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La Samir, l'arnaque du siècle: l'État complice

 29 Mai 2019

 par Marouane Kabbaj

https://www.maroc-hebdo.press.ma/la-samir-
arnaque-siecle-etat-complice

La mise en faillite de la Samir est une grosse magouille où les pouvoirs


publics endossent une lourde responsabilité. Tout autant que le
propriétaire saoudien Mohamed Al-Amoudi.
Ironie du sort! Le Sheikh Mohammed Hussein Ali Al-Amoudi, homme
d’affaires saoudien né en Ethiopie, PDG de l’entreprise Corral Morocco
Holdings, propriétaire de la raffinerie La Samir, réclame, devant le Centre
international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
(CIRDI) de la Banque mondiale, 14 milliards de dirhams (1,5 milliard de
dollars américains) à l’Etat marocain comme dédommagements.
En guise de plaidoirie, Al-Amoudi accuse les autorités marocaines d’être
entièrement responsables concernant la suspension de l’activité de La
Samir en août 2015. Il accuse l’Etat marocain «d’entraves et de traitement
injuste de son investissement» ayant été la cause directe de la suspension
du raffinage. Et de citer, entre autres, la saisie des comptes bancaires de la
raffinerie et l’interdiction d’accostage au quai de déchargement imposée
aux bateaux transportant des carburants destinés à la raffinerie.
Al-Amoudi a déposé cette plainte au moment même où l’entreprise est en
liquidation judiciaire sous le contrôle d’un syndic pour le paiement des
arriérés dus au fisc, à la Douane et à des banques marocaines, évalués à 43
milliards de dirhams. Mais aussi au moment où il fait l’objet, depuis le 5
novembre 2018, d’une décision du tribunal du commerce de Casablanca
d’étendre la liquidation de la raffinerie de Mohammedia à ses biens
personnels.
Décision unilatérale
Le milliardaire saoudien est ou amnésique, ou quelqu’un qui sait ce qu’il
fait, jouant à un jeu dangereux de pression sur les autorités marocaines car
détenant peut-être des preuves de complicité et de corruption sur des
responsables marocains.
Amnésique car c’est lui-même qui a pris la décision, de façon unilatérale,
d’arrêter l’activité de la raffinerie (200.000 barils par jour) le 5 août 2015.
Quelques mois plus tôt, il avait préparé le marché au scénario de la faillite.
La vache-à-lait était devenue sans intérêt pour le milliardaire, qui avait déjà
transformé les bénéfices de plusieurs années en dividendes, en les
transférant vers l’Ethiopie et ailleurs. Tout a commencé en décembre 2014.
A l’issue d’un premier «Profit Warning », La Samir reconnaissait une dette
envers l’Etat de 27 millions de dirhams et une perte record de 3,4 milliards
de dirhams en 2014. Quelques mois plus tard, la restructuration générale de
la dette de La Samir avait suscité l’espoir d’un retour à l’équilibre. En
février 2015, elle a signé une convention «murabaha» (produit financier
utilisé en finance islamique) de 235 millions de dollars avec la Société
Internationale Islamique de Financement du Commerce, une filiale de la
Banque Islamique de Développement.
Plan de sauvetage
Le 29 avril, La Samir a obtenu un crédit de refinancement à long terme de
1,2 milliard de dirhams de la Banque Populaire. Ce n’est pas tout. Le
groupe américain Carlyle lui a accordé une facilité de 350 millions de
dollars pour financer ses activités d’import de matières premières. Au
premier semestre 2015, La Samir a annoncé une perte de 2,17 milliards de
dirhams! Et puis, après avoir empoché tout cet argent, Al-Amoudi
annonce, contre toute attente, le 5 août, la cessation de l’activité de La
Samir, sans préavis et sans en aviser les autorités.
Le gouvernement convoque l’actionnaire majoritaire, pour justifier la
cessation d’activité de la raffinerie. Pour rappel, le groupe Corral Morocco
Gas and Oil AB, contrôlé par la société Moroncha Holdings Co. Limited,
détenue à 100% par le Cheikh Mohammed Hussein Al-Amoudi, a racheté
67% de La Samir en 2006, qui étaient détenus par la société suédoise
Corral Morocco Holdings AB. La réunion débouche sur une impasse.
L’homme d’affaires saoudien s’est lancé dans une partie de chantage: La
Samir est le seul raffineur du pays -détenant à ce titre plus de 65% de parts
de marché- et emploie 1.000 salariés, sans oublier qu’elle est redevable à
l’Etat et à ses fournisseurs de grosses sommes d’argent. La veille du
Conseil de gouvernement du 19 août 2015 à Rabat, dont le principal sujet
de discussion était La Samir, le cheikh Al-Amoudi s’est réuni avec le
ministre de l’Énergie, Abdelkader Amara, l’ex-ministre de l’Économie et
des Finances, Mohamed Boussaïd, et l’ex-ministre de l’Intérieur,
Mohamed Hassad. Il n’est pas venu avec un plan de sauvetage de la
raffinerie. Et les trois ministres ne concèdent rien. Le richissime Saoudien
a joué le rôle de «sauveteur de la raffinerie», qui se bat pour un apurement
de ses arriérés auprès de la Douane, s’élevant à 13 milliards de dirhams, et
un rééchelonnement de sa dette bancaire et obligataire, qui dépasse les 20
milliards de dirhams, dont une bonne partie est contractée auprès de la
Banque Centrale Populaire. Il a même cherché aussi à politiser l’affaire. En
vain. Les choses se sont donc retournées contre lui. On donne alors le feu
vert aux institutions marocaines pour réagir. La Douane saisit les comptes
de Corral et de ses 30 filiales au Maroc, l’Office des changes soupçonne
des transferts de fonds illégaux… Mais après quoi? La Samir était déjà en
faillite!
Transferts illégaux
Mais même en faillite, le patrimoine de La Samir vaut son pesant d’or,
évalué à 21,6 milliards de dirhams, dont les unités de production de
Mohammedia et de Sidi Kacem (évaluées à 15 milliards de dirhams). Les
actions qu’elle détient dans le capital d’autres sociétés est estimé à 827
MDH, répartis entre la Société de distribution de carburants et
combustibles (SDCC) (150 MDH), l’Académie africaine de l’énergie
(ACAFE) (3,5 MDH), la Société marocaine de transport et de stockage de
produits pétroliers (TSPP) (60 MDH), les Autoroutes du Maroc (12 MDH),
la Société marocaine de stockage (220 MDH), AfricBitumes (26 MDH),
Jorf Petrolium Storage (12 MDH), Salam Gaz (327 MDH), et la Société
hôtelière d’Ifrane (17 MDH). A cela s’ajoute un patrimoine non industriel,
un foncier de 240 hectares.
S’il est n’est pas amnésique et qu’il sait ce qu’il fait, c’est que le Sheikh
Al-Amoudi ne sort pas toutes ses cartes à la fois et en garde encore
quelques-unes pour faire pression sur l’Etat marocain. Car, autrement,
comment expliquer qu’il ait transféré des milliards et des milliards de
dirhams de dividendes sans rembourser ses dettes ou en réinvestir une
partie dans la société, conformément à ses engagements pris avec l’Etat
marocain? Les 30 milliards que La Samir a investis sur la période 2004 à
2009 étaient d’ailleurs financés par la dette.
Le milliardaire saoudien a investi en Ethiopie l’argent qu’il a pompé des
comptes de La Samir avant de la laisser couler sous les dettes. D’ailleurs,
quelques jours seulement après un bref séjour au Maroc durant lequel le
patron et l’actionnaire majoritaire de La Samir a tenté de négocier avec le
gouvernement une «sortie de crise» du raffineur national, la presse
éthiopienne parlait des «prouesses» de l’homme d’affaires Mohammed Al-
Amoudi, qui avait remporté, face à Total et Oil Libya, le marché de
distribution pétrolière à Djibouti.
Comment l’Etat a-t-il pu fermer les yeux sur ces transferts de dividendes à
l’étranger au moment où la société ne respectait pas ses engagements en
matière d’investissements, annonçait des pertes et cumulait les dettes? Et
comment l’Etat a-t-il pu tolérer le fait que les distributeurs pétroliers privés
importaient du pétrole de l’étranger alors que le raffineur national en
produisait et en stockait? C’est dire que l’affaire de La Samir, depuis sa
privatisation jusqu’à la décision de sa liquidation judiciaire, est une grosse
arnaque dont les contours cachent difficilement des complicités à tous les
niveaux de l’Etat.
D’abord, en 1997, dans le cadre de la privatisation, durant laquelle le
ministre Abderrahmane Sâaïdi avait déclaré qu’au Maroc il n’y a aucun
secteur qui soit stratégique, l’on cède le raffineur national à un prix
contesté (car en deçà de la valorisation réelle de la société). Ensuite, et
depuis, le fisc et la Douane et même certains fournisseurs ont financé la
mauvaise gestion des nouveaux actionnaires, qui n’ont pas hésité à fermer
la Société chérifienne des pétroles (SCP), première raffinerie du Maroc
(datant de 1929) de Sidi Kacem. Une fermeture qui a eu des conséquences
désastreuses sur toute une région, qui était jusque là animée par cette
activité économique.
Complicités à tous les niveaux
Enfin, au lieu de le poursuivre devant les juridictions internationales pour
escroquerie, le gouvernement préfère garder le silence et donc le flou sur
cette affaire louche qui ne profite qu’aux distributeurs pétroliers qui ont
engrangé depuis la libéralisation du secteur des profits faramineux et qui
menace la sécurité énergétique nationale (absence d’un stock de réserve
stratégique), pour reprendre fidèlement la conclusion du récent rapport de
l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Et c’est le milliardaire saoudien
qui prend l’initiative en poursuivant l’Etat marocain devant le CIRDI et en
réclamant 14 milliards de dirhams (1,5 milliard de dollars). Comme s’il lui
restait encore un peu à traire de sa vacheà- lait 

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