Afrique et le Moyen Orient ne
peuvent plus continuer à évoluer en marge de la mondialisation. Cette
extraordinaire diffusion de l’information et de la culture de liberté de
parole, de contestation et surtout des droits humains, est une lame de fond
universelle qui balaie les uns après les autres, à des degrés différents et
selon des niveaux différents, les régimes totalitaires.
Les bouleversements dans les pays du sud de la Méditerranée
s’inscrivent dans la même dynamique. Cela constitue un démenti évident
à tous les discours sur l’incompatibilité entre ce qui est appelé les
« spécificités culturelles du monde arabo-musulman » et les cultures
universelles, comme si une civilisation était fatalement et définitivement
rétrograde, en soi et en tant que telle.
La revendication de la stabilité et son affichage comme fondement des
politiques des régimes totalitaires se sont transformés en cauchemar.
Quand la stabilité devient un leitmotiv qui justifie répression, régression,
corruption, censure et autocratie, elle engendre le blocage.
Les sociétés arabes ne sont pas stables, elles sont bloquées, verrouillées.
Dans un environnement mondial, mouvant, contestataire, fluide
par l’information et les relais des réseaux sociaux, les verrous sautent
brutalement et violemment.
La liberté ne peut exister dans le blocage, en l’absence totale de
réformes et de progrès social. Les pays arabes n’ont pas connu de
révolution ces deux dernières années, ils ont subi des explosions. Les
mots d’ordre revendiqués sur les réseaux sociaux ne renvoient ni à des
programmes, ni à des idéologies, encore moins à des projets de société.
Cela explique que seules les forces antérieurement structurées contre les
régimes en place aient profité des soulèvements de la rue. Les foules, sans
programme mais sincèrement révoltées, ont servi de première ligne et de
force de frappe.
L’histoire, qui ne marche pas en reculant, nous apprend que les
révoltes, comme les révolutions d’ailleurs, ne profitent pas à ceux qui les
déclenchent. Elles sont toujours récupérées et instrumentalisées par les
réseaux à l’affût, qui sont aguerris par la clandestinité.
Révoltes et réformes dans les pays du sud la Méditerranée 57

Quand une situation sociale atteint des niveaux de non-retour, les


ruptures sont brutales, elles donnent l’impression d’être des accidents et
semblent fortuites.
En Tunisie comme en Egypte, les régimes en place, avant janvier 2011,
ont atteint des niveaux de déni, de corruption et d’anachronisme tels, qu’il
suffit d’un détonateur minime pour que les verrous sautent, et le raz-de-
marée social déferle. Ce n’est pas l’immolation par le feu de Mohamed
Bouazizi qui est à l’origine de la révolte, elle n’est que l’étincelle alibi qui
a précipité l’explosion.
Le contexte mondial, particulièrement depuis l’universalisation du
libéralisme et l’implosion du monde soviétique, a diffusé les exigences de
liberté et de la culture des droits humains.
La justification de la répression des islamistes par les pouvoirs en place
au nom de leur rôle de « pare-chocs contre l’intégrisme » est un argument
court et évanescent en l’absence de réformes, de progrès, de justice et de
liberté.
Les réseaux sociaux et les moyens technologiques dont ils disposent
transmettent, en temps réel et au-delà des distances, toutes les informations,
quelles soient vertueuses ou désastreuses. Les mobilisations sociales des
jeunes n’ont plus besoin de meetings, de partis politiques ou d’idéologies
pour éclater sur les places.
En Tunisie, comme en Egypte et ailleurs, le totalitarisme – autocratique,
clanique, corrompu, dans des sociétés bloquées où les crises sociales
et le chômage ont trouvé des terreaux féconds dans les transitions
démographiques, l’absence de mobilité sociale, les pannes de l’ascenseur
social et la scolarisation des jeunes – est devenu anachronique et obsolète.
Les mouvements islamistes – inspirés et encadrés par l’internationale
islamiste politique Wahabite, Jihadiste ou Chiite – financés par les
pétrodollars de même source ont largement diffusé leur morale et leur
version du jihad, en guise de projet de société et de programme politique.
Le monde d’après le 11 septembre 2001, les guerres sans fin en Afghanistan
et en Irak ont largement vulgarisé pour l’islam les valeurs de jihad et de
mort. Cette exorcisation de la mort a vaincu la peur. Toutes les limites ont
reculé. Les jeunes ont vaincu la peur et le mépris. Cette culture du refus
dans des sociétés bloquées explique en grande partie ce qui s’est passé.
58 Driss Khrouz

Ces jeunes qui ont manifesté sans peur en Tunisie et en Egypte


n’avaient pas de leader, pas d’idéologie. Leurs slogans sont puisés dans
les réseaux sociaux mondiaux, leurs drapeaux et mots d’ordre sont la
revendication de la dignité, de la liberté, de la justice et du bien-être.
Aussi bien en Egypte qu’en Tunisie, les réformes économiques entamées,
l’afflux des touristes et des investissements étrangers ont créé une illusion
de stabilité, avec l’adhésion de la population. Le discours justificatif étant
que le peuple a besoin seulement de travail, d’enseignement, de logement
et de sécurité. La démocratie et la pauvreté, dit-on, ne sont pas compatibles
entre elles. La richesse matérielle créera par elle-même les conditions du
libéralisme économique et politique. Le peuple a besoin d’abord de pain
et de paix, dit-on.
Comme si la stabilité imposée allait créer à elle seule la richesse.
L’analyse des faits sociaux et religieux depuis l’émergence du
protestantisme – avec Luther et Calvin et depuis l’échec de la Renaissance
en Egypte avec Mohamed Abdou et Djamal al-Din al-Afghani, sans
remonter jusqu’à Ibn Maïmoun et à Ibn Rochd – nous apprend que les
populations qui sont coincées dans les pressions de la survie se soumettent
au totalitarisme. En même temps, quand le poids des populations pauvres
est dominant dans une société, celles-ci cèdent vite aux discours et aux
rhétoriques des populistes et des moralisateurs.
Les attentes crées par ces illusions de changement et de « paradis
acquis » tournent vite au désenchantement face aux réalités économiques
difficiles et aux attentes portées au paroxysme par les promesses populistes.
Les révoltes en question signifient qu’en l’absence de réformes
politiques et institutionnelles et sans la force du droit et de la justice,
les réformes économiques s’épuisent, minées par les inégalités sociales,
les privilèges, la corruption et la marginalisation de larges couches de la
population, des jeunes en majorité.
La spontanéité de leurs mouvements, qui est leur force, est vite
devenue leur faiblesse. Seules les forces politiques et sociales organisées
sont capables de récupérer les révoltes et les canaliser.
Des partis et mouvements politiques en Egypte et en Tunisie ont
une longue histoire d’expériences politiques et de luttes pour la liberté,
la démocratie et l’émancipation de la femme. La nature des régimes
Révoltes et réformes dans les pays du sud la Méditerranée 59

politiques d’Anouar Essadat puis Hosni Moubarak et de Ben Ali ont


segmenté les forces sociales pour les affaiblir. Les frères musulmans en
Egypte et la mouvance Annahda en Tunisie, utilisés pendant les années
soixante-dix – quatre-vingt contre les groupes se revendiquant de la
gauche mais maintenus en état de faiblesse et à la marge, ont su maintenir
leur lame de fond à l’intérieur et surtout à l’extérieur grâce aux appuis
des régimes islamistes proches. Le rôle des Etats-Unis d’Amérique et de
l’Europe, au nom de la liberté d’opinion et d’expression pour le soutien des
mouvements islamiques, est loin d’être une simple position de principe.
Les bouleversements politiques et culturels qui se sont produits et qui
continuent en Tunisie, en Egypte, en Lybie, en Syrie et au Yémen augurent
probablement de longues périodes d’instabilité dans toute la région.
Les révoltes ont réveillé toutes les revendications réprimées et refoulées.
Les rapports de forces en présence vont donner lieu à des règlements de
compte et à des recherches de positionnement et de repositionnement
réciproques. Dans certains pays comme l’Egypte, deux acteurs majeurs
canalisent les enjeux : l’armée d’un côté et les frères musulmans de
l’autre.
La stabilité régionale, la nécessaire maîtrise des voies d’approvisionne-
ment en pétrole et gaz naturel sont les variables-clefs dans la géostratégie
en mouvement. La sécurité de la Jordanie, des monarchies du Golfe et
surtout d’Israël sont des paramètres essentiels dans la présence en éveil
des Etats-Unis d’Amérique. Le poids de l’Iran et de la puissance turque
émergente donnent à toutes ces mutations une dimension mondiale par
excellence. Les rivalités et de plus en plus la guerre d’influence entre le
chiisme et le sunnisme poseront de nouvelles questions. Une nouvelle ère
d’instabilité s’ouvre.
Le « printemps arabe » est bel est bien une régression culturelle et
politique. La liberté a perdu en échange. Le retour des communautarismes,
des clochers et des sectes est une menace évidente. Les femmes, les
laïques, les démocrates, les minorités religieuses (particulièrement les
chrétiens d’Orient, les premiers habitants de ces pays), vont sûrement
subir les affres de l’instrumentalisation et de la politisation revancharde et
inculte de ceux qui veulent s’approprier l’islam.
Si une seule leçon était à tirer de tous ces soulèvements populaires, c’est
que l’islam ne peut pas être laissé entre les mains de mouvements sans
60 Driss Khrouz

culture et sans connaissance, historique, philosophique et sociologique


approfondie, des religions et de l’humanité.
L’islam politique au Maroc
à la lumière du printemps arabe :
Défis et perspectives
Fouad M. Ammor *

Le printemps arabe, expression de l’existence et de la vivacité de


l’opinion publique arabe, a montré sans ambages que la composante
religieuse représente, sans aucune prétention à l’omniscience ou
omnipotence, un des constitutifs majeurs de la culture arabe.
En effet, dans les sociétés arabo-musulmanes dont le Maroc, l’islam
est une source essentielle de légitimité politique. Le contrôle du champ
religieux apparaît, par conséquent, comme une nécessité pour ces régimes
en quête de stabilité et de légitimation (1). Le Maroc jouit d’une culture
religieuse profonde et diverse dans ses manifestations (soufisme, confréries,
zaouïas, maraboutisme) (2).
En effet, au Maroc, l’islam politique (3) est traversé par trois
tendances :
1. Un courant minoritaire constitué par les salafistes purs et durs
(« islam radical »). Ce mouvement reste fortement minoritaire et peu
présent dans la société marocaine.
2. Un courant contestataire de l’ordre établi et voulant instaurer un
Etat islamique au Maroc. Il est représenté par le mouvement politique
« al Adl wal Ihsane » (Justice et Charité) de Abdeslam Yassine. Ce
mouvement s’active dans une organisation «  illégale 
» et disposant
de nombreux militants actifs. Il fait montre d’une grande capacité de
mobilisation.

* GERM-Maroc, fouadammor12345@hotmail.com, maroctempus@gmail.com


(1) Hassan Zouaoui « La régulation politico-institutionnelle du champ religieux au Maroc »,
Université de Paris I, la Sorbonne (France), Cahiers politiques, n° 4, janvier 2011.
(2) Mohammed Tozy, le Maroc actuel : une modernisation au miroir de la tradition ?, Paris,
éd. du CNRS, 1992.
(3) L’islam politique est entendu ici comme l’usage sinon l’instrumentalisation de l’islam à des
fins politiques.
62 Fouad M. Ammor

3. Un courant modéré, comptant 42 députés depuis 2002, contre


14 en 1977, représenté par le Parti de la Justice et du Développement
(PJD). Aujourd’hui, le PJD assume la responsabilité gouvernementale
avec 3 autres formations politiques (Parti de l’Istiqlal, Parti du Progrès
et du Socialisme et le Mouvement Populaire). Depuis son congrès de
2004, le PJD a confirmé sa stratégie « d’institutionnalisation négociée et
consensuelle dans le champ politique marocain ».
La dialectique de l’ouverture du champ politique aux acteurs de la
mouvance islamique au Maroc, d’une part, et le processus de refondation
idéologique au sein de cette mouvance, d’autre part, a permis une meilleure
compréhension/entente entre le Makhzen(4) et cette mouvance. Suite aux
attentats terroristes de Casablanca du 16 mai 2003, le mouvement a vécu des
moments difficiles. Il a même été désigné du doigt comme assumant une part
de responsabilité dans ce qui s’est passé, dont notamment la quarantaine de
victimes qui ont péri lors de ces attentats. Ce mouvement a eu l’intelligence
de faire profil bas le temps que toute cette crispation passe.
Trois facteurs expliquent l’ascension du PJD au Maroc :
1. Une volonté exprimée clairement par le PJD de faire clairement
la distinction entre la religion et la politique. Dans son idéologie
actuelle, la lutte contre la corruption et l’injustice (5) constitue le
point fort de son programme ;
2. Le printemps arabe a montré la fragilité possible et/ou réelle des
régimes en place. Ce qui les a obligés à lâcher du lest. Au Maroc, la
réforme constitutionnelle et l’ouverture du champ politique à l’islam
politique furent précipitées par ce printemps arabe (6) ;
3. La perte de vitesse des partis dits traditionnels, de droite comme de
gauche, a catapulté au premier plan de la scène politique le PJD qui
reste, in fine, vierge politiquement parlant dans la mesure où il n’a
jamais assumé de responsabilité institutionnelle par le passé.

(4) Le Makhzen entendu ici comme composé par le roi et son cercle restreint (le sérail).
(5) « La mise en œuvre des préceptes religieux passe par la loi, sinon le reste relève des positions
individuelles. » Cette position légaliste est mise en avant par les leaders du PJD dans leur nouveau
programme électoral.
(6) Certains n’hésitent pas à dire, avec une note d’humour, que selon le calendrier arabe, on a en
fait deux printemps (Rabia premier (Aouall) et Rabia II (Thani) signifiant par là que ce processus
enclenché en 2010 reste, somme toute, ouvert à tous les possibles.
L’islam politique au Maroc à la lumière du printemps arabe 63

Le PJD : parti islamique majoritaire : histoire d’une genèse


L’islam politique au Maroc a commencé avec l’expérience de la Chabiba
islamiyya (littéralement, la jeunesse islamique) au début des années 70,
un mouvement clandestin dominé par une tendance révolutionnaire. Ses
leaders furent poursuivis en justice comme étant les acteurs de l’assassinat
en 1975 du journaliste et théoricien militant socialiste Omar Benjelloun.
Cet événement se solde par l’arrestation d’un des leaders du mouvement
(Kamal Ibrahim) et l’exil du chef de Chabiba (Abdelkrim Moutii‘).
Durant les années soixante-dix, le Makhzen a même encouragé certaines
associations de prédication islamique à s’activer au sein du mouvement
estudiantin afin de contrer la gauche marocaine qui était syndicalement
dominante. Il y a eu des tentatives d’instrumentalisation de ce mouvement
islamiste, encore embryonnaire à l’époque, par le ministère de l’Intérieur
afin de faire contrepoids aux mouvements de gauche.
Le champ de prédilection du débat idéologique du mouvement n’est
autre que les campus universitaires, et les thématiques de discussion
étaient liées fondamentalement aux valeurs véhiculées par l’enseignement
et au contenu des manuels scolaires. Le mouvement est resté tiraillé
entre la direction résidant à l’étranger et le groupe des militants vivant au
Maroc (7).
La première participation de ce mouvement islamique aux élections
législatives a eu lieu en 1996 par le truchement d’un parti politique légal,
le Mouvement populaire démocratique et constitutionnel. Celui-ci a
remporté 7 sièges au parlement. Ce n’est qu’une année plus tard (1997)
qu’il se constitua en tant que PJD.
Le débat au sein du mouvement (la Chabiba islamiyya) engendra
un schisme à partir duquel un groupe décida de sortir de l’anonymat
en fondant en 1983 l’association Jamaa Ismaliyya. Ce groupe auquel
appartient l’actuel chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s’est
distancé de la violence et a décidé de s’ouvrir aux autres forces du champ
islamique.
De 1987 jusqu’en 1990, un débat intense s’est déployé au sein de la
Jamaa Islamiyya pour préciser l’orientation politique de ce mouvement.

(7) Bilal Talidi, « Les islamistes et le printemps arabe » (en arabe), in nama-center-com 2012.
64 Fouad M. Ammor

De ce débat est sorti un Waraka Siassia, une sorte de plateforme politique


dans laquelle la ligne politique fut précisée.
En 1990, le groupe décida de participer au jeu politique du pays.
Dorénavant, les slogans tournaient autour de la perspective fondatrice du
religieux à la fois à l’échelle de l’individu et de l’Etat. Dans son évolution,
le mouvement, qui prit la forme de parti politique en 1997, est passé d’un
discours fortement moralisateur (daawa) à un discours véritablement
politique où les questions de la démocratie et de la gestion des affaires
publiques commencent à se préciser.

L’idéologie du PJD : Soft islamisme ou Wassatiyya


(modération)
Trois périodes caractérisent l’évolution de l’idéologie du PJD.
La première est celle qui peut être qualifiée de « putschiste ». En effet,
de 1970 à 1975, la Chabiba islamiyya durant les années de plomb au
Maroc (1962-1998) s’est radicalement positionnée par rapport au régime
politique, aux partis politiques et à la pratique de l’islam. Elle a considéré
que le régime était altéré et « areligieux », les partis politiques de simples
pions entre les mains du pouvoir et la pratique de l’islam loin de la norme
et du référent islamique. La seule réponse ne pouvait être qu’un coup
d’État. La structure organisationnelle de la « Jeunesse islamique » était
fortement hiérarchique, avec un rôle omniscient de son chef qui y disposait
de tous les pouvoirs.
La deuxième période peut être nommée l’« idéologie participative ».
Elle débute avec l’assassinat du leader socialiste Omar Benjelloun en
1975 : la Jeunesse islamique fut accusée par le pouvoir et les partis de
gauche d’être derrière cet assassinat. Le chef du mouvement (A. Moutii’)
s’est exilé à l’étranger. En 1981 et après une période de flottement, la
Jeunesse islamique a connu une scission, d’où la constitution de la Jamaa
Islamiyya (la communauté islamique), ancêtre du PJD. L’idéologie sous-
jacente de la Jamaa fut de rompre avec le radicalisme islamique et de
réfléchir à participer au jeu politique en rompant avec la clandestinité.
Un débat intense a jalonné entre 1987 et 1990 le parcours de la Jamaa, à
l’issue duquel une sorte de manifeste politique est sorti (waraqa siyasiya).
Les principales idées de cette nouvelle ligne politique tournent autour du
L’islam politique au Maroc à la lumière du printemps arabe 65

fait que la participation politique est le meilleur moyen d’impacter la vie


politique du pays, la légalisation de l’organisation lui permettra de mieux
contacter les gens et de faire la daawa. Cette nouvelle ligne politique a été
adoptée en 1990.
La troisième phase commence à partir de 1990 et continue jusqu’à
nos jours. L’idéologie qui y domine peut être qualifiée d’« idéologie
conciliatrice ». Certains y voient une négation des principes islamiques
de ce mouvement. La mise en œuvre de cette option politique impose
un certain nombre de conditions : notamment la création d’un parti ou, à
défaut, l’alliance avec un parti existant. Aussi, dans la mesure où il s’est vu
interdire la constitution de son propre parti politique (Parti du renouveau
national), le mouvement a intégré le Parti du mouvement populaire
démocratique constitutionnel qui fut dirigé par un grand monarchiste,
Abdelekrim El Khatib. Cette alliance a duré peu de temps avant que le
PJD ne soit légalisé comme parti politique. Depuis 1997, le nouveau parti
a évolué dans sa conception de la politique et de la religion et surtout de la
nature du rapport entre les deux instances.
Progressivement, l’option politique du PJD commence à se préciser.
Pour dépasser l’ambivalence entre le politique et le religieux, le mouvement
a eu l’intelligence de se constituer en entité fonctionnellement bicéphale : le
religieux est géré par l’association appelée le Mouvement pour l’Unicité et
la Réforme (MUR) s’occupant de l’éducation et de la formation religieuse,
alors que les questions proprement politiques sont gérées par le parti, le
PJD, où la religion reste à l’arrière-plan, et qui constitue le cadre des choix
stratégiques d’ordre politique, social, syndical et culturel.
Par rapport au printemps arabe, le PJD, qui a refusé de rejoindre
le Mouvement de 20 février, a bien exploité ce contexte critique pour
négocier son positionnement politique. Sa non-participation officielle
(certains de ses leaders y ont pris part à titre personnel) au M20F ne s’est
pas faite sans mettre en exergue l’urgence des réformes constitutionnelles.
Les résultats des élections législatives de 25 novembre 2011 ont corroboré
la manière de faire de la politique par le PJD.
Par ce rappel historique, il s’avère que le PJD n’a rien à voir avec
l’idéologie des « Frères musulmans » d’Egypte et l’idéologie du Hamas.
C’est à partir de l’avènement du gouvernement d’alternance de 1998,
66 Fouad M. Ammor

présidé par le leader socialiste Abderrahmane Youssoufi, que le mouvement


islamique a gagné en popularité.
Aux élections législatives de 2011, le PJD se veut être le seul parti et
la principale force d’opposition crédible ; les autres formations politiques,
proches du pouvoir, avaient peu de légitimité aux yeux d’une bonne partie
de la population marocaine. La popularité du PJD s’explique aussi par sa
participation caritative et son travail sur le terrain social qui s’est avéré très
productif politiquement.
Le PJD n’a pas hésité à s’approprier le référentiel démocratique.
Selon lui, il n’y a pas de contradiction entre la démocratie et la culture
islamique. Il fait montre d’un grand pragmatisme en acceptant le pluralisme
économique et social. Même si le religieux reste la dimension fondatrice de
l’individu, de la famille, de la société et de l’Etat, pour lui le changement
doit émaner de la légalité.

Les perspectives de l’islam politique au Maroc


Au Maroc, l’influence politique et sociale de cet islamisme de la
wassatiya (voie médiane) lui confère une fonction de stabilité et de rempart
contre de l’extrémisme (8). Le pouvoir a bien vu qu’intégrer une force
politique bien ancrée dans la société marocaine dans un contexte marqué
par la précarité de larges couches sociales (avec une nette volonté de ne
pas répéter l’exemple algérien) est une opération gagnante. De ce fait, cela
permet d’isoler relativement cet autre mouvement islamiste radical (Adl
walihsane) (justice et charité) qui remet en cause la monarchie.
En guise de conclusion, un certain nombre d’interrogations restent
posées :
1. Le PJD, pourra-t-il résister au rouleau compresseur du pouvoir
marocain et surtout du Makhzen. Si on se fie à la fois à la théorie
(J. Waterbury, le Commandeur des croyants ; R. Levau, le Fellah défenseur
du trône, entre autres) et à la pratique (déglutition du parti de gauche
l’Union socialiste de forces populaire, suite à sa participation quasi
inconditionnelle au gouvernement d’Alternance de la fin des années

(8) Gema Mart’n Muñoz, « L’islamisme réformiste marocain, l’influence politique et sociale de
l’islamisme réformiste fait de lui un facteur de stabilité du pays et de la lutte contre l’extrémisme »
in AFKAR/IDEES, été 2004.
L’islam politique au Maroc à la lumière du printemps arabe 67

quatre-vingt dix), ce serait une prouesse sans précédent si ce parti sortait


indemne de cette aventure !
2. Le PJD par ses alliances dans le gouvernement actuel (parti de
l’Istiqlal, parti du Mouvement Populaire et surtout Parti du progrès et
du socialisme) n’est-il pas entrain de perdre (ou de gagner) son âme ?
Sa marge de manœuvre est fortement limitée et ce, à plusieurs niveaux :
économique (le déficit, le chômage, la précarité...), politique (résistance
des groupes de pression et des potentats de la rente)... Les positions
politiques du PJD poussent certains à voir en lui un parti en train de faire
trop de concessions! Ce parti saura-t-il traduire ses convictions islamiques
dans des formulations politiques tout en respectant les engagements
internes et internationaux ?
3. La moralisation de la vie politique – cheval de bataille du PJD à la fois
lors de ses campagnes électorales et dans son discours politique tout court
– aura besoin du soutien d’autres formations politiques marocaines mais
aussi d’acteurs externes (Union européenne et Etats-Unis d’Amérique).
Si cette expérience ne réussit pas, elle ouvrira probablement la voie à
une radicalisation non pas seulement des mouvements islamistes mais
aussi d’une bonne partie de la population marocaine qui nourrit de grands
espoirs en la capacité dont dispose ce gouvernement pour ramener le
paradis sur terre.
Axe II
Fonction consultative et rôle
du Conseil économique et social dans
les pays méditerranéens
CESE et seconde chambre du parlement
au Maroc : quelle articulation ?
Abdelouhab Maalmi

Ce n’est que lors des révisions constitutionnelles intervenues en


1992 et 1996 que le Maroc s’est vu doter d’un Conseil économique et
social, d’abord, et d’une seconde chambre (Chambre des conseillers)
au parlement, ensuite. Ces deux révisions s’expliquent largement par le
contexte politique d’alors au Maroc. Outre l’exacerbation des conflits
sociaux suite à une dure décennie des années 80 marquée par la fameuse
PAS (politique d’ajustement structurel), le pouvoir et l’opposition (la
Koutla démocratique) étaient, depuis la fin de la guerre froide, en
discussions difficiles en vue des réformes constitutionnelles, politiques
et sociales, et une éventuelle participation de celle-ci au gouvernement.
L’institution du CES en 1992 répondait ainsi à l’exigence de la mise en
place d’une structure de dialogue social que des problèmes sociaux aigus
rendaient indispensable. Quant à la création d’une seconde chambre au
Parlement en 1996, elle incarnait la réponse du Roi feu Hassan II à la
revendication par l’opposition de l’élection de la totalité des membres de
la Chambre des représentants, alors chambre unique, au suffrage universel
direct, et la suppression du tiers qui, élu au suffrage indirect, était réservé
à la représentation des catégories socioprofessionnelles et des communes.
Celles-ci vont être désormais représentées dans la seconde chambre.
Toutefois, la mise en place effective du CES va attendre dix-neuf ans
avant de se réaliser. La loi organique portant organisation de l’institution
et le décret d’application n’ont vu le jour respectivement qu’en mars et
juin 2010. L’installation officielle du CES, elle, n’est intervenu qu’en
février 2011. Entre-temps, des évolutions ont eu lieu. Il y a eu d’abord le
discours du 9 mars 2011, où le Roi Mohammed VI annonce une révision
globale de la Constitution de 1996, puis le discours du 17 juin, où il présente
au peuple les grandes lignes du projet de révision constitutionnelle élaboré
par la commission désignée à cet effet, et, enfin, le nouveau texte de la
Constitution adopté par référendum le 1er juillet 2011. Dans le discours
du 9 mars, le Roi pose le principe, entre autres, d’une recomposition de la
72 Abdelouhab Maalmi

seconde chambre dont la caractéristique principale sera la « consécration de


sa représentativité territoriale des régions ». Tandis que dans son discours de
février 2011, prononcé à l’occasion de l’installation du CES, il précise en
quelque sorte la “philosophie” selon laquelle devrait fonctionner la nouvelle
institution. Mais la nouvelle Constitution a, d’un côté, gardé l’ancienne
composition de la seconde chambre, et ce sur insistance des organisations
syndicales et patronales tel que l’a justifié le Roi dans son discours du
17 juin, et, de l’autre, modifié la dénomination du CES qui devient CESE
(Conseil économique, social et environnemental), comme en France.
Conçu avant ces évolutions, pour la rencontre annuelle du GERM qui
s’était tenue en janvier 2011 à Rabat, ce travail se proposait d’un côté,
d’analyser les rapports entre le CES et la seconde chambre et, de l’autre, de se
demander si l’existence à la fois d’un CES et d’une seconde chambre dans la
Constitution de 1996 ne créait pas une certaine redondance et n’imposait pas
par conséquent une réforme de celle-ci. Or, la réforme que nous préconisions
était celle-là même qui avait été retenue dans le discours royal du 9 mars
évoqué plus haut, ce qui allait rendre une bonne part de notre appréciation
critique pratiquement sans objet ; mais en maintenant la même composition
de la Chambre des conseillers que dans l’ancienne Constitution, le nouveau
texte constitutionnel rétablit la validité de nos analyses d’origine.
Aussi, on exposera, dans un premier temps, les rapports entre la
seconde chambre et le CESE tels qu’ils ressortent des textes y afférents,
et on examinera, dans un second temps, la problématique que pose le
maintien de l’ancienne composition de la seconde chambre, vu la mise
place en du CESE et le rôle qui lui est assigné.

Les rapports entre le CESE et la seconde chambre


Bien que la révision constitutionnelle de 2011 ait atténué le
bicaméralisme quasi égalitaire instauré par la Constitution amendée de
1996, les rapports du CESE avec la seconde chambre demeurent les mêmes
qu’avec la première chambre. Ils se situent au double niveau des fonctions
et de la composition du CESE.

Les rapports au niveau des fonctions du CES


Selon l’article 152 de la nouvelle Constitution, le CESE peut être
consulté à la fois par le gouvernement, la Chambre des représentants et la
CESE et seconde chambre du parlement au Maroc : quelle articulation ? 73

Cambre des conseillers sur toutes les questions à caractère économique,


social et environnemental. Le règlement intérieur de la Chambre des
conseillers prévoit en son article 324 que celles-ci et ses commissions
peuvent consulter le CES (CESE) sur les questions relevant de ses
attributions. Mais c’est la loi organique (n° 60-90, mars 2010) portant
organisation du CES (CESE) qui détaille le mieux ces rapports :
– La Chambre des conseillers (au même titre que la Chambre des
représentants et le gouvernement) est tenue de soumettre pour avis au
CES (CESE) tout projet ou proposition de loi-cadre traçant les objectifs
fondamentaux de l’Etat dans les domaines économiques et de la formation
ainsi que les projets fixant les grands choix et stratégies dans ces mêmes
domaines (art. 3).
– La Chambre des conseillers a la faculté de demander avis au CES
(CESE) à propos de projets et propositions de loi qui lui sont soumis en
matière économique, sociale, environnementale et de formation. Elle peut
saisir directement le Conseil par l’intermédiaire de son président (art. 4).
– Le CES (CESE) est tenu d’informer la Chambre des conseillers
d’une auto-saisine tendant à donner son avis, faire une proposition ou
effectuer une étude ou une recherche sur une question relevant de ses
attributions (art. 6).
– La Chambre des conseillers est tenue de fournir au CES (CESE) qui
les demande, les informations, documents et données que celui-ci juge
nécessaires pour accomplir sa mission (art. 8).
– La Chambre des conseillers doit informer le CES (CESE) de la suite
qu’elle a donnée aux avis reçus de celui-ci, que ce soit à sa demande ou
sur initiative du Conseil (art. 9).
– Les membres des commissions permanentes de la Chambre des
conseillers peuvent assister à titre d’observateurs à l’Assemblée générale
du CES (CESE), après en avoir informé le président de celui-ci. Ils
peuvent être entendus soit par Assemblée, soit par les commissions du
CES (CESE) (art. 27).
De ce qui précède il semble que soient les rapports entre les deux
institutions semblent très étroits, non seulement au nom du bicaméralisme
égalitaire voulu par l’ancienne Constitution de 1996, mais du fait aussi
et surtout du caractère économico-social prépondérant de la seconde
chambre, ce qui établit une proximité évidente de celle-ci avec le CES
(CESE).
74 Abdelouhab Maalmi

Outre les fonctions du CES (CESE), ces rapports apparaissent également


au niveau de sa composition.

Les rapports au niveau de la composition du CES


Institution constitutionnelle consultative et non élue, tous les organes
politiques supérieurs de l’Etat (roi, gouvernement, parlement) participent
à la désignation des membres du CES (CESE). Ainsi, sur les 99 membres
que compte celui-ci (en plus du président), le président de la Chambre des
conseillers en nomme 16 (à égalité avec la Chambre des représentants),
représentant les syndicats, les organisations et associations professionnelles
ainsi que les organisations et associations de la société civile. Mais c’est
un décret du Premier ministre qui, sur la base d’une coordination préalable
avec les présidents des deux chambres du Parlement, fixe la liste des
formations syndicales, professionnelles et de la société civile qui sont
habilitées à être représentées au CES (CESE) ainsi que le nombre des
représentants imparti à chaque formation. Les organes de désignation
(Premier ministre, présidents des deux chambres parlementaires) ont en
plus, en vertu du décret d’application de juin 2010, la possibilité de choisir
entre les deux candidats que chaque formation se voit obligée de présenter
pour chaque siège à pourvoir.
Si tels sont les rapports entre la seconde chambre du Parlement et le
Conseil économique, social et environnemental, on peut se demander
si ces deux institutions ne font pas double emploi, si elles ne sont pas
concurrentes, au point soit de rendre inutile la Chambre des conseillers,
soit, au contraire, de condamner le CES (CESE) à n’être, à la longue,
qu’un organe marginal, comme cela a été le cas du CES français avant la
réforme de 2008.

CES et seconde chambre : complémentarité ou redondance ?


Pour répondre à cette question, il nous faut comparer les deux
institutions au double niveau de leurs missions et de leur représentativité
respective.

Au niveau des missions


La création d’un Conseil économique et social au Maroc n’est pas
en soi originale, car c’est là un phénomène général depuis la Seconde
CESE et seconde chambre du parlement au Maroc : quelle articulation ? 75

Guerre mondiale, qui traduit une idée de progrès et qu’expriment au


niveau des Nations Unies à la fois la création d’un Conseil économique
et social (Ecosoc), un des cinq ou six organes principaux de l’ONU, et
l’adoption en 1966 du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels.
La multiplication des CES dans le monde, à l’image de l’Ecosoc onusien,
a conduit même à la création de l’Association internationale des CES
dont le siège est à la Haye, tandis que se tiennent depuis la Déclaration de
Barcelone de 1995 des sommets annuels Euromed des CES et institutions
similaires du bassin méditerranéen.
C’est pourquoi l’institution du CES en 1992 au Maroc a été bien
accueillie, tandis que l’a été bien moins celle de la seconde chambre en
1996. Le CES a été vu comme un nouvel espace d’expression des catégories
socioprofessionnelles et de la société civile, alors que la seconde chambre
a été considérée comme visant à constituer un frein ou un contrepoids à la
première chambre, expression directe de la volonté du peuple.
La Constitution (de 2011, comme celle de 1996) et la loi organique
(de mars 2010) attribuent au CES (CESE) la triple mission de conseiller
le gouvernement et le Parlement, d’éclairer les pouvoirs publics ainsi
que l’opinion publique sur les questions relevant de ses compétences et
de promouvoir le dialogue social et la coopération entre les partenaires
économiques et sociaux. Précisant encore plus ces missions dans son
discours lors de l’installation du CES le 21 février 2011, le Roi insiste sur
la promotion de la bonne gouvernance en matière de développement, sur
le dialogue constructif, sur les études de prospective et, dans l’immédiat,
sur l’élaboration d’une nouvelle charte sociale en vue d’édifier un
« environnement sain pour gagner les paris liés à la modernisation de
l’économie, au renforcement de sa compétitivité et à la dynamisation de
l’investissement productif ».
A l’origine, dans l’entre-deux-guerres en France, l’idée d’un conseil
économique et social visait à créer une structure d’aide à la décision
des pouvoirs publics en matière économique et sociale. Puis, sous la
5e République et jusqu’à la réforme de 2008, le but était à la fois d’en faire
une structure de conseil pour le gouvernement et un instrument de paix
sociale. Mais depuis la révision constitutionnelle de 2008 et afin de sortir
le CES français (devenu CESE) de sa marginalité et de sa léthargie, ses
saisines (désormais il peut être consulté autant par le gouvernement que par
les deux chambres du Parlement), sa composition ainsi que son champ de
76 Abdelouhab Maalmi

compétences ont été étendus. Aussi le CESE français est-il désormais appelé
à être un lieu à la fois d’expression la plus fidèle des forces économiques,
sociales et culturelles du pays, de consensus et de réflexion et de diffusion
discrète auprès des pouvoirs publics des idées demandant du temps pour se
concrétiser. C’est la même conception qui semble animer le CES (CESE)
marocain, notamment après le discours royal de février 2011.
Quant à la seconde chambre, elle est une structure politique et un lieu
de décision. Elle légifère et contrôle l’action du gouvernement. De par son
mode d’élection, sa composition et la durée de son mandat, elle a pour
mission aussi de modérer ou, le cas échéant, de contrebalancer l’action de
la première Chambre. Aussi, au niveau de leurs missions, le CES (CESE)
et la chambre des conseillers sont deux institutions a priori différentes.
Mais rien ne garantit que le CES (CESE) ne puisse glisser vers un forum
qui reproduirait les confrontations politiques propres au Parlement. C’est
probablement le sens de l’avertissement exprimé par le Souverain dans
son discours de février 2011 précité, quand il a déclaré : « Nous ne sommes
nullement disposé à laisser ce Conseil se muer en une sorte de troisième
chambre. » Auquel cas, peut-être, les pouvoirs publics cesseraient de
recourir à ses conseils, et le CES (CESE) tomberait dans l’oubli.

Au niveau de la représentativité
Depuis la première expérience parlementaire (1963-1965) et dès
la Constitution de 1962, le souci a été constant au Maroc de réserver
aux catégories socio-économiques et professionnelles une certaine
représentativité au Parlement à côté des collectivités locales, soit dans la
seconde chambre de la Constitution de 1962 et celles amendées de 1996
et 2011, soit dans la Chambre unique des Constitutions révisées de 1970,
1972 et 1992. La raison était sans doute à l’origine politique : tempérer les
effets du suffrage universel direct. Mais aussi du fait que le Maroc n’avait
pas de CES, et quand il l’a institué en 1992, il a attendu longtemps avant de
le mettre sur pieds. Toutefois, maintenir la représentativité des catégories
socioprofessionnelles dans la seconde chambre des Constitutions révisées
de 1996 et 2011 malgré l’existence du CES (CESE) crée probablement
une redondance entre les deux institutions. Cela rappelle le projet avorté
de réforme du Sénat français proposé en 1969 par le général de Gaulle
qui, afin de le diminuer, visait à transformer ce dernier en un super-conseil
économique et social.
CESE et seconde chambre du parlement au Maroc : quelle articulation ? 77

La nouvelle Chambre des conseillers dans la Constitution révisée de


2011 (art. 63) est moins nombreuse (entre 90 et 120 membres), a moins
de pouvoirs (elle ne peut plus renverser le gouvernement) et est élue au
suffrage universel indirect non plus pour neuf (avec renouvellement par
tiers tous les trois ans), mais pour six ans. Elle est ainsi composée pour
les trois cinquièmes de représentants des collectivités territoriales et pour
les deux cinquièmes de représentants des chambres professionnelles,
d’organisations patronales et de salariés. Le CES (CESE), quant à
lui, dans sa formation actuelle, outre les membres de droit et ceux
désignés par le roi, est composé de représentants de 5 syndicats, 24
organisations professionnelles (entreprises, employeurs, patronat, chambres
professionnelles) et 16 organisations issues du tissu associatif, coopératif
et mutualiste (à l’exception d’aucune représentation territoriale au titre
d’activités économiques et sociales comme en France). Il s’agit donc
d’une duplication partielle par rapport à la seconde chambre. Cela peut
présenter des inconvénients pour les deux institutions :
– Pour la seconde chambre, le CES (CESE) peut apparaître comme
un concurrent. C’est d’ailleurs sur cette base que d’aucuns demandent la
suppression de la Chambre des conseillers et de revenir au monocaméralisme
d’antan.
– Pour le CES (CESE), il y a risque de télescopage en son sein de deux
logiques antinomiques : celle, politique, de la seconde chambre et celle,
consensuelle, du CES (CESE). La première risque de l’emporter sur la
seconde et de transformer ainsi le CES en une troisième chambre, comme
a prévenu le Roi.
Ces appréhensions auraient pu n’avoir plus aucune raison d’être
si la dernière révision de la Constitution s’en était tenue aux termes
du discours du Roi du 9 mars 2011 proposant de consacrer la seconde
chambre à la seule représentativité des régions, comme cela est le cas en
général dans les pays de tradition démocratique. Cela aurait été en parfaite
adéquation avec le nouveau statut de la région au titre de la régionalisation
élargie consacrée par la nouvelle Constitution révisée de 2011. Mais,
aux termes du discours du Souverain du 17 juin 2011, il semble que ce
soient les centrales syndicales qui cette fois, probablement dans un souci
d’autonomie plus grande par rapport aux partis politiques, ont insisté pour
que soit maintenue leur représentation an niveau de la seconde chambre.
Ainsi celle-ci garde-t-elle l’une de ses fonctions initiales depuis 1962,
78 Abdelouhab Maalmi

celle d’assurer la représentativité politique des forces socio-économiques,


notamment patronales et professionnelles, comme contrepoids aux forces
politiques proprement dites, autrement dit les partis politiques et leurs
syndicats, plus dominantes dans la première chambre.
Les nouvelles orientations du CESE français
Christiane Therry *

Pour épargner à nos lecteurs l’historique du CES français qui débute dès
le roi Henri IV, je ne retiendrai que quelques dates-clés pour me pencher
plus particulièrement sur les nouvelles orientations de cette mandature.

1958 : la consécration d’une longue histoire


Le Conseil économique et social s’inscrit dans un courant d’idées déjà
ancien, favorable à une représentation organisée des forces économiques
et sociales.
Dès 1925, à la demande des syndicats ouvriers, une assemblée est
créée. La Constitution de la IVe République crée, en 1946, le Conseil
économique. Elle donne déjà au Conseil les moyens d’affirmer son
indépendance et son rôle représentatif auprès du Parlement et du
gouvernement.
En 1958, la Constitution de la Ve République crée le Conseil économique
et social.
C’est une assemblée :
– constitutionnelle, ce qui garantit son indépendance vis-à-vis des
pouvoirs législatif et exécutif ;
– représentative, car composée principalement de membres désignés
par les organisations socioprofessionnelles nationales ;
– consultative, parce que placée auprès des pouvoirs publics pour les
conseiller.
2008 : Changement de dénomination du CES qui devient le Conseil
économique social et environnemental.
En juin 2010, le Conseil économique, social et environnemental est
rénové :
– des missions nouvelles et élargies ;

* Membre du CESE français.


80 Christiane Therry

– une composition en phase avec l’évolution de la société ;


– une institution désormais accessible aux citoyens ;
– une assemblée féminisée ;
– une assemblée rajeunie.
La loi constitutionnelle de juillet 2008 et la loi organique de juin 2010
ont profondément remanié la troisième assemblée constitutionnelle de la
République française.
Troisième assemblée constitutionnelle de la République, le Conseil
économique social et environnemental représente les forces vives du pays.
Lieu de dialogue et de débat, il favorise leur collaboration et assure leur
participation à la politique économique, sociale et environnemental de la
nation.
Le président Jean-Paul Delevoye, dans son discours inaugural
affirmait :
« Nous ne sommes ni un lieu de décision ni un lieu de pouvoir. Notre
rôle n’est pas de plaire ou de déplaire, de peser dans un sens ou dans un
autre, mais d’éclairer le décideur politique. Soit en explorant de pistes
nouvelles, soit en dégageant des convergences fortes sans taire les points
de désaccord ni exclure aucun débat, si difficile soit-il. »
Le président de la République française est venu présenter ses vœux
aux membres du CESE. Quelques mots d’accueil du président Delevoye
s’adressant à Monsieur le Président Sarkozy.
« Vous avez intégré l’environnement et la jeunesse, vous avez élargi les
modalités de saisine au gouvernement et au Parlement, vous avez ouvert
le Conseil au droit de pétition citoyenne. Vous l’invitez à l’évaluation des
politiques publiques, vous le renforcez dans son rôle pour anticiper les
évolutions de la société et participer ainsi aux réformes de demain. »
« Le CESE peut aider à porter les débats à la hauteur des enjeux et non
des intérêts. Il peut aider à mettre en place des solutions durables quand la
société exige et ne vit que de court terme. Il peut permettre la préparation
des réformes pour le décideur et surtout l’appropriation des enjeux par
les acteurs de la réforme et les citoyens. Il peut concilier la compétitivité
économique de notre pays, le souci du pacte républicain et social de notre
Nation, la préservation de notre environnement. Il peut amener le débat
sur le champ des valeurs : celles du travail, du respect, de l’éthique, de la
Les nouvelles orientations du CESE français 81

morale. Il peut le recentrer sur ce que l’on a quelquefois oublié ou négligé


ces dernières années : le respect de l’homme et de sa dignité. »
Le Président de la République dans son préambule déclarait :
« C’est en effet un nouveau chapitre de l’histoire de ce Conseil qui
s’est ouvert avec la révision constitutionnelle, puis la loi organique, qui
ont modifié en profondeur votre champ de compétences ainsi que votre
organisation, l’idée étant de vous permettre de mieux répondre aux
nouveaux défis de notre société. Avec l’approfondissement des droits du
Parlement, l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, la
création prochaine du Défenseur des droits, la réforme de votre Conseil
illustre clairement notre politique de renforcement des libertés publiques
et de rénovation de notre démocratie.
Votre Conseil occupe une place à part dans nos institutions. Troisième
assemblée reconnue par la Constitution, elle représente l’instance d’expression
des différentes composantes de ce qu’on appelle la société civile. »

Quelles sont ces nouvelles orientations ?


• Des missions nouvelles et élargies
Depuis 1958, le Conseil économique et social, par des saisines
gouvernementales ou autosaisines, avait pour mission principale d’assurer
la participation de la société civile à la politique économique et sociale du
gouvernement.
En vertu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, il peut
aujourd’hui être également saisi par l’Assemblée nationale ou le Sénat sur
tout sujet à caractère économique, social et désormais environnemental.
En outre, il doit favoriser le dialogue entre les catégories socio-
professionnelles, contribuer à l’évaluation des politiques publiques entrant
dans son champ de compétences, promouvoir un dialogue constructif avec
ses homologues, tant au plan régional, local qu’international et contribuer
à l’information des citoyens.
En conséquence, le Conseil peut être saisi par :
– le Premier ministre ;
– le président de l’Assemblée nationale ;
– le président du Sénat ;
– par voie de pétition.
82 Christiane Therry

• Une composition en phase avec l’évolution de la société


La composition du Conseil économique, social et environnemental
a été modifiée pour permettre notamment l’entrée au Palais d’Iéna de
représentants de la protection de la nature et de l’environnement, des
jeunes et des étudiants.
Les 233 membres du Conseil sont répartis en trois grands pôles : le
premier rassemble les acteurs de la vie économique et du dialogue social ;
le deuxième représente les acteurs de la vie associative et de la cohésion
sociale et territoriale. Le handicap, le sport, le monde scientifique et le
monde culturel sont intégrés au titre des personnalités qualifiées. Le
troisième pôle est constitué, dans la logique du Grenelle de l’environnement,
de représentants des associations et fondations agissant dans le domaine de
la protection de l’environnement et du développement durable.
Les groupes représentés sont : les associations, l’environnement, la
mutualité, l’Union nationale des associations familiales, les étudiants,
les syndicats représentatifs, les professions libérales, les entreprises, les
personnes qualifiées, les artisans, la coopération, l’outre-mer, l’agriculture.
Chaque conseiller ne pourra pas renouveler plus d’une fois son mandat
de 5 ans.
La mission donnée par le président Delevoye à chaque conseiller :
exemplarité, exigence et ambition.
Les rapports devront être plus courts.

• Une institution désormais accessible aux citoyens


Désormais, le Conseil peut être saisi par voie de pétition de toute
question à caractère économique, social et environnemental. Cette pétition
– signée par au moins 500 000 personnes majeures (de nationalité française
ou résidant régulièrement en France) – est adressée, par un mandataire
unique, au président du Conseil. Le bureau statue sur sa recevabilité, et
dans un délai d’un an le Conseil se prononce, par un avis en assemblée
plénière, sur les questions soulevées et les suites à y donner.

• Une assemblée féminisée


La loi précise que toute « organisation […] appelée à désigner plus d’un
membre […] procède à ces désignations de telle sorte que l’écart entre
le nombre des hommes désignés, d’une part, et des femmes désignées,
Les nouvelles orientations du CESE français 83

d’autre part, ne soit pas supérieur à un. La même règle s’applique à la


désignation des personnalités qualifiées ». En conséquence, alors que le
pourcentage de femmes était de 21,50 % pour la mandature précédente, il
est de plus de 40 % pour la mandature 2010-2015.

• Une assemblée rajeunie


L’âge minimum requis pour être désigné membre du Conseil était
jusqu’à présent de 25 ans. La loi organique abaisse ce seuil à 18 ans.
L’adoption du nouveau règlement intérieur en décembre 2010 définit
les sections et leur champ de compétence.
Chaque section peut compter jusqu’à 30 membres et tous les groupes
siègent dans les sections. Elles sont présidées par un président et un vice-
président élus au sein de la section pour le temps du mandat.
Les sections se réunissent une fois par semaine en général, et il est prévu
de réunir une séance plénière sur deux jours toutes les deux semaines.

• Une assemblée souhaitant une évolution en 8 sections et 3 délégations


– Section du travail et de l’emploi : relations de travail, politique de
l’emploi, organisation, contenu et qualité du travail, mobilité, conditions
de travail et droits des travailleurs salariés et non salariés, formation
professionnelle et tout au long de la vie.
– Section de l’économie et des finances : politiques économiques et
financières, rapport annuel sur l’état de la France, répartition et évolution
du revenu national, information économique et financière, questions
relatives à l’épargne et au crédit, au système bancaire et d’assurances, aux
finances publiques et à la fiscalité.
– Section de l’aménagement durable des territoires : décentralisation,
développement régional, planification et organisation territoriales,
développement local et aménagement du territoire, urbanisme et logement,
équipements collectifs, transports, communications, tourisme.
– Section des affaires européennes et internationales : coopération et
aide au développement, questions bilatérales et multilatérales, relations
internationales, questions migratoires des populations, questions
européennes, relations avec les institutions internationales, Union
européenne, francophonie.
84 Christiane Therry

– Section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation  :


agriculture, monde rural, économie sociale agricole, pêche maritime et
aquaculture, forêt et bois, sécurité et indépendance alimentaires, industries
agroalimentaires et productions agricoles non alimentaires.
– Section de l’environnement  : protection et valorisation de
l’environnement, changement climatique, biodiversité, mer et océans,
transition énergétique, prévention, gestion et réparation des risques
environnementaux, qualité de l’habitat.
– Section des activités économiques : matières premières énergies,
industrie, commerce, artisanat, services, économie sociale, production
et consommation, protection des consommateurs, recherche et du
développement, innovation technologique, compétitivité.
–  Section de l’éducation, de la culture et de la communication : formation
initiale, orientation et insertion des jeunes, enseignement supérieur et
recherche, citoyenneté, accès aux droits, société de l’information, diffusion
des savoirs, activités culturelles, sportives et de loisirs.
– Délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques
publiques.
– Délégation à l’Outre-mer.
– Délégation aux droits des femmes et à l’égalité.

• Fonctionnement de l’assemblée
– Un Président élu.
–Un bureau élu composé ainsi  : 1 président, 6 vice-présidents,
2 questeurs, 4 secrétaires et 6 membres.
– Un budget de 37,596 millions d’euros.
Près des deux tiers de ce budget sont consacrés au paiement des
indemnités des conseillers, de leurs frais de déplacement et au financement
de leur caisse de retraites. Le dernier tiers représente la rémunération des
fonctionnaires de l’assemblée, les dépenses de fonctionnement courant et
l’entretien du Palais d’Iéna, siège de l’assemblée.

• Chronologie de la saisine du Conseil à la parution de l’avis


Bureau
– Adoption / Enregistrement des saisines
– Transmission à une formation de travail
Les nouvelles orientations du CESE français 85

– Fixation du délai des travaux


– Examen des suites à donner aux pétitions
– Saisine du gouvernement
– Saisine du président de l’Assemblée nationale
– Saisine du président du Sénat
– Autosaisine émanant d’un groupe ou d’une section
– Saisine par voie de pétition
Section
– Désignation d’un rapporteur
– Rédaction d’un projet d’avis et vote pour transmission à l’assemblée
plénière
Séance plénière
– Exposé du rapporteur
– Discussion générale
– Intervention du ministre
– Dépôt des amendements
Section
– Examen des amendements
Séance plénière
– Réponse du rapporteur aux orateurs
– Examen et vote des amendements
– Explication des votes
– Vote final
Communication-diffusion
– Gouvernement / Parlement
– Opinion publique :
Présence du public
Information médias
Publication Journal officiel
Mise en ligne sur www.ces.fr
La concertation et le dialogue social dans
les avancées démocratiques :
expérience du Conseil économique social
et environnemental de France
Elisabeth Dahan

Le Conseil économique social et environnemental (CESE) de France


est une institution ancienne, créé sous sa forme initiale en 1925 et qui su
se moderniser récemment (1) pour s’adapter aux mutations de la société
française et aux évolutions du monde qui impactent directement nos
groupes sociaux professionnels.
Quatre mesures ont contribué à un renouvellement important des
membres (2) du Conseil, tout en maintenant le nombre de conseillers (233),
désormais inscrit dans la Constitution :
– Le CESE intègre le développement durable. C’est une tendance forte
de notre société qui répond à une attente des organisations de la protection
de la nature et de l’environnement, dont l’engagement et l’esprit militant
sont remarqués. Le CESE a ainsi travaillé ces derniers mois sur des sujets
majeurs en matière environnementale (3). Et lors de la conférence française
préparatoire au sommet de Rio+20 qui s’est tenue au CESE en janvier 2012,
les pouvoirs publics français aux côtés de la société civile se sont déclarés
favorables à la création d’une Organisation mondiale de l’environnement.
– La parité imposée à chaque groupe aboutit à une représentation
proche de la parité (47 % de femmes (4)).

(1) Révision constitutionnelle de 2008 et loi organique de 2010.


(2) Le CESE est organisé autour de trois grands pôles : 140 acteurs de la vie économique et du
dialogue social dont 10 personnalités qualifiées ; 60 acteurs de la vie associative et de la cohésion
sociale et territoriale parmi lesquels 15 personnalités qualifiées ; 33 représentants de la protection
de la nature et de l’environnement, réparties en deux catégories, à savoir 18 représentants des
associations et fondations et 15 personnalités qualifiées.
(3) La sécurité des plate-formes pétrolières, les négociations climatiques à l’aune de la conférence
de Durban, les énergies renouvelables en Outre-Mer, l’évaluation du Grenelle de l’environnement,
la biodiversité, Rio+20, l’efficacité énergétique, la valorisation de la forêt française.
(4) Soit un taux deux fois plus élevé que dans les deux assemblées parlementaires. Il était de 21%
dans la précédente mandature.
88 Elisabeth Dahan

– La limite d’âge des conseillers a été abaissée de 25 à 18 ans. La


jeunesse (5) y est ainsi représentée et s’est constituée en groupe.
– Le nombre de mandats consécutifs est limité à deux au maximum
(soit dix ans). La moyenne d’âge passe de 63 ans (mandature précédente)
à 57 ans.
Le Conseil est doté de nouvelles attributions, qui lui permettent
d’inscrire ses réflexions dans une approche du temps long et moins dans
l’immédiateté du temps politique :
– il peut à présent être saisi par le gouvernement mais aussi par les
présidents des deux assemblées ;
– il donne son avis sur les projets de loi de programmation définissant
les orientations pluriannuelles des finances publiques, domaine
réservé jusqu’alors du Parlement ;
– il peut être saisi par les citoyens par voie de pétition (500 000 personnes
majeures(6), de nationalité française ou résidant régulièrement en
France) ;
– il dispose d’une plus large part laissée à l’initiative, et peut appeler
l’attention du Gouvernement et du Parlement sur les réformes qui lui
paraissent nécessaires ;
– enfin, il peut s’appuyer dorénavant sur une base juridique pour
développer son activité internationale : le CESE « promeut une
politique de dialogue et de coopération avec les assemblées
consultatives créées auprès des collectivités territoriales et auprès de
ses homologues européens et étrangers (7) ».
Ces modifications d’ordre constitutionnel et législatif ont entraîné
de nouvelles méthodes de travail. Ainsi, pour traiter de l’avenir de notre
jeunesse et des générations futures, deux nouvelles sections ont été créées
par la fusion d’autres sections : « l’environnement », et « l’éducation, la
culture et la communication ». Deux nouvelles délégations ont également
été créées : délégation à la prospective et à l’évaluation des politiques
publiques et délégation à l’outre-mer. Par ailleurs, les avis sont plus
polémiques, plus « clivants », pour intégrer explicitement les éléments
faisant débat qui sont aussi utiles aux décideurs politiques que les éléments

(5) Représentation des organisations étudiantes et des mouvements de la Jeunesse.


(6) Soit environ 2 % du corps électoral.
(7) Article 1 de la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010.
La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques 89

de consensus. En parallèle, une politique de communication accompagne


ces changements pour une meilleure utilisation des avis, pendant et après
la réalisation des travaux. Cela s’est traduit par la création d’un nouveau
site internet permettant notamment de s’abonner à des flux d’information
par avis ou par formation de travail. Les travaux sont également diffusés
sur les réseaux sociaux twitter et facebook. Les relations avec la presse se
sont intensifiées également. Ces innovations et mutations ont été voulues et
accompagnées par le président Jean-Paul Delevoye pour projeter le CESE
sur le temps long. Alors que l’Assemblée nationale est l’espace des partis
politiques, le Sénat l’espace de la représentation des territoires, le CESE
s’inscrit dans une dynamique qui doit échapper aux aléas des élections. Le
rôle de la société civile n’est pas d’entrer en concurrence ou en compétition
avec les politiques, mais il est complémentaire afin d’assurer une vision à
long terme recueillant le plus large consensus possible.
Depuis 2011, le Conseil a noué des relations beaucoup plus étroites
avec le gouvernement et le Parlement. Sur dix mois, les saisines
gouvernementales ont été deux fois plus nombreuses que la moyenne des
dix dernières années et cinq fois plus que la dernière année de la mandature
précédente (8).
De plus, le Conseil a fait l’objet de plusieurs visites de la part des
responsables politiques, et nos rapporteurs ont été auditionnés dans les
cabinets ministériels et dans les commissions parlementaires. Et des travaux
ont été réalisés en commun avec les délégations prospectives du Sénat et du
Conseil. Cette tendance de concertation avec les acteurs politiques devrait
se confirmer et s’intensifier, ainsi que l’a indiqué M. François Hollande,
président de la République, lors de sa venue au Conseil le 12 juin 2012.
Le CESE accueillera d’ailleurs, les 9 et 10 juillet 2012, la Conférence
sociale qui devra permettre l’ouverture d’une réflexion et d’un dialogue

(8) Aperçu des thèmes sur lesquels le CESE a travaillé ou travaille depuis sa rentrée en janvier
2011 : la future PAC après 2013 ; la dépendance des personnes âgées (saisine gouvernementale) ;
la réforme du service public de l’emploi ; la biodiversité (saisine gouvernementale) ; la protection
sociale (saisine gouvernementale) ; les énergies renouvelables outre-mer ; les enjeux du G20
(saisine gouvernementale) ; les inégalités à l’école ; le Programme national de renouvellement
urbain ; la compétitivité (Saisine gouvernementale) ; les négociations climatiques internationales ;
pour un renforcement de la coopération régionale des Outre-mer ; droits formels / droits réels :
améliorer le recours aux droits sociaux des jeunes ; la dette : un pont entre passé et avenir ; femmes
et précarité ; l’emploi des jeunes ; l’investissement public ; les défis de la transition de la filière
automobile ; le coût économique et social de l’autisme ; principe de précaution et dynamique
d’innovation…
90 Elisabeth Dahan

entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics (9). A travers la tenue
de très nombreux événements en son sein, le Conseil s’est transformée en
maison des citoyens. Il s’est ouvert aux colloques, aux événements où se
côtoient les jeunes, les parlementaires, les retraités, les media, les acteurs
du dialogue socio-professionnel et de l’économie sociale, les artistes. Le
Conseil accueille des événements dans une démarche de participation
citoyenne (avec les Conseils de jeunesse de la ville de Paris, l’université
populaire ATD Quart-Monde) et caritative (conférence de presse Trisomie,
aide alimentaire, ventes aux enchères au profit de SOS-Racisme, accueil
de la Croix Rouge, du Secours populaire). De plus, le Conseil étant un lieu
neutre, apolitique, il a accueilli le colloque Laïcité, avec toutes les religions
et obédiences. Il organise chaque année un grand colloque international
pluridisciplinaire sur le vivre ensemble. Bien qu’il n’ait aucun lien de
hiérarchie avec les institutions régionales, le Conseil cherche à assurer
la meilleure prise en compte des intérêts des régions. Il sollicite donc
systématiquement les conseils économiques sociaux et environnementaux
régionaux (CESER) sur des saisines ayant des aspects locaux importants,
notamment dans le domaine de compétence des régions : dépendance,
formation professionnelle, ouverture à la concurrence du rail.
Cette collaboration au niveau local s’accompagne d’un fort engagement
au niveau européen et international. Le Conseil s’est recentré sur les
réseaux européens, méditerranéens (10) et francophones. Avec le Comité
économique et social européen, l’engagement est de fond : déplacement de
l’ensemble des présidents de section et des délégations pour une rencontre
avec leurs homologues européens ; co-organisation d’un colloque avec
le Conseil de l’Europe sur la charte sociale. Le futur de nos sociétés
sera commun et sera européen. En parallèle, le Conseil est membre de
l’Union des conseils économiques et sociaux et institutions similaires
des Etats et gouvernements membres de la Francophonie (UCESIF) ; l’un
des quinze membres des réseaux institutionnels de la Francophonie qui
représentent autant d’appuis à la bonne gouvernance. En effet, les conseils

(9) Les tables rondes porteront sur l’emploi (et tout particulièrement la priorité de l’emploi des
jeunes) ; la formation professionnelle, initiale et tout au long de la vie ; la rémunération et le
pouvoir d’achat ; le redressement de l’appareil productif national ; l’égalité professionnelle entre
hommes et femmes et la qualité de vie au travail ; l’avenir des retraites et le financement de la
protection sociale ; l’Etat, les puissances publiques, les collectivités et le service public.
(10) Convention de partenariat avec le CESE du Maroc, mise en place en février 2011.
La concertation et le dialogue social dans les avancées démocratiques 91

économiques et sociaux favorisent ainsi la consultation de la société civile


pour une meilleure décision publique.
Le Conseil économique, social et environnemental de France constitue
donc un lieu d’échanges et d’événements où l’on parle tous les jours des
citoyens, un lieu de convergence facilitant le dialogue nécessaire pour
répondre aux défis (11) majeurs à relever.

(11) Nos sociétés doivent trouver des solutions au défi alimentaire et agricole, au défi climatique et
énergétique, au défi social et au défi économique ; ces défis étant liés entre eux.
Le rôle des conseils économiques et sociaux
dans la promotion de l’économie sociale de marché,
prospère et solidaire
José Albino da Silva Peneda *

Introduction
J’ai la forte conviction qu’à l’heure actuelle les systèmes basés sur
l’économie sociale de marché sont mieux placés que les autres pour
consolider la paix et la prospérité. Dans cette communication je vais essayer
de souligner l’importance qu’une nouvelle culture – laquelle j’appellerais
de coopération, de négociation et de compromis – peut avoir dans les
économies sociales de marché, dans le but de favoriser la naissance d’une
ambiance dans laquelle puissent être développées des formes de dialogue
structuré entre les gouvernements et les agents économiques et sociaux.
Dans la dernière partie de ce texte j’aurais encore l’opportunité de
définir un ensemble de conditions pour que l’exercice de cette forme de
dialogue ne reste pas associée à des simples figures de rhétorique sans
aucun contenu pratique, mais contribue à la définition et au suivi des
politiques économiques et sociales.

Les avantages d’un système basé sur l’économie sociale de


marché
Un système basé sur le concept d’« économie sociale de marché »
consiste dans l’idée qu’il y a une complémentarité évidente entre les
mécanismes du marche libre et l’équité sociale. En fait, l’économie sociale
de marché exige non seulement une dimension matérielle ou économique
mais aussi une autre, tout aussi importante, appelée dimension sociale ou
humaine. Ainsi, si le concept d’économie sociale de marché recouvre le
souci de lutter contre les inégalités sociales, en créant les conditions de
l’égalité des chances ; il reste préoccupé aussi par l’inefficacité dans la

* Président du CES du Portugal.


94 José Albino da Silva Peneda

répartition des ressources, et dans ce sens il devrait promouvoir une saine


concurrence entre les différents acteurs économiques.
Une économie sociale de marché ne présuppose ni la centralisation
de l’activité économique, ni la déréglementation totale du marché sans
aucune forme de redistribution des revenus. En fait, dans le concept
d’économie sociale de marché, l’équité et l’efficacité ne sont pas considé-
rées comme contradictoires, mais comme des aspects complémentaires et
interdépendants.
Le concept d’économie sociale de marché exige également l’existence
d’une société où les êtres humains vivent dans la liberté, une liberté qui
trouve cependant ses limites dans l’exigence de justice, et, par conséquent,
l’économie sociale de marché ne peut fonctionner ni dans une société où
il y a la liberté mais sans la justice, ni dans celle où il y a la justice mais
sans la liberté. On est seulement libre quand on vit dans une société de
paix, de prospérité et démocratique où règnent l’égalité de tous devant la
loi, le respect de l’État de droit et des droits de l’homme et où chacun peut
profiter d’une véritable égalité des chances dans l’accès à l’éducation, à la
formation et à l’emploi. La solidarité est également un pilier fondamental
d’une société basée sur l’économie sociale de marché, ce qui signifie que
l’organisation des pouvoirs publics doit prévoir et développer des systèmes
privés ou mixtes de protection contre les vicissitudes de la vie telles que la
maladie, la vieillesse, le chômage, l’invalidité ou le décès.
Le respect des valeurs associées à la liberté, la démocratie et les droits
de l’homme ne se limite pas aux élections. A notre époque, le chemin
pour la paix et la prospérité exige la mise en place de platesformes pour
permettre la tenue d’un dialogue structuré entre les gouvernements et les
représentants des différents intérêts économiques et sociaux. Il suppose
l’existence des processus qui permettent la coopération entre les agents
économiques, sociaux et autres, pour la conception et la mise en œuvre des
politiques économiques et sociales.
Dans la situation de crise que nous vivons, cette conviction se trouve
renforcée parce que la solution des problèmes auxquels nous sommes
confrontés n’est compatible ni avec les approches simplistes, ni avec les
modes d’action individuels, même si on a un pouvoir étendu. En effet, le
phénomène de la mondialisation a conduit à la restructuration de presque
tous les secteurs de l’économie et à de profonds changements dans les
Le rôle des conseils économiques et sociaux 95

marchés du travail et dans les relations sociales, tout cela dans le but de
rechercher des niveaux plus élevés de compétitivité. Définitivement, la
mondialisation n’est pas une question d’économie. À cet égard, je cite le
prix Nobel, Joseph Stiglitz, pour qui « le débat sur la mondialisation est
devenue si intense, non seulement en raison du bien-être économique,
mais aussi à cause de la nature de notre société, peut-être parce que ce
qui est en question c´est la survie de cette société que nous connaissons
si bien ».

Une nouvelle culture de coopération, de négociation et de


compromis
Dans ce cadre, il sera très important de développer une culture fondée
sur la coopération, la négociation et le compromis, qui va remplacer
progressivement celle basée sur le conflit.
Le chemin qui y mènera sera beaucoup plus facile si le niveau de
confiance mutuelle existant entre les partenaires sociaux est élevé. Les
niveaux de confiance seront, d’un autre côté, d’autant plus élevés que le
dialogue social sera intense. De même, plus la transparence est grande dans
les processus décisionnels liés à l’ajustement ou à la restructuration, plus
le dialogue social est intense. Ainsi, les acteurs politiques, économiques
et sociaux ne devraient pas manquer de tenir compte de la nécessité de
réviser et de moderniser les mécanismes concernant la consultation et
la participation des agents économiques et sociaux pour être en mesure
d’obtenir un cadre légal et efficace capable de promouvoir l’articulation
d’un dialogue structuré. C’est dans ce contexte que le rôle joué par les
Conseils économiques et sociaux peuvent avoir une grande importance.
A un moment où partout l’on voit des changements qui se produisent
à un rythme qu’aucune autre époque n’avait connu auparavant, on doit,
par tous les moyens, essayer de minimiser les risques associés à ces
changements. La façon la plus directe pour les réduire, c’est la promotion
d’une meilleure sécurité dans le changement, parce que plus il y a de
risques, plus la sécurité doit être assurée. La sécurité doit précéder la
flexibilité, car seuls ceux qui sont sûrs d’eux et des conditions qui les
entourent peuvent devenir plus flexibles. C’est là que devraient intervenir
les systèmes de dialogue structuré pour permettre une analyse commune
des problèmes et, si possible, obtenir des platesformes de compréhension
96 José Albino da Silva Peneda

entre les gouvernements et les partenaires sociaux pour la définition des


responsabilités autour de stratégies qu’ils décident de concevoir et mettre
en œuvre ensemble.
Les caractéristiques des sociétés des temps présents sont très différentes
de celles d’une époque assez récente. Les sociétés d’aujourd’hui se
présentent avec une plus grande diversité et une plus grande mobilité.
Elles sont plus complexes et fragmentées. Les migrations, les différences
culturelles, économiques et les changements dans les structures familiales
et sociales ont contribué à la diversité croissante de la société. L’expansion
des valeurs démocratiques a facilité aux individus et aux groupes d’intérêt
l’action, l’organisation et l’expression de leurs intérêts. Aussi assiste-t-
on à l’émergence de nouvelles formes d’organisation et d’action pour
faire pression sur les gouvernements afin de s’assurer que les processus
d’élaboration des politiques associent de nouveaux participants. La
réponse à cette évolution ne peut être assurée que sur la base d’un dialogue
structuré.
Une autre caractéristique des temps modernes est l’importance
croissante des interdépendances, qu’elles soient financières, économiques,
entre les marchés ou les processus. Ce niveau élevé d’interdépendance
entre tout et tout le monde explique que les processus de prise de décision
sont devenus plus complexes car ils doivent tenir compte des différents
intérêts, même les plus opposés. Une bonne perception des risques associés
à la prise de décisions exige que l’on connaisse en détail les motivations
des agents impliqués, et cela ne peut être accompli que sur la base d’un
dialogue structuré.
Le moment présent exige que les gouvernements suivent et essayent
de comprendre et d’anticiper les intérêts des groupes dans la société.
L’approche adaptative, qui se traduit par une réaction aux situations
dans la seule mesure où elles deviennent des problèmes, a donné lieu à
des réponses inadéquates et tardives parce que passé le temps que les
gouvernements réagissent à un problème donné, l’éventail des options se
trouve déjà très rétréci.
Les gouvernements n’ont plus le monopole des services, ni celui
de l’autorité. L’idée traditionnelle d’une autorité unique, avec des
responsabilités pour la population d’un territoire défini et avec des
ressources relativement fixes, n’existe plus. Au niveau international, les
Le rôle des conseils économiques et sociaux 97

gouvernements abdiquent volontairement une part de leur autorité en


échange d’une plus grande sécurité, de la coopération et de la poursuite
des économies d’échelle. La mondialisation a ouvert la société à d’autres
influences et à de nouveaux modèles de gouvernance. La démocratisation
a mis les citoyens en présence d’une plus grande diversité d’utilisations
possibles des nouvelles technologies et de nouvelles façons pour les
groupes de s’organiser et de faire passer leurs messages aux électeurs.
Bien que les groupes d’intérêt ne soient pas nouveaux, la prolifération et
l’évolution du pouvoir d’influence de ces groupes sont en train de presser
les gouvernements et les pouvoirs publics d’élargir l’accès aux processus
d’élaboration des politiques à de nouveaux partenaires et participants.
Nous devons comprendre que les gouvernements ne sont qu’un “acteur”
parmi d’autres, dont certains sont très puissants. La participation accrue de
ces groupes renforce le processus démocratique et place les gouvernements
dans une meilleure position pour prévoir les désirs des citoyens, mais il
exige aussi qu’ils définissent les règles de participation. D’où l’importance
d’accroître le développement des systèmes de dialogue structuré.
Il est à espérer que les gouvernements jouent un rôle important dans
de nouveaux domaines comme la sécurité alimentaire, la protection
des consommateurs, la promotion de la concurrence, la réduction des
coûts des soins de santé et la protection de l’environnement, entre autres
responsabilités. Cette approche différente de l’activité des gouvernements
a tendance à être élaborée dans un cadre beaucoup plus exigeant parce
que la tendance est pour les gouvernements de faire plus, mais avec
l’obligation de le faire au moindre coût pour le contribuable. Ce processus
de satisfaire plus de besoins collectifs avec moins de ressources exige une
clarification des critères qui devraient être à la base de la définition des
priorités et que chacun peut comprendre. Dans ce processus politique, un
dialogue structuré peut être un outil très efficace pour maintenir la paix
sociale.
Pour toutes ces raisons, la pratique du dialogue structuré est la méthode
qui devrait être privilégiée. Ce point de vue, qui est un signe de modernité,
exige un grand effort de la part les différentes forces politiques et des
acteurs économiques et sociaux afin de s’habituer à distinguer l’essentiel de
l’accessoire dans leurs activités quotidiennes. Cette attitude sera en mesure
de contribuer à la réalisation de l’objectif le plus important : faire croître
l’économie à un rythme qui permette de réduire très significativement le
98 José Albino da Silva Peneda

volume du chômage, aspect essentiel pour parvenir à une économie de


marché prospère et solidaire.
Une culture fondée sur le dialogue, la négociation et le compromis
pourra contribuer à la promotion d’une économie sociale de marché
prospère et unie, seulement si elle est développée en conformité avec les
modèles culturels de chaque pays ou région. Ce sera toujours une erreur
d’essayer d’importer des modèles ou d’essayer de suivre un modèle
unique. Mais il est important d’apprendre des expériences des autres, et,
dans ce sens, une coopération aussi étroite que possible devrait être érigée
entre les différents acteurs qui, dans chaque pays, cherchent à développer
des formes de dialogue structuré.
D’ailleurs, cette réunion tenue à Rabat sur le rôle consultatif des
conseils économiques et sociaux dans les pays méditerranéens est un bon
exemple à cet égard.

Conditions pour un dialogue structuré plus efficace


Un processus de dialogue structuré ne peut pas être réduit à un simple
exercice de formalités de nature légale ou administrative. Si l’on emprunte
ce chemin, le résultat en serait une dévaluation du processus aux yeux de
l’opinion publique, et ce ne sera qu’une étape avant que soit remise en
question sa raison d’être même.
L’affirmation d’une réalité politique forte fondée sur le dialogue,
la négociation et le compromis ne sera possible que si, au départ, sont
définies quelques conditions préalables. Comme exemples, je retiens ici
quelques-unes des conditions que je considère comme indispensables,
fondées sur les leçons tirées de l’expérience d’un passé encore récent.
La première leçon, c’est que l’ère de l’expérience néolibérale a échoué,
et la soi-disant autorégulation du marché n’est seulement qu’une théorie
sans prise sur la réalité parce que, tout simplement, et comme cela a été
démontré récemment, le marché ne peut pas, par lui-même, s’autoréguler.
L’intervention des gouvernements est essentielle.
La deuxième leçon découle du rôle excessif joué de plus en plus par le
secteur financier depuis une époque récente. Le système financier dans son
ensemble doit être restructuré pour devenir plus transparent et au service
de l’économie réelle. Il faut pénaliser les spéculations et encourager
Le rôle des conseils économiques et sociaux 99

les investissements productifs. En termes simples, nous devons mettre


l’argent au service de ceux qui créent les richesses et les emplois. Ceux qui
spéculent doivent être pénalisés financièrement, ceux qui créent richesses
et emplois doivent être encouragés.
La troisième leçon est que l’économie doit être constamment surveillée,
auditée et évaluée. C’est seulement de la sorte qu’elle peut être mieux
considérée par la plupart des citoyens et mériter leur confiance.
La quatrième leçon est que les politiciens doivent exclure de leurs
discours l’utopie des lendemains qui chantent et les fausses promesses que
demain tout ira mieux. De telles pratiques ne mènent qu’aux désillusions et
tuent l’espoir, car personne ne croit plus à ces discours ni ne croit ceux qui
les prononcent. Seules la vérité et la réalité peuvent donner l’espoir.
Axe III
Les pays du groupe de Višegrad
de l’Europe centrale
Le groupe de Višegrad :
quelle leçon pour les pays du Maghreb !?
Abdelouhab Maalmi

Il n’est pas inutile d’étudier les rapports entre le Maroc et le groupe


de Višegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et la Slovaquie),
même s’ils restent limités et demandent à être développés dans l’intérêt
des deux parties : le Maroc cherche toujours la diversification, source
d’enrichissement ; les pays de Višegrad, groupement encore jeune, testent
leur capacité à agir ensemble et cherchent à s’affirmer sur la scène
internationale.
Mais les vraies perspectives à cet égard sont, à nos yeux, non pas
tant les relations entre le groupe de Višegrad et le Maroc, lesquelles
demeureront toujours asymétriques, que celles entre le groupe de Višegrad
et le Maghreb. Or, tandis que le groupe de Višegrad semble monter et
s’affirmer, l’Union du Maghreb Arabe (UMA), elle, est tombée dans
l’oubli et n’existe pratiquement plus que sur le papier. De sorte qu’on
est ici en présence d’une véritable dissymétrie : une succes story face à
une failure story. D’où notre interrogation : quels enseignements peut-on
tirer, du côté-ci de la Méditerranée, de l’expérience des pays du groupe
de Višegrad ? Et aussi notre admiration : quelle belle leçon ces derniers
administrent aux pays du Maghreb !
Notre propos ici est de comparer ces deux expériences d’intégration
et de tenter d’expliquer pourquoi l’une a réussi et l’autre a échoué. On
peut mettre en doute ce rapprochement entre les deux expériences ou la
réductibilité de l’une à l’autre. Or, à les regarder de près on est frappé
par le nombre de ressemblances qu’il y a entre les deux ensembles au
point que la comparaison de leurs marches respectives vers l’union et de
leurs résultats n’est pas sans utilité. Aussi trois questions s’imposent-elles
d’elles-mêmes à cet égard, auxquelles on va tenter de répondre dans trois
sections différentes de ce travail :
– quelles sont les clés du succès du groupe de Višegrad ?
– comment apparaît l’échec de l’UMA à la lumière de l’expérience du
groupe de Višegrad ?
104 Abdelouhab Maalmi

– et quels enseignements l’expérience du groupe de Višegrad autorise-


t-elle à tirer pour les pays du Maghreb ?

Les clés de succès du groupe de Višegrad


Malgré les difficultés de départ, l’expérience d’intégration du groupe
de Višegrad (GV) peut être considérée comme une réussite. Dans quelle
mesure l’est-elle ? Et comment cela s’explique-t-il ?

Le GV : une expérience réussie


Créé en 1991 à Višegrad (Hongrie) par trois pays de l’Europe centrale
(Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie) et après une rupture qui a duré
cinq ans, de 1993 à 1998, provoquée par la scission à l’amiable de
la Tchécoslovaquie en deux pays séparés et souverains (Tchéquie et
Slovaquie), le GV, désormais composé de quatre nations, a pu réaliser
deux choses qui sont deux manifestations essentielles de tout intégration
réussie : triompher des divisions internes et des plaies du passé ; taire les
divergences et parler d’une seule voix vis-à-vis de l’extérieur.

Triomphe sur les facteurs de division


Malgré la proximité géographique, les pays du GV n’ont connu
que de rares moments d’unité par le passé entre le 14e et le 17e siècle,
autour de la Pologne et de la Hongrie. Leur histoire a été plutôt jalonnée,
dans sa majeure partie, d’invasions, de partages, d’amputations et de
regroupements imposés par des puissances étrangères, qu’il s’agisse des
Germains, des Russes, des Turcs ou des Suédois. D’autre part, l’harmonie
n’a jamais été le fort de ces pays, même après 1945 et sous la domination
communiste. Les ambitions historiques de la Pologne et de la Hongrie, les
nationalismes exacerbés au lendemain de la Première Guerre mondiale
et l’effondrement de l’Empire austro-hongrois, le ralliement nazi de
la Hongrie et de la Slovaquie durant la Seconde Guerre mondiale, les
interventions des forces du Pacte de Varsovie en Hongrie (Printemps
hongrois de 1956) et en Tchécoslovaquie (Printemps de Prague en 1968)
ont laissé des souvenirs douloureux et des plaies durables parmi les
membres du GV (Hongrois et Slovaques contre Polonais et Tchèques,
Slovaques contre Hongrois, Slovaques contre Tchèques, Polonais contre
Slovaques et Hongrois, Hongrois, Tchèques et Slovaques contre Polonais)
Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !? 105

et qui, dès le glacis soviétique effondré, ont ressurgi à la surface et failli


emporter à jamais le projet d’union du groupe.
En effet, dès la chute de l’ordre communiste en 1989, des idéologies
nationales font un retour en force pour reconstruire les Etats, ce qui
va susciter des ambitions et des craintes et diviser les nouvelles élites
dirigeantes. Le problème des minorités hongroises, notamment en Slovaquie
(20% de la population), met en péril la coexistence de la Hongrie avec ses
voisins. La Pologne, de par son poids à la fois territorial et démographique
(pratiquement le double de celui des trois autres pays réunis) et de par son
histoire soulève crainte et méfiance chez ses partenaires du groupe. Le
désir des pays du groupe d’adhérer à la Communauté européenne attise
encore leurs rivalités pour s’assurer les faveurs de celle-ci. Les nouvelles
élites dirigeantes, enfin, n’ayant pas la même perception des menaces
extérieures ni de l’avenir en commun, portent leur espoir ailleurs et
privilégient de nouer des relations bilatérales avec les organisations et les
puissances extérieures.
Aussi en 1993, deux ans après l’accord de Višegrad, un coup d’arrêt est
donné à la dynamique d’intégration, les Tchèques, suite à la partition de la
Tchécoslovaquie dont les inégalités territoriales nourrissaient le ‘complexe
slovaque’, ayant choisi de prendre leurs distances par rapport au processus
de Višegrad.
Toutefois, la crise de 1993 va être surmontée, et les quatre pays de
l’Europe centrale vont pouvoir reprendre leur processus d’intégration en
1998. Depuis, le groupe de Višegrad accumule les succès : des sommets et
rencontres ministériels se tiennent régulièrement; une présidence annuelle
responsable est assurée sur la base d’un plan d’action sérieux en vue
d’une meilleure coopération sous-régionale sur le plan à la fois intérieur
et extérieur; mise en place d’un fonds, le Fonds international de Višegrad,
qui, conçu d’abord pour financer des projets culturels et d’éducation pour
mieux rapprocher les peuples des quatre nations et consolider leur union
et leur solidarité, va se consacrer ensuite à d’autres domaines tels que
l’énergie et l’environnement en termes d’expertise, de réflexions et de
recherches; création enfin d’une zone de libre-échange (avant intégration
dans l’UE en 2004) et enclenchement d’un processus d’harmonisation
des politiques commerciales qui ont vite conduit à un développement
vertigineux des échanges commerciaux entre les quatre pays du groupe.
106 Abdelouhab Maalmi

Parler d’une seule voix vis-à-vis de l’extérieur


Le GV, grâce à sa position géopolitique, devait à sa naissance relever
de grands défis quant à ses rapports avec son voisinage à l’est (Europe de
l’Est, Russie), à l’ouest (Europe occidentale, OTAN), et au sud (Balkans).
Ainsi les pays ont-il pu négocier ensemble leur accord d’association avec
la CEE, puis leur intégration dans l’UE (2004) et leur adhésion à l’OTAN
et à d’autres organisations européennes. Ils se sont imposés comme un
groupe influent au sein de l’UE, que ce soit pour peser sur ses politiques
extérieures telles que la PESC, la PESD ou la PEV, ainsi ont-ils été derrière
le Partenariat oriental initié par l’UE en 2008 avec les pays européens de
l’Est et les Balkans, ou pour défendre leurs intérêts propres. De même, ils
essaient d’harmoniser leurs positions vis-à-vis du reste du monde (Espace
euro-méditerranéen) et sur des questions telles que la sécurité ou l’énergie,
leur ambition étant d’apparaître, notamment depuis 2004, comme un
acteur international uni et solidaire, bien que des divergences les séparent
sur des questions telles que l’euro, la PAC, les institutions européennes ou
le bouclier anti-missiles américain en Europe de l’Est.
Bref, le GV subsiste et se renforce. Il a pu conserver sa cohésion
et survivre à de multiples crises et difficultés : la désintégration de la
Tchécoslovaquie et la suspension du processus qui s’est ensuivi (1993-
1998), la crise de 2002 entre la Slovaquie et la Hongrie à propos du
traitement des minorités hongroises, les divergences sur les relations
avec l’Allemagne et la Russie et l’intégration même dans l’UE, qui était
pourtant le but ultime et la motivation principale de la création du GV.
Comment alors cela s’explique-t-il ?

Les déterminants de la réussite


Plusieurs facteurs peuvent être évoqués pour expliquer le succès du GV :
• En premier lieu, la conscience forte chez les pays du GV d’occuper
une position géographique particulière au centre de l’Europe, laquelle, sans
frontières naturelles, a pu les exposer pendant des siècles aux invasions
extérieures, ce qui a pu forger chez eux, malgré tout, le sentiment d’un
destin commun.
• Deuxièmement, l’inquiétude née du vide laissé par la chute du Mur en
Europe centrale et orientale, de la réunification allemande, de la désintégration
de la Yougoslavie et de la guerre des Balkans qui s’est ensuivie.
Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !? 107

• Troisièmement, la méfiance commune à l’égard de Moscou, qui a non


seulement créé un désir ardent de s’unir mais aussi de chercher protection
à l’Ouest, notamment au sein de l’OTAN.
• Quatrièmement, le désir de s’affirmer sur la scène européenne face à
des solidarités qui existent déjà ou qui se forment à la faveur de la fin de
la guerre froide, comme le couple franco-allemand, la solidarité ibérique,
le Bénélux, le Conseil de la Baltique, la Communauté économique de la
Mer noire, etc.
• Cinquièmement, le rôle crucial qu’a pu jouer V. Havel, figure
charismatique de la dissidence anti-soviétique, dans la réalisation de
l’union sous-régionale, conséquence directe des rencontres effectuées
entre les dissidences des pays du glacis soviétique dans les années 70 et 80.
A cela il faut aussi ajouter le comportement mûr de la Pologne, qui n’a pas
cherché à jouer à l’hégémon, ainsi que l’entente cordiale qui a pu s’établir
entre cette dernière et sa vieille rivale, la Hongrie,
• Sixièmement, les pays du GV ont pu bénéficier aussi de leur longue
expérience de complémentarité et d’intégration, même sous l’égide de
Moscou, au sein du COMECON.
• Septièmement, le ressort fort qu’a constitué pour les membres du GV
la perspective d’adhésion à la fois à l’UE et l’OTAN.
• Huitièmement, l’appui et l’encouragement apportés par les Etats-
Unis au projet d’union des pays d’Europe centrale pour des raisons
géostratégiques évidentes liées aux luttes d’influence qui les opposent à
la Russie pour déterminer l’architecture de la nouvelle Europe centrale et
orientale de l’après-guerre froide.
• Neuvièmement enfin, l’engagement définitif des quatre pays du GV
dans la voie démocratique, combiné à la conviction réelle de ces pays
quant à la nécessité de l’intégration, notamment après 2004 quand le
groupe a accompli son objectif ultime initial d’adhérer à l’UE.

Le succès du Groupe de Višegrad et le cas des pays


du Maghreb
Avant d’examiner les facteurs d’échec du Grand Maghreb à la lumière
de l’expérience du groupe de Višegrad, essayons de voir si cette approche
est pertinente en faisant une brève comparaison entre les deux entités.
108 Abdelouhab Maalmi

Comparaison Grand Maghreb / Groupe de Višegrad


Laissons ici de côté les différences, et concentrons-nous sur les
ressemblances :
Comme le GV, les pays du Maghreb forment un petit groupe de
pays qui partagent une identité géographique, historique et culturelle
commune. Ils appartiennent également à une zone géographique qui a
des caractéristiques assez semblables : absence pratiquement de frontières
naturelles, exposition aux invasions étrangères, position de carrefour.
Ils ont aussi un passé commun qui remonte, quant à lui, à l’Antiquité,
durant lequel des phases d’unification ont alterné avec des phases de
division, et ce jusqu’au 13e siècle (fin de l’empire almohade et partage
définitif du Maghreb central en trois entités distinctes). Ils ont connu
également un embryon de nationalisme maghrébin pendant leur combat
pour l’indépendance contre les puissances coloniales dans les années 30-50
(l’équivalent des rencontres des dissidences sous l’ordre soviétique pour
le GV). Une fois l’indépendance acquise, ils développent, comme les pays
de Višegrad, des idéologies nationales (voire nationalistes) pour construire
le nouvel Etat post-colonial ; ils nouent des relations étroites et fortes avec
l’Europe communautaire ; ils ont un environnement géographique varié
(Europe, Afrique, monde arabe) qui leur impose une politique extérieure de
voisinage, de solidarité et d’intérêt multidimensionnelle ; ils tentent enfin
de se regrouper à trois, à quatre, puis à cinq à deux reprises, entre 1964
et 1975 (Comité permanent consultatif maghrébin, CPCM) et entre 1989
et 1994 (Union du Maghreb Arabe, gelée depuis 1994).

Échec du Grand Maghreb à la lumière de l’expérience du Groupe de


Višegrad
Contrairement au Groupe de Višegrad, les pays du Maghreb n’ont pu
réunir les conditions d’une intégration réussie. Ils n’ont pas eu d’abord une
convergence d’intérêts forts, les régimes politiques maghrébins et leurs
politiques extérieures ayant pris, après les indépendances, des trajectoires
fort différentes. Ils n’ont pu, deuxièmement, régler leurs contentieux
territoriaux hérités de l’ère coloniale (revendications marocaines,
tunisiennes et libyennes, méfiance algérienne et mauritanienne), d’où
des guerres (Algérie-Maroc, en 1963 et 1976) et des ruptures (Algérie-
Maroc, Maroc-Mauritanie). Ils n’ont pu, troisièmement, éviter les rivalités
mutuelles, les divisions et les malentendus pour des raisons idéologiques
Le groupe de Višegrad : quelle leçon pour les pays du Maghreb !? 109

(Maroc, Algérie, Libye de Kadhafi), de sécurité (Maroc) ou de puissance


(Algérie). Ils ont manqué, quatrièmement, d’un fédérateur extérieur comme
l’UE ou les USA pour le GV et d’une perception commune de la sécurité
comme le GV à l’égard de la Russie. Ils n’ont pu enfin, étant engagés dans
des voies politico-idéologiques divergentes, bénéficier d’un attachement à
des valeurs politiques communes, qu’elles fussent dynastiques (à l’instar
des pays du Conseil de coopération du Golfe) ou démocratiques (comme
les pays du GV).
Tels nous semblent être les principaux facteurs de l’échec du Grand
Maghreb comparés aux facteurs de réussite du Groupe de Višegrad. Quels
enseignements peut-on en tirer ?

Les leçons du Groupe de Višegrad pour les pays


du Maghreb
Ces leçons sont au nombre de cinq.
• La première leçon concerne le rôle crucial de la diplomatie, conjugué
à la détermination des dirigeants du GV à réussir leur projet d’intégration.
Etant un instrument de négociation et de résolution pacifique des conflits,
la diplomatie n’a pas connu le même succès au Maghreb qu’en Europe
centrale (scission à l’amiable de la Tchécoslovaquie, règlement du problème
des minorités hongroises, dépassement de la crise de 1993-1997). L’Union
du Maghreb arabe (UMA) a échoué parce que les diplomaties maghrébines
n’ont pas réussi à contourner les obstacles, à surmonter les conflits ou du
moins à les contenir ou les neutraliser. A rappeler que le conflit du Sahara
n’a pas empêché le rapprochement entre l’Algérie et le Maroc dans les
années 80 et la création de l’UMA en 1989, grâce justement à la diplomatie,
celle de Hassan II et de Chadli Bendjedid, et à l’aide de pays amis.
• La deuxième leçon réside dans la priorité donnée dans le processus
de Višegrad aux échanges commerciaux, aux relations culturelles, à la
coopération en matière d’éducation et de recherche scientifique et aux
rapports au niveau des sociétés civiles, objectif principal de la mise en place
en l’an 2000 du Fonds international de Višegrad. Il s’agissait de développer
des perceptions nouvelles et positives, de dépasser les stéréotypes hérités du
passé et de consolider le rapprochement entre les peuples du GV. Ce ne fut
pas le cas pour l’UMA, où les rapports politiques l’ont emporté sur le reste,
110 Abdelouhab Maalmi

au point que quand les relations se détériorent entre les gouvernements,


cela déteint sur l’ensemble des relations liant les pays membres.
• La troisième leçon réfère à la conviction ou l’intérêt que portent les
dirigeants et les élites des pays concernés au projet d’union. Les membres
du groupe de Višegrad n’ont pu reprendre le processus d’intégration
après la période d’interruption 1993-1998 que grâce aux changements de
direction intervenus en 1997-1998 dans chacun d’eux. Au Maghreb, en
dépit d’une rhétorique officielle sur l’unité maghrébine, il n’est nullement
sûr que toutes les élites dirigeantes ou intellectuelles partagent la même
conviction quant à la construction du Grand Maghreb, au-delà d’un
objectif lointain ou d’un idéal à atteindre.
• La quatrième leçon a trait à l’organisation de l’intégration. Le groupe
de Višegrad montre qu’il n’est nullement besoin d’une structure lourde
pour bien fonctionner. Fondé sur une simple déclaration (et non sur un
traité comme l’UMA), le GV fonctionne autour d’une présidence annuelle
tournante, d’un fonds commun de financement de projets, de sommets
annuels des premiers ministres et de réunions régulières des ministres
sectoriels et d’experts. On est loin de la structure autrement plus pesante,
mais infiniment moins efficace, adoptée par l’UMA. Comme si la forme
ici importait plus que le contenu, qu’elle était une fin en soi.
• La cinquième leçon enfin, intéresse les objectifs du projet de
regroupement. Le groupe de Višegrad s’est constitué d’abord autour
d’objectifs forts, peu nombreux, limités, clairs et réalisables, notamment
l’ouverture aux échanges commerciaux mutuels et l’adhésion à l’UE et à
l’OTAN, et ce n’est que dans une seconde étape, à partir de 2000-2004,
qu’une coopération plus large et plus approfondie a été entamée. Pour
l’UMA, dès l’abord, les objectifs étaient beaucoup plus ambitieux (voir
préambule, art. 2 et 3), relevant en fait plus de la rhétorique que d’un projet
réellement réalisable dans un temps raisonnable.
Tels sont, à nos yeux, les principales leçons qu’a pu nous inspirer
l’examen comparé des parcours respectifs du groupe de Višegrad en
Europe centrale et de l’UMA au Maghreb. Peut-on espérer qu’elles
soient retenues, et que surgiront des mouvements révolutionnaires ou
contestataires qui secouent le monde arabe depuis quelque temps, un
autre Maghreb, plus démocratique et plus intégré, comme hier le groupe
de Višegrad à l’issue des révolutions de 1989 ? Seul l’avenir nous le dira.
Le groupe Višegrad : une double
intégration raisonnée, quels enseignements
pour l’Afrique du Nord ?
Fouad M. Ammor *

La constitution du groupement régional Višegrad fut, dès le départ,


propulsée par un processus bicéphale : d’une part, la volonté de couper
avec le modèle de développement centralisé qui caractérisait ces pays
(leur appartenance au Comecon et au pacte de Varsovie avait fortement
impacté la configuration de leur système productif respectif), et, d’autre
part, la volonté de jeter les bases d’un développement régi par les lois du
marché.
Notre contribution se compose de deux parties : 1. l’établissement et le
cheminement commun du groupe Višegrad ; 2. les leçons à tirer de cette
expérience unique pour le Maroc dans son environnement régional.

1. L’établissement et le cheminement commun du groupe


Višegrad (V4)
Six grands moments scandent l’évolution de ce groupement régional,
sachant que ces pays à travers leur histoire respective et commune, ont
connu des évènements douloureux et des guerres récurrentes. Pour cette
expérience, il est à relever que la dynamique du changement commun
réduit le poids des legs historiques aussi douloureux soient-il. Il s’agit ici
d’une périodisation récente.
C’est dans ce sens qu’après la chute du rideau de fer en 1989, le
groupe (V4) a opté pour une économie ouverte sur son environnement à
la fois européen et international. Pour mieux se positionner sur l’échiquier
européen, il a décidé de jeter les bases d’une coopération régionale :
Au départ et avant la dissolution de la Tchécoslovaquie en 1993,
Višegrad se composait de 3 pays seulement (Triangle de Višegrad).

* GERM.
112 Fouad M. Ammor

(La République tchèque et la Slovaquie deviennent membres du Višegrad


après la dissolution de la Tchécoslovaquie en 1993.) Ces trois pays se
sont réunis dans la ville hongroise du nom de Višegrad, en février 1991,
pour mieux négocier leur coopération, d’une part, et leur intégration
européenne, d’autre part.
Les quatre pays du groupe Višegrad deviennent membres de l’Union
européenne le 1er mai 2004.
Face à leurs multiples problèmes (des infrastructures à mettre à jour,
des disparités économiques entre les régions, surtout en Pologne, la lutte
contre la corruption), les V4 ont tout fait pour réussir leur transition
d’une économie centralisée à une économie de marché. Ils sont partis de
l’existant et de leurs performances. La République tchèque et la Slovaquie
ont une industrie automobile très performante : les principaux producteurs
sont Skoda, Peugeot-Citroen, Toyota et Hundai, Kia. La République
tchèque, quant à elle, possède des réserves d’uranium (village de Lower).
La Hongrie et la Slovaquie possèdent une bonne industrie textile et
alimentaire.
Certes, la crise financière puis économique de 2007-2008 a constitué
un premier examen d’envergure pour les V4. Ceux-ci ont été obligés
de revoir leur politique financière et de consolider leur politique fiscale
(Slovaquie). Mais toujours est-il que l’environnement des V4 est d’une
grande importance quant à l’issue de la crise.
Aujourd’hui, les V4 occupent le 7e rang en Europe en termes de revenu
par habitant, avec un revenu moyen pour les quatre pays de 20 000 dollars
américains (République tchèque, 25 500, Slovaquie 22 000, Pologne et
Hongrie 19 000).
Selon, le rapport « Doing business » de 2011 de la Banque mondiale,
concernant le degré de facilité des décisions d’investissement, ces pays sont
bien classés : 41 pour la Slovaquie, 46 pour la Hongrie, 63 pour la République
tchèque et 70 pour la Pologne (contre le rang 128 pour le Maroc).

2. Quels enseignements pour le Maroc ?


Les V4 sont de plus en plus concurrencés par les pays d’Asie (Chine,
Inde) et même par la Russie. Cette concurrence n’est pas étrangère au
Maroc, surtout s’agissant de secteurs très sensibles en termes d’emploi,
Le groupe Višegrad : une double intégration raisonnée 113

d’exportation... Il s’agit plus précisément de l’industrie textile qui, après


la fin de certains privilèges dont jouissait le Maroc dans le cadre de
l’accord multifibre (AMF), se trouve fortement exposée à la concurrence
étrangère.
A ce niveau, la coopération sous-régionale pourrait atténuer l’effet
de cette concurrence. En fait, l’un des gages, et non des moindres,
d’un développement soutenu sont la coopération régionale et l’ouverture
maîtrisée à la mondialisation.
Il a été constaté que si les économies des V4 étaient relativement
semblables au moment de leur entrée dans l’UE, la dynamique de
l’intégration européenne a fait qu’elles connaissent plutôt une importante
diversification et, par conséquent, la complémentarité. Autrement dit, dans
le langage des économistes, une allocation rationnelle de leurs ressources
productives dans le cadre d’avantages compétitifs est de plus en plus
avérée.
Cela montre, encore une fois, que l’élan régional est un processus
synergique quant à la configuration des économies des pays concernés.
Le dynamisme économique de ces pays est tributaire d’une ambiance
politique porteuse. Les dernières élections ont permis un changement
profond de leurs classes dirigeantes. Elles se sont déroulées dans la
transparence et la responsabilité avec des taux de participation importants.
La stabilité de l’espace V4 dépend, fortement, du mariage heureux entre
l’économique et la liberté et le respect de certaines valeurs.
Moralité : lorsque les citoyens savent que leurs voix pèsent sur l’avenir
politique de leur pays, ils n’hésitent pas à se mobiliser.
En effet, les pays de V4 considèrent prioritaire le secteur énergétique.
A ce propos, le groupe d’experts sur l’énergie créé en 2002 pourrait
avec bonheur collaborer avec le Maroc sur les énergies renouvelables
qui constituent pour le Maroc une de ses grandes priorités et un de ses
grands chantiers pour l’avenir. Le programme Tempus de coopération
interuniversitaire, entre autres, pourrait y être mis à contribution avec
bonheur.
Last but not least, l’approche qui a présidé à la constitution du groupe
V4 est téléologique, privilégiant l’avenir plutôt que s’empêtrant dans les
méandres du passé. Malgré ce passé commun jalonné de bons nombres
114 Fouad M. Ammor

d’événements douloureux, ces pays ont décidé de construire ensemble leur


avenir sur des bases utilitaires, rationnelles et dépassionnées.
C’est une leçon pour nous à méditer, nous qui continuons, dans
notre pré-carré maghrébin, à chanter notre passé commun, notre langue
commune, nos religion et culture communes, en oubliant de réfléchir à
l’essentiel, à savoir notre futur, sinon déjà notre présent, commun.
Approches
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations
de l’OTAN avec les pays du Maghreb
Abdelouhab Maalmi *

Le 17 septembre 2010, la veille de l’adoption du nouveau concept


stratégique par le sommet de l’OTAN de novembre à Lisbonne, se
tenait au Collège de la défense de l’OTAN à Rome, avec des chercheurs
maghrébins, un atelier destiné à réfléchir aux voies et moyens de « relancer
la dynamique du dialogue méditerranéen de l’OTAN avec les pays du
Maghreb (1) ». Et parmi les sujets à débattre figurait celui de savoir
comment accroître la dimension multilatérale et politique de ce dialogue.
Mais c’était quelques mois avant les bouleversements qui allaient secouer
le monde arabe de l’Atlantique au Golfe et créer une dynamique nouvelle
qui ne va pas laisser d’interpeller les partenaires de cette région, notamment
l’OTAN, dont le rôle dans le succès de la révolution libyenne (l’opération
Unified Protector) a été décisif (2). Est-ce une chance pour l’Alliance
pour un partenariat élargi, plus dynamique et plus efficient ? Ou est-ce
le début d’une autre phase d’incertitudes, de malentendus (triomphe
de l’islamisme), voire de nouveaux défis pour la sécurité (faillites
d’Etats) nés des changements politiques brutaux survenus en Tunisie,
en Libye, en Egypte et des crises de régime sévères qui secouent encore
(en janvier 2012) des pays comme le Yémen ou la Syrie, pour ne citer
que ceux-là ? Telles sont à notre avis les grandes interrogations qui vont
marquer pour les quelques années à venir, et de manière profondément
renouvelée, les débats sur le futur des partenariats de l’OTAN avec les
pays d’Afrique du nord et du Moyen-Orient (Dialogue méditerranéen,
Initiative de coopération d’Istanbul).

* Professeur de relations internationales, Université Hassan II, Faculté de droit, Casablanca.


(1) Voir le compte-rendu de P. Razoux, « How to revitalize the dialogue between Nato
and the Maghreb countries ? », Research Paper, Nato Defense College (NDC), Rome, n° 64,
December 2010, p. 1-12 ; et de Donatella Scatamacchia, « How Nato can help in th Maghreb ? »,
Atlantic-Community.Org, February 28, 2011, sur le lien
http://www.atlantic-community.org/index/articles/view/How_NATO_Can_Help_in_the_Maghreb
(2) P. Razoux, « Six months after the start of the Arab Spring : Impact and challenges for the
countries of North Africa and the Middle East and for Nato partnerships », Workshop Report,
NDC, Rome, June 2011. Pour une description de la nouvelle situation au Maghreb, voir A. Belhaj
et al., The changing security situation in the Maghreb, sur le lien http://www.amo.cz/publications/
n-273.html?lang=en (20/1/2012).
118 Abdelouhab Maalmi

L’objet du présent travail est de reprendre le thème de la dimension


multilatérale dans le Dialogue méditerranéen (DM) de l’OTAN abordé
lors de l’atelier de septembre 2010 évoqué plus haut, pour l’examiner à
la lumière à la fois du nouveau concept stratégique de l’OTAN et de la
nouvelle donne géopolitique née des événements survenus dans le monde
arabe depuis janvier 2011. Nous commencerons par clarifier les données
du problème pour savoir de quoi il s’agit. Nous ferons un petit détour
conceptuel pour voir en quoi consiste le multilatéralisme par rapport
au bilatéralisme, avant de montrer comment ces deux dimensions se
présentent concrètement dans le DM. Nous présenterons enfin, dans une
dernière section, ce qui nous semble être l’approche multilatérale la mieux
adaptée pour contribuer à un DM plus ambitieux, dynamique et rénové.

Le problème
Avant les événements dits du  «Printemps arabe », la question du DM
de l’OTAN, lequel existe depuis 1994 et auquel participe l’ensemble des
pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, à l’exception de la
Libye), se posait à peu près dans les termes suivants :
– La tendance à la banalisation du DM, en ce sens que, à l’instar du
Partenariat euro-méditerranéen (PEM), celui-ci se réduisait de plus en
plus à une coopération routinière dans laquelle l’OTAN, en contrepartie
d’une certaine collaboration en matière sécuritaire, offre à ses partenaires
des avantages de type technique et militaire, mettant ainsi en question les
objectifs politiques à long terme du DM que sont la construction de la
confiance, la compréhension mutuelle, les consultations politiques et la
prévention des conflits (3).
– La conscience de plus en plus grande, perceptible chez plusieurs
analystes de l’OTAN et dans les milieux mêmes de l’Alliance, de
l’existence dans le DM d’un déséquilibre dommageable, non perçu ailleurs
dans les autres aires de partenariat de l’OTAN (Mer baltique, Europe

(3) Pour le texte fondateur du DM de l’OTAN, voir le communiqué final du Conseil de


l’Atlantique Nord réuni en session ministérielle en date du 1er décembre 1994 à Bruxelles, sur
le lien http://www.nato.int/cps/en/natolive/official_texts_24430.htm. Pour une évaluatioon de
DM, voir Kadry Said, « Assessing Nato’s Mediterranean Dialogue », Nato review, spring 2004 ; et
P. Razoux, « Nato Mediterranean Dialogue at a crossroads », Research Report, NDC, Rome,
n° 35, april 2008.
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 119

de l’Est, du Centre et du Sud, Caucase, Asie centrale), entre un format


bilatéral dominant et un format multilatéral peu développé.
– La reconnaissance qu’un vrai DM progressif, à même d’atteindre
pleinement ses objectifs à long terme – ceux d’une véritable sécurité
coopérative – est celui qui évoluerait vers un processus élargi de
coopération multilatérale (28+n), sans pour cela remettre en cause
ou minimiser la coopération bilatérale qui demeure fondamentale et
pratique quel que soit le type de partenariat considéré, comme l’a montré
l’expérience du Conseil de partenariat euro-atlantique (CPEA)/Partenariat
pour la Paix (PpP).
Si tels étaient les éléments du problème avant le « Printemps arabe »,
sont-ils toujours les mêmes après ? L’intervention de l’OTAN, sous couvert
de l’ONU, aux côtés des révolutionnaires libyens et les changements
démocratiques qui s’annoncent au Maghreb ne vont-ils pas contribuer
à consolider le DM d’abord en permettant d’y inclure la Libye, puis
en renforçant sa dimension multilatérale dès lors que les divergences
de régime entre les pays au Maghreb risquent de se dissiper et les
écarts de valeurs entre le Nord et le Sud de se rétrécir ? Ou bien le DM
(ainsi que l’ICI) ne va-t-il pas marquer le pas, accentuant sa dimension
bilatérale et sélective, voire régresser face à une montée en puissance
des pouvoirs islamo-nationalistes moins ouverts sur l’Occident, plus
sensibles à la solidarité islamique, plus hostiles à Israël et plus critiques à
l’égard des politiques occidentales au Moyen-orient et en Asie centrale ?
Cette seconde hypothèse à la Huntington (4) pouvant même s’aggraver
avec la fragilisation ou l’effondrement de certains Etats de la région
(Egypte, Libye, Syrie, Yémen) si les processus de sortie de l’autoritarisme
échouent et débouchent sur le chaos, l’instabilité chronique ou la guerre
civile, posant à l’OTAN et à la communauté internationale des dilemmes
insurmontables (intervenir ou pas ? et à quel prix ?) et ôtant par voie de
conséquence toute pertinence à la question d’une multilatéralisation accrue
du DM. Mais ce ne sont là encore que des hypothèses, les processus de

(4) Partant d’une analyse asymétrique ou en termes d’hégémonie du Dialogue méditerranéen


de l’Otan, Alaa A.H. Abdal Aziz prévoit, dans une étude effectuée en 2003, un scénario proche
de cette seconde hypothèse : une révolte des peuples arabes contre les régimes autocratiques
en place supposés soutenus par l’OTAN entamerait une nouvelle phase de confrontation avec
cette dernière, voir Alaa A. H. Abdal Aziz, « Balance of threat perception and prospects of Nato
Mediterranean Dialogue », Research Fellowship Programme, NDC, Rome, Final Report, 2003,
p. 42-43, disponible sur le lien : http://www.nato.int/acad/fellow/01-03/alaziz.pdf
120 Abdelouhab Maalmi

transition ne sont pas encore terminés et suivent des cours différents d’un
pays à l’autre, mettant le reste du monde dans une position d’attente dont
il est difficile de prévoir la durée.
S’agissant du Maghreb, qui est l’objet de notre travail ici, des
signes encourageants d’une amélioration des rapports intermaghrébins,
notamment entre l’Algérie et le Maroc (5), se profilent à l’horizon. Si
la transition démocratique se consolide au Maroc, réussit en Tunisie et
se réalise pour de bon en Algérie – où des élections législatives sont
prévues en mai 2012 – et que les Algériens et les Libyens dépassent leurs
derniers malentendus nés de la révolution contre le régime de Kadhafi,
une opportunité historique se présente alors aux pays du Maghreb et
à l’OTAN pour élever le DM à un niveau non atteint jusque-là, non
seulement pour aider à la reconstruction de l’Etat libyen (6) et éviter que
ce pays ne sombre dans l’anarchie, mais aussi pour s’attaquer de manière
plus coopérative et efficace aux autres défis de la sécurité qui menacent la
région tant au Sahel (7) qu’en Méditerranée occidentale. C’est donc dans
le cadre cette hypothèse un peu optimiste d’un contexte apparemment
prometteur que nous examinerons ici la problématique de la dimension
bilatérale et multilatérale dans les relations de l’OTAN avec les pays du
Maghreb.
Le nouveau Concept stratégique de l’OTAN de 2010, qui remplace
celui de 1999, n’aborde pas directement la question de savoir s’il y a lieu
de renforcer le format multilatéral du DM, mais les Alliés s’engagent à
renforcer les partenariats « suivant des formules souples […] à travers les

(5) On constate en effet depuis mars 2011, en liaison sans doute avec le “Printemps arabe”, des
signes d’un certain rapprochement entre le Maroc et l’Algérie en termes de déclarations de bonnes
intentions venant de hauts dirigeants, notamment algériens, d’échange de visites ministérielles, de
signature d’accords de coopération dans le domaine de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture et du
sport. Le nouveau ministre des Affaires étrangères marocain du gouvernement Benkirane nommé
le 3 janvier 2012 à la suite des élections de novembre 2011 se rend à Alger les 23-24 janvier 2012,
ce voyage étant le premier qu’un chef de la diplomatie marocaine effectue dans ce pays voisin
depuis 2003. De même, une réunion des MAE de l’Union du Maghreb Arabe est prévue en février
2012 à Alger. Pour ces développements voir le site info. http://www.magharebia.com
(6) Pour un rôle post-conflit de l’OTAN en Libye, voir P. Razoux, « Nato in Libya : The
Alliance between emergency help and nation-building », Research Division Report, NDC, Rome,
29 March, 2011 ; et P. Razoux, « What future for post-Gddafi Libya ? » Research Report, NDC ?
Rome, December 2011.
(7) Pour une vue d’ensemble sur les problèmes de sécurité dans cette zone, voir l’excellente étude
de Mehdi Taje, « Sécurité et stabilité dans le Sahel africain », NDC Occasionnal Paper, NDC,
Research Branch, Rome, n° 19, December 2006.
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 121

cadres existants et au-delà », et à « approfondir la coopération avec les pays


qui participent au Dialogue méditerranéen (8) ». Peut-être les changements
récents dans la région MENA et l’intervention de l’OTAN en Libye jusqu’à
la chute du régime de Kadhafi amèneraient-ils le Comité de l’Alliance
chargé de la gestion des partenariats à mieux expliciter le contenu d’un tel
engagement des Alliés. Reste à savoir pourquoi, selon nous et aux yeux de
nombre d’analystes, le développement du multilatéralisme, entre autres,
dans le DM en rehausserait les résultats qui, de l’aveu même du Groupe
d’experts pour le nouveau concept stratégique de l’Alliance (9), restent
modestes ? Cela nous renvoie à la problématique théorique du concept
de multilatéralisme et de son apport à la vie internationale par rapport au
bilatéralisme, le mode traditionnel des relations interétatiques.

Multilatéralisme vs bilatéralisme
Se mettre à plus de deux pour entreprendre une action commune ou
œuvrer à la réalisation d’un objectif commun est une forme de coopération
qui a de tout temps existé entre unités politiques indépendantes ou Etats,
particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la défense sous
forme d’alliances, de ligues ou de coalitions. Mais, outre le fait que ce
multilatéralisme embryonnaire (10) ne dérogeait pas à la logique des
intérêts et de la puissance, conformément au modèle hobbesien des
relations internationales fondé sur les considérations de survie et de
self-help, c’est le bilatéralisme qui, jusqu’à une date récente, a été en
réalité le mode dominant de la vie internationale. Or, depuis le milieu du
XIXe siècle la coupure est nette et significative (11) : le multilatéralisme,
sous des formes diverses allant des conférences internationales aux
organisations internationales, s’impose comme une donnée majeure de
l’action internationale qui révolutionne la vie internationale, surtout

(8) Voir le document de l’OTAN, « Engagement actif, Défense moderne », sur le lien http://www.
nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_68580.htm
(9) Voir le document « OTAN 2020 : une sécurité assurée, un engagement dynamique. Analyse
et recommandations du Groupe d’experts pour un nouveau concept stratégique de l’OTAN,
17 mai 2010 », sur le lien http://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_56626.htm
(10) A. de Hoop Scheffer, «  Alliances militaires et sécurité collective 
: contradictions et
convergences », in B. Badie et G. Devin (dir.), le Multilatéralisme, nouvelles formes de l’action
internationale, éd. La Découverte, Paris, 2007, p. 57.
(11) M. Vaïsse, « Une invention du XIXe siècle », Ibid., p. 13-22.
122 Abdelouhab Maalmi

depuis 1945 (12) : gestion collective des crises, idée de sécurité collective,
apparition d’acteurs collectifs, universels ou globaux (SDN, ONU), autres
que les Etats ou les empires, multilatéralisation de la coopération dans des
domaines autres que la sécurité, à l’aide de mécanismes inédits (entreprises
ou établissements internationaux, OIG), etc. Ainsi les Etats, par nature
méfiants, égoïstes, jaloux de leur autonomie, n’acceptant pas volontiers de
se soumettre à des contraintes internationales qui soient incompatibles avec
leurs intérêts immédiats ou qui restreignent leur liberté d’action (13), ont-il
dû, petit à petit, souvent par pragmatisme plus que par idéalisme, s’adapter
à la nouvelle donne de la vie internationale et voir leurs diplomaties
nationales transformées (14). Aussi des écoles de pensée, d’obédience
essentiellement libérale, allant de l’idéalisme au constructivisme, en
passant par le fonctionnalisme et l’institutionnalisme, vont y voir non
pas seulement un simple mode d’action dont les Etats, poussés par leur
besoin de coopération et contraints par leur interdépendance croissante, se
servent au mieux de leurs intérêts, mais le prélude à une remise en cause
radicale de l’ordre ancien, dit ordre westphalien, modèle de référence
de l’école réaliste par excellence, en faveur d’un ordre plus organisé,
plus intégré, plus solidaire, plus démocratique et plus pacifique (15).
Dès lors, le multilatéralisme apparaît, pour certaines de ces écoles, voire
pour une large frange de l’opinion publique internationale, plus qu’un
simple arrangement pragmatique et institutionnel des intérêts étatiques,
mais une valeur et un projet ayant trait à l’ordre international idéal ou
souhaitable. Pour J.G. Ruggie, le premier à tenter de conceptualiser
le multilatéralisme (16), ce qui distingue celui-ci des autres formes
traditionnelles de coopération, ce n’est pas le nombre des participants

(12) P. Grosser, « De 1945 aux années 80 : une efflorescence sur fond de Guerre froide et de
décolonisation », ibid., p. 23-40.
(13) M. Vaïsse, op. cit., p. 15.
(14) D. Placidi, « La transformation des pratiques diplomatiques nationales », in B. Badie et
G. Devin (dir.), op. cit., p. 95-112.
(15) Pour un aperçu sur les transformations ayant affecté l’ordre westphalien ancien, voir M.W.
Zacher, « The decaying pillars of the Westphalian temple : Implications for international order
and governance », in J.N. Rosenau and E-O. Czempiel (edit.), Governance without government :
Order and change in world politics, N.Y., Cambridge University Press, 1992, p. 58-101.
(16) J.G. Ruggie, Multilateralism : The anatomy of an Institution, International Organization,
vol. 46, n° 3, Summer 1992, p. 561-598. Le multilatéralisme est ainsi défini (p. 571) :
« Is an institutional form which coordinates relations among three or more states on the basis of
‘generalized’ principles of conduct – that is, principles which specify appropriate conduct for
a class of actions, without regard to the particularistic interests of the parties or the strategic
exigencies that may exist in any specific occurrence. »
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 123

(plus de deux), ni même l’institutionnalisation de la coopération (règles,


organisation, régime), qui restent à ses yeux de simples caractéristiques
formelles ou nominales, mais la qualité des rapports qu’il instaure entre
les acteurs. Contrairement au bilatéralisme (qui peut prendre des formes
multilatérales (17)), le multilatéralisme, dans sa philosophie profonde,
soumet les relations entre les acteurs à des règles générales, élimine les
distinctions entre les participants et crée entre eux des attentes mutuelles
et durables quant aux retombées finales de la coopération. C’est d’ailleurs
à cause de ces exigences élevées à l’égard des Etats que, fait noter
J.G. Ruggie, le vrai multilatéralisme reste une denrée rare et a été
historiquement moins fréquent. C’est pourquoi C. Bouchard et J. Peterson,
afin de pouvoir mieux rendre compte des différentes expressions du
multilatéralisme dans le passé et le présent des relations internationales,
optent pour une conception plus souple du multilatéralisme, en introduisant
l’idée de degré et en insistant sur le volontariat, l’institutionnalisation,
l’effectivité ou l’efficacité, les fonctions ainsi que les différents usages
plus ou moins louables qui peuvent être faits du multilatéralisme (18).
Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire que la Charte
des Nations Unies et le système institutionnel qui en est issu ainsi que
l’Europe communautaire (19) préfigurent plus ou moins l’ordre multilatéral
conforme à son concept.
L’OTAN, quant à elle, celle de l’après-guerre froide, qui se veut plus
qu’une simple alliance classique, un instrument de projection de puissance
et d’équilibre, se présente de plus en plus pour ses membres comme une
« communauté de sécurité » au sens deutschéen du terme (K. Deutsch, 1954)
et ambitionne d’être pour le monde qui l’entoure un partenaire de sécurité
commune (partenariats bilatéraux et multilatéraux) et un outil de sécurité
collective (au service de l’ONU ou des organisations régionales), donc une
extension en quelque sorte vers l’extérieur des éléments de la communauté

(17) Ainsi l’exemple donné par J.G. Ruggie du régime international du commerce nazi imaginé
par H. Schacht en 1934 où, derrière une façade multilatérale, les partenaires de l’Allemagne sont
soumis à des régimes de dépendance négociés bilatéralement.
(18) C. Bouchard et J. Peterson, « Conceptualising multilateralism. Can we all just get along ? »
Mercury, E-paper n° 1, January 2011, accessible sur le lien  http://www.mercury-fp7.net/fileadmin/
user_upload/E_paper_no_1__Revised_Version.pdf
(19) E. Lazarou et al., « The evolving “doctrine” of multilateralism in the 21st century », Mercury,
E-paper n° 3, February 2010, accessible sur le lien : http://fgv.academia.edu/ElenaLazarou/
Papers/961105/The_Evolving_Doctrineof_Multilateralism_in_the_21st_Century
124 Abdelouhab Maalmi

de sécurité dont jouissent ses membres à l’intérieur, notamment à travers


le multilatéralisme (20). Or, comme on l’a vu, si celui-ci demeure, de par
les vertus qui lui sont reconnues, la seule voie qui puisse garantir un réel
progrès en ce sens, il n’en reste pas moins vrai que, dans le cas des politiques
partenariales de l’OTAN, particulièrement en Méditerranée, il est la voie la
plus difficile, la plus problématique à mettre en œuvre de façon effective et
efficiente. D’où la place centrale qu’y occupe le bilatéralisme.

Multilatéralisme, DM et pays du Maghreb


Le Dialogue méditerranéen, auquel participent sept pays du sud de la
Méditerranée (Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie, Egypte, Jordanie et
Israël), se fonde, on le sait, sur cinq principes : progressivité, bilatéralisme,
non-discrimination, complémentarité (avec d’autres initiatives de coopération
nord/sud dans la région) et autodifférenciation (21). Le choix dès le départ
par l’OTAN du format bilatéral contraste, on l’a dit, avec celui fait par
exemple pour les pays européens de l’ex-bloc soviétique au lendemain de
la fin de la bipolarité, en instituant d’abord un mécanisme multilatéral en
1991, le Conseil de coopération nord-atlantique, CCNA, (qui deviendra
Conseil de partenariat euro-atlantique, CPEA, en 1997), avant d’introduire
en 1994 un mécanisme bilatéral, le PpP ouvert à tous les pays de l’OSCE
non membres de l’OTAN. L’option bilatérale de l’OTAN pour le cas du
DM trouve son explication principale dans les circonstances où fut lancé
ce dernier. Initié dans un contexte de relatif optimisme quant au processus
de paix israélo-palestinien (Conférence de Madrid, accords d’Oslo), l’Otan
voulait par prudence ou réalisme éviter que le DM ne fût hypothéqué par
les incertitudes liées aux aléas dudit processus et par la présence d’Israël en
son sein. Conjugué au bilatéralisme, le choix initial des partenaires (Maroc
Mauritanie, Tunisie, Egypte, Israël et, un peu plus tard, la Jordanie) visait
le même objectif : lancer le dialogue avec les pays arabes dits modérés,

(20) Sur le multilatéralisme de l’OTAN, voir A. de Hoop Scheffer, « Alliances militaires et sécurité
collective », in B. Badie et G. Devin (dir.), le Multilatéralisme, op. cit. ; F. Schimmelfennig,
« Multilateralism in post-cold war Nato : Functionnal, form, identity-driven cooperation », accessible
sur le lien http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Schimmelfennig.pdf ; J.J. Sokolosky, « Projecting
stability : Nato and multilateral naval cooperation in the post-cold war era », Nato Fellowship Program,
1995-1997, Final report, accessible sur le lien http://www.nato.int/acad/fellow/95-97/sokolsky.pdf
(21) Nato Policy Document : « A more ambitious and expanded framework for Mediterranean
Dialogue », http://www.nato.int/docu/comm/2004/06-istanbul/docu-meddial.htm
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 125

autrement dit disposés à accepter qu’Israël soit membre à part entière


du DM.
Ainsi la voie bilatérale (OTAN+1), qui combine à la fois non-
discrimination (du côté de l’Alliance offrant une même base de coopération
aux participants au Dialogue) et autodifférenciation (du côté des participants
adaptant l’offre de l’Alliance à leurs besoins, possibilités et intérêts), s’est-
elle incarnée dans deux instruments principaux : le Programme de travail
du Dialogue méditerranéen, et le Programme de coopération individuelle,
devenus respectivement depuis la réunion des ministres des Affaires
étrangères de l’OTAN à Berlin en avril 2011 le Menu de la coopération
de partenariat (Partnership Cooperation Menu, PCM) et le Programme
de coopération individuelle et de partenariat (Individual and Partnership
Cooperation Programme, IPCP) (22). Trois pays maghrébins (Mauritanie,
Tunisie, Maroc) ont conclu des PCI avec l’Alliance après Israël, l’Egypte
et la Jordanie. Mais la coopération bilatérale pratique avec l’OTAN n’est
nullement prisonnière d’un tel cadre. En témoigne l’exemple particulier
du Maroc qui n’est sous le règne d’un PCI que depuis 2010, alors que sa
coopération avec l’OTAN n’a cessé de se développer depuis 1995, allant
de l’appui aux Forces Alliées dans les Balkans jusqu’à la participation à
l’opération Active Endeavour (depuis 2007) dans le bassin méditerranéen,
en passant par la formation et l’entraînement de ses forces armées (Forces
armées royales, FAR) à travers stages, exercices conjoints et échange
d’expertises avec l’Organisation atlantique (23). Le format de coopération
bilatérale reste donc le pivot du DM de l’OTAN en Méditerranée.
Pourtant, la voie multilatérale n’a pas été négligée (24). En fait elle
s’est imposée d’elle-même à l’Otan après les événements tragiques du
11 septembre 2001 (25), l’appui de l’Alliance à l’intervention des Etats-
Unis en Afghanistan en octobre 2001 et le lancement à la même date en
Méditerranée de l’opération de surveillance maritime anti-terroriste Active

(22) Voir à cet effet le site de l’OTAN, Bruxelles, sur le lien : http://www.nato.int/cps/en/natolive/
topics_60021.htm
(23) T. Marrakchi, « L’initiative de dialogue de l’OTAN en Méditerranée », thèse de doctorat
(dir. Abdelouhab Maalmi), Faculté de droit, Casablanca, 2009, p. 234-260.
(24)  A.B. Boening, « Multilateral security in the Mediterranean post cold war : Nato’s Mediterranean
Dialogue and Euro-Med Partnership », Jean Monnet/Robert Shuman Paper Series, vol. 7, n° 10,
May 2007, sur le lien http://aei.pitt.edu/8182/1/Boening_NATO_Med_Long07edi.pdf
(25) Alaa A.H. Abdal Aziz, « Balance of threat perception and prospects of Nato Mediterranean
Dialogue », op. cit., p. 7.
126 Abdelouhab Maalmi

Endeavour (26). Le besoin d’un dialogue multilatéral se fit en effet sentir


des deux côtés du DM, vu la gravité de la situation, la cassure Nord/Sud
menaçant une fois de plus d’évoluer vers une guerre de civilisations prédite
par S. Huntington. D’où la création d’un nouveau forum de dialogue, de type
multilatéral cette fois (OTAN + 7), au niveau des ambassadeurs, qui tient sa
première réunion en octobre 2001 et qui va continuer à se réunir de façon
régulière par la suite, au moins deux fois par an. Une réunion du même type
mais au niveau des experts sous l’égide du Groupe consultatif de la politique
atlantique de l’OTAN (Atlantic Policy Advisory group, APAG) avait été
également prévue au printemps 2009 en Italie, mais elle n’a finalement eu
lieu que récemment, en septembre 2011 (27). Enfin, à cause des difficultés
politiques de la réunion d’un forum de consultation d’un niveau plus élevé,
les milieux de l’OTAN ont été conduits à imaginer une autre formule, celle
dite 19+n (aujourd’hui 28+n) qui vise à organiser à un plus haut niveau des
consultations sur la sécurité avec au moins deux partenaires du DM qui le
voudraient bien, autrement dit un multilatéralisme à géométrie variable, ou
ce qu’a été appelé dans la littérature le minilatéralisme (28) : participation
des Etats qui y ont intérêt ou multilatéralisme minimal pour une efficacité
accrue. Aussi un certain nombre de rencontres ont-elles bien eu lieu au
niveau des ministres des Affaires étrangères (Bruxelles 2004, Rabat 2006,
Bruxelles 2007) et de la Défense (Taormina 2006, Séville 2007), mais elles
n’ont pu gagner en régularité suffisante, ni s’inscrire dans un cadre général
multilatéral à la fois institutionnel et juridique qui organise le dialogue et
planifie la coopération que ce soit à l’échelle régionale (la Méditerranée) ou
sous-régionale (Méditerranée occidentale, Méditerranée orientale).
On peut se demander pourquoi, après maintenant seize ans de DM,
un tel cadre fait encore défaut ? Pourquoi ce qui a été possible par

(26) R. El Houdaigui, « L’opérarion Active Endeavour et son impact sur le Dialogue méditerranéen
de l’OTAN », NDC Occasionnal Paper, NDC, Research Branch, Rome, n° 22, June 2007.
(27) Récemment encore, le 12 janvier 2012 à Bruxelles, à l’occasion de sa 166e session, le
Comité militaire de l’OTAN a tenu une réunion avec les 7 membres du DM au niveau des chefs
d’état-major pour discuter des problèmes de sécurité et de coopération militaire dans le cadre
du DM suite aux changements politiques survenus en Méditerranée et au Moyen-Orient. Cette
réunion a associé aussi les représentants des autres partenariats de l’Alliance en vue de préparer
la réunion des ministres de la Défense en février et le sommet de l’OTAN en mai à Chicago, voir
communiqué de presse sur le site de l’OTAN, Bruxelles, Presse/Nouvelles, 19 janvier 2012.
(28) M. Naïm, « Minilateralism : The magic number to get real international action », Foreign
Policy, n° 73, July-August 2009, p. 135-136, cité par C. Bouchard et J. Peterson, Conceptualising
Multilateralism, op. cit., p. 9.
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 127

exemple en mer Baltique (l’expérience de Baltic Peacekeeping Battalion,


ou BALTBAT (29)) sous l’égide du CPEA ne trouve-t-il pas écho en
Méditerranée ? Est-ce que le format actuel, essentiellement bilatéral, se
suffit à lui-même pour réaliser les objectifs du DM ? Ou est-ce que ce sont
des obstacles inhérents aux conflits sud-méditerranéens restés insolubles,
combinés aux disparités politiques et culturelles Nord/Sud, qui empêchent
le DM d’avancer suffisamment sur le plan multilatéral (30) ? S’agit-il d’une
simple question de priorités pour les pays du Sud, arabes en l’occurrence,
dont la perception de la sécurité, axée essentiellement sur les problèmes
internes et les conflits de voisinage, ne recouperait pas totalement celle
de l’OTAN, ou dont la coopération avec l’OTAN ne s’impose que parce
que la présence et l’action de cette dernière dans la région ne saurait être
ignorées ? Tous ces éléments d’explication, pris dans leur ensemble, sauf
le premier, sont valables et se complètent et sont largement abordés dans
la littérature sur le DM. Dans ces conditions, comment et dans quel sens
l’OTAN, qui a conçu et initié le DM, peut-elle s’y prendre, avec le concours
bien sûr de ses partenaires, pour que ce dernier retrouve un nouvel élan
et aller au-delà du bilatéralisme prédominant actuel dont le seul résultat
a jusqu’ici été de rapprocher l’OTAN des membres du Dialogue pris
individuellement, négligeant la portée régionale d’un véritable régime de
sécurité commune qui ne peut être obtenu que grâce à un multilatéralisme
à la fois développé et adapté ?

Quel multilatéralisme pour un DM rénové ?


Il est paradoxal que l’approche multilatérale du DM, pourtant encouragée
par les instances suprêmes de l’OTAN, notamment les sommets de
Washington de 1999, de Prague de 2002 et d’Istanbul de 2004, n’ait
pas retenu l’attention qu’elle mérite de la part des analystes et autres
spécialistes de l’OTAN en Méditerranée, qu’ils soient du Sud ou du
Nord. Jugée par certains experts comme non prioritaire, et en tous cas

(29) Pour une comparaison entre les deux partenariats, voir E. Johansson, « Nato and subregional
security construction in Europe’s periphery : Dialogues in the Mediterranean and the Baltic sea »,
Nato Final Report 2000-2002, disponible sur le lien http://www.nato.int/acad/fellow/99-01/
Johansson.pdf
(30) Cherif Dris, «  Rethinking Maghrebi security: The challenge of multilateralism  », in
Y.H. Zoubir and H. Amirah-Fernádez, North Africa. Politics, region and the limits of transformation,
Routledge, N.Y., 2008, p. 245-265.
128 Abdelouhab Maalmi

peu praticable (31), la dimension multilatérale du DM a été en revanche


considérée par d’autres comme essentielle si l’on veut que le DM devienne
un véritable partenariat (32), incarne un projet en vue d’un véritable cadre
régional de sécurité (33), ou serve de moyen de promouvoir les mesures
de confiance et de sécurité parmi les partenaires (34).
Le sommet de l’OTAN de novembre 2010 à Lisbonne et l’adoption
du nouveau Concept stratégique pour l’OTAN 2020 ont été, on l’a
dit, l’occasion d’un réexamen approfondi des différents partenariats et
dialogues de l’Alliance, dont le DM, que les Alliés ont pris l’engagement
d’approfondir et de développer. Car non seulement les défis de sécurité
sont devenus plus préoccupants, les problèmes du Sahel s’ajoutant à ceux
du Maghreb et du Moyen-Orient, mais les relations transméditerranéennes
ne sont toujours pas sereines et la confiance mutuelle Nord-Sud ou Sud-
Sud fait toujours défaut. De plus, le nouveau contexte né des événements
du “Printemps arabe” expose la région à toutes les éventualités, autant les
rassurantes que les inquiétantes. L’OTAN, après son engagement en Libye,
se dit certes prête à accompagner les transitions en cours vers la stabilité
et la démocratie, mais une vision à plus long terme s’impose. Pour le DM,
cette vision passerait, selon nous, par une approche multilatérale plus
vigoureuse mais adaptée, l’approche bilatérale ayant atteint ses limites
au regard des objectifs ultimes du Dialogue, même si, sur le plan de la
coopération pratique, elle est loin d’avoir épuisé toutes ses potentialités.
L’approche multilatérale d’un Dialogue rénové que nous préconisons
ici consiste, en effet, en trois types d’évolution complémentaires ou
convergents que nombre d’auteurs, notamment maghrébins, ont plus ou

(31) Cf. les deux rapports des experts de la Rand Corporation, F.S. Larrabee, J. Green,
I.O. Lesser, M. Zanini, le premier en date de 1997 sous le titre Nato’s Mediterranean initiative :
Policy issues and dilemmas (p. 45), disponible sur le lien http://www.rand.org/pubs/monograph_
reports/MR957.html ; le second en date de 2000, intitulé, The future of Nato’s Mediterranean
initiative. Evolution and next steps (notamment ch. 6, p. 46-50), disponible sur le lien http://www.
rand.org/pubs/monograph_reports/MR1164.html
(32) R. Aliboni, « Strenthening Nato-Mediterranean relations : A transition to partnership »,
Institut italien des affaires internationales, IAI, Rome, 2002 disponible sur le lien http://www.iai.
it/pdf/mediterraneo/September_Seminar_inglese.PDF
(33) L. Borgomano-Loup, « Nato’s Mediterranean Dialogue and Instanbul Cooperation Initiative:
Prospects for development », Research Paper, Academic Research Branch, NDC, Rome, n° 21,
June 2005, p. 2-3.
(34) P. Razoux, « The Nato Mediterranean Dialogue at a crossroads », Research Paper, Research
Division, NDC, Rome, n° 35, April 2008; A. Benantar, « Contribution à l’établissement de la
confiance et de la sécurité au Maghreb », Fellowship Monograph, NDC, Rome, n° 3, 2010.
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 129

moins mis en évidence : s’orienter vers une institutionnalisation accrue,


contribuer à la résolution des conflits et surtout tenir compte de la diversité
régionale.
Concernant l’institutionnalisation, sans laquelle aucun multilatéralisme
n’est concevable, il s’agit d’opérer un triple changement au sein du DM.
D’abord, une meilleure participation des partenaires à la définition de
l’agenda de la coopération sécuritaire (identification des menaces et de
la manière de les affronter) (35) à travers des consultations régulières et
ad hoc au niveau des ministres des Affaires étrangères. Les pays du Sud
(maghrébins en l’occurrence) doivent avoir en effet le sentiment, chaque
fois qu’il s’agit de leur région, qu’ils sont traités en véritables partenaires,
non en de simples sous-traitants de la sécurité, partageant non seulement
les tâches, mais aussi les responsabilités (36). Pour cela, deuxièmement,
il est peut-être temps de penser à mettre en place un organe commun
dédié au dialogue entre l’OTAN et ses partenaires méditerranéens. Il
pourrait être appelé le Conseil de partenariat méditerranéen (CPM) et
pourrait se réunir à différents niveaux, des ministres aux chefs d’Etat et
de gouvernement, et selon différents domaines intéressant la sécurité. La
préparation des délibérations du CPM peut être assurée par la structure
actuelle au niveau des ambassadeurs et experts appropriés dans le cadre
du Political and Partnership Committee de l’OTAN successeur depuis
2011 du Mediterranean Cooperation Group (MCG). Le CPM doit être, du
moins dans une seconde étape, l’instance non pas seulement d’échange de
points de vue et de prise de positions s’il y a lieu, mais aussi de décision
pour tout ce qui touche le partenariat de l’OTAN en Méditerranée, du
moins dans ses grandes lignes. Troisièmement, et c’est le plus important,
il faut au DM un texte de base, un document fondateur comme l’appelle le
Groupe d’experts pour le nouveau concept stratégique de l’OTAN évoqué
plus haut, élaboré d’un commun accord entre l’Alliance et ses partenaires
et qui définirait les objectifs du dialogue, fixerait l’organisation et les
compétences du CPM et régirait les relations de celui-ci avec les autres
instances de dialogue et de coopération en Méditerranée.
Concernant la résolution des conflits, c’est certes une tâche qui n’a
jamais fait partie des missions traditionnelles de l’OTAN. En témoigne
le conflit à propos de Chypre entre la Grèce et la Turquie, pourtant

(35) A. Benantar, idem, op. cit., p. 60.


(36) Idem.
130 Abdelouhab Maalmi

deux membres de l’Alliance. Elle reste absente des missions nouvelles


de l’Organisation atlantique telles que les rappelle le nouveau Concept
stratégique de 2010, c’est-à-dire gérer les crises, prévenir les conflits,
participer au maintien de la paix et stabiliser les situations post-conflit.
Pourtant, rien n’empêche l’OTAN de jouer un certain rôle dans la
résolution des conflits conformément à l’article 2 du Traité de Washington,
selon lequel « les parties contribueront au développement de relations
internationales pacifiques et amicales », et l’article 1er qui engage ces
dernières à « régler par les moyens pacifiques tous différents internationaux
dans lesquels elles pourraient être impliquées ». Dans son évaluation des
partenariats de l’OTAN en Méditerranée et au Moyen-Orient le Groupe
d’experts pour le nouveau concept stratégique n’hésite pas à souligner
l’absence d’un rôle diplomatique actif de l’Alliance dans le règlement
du problème palestinien comme un des indicateurs de la modestie des
résultats de ces partenariats (37). De même, des analystes maghrébins
comme B. Saidy (38), A. Benantar (39) ou F. Ammor (40) conditionnent,
chacun à leur manière, leur vision d’une véritable relance du DM à une
implication active de l’OTAN dans la résolution des conflits majeurs de la
région, Sahara occidental et conflit israélo-palestinien en tête.
En effet, l’avenir du DM resterait incertain si l’amélioration du climat
de sécurité était « limitée à la dimension verticale sans incidence sur la
dimension horizontale (41) », si la méfiance continuait de dominer les
rapports entre les partenaires du Sud en raison de conflits demeurés non
résolus. Non seulement le DM, mais l’OTAN elle-même perdrait à terme
de sa crédibilité et ne gagnerait pas en légitimité en tant que partenaire de
paix, aux yeux des opinions publiques des pays concernés (42). Certes,
les conflits en question (conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe, conflit
du Sahara occidental, affaire de Chypre, question de Ceuta et Melilla)
sont complexes et difficiles, et l’OTAN, comme on l’a dit, n’a pas a priori
vocation à s’en occuper, sauf peut-être à titre de prévention pour empêcher

(37) « Otan 2020 : une sécurité assurée, un engagement dynamique. Analyse et recommandations
du groupe d’experts pour un nouveau concept stratégique de l’OTAN », doc. cit., p. 30.
(38) B. Saidy, « Quel rôle pour l’OTAN dans la prévention et la gestion des crises en Méditerranée
et au Moyen-Orient ? » NDC Fellowship Monograph, Research Division, NDC, Rome, 2010.
(39) A. Benantar, « Contribution de l’OTAN à l’établissement… », op. cit.
(40) F. Ammor, « Le futur du Dialogue méditerranéen de l’OTAN : pour un DM « Plus » », NDC
Fellowship Monograph, Research Division, NDC, Rome, 2010.
(41) A. Benantar, op. cit., p. 46.
(42) B. Saidy, op. cit. p. 32-35.
Bilatéralisme et multilatéralisme dans les relations de l’OTAN… 131

toute escalade ou détérioration grave des rapports entre alliés ou partenaires


comme entre la Grèce et la Turquie à propos de Chypre. Mais dans la crise
gravissime de l’été 2002 entre le Maroc et l’Espagne au sujet de l’îlot
Leila, non seulement l’OTAN n’a rien prévenu (ce rôle étant revenu aux
Etats-Unis) mais elle s’est déclarée solidaire de l’Espagne (43) !
En tout état de cause, pour une Alliance de l’après-guerre froide qui
se métamorphose, il devient de plus en plus inconcevable qu’elle ne
développe pas, même à titre informel ou selon des modalités qu’il reste
à imaginer, des capacités de résolution des conflits, alors qu’elle a des
atouts que n’ont pas d’autres organisations, tels la proximité par rapport
aux décideurs politiques et militaires des pays concernés, la discrétion
et surtout les leviers d’influence que lui procurent ses liens d’alliance,
de partenariat ou de coopération avec lesdits pays. L’OTAN n’a pas à
se substituer à l’Onu ou aux puissances engagées dans des processus de
paix, mais à aider en arrière-plan, dans la discrétion et par de multiples
moyens, à trouver des solutions ou des compromis, fussent-ils partiels
ou provisoires, aux conflits en suspens. C’est peut-être plus facile à dire
qu’à faire, mais l’OTAN doit se montrer audacieuse, agir plus en acteur
(facilitateur) qu’en simple outil de sécurité si elle veut gagner le pari d’un
dialogue ambitieux en Méditerranée.
Enfin, troisième type d’évolution, le plus décisif : l’option sous-
régionale. Tant que le DM est conduit avec les sept pays du sud de
la Méditerranée sur un mode principalement bilatéral, la question de
l’approche sous-régionale ne se pose pas. Mais les choses se compliquent
dès que l’on veut passer au mode multilatéral (28+7). Les conflits
(notamment le conflit israélo-arabe) et les spécificités sous-régionales
réduisent en effet les chances d’un réel partenariat multilatéral global
embrassant l’ensemble de la Méditerranée. Jusqu’ici, la solution tentée
pour transcender l’obstacle des conflits a été la fameuse formule 28+n, ou
multilatéralisme à géométrie variable, ou minilatéralisme. Cela n’a pas,
semble-t-il, donné grand résultat. Cela peut même aggraver les divisions et
les méfiances Sud-Sud en créant des axes multilatéraux opposés ayant pour
point commun l’OTAN. Or, ce qui est proposé ici, c’est de prendre modèle
sur la mer Baltique avec BALTBAT ou la Méditerranée occidentale avec
le Groupe 5+5, pour un multilatéralisme sous-régional qui se conjuguerait

(43) Ibid., p. 55. Sur ce conflit, voir, R. Gillespie, « “This stupid Island” : A neighbourhood
confrontation in the western Mediterranean », International Politics, n° 43, 2006, p. 110-132.
132 Abdelouhab Maalmi

avec les deux autres approches, bilatérale et multilatérale globale.


L’approche sous-régionale permettrait en effet de satisfaire plusieurs
objectifs. Elle collerait d’abord aux réalités spécifiques de chaque sous-
région, par exemple dans le cas de la Méditerranée occidentale, la
proximité de l’Europe et de l’Afrique subsaharienne, l’absence des ADM
ou la prédominance des défis de sécurité plus soft que hard. Elle isolerait
chaque sous-région des influences préjudiciables pouvant venir des autres
sous-régions (les conflits du Moyen-orient par exemple). Elle permettrait
de nouer des relations fructueuses avec les organisations régionales, telles
que l’UMA ou la Ligue arabe. Elle contribuerait enfin à l’intégration
régionale en aidant à la résolution des conflits et en mettant en place des
mesures adaptées de confiance et de sécurité. En Méditerranée occidentale,
par exemple, une coopération OTAN-UE-UMA-5+5, autour des cinq pays
du Maghreb, rendrait un grand service à la région en termes de confiance,
d’intégration, de paix et de sécurité. Pour cela l’OTAN doit, comme l’écrit
fort à propos A. Benantar, « renoncer à privilégier les pistes bilatérales
au profit d’une stratégie visant à faire de la construction maghrébine un
objectif central (44) », envisager de créer au sein du DM « une composante
maghrébine [avec laquelle] elle testera pour la première fois une approche
multilatérale (45) ».

Conclusion
Le DM de l’OTAN est aujourd’hui plus que jamais à la croisée des
chemins. L’approche à la fois globale et bilatérale a montré ses limites.
Le DM risque de se banaliser et de rater ainsi les objectifs ambitieux qu’il
s’est fixés. Seule une relance audacieuse sur une base multilatérale et
sous-régionale tendant à la mise en place d’une véritable région de sécurité
commune ou coopérative, notamment en Méditerranée occidentale autour
du Maghreb, pourrait lui donner un nouveau souffle et rehausser sa
crédibilité aux yeux des peuples de la région.

(44) A. Benantar, op. cit., p. 60.


(45) Ibid., p. 48-49.
Etat et perspectives de l’ordre international
Aziz Hasbi

Il semble justifié d’aborder la question de l’ordre international à


un moment où le monde connaît une accélération de phénomènes qui
interpellent les règles et standards sur lesquels repose la régulation des
relations internationales. Une redistribution, une diversification et une
diffusion des composantes de la puissance sont en action, depuis au moins
la fin de la guerre froide. Ceci donne lieu à une recomposition économique,
technologique, voire militaire du monde. Puissances émergentes ou
ré-émergentes se renforcent et revendiquent une position internationale
digne de leurs capacités matérielles.
La partie visible du débat sur le changement se focalise certes sur la
nécessité de réformer la composition et le fonctionnement du Conseil de
sécurité de l’ONU, mais elle inclut aussi d’autres dimensions, dont le
réaménagement de la gouvernance financière, monétaire et commerciale
internationale. La globalisation a perturbé les données classiques, liées à
la souveraineté de l’Etat et à son rôle de régulateur.
Pour ce qui est du Conseil de sécurité, l’enjeu est donc fondamental,
aussi bien pour le directoire des 5 Permanents que pour les nouveaux
compétiteurs. Sans oublier la majorité des autres pays qui fait peser une
pression sur les uns et sur les autres. Parmi les « nouvelles » puissances,
il y a des pays émergents comme l’Inde et le Brésil et les deux grands
vaincus de la Seconde Guerre mondiale, le Japon et l’Allemagne, qui
aimeraient effacer l’humiliation subie. La Chine, qui figure parmi les pays
qui ont bénéficié des privilèges que se sont accordés les vainqueurs de la
Seconde Guerre mondiale, cherche, avec succès, à mettre en adéquation
sa puissance matérielle avec son statut politique de membre permanent du
Conseil de sécurité.
Mais tout cela constitue-t-il les prémices d’une remise en cause
radicale de l’ordre international actuel ? Si l’on part de la définition de
l’ordre international comme une « entente implicite entre les acteurs
internationaux autour des règles et des principes régissant leurs relations
134 Aziz Hasbi

et des objectifs généraux qu’ils devraient poursuivre (1) », les nombreuses


critiques de l’ordre mis en place depuis 1945 et les revendications de
démocratisation de la gouvernance internationale créent une tendance
lourde allant dans le sens du changement des règles du jeu tant politique
qu’économique au niveau international. Mais cela veut-il dire pour autant
que l’on s’achemine vers l’avènement d’un nouvel ordre, se substituant à
l’actuel ?
Pour répondre à cette question, il faudrait rappeler les facteurs
de transformation en cours et leur impact, les atouts des puissances
révisionnistes et leurs objectifs ainsi que les forces et les failles de
l’équilibre des puissances sur lequel repose le système international
contemporain.
La problématique qui sous-tend cette réflexion part de l’idée que,
dans l’état actuel de l’évolution du rapport des puissances, les pays
révisionnistes ne disposent pas des capacités matérielles et symboliques
pour remettre en cause l’ensemble des fondements de l’ordre établi. Par
ailleurs, les regroupements, qui se sont formés pour soutenir les demandes
de changements au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies,
ne constituent pas des alliances destinées à rééquilibrer le rapport des
puissances mais sont de simples groupes de négociation. Et, enfin, en
dehors de quelques revendications excessives provenant justement de
pays ou de groupes de pays dont la puissance ne pèse pas lourd sur la
balance, les nouveaux compétiteurs ne cherchent pas à détruire le club
des grands mais à l’intégrer, sous certaines conditions. Tout cela nous
poussera à nous poser la question sur le devenir du rapport entre les règles
qui sous-tendent l’ordre international établi, d’un côté, et les tendances à
de grands bouleversements de la position des puissances sur l’échiquier
international, de l’autre.
Mais, avant d’aller plus loin, il faudrait rappeler brièvement ce que
l’on entend par ordre international, et en particulier les caractéristiques
de celui qui régente le monde contemporain. Car, dans son expression, le
vocable « ordre international » se présente aujourd’hui comme un concept
polymorphe, polysémique, mais surtout largement ambivalent. Mais je
n’entrerai pas dans ce débat théorique.

(1) Alex Macleod et al., Relations internationales : théories et concepts, CEPES, Canada, 2008,
p. 299.
Etat et perspectives de l’ordre international 135

J’aborderai donc trois séries de considérations en essayant de répondre


à trois questions : Qu’est-ce que l’ordre international ? Vers quelles
transformations de l’ordre établi s’achemine-t-on  ? Quelles sont les
perspectives d’avenir ?

1. Qu’est-ce que l’ordre international ?


Pour résumer, l’ordre international, c’est la période pendant laquelle
le système international jouit d’une stabilité, plus précisément celle où
les grandes puissances d’une époque donnée trouvent un terrain d’entente
autour de normes, de règles et d’institutions afin de réguler les relations
internationales dans un monde anarchique qui tend en permanence vers
la guerre. Car l’ordre international ne correspond pas à l’ordre public
interne propre à un Etat organisé, parce qu’il n’existe pas d’autorité
centrale au-dessus des Etats souverains. Par conséquent, la régulation du
système international se fait à travers des principes d’organisation dictés
par les nécessités et les conditions que crée le rapport des puissances issu
généralement de ruptures graves, comme les grandes guerres, régionales
ou mondiales. Cela fut généralement le cas jusqu’ici.
Les paramètres d’un ordre international donné sont donc définis par de
grandes puissances, souvent les vainqueurs. L’ordre est, dans la pratique,
piloté par la puissance du moment dont les capacités matérielles sont
supérieures à celles des autres membres de l’alliance victorieuse et dont
le leadership est admis par ses alliés. Mais tout ordre est amené à générer
des règles et des mécanismes, institutionnels notamment, acceptables par
tous les Etats du système international concerné. La tendance des artisans
d’un ordre est donc de le rendre le plus large possible.
La stabilité prévaut jusqu’à ce qu’une ou plusieurs nouvelles puissances
soient capables de disposer des moyens de la remettre en cause et d’imposer
de nouvelles réalités et un nouvel ordre.
L’ordre international est ainsi créé, piloté et, le cas échéant, transformé
par les grandes puissances. De ce fait, il est changeant ; il a évolué,
jusqu’ici, en fonction des modifications des rapports des puissances entre
elles.
Ainsi, le système westphalien et le concert des nations avaient généré
en leur temps des ordres régionaux fondés sur l’équilibre des puissances
136 Aziz Hasbi

européennes, sous la surveillance d’un équilibreur qui permettait aux Etats


moyens ou faibles de survivre. La Grande-Bretagne avait joué ce rôle au
moins jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Un nouvel ordre, à prétention universelle, fut établi après le premier
conflit mondial. Il était fondé sur le rejet de l’équilibre des puissances comme
fauteur de guerre et sur la construction d’un système de sécurité collective.
Mais les normes et l’organisation, inspirées des idées internationalistes
libérales du président américain de l’époque, Woodrow Wilson, n’avaient
pas pu réguler les rapports internationaux de l’entre-deux-guerres. Les
raisonsen sont bien connues : non-adhésion américaine à la Société des
nations (SDN) ; grande crise économique des années 30 ; montée des
nationalismes agressifs et particulièrement les ambitions guerrières de
l’Allemagne nazie et de ses alliés de l’Axe ; retrait ou exclusion de nombre
de pays membres de la SDN, comme l’Allemagne, l’Italie, le Japon,
l’Union soviétique, etc.
Affaiblie et amenée à pratiquer une politique conciliante à l’égard
de l’Allemagne hitlérienne, la Grande-Bretagne ne pouvait jouer le rôle
d’équilibreur de cet ordre de l’entre-deux-guerres. Celui-ci prit d’ailleurs
fin avec le déclenchement, en 1939, de la Seconde Guerre mondiale.
Sous la férule des Etats-Unis d’Amérique, les Alliés et vainqueurs de
la Seconde Guerre mondiale allaient progressivement s’acheminer vers un
nouvel ordre fondé sur les réalités du monde de l’après-guerre et la volonté
de changement. Ce souci était présent dans les négociations qui avaient
donné naissance à l’ONU, consacrée par la Conférence de San Francisco,
et aux institutions de Bretton-Woods.
Certes, la Charte de l’Organisation est adossée à une démarche
noble qu’expriment, notamment, les dispositions relatives au règlement
pacifique des différends, aux préoccupations concernant le développement
économique et social, à l’attachement aux droits fondamentaux de
l’Homme, etc. Il est également vrai que les missions de l’Organisation
se sont élargies depuis sa création. Ainsi, à la demande des pays du tiers-
monde, absents au moment de la mise en place des règles et institutions de
l’après-guerre, de très nombreuses résolutions de l’Assemblée générale de
l’ONU ont traduit de différentes manières la quête d’un ordre international
idéal, exprimant les aspirations de la nouvelle majorité.
Etat et perspectives de l’ordre international 137

Mais la colonne vertébrale du système onusien demeure constituée des


règles et institutions qui établissent un équilibre des puissances entre les
grands de l’époque. Les dispositions de la Charte, qui protègent cet ordre,
ont cadenassé les perspectives d’avenir. Elles bloquent la loi naturelle du
changement liée aux transformations des réalités internationales.
En effet, l’ONU repose sur la contradiction générale existant entre les
principes de liberté et d’égalité de tous les Etats et la place qu’elle fait aux
grandes puissances en leur attribuant à titre nominatif le droit de veto au
sein du Conseil de sécurité (article 23 de la Charte) et donc celui de bloquer
toute décision opérationnelle qui ne cadre pas avec leurs intérêts, ainsi que
le droit d’empêcher l’aboutissement de tout amendement ou révision de
la Charte (articles 108 et 109). On considère que, sans ce droit de veto et
celui de la légitime défense (article 51), l’ONU n’aurait jamais existé (2).
Le principal but des Nations Unies est essentiellement le maintien de la
paix et de la sécurité internationales. Donc le souci de stabilité sous-tend
l’édifice échafaudé en 1945.
Les « privilèges » des vainqueurs de la guerre avaient pourtant soulevé
des critiques de la part d’un certain nombre de pays participant à la
Conférence de San Francisco, mais ceux-ci n’avaient pas les moyens
de modifier la ligne arrêtée par les puissances invitantes, en particulier
les Etats-Unis d’Amérique. Une conférence générale des membres des
Nations Unies destinée à la révision de la Charte est prévue par son
article 109, mais elle ne s’est pas tenue.
Ces divergences avaient cependant été vite masquées par l’émergence
de la guerre froide. Celle-ci avait donné naissance à deux grands pôles,
chacun dominé par une superpuissance. Ces deux pôles étaient fondés
sur la solidarité et la discipline de leurs membres. Ce qui explique le
silence des alliés respectifs sur la démarche hégémonique des deux
superpuissances. Si le bloc de l’Est avait commencé à se fissurer avec
la révolution du Printemps de Prague de 1968, les désaccords au sein du
bloc occidental ont trouvé un terreau fertile dans le domaine économique,
notamment entre les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Les différends sont
devenus ouverts depuis la fin de la guerre froide.

(2) Paul Quilès et Alexandra Novosseloff, le Monde du 9 décembre 2011.


138 Aziz Hasbi

Cette guerre larvée n’avait pas détruit les fondements de l’ordre mis en
place par les Alliés, mais elle l’avait utilisé. La stabilité relative entre les
grandes puissances avait, dans l’ensemble, fonctionné. En plus, et malgré
les contradictions générées entre les membres permanents du fait de la
guerre froide, ceux-ci s’étaient avérés des alliés objectifs pour sauvegarder
leurs privilèges au sein du Conseil de sécurité. Ils continuent toujours à
l’être et à le faire.
De ce fait, l’ordre de l’après-guerre froide n’est pas à proprement parler
un nouvel ordre international, comme l’avaient proclamé les présidents
George Bush et François Mitterrand, en 1990, à la tribune de l’Assemblée
générale des Nations Unies.
Il s’agit en fait d’un ordre ambigu :
– il se veut le prolongement de l’ancien ordre, expurgé de la rivalité
des blocs ;
– il est aussi tout à la fois le résultat d’une unipolarité américaine,
contestée plus ou moins ouvertement, d’une multipolarité balbutiante
et d’un équilibre des puissances confus ;
– l’ordre post-bipolaire demeure également singulier, parce qu’il ne
résulte pas d’une guerre généralisée. Les ordres précédents sont nés
des guerres et du chaos.
Aujourd’hui, les données sur la base desquelles fut construit l’ordre
établi en 1945 ont changé. De ce fait, la position-clé des vainqueurs de la
Seconde Guerre mondiale est convoitée par des pays qui ont acquis une
puissance économique importante et qui veulent parachever leur statut de
grande puissance en intégrant le cercle des meneurs du jeu international.
L’ordre international va se trouver ainsi au cœur des débats relatifs aux
Nations Unies. Il est tout à la fois contesté et convoité par les nouvelles
puissances, celles qui ont le moyen d’être révisionnistes.
Mais quel est l’objectif des puissances insatisfaites par l’ordre
international ? Un simple réaménagement ? Ou bien la mise en place d’un
ordre international nouveau ? De quels moyens disposent-elles alors pour
obtenir satisfaction ?
Etat et perspectives de l’ordre international 139

2. Vers quelles transformations de l’ordre international ?


Les revendications allant dans le sens de la correction de l’ordre
international de l’après-guerre sont anciennes. Elles ont accompagné
l’émergence des pays du tiers-monde, comme elles ont exprimé la
volonté d’intégrer le cercle des grands de la part des pays qui ont acquis
progressivement une forte puissance économique.
Face aux critiques de la gouvernance internationale, aux pressions sur
la réforme des règles du jeu international, les grandes puissances ont fini
par s’ouvrir à la négociation. Certains enjeux, dus à l’existence des blocs
et de deux principaux modèles idéologiques, ont disparu après la chute
du Mur de Berlin. Le système libéral impulsé par les Etats-Unis et leurs
alliés n’est plus contesté, étant donné que l’écrasante majorité des pays
ont intégré les institutions de Bretton-Woods et l’Organisation mondiale
du commerce (OMC), hauts lieux du libéralisme. Ce qui fait que les
revendications de changement se font de l’intérieur du système, auquel il
est seulement reproché de ne pas être démocratique.
Certaines réponses ont été fournies aux demandes les plus insistantes,
mais elles demeurent insuffisantes.
La réponse aux revendications relatives à la réforme du Conseil de
sécurité tarde à venir. Elle est pourtant fondamentale. Car elle est liée à la
transformation ou non de l’ordre régi par certaines dispositions relatives à
la composition et au fonctionnement de cet organe principal et au passage
obligé que constitue l’accord des cinq membres permanents pour tout
changement afférent à la Charte des Nations Unies. Aussi les réformes du
Conseil de sécurité et de l’ordre international sont-elles indissociables.

Le tiers-monde et la quête d’un ordre plus équitable


La revendication d’un ordre international idéal, qui transcende les
lois d’airain de l’ordre établi, a constitué une demande permanente des
pays du tiers-monde impréparés à affronter une économie internationale
fondée sur la compétitivité. Elle a, d’abord, trouvé son expression dans
les nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies
relatives à la quête d’un nouvel ordre économique international, à la suite
de la vague des indépendances des années 60. Cette quête de justice et
d’équité a embrassé progressivement tous les domaines : l’information, le
transfert de technologie, la santé, etc. Elle continue.
140 Aziz Hasbi

Pour ne prendre que les textes les plus récents, en feuilletant les
comptes-rendus des débats de la 67e session de l’Assemblée générale
(2012-2013) et la liste des résolutions adoptées, on constate la diversité
des objectifs et de la terminologie qui caractérisent la nébuleuse d’un ordre
international idéal :
– promotion d’un ordre international démocratique et équitable
(A/RES/67/175 du 20 décembre 2012) ;
– vers un nouvel ordre économique international (A/RES/67/217 du
21 décembre 2012)(3) ;
– le rôle des Nations Unies dans la promotion d’un nouvel ordre mondial
privilégiant l’humain (A/RES/67/230 du 21 décembre 2012).
La recherche d’ordres idéals a ainsi alimenté la vulgate internationaliste,
sans trop de frais. Car les réalisations n’ont jamais assouvi les attentes et
les espoirs. Et pour cause : l’ONU est loin d’être peuplée de boy-scouts…
La revendication des pays nouvellement indépendants avait également
visé la composition du Conseil de sécurité. La pression de la nouvelle
majorité quantitative et l’ambiance de compétition des deux blocs pour
faire bonne figure devant celle-ci ont permis de faire passer le nombre
des membres non permanents de 6 à 10 et la composition du Conseil de
11 à 15 ; amendements intervenus en 1963 et entrés en vigueur à partir
de 1965. C’est d’ailleurs la seule réforme qu’a connue le Conseil de
sécurité au niveau de sa composition.
Par conséquent, la pression s’est poursuivie pour obtenir une réforme
du Conseil de sécurité.

La difficulté de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU


Si, pendant de longues décennies, les grandes puissances avaient
fait la sourde oreille aux demandes de réforme du Conseil de sécurité,
des conditions plus propices se présentèrent à la fin de la Guerre froide
et surtout après le 11 septembre 2001. Ceci a permis la naissance et la
consolidation d’un consensus sur la nécessité d’élargir la composition

(3) Selon cette résolution : l’Assemblée générale « 2. Réaffirme qu’il faut continuer de s’employer
à instaurer un nouvel ordre économique international fondé sur les principes d’équité, d’égalité
souveraine, d’interdépendance, d’intérêt commun, de coopération et de solidarité entre tous les
Etats ; 3. Réaffirme également qu’il est nécessaire que les pays en développement participent
davantage à la prise des décisions économiques internationales et à la définition des normes
économiques internationales et soient mieux représentés dans les instances compétentes ».
Etat et perspectives de l’ordre international 141

du Conseil et de l’adapter aux nouvelles réalités internationales. Cette


évolution vise formellement la rectification des déséquilibres inhérents à
l’ordre établi en 1945.
La revendication de réformer le Conseil de sécurité est récurrente
dans les débats des Nations Unies. « La question de la représentation
équitable au Conseil de sécurité et de l’augmentation du nombre de
ses membres » est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale
depuis 1979. Mais il fallu attendre la fin de la Guerre froide pour organiser
la réflexion à ce sujet, à travers la création, en décembre 1993, du « Groupe
de travail à composition non limitée » qui a été chargé d’« examiner tous
les aspects de la question de l’augmentation du nombre des membres du
Conseil de sécurité, ainsi que d’autres questions ayant trait au Conseil
de sécurité (4) ». Le Groupe a commencé ses travaux en janvier 1994
et a présenté, depuis, des rapports à toutes les sessions de l’Assemblée,
donnant l’espoir d’un déblocage (5) de la situation. En effet, cette
demande insistante a été, depuis de la chute du mur de Berlin, confortée
par des puissances industrialisées non représentées au Conseil, comme
l’Allemagne et le Japon. Depuis 1993, la candidature de ces deux pays
est soutenue par certains membres permanents du Conseil de sécurité. De
leur côté, de grands pays émergents, comme l’Inde et le Brésil, ont aussi
montré leur volonté d’en faire partie.
Depuis lors, de nombreux projets ont été déposés et d’interminables
débats ont été dédiés à cette réforme. L’échec a été le lot commun de toutes
ces tentatives.
Une nouvelle impulsion a été donnée à l’issue de la 62e session
de l’Assemblée générale (2007-2008), au cours de laquelle il a été
décidé de lancer des «  négociations intergouvernementales 
» pour
sortir de l’impasse (6). Ces négociations ont effectivement débuté le
19 février 2009. Elles ont déjà à leur actif 8 cycles.

(4) AG. Rés., 48/26 du 10 décembre 1993.


(5) L’Assemblée générale, par sa résolution en date du 1er décembre 1998 (A/RES/53/30), a mis
en place un garde-fou consistant pour elle à se « déterminer » « à n’adopter aucune résolution ou
décision sur la question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de l’augmentation
du nombre de ses membres et questions connexes, sans le vote affirmatif des deux tiers des
membres de l’Assemblée générale ».
(6) Décision 62/557 du 15 septembre 2008.
142 Aziz Hasbi

Avec la réunion du 16 avril 2013, les négociations inter-


gouvernementales sur la réforme du Conseil de sécurité ont entamé leur
9e cycle. En effet, l’Assemblée a pris la décision, le 13 septembre 2012,
de les poursuivre en séance plénière lors de sa 67e session (2012-2013).
Elle a également décidé de réunir le Groupe de travail à composition non
limitée et d’inscrire à l’ordre du jour de cette session le point intitulé
« Question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de
l’augmentation du nombre de ses membres, ainsi que d’autres questions
ayant trait au Conseil de sécurité (7) ».
L’objectif est de faire du Conseil de sécurité un organe «  plus
représentatif », « plus transparent », « plus légitime », « plus efficace ». Ce
qui, en soi, constitue une quadrature du cercle.
Après vingt ans de travaux, dont huit cycles de négociations
intergouvernementales, les débats sur la réforme du Conseil continuent,
mais sans avoir abouti, jusqu’ici, à un résultat concret. Lors des deux séances
plénières de l’Assemblée générale du 15 novembre 2012, les délégations ont
de nouveau manifesté leur impatience devant la lenteur des négociations,
réclamant « un texte de négociation concis et assorti d’un calendrier
raisonnable pour faire avancer la réforme du Conseil de sécurité (8) ».
Le point sur les négociations montre qu’il y a, à la date du
15 novembre 2012, un consensus de tous les groupes sur les principes
de l’amélioration des méthodes de travail du Conseil, de la présence
permanente de l’Afrique et de l’augmentation du nombre des membres
non permanents (9).
Mais les divergences continuent sur l’augmentation et l’attribution des
sièges permanents. Le G4 (Allemagne, Brésil, Inde et Japon) réclame pour
chacun de ses membres un siège permanent sans droit de veto. L’Union
africaine et son Comité des Dix pays (C10) en revendique deux avec droit
de veto. Le groupe « Unis pour le consensus » (Italie, Argentine, Pakistan,
Mexique, etc.) propose de ne créer que des sièges non permanents, dotés
cependant d’un long mandat, plus de six ans. Le L.69 (qui regroupe
plusieurs pays en développement d’Afrique, d’Amérique latine, des
Caraïbes et d’Asie) réclame un siège non permanent réservé à titre exclusif

(7) Assemblée générale, AG/11280 du 13 septembre 2012.


(8) Assemblée générale, AG/11313 du 15 novembre 2012.
(9) Assemblée générale, AG/11313 du 15 novembre 2012
Etat et perspectives de l’ordre international 143

à un petit Etat insulaire en développement. Les « Small Five » (Costa Rica,


Jordanie, Liechtenstein, Singapour et Suisse) demandent la non-utilisation
par les membres permanents du droit de veto lorsqu’il s’agit des situations
où des crimes graves sont commis, en attendant son abolition totale.
Les Etats-Unis et la Fédération de Russie s’opposent à tout changement
relatif au veto. La Chine rejette l’idée de calendrier pour les négociations
intergouvernementales, et donc le principe d’un butoir (10). La France
et le Royaume-Uni proposent, depuis 2008, une réforme intérimaire
consistant dans la création de sièges non permanents pourvus d’un long
mandat. A l’issue de cette période intérimaire, ces sièges pourraient
devenir permanents (11).
L’opposition des membres permanents à tout changement relatif au
droit de veto montre les difficultés à adapter le Conseil de sécurité aux
nouvelles réalités internationales, caractérisées par une redistribution
ascendante de la puissance. La difficulté vient justement du fait que la
réforme est bien liée à la révision de l’ordre international mis en place
en 1945.
Il y a donc impasse. Celle-ci pousse à douter de la faisabilité même de
cette la réforme.
Mais étant donné les fortes pressions entourant la question de
l’élargissement du Conseil, on peut quand même s’attendre à l’aboutissement
d’un compromis sans grands bouleversements de l’ordre réel des choses,
menant à la création de sièges permanents et non-permanents, pour un
Conseil de 21 à 25 membres. Mais l’exercice du veto ne serait pas affecté,
du moins pendant un certain temps. Les candidats les plus à même de peser
sur la décision sont disposés à accepter un tel compromis. Il en est ainsi du
G4 dont les membres ne revendiquent pas le droit de veto et ne remettent
pas en cause celui des 5 Permanents. Pour le reste, les contrariétés que
peuvent créer les autres groupes seront tempérées par leur manque réel de
moyens de pression et leur rivalité, comme l’illustre l’opposition des Etats
voisins des pays du G4 à l’octroi en faveur de ceux-ci du rang de membres
permanents.
Mais, à terme, un tel compromis, si on arrive à l’atteindre, peut-il
mettre fin aux assauts contre le directoire que constitue le Conseil de

(10) Assemblée générale, AG/11313 du 15 novembre 2012.


(11) http://www.franceonu.org, novembre 2012.
144 Aziz Hasbi

sécurité, quelle que soit la forme qu’il prendra ? Si la Charte des Nations
Unies a prévu le veto pour éviter que les grandes puissances de l’époque
ne se trouvent engagées individuellement ou collectivement dans un
affrontement contre leur gré, que vaudra ce droit, nommément attribué
aux actuels cinq membres permanents, si demain d’autres puissances
se substituent à eux ? Que deviendra la stabilité, objectif de l’ordre
international, si la règle de l’unanimité au sein du Conseil de sécurité ne
joue pas comme garde-fou en faveur des futures et imminentes grandes
puissances ? Questions légitimes qui montrent la difficulté qu’affrontera
l’adaptation de l’ordre international aux réalités présentes et futures.
Maintenant, qu’en est-il des réponses fournies aux revendications en
matière de gouvernance économique mondiale ?

La question de la gouvernance économique internationale


Au niveau économique, le club des grands a essayé de satisfaire
les demandes des puissances émergentes au niveau de la gouvernance
économique mondiale. Ainsi le G20, créé en 1999, a été redynamisé à la
faveur de la crise économique de 2007-2008. Il comprend les membres
du G8 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie,
Japon et Russie depuis 1998), l’Union européenne, l’Australie et 10 pays
émergents (Arabie saoudite, Argentine, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde,
Indonésie, Mexique et Turquie). Lors de la réunion du G20 à Londres,
le 2 avril 2009, une décision fut prise pour accélérer le calendrier de
transfert de droits de vote aux pays émergents à la Banque mondiale
(avril 2010) et au FMI (janvier 2011). Au sommet dudit groupe, à
Pittsburgh en septembre 2009, il fut décidé de transférer 5 % des droits de
vote des pays développés au FMI à la Chine, au Brésil et à l’Inde.
Mais face aux attentes de ce monde ascendant, ces réponses ne
semblent pas être suffisantes.
Ainsi, même si l’ordre international n’est pas menacé pour le moment
dans ses règles, mais dans leur application, et même si les revendications
des puissances révisionnistes se font de l’intérieur du système, le manque
de réponses convaincantes à ces revendications exerce une forte pression
sur l’ordre établi.
Mais les conditions de l’avènement d’un ordre international différent
sont-elles pour autant remplies ?
Etat et perspectives de l’ordre international 145

3. Quelles perspectives d’avenir ?


Le monde d’aujourd’hui n’est pas à l’abri des débordements guerriers.
L’actualité est ponctuée par des bruits insistants de bottes : Corée du Nord,
menace d’attaque israélienne contre l’Iran, suspecté lui-même de se doter
de l’arme nucléaire. Le monde arabe est en pleine ébullition. Sans oublier
qu’avec la multiplication des interventions militaires américaines dites
préventives (comme en Irak), la dissuasion perd de son efficacité. Le
terrorisme a également largement contribué à cette situation.
Parallèlement, on constate le renforcement des nouvelles puissances.
Ainsi, ayant relativement bien résisté à la crise de 2008, la Chine est
devenue, en 2010, la deuxième puissance économique mondiale devant le
Japon (son PIB, exprimé en PPA, a atteint 11 300 milliards de dollars en
2011 (12)) et le premier exportateur mondial devant l’Allemagne, en 2011.
Elle détient également les premières réserves de change au monde. Du fait
du ralentissement économique mondial et de la baisse des échanges dus
à la récession mondiale actuelle, la croissance chinoise a certes décéléré.
Mais, soutenue par la forte demande intérieure, elle a quand même atteint
7,8 % en 2012. La croissance devrait se maintenir autour de 8 % en 2013.
De son côté, le budget militaire de la Chine est le deuxième en
importance après celui des Etats-Unis, bien qu’il lui soit quantitativement
bien inférieur (143 contre 711 milliards de dollars en 2011 (13)). En
atteignant 238,2 milliards de dollars en 2015, comme cela semble être
prévisible (14), il restera loin derrière le budget américain actuel, même
si ce dernier doit être amputé de 487 milliards de dollars en dix ans (15).
De même, la Chine a détrôné le Royaume-Uni du cinquième rang
mondial des plus grands exportateurs d’armes (16).
La Chine devrait devenir la première puissance économique du monde
dès 2016 et, à plus long terme, la deuxième place devrait être occupée par

(12) Encyclopédie de l’état du monde, bilan annuel 2011-2012.


(13) Selon le SIPRI (idem, p. 9), le top 10 des dépenses militaires se présente comme suit en
2011 : 1. Etats-Unis : $711 b ; 2. Chine : $143 b ; 3. Russie : $71.9 b ; 4. RU : $62.7 b ; 5. France :
$62.5 b ; 6. Japon : $59.3 b ; 7. Inde : $48.9 b ; 8. Arabie saoudite : $48.5 b ; 9. Allemagne : $46.7 ;
10. Brésil : $35.4 b.
(14) lemonde.fr du 17 février 2012.
(15) le monde.fr du 5 janvier 2012.
(16) SIPRI, communiqué de presse du 18 mars 2013.
146 Aziz Hasbi

l’Inde. C’est la conclusion à laquelle est parvenue l’OCDE dans une étude
sur la croissance mondiale à l’horizon 2060. En effet, d’après ce rapport :
« Les 50 prochaines années seront marquées par de profonds
changements dans la contribution des pays au PIB global.
« Sur la base des PPA (17) de 2005, la Chine devrait dépasser la zone
euro en 2012 et les États-Unis quelques années plus tard, devenant ainsi
la plus grande économie du monde, tandis que l’Inde passerait devant le
Japon un ou deux ans plus tard et devant la zone euro dans une vingtaine
d’années.
« Le taux de croissance plus rapide de la Chine et de l’Inde signifie
que leur PIB cumulé pèsera plus lourd que celui des sept principales
économies de l’OCDE (G7) vers 2025 et qu’il sera 1,5 fois plus important
en 2060, alors qu’il n’en représentait pas même la moitié en 2010. Mieux,
en 2060, le PIB cumulé de ces deux pays sera plus important que celui
de l’ensemble de la zone OCDE (c’est-à-dire de tous les pays qui en font
partie aujourd’hui), alors qu’il en représente seulement un tiers à l’heure
actuelle (18). »
Bien qu’à moindre échelle, le même dynamisme caractérise l’ensemble
des cinq principales économies émergentes, désignées par l’acronyme
anglais BRICS (Brazil, Russia, India, China, South Africa). En matière
militaire, l’effort d’armement est remarquable. Outre la Chine, la Russie
compte réserver 590 milliards d’euros à la défense, entre 2012 et 2020,
avec un doublement du budget entre 2012 et 2015. Le budget militaire de
l’Inde connaît une croissance annuelle de 10 % (19).
De son côté, le leadership américain incontesté de l’après Seconde
Guerre mondiale a été entamé par sa tendance à faire cavalier seul ;
démarche qui lui crée parfois des dissensions avec ses proches alliés. C’est
notamment le cas de la guerre lancée contre l’Irak en 2003, à laquelle
s’étaient opposées la France et l’Allemagne. Ce qui explique l’absence
de soutien américain à la candidature de l’Allemagne comme membre
permanent du Conseil de sécurité.

(17) Parités pouvoirs d’achat.


(18) OECD Home › Département des Affaires économiques › Perspectives économiques, analyses
et projections › Horizon 2060 : perspectives de croissance économique globale à long terme,
OCDE, 2012. Souligné dans le texte.
(19) Jean-Pierre Maulny (IRIS), lemonde.fr du 29 février 2012
Etat et perspectives de l’ordre international 147

Il ne s’agit pas de la seule fissure des rangs des ex-alliés du bloc de


l’Ouest. La disparition du bloc adverse a démobilisé les uns et les autres.
En plus, la récession économique que connaissent les pays industrialisés,
et particulièrement ceux de l’Europe occidentale, affecte les rapports des
puissances. L’avenir semble être encore plus sombre, comme le prédisent
les prévisions.
Mais cela constitue-t-il un changement fondamental quant aux bases de
l’ordre international actuel ?
Si l’on se penche sur la place des Etats-Unis sur l’échiquier international,
équilibreur de l’ordre international depuis 1945, on constate que, malgré
l’image héritée de l’administration George W. Bush et la démarche
musclée des néoconservateurs après le 11 septembre 2001, les éléments
de leur hégémonie n’ont pas disparu pour autant. Ils disposent d’une
prédominance militaire incontestable et totalisent à eux seuls plus de 40 %
des dépenses militaires mondiales : elles étaient en 2011 de 711 milliards
de dollars sur un total mondial de 1738 milliards (20). Le président Obama
a d’ailleurs déclaré que les Etats-Unis « vont maintenir leur supériorité
militaire (21) ».
Avec un PIB total de 15 094 milliards de dollars (PPA), le plus
important du monde, ils occupent également une position économique qui
leur permet d’influer sur les termes de l’échange international. Ils jouissent
d’une place de choix dans les organisations internationales (ONU, OTAN,
FMI, BM, OMC, etc.). Leur influence culturelle est certaine, notamment à
travers la production universitaire, les médias, le cinéma, la prédominance
de la langue anglaise, etc. La position modérée adoptée par les Etats-Unis
sous l’administration Obama a de fortes chances de se prolonger et de
contribuer à la renaissance d’une diplomatie américaine d’influence et à la
longévité de l’hégémonie de ce pays. Sans oublier que l’OTAN demeure
toujours une alliance dominée par les Etats-Unis qui sont capables d’en
coaliser les membres à tout moment. La faiblesse relative de l’Europe
renforcera l’arrimage de celle-ci au bouclier américain.

(20) SIPRI (Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), Yearbook, Armaments,
Disarmament and International Security, juillet 2012, p. 8.
(21) lemonde.fr du 5 janvier 2012. Mais cette déclaration accompagnait la décision de réduire le
budget du Pentagone de 487 milliards de dollars en dix ans.
148 Aziz Hasbi

Par ailleurs, au moins pendant de longues années, la stabilité relative


du monde actuel servira le développement des puissances émergentes.
Elles s’abstiendront de la perturber, du moins tant qu’elle ira dans le sens
de leurs intérêts nationaux. Sans oublier que les compétiteurs des Etats-
Unis, en dépit des errements impérialistes américains passés et peut-être
à venir, ne disposent pas, ou pas encore, d’une attraction suffisante pour
faire accepter leur leadership au niveau international. Il faudrait des efforts
réels pour faire rapidement de la Chine ou de l’Inde des leaders incontestés
du monde. D’autant plus que ces pays affronteront les revendications de
leurs populations, même si leur revenu par habitant sera multiplié par sept
à l’horizon 2060. La Chine sera seulement « à 25 % au-dessus du niveau
de revenu actuel (2011) des États-Unis, tandis que l’Inde n’atteindra
qu’environ la moitié de ce niveau (22) ». D’après l’OCDE, « le classement
des pays en fonction de leur PIB par habitant devrait rester à peu près
inchangé ».
En plus, l’Inde consent un effort militaire essentiellement à cause de
la double menace de la Chine et du Pakistan. Sans parler des craintes du
Japon (23) et de la Corée du Sud. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de
rééquilibrer les puissances en Asie et peut être ailleurs. L’administration
Obama a d’ailleurs réorienté sa politique militaire vers ce continent (24).
Cela attisera probablement la rivalité sino-américaine. Mais, tout en
renforçant la coopération militaire avec le Japon, les Américains ont évité
d’intervenir dans la crise sino-japonaise sur les iles Sensaku, appelant les
deux pays à trouver une solution diplomatique (25).
D’aucuns considèrent que la situation dans laquelle se trouve la Chine
par rapport aux Etats-Unis ressemble à celle, à la fin du XIXe siècle, de
l’Allemagne par rapport à l’Angleterre (26). Mais d’autres envisagent
l’émergence d’un couple Etats-Unis-Chine qui régenterait le monde et

(22) OECD Home › Département des Affaires économiques › Perspectives économiques, analyses


et projections › Horizon 2060 : perspectives de croissance économique globale à long terme,
OCDE, 2012, op. cit.
(23) Crise des iles Sensaku et rétorsions économiques de la Chine contre le Japon. Par ailleurs, la
Chine fait souvent des démonstrations de ses forces à l’adresse de ce dernier, alors qu’elle en est
le premier partenaire commercial. Cette situation pousse le Japon à des achats d’armes offensives
pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Edouard Pflimlin, de l’IRIS,
« La troisième guerre mondiale éclatera-t-elle en Asie ? », Atlantico, 29 novembre 2012).
(24) Idem ; voir également lemonde.fr du 5 janvier 2012.
(25) Idem.
(26) Le Figaro du 11 avril 2013.
Etat et perspectives de l’ordre international 149

maintiendrait l’essentiel de l’ordre régnant, étant donné que les deux


puissances sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et
jalouses de leurs privilèges.
Par ailleurs, le National Intelligence Council (NIC), chargé aux Etats-
Unis de l’analyse stratégique et de la prospective dans le domaine du
renseignement, prévoit dans son rapport Global Trends 2030, publié en
décembre 2012, qu’« à l’horizon 2030, le monde devrait être multipolaire
en l’absence de tout acteur hégémonique, les Etats-Unis, la Chine ou
un autre Etat n’étant plus ou pas en mesure de jouer un tel rôle(27) ».
Mais cela signifie aussi que même si les Etats-Unis cessaient d’être
l’hyperpuissance, ils continueraient à influer sur l’équilibre des puissances
dans un monde multipolaire.
En attendant, tant que les mutations ne créent pas de conditions de
rupture définitive et belligène entre puissances capables d’embraser le
monde, avec le risque de destruction que recèle l’existence d’armes de
destruction massive, les termes géopolitiques de l’ordre international ont
des chances de survivre encore longtemps. La persistance des guerres
locales n’est pas une menace contre l’ordre international actuel. Et, la
dissuasion nucléaire aidant, il est maintenant difficile d’imaginer que de
nouvelles grandes puissances puissent chercher un rééquilibrage par les
armes.

(27) Affaires-Stratégiques.info, 4 janvier 2013. Pour le rapport de la NIC, voir http://www.


dni,gov/files/documents/Global Trends 2030.pdf
Le Maroc face à la finance islamique :
enjeux et défis
Sabra Ammor

Après plusieurs mois passés au Secrétariat général du gouvernement


(SGG), le projet de loi sur la finance islamique au Maroc – après trois
mois de retard sur le calendrier initial – refait surface et atterrit à l’exécutif.
Le conseil de gouvernement tenu le 16 janvier 2014 devait adopter le
projet relatif aux établissements de crédit et organismes assimilés qui
réglementent le statut de la banque islamique, les produits qu’elle peut
commercialiser et les organes de contrôle. Il est prévu que la nouvelle loi
soit adoptée avant la fin de l’année 2014 par le pouvoir législatif.
Ce nouveau projet de loi prévoit la mise en place d’un « Comité charia
pour la finance », pour veiller sur la conformité à la charia des opérations
et produits offerts au public, et c’est le Conseil supérieur des oulémas qui
se chargera de cette mission.
Le nouveau texte parle, en s’inscrivant dans le cadre de la refonte de la
loi bancaire, de « banques participatives » ; il évite de ce fait de reprendre
les dénominations de « produits alternatifs » et de « banques islamiques »
(cf. plus loin).
Le Conseil supérieur des oulémas, qui remplace le Comité charia pour
la finance, sera chargé de se prononcer sur la conformité à la charia des
opérations et produits offerts au public, de répondre aux consultations des
banques et de donner un avis préalable sur le contenu des campagnes de
communication des établissements de crédit exerçant l’activité de banque
participative.
Le Conseil pourrait également proposer des mesures de nature à
contribuer au développement des produits ou services financiers conformes
à la charia. L’article 65 du projet de refonte de la loi bancaire souligne que
« les avis prononcés par le Comité charia pour la finance sont opposables
aux banques participatives et à toute autre institution financière offrant
des produits ou des services conformes à la charia. Ils prévalent sur toute
interprétation contraire ».
152 Sabra Ammor

Sur un niveau plus global, ce débat sur la finance islamique connaît un


essor soutenu depuis la crise financière internationale de 2007-2008. Cette
crise a révélé qu’un grand nombre de règles prudentielles n’ont pas été
observées. Mieux ou pis encore, certains analystes, et non des moindres,
ont tourné leur regard sur le système financier islamique (SFI) en tant que
champ plein d’enseignements et de promesses.
La crise bancaire et financière de 2008-2009 appelle, par son importance
et ses conséquences économiques et sociales, de multiples réactions,
questions et inquiétudes dans l’opinion publique quant à l’organisation et
à la solidité des systèmes financiers à l’échelle nationale et mondiale.
L’élément déclencheur de cette crise financière est la crise immobilière
aux États-Unis née du retournement d’une politique monétaire laxiste.
Cette crise, commençant dans une certaine indifférence dès 2006, a atteint
son paroxysme au deuxième semestre 2008 quand on a observé, jour après
jour, la chute des cours des actions simultanément sur toutes les places
financières dans tous les secteurs d’activité, des faillites ou des quasi-
faillites de certains établissements bancaires prestigieux (1).
Ces événements ont entraîné des interventions inhabituelles des
autorités publiques, interventions qui sont devenues de plus en plus
massives et coordonnées pour endiguer un risque de perte de confiance
dans le fonctionnement des systèmes financiers, et limiter la gravité de la
récession économique.
En fait, cette crise est le résultat d’un ensemble de comportements
délibérés de la part des acteurs. C’est une crise d’un système qui s’est
révélé basé sur les excès d’une des activités financières à savoir le transfert
du risque du prêteur à des contreparties diversifiées.
En revanche, cette crise financière a eu le mérite de mettre en évidence
la fragilité du système capitaliste face aux dérives spéculatives et face
à la spirale de la dette. Le fort impact qu’a eu la crise financière sur
les économies des pays développés et pays en développement a poussé
plusieurs économistes et analystes à se pencher sur les raisons de la crise,
ses conséquences, ainsi que les moyens qui doivent être mis en place afin
d’éviter que cela ne se reproduise.

(1) Le scandale Enron, révélé en octobre 2001, a conduit à la banqueroute de Enron Corporation,
une compagnie américaine spécialisée entre autres dans l’exploitation de l’énergie, basée à
Houston au Texas.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 153

A ce propos, la finance islamique est érigée comme un rempart


face à la crise financière internationale (2). Certains vont plus loin en
parlant, carrément, de la finance islamique comme « alternative » pour les
entreprises et en disant que la « finance islamique est un outil d’avenir (3) ».
D’autres avancent que la finance islamique est « la solution à la crise (4) ».
La solution à la crise, mais aussi à la prospérité dans la mesure où une
bonne partie de la clientèle potentielle, dans les pays islamiques, reste en
dehors des services bancaires pour des raisons éthiques. La pratique des
banques islamiques est riche d’enseignements à ce propos.
Les questions qui ont présidé à cet essai, et auxquelles nous avons
essayé d’apporter quelques éléments de réponse, sont les suivantes :
De quelle importance jouit la finance islamique (FI) à l’échelle
internationale ? Comment expliquer l’engouement dont la FI fait l’objet
aujourd’hui, surtout suite à sa capacité à résister à la crise financière
internationale ? Quels sont les ressorts de force de la FI, et dans quelle
mesure sont-ils prometteurs ? Quid de la position des principaux acteurs
bancaires marocains à l’égard de la FI et de l’ouverture du marché
marocain aux banques (islamiques) étrangères ? Dans quelle mesure
l’introduction/confirmation de la finance alternative au Maroc permet-elle
de dynamiser un secteur financier en perte de vitesse, et quels sont les
moyens d’y parvenir (marketing situé) ?

1. La finance islamique : importance et enjeux


La finance islamique connaît, ces trente dernières années, une croissance
exponentielle. Les actifs islamiques ont enregistré une croissance moyenne
annuelle de 15 % au cours des dix dernières années pour atteindre, selon
certains experts, plus de 1 000 milliards d’US$ en 2010. Le nombre de
fonds investis en actions, cotées et non cotées, en immobilier, en sukuks…
a connu un bond en avant fondamental (5).

(2) Imad Benlahmar (2010) « La finance islamique est-elle un rempart à la finance conventionnelle
face à la crise ? » Mémoire. http://www.scribd.com/doc/55136947/La-Finance-Islamique-Face-
La-Crise-Imad-Benlahmar
(3) Ces propos sont de Jamie Bowden, ambassadeur britannique à Bahreïn », op. cit.
(4) Olivier Pastré et Elies Jouiny, la Finance islamique, une solution à la crise, édition EuroPlace
« Economica », 2009.
(5) Michel Ruimy, la Finance Islamique, édition Sefi, 2008.
154 Sabra Ammor

En effet, l’une de ses caractéristiques fondamentales de la FI est son


souci d’être en conformité avec les principes islamiques. Le système
bancaire islamique (SBI), manifestation de la finance islamique, refuse
d’être un simple mécanisme d’intermédiation entre la banque et ses clients
et a l’ambition d’être un partenaire qui prend des risques.
Le SBI se caractérise par des opérations bancaires réfractaires à
l’utilisation de l’intérêt. A cause de ce principe fondamental, on a assisté
à une résistance de taille au développement des outils financiers modernes
dans de nombreuses régions du monde arabe et musulman.
Le prêt à intérêt (riba (6)), assimilé à l’usure, est interdit par le Coran.
Il est remplacé par une clé de répartition déterminée à l’avance par un
« partage » des risques et des profits entre l’épargnant, la banque et le
capital productif. Ainsi la relation prêteur-emprunteur laisse place à une
relation axée sur un partage plus équitable du risque entre le prêteur et le
propriétaire d’entreprise.
Sur le plan pratique, dès 1996, la Citibank avait établi sa propre
filiale islamique à Bahreïn. La plupart des grandes institutions financières
occidentales sont désormais engagées dans ce type d’activité, sous la
forme de filiales, de « guichets islamiques » (Islamic windows) avec des
produits financiers destinés à une clientèle musulmane.
Historiquement, la première banque à appliquer les principes islamiques
est apparue en Egypte en 1963, la Banque d’Epargne Misr Ghams, qui
deviendra plus tard la Nasser Social Bank. La création, en 1970, de
l’Organisation de la conférence islamique (OCI) regroupant les pays
musulmans remit les préceptes économiques à l’ordre du jour.
Il est à rappeler que le concept de “banque islamique” est né suite au
sommet islamique de Lahore de 1974 qui avait recommandé la création de la

(6) Il s’agit du surplus qui est perçu lors du remboursement d’un prêt et qui avait été stipulé
comme condition. L’intérêt est donc présent dans un prêt dès que trois conditions sont présentes:
1) il y a un surplus par rapport à la somme initiale fixée dans le cas d’une vente, ou la somme
prêtée dans le cas d’un prêt ; 2) ce surplus est la pure contrepartie du délai ; 3) ce surplus fait
l’objet d’une condition dans la transaction, que cette condition ait été mentionnée explicitement
ou qu’elle soit considérée comme présente à cause de l’usage. Il n’y a pas de différence en islam
entre intérêt et usure. Il n’y a pas non plus en islam de différence entre les prêts à intérêt destinés
à la consommation et les prêts à intérêt destinés à l’investissement. Il n’y a pas non plus en islam
de différence entre les intérêts qui augmentent au fil du temps quand le débiteur ne parvient pas à
régler sa dette et les intérêts fixés une fois pour toutes au moment du prêt.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 155

Banque islamique de développement (BID). Basée à Djedda, cette institution


posa les jalons d’un système d’entraide fondé sur des principes islamiques. En
1975, la Dubaï Islamic Bank (DIB) fut la première banque privée islamique
à voir le jour. Une association internationale de banques islamiques fut créée
pour établir des normes et défendre des intérêts communs.
En 1979, le Pakistan devint le premier pays à décréter l’islamisation
de l’ensemble du secteur bancaire. Il fut suivi, en 1983, par le Soudan et
l’Iran.
Les Institutions financières islamiques (IFI) ont aussi fait leur apparition
dans des pays non musulmans où vit une communauté musulmane
relativement importante. Aussi, ces dernières années, des banques
conventionnelles comme la banque Amanah aux Philippines et la Citibank
à Bahreïn et la HSBC aux Emirats arabes unis ont-elles ouvert dans
certains pays musulmans des succursales où coexistent deux guichets de
dépôt et d’emprunt : l’un conventionnel, l’autre islamique.
L’Union des banques suisses n’hésite pas à ouvrir des comptes
conformes à la charia, destinés aux clients musulmans. A côté de la Banque
islamique de développement, créée en 1975 et à laquelle participent
44 pays musulmans, et des banques nationales de certains Etats du Golfe,
certains groupes bancaires jouissent d’une stature internationale (comme
Dallah Al-Baraka et Al-RajhiBanking and Investment Co basés en Arabie
saoudite, Kuwait Finance House et International Investor (Koweït), Dar
Al-Maal Al-Islami Trust en Suisse et la Faysal Islamic Bank à Bahreïn).
Le premier indice islamique a été lancé sur le marché en 1998, il s’agit du
Socially aware muslim index (SAMI). Depuis, les principaux fournisseurs
d’indices classiques ont étendu leur gamme et proposent aujourd’hui un
large panel d’indices charia pour accompagner le développement accéléré
de la finance islamique, en particulier les fonds Sharia Compliant.
Dow Jones Islamic Market compte près d’une centaine d’indices charia.
A travers cet éventail d’indices charia, toutes les zones géographiques
sont couvertes ainsi que tous les secteurs d’activité et tous les niveaux de
capitalisation.
Les banques islamiques tirent leur spécificité de l’application des
règles islamiques dans leurs activités et de leur prohibition de l’intérêt (7).

(7) Par référence, notamment, aux versets du Coran, sourate “La vache”, verset 275 : « … Dieu a
permis la vente et il a interdit l’usure. »
156 Sabra Ammor

L’argent est considéré par l’islam comme un simple moyen d’échange ; si


sa circulation ne traduit pas une activité économique réelle, il sera immoral
qu’elle rapporte quelque prime que ce soit. Au lieu d’une simple relation
prêteur-emprunteur, le système financier islamique repose sur un partage
plus équitable du risque entre le prêteur et le propriétaire de l’entreprise.
Cette pratique découle de l’interdiction par le Coran du riba (8).
Les deux principales formes juridiques des contrats islamiques sont
la Moucharaka et la Moudaraba. (Dans le cas du Moudaraba, une partie
apporte le capital financier, l’autre le capital humain. Le type de contrat est
traditionnellement appliqué aux activités commerciales de courte durée.)
En vertu du contrat de Moucharaka, la banque et le client apportent
simultanément les capitaux nécessaires à l’élaboration du projet. Les
bénéfices qui s’en dégagent sont distribués au prorata de la participation de
chacune des parties au contrat. Les pertes sont également supportées par la
banque et par le client à concurrence de leur apport en capital respectif.
Le contrat Moudaraba porte sur une relation entreprise-bailleur de
capitaux. De ce fait, contrairement à un contrat de Moucharaka, la gestion du
projet revient entièrement à l’entreprise. La rémunération de l’entrepreneur
consiste en un pourcentage des bénéfices fixé à l’avance. Concernant les
pertes, elles ne peuvent être supportées que par le bailleur de capitaux.
A l’origine, l’entrepreneur (moudareb) propose un projet à financer
par la banque (Raab al-mal), chargée de fournir les capitaux. Aujourd’hui,
l’application du contrat de Moudaraba peut être envisagée dans d’autres
activités économiques.
Les banques islamiques disposent de différents instruments financiers
tels que les placements et prêts ou les assurances mais investissent
également dans d’autres activités. Dans le cadre du placement, les
institutions financières islamiques proposent à leurs clients des services
de gestion de capital (Moudareb) tout en sollicitant les dépôts (Raab
al-mal).

(8) « Ô Vous qui croyez, craignez Dieu. Renoncez, si vous êtes croyants à ce qui vous reste des
profits de l’usure. Si vous ne le faites pas, attendez-vous à la guerre de la part de Dieu et de son
Prophète. Si vous vous repentez, votre capital vous restera. Ne lésez personne et vous ne serez pas
lésés… » Coran, sourate “La vache”, versets 278-279 « …Ce que vous avez prêté à intérêt pour
qu’il se multiplie aux dépens des biens des gens ne se multipliera guère auprès de Dieu. » Coran,
sourate “Les Gréco-Romains”.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 157

Des instruments à terme fixe tels que le compte de placements ou le


compte de titres sont proposés au client qui doit partager avec la banque
les risques de participation. Parallèlement, aucun bénéfice ni rendement
intégral du capital n’est assuré.
En général, ces banques soumettent à un « Comité de la charia » les
projets qui leur sont proposés afin de s’assurer de leur conformité avec les
principes de l’islam.
Les banques islamiques tirent profit des bénéfices générés par les
transactions auxquelles elles participent. Les banques islamiques sont plus
exposées au risque financier que les banques classiques, ce qui les oblige
à avoir une structure de décision beaucoup plus lourde.
Une étude empirique portant sur Bahreïn (Metawa et Almossawy,
1988) a bien conclu que l’observance de la religion avait été le facteur
déterminant de l’augmentation des fonds déposés dans les banques
islamiques de ce pays. Bien que les banques islamiques assurent les
mêmes fonctions que les banques conventionnelles, elles s’en distinguent
par certaines caractéristiques.
La caractéristique la plus importante du système bancaire islamique
est l’encouragement du partage des risques entre le pourvoyeur de fonds
(l’investisseur), d’une part, et l’intermédiaire financier (la banque) et
l’utilisateur des fonds (l’entrepreneur), d’autre part.
Par contre, dans le cadre bancaire conventionnel, l’investisseur est
assuré d’un taux d’intérêt prédéterminé. Etant donné que le monde est de
nature incertaine, les résultats d’un projet ne sont pas connus ex-ante d’une
manière certaine. Par conséquent, il y a toujours certains risques à prendre.
Dans le système bancaire conventionnel, tous les risques sont supportés,
en principe, par l’entrepreneur. Le propriétaire du capital tire un rendement
prédéterminé que le projet réussisse et produise un rendement prédéterminé
ou qu’il échoue et entraîne une perte.
Dans le cadre du système bancaire conventionnel, ce qui importe le
plus est le remboursement à temps du principal et des intérêts. L’octroi
des prêts dépend fondamentalement de la solvabilité de l’emprunteur. Par
contre, une banque islamique s’intéresse plus à la viabilité du projet, à
la personnalité et aux compétences de l’entrepreneur qu’à sa rentabilité
exclusive. Une telle caractéristique a des implications importantes aussi
bien sur la distribution du crédit que sur la stabilité du système.
158 Sabra Ammor

Même dans le cadre des modes de non-partage tels que la Mourabaha,


le financement se trouve être lié à une marchandise ou à un actif. Cela
assure la contribution de la finance au processus productif et minimise la
spéculation ou le gaspillage de fonds.
Les banques conventionnelles accordent généralement peu d’attention
aux implications morales des activités qu’elles financent. A l’inverse, dans le
cadre du système islamique, tous les agents économiques doivent observer des
valeurs de l’islam, non seulement au regard de l’intérêt mais aussi au regard
des types de projet à financer (interdiction de financer des activités illicites
liées à la production et à la distribution de vin, aux jeux de hasard…).
D’après un rapport récent du Sénat américain (9), environ 40 % des actifs
à caractère islamique seraient portés par des banques conventionnelles. La
finance islamique s’intègre ainsi peu à peu dans l’économie mondiale
et, notamment, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en Suisse et aussi
en France. La Banque mondiale, par l’intermédiaire de la Société de
financement internationale, participe à la création de banques islamiques.

Les pays les plus actifs en finance islamique

Actifs conformes
Rang 2007 Pays à la charia
(millions de dollars)
1 Iran 154 616
2 Arabie saoudite 69 379
3 Malaisie 65 083
4 Koweït 37 684
5 Émirats arabes unis 35 354
6 Brunei 31 535
7 Bahreïn 26 252
8 Pakistan 15 918
9 Liban 14 316
10 Royaume-Uni 10 420
11 Turquie 10 066
12 Qatar 09 460
Source : The Banker, cité par François Guéranger, 2009, « Finance islamique », une illustration de
la finance éthique, édit. DUNO, p. 199.

(9) Voir Rapport d’information du Sénat du 14 mai 2008 sur la finance islamique.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 159

En matière de finance islamique, L’Iran s’avère en être l’un des pays


majeurs. Les raisons en sont, d’une part, sa forte démographie et, d’autre
part, l’ancienneté de sa révolution. Il est l’un des trois pays où l’ensemble
du système bancaire est islamisé. Au niveau asiatique, la Malaisie est l’un
des principaux pôles asiatiques de la finance islamique.
On compte environ trois cents institutions islamiques travaillant dans
près de cinquante pays. C’est surtout dans le Golfe Persique qu’on
les rencontre, avec quarante-trois organismes actuellement, dont un,
originaire de Malaisie, fonctionne à Bahreïn. On en dénombre quinze, dont
trois originaires du Golfe persique, en Malaisie.
Sur le plan de la taille, les banques islamiques les plus importantes se
trouvent à Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et en Iran. Elles peuvent
y opérer dans un environnement entièrement islamisé, par exemple en
Arabie saoudite où fonctionne la Banque islamique de développement.
Cet organisme a un rôle international dans la mesure où son objectif est
de renforcer le développement économique et le progrès social des pays
membres et des communautés musulmanes.
Concernant les banques islamiques des pays occidentaux, Londres est
le centre occidental de la finance islamique depuis l’implantation d’une
première banque en 2004, l’Islamic Bank of Britain. Il est vrai que le
gouvernement britannique a fait en sorte que la réglementation locale
permette à cette finance de prospérer.
On compte aujourd’hui quatre autres banques islamiques à Londres :
l’European Islamic Investment Bank (2005), the Bank of London and the
Middle East (2007), the European Finance House (janvier 2008) et the
Gate House (avril 2008) (10).
Enfin, la Turquie dispose de quatre banques islamiques sur son
territoire, dont trois sont contrôlées par des investisseurs bancaires du
Golfe persique.
En effet, le système bancaire islamique a démarré sur une échelle
réduite au début des années soixante. La plupart des premiers essais
bancaires islamiques ont été effectués grâce à l’initiative individuelle

(10) François Guéranger, Finance islamique : une illustration de la finance éthique, Paris, Coll.
Marchés financiers, Dunod, 2009 ; et Aldo Lévy, Finance islamique : opérations financières
autorisées et prohibées, vers une finance humaniste, Coll. Gualino LextensoEditions, mars 2012.
160 Sabra Ammor

avec des gouvernements ne jouant aucun rôle ou du moins adoptant un


rôle passif. Plus tard, le mouvement bancaire islamique s’est développé
grâce à l’encouragement des gouvernements de certains pays musulmans.
L’établissement de banques islamiques dans un certain nombre de pays a
été rendu possible par la promulgation de lois spéciales et le changement
de la législation bancaire.
Trois raisons expliquent le boom de la finance islamique : l’envol des
prix du pétrole en 2007 et en 2008, qui a généré un afflux de liquidités
sans précédent vers les pays exportateurs de pétrole ; le rapatriement
des capitaux vers le Moyen-Orient après le 11 septembre 2001 (11) et le
renforcement du sentiment religieux dans les pays musulmans.
Il est utile de mentionner que ces changements ne visent pas à conférer
des avantages non justifiés à ces banques par rapport aux banques
conventionnelles. Ils sont, en fait, entrepris pour éliminer certains obstacles
à la création d’institutions financières islamiques.
En matière de pratique bancaire islamique, trois approches différentes
peuvent être relevées :
1. Coexistence du système conventionnel et du système islamique :
dans les pays où les gouvernements ne se sont pas engagés à abolir l’intérêt,
les banques islamiques opèrent à côté de celles basées sur l’intérêt.
2. Islamisation généralisée du système bancaire : le Pakistan et
l’Iran poursuivent une approche différente visant l’élimination généralisée
de l’intérêt de l’économie. Au Soudan, alors que les banques islamiques
coexistaient avec celles à intérêt pour une longue période, le gouvernement
a récemment opté pour une islamisation généralisée du système bancaire.
3. Des fenêtres bancaires islamiques au sein des banques
conventionnelles : en Malaisie, un système mixte est en train d’être promu
au niveau officiel. Des fenêtres bancaires islamiques sont encouragées dans
les banques conventionnelles ainsi que certaines institutions financières
islamiques. Les autorités monétaires reconnaissent et régissent à la fois le
système bancaire conventionnel et le système islamique.

(11) Selon le journal Al Hayat, 8,2 milliards de dollars de capitaux saoudiens ont été rapatriés
dans les quatre mois qui ont suivi le 11 septembre 2001. Saeed, Ahmed et Mukhtar, « International
Marketing Ethics from an Islamic Perspective : A Value Maximisation Approach », Journal of
Business Ethics, 32, p. 139, 2001.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 161

Dans la pratique, les banques islamiques ont réussi à mobiliser de


grandes sommes. Dans les années quatre-vingt, les dépôts dans à peu près
l’ensemble des banques islamiques ont crû à un rythme rapide. Plusieurs
études reconnaissent le grand succès des banques islamiques dans la
mobilisation des dépôts.
La croissance relative des banques islamiques est meilleure dans la
plupart des cas que celle des banques conventionnelles. Ceci s’est traduit
par une augmentation de la part des banques islamiques dans le total des
dépôts consacrant leur succès en termes de pénétration du marché.
Au regard de la finance islamique, l’entrée d’un certain nombre de
banques conventionnelles proposant des produits islamiques dans plusieurs
pays, en augmentation continue, constitue une preuve incontestable de la
viabilité du système bancaire islamique.
Un observateur occidental du système bancaire islamique a fait
remarquer très justement que « le succès du système bancaire islamique
se reflète par le fait que plusieurs banques commerciales conventionnelles
offrent actuellement à leurs clients des services financiers islamiques ».
Il est prévu que le volume total des fonds gérés par le système bancaire
islamique puisse doubler dans les 10 prochaines années. A long terme, le
système bancaire islamique doit, pour sa viabilité et sa survie, compter sur
sa puissance en tant que modèle alternatif.
La banque islamique a connu ces dernières années une croissance sans
précédent, ses avoirs atteignant plus de 1 000 milliards de dollards US dont
300 milliards investis dans des fonds communs de placement islamiques,
soit une progression annuelle d’au moins 20 % en 2007 et 2008 (12).
La question qui se pose est celle de savoir comment, en l’absence de
taux d’intérêt, se fait la rémunération du capital financier. Quelle serait
la nature de l’intermédiation financière dans le système islamique ? La
réponse réside dans le principe de « partage de profit et de perte » ou encore
« Profit and Loss Sharing (PLS) ».
En tout état de cause, la pratique a montré que les IFI peuvent cohabiter
avec les institutions conventionnelles et s’intègrent parfaitement dans

(12) Centre du commerce international, 2009, « Le système bancaire islamique », Guide à
l’intention des petites et moyennes entreprises, http://legacy.intracen.org/publications/Free
publications/Islamic_Banking_French.pdf
162 Sabra Ammor

le système financier international. Les IFI peuvent parfaitement être un


véritable complément et non un substitut à la finance conventionnelle.

2. La finance islamique au Maroc


En 2006, la plus haute autorité monétaire du Maroc, Bank Al-Maghrib,
par le biais de son wali M. Abdellatif Jouahri, dans son discours daté du
5 juillet 2006 destiné au secteur bancaire à l’occasion des travaux du Conseil
de la monnaie et de l’épargne tenus à Casablanca, a déclaré publiquement
« le refus formel de toute implantation d’institution financière islamique
au Maroc ».
Une année après, le Maroc a dû, suite à des pressions externes notamment
celles venant du Moyen-Orient, changer de discours. Aussi en 2007 Bank
Al-Maghrib publie-t-elle sa circulaire intitulée : « Recommandation n° 33/G
relative aux produits Ijara, Moucharaka et Mourabaha ». Ces produits
« alternatifs » selon la dénomination officielle sont entrés en pratique le
1er octobre de la même année. Un certain nombre d’articles précisent les
conditions de commercialisation de ces produits. La circulaire précise
ainsi que la mise en œuvre de ces produits doit être réalisée en conformité
avec les standards internationaux.
Aussi, seules quelques banques marocaines (Attijariwafabank, le
Groupe Banques Populaires, la BMCE et la BMCI) se sont-elles lancées
en 2007 dans la commercialisation de ces produits alternatifs et ce, de
façon discrète. L’assujettissement de la commercialisation de ces produits
aux règles comptables et prudentielles définies par Bank Al-Maghrib en est
une contrainte. La consigne de la BAM est qu’aucune allusion ne devra
être faite à la dimension religieuse de ces produits alternatifs.
Sur le plan international, un ensemble d’opérateurs financiers
islamiques, essentiellement des pays du Golfe, a manifesté son intérêt
pour le marché marocain. Ces postulants ont contacté le ministère des
Finances et le gouverneur de Bank Al-Maghrib, la réponse à leur demande
a été négative.
En fait, sur le plan local, déjà dans les années 90, Moulay Ali Kettani,
fondateur du groupe Wafabank, avait tenté d’introduire des produits
islamiques dans le cadre des activités de sa banque. Son projet avait été tout
simplement refusé par le wali de Bank Al-Maghrib (Mohammed Sekkat à
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 163

l’époque). Par la suite, Miloud Chaâbi, homme d’affaires marocain, a


lui aussi soumis, sans succès, à plusieurs reprises des demandes pour la
création d’une banque islamique. Des contacts ont été déjà pris dans ce
sens mais sans résultat.
Cédant aux pressions des banques et du marché, Bank Al-Maghrib
a enfin décidé de donner son accord pour la commercialisation de trois
produits conformes à la charia. Une guerre sémantique est depuis livrée
par BAM, ces produits sont dits « alternatifs » (Ijara, Moucharaka et
Mourabaha), et toute référence à l’islam est bannie.
Attijariwafabank fut la première à mettre sur le marché les produits
alternatifs, une lettre du 9 octobre 2007 (Circulaire du 09/10/2007) adressée
aux différents responsables les incitant à proposer deux formules Miftah
al Kheir dérivée de Mourabaha pour l’acquisition de biens immobiliers et
Miftah al Fath dérivée de Ijara Wa Iqtinaa pour la location d’immeubles
avec option d’achat.
Concernant, le financement de l’automobile, la filiale Wafasalaf, a
essayé de promouvoir le produit Ijar Al Wafaa et Taksit auto qui est une
déclinaison de Mourabaha (13).
Avec le temps, seule Attijariwafabank a pu créer en 2010 un établissement
spécialement dédié aux produits alternatifs (Dar Assafaa), les autres
banques qui ont participé à cette nouvelle activité ont dû référer leur
enthousiasme et leur intérêt à l’égard de ces produits alternatifs, et seul le
Groupe Banques Populaires a maintenu son enthousiasme jusqu’en 2010.
Dar Assafaa est une société de financement marocaine et une filiale
à 100 % du groupe Attijariwafabank. Elle est la première société de
financement marocaine, et pour le moment la seule strictement conforme

(13) Miftah Al Kheir est un contrat en vertu duquel l’établissement acquiert, à la demande du
client, un bien immobilier construit à usage d’habitation ou professionnel en vue de le lui revendre
moyennant une marge bénéficiaire convenue d’avance. Ce produit, dont le règlement par le client
se fait par mensualités constantes, respecte les prêts conventionnels en termes d’assurance en cas
de décès, de frais de dossier, de pénalités de retard. Miftah al Fath est un contrat en vertu duquel
l’établissement de crédit met à la disposition du client un titre locatif, ou un bien immobilier
assorti de l’engagement ferme du client d’acquérir le bien au terme du contrat. La pratique de
ces deux produits montre que ces produits sont plus chers que les produits conventionnels. Mais
la rentabilité générée par l’établissement sur ces produits est équivalente à celle des produits
classiques.
164 Sabra Ammor

aux pratiques internationales en matière de finance alternative ayant


obtenu l’agrément de Bank Al-Maghrib le 13 mai 2010.
Dar Assafaa a mis en place un modèle de financement novateur et
unique lui permettant de se financer exclusivement au moyen d’instruments
de capital et de dette alternatifs. Ce modèle est qualifié d’équitable entre
les parties du fait du partage des risques. Le financement de Dar Assafaa
se fera dans un premier temps à travers des fonds propres institutionnels et
un financement à travers plusieurs instruments de dettes alternatives.
Dar Assafaa offre à ses clients la possibilité de réaliser leurs projets
d’acquisition de biens meubles ou immeubles au moyen d’un produit
alternatif parmi ceux définis et autorisés par Bank Al-Maghrib. Ces
produits ont en plus la particularité d’être eux-mêmes conçus et financés
selon un schéma particulier où le financement est assuré au moyen
d’instruments de dette alternatifs.
Grâce à son modèle, Dar Assafaa ne facture pas d’intérêts à ses clients
et ne paye pas non plus d’intérêts aux bailleurs de fonds. Par ailleurs,
Dar Assafaa dispose d’un réseau d’agences propre pour la distribution de
ses produits. A son lancement, Dar Assafaa dispose d’un réseau de neuf
agences situées dans les plus grandes villes du Royaume : Casablanca,
Rabat, Marrakech, Agadir, Tanger, Oujda, Fès et Meknès. Par la suite,
Dar Assafaa projette d’étendre progressivement son réseau d’agences,
actuellement au nombre de onze pour couvrir les principales localités du
Maroc.
Aujourd’hui, Dar Assafaa présente quatre produits alternatifs dans
ses brochures commerciales, mais ne maîtrise techniquement et ne
commercialise que le produit Safaa Immo qui correspond au produit
Mourabaha.
Les quatre types de service mis sur le marché marocain par Dar Assafaa
sont : 1. Safaa Immo pour financer les projets immobiliers (logement,
terrain, local commercial) ; 2. Safaa Auto pour acquérir un véhicule neuf
ou ancien ; 3. Safaa Conso pour l’achat de produits et services et pour la
consommation des ménages ; 4. Safaa Tahjiz pour équiper le logement.
Le Groupe Banques Populaires a opté pour deux formules en reprenant
les mêmes appellations de BAM : IjarawaIqtinaa pour le crédit leasing, et
Mourabaha pour l’achat pour le compte du client. La marge bénéficiaire
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 165

est fixée à l’avance sous forme de pourcentage du coût d’acquisition de


la banque.
La BMCE Bank s’est contentée d’un seul produit alternatif, Ijara qui
est un contrat selon lequel l’établissement achète un bien immobilier
désigné par le client. Le client dispose du bien immobilier pendant
vingt-cinq ans contre un loyer périodique prédéfini assorti d’un engagement
ferme de l’acquérir au terme du contrat. Pour ce faire, la banque ne prête
pas d’argent au client mais elle achète le bien pour son compte.
La BMCI a proposé des produits alternatifs identiques à ceux de
Attijariwafabank. Il s’agit de IjarawaIqtinaa pour le financement d’un bien
immobilier et Mourabaha, pour le financement de l’achat d’équipement
ou d’un véhicule. Le coût de revient de ces produits est assez proche des
financements conventionnels déjà proposés par le groupe.
En fait, ces trois tentatives (GBP, BMCE et BMCI) sont restées très
limitées et dans le temps et dans leur ampleur.

3. Quelle appréciation des produits islamiques au Maroc ?


Le constat est que les produits alternatifs n’ont pas eu l’engouement
attendu, certains même parlent d’échec de la commercialisation des
produits alternatifs au Maroc (14).
Selon la BAM au Maroc, les transactions relevant de la finance
islamique ont réalisé à peine 800 millions de dirhams (72 millions d’euros)
au troisième trimestre de 2011, soit une baisse de 100 millions de dirhams
(9 millions d’euros) par rapport à 2010.
Effectivement, au regard des attentes, le résultat laisse à désirer. Les
raisons en sont, a priori, nombreuses :

Le nombre limité des produits proposés


Seuls trois produits ont été autorisés par la circulaire de BAM en
vertu des recommandations du 7 septembre 2007 : Mourabaha, Ijara et
Moucharaka. Malgré ce nombre réduit, en réalité seuls les deux premiers
produits ont été opérationnalisés. Le troisième, Moucharaka (semblable

(14) La Vie économique du 26 février 2008 ; le quotidien l’Economiste du 4 mars 2008.


166 Sabra Ammor

au capital-risque) n’a pas été proposé par les établissements de crédit. A la


date d’aujourd’hui il n’existe sur le marché que le produit Mourabaha.

Le coût élevé des transactions halal par rapport à celles proposées


par les banques conventionnelles
Dans la pratique, ces produits se sont avérés plus chers que leurs
semblables conventionnels. La double transaction immobilière et le coût
du risque dont les frais sont supportés par le client rendent le coût de
l’acquisition immobilière plus élevé que dans le cadre d’une transaction
conventionnelle (15).
Les nouveaux taux de l’emprunt signifient que les produits bancaires
alternatifs conformes à la charia seront désormais taxés au même taux que
les produits bancaires et les prêts traditionnels

Une réglementation pénalisante pour les produits alternatifs


Cependant, la dernière révision du taux de la TVA sur les produits
bancaires sans intérêt tend à réparer cette injustice. En effet, à partir
de janvier 2010, la TVA sur les produits bancaires alternatifs comme
la Mourabaha et l’Ijara sera de 10 %, au lieu des 20 % préalablement
appliqués. De même, les frais d’enregistrement ne sont plus comptabilisés
qu’une seule fois. Malgré cela, les produits alternatifs restent plus chers
pour des raisons fiscales.

Un marketing inadéquat
La promotion de ces nouveaux produits n’a pas été suffisamment
pertinente pour informer et inciter les Marocains à s’intéresser à ces produits
alternatifs. En fait, cette promotion était soumise aux recommandations
préparées sous forme de guide par BAM et un groupement professionnel
(GPBM), qui avait pour finalité l’orientation de la communication des
établissements qui décidaient de mettre ces produits sur le marché.
Les principes directeurs devant être respectés sont les suivants : 1. la
politique de communication doit être validée par la direction générale
des établissements de crédit ; 2. préalablement à leur diffusion au public,

(15) La banque doit gérer une double opération commerciale d’achat et de revente qui se substitue
à l’opération financière classique. D’où de nombreux frais supplémentaires.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 167

le contenu des messages publicitaires est soumis à un droit de regard de


la part de BAM ; 3. éviter toute comparaison avec les produits bancaires
conventionnels ; 4. doivent être bannies toutes les références à caractère
religieux, telles que halal, islamique, charia, conseil religieux et assimilé ;
5. les établissements de crédit doivent éviter de faire de la surenchère
entre elles pour s’accaparer les parts du marché ; 6. les chargés de clientèle
doivent être formés et sensibilisés au langage à adopter à l’égard de la
clientèle et veiller au respect des disposition de la recommandation.

Une politique publique frileuse et peu ouverte sur le reste du


monde
La mosquée aurait pu être l’endroit idéal pour faire la promotion de
ces produits halal. Or, rien n’a été fait dans ce sens. La frilosité de cette
politique est conjuguée à une fiscalité inadaptée, sinon pénalisante, de ces
produits, ce qui se traduit par leur cherté par rapport aux autres produits
classiques.
Une politique publique audacieuse à l’égard de la finance islamique
pourrait drainer une partie des pétrodollars, à un moment où le Maroc en a
vraiment besoin du fait du tarissement de l’épargne marocaine, de la chute
des flux des investissements européens en direction du Maroc et surtout de
la baisse du stock des réserves en devises dans les caisses de l’Etat.
Aujourd’hui, plus d’une douzaine de demandes d’agrément sont sur
le bureau du gouverneur de la banque centrale. Celui-ci a toujours résisté
à cette demande, prétextant que le « Maroc n’a pas besoin de nouvelles
banques, les établissements déjà en place répondent à tous les besoins
de l’économie ». Parmi les prétendants on trouve le groupe saoudien
Al Rajhi, Kuwait Finance House, Dubai Islamic Bank, le Bahreini
Al Baraka, Islamic Bank of Britain… Des mastodontes de la finance
“verte”, qui opèrent dans les pays du Golfe, dans les places émergentes
d’Indonésie ou de Malaisie et même au cœur de la City à Londres.
Mais tous les pronostics semblent pencher en faveur de Faisal Islamic
Bank, un des géants de la banque islamique dans le monde, dont
l’actionnaire de référence n’est autre que la famille régnante d’Arabie
saoudite.
« Nous avons pensé qu’il est préférable de commencer avec une seule
institution de finance islamique, pour évaluer de près l’expérience »,
168 Sabra Ammor

explique le ministre des Affaires économiques, Najib Boulif, à l’agence


Reuters. « Si l’expérience réussit dans les six mois, plus rien ne devrait
nous empêcher d’autoriser plus de prêteurs islamiques à investir au
Maroc », poursuit l’économiste en chef du PJD, comme pour rassurer les
insatisfaits.

Un système bancaire réticent et mal préparé


Un certain attentisme, sinon un accord tacite, caractérise le
comportement des banques marocaines envers les produits alternatifs.
Cette attitude ne s’est pas traduite par l’enclenchement d’une compétitivité
quant à la mise sur le marché de ces nouveaux produits.
Les acteurs politiques et mêmes les banquiers décideurs ont toujours
fortement politisé la finance islamique qui apparemment favoriserait la
mouvance islamique au Maroc. Est-ce une raison de priver et le Maroc
et une partie des citoyens marocains d’un supplément de fonds à même
d’atténuer le problème de liquidité au Maroc et, parallèlement, de répondre
à des attentes culturellement justifiées par cette partie de la population
qui continue à bouder le système bancaire conventionnel pour des raisons
éthiques ?
Pour conclure, nous pouvons annoncer que, contrairement aux attentes,
ces nouveaux produits n’ont suscité que très peu d’enthousiasme dans
les banques qui les voient comme des produits concurrents aux produits
qu’elles proposent habituellement.
Aussi, faut-il reconnaître que les banques qui ont décidé d’introduire
les produits alternatifs ont été très discrètes quant à la communication
autour de ces produits.
Le coût élevé des transactions halal par rapport à celles proposées
par les banques conventionnelles, d’une part, et une réglementation
pénalisante des produits alternatifs, d’autre part, conjuguée à une politique
publique frileuse et peu ouverte sur le reste du monde, ont fortement limité
la promotion de ces produits.
Le Maroc face à la finance islamique : enjeux et déf 169

Bibliographie sélective

Racha Mohamad Arab Ghayad (2008), les Banques islamiques : défi de la


performance et de la gouvernance, Union of Arab Banks, Bahrein.
Imane Karich (2004), Finances et Islam, Le Savoir éditions, Belgique.
Aldo Lévy (2012), Finance islamique : opérations financières autorisées
et prohibées, vers une finance humaniste, Gualino Lextenso éditions,
France.
Malika Kettani (2005), Une banque originale, la banque islamique, Dar
Al-Kotob Al-Ilmiya, Liban.
Tarik Bengarai (2010), Comprendre la finance islamique : principes,
pratiques et éthique, France.
François Guéranger (2009), Finance islamique : une illustration de la
finance éthique, Dunod, France.
Michel Ruimy (2008), la Finance islamique, Edition Sefi.
Al Nagar (1971), Extrait de « Des banques sans intérêt : une stratégie
de développement économique et social dans les pays islamiques »,
conférence à l’université de Jeddah.
Annexes 
I. Le « Printemps arabe »

1. Chronologie du « Printemps arabe », 2010-2012

TUNISIE
17 décembre 2010. Mohammed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant,
s’immole à Sidi Bouzid pour protester contre la saisie de sa marchandise
par la police. Début d’une vague de contestation.
11 janvier 2011. Les affrontements gagnent Tunis.
14 janvier. Fuite du président Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, vers
l’Arabie saoudite.
17 janvier. Nouveau gouvernement d’union nationale, dans lequel l’équipe
sortante conserve des postes-clés.
24 janvier. L’armée se porte « garante de la révolution ». Les manifestants
exigent la démission du gouvernement.
26 janvier. Mandat d’arrêt international contre Ben Ali et son épouse.
7 mars. Nouveau gouvernement provisoire sans aucun ancien ministre de
Ben Ali.
23 octobre. Le parti islamiste Ennahda remporte les élections à l’Assemblée
constituante.
13 décembre. Moncef Marzouki est élu président et nomme le numéro
deux d’Ennahda, Hamadi Jebali, Premier ministre.

ÉG Y P TE
25 janvier 2011. Première manifestation sur la place Tahrir au Caire.
Début de plusieurs semaines de mobilisation des Égyptiens en vue de la
chute du régime.
11 février. Le président Hosni Moubarak, au pouvoir depuis 1981, quitte
le pouvoir.
19 mars. Référendum sur la Constitution égyptienne, avec 77 % des voix
en faveur des amendements proposés (limitation du nombre et de la durée
174 Annexes

du mandat présidentiel, assouplissement des conditions de candidatures


électorales).
3 août. Ouverture du procès de Hosni Moubarak, rapidement ajourné et
reporté au 15 août. L’ancien président égyptien est accusé du meurtre de
plus de 800 manifestants et de détournement de fonds publics.
15 août. Nouvelle audience du procès Moubarak, ajourné puis reporté au
5 septembre.
10 janvier 2012. Le Parti de la liberté et de la justice, issu des Frères
musulmans, remporte les élections législatives. 
17 juin. Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans, est élu président.
22 novembre. Le président égyptien s’attribue par décret des pouvoirs
élargis et fait face à une vague de contestation.
22 décembre. Adoption d’une nouvelle Constitution.

SY RIE
15 mars 2011. Rassemblement à Damas après un appel lancé sur facebook.
21 avril. Levée de l’état d’urgence. Plus de 80 manifestants sont tués le
lendemain.
25 avril. L’armée entre à Deraa. Au moins 25 personnes sont tuées.
13 juin. Alep, deuxième ville du pays, est gagnée par la contestation.
8 juillet. Les ambassadeurs français et américain se rendent à Hama pour
manifester leur soutien aux manifestants.
29 juillet. Des officiers de l’armée syrienne font défection et créent
l’Armée syrienne libre.
31 juillet. L’armée syrienne entre dans Hama. En quelques jours, le bilan
est d’au moins 90 morts, selon des organisations de défense des droits de
l’homme.
3 août. Le Conseil de sécurité de l’ONU condamne « les violations
généralisées des droits de l’homme ».
14 août. L’armée syrienne lance une opération navale sans précédent à
Lattaquié, au nord-ouest du pays, faisant une trentaine de morts.
24 août. L’ONU vote une résolution demandant l’ouverture d’une
commission d’enquête internationale sur la violation des droits de l’homme.
2 octobre. Création par l’opposition du Conseil national syrien.
Printemps arabe, et après ? 175

12 novembre. La Ligue arabe suspend la Syrie.


1er mars 2012. L’armée syrienne reprend le quartier de Baba Amro, à
Homs, après des semaines de bombardements.
25 mai. Massacre de 108 villageois sunnites à Houla.
19 juillet. Pour la troisième fois, Moscou et Pékin opposent leur veto à une
résolution de l’ONU condamnant la Syrie.
20 juillet. Les rebelles syriens entrent dans Alep.
22 août. Le président américain Barack Obama qualifie l’usage d’armes
chimiques en Syrie de « ligne rouge ».
14 novembre. La France est le premier pays à reconnaître la Coalition
nationale syrienne comme seule représentante du peuple syrien.

ALGÉRIE
Début janvier 2011. 5 jours d’émeutes contre la vie chère et le chômage
font 5 morts et plus de 800 blessés.
Du 14 au 30 janvier. 2 décès par immolation et 7 tentatives.
19 février. La marche organisée par la Coordination nationale pour le
changement et la démocratie (CNCD) interdite, elle se transforme en
rassemblement.
24 février. Levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1993.
7 mars. Des gardes communaux, chargés de suppléer la gendarmerie, se
rassemblent pour réclamer de meilleures conditions de travail.
15 avril. Le président Abdelaziz Bouteklika, au pouvoir depuis 1999,
commande la tenue de consultations en vue de réformes politiques. Ces
consultations débutent le 21 mai sans la participation de plusieurs partis
d’opposition.

LI BY E
15 février. Des émeutes éclatent à Benghazi.
17 février. Des manifestations de la « Journée de la colère » réclament le
départ du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969. Elles se heurtent à une
violente répression policière.
26 février. Une résolution de l’ONU impose un embargo sur les armes, une
interdiction de voyager et un gel des avoirs du clan Kadhafi, et demande la
saisine de la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité ».
176 Annexes

27 février. Les opposants forment un Conseil national de transition à


Benghazi.
2 mars. Début de la contre-offensive des forces de Kadhafi dans l’est du
pays.
17 mars. La résolution 1973 de l’ONU qui autorise le recours à la force
pour protéger les populations civiles et crée une zone d’exclusion aérienne.
19 mars. Début des frappes aériennes de la coalition contre les forces de
Kadhafi.
27 mars. L’OTAN prend officiellement le commandement des opérations
militaires menées dans le pays.
27 juin. La Cour pénale internationale délivre des mandats d’arrêt pour
crimes contre l’humanité à l’encontre de Mouammar Kadhafi, de son
fils, Saïf Al-Islam Kaddafi, et du chef des services de renseignements,
Abdullah al-Senoussi.
15 août. Les rebelles affirment être entrés dans une « phase décisive » et
contrôler la « majeure partie » de Zaouiah, à une quarantaine de kilomètres
à l’ouest de la capitale libyenne, ainsi que les villes de Gariane et Sourmane.
21 août. Les rebelles entrent dans la capitale, Tripoli. Lundi 22, ils
encerclent la résidence de Kadhafi. Le Conseil national de transition fait
prisonnier le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam.
23 août. Le quartier général de Kadhafi tombe aux mains des rebelles.
Kadhafi affirme dans un message audio l’avoir quitté pour des « raisons
tactiques ».
20 octobre. Mouammar Kadhafi est tué.
7 juillet 2012. L’Alliance des forces nationales de Mahmoud Djibril
(libéral) remporte les législatives.
11 septembre. L’ambassadeur américain en Libye, Chris Stevens, et trois
Américains sont tués dans l’attaque du consulat américain à Benghazi.

MAROC
2 0 février 2011. Manifestations de milliers de Marocains dans plusieurs
villes du pays, dont Rabat, Casablanca et Marrakech… Ils réclament un
gouvernement aux pouvoirs élargis et des réformes politiques.
9 mars. Le roi Mohammed VI annonce une réforme constitutionnelle.
Le « mouvement du 20 février » poursuit ses manifestations les semaines
Printemps arabe, et après ? 177

suivantes, réclamant plus d’égalité, de justice sociale et une lutte efficace


contre la corruption.
17 juin. Le roi Mohammed VI présente le projet de réforme constitutionnelle.
Les militants du « mouvement du 20 février » se disent insatisfaits de ce
projet et demandent des réformes politiques plus profondes : recul plus net
des prérogatives royales, séparation des pouvoirs plus marquée…
1er juillet. Référendum portant sur la nouvelle Constitution marocaine,
avec plus de 98 % des voix en faveur de celle-ci.
3 juillet. Nouvelle vague de manifestations dans plusieurs villes du pays,
à l’appel du Mouvement du 20 février, qui exige davantage de réformes
politiques, à la suite du référendum constitutionnel.
16 août. Le ministre de l’Intérieur, Taïeb Cherkaoui, annonce la tenue
d’élections législatives anticipées le 25 novembre.
25 novembre. Le Parti de la justice et du développement (islamiste)
remporte les législatives anticipées au Maroc. Son secrétaire général,
Abdelilah Benkirane, devient chef du gouvernement.

YÉM EN
27 janvier 2011. Premières mobilisations dans la capitale yéménite,
Sanaa. Les manifestants réclament le départ du président yéménite Ali
Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978.
5 mars. Le président Saleh refuse de quitter son poste d’ici la fin de
l’année, comme le souhaite l’opposition. Il affirme qu’il restera au pouvoir
jusqu’en 2013, terme de son mandat.
18 mars. Plusieurs dizaines de personnes sont tuées lors de mobilisations
contre le pouvoir.
30 avril. Le président Saleh refuse de signer un plan de sortie proposé par
les monarchies du Golfe prévoyant sa démission, alors qu’il avait donné
son accord de principe quelques jours plus tôt.
3 juin. Le président Saleh est blessé dans un tir d’obus à Sanaa. Il est
transporté en Arabie saoudite pour y être soigné.
7 juillet. Première apparition télévisée du président Saleh depuis son
hospitalisation en Arabie saoudite. Il n’évoque ni sa démission ni un
éventuel retour au Yémen.
178 Annexes

16 juillet. L’opposition annonce la création d’un conseil transitoire


présidentiel.
16 août. Le président Saleh annonce son retour prochain au Yémen.
23 novembre. Le président yéménite signe le plan des monarchies du
Golfe. Il cède le pouvoir contre son immunité.
21 février 2012. Abd Rabbo Mansour Hadi élu président.

BAHREÏN
14 février 2011. Des milliers de manifestants se rassemblent sur la place
de la Perle dans la capitale du Bahreïn, Manama, pour réclamer des
changements politiques et sociaux. Les forces de sécurité répriment ces
mobilisations.
14 mars. Des soldats saoudiens de la force commune du Conseil de
coopération du Golfe (CCG) entrent au Bahreïn. L’opposition bahreïnie
dénonce une « occupation étrangère ».
15 mars. Le roi du Bahreïn décrète l’état d’urgence pour trois mois dans
un contexte de manifestations anti-gouvernementales.
8 mai. Ouverture d’un procès d’exception pour plusieurs militants
d’opposition.
1er juin. Levée de l’état d’urgence. Annonce d’un « dialogue national » et
instauration d’une commission indépendante pour enquêter sur les abus
commis durant la répression du soulèvement.
2 juillet. Ouverture officielle du « dialogue national » au Bahreïn. Malgré
ses réticences, le groupe d’opposition El Wefaq accepte de participer à ces
discussions destinées à relancer le processus de réforme politique.
7 août. Libération de deux anciens députés chiites du parti d’opposition
El Wefaq. Devant être initialement jugés par un tribunal d’exception, ils
seront finalement jugés par une cour civile.
Printemps arabe, et après ? 179

2. Les réactions au « Printemps arabe »

La réaction de l’UE au « Printemps arabe »


MEMO/11/918 Bruxelles, le 16 décembre 2011

Depuis les premières manifestations en Tunisie en décembre 2010, une


vague de mécontentement populaire secoue le monde arabe, les citoyens
appelant à la dignité, à la démocratie et à la justice sociale. Malgré l’ampleur
inattendue de ces révoltes, l’Union européenne n’a pas tardé à reconnaître
les difficultés que pose la transition politique et économique dans l’ensemble
de la région. Elle a également reconnu la nécessité d’adopter une nouvelle
stratégie concernant ses relations avec ses voisins du Sud.
L’UE a noué un dialogue politique avec un large éventail d’interlocuteurs
de la région – des membres de gouvernement, de l’opposition, des
parlements et de la société civile – lors de visites du président de la
Commission, du président du Parlement, de la Haute Représentante et
vice-présidente et de plusieurs commissaires.
Sa réaction stratégique au Printemps arabe ne s’est pas fait attendre
puisque, dès le 8 mars 2011, elle a présenté une communication conjointe
de la Haute Représentante et vice-présidente, Mme Catherine Ashton, et de la
Commission proposant « Un partenariat pour la démocratie et une prospérité
partagée avec le sud de la Méditerranée ». Cette communication souligne
que l’Union doit soutenir pleinement la demande de participation à la vie
politique, de dignité, de liberté et de nouveaux emplois qui est exprimée
et présente une stratégie fondée sur le respect des valeurs universelles et
des intérêts communs. Elle propose aussi un principe selon lequel une aide
plus importante – qu’il s’agisse d’une assistance financière, d’une mobilité
accrue ou de l’accès au marché unique de l’UE – doit être apportée aux pays
partenaires qui progressent le mieux dans la consolidation des réformes, sur
la base d’une responsabilité mutuelle. Cette stratégie a été précisée dans
une autre communication conjointe, du 25 mai, marquant le lancement
d’« Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation ».
L’UE s’est engagée, à court comme à long terme, à aider ses partenaires
à relever deux grands défis, en particulier :
– premièrement, « approfondir la démocratie », c’est-à-dire non
seulement rédiger des constitutions démocratiques et organiser des
180 Annexes

élections libres et régulières, mais aussi mettre et maintenir en place un


pouvoir judiciaire indépendant, une presse libre et florissante, une société
civile dynamique et toutes les autres composantes d’une démocratie qui est
arrivée à maturité et qui fonctionne ;
– deuxièmement, garantir une croissance économique et un dévelop-
pement solidaires et durables, éléments indispensables à l’ancrage de la
démocratie. Un enjeu particulier à cet égard consistera à assurer une forte
création d’emplois.
Tout en reconnaissant un certain nombre de défis communs à tous les
pays partenaires, l’Union soutiendra chaque pays de façon différenciée, de
manière à tenir compte des besoins et des priorités de chacun. Elle concentrera
son aide sur trois éléments : le financement, la mobilité et les marchés.

1. Financement
En mai 2011, l’Union européenne s’est engagée à mettre jusqu’à
1,2 milliard d’euros supplémentaire à disposition pour les subventions en
faveur du voisinage durant la période 2011-2013, en plus des 5,7 milliards
d’euros déjà inscrits au budget. En outre, la Banque européenne
d’investissement (BEI) peut désormais accorder des prêts supplémentaires
à la région, un milliard d’euros ayant été ajouté aux 4 milliards disponibles
avant le Printemps arabe. La Banque européenne pour la reconstruction et
le développement (BERD) a l’intention d’étendre son terrain d’action aux
pays du Sud concernés par la politique de voisinage et d’investir jusqu’à
2,5 milliards d’euros chaque année dans les secteurs public et privé afin
de soutenir la création et le développement d’entreprises et le financement
d’infrastructures.
Par ailleurs, la Commission européenne a adopté le 26 septembre un
nouvel ensemble de mesures prévoyant l’octroi de subventions à la région.
Cet ensemble comprend :
– le programme SPRING (aide au partenariat, aux réformes et à la
croissance inclusive), doté d’un budget de 350 millions d’euros de fonds
supplémentaires pour 2011 et 2012, l’aide disponible étant octroyée
prioritairement aux pays partenaires qui se sont engagés durablement et
progressent de manière soutenue sur la voie des réformes démocratiques ;
– la création d’une facilité de soutien à la société civile pour le
voisinage (tant au sud qu’à l’est), dotée d’un budget total de 26,4 millions
d’euros pour 2011 ; elle vise à améliorer la capacité de la société civile à
Printemps arabe, et après ? 181

promouvoir les réformes et à renforcer l’obligation de rendre des comptes


dans les différents pays ;
– une enveloppe de près de 30 millions d’euros au titre d’Erasmus
Mundus pour l’année universitaire 2011-2012, destinée en particulier
au voisinage méridional et devant servir à financer des bourses pour les
étudiants et les enseignants de la région qui souhaitent étudier, réaliser
des travaux de recherche ou enseigner pendant une certaine période dans
l’Union européenne ; il s’agit là du double du montant initialement prévu
pour cette région (voir IP/11/1558).
Ces montants viennent s’ajouter à ceux qui ont été affectés à l’aide
humanitaire de première urgence : à ce jour, la Commission européenne a
consacré 80,5 millions d’euros à la crise des réfugiés en Afrique du Nord.
Les États-membres de l’UE ont fourni 73 millions d’euros supplémentaires.
Dans les propositions budgétaires qu’elle a présentées le 7 décembre
pour la période 2014-2020, la Commission européenne recommande
d’affecter plus de 18,1 milliards d’euros au soutien des seize pays
partenaires concernés par la politique de voisinage (à l’est et au sud).
Un tel montant représenterait une nette augmentation (d’environ 40 %)
par rapport à l’appui financier fourni au cours de la période 2007-2013.
Le nouvel instrument européen de voisinage (IEV) permettra d’apporter
l’aide plus rapidement et avec plus de souplesse, en appliquant une
différenciation accrue et en récompensant les pays qui progressent le
mieux, conformément au principe consistant à donner davantage à ceux
qui fournissent davantage d’efforts.

2. Mobilité
La mobilité des citoyens des pays partenaires à destination de l’Union
européenne sera facilitée, notamment par les mesures suivantes :
– un développement important des bourses (voir Erasmus Mundus
ci-dessus) et des échanges universitaires ; l’enveloppe du programme
Tempus a également été augmentée pour soutenir la modernisation de
l’enseignement supérieur dans les pays situés au sud de la Méditerranée
et accroître leur collaboration avec les universités de l’UE en 2012 et en
2013 ;
– la création de « partenariats pour la mobilité », portant notamment sur
l’assouplissement des procédures en matière de visas et sur des accords
182 Annexes

de réadmission. Des dialogues ont déjà été entamés avec la Tunisie et le


Maroc, et l’Union espère en engager d’autres sous peu.

3. Marchés
L’amélioration de l’accès aux marchés ainsi que l’intégration progressive
des économies de ces partenaires dans le marché unique de l’UE seront
les principaux objectifs des futures négociations concernant les zones de
libre-échange approfondi et complet avec le Maroc, la Jordanie, l’Égypte
et la Tunisie, qui seront entamées dès que les travaux préparatoires
nécessaires seront terminés (voir IP/11/1545). À la différence des relations
commerciales actuelles entre l’UE et ces pays, ces zones iront au-delà de
la simple suppression des droits de douane, l’objectif étant de prendre en
compte toutes les questions réglementaires en rapport avec le commerce,
telles que la protection des investissements et la passation des marchés
publics.
Un nouveau mécanisme d’investissement en faveur des PME dénommé
Sanad (« soutien » en arabe) a également été mis sur pied en août 2011, en
collaboration avec la banque allemande Kreditanstalt Für Wiederaufbau
(KFW), pour un total de 20 millions d’euros. Ce fonds cible les PME
du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, en particulier celles qui sont
trop petites pour recourir aux banques mais trop grandes pour faire
appel aux établissements de microfinance. Enfin, les travaux visant à
établir un nouveau système de « sécurité des investissements » pour la
Méditerranée, en collaboration avec l’Agence multilatérale de garantie
des investissements, l’Organisation de coopération et de développement
économiques et l’Union pour la Méditerranée, progressent et pourraient
aboutir pour la fin 2011.
Une priorité majeure consiste à renforcer le soutien aux organisations
de la société civile ainsi que la coopération avec ces dernières, car elles ont
un rôle de premier plan à jouer pour améliorer la gouvernance et faire en
sorte que les gouvernements puissent rendre des comptes. La société civile
dans toutes ses composantes (ONG, universités, groupes de réflexion,
médias) ainsi que les parlements et les assemblées constituantes seront des
acteurs-clés de la construction de l’avenir de la région. Les femmes et les
jeunes auront une contribution importante à apporter à cet égard, et l’UE
lance actuellement des projets concrets visant à favoriser leur participation
active à la vie politique et économique.
Printemps arabe, et après ? 183

L’Union européenne continuera à soutenir la société civile à la


fois par la fourniture d’une aide bilatérale différenciée dans chaque
pays et par la revitalisation de forums euro-méditerranéens existants.
Elle a déjà mis en place la facilité de soutien à la société civile.
Elle consultera plus systématiquement les organisations de la société
civile lors de l’élaboration et du suivi de plans d’action bilatéraux et
de projets de coopération financière. Des travaux sont également en
cours pour créer un Fonds européen pour la démocratie, ciblé dans
un premier temps sur le voisinage. Ce Fonds apportera une valeur
ajoutée aux instruments européens et traduira la volonté de l’UE de
permettre à certains bénéficiaires d’obtenir un soutien et un financement
plus facilement. Enfin, la Commission européenne, à l’initiative de sa
vice-présidente, Mme Neelie Kroes, a commencé à appliquer la stratégie
« No Disconnect », qui contribuera à faire en sorte que les droits de
l’homme soient respectés sur l’internet (voir IP/11/1525). Cette stratégie
consistera à fournir des outils technologiques destinés à améliorer la
protection de la vie privée et la sécurité lors des communications en ligne,
à sensibiliser les militants aux possibilités et aux risques inhérents aux
communications numériques, à contrôler le niveau de surveillance et de
censure par la collecte de renseignements présentant un haut niveau de
fiabilité et à aider les parties concernées à partager des informations et à
établir une coopération transrégionale.
La nomination d’un représentant spécial de l’Union européenne pour
la région du sud de la Méditerranée, M. Bernardino León, renforce le
dialogue politique avec nos voisins du Sud et contribue à garantir une
coordination optimale des efforts des institutions de l’UE, de ses États-
membres, des institutions financières comme la BEI et la BERD et du
secteur privé. La création de groupes de travail de haut niveau, coprésidés
par la Haute Représentante et vice-présidente et par les dirigeants des pays
partenaires, constitue un outil important à cet égard. Le premier groupe,
concernant la Tunisie, s’est réuni fin septembre ; d’autres devraient être mis
sur pied dans les mois à venir. L’UE est aussi un acteur-clé du « partenariat
de Deauville » établi par le G8, dans le cadre duquel 20 milliards d’euros
ont déjà été promis aux pays du sud de la Méditerranée.
Les transitions vers la démocratie prendront du temps et continueront
de poser de grands défis. Dans ce contexte, l’Union européenne reste
déterminée à coopérer avec les pays de la région, les institutions financières
184 Annexes

internationales, le secteur privé et les organisations de la société civile afin


qu’une réponse coordonnée et utile puisse être apportée rapidement et
efficacement.

La réaction de l’Union européenne pays par pays

ALGÉRIE

En réaction immédiate au Printemps arabe en Algérie, l’Union a


instauré un « programme d’appui Jeunesse-Emploi », doté d’une enveloppe
de 23,5 millions d’euros, qui soutiendra le ministère de la Jeunesse et des
Sports aux niveaux national et local ainsi que les associations de jeunes
par des mesures d’information et de formation et le financement de projets.
Ce programme vise à renforcer la participation des jeunes à la société, à
améliorer leurs perspectives d’emploi et à favoriser l’application de la
politique nationale de la jeunesse. Le dialogue politique, la sécurité et les
droits de l’homme figurent aussi parmi les priorités; la première réunion
du sous-comité UE-Algérie chargé de ces questions a eu lieu à Alger en
septembre dernier, et une deuxième réunion est prévue pour décembre. Le
commissaire européen responsable de la politique européenne de voisinage
(PEV), M. Štefan Füle, s’est rendu à Alger en mai 2011 pour discuter en
particulier du renforcement de la participation de l’Algérie à la PEV et
progresser sur la voie de l’adoption d’un plan d’action. Le 8 décembre,
M. Abdelkader Messahel, ministre délégué auprès du ministre des Affaires
étrangères, a annoncé à Bruxelles que l’Algérie était prête à entamer les
négociations concernant ce plan d’action. En outre, l’UE a proposé de
fournir une assistance technique et d’envoyer une mission d’observation lors
des prochaines élections législatives qui se tiendront au premier semestre
de 2012. L’Algérie bénéficie d’un soutien de 172 millions d’euros au titre
de l’instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) pour la
période 2011-2013.

BAHREÏN

Dès le début des manifestations à Manama, l’UE a demandé à


l’ensemble des parties en présence à Bahreïn de s’abstenir de toute violence
et d’entamer un dialogue. Après les lourdes mesures de répression prises à
l’encontre des protestataires en février et en mars, la Haute Représentante
Printemps arabe, et après ? 185

a dépêché un envoyé de l’UE à Manama et transmis en personne les


messages de l’Union au ministre bahreïni des Affaires étrangères et au
roi Hamad. Un flux continu de déclarations publiques et de contacts
diplomatiques avec les autorités bahreïnies a permis d’attirer l’attention de
l’opinion publique sur la situation des droits de l’homme et sur la nécessité
que les auteurs d’exactions en tous genres soient obligés de rendre compte
de leurs actes, que le pays accueille une mission du Haut-Commissariat des
Nations unies aux droits de l’homme et que la société bahreïnie s’engage
sur la voie d’une véritable réconciliation. La Haute Représentante a mis
la situation à Bahreïn à l’ordre du jour de plusieurs réunions des ministres
des Affaires étrangères de l’UE et porté la question jusqu’au niveau des
chefs d’État ou de gouvernement. La pression appliquée par l’Union
européenne et de nombreuses organisations de la société civile a donné
des résultats concrets, parmi lesquels la constitution d’une commission
d’enquête indépendante en juin 2011 et la révision de procès et de verdicts
des tribunaux militaires.

ÉG Y P TE

Dès le début de la crise, l’Union européenne défend le droit des


Égyptiens de manifester pacifiquement et condamne le recours à la force
par les autorités. Juste après le départ de l’ancien président Moubarak et
en réponse directe à la demande de droits civiques, politiques et socio-
économiques du peuple égyptien, l’Union européenne a adopté un train
de mesures en faveur de la société civile, assorti d’une enveloppe de
20 millions d’euros. Compte tenu de cette situation nouvelle, l’aide
au développement prévue pour la période 2011-2013 a été revue. Des
programmes à hauteur de 132 millions d’euros ont été approuvés pour
2011 et des initiatives pour un montant de 95 millions d’euros sont
déjà en préparation pour 2012. Les programmes de 2011 soutiendront
l’amélioration des conditions de vie dans les zones défavorisées du Caire,
le commerce et la croissance économique (et, par conséquent, la création
d’emplois), les PME agricoles, ainsi que la réforme des secteurs de
l’énergie et de l’eau.
L’UE a également proposé d’envoyer des missions d’observation à
part entière lors des élections législatives et présidentielles. Les autorités
égyptiennes ont préféré décliner les offres des missions internationales
d’observation, mais elles ont accepté un programme d’appui de l’UE d’une
186 Annexes

valeur de 2 millions d’euros au titre de l’instrument de stabilité, qui aidera


la Haute Commission électorale dans ses travaux et apportera un soutien
aux organisations de la société civile. Par ailleurs, l’Union a entamé des
discussions préparatoires au Caire en vue de la création d’un partenariat pour
la mobilité, mais les autorités égyptiennes ont indiqué qu’aucun engagement
ne serait possible avant la mise en place d’un nouveau gouvernement élu.
Afin d’intégrer progressivement l’économie égyptienne dans le marché
unique de l’UE et d’améliorer l’accès des produits égyptiens aux marchés
européens, l’Union se prépare aussi à engager des négociations concernant
l’instauration d’une zone de libre-échange approfondi et complet dès que
l’Égypte sera disposée à le faire. Le 1er décembre, le conseil « Affaires
étrangères » s’est félicité du démarrage pacifique et bien organisé des
élections législatives et a pris note de l’intention d’organiser des élections
présidentielles avant la fin du mois de juin 2012. Toutefois, il a exprimé de
vives préoccupations face à la violence et aux troubles qui ont précédé le
premier tour des élections et à la détérioration de la situation économique
en Égypte.

JORDANIE

S’appuyant sur le partenariat « avancé » conclu entre l’UE et la


Jordanie en octobre 2010, la Haute Représentante et vice-présidente a
déclaré à plusieurs reprises que l’Union était prête à aider ce pays sur la
voie des réformes. Elle a salué l’annonce du roi Abdallah concernant les
amendements à la Constitution adoptés par le parlement jordanien, qui
représentent un pas positif vers la concrétisation des aspirations du peuple
puisqu’ils renforcent les droits des citoyens et l’indépendance du pouvoir
judiciaire.
Afin d’aider le gouvernement jordanien à relever les défis économiques
actuels, l’Union européenne a décidé en mai de transférer vers 2011
40  millions d’euros supplémentaires initialement prévus pour les
programmes 2012-2013. Cette enveloppe servira à soutenir la création
de PME dans le but de lutter contre la pauvreté et le chômage dans les
zones moins favorisées, à accroître la contribution de la recherche et
de l’innovation à la croissance et à l’emploi et à renforcer davantage la
gestion des finances publiques. Les programmes en cours (y compris
ceux qui sont financés par l’enveloppe de 71 millions d’euros prévue
initialement pour 2011) favorisent déjà les réformes dans divers secteurs,
Printemps arabe, et après ? 187

dont l’efficacité énergétique, l’éducation, la gouvernance démocratique


et le développement économique local. Par ailleurs, le processus de
préparation des futures négociations concernant l’établissement d’une
zone de libre-échange approfondi et complet avec la Jordanie sera engagé
au début de l’année 2012. La première réunion du groupe de travail
UE-Jordanie devrait avoir lieu au premier trimestre de 2012.

LI BYE

L’extrême brutalité de la répression des manifestations par l’ancien


régime a conduit l’Union européenne à suspendre immédiatement toute
coopération technique ainsi que les négociations sur l’accord-cadre
UE-Libye. Un conseil européen extraordinaire sur la Libye s’est tenu
en mars, et la question libyenne a été examinée lors de tous les conseils
« Affaires étrangères » ultérieurs. Le pays a connu une guerre de libération
qui a duré plusieurs mois et a seulement pris fin le 23 octobre, après la
capture et la mort du colonel Kadhafi. L’Union européenne a participé
à des réunions internationales de première importance, comme celles du
groupe de contact international sur la Libye, et la Haute Représentante
et vice-présidente a contribué à rapprocher les positions divergentes des
grands partenaires internationaux en participant au « groupe du Caire »
(qui rassemble l’Union africaine, la Ligue arabe, l’UE, l’Organisation de
la coopération islamique et les Nations Unies). L’UE a fait de nombreuses
déclarations pour défendre les droits humains des opposants et condamner
la répression sanglante menée par le régime. Elle a adopté une série de
sanctions à l’encontre de personnes physiques et morales pour empêcher
le régime Kadhafi de se procurer des armes et de l’argent. La participation
active de ses États membres aux travaux réalisés à l’échelle internationale
a conduit à l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des
Nations Unies, qui invitait la communauté internationale à prendre des
mesures pour protéger les civils et établissait la base juridique nécessaire
à une intervention militaire de l’OTAN.
La Haute Représentante et vice-présidente a ouvert un bureau de
l’Union européenne à Benghazi le 22 mai et inauguré une délégation de
l’Union européenne à Tripoli lors de sa visite en Libye du 12 novembre.
Elle a été le premier dignitaire étranger à rencontrer le nouveau premier
ministre, M. Abderrahim Al-Kib.
188 Annexes

Depuis le début de la crise, l’UE a fourni plus de 155 millions d’euros


d’aide humanitaire et mobilisé ses équipes et ses ressources de protection
civile pour améliorer le sort des civils, tant en Libye qu’aux frontières du
pays. En outre, la Commission européenne met à disposition 30 millions
d’euros pour soutenir les priorités de stabilisation immédiates du Conseil
national de transition (CNT) et mettra 50 millions d’euros supplémentaires
à disposition pour des programmes d’appui à plus long terme. Comme
convenu lors de la conférence internationale qui s’est tenue à Paris en
septembre, l’Union évalue actuellement les besoins dans les domaines des
communications, de la société civile et de la gestion des frontières. Elle a
déjà déployé des experts dans ces domaines ainsi que pour la sécurité et les
passations de marchés. Enfin, d’importants projets portant sur la migration
qui avaient été interrompus en février 2011 sont sur le point de reprendre.

M AROC

Le 2 juillet 2011, la Haute Représentante et vice-présidente,


Mme Catherine Ashton, et le commissaire chargé de la PEV, M. Štefan Füle,
ont salué le résultat positif du référendum sur la nouvelle Constitution, à
savoir l’approbation des réformes proposées par le roi Mohammed VI. Ils
ont également réaffirmé le soutien de l’Union européenne au Maroc dans la
mise en œuvre de ces réformes ambitieuses. L’Union a dépêché une mission
d’experts sur place pour suivre les élections législatives du 25 novembre.
Le partenariat pour la mobilité avec le Maroc a été inauguré à Rabat en
octobre, et l’UE a relancé les négociations en vue de l’adoption d’un
nouveau plan d’action lié au statut avancé, qui ont repris en décembre. Par
ailleurs, le processus de préparation des futures négociations concernant
l’établissement d’une zone de libre-échange approfondi et complet avec le
Maroc sera engagé au début de l’année 2012.
Pour ce qui est du soutien financier, les cinq domaines de coopération
prioritaires restent inchangés: il s’agit de l’élaboration de politiques
sociales, de la modernisation économique, de l’appui institutionnel, de
la bonne gouvernance et des droits de l’homme et de la protection de
l’environnement. Le budget indicatif pour la période 2011-2013 s’élève
à 580,5 millions d’euros, ce qui représente une augmentation de 20 %
par rapport au budget 2007-2010. Le Maroc bénéficie également d’autres
programmes thématiques et régionaux et recevra une aide supplémentaire
au titre de la facilité de soutien à la société civile et d’Erasmus Mundus.
Printemps arabe, et après ? 189

SYR IE

Les manifestations populaires ont commencé en Syrie à la mi-mars


2011. Ce qui était à l’origine un simple appel aux réformes s’est rapidement
transformé en une série de manifestations dirigées contre le régime. Elles
ont fait l’objet de la part du régime syrien d’une violente répression que
l’Union européenne a fermement condamnée dès le 22 mars dans une
déclaration qui devait être suivie de plusieurs autres. Face à l’escalade
de la violence perpétrée contre des manifestants pacifiques, l’Union
européenne a introduit, en mai dernier, des sanctions ciblées comprenant,
notamment, un embargo sur les armes et les équipements utilisés pour la
répression, un gel des avoirs et une interdiction d’entrer sur le territoire de
l’Union à l’encontre des personnes ayant participé de près ou de loin à la
répression (dont Bashar al-Assad lui-même), ainsi que la suspension des
programmes de coopération bilatérale (y compris les nouvelles opérations
de la BEI). Aucune des réformes annoncées par le gouvernement ne
s’est traduite par une quelconque amélioration sur le terrain. À la suite
d’une nouvelle escalade et du recours massif, une fois de plus, à l’armée
contre les manifestants, en août, l’Union européenne a pris acte de la
perte de crédibilité et de légitimité du régime syrien et appelé Bashar
al-Assad à se retirer, tout en encourageant un dialogue national ouvert
à tous. Ne constatant aucun progrès, l’Union européenne n’a cessé de
renforcer ses sanctions – à nouveau par le conseil « Affaires étrangères »
du 1er décembre – en désignant d’autres personnes et entités concernées
par un gel des avoirs et l’interdiction d’entrer sur son territoire, en ajoutant
un embargo sur les importations de pétrole brut syrien et l’interdiction de
procéder à des investissements dans le secteur pétrolier (ce qui a nécessité
une suspension partielle de l’accord de coopération UE-Syrie) et en
poursuivant la suspension de la coopération, notamment régionale, et des
autres programmes bilatéraux. L’Union européenne a joué un rôle actif sur
le plan international en adoptant une résolution du Conseil des droits de
l’homme sur la Syrie et en militant en faveur d’une résolution du Conseil
de sécurité des Nations Unies visant à mettre à mal la capacité du régime
à mener la répression en cours. L’Union s’est employée à étudier les
possibilités d’une nouvelle coopération avec les partenaires de la société
civile en Syrie, en soutenant notamment les militants et les défenseurs des
droits de l’homme.
190 Annexes

L’UE soutient toutes les actions qui tendent à mettre fin à la violence en
Syrie, telles que l’initiative de la Ligue arabe. Elle a également adopté en
interne un engagement coordonné avec des représentants de l’opposition
syrienne soucieux de non violence et de respect des valeurs démocratiques.
La Haute Représentante et vice-présidente a rencontré des représentants du
Conseil national syrien et salué les efforts en cours visant à établir une
plateforme unie et à élaborer une vision commune de l’avenir de la Syrie
et de la transition vers un système démocratique.

TUNISIE

La révolution tunisienne a ouvert la voie au « Printemps arabe ». Le


soutien politique rapide apporté par l’UE au processus de transition s’est
manifesté sous la forme d’une série de visites à haut niveau, dont la
première, celle de la Haute Représentante et vice-présidente, Mme Catherine
Ashton, a eu lieu quelques semaines à peine après le déclenchement de la
révolution, le 14 février 2011, et a été suivie par la visite du président de la
Commission européenne, M. Barroso, des commissaires Füle, Malmström,
Georgieva, Barnier et de Gucht, ainsi que de M. Buzek, le président du
Parlement européen.
Tous les instruments financiers de l’UE ont été rapidement mobilisés
pour relever les nouveaux défis. Une aide humanitaire considérable a été
mise à la disposition du pays, en particulier pour aider la Tunisie à faire
face à l’afflux de réfugiés fuyant la guerre en Libye. L’UE a apporté
un soutien immédiat à la préparation des élections, en fournissant une
assistance technique aux autorités de transition ainsi qu’un soutien direct
aux organisations de la société civile. Elle a également augmenté les fonds
disponibles pour la coopération bilatérale : elle a ainsi doublé la dotation
pour 2011 et, pour la période 2011-2013, le budget a été augmenté,
passant de 240 millions à 400 millions d’euros. Les nouveaux fonds
visent en particulier à soutenir la relance économique, la société civile et
la transition démocratique.
En outre, un groupe de travail UE-Tunisie, le premier dans la région,
a été constitué en vue d’assurer une meilleure coordination de l’aide
européenne et internationale en faveur de la transition politique et
économique en Tunisie. Sa première réunion, présidée conjointement par
la Haute Représentante et vice‑présidente, Mme Catherine Ashton, et le
Printemps arabe, et après ? 191

Premier ministre tunisien, M. Béji Caĭd Essebsi, les 28 et 29 septembre


à Tunis, a donné lieu à une large participation des partenaires européens
et internationaux. Au total, près de 4 milliards d’euros (y compris des
aides non remboursables et des prêts) ont pu être dégagés en faveur de
la transition en Tunisie pour les trois prochaines années : 3 milliards
d’euros provenant des institutions et des banques de l’UE ainsi que des
institutions internationales (Banque africaine de développement, Banque
islamique de développement, Banque mondiale) et un milliard d’euros
provenant des États-membres de l’UE. L’UE et la Tunisie ont également
exprimé l’ambition commune de forger un partenariat privilégié au moyen
d’un « statut avancé », tout en convenant de la reprise des négociations
sur un certain nombre d’accords, notamment sur la libéralisation des
échanges et un partenariat pour la mobilité. Par ailleurs, le processus de
préparation des futures négociations concernant l’établissement d’une
zone de libre‑échange approfondi et complet avec la Tunisie sera engagé
au début de l’année 2012.
Le 23 octobre, les citoyens tunisiens ont, pour la première fois, pu
choisir librement et démocratiquement leurs représentants. Une mission
d’observation électorale de l’UE était présente à l’occasion des élections
de l’Assemblée nationale constituante, qui ont été considérées, dans
l’ensemble, comme libres et équitables. La Haute Représentante et vice-
présidente et le commissaire Füle ont rendu hommage aux candidats et aux
partis qui ont pris part au processus démocratique et ont félicité le parti
Ennahdha, qui a recueilli le plus grand nombre de voix.

YÉMEN

Depuis les débuts de la vague de protestation, en février 2011, l’UE a


exercé une pression constante sur l’ensemble des parties en présence au
Yémen afin de mettre un terme à la violence et de faciliter une passation
de pouvoir pacifique. La Haute Représentante et vice-présidente a formulé
un certain nombre de déclarations condamnant la violence et est en
contact régulier avec les principaux membres du régime et ses opposants.
La crise politique, sociale et économique qui sévit au Yémen ayant pour
effet d’aggraver une situation humanitaire déjà critique, la communauté
internationale a maintenu sa pression ferme et unie en faveur de la mise
en place sans délai d’une transition sans heurts et d’un processus de
réforme globale. À la suite de l’action engagée par l’UE au Conseil des
192 Annexes

droits de l’homme des Nations Unies, le Conseil de sécurité des Nations


Unies a adopté à l’unanimité une résolution incitant toutes les parties
en présence au Yémen à mettre en œuvre les mesures nécessaires à la
transition politique. Le 23 novembre, après des mois de blocage politique,
la Haute Représentante et vice-présidente s’est félicitée de la signature, à
Ryad, de l’accord pour la transition politique signé par le président Saleh
et les principaux représentants du parti en place et des partis d’opposition
au Yémen, sous les auspices du Conseil de coopération du Golfe. Elle a
invité tous les partis politiques à contribuer à la mise en œuvre de l’accord
en toute bonne foi, de sorte qu’il serve de fondement à un processus de
réconciliation de tous les Yéménites et permette une transition pacifique
et démocratique.
Cet engagement politique constant n’est qu’une facette de notre
engagement vis-à-vis du Yémen : l’UE veille à ce que l’aide au développement
et l’aide humanitaire continuent d’aller à ceux et celles qui en ont le plus
besoin, à savoir la population du Yémen, qui a payé un lourd tribut à la crise.
Une enveloppe supplémentaire de 20 millions d’euros d’aide humanitaire a
été octroyée par l’Union européenne depuis le début de 2011, certains États
membres ayant ajouté au moins 40 millions d’euros à cette somme.
Conférence de presse du Président B. Obama,
Maison Blanche, 15/2/2011

THE PRESIDENT (….) Now, with respect to the situation in the Middle
East, obviously, there’s still a lot of work to be done in Egypt itself, but
what we’ve seen so far is positive. The military council that is in charge has
reaffirmed its treaties with countries like Israel and international treaties.
It has met with the opposition, and the opposition has felt that it is serious
about moving towards fair and free elections. Egypt is going to require help
in building democratic institutions and also in strengthening an economy
that’s taken a hit as a consequence of what happened. But so far at least,
we’re seeing the right signals coming out of Egypt.
There are ramifications, though, throughout the region. And I think
my administration’s approach is the approach that jibes with how most
Americans think about this region, which is that each country is different,
each country has its own traditions; America can’t dictate how they run
their societies, but there are certain universal principles that we adhere to.
One of them is we don’t believe in violence as a way of – and coercion – as
a way of maintaining control. And so we think it’s very important that in all
the protests that we’re seeing in – throughout the region that governments
respond to peaceful protesters peacefully.
The second principle that we believe in strongly is in the right to
express your opinions, the freedom of speech and freedom of assembly that
allows people to share their grievances with the government and to express
themselves in ways that hopefully will over time meet their needs.
And so we have sent a strong message to our allies in the region, saying
let’s look at Egypt’s example as opposed to Iran’s example. I find it ironic
that you’ve got the Iranian regime pretending to celebrate what happened
in Egypt when, in fact, they have acted in direct contrast to what happened
in Egypt by gunning down and beating people who were trying to express
themselves peacefully in Iran.
And I also think that an important lesson – and I mentioned this last
week -- that we can draw from this is real change in these societies is not
going to happen because of terrorism; it’s not going to happen because
194 Annexes

you go around killing innocents – it’s going to happen because people


come together and apply moral force to a situation. That’s what garners
international support. That’s what garners internal support. That’s how you
bring about lasting change.

Patricia Zengerle
Q . Thank you, Mr. President. Getting back to the unrest in the Middle
East and North Africa, what concerns do you have about instability,
especially in Saudi Arabia, as the demonstrations spread? Do you see –
foresee any effects on oil prices? And talking about Iran, can you comment
about the unrest there more? What is your message to the Iranian people
– in light of there was some criticism that your administration didn’t speak
out strongly enough after their last – the demonstrations in Iran after their
elections? Excuse me.

THE PRESIDENT: That’s okay. Well, first of all, on Iran, we were clear
then and we are clear now that what has been true in Egypt should be
true in Iran, which is that people should be able to express their opinions
and their grievances and seek a more responsive government. What’s been
different is the Iranian government’s response, which is to shoot people
and beat people and arrest people.
And my hope and expectation is, is that we’re going to continue to see
the people of Iran have the courage to be able to express their yearning for
greater freedoms and a more representative government, understanding that
America cannot ultimately dictate what happens inside of Iran any more
than it could inside of Egypt. Ultimately these are sovereign countries that
are going to have to make their own decisions. What we can do is lend
moral support to those who are seeking a better life for themselves.
Obviously we’re concerned about stability throughout the region.
Each country is different. The message that we’ve sent even before the
demonstrations in Egypt has been, to friend and foe alike, that the world
is changing; that you have a young, vibrant generation within the Middle
East that is looking for greater opportunity, and that if you are governing
these countries, you’ve got to get out ahead of change. You can’t be behind
the curve.
And so I think that the thing that will actually achieve stability in that
region is if young people, if ordinary folks end up feeling that there are
Conférence de presse du Président B. Obama 195

pathways for them to feed their families, get a decent job, get an education,
aspire to a better life. And the more steps these governments are taking to
provide these avenues for mobility and opportunity, the more stable these
countries are.
You can’t maintain power through coercion. At some level, in any society,
there has to be consent. And that’s particularly true in this new era where
people can communicate not just through some centralized government or
a state-run TV, but they can get on a smart phone or a Twitter account and
mobilize hundreds of thousands of people.
My belief is that, as a consequence of what’s happening in Tunisia and
Egypt, governments in that region are starting to understand this. And my
hope is, is that they can operate in a way that is responsive to this hunger
for change but always do so in a way that doesn’t lead to violence.

Ed Henry
Q. Thank you, Mr. President. I want to go back to Egypt because there
was some perception around the world that maybe you were too cautious
during that crisis and were kind of a step behind the protesters. I know
that, as you said, there was dramatic change in three weeks, and some of
us wanted it to go even faster than that. But having said that, I realize it’s
a complicated situation. It was evolving rapidly. But now as these protests
grow throughout the Mideast and North Africa – you said before your
message to the governments involved was make sure you’re not violent
with peaceful protesters. But what’s your message to the protesters? Do
you want them to taste freedom? Or do you want them to taste freedom
only if it will also bring stability to our interests in the region?

THE PRESIDENT: Well, first of all, without revisiting all the events over
the last three weeks, I think history will end up recording that at every
juncture in the situation in Egypt that we were on the right side of history.
What we didn’t do was pretend that we could dictate the outcome in Egypt,
because we can’t. So we were very mindful that it was important for this to
remain an Egyptian event; that the United States did not become the issue,
but that we sent out a very clear message that we believed in an orderly
transition, a meaningful transition, and a transition that needed to happen
not later, but sooner. And we were consistent on that message throughout.
196 Annexes

Particularly if you look at my statements, I started talking about reform


two weeks or two-and-a-half weeks before Mr. Mubarak ultimately
stepped down. And at each juncture I think we calibrated it just about right.
And I would suggest that part of the test is that what we ended up seeing
was a peaceful transition, relatively little violence, and relatively little, if
any, anti-American sentiment, or anti-Israel sentiment, or anti-Western
sentiment. And I think that testifies the fact that in a complicated situation,
we got it about right.
My message I think to demonstrators going forward is your aspirations
for greater opportunity, for the ability to speak your mind, for a free press,
those are absolutely aspirations we support.
As was true in Egypt, ultimately what happens in each of these countries
will be determined by the citizens of those countries. And even as we
uphold these universal values, we do want to make sure that transitions
do not degenerate into chaos and violence. That’s not just good for us; it’s
good for those countries. The history of successful transitions to democracy
have generally been ones in which peaceful protests led to dialogue, led to
discussion, led to reform, and ultimately led to democracy.
And that’s true in countries like Eastern Europe. That was also true
in countries like Indonesia, a majority Muslim country that went through
some of these similar transitions but didn’t end up doing it in such a chaotic
fashion that it ended up dividing the societies fundamentally.

Q. But has it improved the chances of something like Mideast peace, or


has it made it more complicated in your mind?

THE PRESIDENT: I think it offers an opportunity as well as a challenge.


I think the opportunity is that when you have the kinds of people who were
in Tahrir Square, feeling that they have hope and they have opportunity, then
they’re less likely to channel all their frustrations into anti-Israel sentiment
or anti-Western sentiment, because they see the prospect of building their
own country. That’s a positive.
The challenge is that democracy is messy. So there – and if you’re trying
to negotiate with a democracy, you don’t just have one person to negotiate
with; you have to negotiate with a wider range of views.
But I like the odds of actually getting a better outcome in the former
circumstance than in the latter.
Déclaration de Camp David
Camp David, Maryland, États-Unis
18 et 19 mai 2012
Extraits

Préambule
1. Nous, chefs d’État et de gouvernement du Groupe des Huit, nous
sommes réunis à Camp David les 18 et 19 mai 2012, afin de traiter des
grands enjeux économiques et politiques mondiaux.
(…)

Transition en Afrique du Nord et au Moyen-Orient


25. Un an après le début des événements historiques qu’ont connus
l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, les aspirations des peuples de la
région à la liberté, aux droits de l’homme, à la démocratie, à l’emploi, à
l’autonomie et à la dignité sont toujours aussi vives. Nous reconnaissons
que des progrès importants ont été accomplis dans plusieurs pays pour
répondre à ces aspirations et nous appelons de nos vœux la poursuite de la
mise en œuvre des réformes promises. Une croissance économique forte et
qui profite à tous, avec un secteur privé florissant qui offre des emplois, sont
le fondement d’un État démocratique et participatif fondé sur l’état de droit
et le respect des libertés fondamentales, notamment le respect des droits des
femmes et des filles et le droit de pratiquer sa religion en toute sécurité.
26. Nous réaffirmons notre engagement en faveur du Partenariat de
Deauville avec les pays arabes en transition lancé lors du Sommet du G8 de
mai dernier. Nous nous félicitons des progrès déjà accomplis, en partenariat
avec d’autres acteurs de la région, à l’appui de la réforme économique,
d’un gouvernement transparent, du commerce, de l’investissement et de
l’intégration.
27. Nous notons en particulier : les mesures prises pour élargir le mandat
de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement afin
qu’elle apporte son expertise dans les économies en transition ainsi que
des soutiens financiers à la croissance du secteur privé dans cette région ; la
plateforme mise en place par les institutions financières internationales pour
améliorer la coordination et recenser les possibilités de travailler ensemble
198 Annexes

pour soutenir les efforts de réforme des pays en transition ; les progrès
réalisés en lien avec les partenaires de la région pour mettre en place un
nouveau fonds de transition à l’appui des réformes menées par les pays, en
complément des mécanismes existants ; l’augmentation des engagements
financiers des institutions financières internationales et régionales, du G8
et des partenaires régionaux à l’égard des pays qui mènent des réformes ;
les stratégies destinées à accroître l’accès aux marchés de capitaux pour
stimuler l’investissement privé ; et les engagements pris par nos pays
et par d’autres pour aider les petites et moyennes entreprises, offrir la
formation et l’assistance technique nécessaires et faciliter les échanges
internationaux et les programmes de formation pour des groupes-clés dans
les pays en transition.
28. Répondant à l’appel des pays partenaires, nous approuvons un plan
d’action sur la restitution des avoirs afin de promouvoir la restitution des
avoirs volés et nous nous félicitons des plans d’action élaborés dans le cadre
du Partenariat, que nous nous engageons à soutenir, pour promouvoir un
gouvernement transparent, réduire la corruption, renforcer la responsabilité
et améliorer l’environnement réglementaire, en particulier pour permettre
la croissance des petites et moyennes entreprises. Ces réformes en matière
de gouvernance favoriseront la croissance économique pour tous, l’état
de droit et la création des emplois nécessaires au succès de la transition
démocratique. Nous travaillons avec les pays du Partenariat pour consolider,
partout dans la région et avec les pays du G8, nos relations commerciales
et d’investissement qui sont essentielles pour soutenir la croissance et la
création d’emplois. Dans ce contexte, nous nous félicitons de la déclaration
des pays du Partenariat sur l’ouverture à l’investissement international.
29. Les pays du G8 ont pris l’engagement d’instaurer un partenariat
durable et productif à l’appui des transformations historiques en cours dans
la région. Nous nous engageons par ailleurs, d’ici la fin 2012, à soutenir
l’engagement du secteur privé, la restitution des avoirs, le renforcement
des relations commerciales et la fourniture de l’expertise et de l’assistance
nécessaires, notamment par le biais d’un fonds de transition. Nous appelons
de nos vœux l’organisation en septembre d’une réunion des Ministres des
Affaires étrangères pour dresser le bilan des progrès accomplis dans le
cadre du Partenariat.
‫‪Déclaration de Bagdad appuyant le Printemps arabe‬‬
‫‪à l’occasion du 23e Sommet arabe en Irak, 29 mars 2011‬‬
‫‪Extraits‬‬

‫�إعالن بغداد (القمة العربية الثالثة والع�شرين‪ ،‬بغداد)‬


‫[‪]...‬‬
‫نحن ﻗﺎﺩﺓ الدول العربية المجتمعين ﻓﻲ الدورة الثالثة والع�شرين لمجل�س جامعة‬
‫الدول العربية ﻋﻠﻰ م�ستوى القمة ﻓﻲ بغداد المحبة وال�سالم‪ ،‬ﻓﻲ جمهورية العراق‬
‫‪ 29‬مار�س‪� /‬ﺁﺫﺍﺭ ‪،2012‬‬
‫نعلن ما يلي‪:‬‬
‫[‪]...‬‬
‫‪ .5‬تبني ر�ؤية �شاملة للإ�صالﺡ ال�سيا�سي ﻭﺍﻻﻗﺘ�ﺼﺎﺩﻱ ﻭﺍﻻجتماﻋﻲ بما ي�ضمن‬
‫�صون كرامة المواطن العربي ﻭتعزيز حقوقه ﻓﻲ ظل عالم ي�شهد تطوراً ‪ -‬مت�ساﺭﻋﺎ‬
‫‪ -‬ﻓـﻲ ﻭ�سائل ﺍﻻت�صال‪ ،‬ﻭبما يلبي مطالب ال�شعوب العربية ﻓـﻲ الحرية والعدالة ﺍﻻجتماﻋﻴﺔ‬
‫والم�شاركة ال�سيا�سية‪ ،‬التي ج�سدتها التطورات التي تعي�شها �شعوبنا العربية‪ ،‬والدعوة �إلى‬
‫تحقيق التكامل ﺍﻻﻗﺘ�ﺼﺎﺩﻱ العربي للنهو�ض باﻗﺘـ�ﺼﺎﺩﺍﺕ الدول التي �شهدت هذه‬
‫التغيرات مما يتطلب ﺩﻋﻤﺎﹰ عربياً ي�ؤمن م�ستقبال �آمناً ﻭﺯﺍهرﺍﹰ ﻷ�جيالها‪.‬‬
‫‪ .6‬ﺍ�ﻹ �شادة بالتطورات والتغييرات ال�سيا�سية التي جرت ﻓـﻲ المنطقة العربية وبالخطوات‬
‫والتوجهات الديمقراطية الكبرى التي ﺭفعت مكانة ال�شعوب العربية ﻭعزﺯﺕ من فر�ﺹ بناء‬
‫الدولة ﻋﻠﻰ �ﺃ�س�س احترام القانون ﻭتحقيق التكافل والعدالة ﺍﻻجتماﻋﻴﺔ‪ ،‬ﻭنحيي �شعوبنا التي‬
‫ﻗﺎﺩﺕ هذه الخطوات‪ ،‬ﻭﺍ�ﻹ �شادة بالمجهودات التي بذلت حديثاً ‪ -‬لتفعيل م�ؤ�س�سات‬
‫اتحاد المغرب العربي ﻓﻲ �ﺃفق عقد ﻗﻤﺔ مغاربية ﻓﻲ تون�س قبل نهاية ال�سنة الجارية‪،‬‬
‫ﻭﺍﻋﺘﺒﺎﺭ ذلك لبنة �أ�سا�سية ﻓﻲ ﺩعم العمل العربي الم�شترك‪.‬‬
‫‪ .7‬الموافقة ﻋﻠﻰ النظام الأ�سا�سي للبرلمان العربي الذي �ﺃن�شىء ب�صفة انتقالية‬
‫بموجب القرار ال�صادر عن ﻗﻤﺔ الجزائر ‪ 2005‬وذلك ا�ستجابة لتطلعات ال�شعوب‬
‫العربية التواقة �ﻹ ﻗﺎمة نظام عربي يكون ﻓ�ﻀﺎﺀ لممار�سة مبادئ ال�شورى والديمقراطية والحرية‬
‫ﻭحقوق ﺍ�ﻹ ن�ساﻥ‪ ،‬ﻭيحقق �ﺃمانيها ﻓﻲ التنمية ال�شاملة والم�ستدامة‪.‬‬
‫‪200‬‬ ‫‪Annexes‬‬

‫[‪]...‬‬

‫‪ .14‬الت�أكيد ﻋﻠﻰ ﺩﻋﻤﻨﺎ الكامل للتطلعات والمطالب الم�شروعة لل�شعب ال�سوري ﻓـﻲ‬
‫الحرية والديمقراطية ﻭحقه ﻓﻲ ﺭ�سم م�ستقبله‪ ،‬ﻭﻓﻲ التداول ال�سلمي لل�سلطة‪ ،‬ﻭ�ﺇﺩانة‬
‫�ﺃﻋﻤﺎل العنف والقتل ﻭ�ﺇيقاﻑ نزيف الدم‪ ،‬والتم�سك بالحل ال�سيا�سي والحوار‬
‫ﺍ�ﺯمة ال�سورية حفاظاً ‪ -‬ﻋﻠﻰ ﻭحدﺓ �سورية‬ ‫الوطني ﻭﺭف�ض التدخل ﺍلأجنبي ﻓﻲ ﻷ‬
‫ﻭ�سالمة �شعبها‪ ،‬ﻭن�ؤكد ﺩﻋﻤﻨﺎ والتزامنا بالقرارات ال�صادرة عن جامعة الدول العربية‬
‫بهذا ال�ش�أن‪ ،‬ﻭدعم مهمة ال�سيد كوفي �أناﻥ المبعوث الم�شترك للأمم المتحدة‬
‫والجامعة العربية ﻓﻲ مهمته �إلى �سورية‪.‬‬
‫‪� .15‬ﺃخذنا العلم بالر�سائل المتبادلة بين الحكومة ال�سورية والمبعوث الم�شترك‬
‫للأمم المتحدة والجامعة العربية حول قبول �سورية للنقاط ال�ست التي تقدم بها‬
‫ال�سيد كوفي �أناﻥ ﻭي�ؤكد ﻋﻠﻰ �ضرورة التنفيذ الفوري والكامل لهذه النقاط حتى‬
‫يمكن ﻭقف نزيف الدماء والبدء بحل �سيا�سي �سلمي للأزمة ال�سورية ﻭﻓﻘـﺎﹰ لقرارات‬
‫المجل�س الوزاري ﻓﻲ هذا ال�ش�أن‪.‬‬
‫‪ .16‬الترحيب بالتطورات الهامة التي �شهدتها ليبيا ال�شقيقة‪ ،‬والت�أكيد ﻋﻠﻰ الدعم‬
‫القوي للجهود المبذولة من قبل المجل�س الوطني ﺍﻻنتقالي والحكومة الليبية‬
‫لتحقيق ﻷ‬
‫ﺍ�من واال�ستقرار الالزمين لالنتقال بليبيا �إلى �إقامة دولة ﺩيمقرﺍطية تحقق‬
‫العدل والم�ساواة والحرية والرخاء لجميع �ﺃبناء ال�شعب الليبي‪ ،‬ﻭبما ي�ضمن ﻭحدتها‬
‫�ﺃﺭ�ضاً ‪ -‬ﻭ�شعباً ‪ ،-‬ﻭﺩعم ﺍلإجراءات المبذولة من قبل الحكومة الليبية �ﻹ ﻋﻤﺎل حكم‬
‫القانون ﻭحق ال�شعب الليبي ﻓﻲ ا�سترداد �أمواله‪.‬‬
‫(‪)....‬‬

‫‪ .18‬تهنئة ال�شعب اليمني ال�شقيق بنجاح االنتخابات الرئا�سية التي ﻓﺎﺯ بها فخامة‬
‫الرئي�س عبد ربه من�صور ﻫﺎﺩﻱ‪ ،‬ون�شيد بعملية انتقال ال�سلطة‪ ،‬والت�أكيد ﻋﻠﻰ �ضرﻭﺭﺓ‬
‫تقديم الدعم الالﺯﻡ لليمن ﻓﻲ مختلف المجاالت ال�سيا�سية ﻭﺍﻻﻗﺘ�ﺼﺎﺩية والتنموية‪،‬‬
‫ﺍ��ضرﺍﺭ ﻭتداعياتها‬‫والعمل ﻋﻠﻰ توفير الخبرات الالﺯمة لم�ساعدته ﻓﻲ �إزالة ﻷ‬
‫ﺍﻻﻗﺘ�ﺼﺎﺩية ﻭﺍﻻجتماﻋﻴﺔ‪.‬‬
II. Les conseils économiques et sociaux
en Méditeranée

L’initiative TRESMED
L’Association euro-méditerranéenne, cadre de TRESMED
Les pays de l’Union européenne et du bassin méditerranéen ont mis
en œuvre en 1995, à Barcelone, un processus de collaboration, en vue
de faire de cet espace géographique commun une zone de stabilité et de
prospérité partagées. La Déclaration de la Conférence de Barcelone a
alors souligné l’importance que revêt, pour la réussite de la collaboration
euro-méditerranéenne, le fait de parvenir à une totale implication et à la
participation pleine de la société civile dans son développement.
Les conseils économiques et sociaux et les institutions semblables de
la région ont maintenu pendant ces dernières années, à la demande des
instances politiques du Processus de Barcelone, une collaboration pour
contribuer à la construction de cet horizon commun, aux principes qui
l’ont inspiré et à ses objectifs. Les conférences au sommet économico-
sociales euro-méditerranéennes, tenues annuellement, sont donc une
opportunité de rapprochement des sociétés civiles, permettant d’établir
les voies de la collaboration entre les partenaires économiques et sociaux
sur les questions et les problèmes d’intérêt commun relatifs au processus
de construction de l’Association euroméditerranéenne. Dans ce cadre, le
Programme TRESMED apparaît comme une initiative commune des CES
euro-méditerranéens et ouvrent de cette façon une nouvelle étape dans leur
collaboration, concrétisée par des actions et des programmes spécifiques
et tangibles.
TRESMED, dont la réalisation revient au Conseil économique et social
d’Espagne, repose sur une large participation des conseils économiques et
sociaux d’Europe et de la Méditerranée. Il est financé par des ressources
provenant de l’outil financier de la Commission européenne pour la
Méditerranée (MEDA).
202 Annexes

 bjectif de TRESMED : promouvoir la consultation et la


O
participation des partenaires sociaux
TRESMED souhaite renforcer les organisations représentatives des
intérêts économiques et sociaux et promouvoir leur participation dans les
instances institutionnelles de consultation et de dialogue. Dans ce but, il
se fixe pour objectifs une large diffusion, parmi les acteurs sociaux et les
organes politiques décisionnels des pays partenaires méditerranéens, des
pratiques de dialogue et de consultation existant dans les pays de l’Union
européenne et, en particulier, du rôle des conseils économiques et sociaux.
Cet objectif, en recherchant une plus grande implication des partenaires
sociaux dans le processus de collaboration euro-méditerranéenne, est
envisagé comme une contribution au développement de la démocratie et à
la formation commune d’une société euro-méditerranéenne sur la base des
principes partagés.
Le Programme TRESMED répond ainsi aux objectifs suivants :
– développer et structurer le rôle consultatif des partenaires économiques
et sociaux dans un cadre national et régional ;
– contribuer à une meilleure connaissance mutuelle des organisations
économiques et sociales des deux rives de la Méditerranée, dans
laperspective d’une collaboration euro-méditerranéenne ;
– promouvoir une meilleure connaissance des différentes réalités
qui existent en Europe et dans les pays méditerranéens quant aux
structures sociales et politiques socio-économiques ;
– améliorer l’information sur les différents modèles de participation
des partenaires économiques et sociaux ainsi que sur les rapports
entre eux et les pouvoirs publics ;
– promouvoir le rôle des partenaires économiques et sociaux dans
la structuration de la société civile et soutenir les mécanismes
institutionnalisés de rencontre et de dialogue entre eux et avec les
gouvernements.
Avec ces objectifs généraux, le Programme s’adresse aux représentants
des syndicats, aux associations patronales et autres organisations de nature
socio-économique, ainsi qu’aux parlementaires, aux hommes politiques
et aux représentants institutionnels des pays du sud et de l’est de la
Méditerranée : Algérie, Autorité nationale palestinienne, Chypre, Egypte,
Israël, Jordanie, Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie et Turquie.
Les conseils économiques et sociaux en Méditeranée 203

TRESMED souhaite contribuer au développement des relations


euroméditerranéennes en encourageant les échanges et une meilleure
connaissance mutuelle des personnes ayant des responsabilités importantes
dans différentes organisations des deux rives de la Méditerranée et dont
les connaissances et le savoir-faire pourraient avoir un effet multiplicateur
dans un proche avenir.

Activités de TRESMED  séjours et séminaires

Séjours de formation
Trois séjours pour des représentants des pays du sud et de l’est de la
Méditerranée comptant déjà sur une institution consultative des acteurs
sociaux.
Ce chapitre du Programme comprend trois séjours de deux semaines.
Chaque séjour se déroule dans trois capitales européennes où siègent les
conseils économiques et sociaux des pays membres de l’Union européenne
et du Comité économique et social européen.
Au total, soixante représentants de diverses institutions d’Algérie, du
Liban, de Malte, du Maroc et de Tunisie prennent part à ces séjours.
Les participants acquièrent des connaissances sur le terrain, à la charge
des acteurs sociaux eux-mêmes, de l’organisation et du fonctionnement
dans chaque pays des mécanismes institutionnels de consultation et de
participation lors de l’élaboration des politiques publiques de nature
socioéconomique, en abordant des sujets tels que la représentation des
intérêts économiques et sociaux dans un système démocratique, le rôle
consultatif des partenaires économiques et sociaux, le fonctionnement
du Conseil économique et social de chaque pays ou l’importance du rôle
consultatif dans la mise en place d’une zone de libre commerce euro-
méditerranéenne.
Les délégués participants prennent également connaissance sur place de
la réalité socioprofessionnelle et économique de chaque pays grâce à des
visites institutionnelles dans les organisations et les entités relatives aux
relations industrielles, au marché du travail, à la formation professionnelle,
à l’économie sociale et autres de nature et d’objectifs similaires.
204 Annexes

Séminaires
Ils sont organisés pour les représentants des pays où il n’y a pas de
Conseil économique et social ni d’institution similaire.
A ces séminaires, d’une durée de deux jours, participent cent représentants
des organisations socio-économiques, membres du gouvernement et
parlementaires de Chypre, Egypte, Israël, Jordanie, Syrie, Territoires
de l’Autorité autonomie palestinienne et Turquie. Ils sont dispensés
par d’importants conférenciers rattachés aux différentes expériences
nationales en divers domaines  institutions, universités, membres des
conseils économiques et sociaux, experts syndicaux, patronaux et autres
organisations représentatives des intérêts socio-économiques.
Les programmes des conférences entendent exposer et débattre de la
grande diversité des sujets impliqués dans la pratique de la consultation et
de la participation institutionnalisée des organisations socio-économiques
des systèmes démocratiques, puis connaître les diverses expériences
nationales sur ces questions, sur les deux rives de la Méditerranée.
Pour les projets Tresmed voir le lien : http://www.ces.es/TRESMED/
docum/Proy_tresmed_fr.pdf
Bibliographie

Ouvrages
Abdel Salam, Shahinaz, Egypte, les débuts de la liberté, avec la collaboration
de Tangi Salaün Paris, Michel Lafon, 2011, 1 vol. 189 p.
Abidi, Hasni, le Manifeste des Arabes, Paris, Encre d’Orient, 2011, 1 vol.
97 p.
Albichari, Mohamed, le Cauchemar libyen, Lausanne, Favre, 2012, 1 vol.
116 p.
Amin, Samir, le Monde arabe dans la longue durée : le printemps arabe ?
Paris, Temps des cerises, 2011, 1 vol. 251 p.
Amin, Samir, le Monde arabe dans la longue durée : un printemps des
peuples ? Paris Alger, les Editions APIC, 2011, 1 vol. 255 p.
Anna, Bozzo et Pierre-Jean Luizard (dir.), les Sociétés civiles dans le
monde musulman, [contributions de Fariba Adelkhah, Lahouari Addi,
Cristiana Baldazzi, et al.] ; sous la direction de Anna Bozzo et Pierre-
Jean Luizard, Paris, la Découverte, 2011, 1 vol. 477 p.
Aourid, Hassan, Occident, est-ce le crépuscule ? Paris, Rabat  Bouregreg,
DL 2011, 1 vol. 151 p.
Azzouzi, Abdelhak, le Néo-constitutionnalisme marocain à l’épreuve
du printemps arabe, Abdelhak Azzouzi & André Cabanis, Paris,
l’Harmattan, 2011, 1 vol. 232 p.
Basbous, Antoine, le Tsunami arabe, Paris, Fayard, 2011, 1 vol. 383 p.
Beau, Nicolas, Notre ami Ben Ali  l’envers du « miracle tunisien », Nicolas
Beau, Jean-Pierre Tuquoi ; avant-propos et postface inédits des auteurs ;
préface de Gilles Perrault, Paris, la Découverte, 2011, 1 vol. 245 p.
Ben Chrouda, Lotfi, Dans l’ombre de la reine, avec la collaboration
d’Isabelle Soares Boumalala Neuilly-sur-Seine  Michel Lafon, 2011,
1 vol. 185 p.
Ben Hammouda, Hakim, A quoi rêve un Oriental ?  de nouvelles modernités
pour les printemps arabes, Paris, éd. du Cygne, 2011, 1 vol. 201 p.
206 Printemps arabe, et après ?

Ben Jelloun, Tahar, l’Etincelle  révoltes dans les pays arabes, Paris,
Gallimard, 2011, 1 vol. 122 p.
Ben Jelloun, Tahar, Par le feu  récit, Paris, Gallimard, 2011, 1 vol. 49 p.
Ben Mhenni, Lina, Tunisian girl  blogueuse pour un printemps arabe,
Paris, Montpellier Indigène, 2011, 1 vol. 32 p.
Benhamouche, Zoubir, Algérie, l’impasse  pourquoi l’Algérie se retrouve-t-
elle dans une impasse à l’aube du cinquantenaire de son indépendance
et comment peut-elle en sortir ? Paris, Publisud, 2011, 1 vol. 178 p.
Benslama, Fethi, Soudain la révolution !  de la Tunisie au monde arabe  la
signification d’un soulèvement, Paris, Denoël, 2011, 1 vol. 117 p.
Bouamoud, Mohamed, Bouâzizi ou l’étincelle qui a destitué Ben Ali,
Tunis, Almaha éditions, 2011.
Bradley, John R., After the Arab spring  how the Islamists hijacked the
Middle East revolts, New York  Palgrave Macmillan, 2012, 1 vol. 347 p.
Bravin, Hélène, Khadafi  vie et mort d’un dictateur, Paris, François Bourin
éditeur, 2012, 1 vol. 265 p.
Brugère, Fabienne, Faut-il se révolter ? Paris, Montrouge (Hauts-de-Seine) 
Bayard, 2012, 1 vol. 120 p.
Bussac, François-G., E la nave va, « et vogue la navire »  vers une
Tunisie libre ? Chroniques  comme une flamme au vent  les premiers
temps, décembre 2010-mars 2011 ; [préface de Youssef Seddik], Tunis,
Arabesques édition, 2011, 1 vol. 169 p.
Cherni, Amor, la Révolution tunisienne  s’emparer de l’histoire, Paris,
Albouraq, 2011, 1 vol. 252 p.
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2011 1 vol. 191 p.
Dakhlia, Jocelyne, Tunisie  le pays sans bruit, Paris, Actes Sud, 2011,
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Day, Stephen W., Regionalism and rebellion in Yemen  a troubled national
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Dégage  la révolution tunisienne, 17 décembre 2010-14 janvier 2011,
[Tunis]  Alif ; Paris , Editions du Layeur, 2011, 1 vol. 239 p.
Bibliographie 207

Dréano, Bernard, la Perle et le colonel  réflexions sur les révolutions


arabes, Paris, Non-lieu, 2011, 1 vol. 240 p.
El Aswani, Alaa, Chroniques de la révolution égytienne ; traduit de l’arabe,
Égypte par Gilles Gauthier Arles  Actes Sud, 2011, 1 vol. 346 p.
Essid, Yassine, Chronique d’une révolution inachevée, 17 décembre 2010-
23 octobre 2011, Tunis  MC, 2012, 1 vol. 249 p.
Estival, Jean-Pierre, l’Europe face au printemps arabe  de l’espoir à
l’inquiétude, Paris, l’Harmattan, 2012.
Feki, Masri, les Révoltes arabes  géopolitique et enjeux, Paris, Studyrama,
2011, 1 vol. 142 p.
Fellous, Colette, Dégage ! une révolution, photographies de Akram Belaid,
Amine Boussoffara, Saif Chaabane... [et al.] ; textes de Colette Fellous,
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