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Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans
Droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ?

Francine Macorig-Venier (dir.)

DOI : 10.4000/books.putc.3241
Éditeur : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole
Lieu d'édition : Toulouse
Année d'édition : 2017
Date de mise en ligne : 26 septembre 2018
Collection : Actes de colloques de l’IFR
ISBN électronique : 9782379280634

http://books.openedition.org

Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2017
ISBN : 9782361701574
Nombre de pages : 205

Référence électronique
MACORIG-VENIER, Francine (dir.). Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : Droit dérogatoire,
précurseur ou révélateur ? Nouvelle édition [en ligne]. Toulouse : Presses de l’Université Toulouse 1
Capitole, 2017 (généré le 26 septembre 2018). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/
putc/3241>. ISBN : 9782379280634. DOI : 10.4000/books.putc.3241.

© Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540

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IFR
Actes de colloques

N° 30

Le droit des entreprises en


difficulté après 30 ans :
droit dérogatoire,
précurseur ou révélateur ?

Sous la direction de
Francine MACORIG-VENIER

Colloque du CDA du 16 mars 2017

PRESSES DE L'UNIVERSITÉ TOULOUSE 1 CAPITOLE

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Collection des Actes de colloques de l’IFR


Copyright et diffusion 2017
© IFR
Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole
2 rue du Doyen-Gabriel-Marty, 31042 Toulouse cedex 9

ISSN : 1952-0964
ISBN : 978-2-36170-157-4


Réalisation & Impression :
www.corep-imprimerie.com

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SOMMAIRE

PRÉFACE
PRÉSENTATION DU CREDIF ET DES TRAVAUX
Corinne SAINT-ALARY-HOUIN ........................................................................................... 7

RAPPORT INTRODUCTIF
LES SOURCES DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ
Francine MACORIG-VENIER ............................................................................. 11

PREMIÈRE PARTIE :
Le droit des entreprises en difficulté, droit révélateur de l'entreprise
I. Entreprise et patrimoine
DÉTACHEMENT DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR
Laurence Caroline HENRY ................................................................................. 37

DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN


DIFFICULTÉ
Sabrina DELRIEU ............................................................................................. 53

ENTREPRISE ET GROUPES DE SOCIÉTÉS


Philippe ROUSSEL GALLE ................................................................................ 65

II. Entreprise, creuset d'intérêts


LES SALARIÉS
Laurence FIN-LANGER ..................................................................................... 77

LE DÉBITEUR
Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND...................................................................... 91

LES ASSOCIÉS
Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON ........................................................................ 103

LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?


Françoise PÉROCHON .................................................................................... 111

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DEUXIÈME PARTIE : Le droit des entreprises en difficulté, un droit


dérogatoire et précurseur au service de l'entreprise
I. Au regard des règles de procédure
« PROCÈS » ÉCONOMIQUE
LES RÈGLES DÉROGATOIRES À LA PROCÉDURE
Julien THÉRON ....................................................................................... 133

LES LIMITES AU CARACTÈRE DÉROGATOIRE


Olivier STAES ......................................................................................... 147

LE RÔLE PARTICULIER DU MINISTÈRE PUBLIC, DROIT DÉROGATOIRE,


PRÉCURSEUR, RÉVÉLATEUR ?
Jocelyne VALLANSAN ............................................................................. 159

LA « DÉJUDICIARISATION » DU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS


Laura SAUTONIE-LAGUIONIE ................................................................. 171

AU REGARD DES RÈGLES D’EXÉCUTION


Pierre CAGNOLI ........................................................................................... 183

II. Au regard des règles du droit civil :


Droit dérogatoire puis devenu aussi droit précurseur
DROIT DES OBLIGATIONS :
L'influence du droit des entreprises en difficulté sur le droit des obligations
Nicolas BORGA............................................................................................. 199

DROIT DES SÛRETÉS :


L’évolution du droit des sûretés dans sa confrontation au droit des
entreprises en difficulté
Pierre-Michel LE CORRE ................................................................................ 213

III. Au regard des autres droits : Droit inféodé aux autres droits
DROIT DE LA CONCURRENCE :
Un droit inféodé aux autres droits - Droit de la concurrence
Gérard JAZOTTES ......................................................................................... 225

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DROIT DE L’ENVIRONNEMENT :
Le droit de l’entreprise en difficulté : un droit inféodé au droit de
l’environnement ?
Denis VOINOT ............................................................................................... 239

DROIT DU TRAVAIL :
Le droit des entreprises en difficulté, droit inféodé au droit du travail
Eugénie FABRIÈS-LECEA ............................................................................... 253

CONTRIBUTIONS ADDITIONNELLES
L’ESSOR DE LA PRÉVENTION
Hélène POUJADE ........................................................................................... 271

L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS


Mathilde DOLS-MAGNEVILLE ........................................................................ 287

CONTRATS BANCAIRES ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ


Sophie SABATHIER ....................................................................................... 303

LES RELATIONS DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ET DU DROIT


DU SURENDETTEMENT
Sophie ATSARIAS .......................................................................................... 313

VARIATIONS SUR LES RAPPORTS ENTRE LE DROIT DES ENTREPRISES EN


DIFFICULTÉ ET LE DROIT FISCAL
Gilles DEDEURWAERDER.............................................................................. 327

FONCTIONNEMENT DE L’AGS DEPUIS 1974 : Bilan et projection


Albert ARSEGUEL et Thierry MÉTEYÉ ............................................................. 337

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PRÉFACE

Présentation du CREDIF et des Travaux

Corinne SAINT-ALARY-HOUIN
Professeur à l’Université Toulouse Capitole,
Co-directrice du CDA et du CREDIF

C'est un double anniversaire que nous fêtons aujourd'hui : Plus de trente ans
(31 exactement) d'application de la réforme profonde du "droit des faillites"
effectuée en 1985 et de vie de notre Centre de recherche sur les entreprises en
difficulté (CREDIF) créé en 1986.

Un double anniversaire qui appelle une double interrogation: Pourquoi le


CREDIF ? Pourquoi ce colloque ?

1. Pourquoi le CREDIF ?
A l'époque, c'était au siècle dernier... le président Isaac avait souhaité un
développement du Droit des affaires à l'Université des sciences sociales alors à
dominante civiliste. La loi du 25 janvier 1985 venait d'être adoptée et nous
avons eu l'idée de créer un Observatoire de l'application du texte dans la Région
Midi-Pyrénées. Nous? ... une petite équipe composée de Martine Dizel, maitre
de conférence en gestion et de trois doctorants : Francine Macorig, Marie-
Hélène Monsèrié et Bruno Amann devenus respectivement professeurs de droit
et de gestion. L'idée a plu et nous avons obtenu un soutien financier du
Commissariat général du plan, du Ministère de la justice et de la Région Midi-
Pyrénées ce qui nous a permis de financer l'achat d'un ordinateur et de procéder
à des enquêtes auprès de tous les tribunaux de commerce de la région.
Parallèlement, la même recherche a été effectuée à Nanterre sous la direction du

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PRÉSENTATION DU CREDIF ET DES TRAVAUX
très regretté Michel Jeantin, à Rennes par Danielle Briand et à Saint-Etienne par
Jeanne Pagès. Les résultats de l'observation ont convergé et nous avons publié
les résultats dans un numéro des Petites Affiches, le 13 avril 1990.

Le CREDIF était lancé et, à partir de là, nous avons multiplié les colloques
(28) - dont le premier a été publié dans le tome 34 des Annales de l'Université en
1986- ainsi que les thèses consacrées au Droit des Entreprises en difficulté (35),
les projets de recherche collective (4) ou les publications en commun (5) dont le
code des entreprises en difficulté, édité par Lexisnexis. Aujourd'hui, la matière
est enseignée dans 5 M1 et autant de M2. Le professeur Julien Théron a créé un
Diplôme d'université en ligne et nous allons mettre en place prochainement un
Master Administration et liquidation des entreprises en difficulté.

Progressivement l'équipe s'est étoffée : l'ont rejointe Gérard Jazottes,


Olivier Staës, Corinne Mascala, Sophie Sabatier, Camille Bénard, Julien Théron,
Sabrina Delrieu, Claire Serlooten, Eugénie Fabriès, Virginie Vidalens, Mathilde
Dols, Sophie Atsarias, Hélène Poujade ... et bien d'autres.

Entre-temps, le CREDIF est devenu une composante du Centre de Droit des


affaires créé pour embrasser de plus larges domaines.

Plusieurs autres équipes thématiques ont été mises en place :

• EPITOUL : Equipe en propriété intellectuelle de Toulouse


(J. Larrieu et A. Mendoza)
• GROG : Groupe de recherche sur les organisations et groupements
(M-H. Monsèrié-Bon, A. de Bissy, C. Bénard, C. Serlooten,
F. Macorig-Venier, G. Dedeurwaeder)
• DELFIN : Equipe de recherche sur la délinquance financière
(C. Mascala, M-H. Gozzi)
• EJERIDD : Equipe Environnement et renouvellement durable
(M-P. Blin, G. Jazottes)
• ERDS : Equipe de recherche en droit social.
(I. Desbarats, M-C. Amauger-Lattes, B. Reynès et A. Arséguel).

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CORINNE SAINT-ALARY-HOUIN

2. Pourquoi ce colloque ?
• Pendant toute cette période, les textes de lois consacrés aux entreprises en
difficulté se sont multipliés: lois du 10 juin 1994, 26 juillet 2005,
ordonnances du 18 décembre 2008, du 12 avril 2014, lois du 6 août 2015 et
du 18 novembre 2016 pour ne citer que les plus importants. Une réforme en
précède une autre à un rythme de plus en plus soutenu. Il nous a paru utile de
marquer un temps d'arrêt, un temps de réflexion et de réunir des
universitaires et des praticiens de renom pour jeter un regard un peu distancié
sur la construction de cette nouvelle branche du droit des affaires et du droit
de l'entreprise.

• Il s'agit de tester l'opinion répandue qui fait de ce droit un "droit


dérogatoire", voire impérialiste, d'ordre public, qui méconnaît les autres
branches du Droit. Le droit des entreprises en difficulté fonctionnerait "en
vase clos" avec ses propres exigences: redresser ou liquider les entreprises ce
qui justifierait l'éviction du droit commun et, particulièrement, du droit civil.

• Cette approche est, peut-être, simpliste et ce Droit pourrait être également


révélateur de certaines évolutions, de certaines tendances contemporaines.
La défaillance d'une entreprise fait naître une situation de crise, et c'est
souvent dans les situations de crise que les mouvements de fond se révèlent :
Distinction de l'entreprise de l'entrepreneur; admission d'un patrimoine
d'affectation; dissociation du risque et de la responsabilité ; nécessité de
respecter le contradictoire, consécration d'un principe de proportionnalité,
responsabilisation des associés....

• Peut-être même ce Droit des entreprises en difficulté est-il finalement en


avance et précurseur de l'évolution des autres branches du droit ? N'est-
ce pas le cas pour l'admission de la propriété-garantie, de la compensation
des dettes connexes, de la reconnaissance de la créance-bien...?

C'est cette problématique qui nous retiendra tout en ayant conscience que
l'ordre public des Entreprises en difficulté cède encore le pas devant d'autres
ordres publics : ordre public de la concurrence, de l'environnement ou ordre
public social.

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PRÉSENTATION DU CREDIF ET DES TRAVAUX
Nul doute que la journée sera très riche et elle n'aura pas été possible sans
des soutiens financiers et intellectuels:

3. Remerciements
Je voudrais adresser de sincères remerciements à tous ceux qui nous ont
aidés dans la construction de ce colloque :

A nos sponsors :
Le Conseil national des Administrateurs et mandataires judiciaires
représenté par Maître François Legrand, mandataire judiciaire, qui a toujours été
très proche de nos travaux.

La société FHB dont la gérante Hélène Bourbouloux, administrateur judiciaire,


nous a financés et accompagnés dans la réalisation de cette rencontre.

L'AJDE, jeune association qui regroupe une centaine de praticiens et


d'universitaires dont l'objet est de soutenir des recherches et des manifestations
dans ce domaine.

Sans oublier l'Université qui nous accueille et nous a attribué du BQR... et


dont l'Institut Fédératif de Recherche assure la publication des actes, des
discussions et des travaux complémentaires dans un ouvrage diffusé par les
Éditions Lextenso.

Merci aussi et surtout à tous nos collègues qui ont spontanément accepté de
donner de leur temps et qui viennent de tous les coins de France ainsi qu'à
Madame le président Favre qui malgré ses lourdes responsabilités, au sein de
l'Autorité de la Concurrence, présidera la séance de cet après-midi.

Mais merci avant tout à Francine Macorig-Venier, co-directrice du CREDIF et


bientôt directrice, qui a été la cheville ouvrière de ce colloque et qui va nous
présenter l'évolution des sources de la matière.

Bonne journée à tous !

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RAPPORT INTRODUCTIF

Les sources du droit


des entreprises en difficulté

Francine MACORIG-VENIER
Professeur à l'Université Toulouse Capitole,
Directrice du CDA, Co-directrice du CREDIF

1. Traiter des sources du droit des entreprises en difficulté en guise de rapport


introductif pouvait paraitre de prime abord surprenant dans une matière d’ordre
public où la loi est reine. Pourtant, à l’aune du regard porté sur les quelques
trente années écoulées jusqu’à ce jour, l’examen des sources de ce droit montre,
à l’évidence, que ces sources se sont considérablement transformées et enrichies,
ce qui constitue précisément tout l’intérêt du présent sujet. Aux sources
formelles classiques, loi, normes de valeur législative ainsi que les normes
d’application, se mêlent à la fois des sources réelles, véritables « forces
créatrices » du droit selon Ripert. Ces sources vives que sont la pratique et la
jurisprudence, ont de plus en plus fortement irrigué le droit des entreprises en
difficulté si bien que jamais la formule du Carbonnier selon laquelle "le droit
n’est pas la loi" n’aura été aussi vraie dans le domaine qui nous concerne, qui
apparaît ainsi comme un droit vivant. Par ailleurs, signe des conséquences de la
mondialisation des échanges depuis ces trois dernières décennies, mais
également des défaillances, ce droit a été alimenté par des sources
internationales appelées à s’intensifier…

2. A s’en tenir strictement à la loi (et à ses mesures d’application), sur


laquelle il convient de se pencher ici ne serait-ce que brièvement, force est de
constater la multiplication sans précédent des textes, même si, pour
l’essentiel, ils ont été rassemblés dans le nouveau code de commerce adopté en

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LES SOURCES DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

2000, dans un livre VI intitulé de manière particulièrement évocatrice « Droit


des entreprises en difficulté ». Le droit des « faillites » est devenu droit des
entreprises en difficulté à la faveur de l’adoption des lois du 1er mars 1984 et
du 25 janvier 1985. Ces textes, qui ont opéré un « changement de cap
législatif », constituent le point extrême sur lequel s’est porté notre regard.
Depuis ceux-ci et particulièrement depuis le début du nouveau millénaire, le
droit des entreprises en difficulté n’a pas échappé à la frénésie qui s’est emparée
du législateur. La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 qui a
profondément réformé ce droit a été suivie de quantité de textes d’inégale
importance en 2008, 2010, 2011, 2012, 2014, 2015 et 2016.

3. Ces réformes ont abouti à une multiplication des procédures et mesures :


du mandat ad hoc au rétablissement professionnel en passant par la conciliation
– et en faisant un détour par le règlement amiable du code rural et de la pêche
maritime –, existent la sauvegarde, qui connait désormais deux variantes
(sauvegarde accélérée et sauvegarde financière accélérée), le redressement
judiciaire, et la liquidation, laquelle peut être simplifiée (facultative ou
obligatoire). On ne compte pas moins de dix procédures, le tout, sans préjudice
de nombreux seuils pour l’application de règles de plus en plus nombreuses :
pour la désignation de certains organes, à titre obligatoire ou facultatif, la
constitution de comités de créanciers, la dilution ou la cession forcée des droits
sociaux des associés dans le redressement judiciaire1…
Ce droit des entreprises en difficulté, qui fait ainsi figure de mille feuilles, est
devenu si difficile à enseigner aux étudiants, et ce d’autant qu’à la diversité
s’ajoute la technicité.
On peut aussi plus positivement y voir de la dentelle, de la « belle ouvrage », ou
pour utiliser une toute autre image, une formidable « boîte à outils » adaptables à
toutes les situations…Si l’on est loin en tout cas de la loi générale et abstraite
chère à Portalis, notre droit des entreprises en difficulté est assurément mieux
apprécié et évalué comme en atteste l’amélioration du rang du Droit français
dans les récents Rapports Doing Business de la Banque Mondiale2.

1
Un décret récent d’application de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle en donne un
dernier exemple (D. n° 2017-304, 8 mars 2017 : JO, 10 mars 2017 fixe les seuils d'ouverture d'un
compte distinct par procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire
(250 salariés ; 20 € de chiffre d’affaires).
2
A propos déjà du Rapport Doing business 2014 : J-L. Vallens, Le droit français de l’insolvabilité : des
signes encourageants de la Banque Mondiale, Rev. Proc. Coll. 2015, Alerte 1.

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FRANCINE MACORIG-VENIER

Les modifications successives et répétées apportées aux sources de ce


droit, dans lesquelles se reflète immanquablement le fond, en soulignent, du
moins à l’origine de cette période de plus de 30 ans, le caractère politique3 et
polémique ; cela est peu surprenant car il s’agit d’un droit économique,
impliquant des choix politiques et touchant au cœur de l’engagement, au respect
de la parole donnée, qui a cédé du terrain au profit d’un « droit de ne pas payer
ses dettes » face à l’objectif - jugé parfois par trop utopique – de sauvetage des
entreprises4. Il semble toutefois que ce droit dogmatique soit peu à peu au fil du
temps devenu plus pragmatique et moins polémique5. La confrontation des
valeurs classiques aux enjeux modernes, doublée d’un regard renouvelé sur
l’aventure entrepreneuriale et ses aléas, permet d’entrevoir le dépassement du
binôme créanciers6/débiteur et la prise en compte d’autres intérêts : celui des
salariés7, ou encore des associés8, mais également et, surtout, celui de
l’entreprise elle-même qui en constitue le creuset, le réceptacle. Les règles du
droit des entreprises en difficulté qui ont puissamment contribué à révéler
l’entreprise9, à s’efforcent de concilier ces intérêts divers et divergents. C’est le
but, l’enjeu de ce droit d’en faire la synthèse10. Il en sera précisément question ce
matin (lorsque, avec les différents intervenants, nous plongerons au-delà de la
surface des eaux, au fond de ce droit).

4. Le relatif apaisement de la matière s’est accompagné d’une certaine


déjudiciarisation11 de celle-ci, longtemps exclusivement judiciaire et ayant
laissé place à des mesures et procédures amiables, essentiellement destinées à

3
Né après l’avènement de la gauche au pouvoir en 1981, il a été modifié à la faveur de l’alternance
politique suivante.
4
M-A Frison-Roche, Les difficultés méthodologiques d’une réforme du droit des faillites, D. 1994, Chr.
p. 17 et s.
5
L’évolution postérieure à la loi de sauvegarde en atteste.
6
Sur les intérêts des créanciers, cf. infra, F. Pérochon, Les intérêts des créanciers : quelle évolution
depuis 30 ans ?, p. 111 et M. Dols, L’intérêt collectif des créanciers, p. 287. Sur l'intérêt du débiteur, cf.
infra, M-P. Dumont-Lefrand, Le débiteur, p. 91.
7
Cf. infra, L. Fin-Langer, Les salariés, p. 77.
8
Cf. infra, M-H. Monsèrié-Bon, Les associés, p. 103.
9
Cf. infra, C. Henry, Détachement du patrimoine de l’entrepreneur, p. 37 et P. Roussel Galle, Entreprise
et groupes en difficulté, p. 65.
10
Cette perpétuelle quête a constitué le thème d’un colloque de l’association Droit et commerce en
2008 : Le droit des entreprises en difficulté, terre de conflits, synthèse des intérêts contraires : Gaz. Pal.,
26/06/2008, n° 178.
11
Cf. infra, L. Sautonie-Laguionie, La déjudiciarisation du traitement des difficultés, infra, p. 171.

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LES SOURCES DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

prévenir les difficultés à l’origine et qui constituent même le passage obligé vers
certaines procédures judiciaires aujourd’hui12. Au-delà, une forme – certes
atténuée – de contractualisation de la matière peut être observée : les accords ont
été encouragés, y compris dans les procédures judiciaires. Cette ouverture à
l’amiable, à l’accord, n’a pas manqué à son tour d’avoir un retentissement sur la
pratique, souvent inventive et désireuse d’améliorer sans cesse le dispositif
légal, et qui, in fine, a fortement contribué à enrichir les sources du droit des
entreprises en difficulté. Du fond, on en revient ainsi à la source, ou plutôt aux
sources.

5. La diversification des sources du droit des entreprises en difficulté mérite


d’être soulignée. La palette en est étendue : au-delà de la loi, de la pratique,
relayée souvent par la jurisprudence (elle-même influencée par la doctrine) et
dont le rôle est croissant, les « infra sources » sont aussi présentes, réponses
ministérielles, instructions en matière fiscale, jusqu’à des circulaires sur
lesquelles reposent tout entier le dispositif administratif du traitement de la
défaillance – avec les CODEFI, le CIRI, les commissaires au redressement
productif –, dispositif qui laisse poindre l’intérêt général en jeu13. A l’opposé des
infra sources, se sont invitées les « supra » sources législatives, spécialement
mise en exergue par le contrôle de constitutionnalité de conventionalité.

6. Irrigué par de nombreuses sources, y compris par le droit commun, le droit


des entreprises en difficulté est lui-même à la source de bien des mécanismes
nouveaux (réserve de propriété et propriété sûreté14, cession de contrat)15 ou du
réveil de mécanismes anciens ou endormis auxquels il a donné un second
souffle ou une nouvelle dimension16 (compensation). Sans vouloir répondre déjà

12
Il s’agit des procédures de sauvegarde accélérées.
13
La présence et le rôle au demeurant croissant du ministère public en sont également un important
révélateur. Voir à ce sujet, J. Vallansan, Le rôle particulier du ministère public, p. 159.
14
Sur les rapports du droit des sûretés et du droit des entreprises en difficulté, cf. infra P-M. Le Corre,
Droit des sûretés, p. 213. Voir aussi sur la période de 20 ans après l’adoption de la loi du 25 janvier
1985 : L’évolution générale des sûretés réelles depuis 25 ans, in Ouvrage collectif de l’Institut Fédératif
de la Recherche Droit, Mutation des normes juridiques, Université des Sciences sociales de Toulouse,
Regards critiques sur quelques (r)évolutions récentes du droit, 2005, Tome 1, p. 413.
15
Il constitue une source d’inspiration et un véritable « banc d’essai » pour les procédures civiles
d’exécution : voir en ce sens P. Cagnoli, Le droit des entreprises en difficulté, un droit dérogatoire,
révélateur et précurseur au regard des procédures civiles d’exécution ?, infra p. 183.
16
Sur les rapports du droit des obligations et du droit des entreprises en difficulté, cf. infra. M. Borga,
p. 199. Voir aussi concernant le cas particulier des contrats bancaires, S. Sabathier, infra p. 303.

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à la question qui constitue le thème même de cette journée (droit dérogatoire,


révélateur ou précurseur) l’importance de ce droit – dans l’évolution du droit
commun lui-même qui sera au cœur des interventions de l’après-midi - ne
saurait être niée. Son « impérialisme » est au demeurant parfois dénoncé, ce
qui n’exclut pas toutefois qu’il se heurte à d’autres logiques et peine ’imposer la
sienne17.

7. Le droit des entreprises en difficulté a par ailleurs « irradié » en dehors


de ses frontières « naturelles » : dans le domaine des copropriétés (alors que
l’on a choisi d’exclure les syndicats de propriété des personnes morales éligibles
à l’application de ce textes) et, surtout, dans le domaine des particuliers, des
ménages18. Chez nous, le droit qui leur est applicable demeure distinct du droit
des entreprises en difficulté, mais il pourrait dans l’avenir se fondre dans une
même moule, comme c’est le cas dans bien d’autres Etats européens notamment,
et dans la logique du droit européen de l’insolvabilité. Cette évolution vers un
grand droit de la défaillance économique ne parait pas incohérente à l’heure où
se modifient, s’estompent sensiblement les frontières, entre les salariés et les
non-salariés, pas toujours très indépendants… et alors qu’un angle mort a été
mis en évidence s’agissant de la situation de certains associés, ceux de SNC ou
de sociétés d’exercice libéral.

8. Pour autant, ce droit ne sera sans doute pas complètement unitaire. A


cet égard, à revenir dans son giron actuel, force est de constater que ses sources
propres sont plurales : à côté du droit général des entreprises en difficulté, un
statut spécial en tout ou partie à certaines entreprises en difficulté a été
forgé : au-delà d’un îlot de spécificité en matière agricole (qui pourrait
disparaître), ce sont les entreprises dans le domaine de la banque et de
l’assurance qui sont concernées. L’impact d’une éventuelle défaillance est tel
qu’il a justifié l’adoption de règles spécifiques, règles qui sont précisément
d’origine européenne. Elles illustrent en partie l’européanisation ou, plus
largement, l’internalisation de ce droit, en progression.

17
Cf. infra D. Voinot, Le droit de l’entreprise en difficulté : un droit inféodé au droit de
l’environnement, p. 239 et E. Fabriès, Le droit des entreprises en difficulté, droit inféodé au droit du
travail, p. 253.
18
Cf. S. Atsarias, Les relations du droit des entreprises en difficulté et du droit du surendettement, infra
p. 313.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 15

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LES SOURCES DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

9. Indissociables de son évolution, les sources du droit des entreprises en


difficulté, nous paraissent plus particulièrement marquées depuis une trentaine
d’années, à la fois par cette montée des sources internationales et, comme
souligné précédemment, par l’importance considérable, sans précédent, de la
pratique et de la jurisprudence, que l’on qualifiera de sources vives. Cette
sensibilité particulière à la pratique et à l’international ne saurait surprendre pour
cette matière économique qu’est le droit des entreprises en difficulté, ainsi que le
soulignait lors d’un colloque en 2014 le directeur des affaires civiles et du
Sceau, M. Laurent Vallée19.

L’abondance des sources vives du droit des entreprises en difficulté et


l’émergence des sources internationales constitueront ainsi les deux axes de
notre étude.

I. L’essor des sources vives en droit des


entreprises en difficulté

10. Le droit des entreprises en difficulté a assurément, au cours des trente


années qui précèdent, été sensiblement enrichi par la pratique et par la
jurisprudence.
La pratique, qui rassemble les professionnels, appelés à intervenir auprès des
entreprises en difficulté –administrateurs, mandataires, avocats) mais également
les juges consulaires et leurs présidents, issus eux-mêmes du terrain, chefs
d’entreprises, a puissamment contribué à l’évolution de notre droit jusqu’à
aboutir à l’institution de nouvelles mesures, de nouvelles variantes de certaines
procédures.
Dans le prolongement de cette pratique, inspiratrice du droit des entreprises en
difficulté (A), la jurisprudence, prise cette fois en son sommet, Cour de cassation
notamment, mais également Conseil constitutionnel et même Cour européenne des
droits de l’homme, a joué un rôle créateur mais également « régulateur » (B).
On observera préalablement que les mécanismes imaginés par la pratique, les
constructions prétoriennes, ont souvent été consacrés par la loi, signe de l’aura

19
Le rôle créateur de la pratique dans l’élaboration de la norme juridique, Table ronde, présentée par F.
Terré et animée par P. Hubert, avec J. Beechey, A. Outin-Adam, T. Revet, D. Tricot, L. Vallée, Gaz.
Pal, 18/04/2013, n° 108, ID : GPL124x8.

16 | IFR Actes de colloques N° 30

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persistante de la loi dans notre système juridique, mouvement encouragé il est


vrai par le souci de lisibilité, d’accessibilité du droit, nécessaire à sa
compétitivité.

A. La pratique, source inspiratrice du droit des entreprises en difficulté

11. C’est spécialement en dehors des procédures judiciaires que la pratique a


œuvré. Dans le domaine de l’amiable, elle est à l’origine de la désignation de
mandataires ad hoc20, qu’aucun texte du droit des entreprises en difficulté
n’évoquait avant la loi du 10 juin 1994, contrairement à ce qui était prévu par de
nombreuses dispositions en droit des sociétés. Evoqué alors seulement au détour
des dispositions relatives à la procédure de règlement amiable, le mandat ad hoc
est régi de manière autonome par une disposition spéciale depuis la loi de
sauvegarde. Tout en améliorant son régime, et en le soumettant à des règles
communes au conciliateur et à la procédure de conciliation, le législateur a
toutefois fait le choix de lui conserver sa souplesse, choix judicieux lorsque l’on
sait le succès de cette mesure.
Le même phénomène peut être observé pour ce qu’il est convenu d’appeler
« l’alerte du président » qui est en réalité une convocation adressée par le
président du tribunal de commerce au dirigeant21. Il s’agit d’une pratique initiée
par des présidents de tribunaux informés par les greffes des difficultés
financières des entreprises et qui s’est généralisée puis a été légalisée22.
D’autres exemples encore peuvent être mentionnés de pratiques
particulièrement innovantes consacrées ensuite par la loi, pratiques mariant
pour la première fois l’amiable et le judiciaire : celles des plans préparés ou
« pre pack » (plans de sauvegarde et, plus récemment plans de cession). Elles
ont pour caractéristique commune de reposer sur l’élaboration de solutions –
plans - négociées dans un contexte « amiable » (mandat ad hoc, conciliation) et
arrêtées ensuite dans un contexte judiciaire, l’entreprise ne basculant dans la
procédure judiciaire que pour un temps très court, ce qui évite l’impact négatif

20
C. Saint-Alary Houin, Les procédures collectives : le rôle de la jurisprudence dans l’évolution du droit
des faillites vers la sauvegarde des entreprises, in Bicentenaire du Code de commerce : la transformation
du droit commercial sous l’impulsion de la jurisprudence, Dalloz, 2007, p. 135 et s., n° 10.
21
C. Saint-Alary Houin, précit., n° 11 et F. Pérochon, Entreprises en difficulté, Mnaule, LGDJ, 10ème
éd. 2014, n° 63.
22
En 1994, le critère de convocation a été élargi à des faits de nature à compromettre la continuité de
l’exploitation alors que précédemment était nécessaire l’existence de comptes faisant apparaître une
perte nette comptable supérieure à un tiers des capitaux propres.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 17

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normalement produit par l’ouverture d’une procédure judiciaire23. Cette pratique


du prepackaged plan inspirée du droit américain, a été utilisée dans certaines
affaires médiatisées, Thomson-Technicolor et Autodistribution24. Elle a été très
favorablement accueillie par la doctrine selon laquelle « les praticiens semblent
avoir avec elle découvert la pierre philosophale recherchée depuis toujours,
l'alliage parfait de l'efficacité et de l'absence de brutalité »25. Elle a conduit à
l’institution par la loi n° 2010-1249 de régulation bancaire et financière du 22
octobre 2010 de la procédure de sauvegarde financière accélérée, dont le
législateur en 2014 a étendu le mécanisme en créant la sauvegarde accélérée,
dont le SFA n’est plus qu’une variante. C’est ce même texte qui a également
consacré la pratique du prepack cession26 : cession préparée dans un cadre
amiable et réalisée de manière plus rapide en procédure judiciaire, utilisée
notamment dans l’affaire FRAM27.

12. Outre l’inspiration de nouvelles mesures et procédures, la pratique a


conduit à l’aménagement de diverses règles plus précises et parfois fort
techniques. On évoquera les aménagements apportés à la composition et au
fonctionnement des comités de créanciers inspirés des affaires Eurotunnel et
Thomson28, ou encore la règle permettant de débiteur soumettre au président le
nom du conciliateur, de l’administrateur judiciaire, du mandataire ad hoc ou
permettant la désignation d’un administrateur judiciaire ou d’un mandataire
judiciaire communs pour les différents sociétés d’un même groupe.

13. De la pratique des praticiens et des juridictions consulaires (qui n’ont pas
nécessairement donné lieu à des décisions jusqu’au sommet de la hiérarchie), on

23
Entreprises en difficulté : pratiques innovantes – aspects de droit interne et international, Cahiers de
droit de l'entreprise sept. 2009, n° 5, dossiers 25 et s.
24
R. Courtier et N. Laurent, Analyse de l’opération: Premier « PRE-PACK » à la française. – Rôle
prépondérant des magistrats consulaires, Cahiers de Droit de l’entreprise, précit., Dossier 27.
25
F-X Lucas, Le plan de sauvegarde apprêté ou le prepackaged plan à la française, précit., Dossier n°
28.
26
H. Bourbouloux et P. Chatelain, L’accord de conciliation homologué au secours des Spin off
d’entreprises en difficulté, BJE 2014/4, p. 225 ; P. Roussel-Galle et P. Le Marchand, « Du mandat ad
hoc et de la conciliation aux sauvegardes accélérées et prepack cession » : CDE 2015, dossier, 2.
27
M-H. Monsèrié-Bon, B. Amizet, G. Azam, C. Caviglioli, Le pre-pack cession FRAM : expériences et
enseignements, BJE mars 2016, 113c4.
28
Sur les aménagements souhaités par la pratique : J-B. Drummen, Prévention et sauvegarde, in Qu’en
est-il du Code de commerce 200 ans après ? Etat des lieux et projections, Actes du colloque des 27 et 28
octobre 2007, Travaux IFR, n° 8, Presses de l'Univ. des Sc. Sociales de Toulouse, p. 359 et s.

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glisse insensiblement vers la jurisprudence des hautes juridictions, Cour de


cassation (spécialement chambre commerciale – présente en force aujourd’hui -)
voire Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l’homme dont le
rôle créateur et régulateur au cours des trente années écoulées est notable.

B. La jurisprudence, source créatrice et régulatrice en droit des


entreprises en difficulté

14. Même dans les procédures judiciaires où l’emprise de la loi et de l’ordre


public était de nature à bâillonner la jurisprudence, des constructions
prétoriennes d’importance s’observent. Par ailleurs, plus récemment, la
jurisprudence est apparue en quelque sorte comme une source régulatrice du
droit des entreprises en difficulté avec la prise en compte des droits
fondamentaux. Le législateur, ici encore, a peu à peu entériné ou pris en compte
les solutions adoptées.

1) La jurisprudence, source créatrice

15. Deux exemples marquants seront ici retenus, car ils touchent aux
frontières, au domaine du droit des entreprises en difficulté. Ils illustrent le
dépassement de l’approche personnaliste sur laquelle repose le droit des
entreprises en difficulté (les procédures s’appliquant à des personnes, à des
sujets de droit), un tel dépassement ayant été parfois suscité par la doctrine dont
le rôle dans la construction de ce droit des entreprises en difficulté, n’est pas non
plus négligeable. Ainsi, la jurisprudence a-t-elle permis de soumettre des entités
juridiquement distinctes à une même procédure, et inversement a-t-elle dessiné
ou redessiné les contours des actifs soumis à l’emprise de la procédure par la
reconnaissance de son « effet réel ».

16. Le premier exemple est celui de l’extension de procédure pour confusion


des patrimoines ou fictivité. Il s’agit d’une construction prétorienne
remarquable. Si les décisions ne sont pas absentes avant 1985 (on fait remonter
même au XIX siècle l’origine de cette construction29), c’est véritablement sous

29
C. Saint-Alary Houin, Droit des entreprises en difficulté, n° 444. Mais la jurisprudence passait par le
détour de la société de fait. Voir aussi du même auteur, Les procédures collectives : le rôle de la
jurisprudence dans l’évolution du droit des faillites vers la sauvegarde des entreprises, précit., n° 24.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 19

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l’empire de la loi de 1985 qu’elle a été forgée. Elle permet de sanctionner des
abus, des fraudes, spécialement le non-respect de la personnalité juridique
distincte des différentes sociétés d’un même groupe et plus largement de
différentes personnes, y compris physiques qui ont ou bien imbriqué leurs actifs
et passifs ou bien entretenu des relations anormales. Si la jurisprudence s’est
appuyée sur des dispositions légales relatives à la compétence, l’artifice était
grand et, en 2005, le législateur a choisi de donner une assise légale à cette
construction. Toutefois, cette consécration demeure très partielle – le régime
n’étant en particulier pas défini par la loi – si bien que la jurisprudence conserve
un rôle important. L’intérêt de cette construction offrant l’avantage de soumettre
les entités d’un même groupe à une procédure unique menée devant une même
juridiction est indéniable. Même si elle ne concerne que des sociétés entretenant
des rapports « pathologiques », elle n’en a pas moins constitué les prémices
d’une approche plus rationnelle de la situation des groupes de sociétés en
difficulté30. L’extension de procédure aboutit à étendre le gage des créanciers du
débiteur à l’égard duquel la procédure a été ouverte. Il en va de même d’autres
décisions.

17. Les contours des actifs soumis à la procédure ont été dessinés par la
jurisprudence qui a étendu les effets de la procédure aux biens communs alors
que la solution ne s’imposait pas avec la force de l’évidence. On y a vu la
reconnaissance déjà de « l’effet réel » de la procédure collective, étendant son
périmètre à tous les biens communs du débiteur31, effet que, en écho à une
certaine doctrine, a réaffirmé la Cour de cessation en précisant que les biens
communs étant ainsi appréhendés par la procédure ouverte en premier à l’égard
de l’un des époux et absents de la procédure ouverte en second à l’égard de
l’autre32.

18. L’effet réel de la procédure, à l’inverse, a conduit à soustraire certains


actifs, les actifs immobiliers insaisissables du débiteur personne physique à
l’emprise de la procédure lorsque la mesure d’insaisissabilité est inopposable à
certains créanciers, pour le plus grand bonheur de ces derniers. Il s’agit de la

30
A l’inverse, la construction du co-emploi développée par la chambre sociale de la Cour de cassation,
s’appliquant même hors procédure collective, a été critiquée et a conduit cette dernière à reculer quelque
peu.
31
C. Saint-Alary Houin, précit., n° 25.
32
Cass. com. 26 janv. 2016, n° 14-13.851, FS-P+B : D. 2016 p. 310 . Précédemment : Com. 16 mars
2010, n° 08-13.147, Bull. civ. IV, n° 55 ; D. 2010. Actu. 825, obs. A. Lienhard.

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solution résultant de l’arrêt de la chambre commerciale du 5 avril 2016 qui


ouvre à ces créanciers l’exercice de poursuites des biens concernés en dehors de
la procédure de liquidation. Le législateur a, il est vrai, laissé un boulevard à la
jurisprudence sur le terrain de cette mesure d’insaisissabilité dont il n’a pas
précisé le régime en cas de procédure collective. Le silence de la loi est ainsi
propice au rôle créateur de la jurisprudence dont les décisions sont
particulièrement scrutées. Tel est le cas d’un autre arrêt du 15 novembre dernier,
opérant un revirement spectaculaire sur la notion d’intérêt collectif des
créanciers propre à produire des conséquences sur le périmètre des actifs
appréhendés par la procédure33. Ce revirement, appelé de ses vœux par la
doctrine, permet désormais au liquidateur agissant pour la reconstitution du
gage commun des créanciers de contester l’opposabilité d’une déclaration
notariée d’insaisissabilité irrégulière34.

Source créatrice, la jurisprudence s’est avérée également de plus en plus


une source régulatrice en droit des entreprises en difficulté.

2) La jurisprudence, source régulatrice en droit des entreprises en difficulté

19. A la faveur du contrôle de conventionalité puis de constitutionnalité, le


droit des entreprises en difficulté a été passé au tamis des normes supra légales,
Convention européenne des droits de l’homme et normes constitutionnelles. Ces
normes supra légales en constituent également la source. Elles ont d’autant plus
vocation à s’y appliquer que le droit des entreprises en difficulté est un droit
ancré dans la procédure, fortement dérogatoire à d’autres disciplines (procédure
civile, droit des obligations, des contrats, des sûretés notamment) pour satisfaire
à l’objectif principalement recherché, le sauvetage des entreprises et ce,
nécessairement avec rapidité : on y voit « un gisement de contrariétés à l’égard
de la Convention »35, une « mine de questions prioritaires de constitutionnalité
possibles »36.

33
Voir sur cette notion, F. Pérochon, Les intérêts des créanciers : quelle évolution depuis 30 ans, infra
p. 111 et M. Dols-Magneville, L’intérêt collectif des créanciers, infra p. 287.
34
Cass. Com. 15 nov. 2016, n° 14-26287 : Gaz. Pal. 2017, n° 2, p. 69 ID : GPL283j7 ; BJE mars 2017
p. 107, N. Borga.
35
B. Saintourens, Convention européenne des droits de l’homme et droit des procédures collectives, Dr.
Et P. Juill. 2010, n° 194, p. 80.
36
Ph. Roussel Galle, QPC et procédures collectives, LPA 29 sept. 2011, n° 194, p. 66.

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La jurisprudence (ici, la Cour de cassation, mais aussi la Cour européenne


des droits de l’homme37 et le Conseil constitutionnel – lorsque les QPC lui sont
renvoyées) a été invitée peu à peu à revisiter le livre VI du code de commerce à
l’aune de ces libertés et droits fondamentaux – et ce « travail » n’est pas prêt
d’être terminé.

20. D’ores et déjà, il a conduit à l’infléchissement38 ou à l’abrogation de


certaines règles légales, ancrées pour certaines dans ce droit depuis très
longtemps39. Sans que soient condamnées toutes les règles emportant des
atteintes diverses aux droits du débiteur ou des créanciers, l’objectif d’intérêt
général attaché à la prévention des difficultés et au redressement des entreprises
ayant été affirmé par ces hautes juridictions, l’absence de garanties suffisantes
ou le caractère disproportionné des atteintes portées ont justifié de telles
solutions. La méthode de la balance des droits est utilisée à la fois pour assurer
les objectifs de prévention des difficultés et le sauvetage des entreprises et pour
en contrecarrer les excès au regard des libertés et droits fondamentaux et ce tant
par la Cour de cassation que par la Cour européenne des droits de l’homme40.

Même si toutes les QPC ne sont pas transmises au Conseil constitutionnel,


les exemples en sont déjà nombreux : cet après-midi, le respect des principes du
procès, de la procédure41 seront précisés et je me borne ici à les évoquer : le droit
au juge, élément du procès équitable42, a notamment été assuré par la
jurisprudence grâce au recours à la théorie des droits propres ou encore à
l’ouverture des voies de recours (appel-nullité) au débiteur, mais aussi aux

37
Saisie d’un renvoi préjudiciel par les juridictions – la Cour de cassation – elles-mêmes ou par un
justiciable.
38
On pense ici, s’agissant des règles de procédure, à l’ouverture des voies de recours fermées par le
législateur ou à l’ouverture d’actions non prévues par la loi.
39
Tel est le cas notamment de la saisine d’office.
40
Cass. Com., 15 décembre 2015, n° 14-11.500 PB : Act. Proc. Coll. n° 17, Oct. 2015, repère 26, B.
Saintourens ; BJE 2015 n° 6, P. 345, M-H. Monsèrié-Bon ; BJE 2015 n° 6, p. 360, Th. Favario ;
RTDCom. 2016, p. 191, F. Macorig-Venier.
41
Cf. infra, J. Théron, Les règles dérogatoires à la procédure, p. 133 et O. Staes, Les limites au caractère
dérogatoire, p. 147. Sur la question, voir aussi : C. Saint-Alary Houin, Rapport de synthèse, Colloque
Nice « Procédure civile et procédures collectives », 2008, LPA 28/11/2008, n° 239, p. 89, ID
PA2008112889 ; J-L. Vallens, Droits de l’homme et droit des entreprises en difficulté, in Entreprises en
difficulté, Droit 360°, Lexis-Nexis, dir. P. Roussel Galle, p. 909.
42
Ph. Delmotte, L’accès au juge dans les procédures collectives, Petites affiches 28/11/2008, n° 239, p.
50 ID : PA2008112850.

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créanciers parfois, spécialement contre les décisions d’ouverture des procédures.


Le respect du principe d’impartialité a conduit à l’abrogation de textes par le
Conseil constitutionnel, qui suivi par le législateur, s’efforce au fil des réformes,
de supprimer les dispositions conduisant à un pré jugement43. Le respect du droit
de propriété (reconnu tant par la convention européenne que par la Constitution)
a été également au centre de bien des décisions : qu’il s’agisse d’assurer le droit
de propriété de tiers comme celui du conjoint (avec l’abrogation des textes sur la
réunion à l’actif des biens du conjoint financés ne serait-ce qu’en partie par le
débiteur44) du débiteur (subi atteinte à la libre disposition de ses biens en raison
de la durée excessive de la procédure de liquidation45), tandis qu’en revanche
une telle atteinte n’a pas été reconnue pour le dirigeant associé exposé à la vente
de ses titres au motif qu’il peut échapper à la mesure en abandonnant la qualité
de dirigeant ! Le non-respect du principe d’égalité devant la loi a été retenu : il a
même donné lieu à la toute première décision du Conseil constitutionnel46 qui a
imposé un principe d’interprétation conforme au principe d'égalité d’un texte de
code de la sécurité sociale prévoyant une remise de plein de certaines créances,
pénalités de retard, majorations, frais de poursuite pour les débiteurs artisans
commerçants soumis à des procédures collectives, mais pas pour les
professionnels libéraux47. Le législateur a peu après modifié la loi.

21. Il a également, poussé par cette jurisprudence, modifié d’autres textes.


Parfois, à l’inverse, il a été amené à modérer ou réfréner certaines de ses
velléités réformatrices : on peut songer à la cession forcée des droits sociaux,
attentatoire au droit de propriété privée des associés, à laquelle l’ordonnance de

43
Jusqu’à l’excès parfois, ainsi que l'a dénoncé justement le professeur Pétel après l’adoption de la loi
du 18 nov 2014, se demandant comment pourront fonctionner les petites juridictions P. Pétel, Les
dispositions relatives aux entreprises en difficulté de la loi de modernisation de la justice
du XXIème siècle. À propos de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, JCP G 2016, 1341.
44
Conseil constitutionnel, 20 janvier 2012, décision n° 2011-212 QPC : BJE mars 2012, p. 120, n° 61,
S. Becqué-Ickowicz et S. Cabrillac.
45
S’agissant de la condamnation de la France par la CEDH : CEDH, 5 sect., 22 sept. 2011, aff.
60983/09, Tetu c/ France, Rev. sociétés 2011, p. 728, note Roussel-Galle P., Actualité proc. coll.
2011/19, comm. n° 286, Fricero N., Gaz. Pal. 21 janv. 2012, p. 6, note Renucci J.-F., BJE 2012,
p. 129, note Delattre C. La Cour s’est ensuite prononcée que sur la sanction de la durée excessive
de la procédure : Cass. com., 16 déc. 2014, n° 13-19.402, P+B+R+I D. 2015, p. 6, Lienhard A. ;
JCP E 2015, 1010, Lebel Ch. ; RLDA Fév. 2015, n° 101, p. 16, F. Macorig-Venier.
46
C. Constitutionnel du 11 février 2011.
47
Cass. Com. 16 oct. 2012, n° 11-22750 F-P+B : D. 2012, p. 2515, A. Lienhard ; BJE Janv-Fév. 2013,
p. 20, F. Macorig-Venier.

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2014 a renoncé et qui a été adoptée ensuite par la loi Macron moyennant le
respect de très nombreuses conditions pour éviter la censure du Conseil
constitutionnel. Les toutes dernières réformes, les deux ordonnances de 2014 sur
d’autres aspects, la Loi Macron, et plus récemment encore de la Loi 18
novembre 2016 « Justice XXIème siècle »48 contiennent ainsi chacune des
dispositions qui sont la conséquence directe de la prise en compte des droits
fondamentaux.

Les normes supra nationales dont ces différentes juridictions assurent le


respect sont pour certaines d’origine internationale. Elles participent ainsi de
l’émergence constatée des sources internationales en droit des entreprises en
difficulté depuis plus de trente ans, émergence que nous nous proposons
désormais d’examiner.

II. L’émergence des sources internationales


en droit des entreprises en difficulté

22. On ne peut manquer d’observer que depuis un peu plus de trente ans notre
droit s’est peu à peu ouvert aux influences extérieures jusqu’à comprendre, mais
de manière encore réduite, des sources internationales, essentiellement
européennes. La mondialisation des échanges a conduit à l’ouverture des esprits
avant d’irriguer à certains endroits la pratique puis de se traduire dans les textes.
L’influence ressentie est, à vrai dire, comme dans bien des Etats européens, une
influence nord-américaine et plus exactement encore celle des États-Unis. Elle
s’est manifestée, aussi curieux que cela puisse paraître, dans la grande loi
Badinter du 25 janvier 1985 avec l’adoption de la paralysie des poursuites des
créanciers en cas de clôture pour insuffisance d’actif, inspirée de la Discharge
du droit américain, destinée - déjà – à favoriser le rebond du débiteur. Plus près
de nous, la loi de sauvegarde des entreprises a puisé son inspiration dans la
procédure de réorganisation du Chapter eleven du Bankruptcy Code, pour
instituer la procédure de sauvegarde et, surtout, les fameux comités de créanciers
appelés à voter le plan. Il en va de même des prepackaged plans des procédures
de sauvegarde financière accélérée puis de sauvegarde accélérée (la pratique

48
Voir, sur l’ensemble de ce phénomène, J.-E. Gicquel et M. Roussille, Le nouveau droit des entreprises
en difficulté à l'épreuve du droit constitutionnel : Gaz. pal. 2015, n° 3, p. 32

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ayant servi de relais). D’autres règles récentes encore présentent une proximité
avec le Bankruptcy code nord-américain, comme la déclaration des créances par
le débiteur.

S’agissant des sources internationales à proprement parler, leur apparition


au cours de cette période est remarquable, le droit des « faillites » ayant
constitué un véritable « ilôt de résistance à l’internationalisation »49 en raison
tant de la diversité des matières qu’il affecte, dont beaucoup sont rebelles à une
approche harmonisée, que de la disparité profonde des droits de l’insolvabilité50
dans les objectifs poursuivis et dans l’organisation même des procédures, sans
compter ses caractères à la fois fortement sanctionnateur à l’origine et d’ordre
public. C’est naturellement en droit européen que ces sources sont les plus
présentes. La montée des sources européennes pour avoir été lente n’en parait
pas moins inexorable, tandis que la progression des sources internationales
parait insensible.

A. La lente mais inexorable montée des sources européennes

23. Si la création du premier comité d’experts en vue de la préparation d’une


convention internationale sur les procédures collectives remonte à 1960, il a
fallu attendre les années 1990 pour que des travaux s’amorcent véritablement.
Seules peuvent être mentionnées auparavant des directives concernant les
salariés (visant à les protéger en cas de cession de l’entreprise en difficulté et
contre la perte de leur emploi).

C’est seulement à l’aube du troisième millénaire qu’ont été adoptés à la fois


des textes de portée générale relatifs à l’insolvabilité et des textes sectoriels sur
l’insolvabilité des établissements de crédit et d’assurance. En l’état, l’avancée la
plus significative réside dans des textes de droit international privé – le
Règlement insolvabilité 1346/2000, révisé en 2015 (2015/848) – qui n’ont pas
été cependant sans influence sur notre droit. Le droit matériel est encore pauvre,

49
J. Béguin, Un ilôt de résistance à l’internationalisation : le droit international des procédures
collectives, Mélanges Loussouarn, D. 1994, p. 31.
50
P. Roussel Galle, Droit européen et droit des entreprises en difficulté, in Entreprises en difficulté,
Droit 360°, Lexis-Nexis, dir. P. Roussel Galle, p. 865.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 25

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mais appelé à s’étoffer dans les deux ans selon une proposition de Directive
présentée le 22 novembre 2016.
Avant de les évoquer, il convient de signaler dans un autre registre, puisque
point n’est besoin ici de droit dérivé, les Lignes directrices concernant les aides
d’Etat aux entreprises, en principe proscrites51, cette interdiction de principe
ayant été toutefois tempérée. Le dispositif d’encadrement de ces aides repose sur
la rédaction par la Commission de lignes directrices depuis 1994. Les dernières
lignes directrices adoptées le 31 juillet 2014, applicables depuis le 1er août 2014
ont vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 202052. Elles soulignent à
l’évidence les relations du droit de la défaillance économique et du droit de la
concurrence53 et n’ont pas été sans influence sur le régime des remises accordées
par les créanciers publics à des entreprises en difficulté.

Au-delà, pour répondre aux difficultés soulevées par les « faillites »


transfrontalières, un important instrument de droit international a été adopté : le
Règlement Insolvabilité. Bientôt, jaillira une nouvelle source, un socle de droit
matériel commun comme le prévoit la récente proposition de directive.

1) En DIP : le Règlement insolvabilité 1346/2000 puis 2015/848

24. Ce règlement a pour origine la plus lointaine l’adoption, le 5 juin 1990, par
le Conseil de l’Europe d’une convention sur certains aspects internationaux du
droit de la faillite mais d’un domaine limité et ratifiée par un nombre insuffisant
d’Etats, puis l’adoption en 1995 par l’UE d’une convention relative aux
procédures d’insolvabilité, finalement devenue le Règlement n° 1346/2000 du
29 mai 200054, entré en vigueur le 31 mai 2002 et modifié par un Règlement

51
Il est estimé en effet que « le retrait des entreprises inefficaces est une donnée normale du
fonctionnement du marché ».
52
Th. Mastrullo, Aides d’Etat : nouvelles lignes directrices, Rev. Proc. Coll. 2015/4, p. 39, Comm. 92.
53
Sur lesquelles une approche plus large peut être conduite : voir le numéro spécial de la Revue
Internationale de Droit économique, 1995, n° 2, et dans ce numéro la présentation de C. Saint-Alary
Houin, Entreprises en difficulté et concurrence, p. 169. Voir surtout, infra, G. Jazottes, Droit des
entreprise en difficulté, un droit inféodé aux autres droits, Le cas du droit de la concurrence, p. 225.
54
La convention relative aux procédures d’insolvabilité avait été signée le 28 novembre 1995 mais
n’avait pas été ratifiée par le Royaume-Uni, si bien que le Parlement européen a adopté une résolution
invitant la Commission à la présentation d’une proposition de directive ou de règlement. Cela a été
rendu possible par le Traité d’Amsterdam qui a autorisé la transformation en règlements de certaines
conventions.

26 | IFR Actes de colloques N° 30

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2015/848 UE du 20 mai 2015 qui entre précisément en vigueur cette année, très
exactement le 26 juin 2017.

25. Le Règlement est a priori destiné à résoudre les conflits de loi en matière
d’insolvabilité : il permet de déterminer la juridiction applicable et, partant la loi
applicable. Il a néanmoins constitué une « avancée considérable »55 en
consacrant le principe de l’universalité de la faillite (procédure principale) et de
la reconnaissance mutuelle fondée sur la confiance mutuelle, qui toutefois trouve
sa limite dans l’ordre public, très strictement apprécié56. Toutefois, comme la loi
du for reste applicable en principe, le déroulement de ces procédures est
demeuré soumis aux législations des Etats membres sous quelques réserves.

On ajoutera que des procédures secondaires, caractérisées par leur


subsidiarité et leur territorialité et ne pouvant être que liquidatives, peuvent être
ouvertes dans les autres Etats européens où le débiteur a un établissement. Cette
coexistence d’une procédure principale et de procédures secondaires a conduit à
l’élaboration de règles matérielles visant à une coopération entre les syndics des
différentes procédures reposant sur un devoir d’information et de collaboration.

26. Ce règlement, qui a engendré un contentieux nourri, a été rénové par le


Règlement n° 2015/848/UE du 20 mai 201557, intégrant lui-même des solutions
jurisprudentielles, à l’instar de la loi française, ou s’inspirant parfois des règles
de certains Etats membres. Le Règlement révisé, outre le souci de lutter contre le
forum shopping qui conduit notamment à une définition plus précise du centre
des intérêts principaux58, élargit le domaine du règlement au regard des
55
P. Roussel Galle, précit.
56
La notion d’ordre public ne peut permettre d’écarter le constat effectué par le jugement d’ouverture de
la procédure principale de la situation d’insolvabilité ni celui de l’existence du centre des intérêts
principaux du débiteur. Il n’est pas davantage possible qu’un Etat considère comme contraire à l’ordre
public l’ouverture d’une procédure contre une personne qui dans son droit ne relève pas de son droit des
procédures collectives. Cependant les créanciers peuvent contester la compétence du tribunal ayant
ouvert la procédure.
57
R. Damman, M. Menjucq, Ph. Roussel Galle, Le nouveau règlement européen sur les procédures
d’insolvabilité, Rev. Proc. Coll. 2015/1, p. 10. Voir aussi dans le même numéro les actes du colloque du
CNAJMJ organisé à Paris le 9 décembre 2014 : Les nouvelles avancées du droit européen des
entreprises en difficulté, p. 33 à 71.
58
A noter également l’adoption d’une règle inspirée du droit français : la neutralisation de la
présomption en cas du déplacement du siège social ou du principal établissement ou de la résidence au
cours des trois mois – ou 6 mois pour la résidence principale- qui précèdent la demande d’ouverture de
la procédure.

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procédures susceptibles d’être qualifiées de procédures d’insolvabilité (l’annexe


A vise désormais la SFA et la SA)59. Il s’efforce d’améliorer l’articulation des
procédures, essaie de limiter les procédures secondaires, tout en permettant
qu’elles ne soient plus liquidatives. Il favorise un traitement global des groupes
de sociétés60. Il améliore encore l’information, si importante pour les créanciers,
pour lesquels par ailleurs la déclaration connait des modifications propres à
inspirer les Etats membres61.
On observera que le Règlement insolvabilité (tant dans sa version initiale que
dans sa version révisée) a déjà inspiré le législateur français. Outre récemment,
la possibilité de désigner des mandataires communs en présence de procédures
ouvertes à l’égard des sociétés d’un même groupe, on signalera l’abandon
spectaculaire de la sanction de l’extinction de la créance pour défaut de
déclaration à la procédure en 2005, abandon justifié par les dispositions du
Règlement, plus exactement de son article 5 qui dispose que l’ouverture d’une
procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers
sur des biens meubles ou immeubles.

L’influence des sources européennes sur le droit français des entreprises en


difficulté est appelée à s’intensifier prochainement avec l’adoption d’une
directive.

59
Toutefois, le droit du surendettement ne sera toujours pas concerné, la France n’ayant pas inclus ne
serait-ce que la procédure de rétablissement personnel avec liquidation dans l’annexe A, alors que le
Règlement lui-même a vocation à s’appliquer à toute personne physique. La Cour de cassation a ainsi
écarté l’application du Règlement aux procédures de surendettement dans un arrêt du 17 mars 2016
(Cass. Civ. 2, 17 mars 2016, n° 1426868, PBRI : LEDEN 2015/7, p. 5, F. Mélin ; Act. Proc. Coll.
2016/8, Alerte 99, V. Legrand ; Dr. et Patrimoine juillet-août 2016, n° 260, p. 92, F. Macorig-Venier).
Or, y compris dans le nouveau Règlement révisé de 2015, l’inscription à cette annexe demeure
essentielle.
60
Un chapitre entier y est consacré. Est prévue jusqu’à la création d’une procédure de coordination
collective se superposant aux différentes procédures engagées contre les sociétés d’un groupe, pour
lesquelles la coopération est renforcée à travers la conclusion d’accords ou de protocoles
61
Ainsi, une copie d’un formulaire uniformisé de déclaration sera adressé à tous les créanciers en
complément de la note leur indiquant à ces derniers les délais de déclaration et leur sanction. Ce
formulaire uniformisé détaillé de déclaration des créances va contribuer selon la doctrine au
rapprochement des législations des Etats membres et pourrait avoir une incidence sur le fond (cf. P.
Roussel Galle, précit..

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2) En Droit matériel : l’harmonisation « en marche », la proposition de


Directive du 22 novembre 2016

27. Les premières pierres en matière d’harmonisation ont été posées par des
directives de 2001 (modifiées depuis) concernant les établissements de crédit et
les entreprises d’assurance et transposées dans notre droit. Ces directives ne
concernaient que des entreprises particulières et non le « droit commun de
l’insolvabilité ou des entreprises en difficulté » accusant un retard immense. Une
nouvelle étape vient précisément d’être franchie, la Commission ayant tout
récemment adopté une proposition de directive et présenté celle-ci au Parlement
européen et au Conseil le 22 novembre dernier62.

Cette ultime étape a été précédée de soubresauts. Dès 2012, une


Communication de la Commission manifestait la volonté de cette dernière d’une
harmonisation du droit de l’insolvabilité des Etats membres sur certains points
au moins. En 2014, c’est une recommandation de la Commission européenne qui
réaffirmait, avec plus de force encore, cette même volonté de voir adopter des
normes minimales communes dans certains domaines au moins : prévention
encouragement à une seconde chance. Il a été considéré qu’elle n’avait pas été
suffisamment suivie63 si bien que la Commission s’est engagée dans la voie de
l’adoption d’une directive visant à rapprocher les droits des Etats membres.
Selon la Commission : « les questions d’insolvabilité revêtent une forte
dimension européenne (dans) un marché unique de plus en plus interconnecté
avec une dimension numérique croissante », «un degré plus élevé
d’harmonisation du droit de l'insolvabilité est donc indispensable au bon
fonctionnement du marché unique et à l’instauration d’une véritable union des
marchés des capitaux. »

Ce passage de la soft law à la hard law se veut néanmoins mesuré : le choix


de la directive permet aux Etats de conserver de la souplesse quant aux moyens
à atteindre pour atteindre les objectifs fixés, les Etats pouvant aller plus loin.

62
Recueil Dalloz 2016 p. 2461, J-L. Vallens ; LEDEN Mars 207, p. 1, F-X Lucas.
63
Évaluation de la mise en œuvre de la recommandation de la Commission du 12 mars 2014 relative à
une nouvelle approche en matière de défaillances et d’insolvabilité des entreprises 30 septembre 2015
(disponible à l’adresse suivante :
http://ec.europa.eu/justice/civil/commercial/insolvency/index_en.htm).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 29

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Les objectifs poursuivis sont la mise à disposition d’outils d’alerte précoce,


la restructuration préventive, la seconde chance (par la remise totale des dettes),
l’accroissement de l’efficience de l’ensemble des procédures.
Or, précisément, on peut observer que le droit français a été précurseur sur de
nombreux points (ce qui est au demeurant le cas de longue date sur le terrain de
l’anticipation des difficultés64) et qu’il le demeure encore, même si cette
directive devrait conduire à quelques modifications de notre droit, comme
notamment l’adoption des plans par des classes de créanciers pour tenir compte
des intérêts divergents, la proposition de directive laissant en revanche aux Etats
la possibilité de faire voter les salariés dans une classe distincte. L’ampleur des
modifications à apporter au regard de la proposition actuelle est toutefois déjà en
débat, certains estimant que la directive inspirée du droit français devait
conduire à peu de changements65 d’autres craignant au contraire de plus fortes
perturbations et souhaitant des modifications de la proposition de directive afin
de les éviter66.

Au regard des sources européennes dont l’importance est croissante, les


sources internationales paraissent bien maigres et si elles ont également
progressé au cours de la période écoulée, cette progression demeure insensible.

B. La progression insensible des sources internationales

Face à la montée des sources européennes, les sources internationales


paraissent connaitre une quasi-stagnation. Toutefois cette stagnation doit être
relativisée dès lors que l’on s’attache aux trente années qui précèdent. Il y a bien
certes alors une progression, mais elle est insensible à la fois parce que les
sources internationales sont peu nombreuses et parce qu’elles sont pour la

64
F. Macorig-Venier, L’anticipation des difficultés de l’entreprise, Modernité du droit français et
approche comparatiste, p. 339 et s. in, Qu’en est-il du Code de commerce 200 ans après ? Etat des lieux
er projections, Travaux de l’IFR, n° 8, 2009.
65
M. Menjucq, Faillites transfrontalières in chronique de Droit du commerce international : JCP G
2017, 226, n° 9 ; P. Roussel Galle, Quel droit de l’insolvabilité demain ?, Act. Proc. Coll. 2017/2,
Repère 2.
66
A. Gourio et M. Gillouard, Proposition de directive relative aux systèmes d’insolvabilité et de
restructuration des entreprises, RDBF Mars 2017, Comm. 94.

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plupart non contraignantes67. Il est vrai qu’en la matière, les faillites, quoique
spectaculaires, sont moins nombreuses.

Il n’existe ainsi que de rares conventions internationales bilatérales


conclues par la France. Seule la convention franco-monégasque du 13 septembre
1950 est encore en vigueur. Aucune convention bilatérale n’a été conclue par la
France pendant la période considérée. Il n’existe pas de convention
internationale multilatérale applicable. La convention adoptée en 1990 à Istanbul
sous l’égide du Conseil de l’Europe ratifié par un seul Etat (Chypre) n’est jamais
entrée en vigueur.

Seuls des instruments non normatifs, de soft law, ont été élaborés,
notamment par la CNUDCI : en 1997, une loi-type sur l’insolvabilité
internationale qui se borne à régir les effets internationaux des faillites (elle tend
à organiser une coopération entre les tribunaux et les professionnels et à
favoriser la reconnaissance des procédures étrangères ; elle a inspiré le droit des
certains Etats relatif à la faillite internationale, dont l’Italie), puis un guide
législatif sur le droit de l’insolvabilité, lequel, en suggérant des orientations aux
Etats a pour ambition de faire évoluer leur droit matériel grâce à une
harmonisation.

Ces instruments, à la fois souples et internationaux, montrent que les


différentes sources convergent, s’entremêlent, pour irriguer sans cesse le droit
des entreprises en difficulté dont la richesse rejaillira sans doute tout au long de
cette journée.

67
Voir P. Nabet, Droit international et droit des entreprises en difficulté, in Entreprises en difficulté,
Droit 360°, Lexis-Nexis, dir. P. Roussel Galle, p. 923 et s.

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PREMIÈRE PARTIE

Le droit des entreprises en difficulté,


droit révélateur de l'entreprise

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I. Entreprise et patrimoine

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Détachement du patrimoine de l’entrepreneur

Laurence Caroline HENRY


Professeur, Avocat général à la Cour de cassation en service extraordinaire

1. Etre unique ou être multiple, tel est le choix qui taraude désormais
l’entrepreneur, personne physique1. « Détachement du patrimoine de
l’entrepreneur » : l’association des termes reflète la tendance actuelle d’un droit
protecteur du patrimoine de l’entrepreneur confronté aux risques de son activité
économique. Détacher signifie séparer quelque chose de ce à quoi il adhère.
Détachement rime avec dédoublement patrimonial dans le cadre du match sans
fin qui oppose le débiteur – soucieux d’échapper à la rigueur des conséquences
patrimoniales des difficultés de son entreprise – à ses créanciers – soucieux de
ne pas faire les frais d’une insuffisance d’actif qui risque de les mettre eux-
mêmes en difficulté.
Bref, c’est l’éternel débat de l’art de ne pas payer ses dettes ou plus
raisonnablement de les renégocier pour mieux rebondir et garder l’appétit
d’entreprendre. Dans ce match les armes juridiques évoluent… la dernière idée
novatrice s’est attaquée à l’unité du patrimoine…

2. En droit français, le détachement du patrimoine du débiteur est en soi une


révolution ! La théorie du patrimoine d’Aubry et Rau est sacrifiée à l’autel du
rebond du débiteur. Ce dernier pour ne pas être emporté par les difficultés de son
entreprise se voit offrir toujours plus d’instruments. Classiquement, le droit des
sociétés propose la constitution de sociétés unipersonnelles permettant à
l’entrepreneur de se projeter dans son double juridique, la personne morale

1
Ph. Roussel Galle, L’instrumentalisation du patrimoine et les procédures collectives : entre technique
et détournement, RJC, mars-avril 2015, n° 2, p. 239.

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DÉTACHEMENT DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR

qu’est la société. Récemment, un autre instrument fait son apparition dans


l’armada juridique : la division du patrimoine de l’entrepreneur personne
physique, autrefois gage indivisible de ses créanciers dans son entier… Il peut
être désormais scindé volontairement par son titulaire.
Un choix offert à l’entrepreneur et deux méthodes2 :
• La scission par ajout : l’entrepreneur individuel à responsabilité limité
(EIRL)
• La scission par soustraction : la déclaration notariée d’insaisissabilité
(DNI)
Avec l’EIRL3, c’est la multiplication des patrimoines qui fait son entrée en droit
français. Une nouvelle déclinaison apparaît : un entrepreneur, des patrimoines.
Avec la déclaration d’insaisissabilité, c’est la soustraction d’une partie du
patrimoine au gage des créanciers qui s’impose : à chacun son gage, aux
créanciers professionnels, un ou des gages professionnels, aux autres créanciers
un gage résiduel. Quelle que soit la technique l’objectif est le même : la
protection du patrimoine « personnel » de l’entrepreneur des aléas de son
activité économique.

3. Ces techniques juridiques nouvelles ont connu des fortunes diverses.


L’EIRL n’a pas rencontré le succès escompté4… L’entrepreneur individuel à
responsabilité limité s’est fait si discret qu’il disparaît presque du paysage
juridique, peu de recours, y compris devant la Cour de cassation5… Seule la
doctrine lui a donné un semblant de vie. La déclaration notariée d’insaisissabilité
(C. com., art. L. 526-1), quant à elle, agite les prétoires… Elle qui a souvent été
menacée de disparition n’a jamais été supprimée, au contraire, elle se multiplie
puisque de conventionnelle elle devient aussi légale par sa consécration par la
loi du 6 août 20156. Au-delà, il est inévitable de constater que l’EIRL n’a pas

2
Ph. Roussel Galle et V. Leloup-Thomas, La protection du dirigeant : insaisissabilité, EIRL…, RPC, n°
4, juillet 2016, dossier 25.
3
Le statut est introduit par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010.
4
Au 30 juin 2013, l'INSEE a recensé près de 17 000 EIRL, ainsi trois ans après sa création l’EIRL ne
représente qu’autour d’1% des entreprises individuelles. Voir V. Legrand, EIRL et déclaration
d'insaisissabilité : quel bilan ? RPC nov. 2013, n° 6 dossier 31. L'étude d'impact accompagnant le projet
de loi Sapin 2 n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 indique qu'il existait 34 929 EIRL au 31 décembre
2015, dont un tiers de micro-entrepreneurs.
5
Il est possible de signaler un arrêt relatif à la recherche du bénéfice du rétablissement personnel, Cass.
civ.2e, 26 sept. 2013, n° 12-22.704.
6
L’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur est introduite par la loi no 2015-
990 du 6 août 2015.

38 | IFR Actes de colloques N° 30

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LAURENCE CAROLINE HENRY

démontré son efficacité en cas d’ouverture d’une procédure collective contre


l’entrepreneur débiteur alors que la déclaration d'insaisissabilité a su s’imposer
en cas d’ouverture d’une telle procédure en réduisant son périmètre d’influence.
Dans le premier cas le droit des entreprises en difficulté est vainqueur par forfait
de l’EIRL, dans le second cas, la question est celle de savoir si l’insaisissabilité
ne profite pas d’une victoire par KO sur la procédure collective.

I. L’EIRL perdant, déclaré forfait

4. La parenté entre la logique de la société unipersonnelle et l’entrepreneur


individuel à responsabilité limitée est telle qu’un rapprochement s’est imposé
au-delà de leurs différences. Par suite, à l’heure du bilan, l’efficacité protectrice
de l’EIRL est toute relative.

A. L’EIRL, un faux air de société ?

5. En optant pour le statut d’EIRL7, le débiteur se dédouble en un


entrepreneur. Conséquence : un sujet de droit pour deux patrimoines (ou plus),
un seul patrimoine affecté par l’ouverture de la procédure collective. L’ombre
portée de la société unipersonnelle se profile. Certes, il n’y a pas deux
personnalités juridiques, mais l’entrepreneur – incarnation physique de
l’entreprise – est l’émanation professionnelle du débiteur par le biais de
l’affectation d’une part de son patrimoine en gage à ses créanciers
professionnels. L’attraction des modèles juridiques connus explique que par une
sorte de fiction l’entrepreneur est considéré comme une personnalité juridique
virtuelle. On assiste à une sorte de dédoublement de la personnalité du sujet de
droit. Il est à la fois un entrepreneur soumis au livre VI du code de commerce
par le biais de son patrimoine professionnel et un particulier, un
« consommateur » par l’intermédiaire de son patrimoine personnel tout en
restant le même sujet de droit. Comme une illustration de ce dédoublement
patrimonial, l’article L 680-1 du code de commerce précise que les dispositions
du droit des entreprises en difficulté sont appliquées à raison des activités

7
Les faiblesses du statut ont d’ores et déjà été dénoncées, V. Legrand, art. préc.

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DÉTACHEMENT DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR

professionnelles exercées par l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée


patrimoine par patrimoine.

6. Une certaine cohérence se dessine ainsi par l’intermédiaire du patrimoine


affecté. Ce dernier délimite, à la fois, le périmètre de la procédure collective et
désigne le débiteur en tant qu’entrepreneur à travers l’activité qui lui est dédiée.
Le parallélisme de la situation avec celle de l’associé dirigeant d’une EURL
semble évident, de la même manière que ce dernier n’échappe pas par principe à
l’application des dispositions relatives au surendettement des particuliers en
raison de sa qualité d’associé gérant d’une EURL8, l’EIRL peut s’en prévaloir
pour des difficultés rencontrées sur son patrimoine personnel. D’ailleurs le
rapprochement ne s’arrête pas là, il suffit de rappeler que si l’EIRL ne se
constitue pas à travers des apports à une société dotée de la personnalité
juridique, il prend forme en affectant « l'ensemble des biens, droits, obligations
ou sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l'exercice de
son activité professionnelle » à son patrimoine professionnel. « Il peut
comprendre également les biens, droits, obligations ou sûretés dont
l'entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour l'exercice de son activité
professionnelle et qu'il décide d'y affecter. » (C. com., art. L. 526-6, al. 2).
Paradoxalement, ce parallélisme affaiblit la protection offerte par le statut
d’EIRL car le droit des entreprises en difficulté a dans son jeu des cartes
gagnantes pour élargir son emprise.

B. L’EIRL, une protection peu efficace

7. Les créanciers de l’EIRL sont confrontés à la division de leur gage et leur


sort dépend du patrimoine qui leur est affecté9. L’ouverture d’une procédure
collective n’affecte par principe que le patrimoine professionnel affecté10 un peu
comme elle affecte l’EURL seule. Il en résulte l’application possible de toutes
les mesures d’élargissement de l’emprise de la procédure sur le patrimoine

8
Cass. civ. 2e, 13 octobre 2016, n° 15-24.301, D. 2016, p. 2602, note N. Borga ; JCP E, II, 1650, note A.
Cerati-Gauthier ; Gaz. pal. 2016, n° 44, p. 31, note S. Piédelièvre ; Rev. Sociétés 2016, com. 206, note
M. Roussille.
9
D. Demeyre, Caractère collectif de la procédure et entrepreneur individuel à responsabilité limitée
(EIRL), RPC, mai 2012, n° 3, dossier 19.
10
A contrario, la procédure de rétablissement personnel s’impose pour le patrimoine personnel.

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personnel d’entrepreneur… Le détachement d’une partie de son patrimoine se


heurte à sa reconstitution par des techniques éprouvées qui sont déclinées pour
être adaptées à l’EIRL11.

8. Ainsi, l’action en réunion des patrimoines (C. com. art. L. 661-1, I, 3°)
envisagée en l’absence de patrimoine affecté à l’EIRL (C. com., art. L.526-6),
en l’absence de toute comptabilité autonome (C. com., art. L. 526-13)12. Les
effets sont proches de ceux l’action en extension : les patrimoines professionnels
et personnels sont réunis en une seule masse. Cette porosité reconnue entre les
patrimoines risque d’être plus dévastatrice dans le cadre de l’EIRL que dans
celui de l’EURL. En effet pour cette dernière, les effets sont cantonnés au temps
de la procédure collective. Pour l’EIRL faute de précision législative,
l’assimilation à la solution du droit des sociétés si elle est souhaitable n’est pas
acquise13.
Autre rapprochement évocateur : la responsabilité pour insuffisance d’actif est
applicable à l’EIRL dans les conditions posées par la loi de sauvegarde des
entreprises. Si la condamnation n’est pas automatique, sa menace est lourde de
conséquence pour l’entrepreneur14. Une fois encore sa situation est comparable à
celle du dirigeant associé unique de l’EURL.

9. Enfin et ce n’est pas la moindre carte dans le jeu du droit des entreprises en
difficulté, l’article L. 632-1, 11° du code de commerce vise expressément
l’EIRL pour soumettre aux nullités de la période suspecte toute affectation ou
modification de l’affectation d’un bien, exception faite du versement des
revenus (C. com., art. L. 526-18), dont il est résulté un appauvrissement du
patrimoine visé par la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de
l’entrepreneur.

10. Confronté à un tel bilan le peu de succès rencontré par le statut d’EIRL ne
surprend pas, en réponse, la loi n°2016-1691 dite Sapin 2 du 9 décembre 2016,

11
Ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010, A. Guesmi, EIRL versus EURL à l’aune du droit des
procédures collectives, D. 2011, p. 104.
12
T.C. Dunkerque, 11 mars 2014, Gaz. Pal. 20 janvier 2015, p. 17, obs. F. Reille. B. Rolland,
Assignation en réunion de patrimoine d’un EIRL en procédure judiciaire devant le tribunal de
commerce formule, RPC, 1er janvier 2015, p. 81.
13
A. Guesmi, art. préc.
14
A. Guesmi, art. préc.

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DÉTACHEMENT DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR

entrée en vigueur le 11 décembre 2016, tente de rendre l’EIRL plus attractive15.


Plusieurs mesures visent à favoriser la transition du statut d’entrepreneur
individuel vers le statut d’EIRL. En premier lieu, il est opéré une clarification de
l’article L. 526-8, 1° du code de commerce quant à l’état descriptif des biens,
droits, obligations ou sûretés affectés à l'activité professionnelle. Désormais, la
valeur déclarée est la valeur vénale à défaut de marché pour le bien considéré, la
valeur d’utilité. Ces précisions passent de la partie règlementaire à la partie
législative. L’entrepreneur en activité qui adopte le statut d’EIRL qui choisit de
présenter en guise d’état descriptif le bilan de son dernier exercice voit la
procédure simplifiée (C. com., art. L. 526-8, al. 6, nouv). La nouvelle loi supprime
l’obligation de faire évaluer par un professionnel (un notaire en présence d’un bien
immobilier) les éléments d’actif d’une valeur supérieure à 30 000 €. La mesure
vaut pour entrepreneur individuel se transformant en EIRL, n'ayant pas opté pour
l'impôt sur les sociétés, recourant au bilan de son dernier exercice en qualité d'état
descriptif. Elle supprime également la possibilité d’une déclaration d’affectation
opposable aux créanciers dont les droits seraient nés antérieurement à son dépôt en
donnant à ces créanciers, en contrepartie, un droit d’opposition. Cette suppression
entraîne celle de l'opposabilité de la déclaration d'affectation aux créanciers «
antérieurs » (C. com., art. L. 526-12, al. 2 à 5, abrogés). Enfin, l’allègement des
formalités de publication du bilan de l’EIRL. Une double publicité qui était
requise, elle est supprimée avec la disparition du dépôt complémentaire au registre
spécial des EIRL (C. com., art. L. 526-14, al. 1er).

11. Il n’en demeure pas moins que pour ce qui est de l’EIRL, le résultat du
match donne un avantage à la procédure collective ! On serait tenté de conclure :
un dédoublement de la personnalité de l’entrepreneur par affectation
patrimoniale pour rien ! L’EIRL n’est pas un statut aussi protecteur que prétendu
par ses promoteurs. La déception associée à sa nature juridique indéfinie16
expliquent sans doute son relatif échec. A l’inverse, la déclaration
d'insaisissabilité a connu un succès non démenti au point d’être déclinée par le
législateur.

15
A. Reygrobellet, Patchwork de nouveautés en droit des affaires, JCP N 13 janvier 2017, n° 2, 1006,
spéc. n° 5 et s.
16
V. Legrand, art. préc. n° 9.

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II. La déclaration d'insaisissabilité gagnante par KO

12. Dans le match opposant protection d’une partie du patrimoine de


l’entrepreneur individuel et emprise de la procédure collective, pour l’instant le
résultat est en faveur de la déclaration d'insaisissabilité. Elle tient bon en cas
d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’entrepreneur-débiteur.
Le législateur lui-même devient schizophrène. Il tente de limiter son efficacité
par le moyen des nullités de la période suspecte et en même temps dans la loi
n°2015-990 du 6 août 2015 en fait un mécanisme légale, automatique pour
mieux protéger la résidence de l’entrepreneur.
L’efficacité de la déclaration d'insaisissabilité pour protéger une partie du
patrimoine de l’entrepreneur s’est vérifiée au fil du temps. Elle s’est révélée être
un véritable bouclier protecteur contre l’emprise de la procédure collective sur
l’ensemble du patrimoine du débiteur personne physique. Le détachement du
patrimoine de l’entrepreneur par soustraction serait-il la panacée pour limiter les
risques pris dans le cadre de son activité professionnelle ? Ce constat semble
s’imposer, il repose sur une large prise en considération de l’effet réel de la
procédure collective. Cependant, il convient de s’interroger sur le nécessaire
respect de son effet personnel dans des hypothèses qui n’ont pas encore été
directement rencontrées lors de la mise en œuvre de la déclaration
d'insaisissabilité.

A. L’effet réel de la procédure collective valorisé par la déclaration


d'insaisissabilité

13. Introduite en droit français depuis plus de dix ans par la la loi no 2003-721
pour l'initiative économique du 1er août 2003 qui a inséré un article L. 526-1,
elle n’a cessé de prendre de l’importance. La loi de modernisation de l'économie
no 2008-776 du 4 août 2008 a étendu son domaine à « tout bien foncier bâti ou
non bâti non affecté à un usage professionnel ». Enfin, dernier épisode, la loi
n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques prévoit l’insaisissabilité de plein droit de la résidence de
l’entrepreneur individuel à l’égard de ses créanciers professionnels. La
disparition de la déclaration d'insaisissabilité au profit de la protection légale de
la résidence de l’entrepreneur un temps envisagée a été finalement écartée.
Désormais, le mécanisme légal s’ajoute à la déclaration notariée.

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14. La reconnaissance de l’opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité est


exprimée de manière limpide par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour
de cassation du 13 mars 2012 : « une déclaration d'insaisissabilité régulièrement
publiée ne permet pas aux organes de la procédure collective d'incorporer
l'immeuble concerné dans le périmètre de la saisie des biens appartenant au
débiteur » 17. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt de principe
en date du 28 juin 201118 confirmé par la suite19 qui déniait de droit au juge-
commissaire d’autoriser, sous peine de commettre un excès de pouvoir, le
liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques d’un immeuble dont
l’insaisissabilité lui est opposable. La prévalence de l'effet réel marque les arrêts
les plus récents de la Cour de cassation. Ainsi en matière de prescription, il est
fait, en quelque sorte une application distributive de ses effets, le 12 juillet 2016
(n° 15-17.321), la chambre commerciale précise : "un créancier inscrit, à qui est
inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble, peut faire procéder à
la vente sur saisie de cet immeuble ; que si l'effet interruptif de prescription
d'une déclaration de créance s'étend aux poursuites de saisie immobilière qui
tendent au même but, soit le recouvrement de la créance, ce créancier, lorsqu'il a
déclaré sa créance, ne peut, dès lors qu'il n'est pas dans l'impossibilité d'agir sur
l'immeuble, au sens de l'article 2234 du code civil, bénéficier de la prolongation
de l'effet interruptif de prescription de sa déclaration jusqu'à la clôture de la
procédure collective, cet effet prenant fin à la date de la décision ayant statué sur
la demande d'admission". Dans la même lignée confirmant l'application du droit
commun, dès que le créancier poursuit sur le bien sous déclaration notariée
d'insaisissabilité, à l'exclusion de toute intervention du juge, que : "le créancier
auquel la déclaration d'insaisissabilité est inopposable bénéficie,
indépendamment de ses droits dans la procédure collective de son débiteur, d'un

17
Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27.087.
18
Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482 ; Bull. civ. 2011, IV, n° 109 ; JCP E 2011, 1551, F. Pérochon ;
JCP E 2011, 1596, n° 7, obs. Ph. Pétel ; JCP N 2011, n° 36, 1238, Ch. Lebel ; D. 2011, p. 1751, obs. A.
Lienhard ; D. 2011, p. 2201, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal. 7-8 oct. 2011, p. 11, note L. Antonini-
Cochin ; LEDEN 2011, p. 1, F.-X. Lucas ; Bull. Dict. perm. entr. diff., n° 328, p. 1, J.-P. Remery et p. 4,
Ph. Roussel Galle ; Rev. sociétés 2011, p. 526, Ph. Roussel Galle ; LPA 23 nov. 2011, p. 8, F. Reille ;
Dr. et proc. déc. 2011, cah. dr. entr. diff., p. 16, obs. F. Reille.
19
Cass. com.,
18 juin 2013, n° 11-23.716 ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 159, S. Piedelièvre ; JCP E
2013, 1452, Ch. Lebel ; D. 2013, p. 1618, obs. A. Lienhard ; Bull. Joly Sociétés 2013, p. 667, obs. E.
Mouial-Bassilana ; Dr. et proc. nov. 2013, cah. dr. entr. diff., p. 16, obs. F. Reille. Cass. com., 24 mars
2015, préc. Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-14.757 ; Rev. proc. coll. 2016, comm. 14, G. Berthelot ;
Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-21.267, D. 2016, p. 702, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2016, p. 393,
obs. L.C. Henry.

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droit de poursuite sur cet immeuble, qu'il doit être en mesure d'exercer en
obtenant, s'il n'en détient pas un auparavant, un titre exécutoire par une action
contre le débiteur tendant à voir constater l'existence, le montant et l'exigibilité
de sa créance". Cette approche prend un relief tout particulier dans un arrêt du 4
mai 201720 en raison des circonstances de l’affaire. Après le constat de la
« caducité » du plan de redressement précédemment arrêté au profit du débiteur,
ce dernier est placé en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire. Le
liquidateur avait obtenu par un arrêt du 25 mai 2010 devenu irrévocable la
reconnaissance que la déclaration d'insaisissabilité du débiteur soit inopposable
au montant des créances correspondant aux créances nées antérieurement à la
déclaration d'insaisissabilité. La cour d'appel en avait déduit que le juge-
commissaire pouvait autoriser le liquidateur à poursuivre la vente de l’immeuble
par adjudication… La Cour de cassation casse : « l’arrêt du 25 mai 2010 était
dépourvu de l’autorité de la chose jugée à l’égard des créanciers dont les droits
étaient nés postérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité,
de sorte que le juge-commissaire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, autoriser
le liquidateur à procéder à la vente d'un immeuble dont l'insaisissabilité lui était
opposable ».

15. Sans introduire de faille dans le bouclier protecteur de la déclaration


d'insaisissabilité, l’efficacité de sa protection est légèrement entamée par une
précision apportée dans un arrêt du 2 juin 201521. La Cour de cassation, en 2012,
a refusé au liquidateur la qualité pour agir en inopposabilité de la déclaration
d'insaisissabilité au motif que cette dernière n’avait pas été publiée au RCS dont
le débiteur dépendait22. En 2015, il est affirmé que « Attendu qu'en exigeant que,
pour faire obstacle à la vente par le liquidateur de l'immeuble objet de la
déclaration d'insaisissabilité, celle-ci fût publiée avant l'ouverture du
redressement judiciaire de M. S. dans tous les registres de publicité légale à
caractère professionnel dans lesquels il était immatriculé, la cour d'appel n'a pas
commis d'excès de pouvoir, ni consacré un excès de pouvoir des premiers juges ».

20
Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-18.489.
21
Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-10.383, inédit ; Gaz. Pal. 18-20 oct. 2015, p. 28, obs. D. Voinot ; Bull.
Joly Entreprises en difficulté 2015, p. 292, obs. J. Théron ; LEDEN oct. 2015, p. 5, obs. P. Rubellin ;
RPC mars 2016, n° 2, com. 51, Fl. Reille.
22
Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438 : JurisData n° 2012-004300 ; Bull. civ. 2012, IV, n° 53 ; Dr.
et proc. mai 2012, cah. dr. entr. diff., p. 5, obs. Ph. Roussel Galle ; D. 2012, p. 807, obs. A. Lienhard ; D.
2012, p. 1460, obs. F. Marmoz ; D. 2012, p. 2201, obs. P.-M. Le Corre ; Rev. sociétés 2012, p. 394, L.-
C. Henry ; Bull. Joly Sociétés 2012, p. 495, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.

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DÉTACHEMENT DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR

Discrète pour ne pas être publiée, cette décision est confirmée par l’arrêt du 15
novembre 201623 qui lui a les honneurs de la publication et se place dans le
prolongement de l’arrêt du 2 juin 201524 précisant que les actions prises dans
l’intérêt collectif des créanciers ont pour but la protection et la reconstitution du
gage commun des créanciers. La Cour de cassation affirme en novembre 2016 :
« la déclaration d'insaisissabilité n'étant opposable à la liquidation judiciaire que
si elle a fait l'objet d'une publicité régulière, le liquidateur, qui a qualité pour agir
au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, est recevable à en contester la
régularité à l'appui d'une demande tendant à reconstituer le gage commun des
créanciers ». Il faut prendre la juste mesure de cette décision. La chambre
commerciale reconnaît au liquidateur le droit de contester rien de plus. Ce droit
n’est que le prolongement de la qualité pour agir reconnue au liquidateur pour
protéger et reconstituer le gage commun des créanciers. La déclaration
d'insaisissabilité reste pleinement opposable à la procédure dès lors qu’elle fait
l’objet d’une publicité régulière, mais le liquidateur est juste recevable à
contester la régularité de cette publicité. La reconnaissance de ce droit n’augure
en rien le contenu de la régularité de la publication…

16. L’ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014 est venue au secours des


organes de la procédure démunis face à une déclaration d'insaisissabilité
régulièrement publiée. Elle ajoute le point n°12 à l’article L. 632-1 du code de
commerce pour inscrire la déclaration d'insaisissabilité faite en application de
l’article L. 526-1 du code de commerce à la liste des actes susceptibles d’être
remis en cause au titre des nullités de la période suspecte. Il reste que
l’insaisissabilité légale de la résidence du débiteur (C. com., art. L. 526-1, al.1er)
échappe nécessairement à ce dispositif. Le bouclier protecteur constitué par la
déclaration d'insaisissabilité régulièrement publiée est donc d’abord protecteur
parce qu’en soustrayant des biens immobiliers du périmètre de la saisie
collective opérée par la procédure, il paralyse l’action des organes de la
procédure.

23
Cass. com., 15 nov. 2016, n° 14-26.287, FS-P+B+I ; D. 2016, p. 2333, obs. A. Lienhard ; LEDEN
déc. 2016, p. 1, obs. F.-X. Lucas ; RPC janvier 2017, n° 1 com. 3 Fl. Reille.
24
Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, F-P+B+R+I ; JCP E 2015, 1422, n° 7, obs. Ph. Pétel ; Act.
proc. coll. 2015-12, repère 184, F.-X. Lucas ; Bull. inf. C. cass. 1er déc. 2015, n° 771 ; D. actu 4 juin
2015, obs. A. Lienhard ; D. 2015, p. 1970, obs. P.-M. Le Corre ; LEDEN juill. 2015, p. 4, n° 102, obs.
G. Loiseau ; BJE 2015, p. 313, note A. Donnette-Boissière ; Gaz. Pal. 22 sept. 2015, p. 19, note J.
Théron ; Gaz. Pal. 18-20 oct. 2015, p. 29, note I. Rohart-Messager.

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17. Les conséquences de l’efficacité de la déclaration d'insaisissabilité ne


s’arrêtent pas là. Elles impliquent la reconnaissance de certains droits aux
créanciers à qui elle est inopposable en marge de la procédure. En d’autres
termes, il convient « après avoir décidé qui était privé de toute possibilité
d’intervention sur le bien insaisissable…[il faut] préciser les modalités de
l’intervention de ceux qui en ont conservé le droit, à savoir les créanciers
antérieurs et/ou non professionnels »25. Sur ce point l’alternative est simple :
persister dans une approche s’appuyant essentiellement sur l’effet réel de la
procédure en en tirant toutes ses conséquences quant à l’exercice de leurs droits
par les créanciers épargnés par la déclaration d'insaisissabilité ou donner une
ampleur accrue à l’effet personnel de la procédure pour leur imposer la
discipline collective au-delà des biens saisis collectivement sur tous les biens
appartenant au gage du débiteur. Cette seconde branche de l’alternative a pour
inconvénient de rendre moins prévisible et moins lisible la jurisprudence de la
Cour de cassation. Elle présente l’avantage de limiter fortement l’efficacité de la
déclaration d'insaisissabilité en imposant l’interdiction des poursuites et les
règles de la procédure pour réaliser tous les biens appartenant au débiteur…
Néanmoins donner une telle portée à l’effet personnel de la procédure risque de
nier l’utilité même d’une déclaration d'insaisissabilité régulièrement publiée…
L’analyse de la jurisprudence montre que l’effet personnel de la procédure est
réduit au bénéfice de son effet réel qui se dilate au nom de la sécurité juridique.

B. L’effet personnel de la procédure collective malmené par la déclaration


d'insaisissabilité

18. S’agissant de la détermination des modalités d’exercice des droits des


créanciers préservés de la déclaration d'insaisissabilité sur les biens
insaisissables par la procédure, une jurisprudence se dessine influencée par
l’effet réel de la procédure. En bref, si les biens échappent à la saisie collective,
ils sont régis, sauf exception, par le droit commun26.
Un arrêt du 5 avril 201627 visant les articles L. 526-1 et L. 643-2 du code de
commerce s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence laissant prévaloir

25
L. Le Mesle à propos des arrêts du 5 avril 2016 n° 14-24.640 et du 12 juillet 2016, n° 15-17.321.
26
Fr. Pérochon, Entreprises en difficultés, LGDJ 10e éd. 1996, n 1196.
27
Cass. com., 5 avril 2016, n° 14-24.640, D. 2016, p. 837, obs. A. Lienhard, D. 2016, p. 1296, note N.
Borga ; Rev. sociétés 2016, p. 393, obs. L. C. Henry ; RPC 2016, étude 8, n° 12, obs. Fl. Petit ; RD

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l’effet réel sur l’effet personnel de la procédure. En l’espèce, la cour d’appel


avait déclaré irrecevable la saisie immobilière diligentée par un créancier à qui
la déclaration d’insaisissabilité est inopposable parce que ce dernier n’a pas
respecté la procédure prévue en cas de liquidation judiciaire. Pour la première
fois la chambre commerciale était confrontée à une approche insistant sur l’effet
personnel de la liquidation judiciaire, approche qui privilégie le fait que
l’ouverture de la procédure entraîne l’arrêt des voies d’exécution interdisant à
tout créancier antérieur d’agir28 personnellement contre le débiteur ce qui
entrave nécessairement l’action du créancier même si la déclaration
d’insaisissabilité lui est inopposable. Par suite, pour agir un tel créancier doit
dépasser l’incapacité à agir du liquidateur et la mise en œuvre de l’article L.
643-2 du code de commerce s’impose alors. Cette analyse s’impose si la
dimension in personam de la procédure est prise en compte, dès lors elle entrave
toute action d’un créancier contre le débiteur en liquidation judiciaire sans tenir
compte de l’exclusion du bien immeuble visé par les poursuites de la saisie
collective en raison de l’opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité à la
procédure. En réalité, dès lors que la Cour ne remet pas en cause sa
jurisprudence et maintient que la déclaration d'insaisissabilité opposable à la
procédure a pour effet de soustraire le bien immeuble concerné du gage commun
des créanciers29, cette exclusion dicte l’analyse en privilégiant l’effet réel de la
procédure.
Ce choix est encore confirmé en des termes similaires dans un arrêt du 4 mai
201730. La banque créancière du remboursement d’un prêt immobilier de deux
époux mariés en communauté avait pris en compte l’effet personnel de la
liquidation judiciaire ouverte contre l’époux. Elle avait déclaré sa créance et
saisie le juge-commissaire pour être autorisée à exercer son droit de poursuite
individuelle et engager la procédure de saisie immobilière. La cour d'appel qui a
accueilli cette demande voit sa décision cassée dans le prolongement logique de

bancaire et financier 2016, comm. 125, note D. Legeais ; Gaz. pal. 2016, n° 24, p. 54, note P.-M. Le
Corre ; RJCom 2016, p. 268, note Ph. Roussel Galle ; JCP N 2016 n° 1218, note Fr. Vauvillé ;
Procédures 2016, comm. 236, note B. Rolland, arrêt confirmé par Cass. com., 12 juillet 2016, n° 15-
17.321 et par un avis du 12 septembre 2016, Cass. avis, 12 septembre 2016, n° 16010P, Procédures,
nov. 2016, n° 11, comm. 334, obs. B. Rolland.
28
F.-X. Lucas, obs. sous Cass. com., 28 juin 2011, LEDEN-7 juill. 2011, n° 119, p. 1.
29
La question peut se poser dans la mesure où l’évolution de votre jurisprudence laisse voir un fusion de
ses fondements : exclusion du bien du périmètre de la procédure et défaut de qualité à agir du
liquidateur. Avis de M. L. Le Mesle, Cass. com., 24 mars 2014 n° 14-10.175, préc.
30
Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-18.348.

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LAURENCE CAROLINE HENRY

l’arrêt du 5 avril 2016 : la déclaration d'insaisissabilité étant inopposable à la


banque, elle « n’avait pas à demander l’autorisation de faire vendre l’immeuble
hypothéqué à son profit, de sorte qu’en accueillant cette demande, le juge-
commissaire, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes et principes susvisés ».

19. La question se pose de savoir si l’effet réel est hypertrophié au point de nier
l’existence même de l’effet personnel de la procédure. La jurisprudence actuelle
a sa logique et elle devrait continuer à justifier certaines solutions. Par exemple,
un créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité n’est pas opposable est-il
soumis à l’article L. 643-11 du code de commerce ? En d’autres termes, après la
clôture de la liquidation judiciaire ce créancier ne recouvre-t-il son droit de
poursuite individuelle que si les conditions de l’article L. 643-11 sont vérifiées ?
La solution doit nécessairement prendre en compte l’arrêt du 5 avril 2016 car
dès lors que le créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité n’est pas opposable
peut poursuivre la réalisation des biens sous déclaration d'insaisissabilité en
application du droit commun cela signifie que son droit de poursuite n’étant pas
suspendu, il n’a pas besoin d’être recouvré. La logique veut que « l’effet réel de
la procédure collective l’emporte sur son effet personnel ou non. Mais il ne peut
pas l’emporter dans un cas et pas dans l’autre. »31. Il n’en demeure pas moins
que l’effet personnel de la procédure pourrait s’imposer dans des circonstances
particulières. Ainsi la déchéance du terme du débiteur soumis à une liquidation
judiciaire n’a d’effet qu’à son égard, elle ne s’étend pas à ses coobligés32… Pour
poursuivre l’exécution, le créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité n’est
pas opposable devra-t-il établir l’exigibilité de la créance à l’égard des coobligés
du débiteur mis en demeure en application de l’article 311-2 du code des
procédures civiles d’exécution ? L’hypertrophie de l’effet réel de la procédure
devrait rencontrer dans certaines hypothèses les limites irréductibles du caractère
personnel de la procédure…

20. L’effet personnel de la procédure ne saurait disparaître. Il a permis à la


première chambre civile d’affirmer l’universalité de la procédure collective
ouverte en France en invoquant l’injonction in personam pour interdire aux
créanciers d’agir sur les biens du débiteur situés dans un autre Etat que l’Etat

31
L. Le Mesle, préc.
32
Cette solution jurisprudentielle est reprise par le nouvel article 1305-5 du code civil introduit pas
l’ordonnance du 10 février 2016

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 49

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DÉTACHEMENT DU PATRIMOINE DE L’ENTREPRENEUR

d’ouverture avant que le jugement d'ouverture soit exequaturé33 Il reste que les
biens du débiteur situés à l’étranger n’étaient pas épargnés par la saisie
collective en application du droit français et que les relations entre le débiteur et
ses créanciers sont des droits personnels reposant sur le rapport juridique qu’est
l’obligation. Nier ce caractère en permettant aux créanciers à qui la déclaration
d'insaisissabilité est inopposable d’échapper aux règles de la discipline
collective peut surprendre.

21. La nature des procédures collectives évolue en raison du fractionnement du


patrimoine coupant le lien étroit entre le sujet de droit et le gage unique des
créanciers. Cette distorsion emporte des effets dont il est difficile de mesurer
toutes les conséquences. La délimitation du périmètre de la procédure dépend de
son effet réel dès lors que le choix est fait de traiter l’EIRL patrimoine par
patrimoine, par contagion la même solution prévaut pour la déclaration
d'insaisissabilité. C’est l’étendue de la saisie collective qui dicte sa loi. Par suite,
l’effet personnel de la procédure collective est malmené car il se heurte aux
limites de la saisie collective. Cependant, le débiteur, sujet de droit est toujours
soumis personnellement à la procédure et le caractère personnel des droits de
créance le liant à ses créanciers subsiste, ce qui justifierait que la discipline
collective s’impose aux créanciers du débiteur dès lors qu’ils le poursuivent que
le bien objet de la poursuite soit ou non compris dans la saisie collective. Cette
approche n’est plus envisageable dès lors que l’étendue de la saisie dicte
l’emprise patrimoniale de la procédure. En revanche, pour certaines règles de la
discipline collective, directement liées au caractère personnel du droit de
créance, l’effet personnel de la procédure collective devrait continuer à
s’imposer. On pense, à l’interdiction des paiements, à la déclaration des
créances… Mais le divorce patrimoine / sujet de droit ressurgit rapidement :

33
Cass. civ. 1re, 19 nov. 2002, n° 00-22.334 « Sous réserve des traités internationaux ou d'actes
communautaires non applicables en l'espèce, et dans la mesure de l'acceptation par les ordres juridiques
étrangers, le redressement judiciaire prononcé en France produit ses effets partout où le débiteur a des
biens. L'article 6, paragraphe 1er, de la Conv. EDH ne saurait faire obstacle aux principes d'universalité
de la faillite ainsi qu'à celui d'égalité des créanciers chirographaires qui caractérise toute procédure
collective et qui postule l'interdiction des poursuites individuelles et la soumission des créanciers aux
obligations du plan de redressement » D. 2002, AJ p. 3341, obs. A. Lienhard ; D. 2003, Jur. p. 797, note
G. Khairallah ; JCP 2002, II, n° 10201, concl. J. Sainte-Rose, et note S. Chailié de Néré ; Act. proc. coll.
2003, n° 19, obs. M. Menjucq ; JDI 2003, p. 312, note P. Roussel-Galle ; J.-L. Vallens, RTD com
2003.169, D.2003.1625, obs. L. C Henry, P. Courbe, L’effet international de la faillite : la solution de la
Cour de cassation, In l’effet international de la faillite, Colloque Rouen 2004, Thèmes et commentaires,
actes Dalloz, 2004, p. 15.

50 | IFR Actes de colloques N° 30

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LAURENCE CAROLINE HENRY

comment interdire le paiement en reconnaissant un droit de poursuite ? En


réalité, l’objet de la procédure collective semble être devenu le patrimoine et le
débiteur n’est plus que le titulaire du patrimoine affecté par la procédure. L’effet
personnel changerait de nature pour ne plus concerner que le débiteur en tant
que titulaire du patrimoine soumis à la saisie collective. Pour autant, comment
envisager qu’il puisse payer un créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité
n’est pas opposable ? Ce dernier peut exercer des voies d’exécution sur les biens
échappant à la saisie collective alors qu’il ne peut pas demander paiement à son
débiteur ! On le voit dès lors que la déclaration d'insaisissabilité a été considérée
comme opposable à la procédure et réduisant l’étendue de la saisie collective,
l’effet réel de la procédure collective s’imposait au détriment de son effet
personnel. La procédure collective n’est plus collective car en présence d’un
EIRL, d’une déclaration d'insaisissabilité ou en raison de l’insaisissabilité de la
résidence du débiteur, il existe des créanciers du débiteur emportés par la force
d’attraction de la procédure collective et des créanciers protégés de cette
attraction… Le résultat consiste en un curieux dédoublement de la personnalité
juridique du débiteur à la fois soumis à la procédure et à la fois étranger à la
procédure lorsqu’il est poursuivi par certains de ses créanciers34.

34
Créanciers non professionnels, créanciers à qui la déclaration d'insaisissabilité n’est pas opposable, à
qui la déclaration d’EIRL n’est pas opposable…

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 51

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU
DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Sabrina DELRIEU
Maître de conférences HDR à l'Université de Corse

L’absence de personnalité juridique reconnue à l’entreprise individuelle


conduit à une identification patrimoniale de l’entreprise à son propriétaire
exploitant. Le corollaire est que le gage des créanciers dont le droit est né de
l’exploitation de l’activité économique s’étend, en application des articles 2284
et 2285 du Code civil, à l’ensemble des biens de l’entrepreneur.
Afin de réduire ce risque entrepreneurial, le législateur a imaginé des
mécanismes juridiques visant à exclure du gage des créanciers professionnels,
les biens non professionnels de l'entrepreneur. C’est ainsi qu’il a créé en 2003 la
déclaration notariée d’insaisissabilité1 dont il a élargi le domaine d’application
en 20082, qu’il a introduit en 2015 l’insaisissabilité automatique de la résidence
principale de l’entrepreneur individuel, et qu’il a conçu en 2010 l’EIRL3.
Mais, pour que cette étanchéité patrimoniale soit véritablement efficace, encore
faut-il qu’elle résiste à la procédure collective. Le droit positif a été bâti dans
cette optique puisque la Cour de cassation affirme l’opposabilité de la
déclaration notariée d’insaisissabilité au liquidateur judiciaire4, et l’ordonnance

1
L. n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique.
2
L. n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
3
L. n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limité.
4
Cass. com. 28 juin 2011 (n° 10-15.482), BC IV, n° 109 ; D. 2011, p. 1751, obs. A. Lienhard. Conf.
notamment par Cass. com. 24 mars 2015 (n° 14-10.175), BC IV, n° 56 ; D. 2015, p. 1302, note N.
Borga – Cass. com. 22 mars 2016, (n° 14-21.267), D. 2016, p. 721 – Cass. com. 5 avril 2016 (n° 14-
24.640), D. 2016, p. 837, obs. A. Lienhard.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 53

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

du 9 décembre 2010 limite l’effet réel de la procédure collective d’un EIRL aux
seuls biens, droits et obligations rattachés à l’activité en difficulté5. Partant, la
procédure collective d’un entrepreneur individuel qui a conclu une déclaration
d’insaisissabilité, qui a créé son entreprise après l’entrée en vigueur de la loi
Macron6, ou qui a adopté le statut de l'EIRL appréhende seulement les biens
rattachés à l’exploitation de l’entreprise défaillante. La vocation concomitante à
s’appliquer de ces mécanismes et du droit des entreprises en difficulté révèle
alors incontestablement la notion d’entreprise.

Que devient ce constat lorsque le débiteur est marié ou ne détient sur les
biens de son patrimoine que des droits indivis ?
Le législateur a souhaité maintenir la cohérence du livre VI du Code de
commerce en prévoyant que l’insaisissabilité et le régime de l’EIRL
s’appliquent également aux biens communs et aux biens indivis. Mais
l’élaboration de ces règles est-elle suffisante à parvenir au but recherché ?
Assurément non, et nous ne pouvons pas nous contenter de cet état du droit qui
doit encore évoluer dans la mesure où la question des droits du conjoint sur ses
biens, qu’ils soient propres ou personnels, demeure, de même que celle du sort
non satisfaisant des biens indivis.

L’objet de nos propos est de mettre l’accent sur quelques-unes des


difficultés suscitées par la délimitation du domaine de la saisie collective lorsque
le débiteur est marié ou propriétaire indivis. Précisément, seront envisagés, dans
une première partie, le sort des biens en cas de procédure collective d’un époux
(I) et, dans une seconde partie, le sort des biens indivis en cas de procédure
collective d’un indivisaire (II).

5
Art. L. 680-2 C. com.
6
L. n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite
loi Macron), entrée en vigueur le 8 août 2015.

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SABRINA DELRIEU

I. Le sort des biens en cas de procédure


collective d’un débiteur marié

Le sort des biens en cas de procédure collective d’un débiteur marié résulte
de l’application conjuguée des régimes matrimoniaux et du droit des entreprises
en difficulté. Cela conduit à l’appréhension des biens communs par la procédure
collective (A) et à l’attraction des biens du conjoint in bonis, qu’ils soient
propres ou personnels. Toutefois, cet effet réel de la procédure est en voie
d’évolution (B).

A. L’appréhension des biens communs

Le principe classique d’unité du patrimoine, fondant le périmètre de la


saisie collective, doit être adapté aux hypothèses dans lesquelles le débiteur
partage avec d’autres la propriété d’un ou de plusieurs biens.

La difficulté se concentre sur la détermination des règles applicables.


Tandis que le livre VI du Code de commerce n’a pas énoncé de disposition en ce
sens, le réflexe conduit à se tourner vers le droit civil, qui lui, redéfinit l’assiette
du droit de poursuite des créanciers afin de tenir compte de la pluralité de
propriétaires. L’exécution de la procédure collective est par conséquent
confrontée à la vocation concomitante à s’appliquer du régime matrimonial
légal, à savoir le régime de communauté entre époux, et du droit de l’indivision7.
Précisément, pour le régime de la communauté, ces prescriptions figurent à
l’article 1413 du Code civil. Aux termes de ce texte, il s’avère que le gage
commun des créanciers de chaque époux est étendu aux biens de la
communauté8. Le corollaire lorsque l’un d’eux est soumis à une procédure
collective est l’intégration des biens communs à l’actif de la procédure9.

7
V. infra.
8
Art. 1413 C. civ. : « Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce
soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y est
eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, et sauf récompense due à la communauté
s’il y a lieu. »
9
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser la portée de cette règle lorsque deux procédures sont
ouvertes successivement contre chaque époux respectif. Ella a alors considéré dans un arrêt du 16 mars
2010 (Cass. com. 16 mars 2010, n° 08-13.147) que les biens communs sont intégralement et

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Le problème est alors suscité par le fait que la destination du bien importe peu,
c’est-à-dire qu’il n’est fait aucun cas du point de savoir s’il peut être rattaché à
l’entreprise défaillante, s’il répond à un usage privé du débiteur, voire s’il est
nécessaire à l’exercice de la profession du conjoint in bonis. De même, aucune
importance n’est donnée à l’acquéreur du bien (l’époux débiteur, son conjoint ou
les deux), dès lors qu’en l’absence de déclaration d’emploi de fonds propres
dans l’acte d’acquisition, tout bien acquis à titre onéreux pendant le mariage est
réputé commun. De façon plus exorbitante encore, sont qualifiés de communs
les gains et salaires des époux, et, a fortiori, ceux du conjoint in bonis, ainsi que
les revenus de leurs propres.
De ce point de vue, le traitement des biens communs par le droit des entreprises
en difficulté apparaît comme une limite à la révélation de l’entreprise.

Ce constat persiste même si des techniques telles la déclaration notariée


d’insaisissabilité, l’insaisissabilité légale de la résidence principale et le régime
de l’EIRL peuvent avoir pour objet d’exclure du périmètre de la procédure les
biens communs destinés à un usage privé. Effectivement, ces procédés ne sont
d’aucun secours pour préserver les droits réels du conjoint in bonis de la portée
des procédures collectives.
Pour autant, nous observons depuis quelques années une prise de conscience de
la jurisprudence et de la doctrine, relayées désormais par les pouvoirs publics,
afin de faire évoluer la législation vers une plus grande préservation des droits
du conjoint.

B. L’attraction des biens propres ou personnels du conjoint in bonis

Le livre III du Code civil ne fait aucun cas des effets de la procédure
collective d’un époux sur les biens de son conjoint. En revanche, ces effets sont
organisés par le livre VI du Code de commerce10.
Néanmoins, ces règles sont critiquées car elles renferment deux écueils. D’une
part, elles portent en elles une suspicion de fraude à l’endroit du conjoint qui est

définitivement attraits à la première procédure. Solution confirmée : Cass. com. 26 janv. 2016, n° 14-
13.851 : la clause du contrat de vente aux termes de laquelle le prix serait remis par moitié à chaque
liquidateur est contraire à la règle d’ordre public de répartition du prix de vente et doit, par conséquent,
être déclarée illicite.
10
Section II « Des droits du conjoint » du chapitre IV du titre II, telle qu’elle figurait dans le code lors
de l’entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005.

56 | IFR Actes de colloques N° 30

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SABRINA DELRIEU

présumé être le complice de l’époux débiteur afin de soustraire des biens de


l’actif procédural. D’autre part, leur application spéciale au conjoint est à
l’origine d’une inégalité de traitement du conjoint par rapport aux autres tiers,
qu’ils s’agissent du concubin ou du partenaire civil de solidarité, mais également
des autres membres de la famille, tel par exemple le fils du débiteur à qui la
Cour de cassation n’appliquait pas l’action en rapport11. C’est donc relativement
à ces différents aspects que les prescriptions du livre VI du Code de commerce
sont combattues.

Ce mouvement prend différentes formes.


Une première entaille ressort de la décision du Conseil constitutionnel en date
du 20 janvier 201212 qui, saisi par la Cour de cassation d’une QPC, a déclaré
contraire à la Constitution l’article L. 624-6 du Code de commerce. Ce texte,
désormais abrogé, prévoyait le rapport à la procédure collective de l’époux
débiteur des acquisitions faites par le conjoint dès lors qu’il était établi que les
biens avaient été acquis avec des fonds du débiteur. Le Conseil constitutionnel
justifie sa décision par l’atteinte disproportionnée au regard du but poursuivi que
l’article L. 624-6 porte au droit de propriété du conjoint du débiteur.
Incontestablement, cette décision marque une avancée dans la prise en compte
des droits du conjoint sur ses biens face à l’effet des procédures collectives.
La seconde brèche dans la législation actuelle organisant les droits du conjoint
de l’époux en difficulté résulte de l’initiative de la Cour de cassation qui, dans
ses rapports 2012, 2013 et 2014, invite le législateur à « procéder à un toilettage
ou à un nettoyage des dispositions du code de commerce relatives au statut du
débiteur et notamment du conjoint commun en biens. »13 Dans son rapport de
2015, elle indique que « La direction des affaires civiles et du sceau reconnaît
qu’une réflexion sur les droits du conjoint dans la procédure collective
s’impose, mais fait valoir que les intérêts en présence peuvent être
contradictoires et qu’une réforme nécessite une expertise approfondie »14.
Troisièmement, ce mouvement jurisprudentiel, considéré désormais par les
pouvoirs publics, est encouragé par des voix autorisées de la doctrine qui
cherchent des solutions conduisant à une meilleure préservation des droits du

11
Cass. com. 24 mai 2005 (n° 03-15.813), Gaz. Pal. 5 nov. 2005, p. 52, obs. F. Vauvillé. V. également,
Cass. com. 24 juin 2003, D. 2003, p. 2167, note Ph. Delmotte.
12
Cons. const. n° 2011-212 QPC, 20 janv. 2012 (JO 21 janv. 2012).
13
Rapport 2012, p. 55 ; Rapport 2013, p. 38 ; Rapport 2014, p. 30.
14
Rapport 2015, p. 49.

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

conjoint in bonis. A notre connaissance, deux ensembles de propositions


apparaissent : soit éloigner le conjoint in bonis de la procédure collective15, soit
au contraire, l’attraire dans une procédure unique aux deux époux16.

Fort de ces considérations, il s’avère qu’une évolution prochaine des droits


du conjoint in bonis sur ses biens est tout à fait envisageable.
Pour l’heure, le conseil visant à inciter les futurs mariés ou les personnes
mariées sous le régime légal à adopter le régime séparatiste, doit être
immédiatement suivi de l’avertissement selon lequel le premier réflexe des
heureux époux ne doit pas être d’acquérir un bien ensemble car, alors, le régime
de l’indivision s’appliquera et, si l’un des époux est soumis à une procédure
collective, la déconvenue sera grande.

II. Le sort des biens indivis en cas de


procédure collective d’un indivisaire

Le sort des biens indivis en cas de procédure collective d’un indivisaire est
dicté par le pouvoir d’engagement du débiteur au jour du jugement d’ouverture.
La solution dépend donc des circonstances (A). Lorsque maintenant les biens
indivis sont insaisissables ou ont été affectés à l’exploitation de l’activité en
difficulté, les réponses que nous formulerons relèvent de la supputation dans la
mesure où ces mécanismes ne tiennent pas compte de la spécificité de
l’appropriation indivise. L’incertitude née des imprécisions légales suscite donc
un problème de détermination des règles applicables (B).

15
C. Saint-Alary-Houin, « Il est temps de repenser la situation du conjoint dans les procédures
collectives ! », BJE mars 2016, p. 87 et s. – M.-P. Dumont-Lefrand et C. Lisanti, « Feu l’article L. 624-6
du Code de commerce », Rev. proc. coll. 2012, ét. 8.
16
P. Rubellin, Régimes matrimoniaux et procédures collectives, thèse Strasbourg III, 1999 - F.-X.
Lucas, « L’attraction du conjoint in bonis dans la procédure collective », PA 24 avril 2003, n° 82,
p. 4 et s.

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A. Le sort variable des biens indivis

Lorsque le débiteur ne détient sur un de ses biens ou sur l’ensemble des


biens figurant dans son patrimoine que des droits indivis, le texte servant de
référence à la détermination du gage de ses créanciers, et donc à la fixation du
domaine de la procédure collective, est l’article 815-17 du Code civil17. Ce texte,
d’une part, distingue deux catégories de créanciers – les créanciers de
l’indivision et les créanciers personnels des indivisaires – et, d’autre part, affecte
les biens indivis au paiement des premiers alors qu’il accorde seulement aux
seconds le droit de demander le partage de l’indivision.
En application de ce texte, les biens indivis ne constituent pas le gage commun
des créanciers personnels des indivisaires. Le corollaire, lorsqu’une procédure
collective est ouverte contre un membre de l’indivision, est l’exclusion des biens
indivis de l’actif procédural18.

Néanmoins, dans certains cas, les biens indivis peuvent faire l’objet de la
saisie collective. Il en est ainsi dans deux séries d’hypothèses :
• Lorsqu’au prononcé du jugement d’ouverture de la procédure, ils faisaient
partie du gage commun des créanciers du débiteur19. Ce peut être le cas
lorsque la procédure collective est ouverte avant la naissance de
l’indivision20 et ça l’est assurément en cas de procédure collective post
mortem.

17
Art. 815-17 C. civ. : « Les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût
indivision, et ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis, seront
payés par prélèvement sur l'actif avant le partage. Ils peuvent en outre poursuivre la saisie et la vente
des biens indivis.
Les créanciers personnels d'un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou
immeubles.
Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d'intervenir dans le
partage provoqué par lui. Les coïndivisaires peuvent arrêter le cours de l'action en partage en
acquittant l'obligation au nom et en l'acquit du débiteur. Ceux qui exerceront cette faculté se
rembourseront par prélèvement sur les biens indivis. »
18
V. Cass. 1re civ. 10 juin 2015 (n° 14-14.599), APC 2015-13, n° 205.
19
Cass. 1re civ. 14 juin 2000, D. aff. 2000, n° 26, p. 318, obs. A. Lienhard ; Def. 2001, art. 37320, p. 368
et s., obs. J.-P. Sénéchal - Cass. com. 19 déc. 2000, Def. 2001, art. 37390, p. 943 et s., obs. Ph. Théry -
Cass. com. 18 fév. 2003 (n° 00-11.008), D. 2003, somm. p. 1620 et s., obs. P.-M. Le Corre - Cass. com.
18 févr. 2003 (n° 00-13.100), JCP N 2003, n° 47, p. 1701 et s., note F. Vauvillé.
20
En revanche, il est un cas où la procédure collective ouverte avant la naissance de l’indivision ne
conduit pas à la saisie collective des biens indivis. Il en est ainsi lorsque le débiteur hérite avec d’autres
après le jugement d’ouverture car, dans cette hypothèse, il ne pouvait pas engager les biens indivis au

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

• Lorsque tous les indivisaires sont soumis à une procédure collective unique
puisque, dans ce cas, l’ensemble des quotes-parts indivises est appréhendé.
Il en est ainsi en cas d’extension de la procédure collective d’un indivisaire
à tous ses consorts pour cause de confusion des patrimoines.

L’exclusion des biens indivis de l’assiette du gage commun des créanciers


personnels des indivisaires est inhérente au fait que les indivisaires détiennent
individuellement un complet droit réel sur les biens indivis pour une fraction
seulement. La conjugaison de ces deux éléments est permise grâce à la notion
originale de quote-part indivise. En conséquence, l’exclusion des biens indivis
du gage commun des créanciers personnels des indivisaires s’explique par
l’individualisation des droits des indivisaires au sein de l’indivision ; elle se
justifie donc au regard des règles civiles.
Pour autant, le droit des entreprises en difficulté ne peut se satisfaire de cet état
du droit lorsque le bien indivis est l’entreprise défaillante puisque, dans ce cas,
les objectifs du livre VI du Code de commerce sont tout simplement niés. En
effet, comment peut-on espérer assurer la continuité d’une entreprise et
l’apurement de son passif lorsque celle-ci demeure étrangère à la saisie
collective ?

Qu’en est-il de cette conclusion lorsque les biens indivis sont insaisissables
ou sont affectés à l'exploitation d'une entreprise soumise au statut de l'EIRL ?

B. Les biens indivis insaisissables ou affectés à l’exploitation de l’entreprise


défaillante

Le législateur autorise ou commande l’application de l’insaisissabilité et du


régime de l’EIRL aux biens indivis conformément à ce qu’il prévoit pour les
biens communs21. Ce faisant, il envisage toutes les hypothèses d’appropriation
plurale ; on ne peut que s’en féliciter.

jour de l’ouverture de la procédure (hypothèse visée à l’article L. 641-19, IV C. com.). Aussi, le critère
temporel, à savoir si l’indivision est antérieure ou postérieure à la procédure collective, est en lui-même
insuffisant, encore faut-il que les biens indivis aient pu être engagés par le débiteur lors de l’ouverture de
la procédure collective.
21
Art. L. 526-11 C. com.

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Pourtant, on doit déplorer qu’il n’ait pas tenu compte de la spécificité de


l’appropriation indivise. Effectivement, les biens indivis ont été inclus dans le
périmètre des insaisissabilités et du régime de l’EIRL dans les mêmes conditions
que les biens communs alors que ces deux types d’appropriation plurale
répondent à des régimes absolument différents. Le régime de communauté ne
connaît pas l’individualisation des droits des époux étant donné qu’il leur
confère des droits de gestion concurrente sur les biens communs et étend le gage
de leurs créanciers à l’ensemble de ces biens. Rien de tel en matière d’indivision
puisque son régime est construit à partir de l’individualisation des droits des
indivisaires concrétisée à travers la notion de quote-part indivise.

La conséquence de la non prise en compte de la spécificité des biens indivis


est que les articles L. 526-1 et suivants et L. 526-6 et suivants du Code de
commerce envisagent uniquement le bien indivis comme objet de
l’insaisissabilité et de l’affectation patrimoniale. Or, au cours de l’indivision, les
indivisaires n’ont de droits réels que sur une fraction de ce bien.
Partant, la question se pose du champ d’application de ces mécanismes :
s’appliquent-ils strictement aux biens indivis (tels que les textes le prévoient) ou
peuvent-ils concerner également mais uniquement la quote-part indivise de
l’entrepreneur indivisaire (tel que le régime de l’indivision le permet) ? A priori,
rien ne s’oppose à admettre la seconde possibilité. En revanche, l’insaisissabilité
et l’affectation ne doivent pas obéir aux mêmes règles selon qu’elles visent le
bien indivis dans son intégralité ou seulement la quote-part indivise de
l’entrepreneur. Corrélativement, le périmètre d’une éventuelle procédure
collective de l’entrepreneur indivisaire s’en trouvera nécessairement modifié.

1) Le bien indivis insaisissable22

Il est évident que la déclaration notariée d’insaisissabilité et l’étendue de


l’insaisissabilité légale ne peuvent concerner que la quote-part indivise de
l’entrepreneur individuel pour deux raisons. D’une part, car ce dernier n’a pas de
droit réel sur la quote-part de l’autre membre de l’indivision et, d’autre part, car
l’article L. 526-1 du Code de commerce réserve l’insaisissabilité à la « personne
physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère
professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou
indépendante ». Aussi, pour que le coïndivisaire vérifie ces conditions, il doit
22
Hypothèse de réflexion : deux époux séparés de biens ont acquis ensemble un bien non professionnel.

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

coexploiter l’entreprise individuelle ; sa seule qualité de propriétaire indivis ne


lui permet pas de se prévaloir de l’application de ces règles.
Le domaine ainsi défini de l’insaisissabilité ne concerne toutefois pas
l’hypothèse dans laquelle le bien indivis était auparavant un bien commun entre
époux qui avait été déclaré insaisissable par l’époux entrepreneur puisque
l’insaisissabilité conserve une assiette identique malgré la naissance de
l’indivision post-communautaire. Elle s’étend donc à tout le bien.

Au-delà de ces considérations relatives au domaine de l’insaisissabilité, il


est important de garder à l’esprit que l’article 815-17, alinéa 2 du Code civil
refuse aux créanciers personnels des indivisaires le droit de saisir les quotes-
parts indivises. Par suite, l’insaisissabilité du Code de commerce n’a aucune
utilité au cours de l’indivision, elle ne sera effective qu’après le partage de
l’indivision si le bien insaisissable est attribué à l’époux débiteur23.

2) Le bien indivis affecté

a. L'affectation du bien indivis ou de la quote-part indivise de l’EIRL

L’article L. 526-11 du Code de commerce envisage uniquement


l’affectation de l’ensemble du bien indivis à l’exercice de l’activité
professionnelle de l’EIRL. Or, juridiquement, rien ne s’oppose à ce que l’EIRL
indivisaire n’affecte que sa quote-part indivise. Ainsi, deux hypothèses doivent
être distinguées :
• 1re hypothèse : l’EIRL affecte le bien indivis en son entier, il doit obtenir
pour cela l’accord de son coïndivisaire et l’avoir informé de l’étendue des
droits des créanciers24. Le bien indivis intègre, par conséquent, le
patrimoine affecté.
• 2e hypothèse : l’EIRL décide d’affecter uniquement sa quote-part du bien
indivis, il peut le faire sans avoir à obtenir l’accord de son consort ; les
dispositions de l’article L. 526-11 du Code de commerce n’ont donc pas à
être respectées25.
23
Art. L. 526-3 in fine C. com. Pour un exemple de décision cassant un arrêt d’appel au motif qu’il avait
admis l’action du liquidateur judiciaire en partage de l’indivision alors que l’immeuble indivis avait été
déclaré insaisissable, v. Cass. com. 30 juin 2015 (n° 14-14.757), JCP E 2015, 1608, note C. Lebel.
24
Art. L. 526-11 C. com.
25
Ainsi, dans l’hypothèse où, par exemple, deux époux séparés de biens ont acquis ensemble un
immeuble et exercent séparément une activité professionnelle indépendante, chacun peut affecter sa

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b. L'effet réel de la procédure collective de l’EIRL

Lorsque l’EIRL est soumis à une procédure collective, il est acquis que le
périmètre de la procédure s’étend au patrimoine – affecté ou non affecté –
auquel l’activité en difficulté est rattachée, tel qu’il est composé au jour du
jugement d’ouverture de la procédure26. Partant, deux situations doivent être
identifiées :
• 1re hypothèse : si l’entier bien indivis est affecté à l’activité en difficulté, il
fait l’objet de la saisie collective. Le principe d’exclusion du bien indivis de
la procédure dénoncé il y a un instant ne prospère donc pas dans ce cas.
Néanmoins, ne peut-on pas considérer que l’accord de tous les indivisaires
à l’affectation conduit à un mandat tacite de gestion pour le compte de
l’indivision ? Une réponse affirmative supposerait de reconnaître la qualité
d’exploitant aux coïndivisaires et, à ce titre, reviendrait à les soumettre à
une procédure collective27. Le risque serait par ailleurs accru si le bien
affecté était une entreprise indivise.
• 2e hypothèse : si seulement la quote-part indivise de l’EIRL est affectée,
seule celle-ci doit figurer à l’actif procédural.

En conclusion, il convient de noter que le sort des biens lorsque le débiteur


est marié ou propriétaire indivis est largement dicté par le droit civil. Or, les
règles de droit patrimonial ainsi que les régimes matrimoniaux et le droit de
l’indivision nient la logique du droit moderne des entreprises en difficulté visant
à révéler l’entreprise. Ce faisant, même si les régimes de l’insaisissabilité et de
l’EIRL arrivent partiellement à contrecarrer cette conclusion, la vocation
concomitante à s’appliquer de ces règlementations doit être parfaite. En effet,
alors qu’il est conseillé aux époux dont l’un exerce une activité professionnelle
indépendante de s’extraire du régime de la communauté, il est quasiment
impossible pour des indivisaires de s’affranchir de l’appropriation indivise si ce
n’est en y mettant fin par le partage. La constitution d’une société peut être
envisagée comme une solution, mais pour ceux qui s’y refusent, que faire ?

quote-part indivise du bien immobilier nécessaire ou utile à son activité sans que ne lui soit opposé
l’interdiction de faire entrer un même bien ou une même partie d’un bien dans plusieurs patrimoines
d’affectation.
26
Art. L. 680-2 C. com.
27
Pour la démonstration, v. S. Delrieu, Indivision et procédures collectives, Defrénois, 2010, n° 53 et s.,
p. 45 et s.

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DE QUELQUES LIMITES À LA COHÉRENCE DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

L’affectation patrimoniale de l’entreprise indivise peut constituer une autre issue


mais le danger pour les coïndivisaires mal informés est bien réel.
Ne pourrait-on pas alors faire évoluer la législation et prévoir qu’en cas de
détention indivise d’une entreprise en difficulté, la saisie collective ne se
fonderait plus sur la qualité de propriétaire du débiteur mais sur celle
d’exploitant. Ce faisant, l’obstacle suscité par l’appropriation plurale serait
dépassé puisque l’entreprise indivise serait systématiquement incluse dans l’actif
de la procédure collective ouverte contre un indivisaire. Techniquement, une
mesure légale pourrait énoncer que la procédure collective ouverte contre un
indivisaire s’étend automatiquement à l’ensemble des biens indivis rattachés à
l’exploitation. Des mesures complémentaires devraient en outre perfectionner ce
nouvel état du droit28.
Ainsi, les chances de traiter les difficultés des entreprises indivises seraient
équivalentes à celles des entreprises faisant l’objet d’une propriété unique ou
commune. De surcroît, cette admission abonderait dans le sens de la logique du
droit contemporain des entreprises en difficulté, à savoir qu'il s'agit d'un droit
révélateur de l’entreprise.

28
S. Delrieu, Indivision et procédures collectives, Defrénois, 2010, n° 628, p. 366 et s.

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Entreprise et groupes de sociétés

Philippe ROUSSEL GALLE


Professeur à l’Université de Paris Descartes - Sorbonne Paris Cité,
Membre du CEDAG, Co-directeur de la Revue des procédures collectives

1. Longtemps, en bon juriste, le faillitiste a ignoré le groupe de sociétés ou


plutôt le législateur du droit des faillites l’a ignoré. Le groupe n’a pas la
personnalité morale et notre droit de l’insolvabilité ne traite que l’insolvabilité
des personnes. Pas de personne juridique, pas de procédure collective. Le groupe
n’a donc pas d’existence juridique, il n’existe pas et ne saurait constituer une
entreprise au sens du Livre VI du Code de commerce français. Comme le relève
le Professeur Corinne Saint-Alary-Houin, « les groupes de sociétés ne sont pas
soumis en tant que tels aux procédures collectives étant dépourvus de la
personnalité morale »1. D’ailleurs au lendemain de la mise en place de la
nouvelle procédure de sauvegarde en 2005, à ceux qui soutenaient que cette
procédure ne pouvait être ouverte à l’encontre d’une filiale sans prendre en
compte la situation du groupe, la Cour de cassation a rétorqué que « la situation
de la société débitrice doit être appréciée en elle-même, sans que soient prises
en compte les capacités financières du groupe auquel elle appartient » 2.

2. Dans le même esprit, nous avons tous en mémoire l’arrêt Sodimédical dans
lequel la Cour de cassation a rappelé que dans le cadre d'un groupe de sociétés,

1
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, LGDJ, 10ème éd., 2016, n° 427.
2
Com. 26 juin 2007, n° 06-20.820 ; Bull. civ. IV, no 177 ; D. 2007. AJ 1864, obs. A. Lienhard (2e
esp.) ; ibid. Chron. C. cass. 2764, obs. M.-L. Bélaval ; JCP E 2007. 2120, note J. Vallansan (1re esp.) ;
ibid. 2008. 1207, no 2, obs. Ph. Pétel ; Gaz. Pal. 26-27 oct. 2007, p. 21, note Ch. Lebel ; D. 2008. Pan.
570, obs. F.-X. Lucas ; Dr. sociétés 2007, no 177, note J.-P. Legros (1re esp.) ; Rev. proc. coll. 2007.
223, obs. B. Saintourens ; Defrénois 2007. 1578, obs. D. Gibirila ; Dr. et patr. juill.-août 2008. 103,
obs. C. Saint-Alary-Houin ; RJ com. 2007. 361, note Ph. Roussel Galle.

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ENTREPRISE ET GROUPES DE SOCIÉTÉS

l'état de cessation des paiements doit être caractérisé objectivement, pour chaque
société du groupe considérée individuellement, et que lorsque l'état de cessation
des paiements est avéré, le juge saisi d'une demande d'ouverture d'une procédure
collective ne peut la rejeter en raison des mobiles du débiteur, qui est légalement
tenu de déclarer cet état3. Or précisément dans cette affaire, il s’agissait de la
filiale d’un groupe de sociétés à l’encontre de laquelle les juges du fond avaient
refusé d’ouvrir une liquidation judiciaire.

3. Pour certains, cette absence de personnalité juridique participe de


l’attractivité de notre système juridique. Mais pour le faillitiste, elle soulève
difficulté. En effet, lorsqu’un membre du groupe est en difficulté, il est tentant
de se tourner vers les autres membres et en particulier vers la société mère pour
lui demander ou lui imposer d’apporter une aide à sa filiale ou pour atténuer les
préjudices subis pas ses créanciers ou ses salariés.

4. Dès lors, si le Livre VI du Code de commerce a longtemps ignoré le groupe


de sociétés, la notion a toujours intrigué le droit des procédures collectives, c’est
un peu un empêcheur de tourner en rond… en particulier en raison de
l’autonomie des personnes morales. Et cette autonomie, le droit français des
procédures collectives a tenté par diverses manières de la contourner, avec plus
ou moins de bonheur, conscient de l’importance du groupe et souhaitant dans
certains cas l’assimiler à une entreprise, mais sans le dire ! A vrai dire, la
situation diffère sensiblement selon que le groupe tout entier est en difficulté, ou
qu’une seule de ses filiales est en difficulté, mais aussi selon qu’il s’agit de le
restructurer ou de le liquider en tout ou partie. La situation varie également
sensiblement selon qu’il s’agit d’un groupe international ou à tout le moins
d’une certaine importance, ou d’un groupe plus restreint. On pourrait encore
évoquer l’hypothèse du groupe type LBO, à supposer que ce soit véritablement
là un groupe de sociétés.

3
Com. 3 juill. 2012, n° 11-18.026 ; Bull. civ. IV, no 146 ; D. 2012. Actu. 1814, obs. A. Lienhard ; Rev.
sociétés 2012. 527, obs. L.-C. Henry ; JCP E 2012. 1509, note A. Cerati-Gauthier; ibid. 1757, no 1, obs.
Ph. Pétel ; Dr. sociétés 2012, no 189, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll. 2013, no 6, obs. B. Saintourens ;
Dr. et patr. sept. 2013. 48, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Gaz. Pal. 5-6 sept. 2012, p. 5, obs. Ph.
Demeyere ; Bull. Joly Entrep. diff. 2012. 279, concl. R. Bonhomme et note Ch. Neau-Leduc ; LEDEN
sept. 2012, p. 2, obs. Ch. Delattre; Act. proc. coll. 2012, no 206, obs. L. Fin-Langer ; Dict. perm. diff.
entrep., Bull. no 340, obs. Ph. Roussel Galle.

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5. Mais quel que soit le type de groupe appréhendé, il a longtemps été un


élément perturbateur en droit des entreprises en difficulté. Comment traiter
« quelque chose » qui n’existe pas ? Toutefois, avec son pragmatisme habituel,
le faillitiste ne pouvait se satisfaire de cette situation et après les perturbations
(I), viendront les révélations (II).

I. Perturbations

6. Ces perturbations qui pour la plupart sont bien connues, se sont traduites
essentiellement par les tentatives de contournement de la notion de groupe (A)
mais aussi par les tentatives de recherche de la responsabilité des membres du
groupe (B).

A. Tentatives de contournement par le recours à des mécanismes correcteurs

7. Le contournement le plus spectaculaire est sans doute l’extension pour


confusion des patrimoines ou fictivité. Cette technique, même si elle n’est pas
réservée au groupe de sociétés est souvent appliquée dans ce cadre ou du moins
son application est-elle recherchée. Nous ne nous étendrons pas sur les critères
de la confusion des patrimoines, pour nous limiter à rappeler que des flux
financiers anormaux, on pourrait même dire très anormaux, doivent être
caractérisés. Si les critères sont remplis, le droit des procédures collectives
contourne l’indépendance des personnes morales composant le groupe. En effet,
il n’y aura alors qu’une seule procédure, un peu comme s’il n’y avait qu’une
seule entreprise, même si les personnes morales des sociétés subsistent ce qui est
tout de même assez paradoxal et ce qui doit poser quelques difficultés pratiques,
mais cette question dépasse notre propos. Après la loi de 2005 qui a consacré
légalement cette cause d’extension, les ordonnances de 2008 et 2014 ont précisé
les personnes ayant qualité pour agir en extension au rang desquelles on trouve
bien sûr les organes de la procédure, mais aussi depuis 2014, le débiteur4. Cette
dernière innovation peut surprendre, mais elle manifeste à notre avis la
dimension économique de cette technique de contournement de l’indépendance

4
C. com., art. L. 621-2, al. 2.

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ENTREPRISE ET GROUPES DE SOCIÉTÉS

des personnes morales. Il ne s’agit en effet pas de sanctionner l’entreprise cible,


tout comme il n’est pas nécessaire de rechercher si les relations financières
anormales « ont augmenté, au préjudice de ses créanciers, le passif du débiteur
soumis à la procédure collective dont l'extension est demandée »5, mais de faire
coïncider la réalité juridique avec une situation économique de fait6.

8. Force est toutefois de constater que l’outil, s’il peut paraître très
performant, est d’une utilisation difficile. La Cour de cassation a en effet au fil
du temps, strictement encadré les conditions de son utilisation, à tel point que les
actions en extension aboutissent de plus en plus rarement à tout le moins dans
les groupes importants et bien structurés. En outre, cette action n’est applicable
qu’en droit interne7. Il est vrai que les effets de l’outil sont si redoutables qu’il
ne peut être admis que de manière exceptionnelle.

9. Une autre technique, plus récente consiste dans la théorie du coemploi,


mais là encore nous ne étendrons pas, ce d’autant que la chambre sociale a tout
de même fini par restreindre considérablement le recours à cette théorie.

B. Tentatives de contournement par le recours à des actions en responsabilité

10. On songe bien sûr à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif qui
là encore ne vise pas le groupe mais a pu être utilisée pour contourner
l’autonomie des personnes morales du groupe. La Cour de cassation elle-même,
avait d’ailleurs invité avec une certaine subtilité à recourir à cette action plutôt

5
Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-10.187 ; D. 2015. Actu. 1366, obs. A. Lienhard ; JCP E 2015. 1422, no
1, obs. Ph. Pétel ; Dr. sociétés 2015, no 155, comm. J.-P. Legros ; Gaz. Pal. 18-20 oct. 2015, p. 27, obs.
Fl. Reille ; Bull. Joly Entrep. diff. 2015. 282, note L. Le Mesle ; Rev. sociétés 2015. 545, obs. Ph.
Roussel Galle.
6
V. sur ce point, C. Saint-Alary-Houin, Les effets de la confusion des patrimoines et de la fictivité des
sociétés en redressement judiciaire, Mélanges Jeantin, Dalloz 1999, p. 453.
7
CJUE, 1re ch., 15 déc. 2011, aff. C-191/10 : D. 2012, p. 403, note J.-L. Vallens ; D. 2012, p. 406, note
R. Damman et D. Müller ; Rev. sociétés 2012, p. 189, obs. Ph. Roussel Galle ; LEDEN 2/2012, p. 6,
obs. F. Mélin ; BJE 2012, n° 53, note L.-C. Henry ; Rev. sociétés 2012. 313, note N. Morelli ; JCP E
2012. 1227, no 1, obs. Petel ; Dr. sociétés 2012, no 127, note J.-P. Legros ; Bull. Joly 2012. 576, note N/
Borga ; Rev. proc. coll. 2012. Étude 2, note M. Menjucq ; Europe 2012, no 14, obs. L. Idot ; Rev. proc.
coll. 2012. Comm. 185, obs. Th. Mastrullo Solution qui a été reprise par la Cour de cassation ; Cass.
com., 10 mai 2012, no 09-12.642, BJE 2012, 243, obs. L.-C. Henry ; D. 2012. 1803, note F. Jault-
Seseke ; LEDEN juin 2012, p. 7, obs. Mélin ; RJDA 2012, no 705 ; Rev. sociétés 2012, p. 529, obs. Ph.
Roussel Galle.

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qu’à l’action en extension pour confusion des patrimoines, dans le célèbre arrêt
Métaleurop8. Pour autant, cette action est difficile à mettre en œuvre,
compliquée et en définitive mal adaptée, ne serait-ce que parce qu’elle suppose
de démontrer que la société mère est dirigeante de fait. Or là encore, une telle
qualification ne peut qu’être exceptionnelle à peine de remettre en cause la
notion même de groupe ou du moins, le principe d’indépendance juridique des
entités qui le composent. Bref, il s’agit d’une action en responsabilité qui ne doit
pas être dévoyée dans le seul objectif de trouver une personne solvable qui
pourrait prendre en charge le passif de la filiale.

11. Un peu dans le même esprit, on peut citer la loi Petroplus du 12 mars 20129
qui a notamment introduit une nouvelle action en responsabilité dans le cadre du
redressement judiciaire, fondée sur une faute du dirigeant ayant contribué à la
cessation des paiements du débiteur10. Le contexte du vote de cette loi, loi de
circonstances s’il en est, était précisément de rechercher la responsabilité de la
société mère dans le groupe Prétroplus11. Toutefois, au-delà de la question de la
qualification de la faute, très exactement comme pour l’action en responsabilité
pour insuffisance d’actif, il faut également démontrer que la société mère est
dirigeante de fait, ce qui est loin d’être aisé. Bref, là encore l’instrument ne
semble guère efficace, à tel point que nous n’avons pas d’exemple de mise en
œuvre !
12. Cette loi ne s’est toutefois pas limitée à instaurer une nouvelle action en
responsabilité. Elle a également mis en place la possibilité de prononcer des

8
Dans cet arrêt tout en rejetant la demande en extension pour confusion des patrimoines, la Cour de
cassation ajoute que l’arrêt confirmé ne statuait pas sur le fondement de l’action en responsabilité pour
insuffisance d’actif : Cass. com., 19 avril 2005, n° 05-10.094 : D. 2005. AJ 1225, obs. A. Lienhard ;
ibid. Pan. 2013, obs. F.-X. Lucas ; Bull. Joly 2005. 690, note C. Saint-Alary-Houin ; Dr. sociétés 2005,
no 133, note J.-P. Legros ; Rev. proc. coll. 2005. 239, obs. M.-F. Dumont ; Gaz. Pal. 4-5 nov. 2005, p. 3,
note Ch. Lebel.
9
L. n° 2012-346, 12 mars 2012, relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de
sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l'objet.
10
C. com., art. L. 631-10-1.
11
V. notamment, G. Teboul, La nouvelle loi sur les mesures conservatoires en matière de procédures
collectives : une loi de circonstances ou une sanction préventive ? LPA 2 mars 2012, p. 5 ; F. Pérochon,
De la mesure dite conservatoire à l'exécution sommaire anticipée ? : BJE mars 2012, p. 73, n° 72 ; M.-P.
Dumont-Lefrand et C. Lisanti, Le législateur des cas particuliers... : Act. proc. coll. 2011-7, comm. 96 ;
Fl. Reille, Des mesures conservatoires pour sauver le monde ou n'est pas Robin des bois qui veut... : Dr.
et proc. 2012, cah. dr. entr. en diff. n° 1, p. 2 ; P.-M. Le Corre, De la préservation des barils à la
conservation des dollars : Gaz. Pal. dr. entr. en diff. 27-28 avr. 2012, éditorial, p. 3 ; Ph. Roussel Galle,
La loi Pétroplus : quelques réflexions … avec un peu de recul, Rev. proc. coll. mai 2012, étude n° 16.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 69

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mesures conservatoires à l’encontre d’une entreprise contre laquelle une action


en extension pour confusion de patrimoines est initiée12. Cette possibilité, qui
existait déjà en cas d’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, a
assurément pour objectif de préserver les actifs de la société mère pour le cas où
l’action en extension aboutisse. Mais peut-être peut elle aussi constituer un
élément de pression ou de négociation avec la mère pour qu’elle prenne en
charge au moins en partie le passif de la fille. Quoi qu’il en soit, là encore,
l’effet escompté ne semble pas avoir été atteint et cette mesure, à supposer
qu’elle ait été utilisée, ne l’a été que très exceptionnellement. Enfin pour être
complet, on pourrait citer la prise en compte de la responsabilité des sociétés
mères ou grand mères en matière environnementale par la loi Grenelle II de
2010.

13. Ces techniques peuvent aboutir à perturber la notion de groupe, elles ne


constituent pas vraiment des techniques de traitement global des difficultés du
groupe de sociétés. Elles s’apparentent plus à des mécanismes correcteurs plus
ou moins heureux et plus ou moins efficaces, mais rien de plus. Bref, elles
perturbent la notion de groupe sans révéler une entreprise en tant que telle.

II. Révélations

14. Sauf exceptions, le principe de l’autonomie de la personne morale conduit à


l’ouverture d’une procédure collective par société membre du groupe. Et chaque
procédure collective est totalement indépendante avec des intérêts
éventuellement distincts, ce qui n’est guère satisfaisant, qu’il s’agisse de
restructurer ou de liquider tout ou partie du groupe.
In fine, le législateur s’est enfin intéressé à la question, en apportant deux types
de réponses, en mettant en place d’une part des règles de compétences
juridictionnelles applicables au groupe (A) et d’autre part, des règles permettant
de coordonner les procédures des membres du groupe (B).

12
C. com., art. L. 620-1.

70 | IFR Actes de colloques N° 30

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PHILIPPE ROUSSEL GALLE

A. Les règles de compétences juridictionnelles révélatrices du groupe de


sociétés

15. Jusque récemment, le seul dispositif existant était celui du dépaysement de


la procédure. Sur ce point, on se limitera à rappeler que ce dépaysement peut
intervenir lorsque les intérêts en présence le justifient13 mais aussi que, depuis
l’ordonnance de 2014, le renvoi n’a plus à être opéré devant une juridiction « de
même nature » ce qui permet de traiter des groupes comprenant des SCI et des
sociétés d’exploitation. De surcroît, la possibilité de solliciter la délocalisation la
procédure auparavant réservée au président du tribunal et au ministère public est
désormais ouverte au débiteur et à un créancier poursuivant. Pour autant, encore
faut-il démontrer que les intérêts en présence justifient cette délocalisation, ce
qui a pu dans certains cas être admis, sans que cela puisse constituer une règle
de principe.

16. Il aura donc fallu attendre la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 modifiant
l’article L. 662-8 du Code de commerce, pour disposer de véritables règles de
compétence dérogatoires en vue de permettre un regroupement procédural des
procédures ouvertes à l’encontre des sociétés du groupe. Sans entrer dans les
détails, le tribunal qui a ouvert une procédure collective à l’encontre d’une
société d’un groupe est désormais compétent pour la procédure collective des
autres sociétés du groupe, sous réserve de vérifier les conditions de détention et
de contrôle, au sens des articles L. 233-1 à L. 233-3 du Code de commerce.

17. Parallèlement, la création des Tribunaux de commerce spécialisés a elle


aussi abouti à un regroupement procédural dans le cadre des groupes puisqu’ils
sont notamment compétents pour connaître des procédures ouvertes à l’encontre
des sociétés membres d’un groupe dès lors que le nombre de salariés de
l’ensemble du groupe est égal ou supérieur à 250 et que le montant net du chiffre
d’affaires de l’ensemble est d’au moins 20 millions d’euros14.

18. La combinaison de ces deux dernières innovations, permet d’affirmer qu’il


existe désormais une possibilité d’appréhender le groupe au moins dans une
approche procédurale. On peut s’en féliciter, mais sans doute peut-on également
regretter que le législateur français ne soit pas allé au-delà ce d’autant qu’il

13
C. com., art. L. 662-2 ; R. 662-7.
14
C. com., art. L. 721-8, 1., c.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 71

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ENTREPRISE ET GROUPES DE SOCIÉTÉS

l’avait fait, le temps d’un instant. En effet, l’ordonnance du 12 mars 2014


prévoyait la désignation d’un administrateur et d’un mandataire judiciaire
commun dans les groupes de sociétés ajoutant qu’il pouvait leur être confié une
mission de coordination. Cette innovation aura été de courte durée puisqu’elle a
été abrogée par la loi du 6 aout 2015 précitée pour se voir substituer comme
nous l’avons vu, une possibilité de regroupement procédural des sociétés. En
contrepartie, cette même loi a institué la désignation obligatoire d’un deuxième
administrateur et d’un deuxième mandataire judiciaire dans certains groupes
importants15. S’il n’est donc plus fait référence à une mission de coordination, à
tout le moins peut-on imaginer que cette double désignation pourra permettre
dans un groupe, de désigner un mandataire de justice commun à toutes les
sociétés du groupe. Même s’il ne bénéficie pas d’une mission de coordination, a
tout le moins aura-t-il une vision globale de la situation du groupe ce qui devrait
être fort utile.

19. Quoi qu’il en soit, que l’on se situe sur le terrain procédural ou sur celui de
la désignation des administrateurs et mandataires judiciaires, ces innovations
révèlent effectivement la prise en compte du groupe de sociétés en tant que tel
par le droit des procédures collectives. Mais le droit français apparaît bien timide
sur ce point en contemplation du droit européen.

B. La coordination des procédures, révélatrice du groupe de sociétés … en


droit européen

20. Si comme nous l’avons vu, le droit français a l’espace d’un instant prévu la
possibilité de désigner des praticiens de l’insolvabilité coordonnateurs dans les
groupes de sociétés mais s’est pour l’heure limité à des dispositifs procéduraux,
il en va bien différemment en droit européen. Alors que le règlement n°
1346/2000 du 29 mai 2000 sur les procédures d’insolvabilité était silencieux sur
les groupes de sociétés, son successeur, applicable à partir du 26 juin 201716, a
sensiblement innové en la matière, pour ne pas dire qu’il a accompli une
« petite » révolution. Un nouveau chapitre, le Chapitre V, est désormais
entièrement consacré aux « procédures d’insolvabilité concernant des membres
d’un groupe de sociétés », pour reprendre l’intitulé de ce chapitre. Comptant

15
Pour les seuils qui sont d’ailleurs assez complexes, v. C. com., art. L. 624-4-1.
16
Règlt UE n° 2015-848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, JOUE L. 141, 5 juin.

72 | IFR Actes de colloques N° 30

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PHILIPPE ROUSSEL GALLE

plus d’une vingtaine d’articles qu’il est donc exclu de commenter ici, ce
nouveau texte met tout d’abord en place des règles de coopération et de
communication entre les praticiens de l’insolvabilité désignés dans les
procédures visant les membres du groupe. Il va même jusqu’à prévoir des règles
de coopération et de communication entre les juridictions connaissant des
membres du groupe. Mais surtout, il permet l’ouverture d’une procédure de
coordination collective afin de faciliter la gestion des procédures ouvertes à
l’encontre des membres du groupe. Bref, comme le relève le Professeur Corinne
Saint-Alary-Houin, il s’emploie à « favoriser un traitement global des difficultés
des groupes de sociétés »17 et nous nous permettrons d’ajouter, enfin !

21. Au-delà du droit européen, on peut également citer la loi type CNUDCI en
cours d’élaboration, afin de faciliter les procédures d’insolvabilité internationale
visant des groupes d’entreprises internationaux. Au-delà des possibilités
envisagées par ce texte de permettre une coordination dans le traitement des
difficultés du groupe de sociétés, il participe assurément de la prise en compte
du groupe de sociétés par le droit des entreprises en difficultés.

22. En conclusion, c’est bien à une révélation que nous assistons, et le


mouvement est général, ne se limitant pas au droit interne. Il est à noter toutefois
que ces innovations, à tout le moins en droit interne, prennent soin de ne pas
interférer avec la définition du groupe, renvoyant sur ce point au Livre II du
Code de commerce. Bref, après avoir perturbé la notion de groupe de sociétés, le
droit des entreprises en difficulté la révèle, mais avec prudence et pragmatisme.

17
C. Saint-Alary-Houin, op. cit., n° 1523.

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II. Entreprise, creuset d'intérêts

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Les salariés

Laurence FIN-LANGER
Professeur agrégé, Normandie Université, Unicaen,
Institut Demolombe, EA 967

Un grand merci aux organisateurs de ce colloque de m’avoir invitée pour


fêter ce bel anniversaire et pour rendre hommage au professeur Corinne Saint-
Alary Houin qui m’a permis de participer à une très belle aventure, avec
beaucoup d’humanité et qui, avec d’autres, et alors que je n’étais pas sa
thésarde, m’a donné l’occasion d’entrer dans cette belle famille « des
faillitistes » en tant que « cousine normande ».

Le droit des entreprises en difficulté est-il un droit révélateur de


l’entreprise, vue comme un creuset d’intérêts divers ? Lorsqu’elle fait l’objet
d’une procédure collective, plusieurs intérêts apparaissent : celui des créanciers
qui souhaitent être payés, celui des partenaires qui souhaitent conserver leur
partenariat, celui du débiteur qui ne souhaite pas voir sa situation personnelle
impactée par cette procédure, celui de l’entreprise en difficulté dont l’objectif est
de survivre, tout en apurant tout ou partie de son passif et en se restructurant et
enfin celui des salariés. Les intérêts de ces derniers sont hétérogènes : chaque
salarié pris isolément a un intérêt d’être payé de ses créances, de conserver son
emploi, ses conditions de travail et en cas de licenciement inévitable d’obtenir
des indemnités les plus élevées et d’assurer son reclassement pour lui permettre
de retrouver un emploi. Pris collectivement, l’intérêt des salariés est alors de
participer à la procédure collective et de défendre l’intérêt collectif de tous les
salariés en préservant un maximum d’emploi. Le rôle des institutions
représentatives, chargées de défendre l’intérêt collectif, est alors d’homogénéiser
les intérêts individuels des salariés. A priori, ces intérêts divergent et sont
irréconciliables. Pourtant émerge du droit des entreprises en difficulté la notion

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 77

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LES SALARIÉS

d’entreprise, entendue comme une institution1 et définie comme une cellule


économique et sociale regroupant des facteurs humains et matériels organisés en
vue d’une activité économique et ayant pour but de préserver l’intérêt de
l’entreprise, au-delà des intérêts antagonistes2.

En effet, la loi du 25 janvier 1985, même si des prémices existaient déjà


dans la loi du 13 juillet 1967, opère tout d’abord clairement la distinction entre
le débiteur et l’entreprise, leur sort étant désormais différencié. Elle reprend
ainsi une idée avancée par Michel Despax et dont l’une des principales
manifestations historiques est la loi de 1928 organisant le transfert des contrats
en cas de cession d’entreprise3. Cette distinction est poussée à son paroxysme
grâce à la cession de l’entreprise imposée au débiteur4. Elle donne également
désormais à la procédure collective des objectifs hiérarchisés : sauver
l’entreprise, maintenir l’activité et l’emploi et apurer le passif. Dans ce contexte,
les salariés sont reconnus comme de véritables partenaires de l’entreprise en
difficulté, à côté de leur casquette de créanciers. M. Badinter, lors des travaux
parlementaires de la loi de 1985, indiquait : « quant aux salariés, ils étaient
jusqu’à présent ignorés : sujets – je pourrais presque dire objets – de la
procédure, ils ne pouvaient se faire entendre qu’à la faveur ou à l’occasion de
mouvements sociaux (…). Grâce à ce projet, ils sont partie à la procédure : ils
peuvent intervenir à tous les stades et ils sont traités en citoyens de
l’entreprise »5. Les réformes ultérieures renforcent un peu plus cette

1
M. Despax, L’entreprise et le droit, Thèse, Toulouse, LGDJ, 1956 : n° 242 et s. : « juridiquement,
l’entreprise n’est ni uniquement une cellule sociale, ni uniquement une cellule économique, mais elle est
tout à la fois l’une et l’autre. Il ne nous suffit pas toutefois d’avoir ainsi précisé les éléments constitutifs
de l’entreprise pour avoir de la structure de cette dernière une connaissance complète. Comme dans tout
organisme social, le but économique poursuivi dans l’entreprise ne peut être atteint sans qu’une
organisation particulière ne coordonne l’activité de ce groupement humain et lui permette d’atteindre
ainsi les fins qui sont les siennes ».
2
Il existe un lien entre la théorie institutionnelle de l’entreprise et l’existence d’un intérêt propre à
l’entreprise : P. Durand, La notion juridique d’entreprise, Travaux de l’Association H. Capitant, T3,
1948, p. 45 à 60. – G. Couturier, L’intérêt de l’entreprise, in Les orientations sociales du droit
contemporain, écrits en l’honneur du professeur Jean Savatier, 1992, p. 146. Cette idée d’entreprise
institution ou organisation va au-delà de la définition réduisant l’entreprise à une simple activité, un
regroupement de moyens en vue d’exercer une activité économique et autonome, même si le but n’est
pas nécessairement lucratif : M. Mercadal, La notion d’entreprise, in Les activités et les biens de
l’entreprise, Mélanges offerts à J. Deruppé, p. 11 et 12.
3
M. Despax, op. cit., n° 238 et s.
4
P.M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, 2017-2018, n° 042-51.
5
R. Badinter, Garde des sceaux, JOAN CR 10 avril 1984, 3ème séance, p. 1413.

78 | IFR Actes de colloques N° 30

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LAURENCE FIN-LANGER

participation des salariés, en prenant toujours davantage en compte leurs


intérêts. Il convient donc d’étudier en premier lieu de la divergence des intérêts
distincts à leur conciliation puis en second lieu vers une véritable convergence
de ces intérêts, donnant la même direction, reflétant ainsi le fait que l’entreprise
représente une entité économique ayant ses intérêts propres au-delà des intérêts
antagonistes.

I. De la divergence des intérêts distincts à leur conciliation

Faute de dispositions spécifiques, le Code du travail a vocation à


s’appliquer de la même manière que l’entreprise soit in bonis ou qu’elle soit en
difficulté. Cependant, cette hypothèse est de moins en moins fréquente, le Code
de commerce prévoit des adaptations pour rendre conciliables ces intérêts
distincts.

A. Une divergence d’intérêts encore irréconciliables

Cette divergence d’intérêts se manifeste parfois par la primauté de l’intérêt


de l’entreprise en difficulté sur celui des salariés. Il en est ainsi en cas de nullité
de la période suspecte. Ont été annulés un contrat de qualification en raison du
nombre limité et légal des causes de rupture 6 ou un contrat de travail dans lequel
le salaire était manifestement disproportionné avec le service rendu et les
moyens de l’entreprise7, alors que le principe de liberté contractuelle valide ce
contrat lorsque l’entreprise est in bonis et qu’il est dans l’intérêt du salarié
d’avoir le salaire le plus élevé. Le plus souvent, cette divergence se traduit par la
primauté de l’intérêt particulier d’un salarié sur la situation générale de
l’entreprise, au nom de sa nécessaire protection. Cette primauté résulte
notamment de l’architecture des textes : faute de dérogation particulière dans le
Code du travail ou dans le Code de commerce, le régime continue de
s’appliquer, peu importe la situation particulière de l’entreprise. Il en est ainsi
par exemple de l’impossibilité de licencier une femme enceinte ou du régime

6
Cass. soc., 29 oct. 2002, n° 00-45.612, APC 2003, n° 102. Cass. soc., 15 juin 2004, n° 02-41.623, D.
2004, 2158. – Cass. soc., 22 sept. 2011, n° 10-14.036, APC 2011, n° 253.
7
Cass. soc., 20 mai 1992, n° 90-44.061, Bull. civ. V, n° 92.

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LES SALARIÉS

protecteur du salarié victime d’un accident du travail8. Il en résulte alors un


conflit entre deux intérêts opposés : celui de l’entreprise en difficulté qui doit
parfois procéder à des compressions d’effectifs et celui de ce salarié particulier.

Cette logique de conflit risque de conduire à un contentieux devant le


Conseil des prud’hommes, qui reste compétent malgré l’ouverture d’une
procédure collective9. Or, il ne prend en compte ni la dimension collective de la
situation, étant juge des conflits individuels, ni la portée financière de sa
décision sur la situation de l’entreprise. Aucun aménagement des sanctions n’a
été prévu. Le montant de ces indemnités versées aux salariés dépend du
préjudice subi par ce dernier, même si un système de forfaitisation ou de
référentiel existe en fonction de critères concernant le salarié comme son
ancienneté, sa situation de demandeur d’emploi, mais non en fonction de
l’existence d’un dépôt de bilan10.

Parfois, cette absence de conciliation entre intérêts divergents aboutit à des


solutions totalement inefficaces et contreproductives pour l’ensemble des
parties prenantes. Ainsi, le TGI de Valenciennes a converti un redressement
judiciaire en liquidation, en raison des difficultés soulevées par une offre de
reprise. Le repreneur souhaitait modifier les contrats de travail des salariés repris
pour les passer à temps partiel. Cette possibilité suppose l’accord des salariés
donné individuellement et non collectivement. Les salariés ayant tous refusé, le
tribunal ne pouvait que rejeter l’offre, puisqu’elle ne pouvait plus être modifiée
et ne pouvait que prononcer la liquidation judiciaire. L’intérêt individuel des
salariés prive donc la procédure collective et l’entreprise d’une solution qui
aurait pu satisfaire la plupart des intérêts, au prix d’un éventuel sacrifice : celui
des créanciers qui auraient pu être désintéressés dans de meilleures conditions
grâce à un prix de cession sérieux même s’il était insuffisant, celui de
l’entreprise qui perdurait au moins en partie et celui des salariés repris, mais à
des conditions différentes11.

8
Voir par exemple pour une femme enceinte pendant la période de suspension de son contrat : Cass.
soc., 19 mars 2008, n° 07-40.599, APC 2008, 168. – CA Limoges, 16 janv. 2017, 16/00300.
9
C. trav., art. L. 1411-1 et s. – Cass. soc., 3 oct. 1989, n° 88-42.835, Bull. civ. V, n° 559.
10
E. Serverin, Forfaits, minima, maxima, référentiels : les outils de la maîtrise des indemnités de
licenciement sans cause réelle et sérieuse, RDT 2016, p. 634.
11
TGI. Valenciennes, 26 mars 2015, n° 14/03278, RPC 2015, comm. 58

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LAURENCE FIN-LANGER

S’il est nécessaire et légitime de protéger les intérêts de chacun, cela n’est
possible qu’au regard de la conciliation avec les autres intérêts.

B. Une divergence d’intérêts à la recherche d’une conciliation

Lorsque l’entreprise est in bonis, la notion de l’intérêt de l’entreprise sert de


principe d’action ainsi que d’instrument de mesure et de contrôle de certaines
décisions de l’employeur12, comme le pouvoir disciplinaire13 ou par exemple en
matière de changement des conditions de travail14. La Cour de cassation rappelle
cependant que l’employeur est le seul juge de l’opportunité des décisions à
prendre15. Lorsqu’elle fait l’objet d’une procédure collective, il s’agit de trouver
des mesures particulières pour protéger les intérêts individuels des salariés, en
tant que membre d’une communauté de travailleurs, sans pour autant remettre en
cause les mesures nécessaires au sauvetage de l’entreprise, pour établir un
« équilibre interne » à l’entreprise16.

Ainsi, le représentant des salariés a été mis en place par la loi de 1985 pour
épauler le mandataire dans l’établissement des relevés des créances salariales. Il

12
G. Couturier, L’intérêt de l’entreprise, in Les orientations sociales du droit contemporain, Mélanges
en l’honneur de J. Savatier, 1992, p. 150 et s. - M. Despax, op. cit. n° 200 et s.
13
G. Couturier, op. cit., p. 148. M. Despax démontre qu’une ordonnance du 2 novembre 1945 allait
déjà dans ce sens pour le pouvoir réglementaire (n°205) et en matière disciplinaire grâce à la
jurisprudence (n° 215 et s.).
14
B. Teyssié, L’intérêt de l’entreprise, aspects de droit du travail, D. 2004, p. 1680. M. Despax
démontre que ces solutions jurisprudentielles sont anciennes et datent des années 30 : n° 209 et s. il
souligne également (n° 212 et s.) que même avant la réforme de 1973 relative au licenciement imposant
l’existence d’une cause réelle et sérieuse, la Cour de cassation avait certes reconnu le droit de licencier
mais dans l’intérêt de l’entreprise : Cass. civ. 20 décembre 1954, Bull. civ. p. 611 : « l’employeur est en
droit de rompre à tout moment un contrat de travail à durée indéterminée, lorsqu’il agit dans le seul
intérêt de son entreprise ».
15
Arrêt SAT, Ass. Plén. 8 déc. 2000, n° 97-44.219, DS 2001, p. 126 ; RJS 2001, p. 95 ; DS 2001,
p. 417 ; D. 2001, p. 1125 ; solution confirmée : Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-40.046, JCP soc. 2009,
1479, RDT 2009, p. 584 ; Cass. soc., 14 sept. 2010, n° 09-66.657, JCP soc. 2010, 1455. Il s’agit d’une
jurisprudence ancienne : Cass. civ., 26 janv. 1932, G.P. 1932-1, 621 et les arrêts cités par M. Despax, n°
208. Il est notamment « seul juge des moyens propres à sauvegarder les intérêts de son entreprise,
étroitement mêlés à ceux de son personnel, lorsqu’ils se trouvent menacés par une crise économique
dont les phases et l’évolution peuvent déjouer toutes les prévisions » : Cass. civ., 21 mars 1932, DH
1932, p. 250.
16
M. Despax, op. cit., n° 274 et s.

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LES SALARIÉS

s’agit d’un intermédiaire permettant de défendre par anticipation les intérêts


individuels et financiers de chacun des salariés en l’associant très vite dans la
procédure collective, pour éviter un contentieux ultérieur devant le conseil des
prud’hommes, compétent en cas de contestation de ce relevé des créances
salariales.

De même, depuis 1973, l’AGS vient payer les dettes salariales dans des
conditions de plus en plus larges : les salariés sont donc payés d’une partie
importante de leurs dettes, sans que ce paiement n’affecte dans un premier temps
la trésorerie de l’entreprise, l’intervention de l’AGS n’étant possible qu’à défaut
de fonds disponibles. La diversité du régime des créances dues aux salariés va
dans le sens d’une recherche d’un compromis : si celles ayant le caractère de
créances alimentaires méritent un traitement particulier, les autres peuvent être
soumises à un régime proche de celui des autres créanciers et peuvent par
exemple faire l’objet de remises ou de délais imposés dans le plan de sauvegarde
ou de redressement17.

Enfin en termes de licenciement également, les juridictions sociales ont pris


conscience de ces enjeux et viennent tempérer leurs solutions au nom de la
proportionnalité voire du pragmatisme. La Cour de cassation a ainsi assoupli sa
jurisprudence relative à un salarié victime d’un accident du travail, le liquidateur
n’étant plus tenu d’organiser l’examen de reprise ni même de le reclasser à son
retour de congé maladie lorsque le reclassement s’avère matériellement
impossible18, ainsi que celle relative à la femme enceinte qui peut être licenciée
dès lors qu’il n’y a aucune reprise d’activité 19. De même, les textes du Code de
commerce ont aménagé la procédure du licenciement économique pour tenter de
concilier ces deux intérêts. Ils ne sont valables que s’ils sont nécessaires à la
réussite du plan20 ou s’ils sont urgents, inévitables et indispensables, pendant la
période d’observation ou le maintien provisoire de l’activité suivant un jugement
de liquidation21. Le simple fait d’ouvrir une procédure collective ne suffit donc

17
C. com., art. L. 626-20 et L. 631-19 : le plan ne peut imposer des remises et des délais en matière de
créances garanties par le privilège ou le superprivilège. - B. Amizet et L. Fin-Langer, Le particularisme
des créances salariales, BJED janv. 2017, p. 51.
18
Cass. soc., 9 déc. 2014, n° 13-12.535, APC 2015, n° 25.
19
Cass. soc., 17 oct. 2012, n° 11-22.123, APC 2012, n° 305.
20
TC Versailles, 17 nov. 1986, RPC 1987, n° 3, p. 33.
21
C. com., art. L. 631-17. - D. Jacotot, Les licenciements dans l’entreprise en difficulté, Cah. Soc. 1er
septembre 2015, n° 277, p. 473.

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pas pour justifier ces licenciements, alors même que les difficultés rencontrées
caractérisent un état de cessation des paiements et pourraient donc être
considérées comme constituant une cause réelle et sérieuse. Le juge-
commissaire ou le tribunal de commerce lorsqu’il adopte le plan de
redressement ou de cession pourrait se prononcer expressément sur la possibilité
de licencier un salarié bénéficiant d’un statut protecteur, en expliquant en quoi
cette rupture est nécessaire malgré la suspension de son contrat de travail. Sont
maintenues l’obligation de reclassement et l’exigence de mettre en place un
PSE. La Cour de cassation22 et les juridictions administratives depuis qu’elles
sont compétentes dans le contentieux des PSE, apprécient leur validité
globalement au regard des objectifs de maintien de l’emploi et du reclassement
mais aussi des moyens dont dispose l’entreprise, moyens nécessairement
restreints en cas de procédure collective23 et appréciés dans le périmètre de la
seule entreprise depuis la loi Macron24. L’idée de proportionnalité vient donc
limiter les exigences de cette obligation de reclassement.

Mais au fil des réformes, le Code de commerce va de plus en plus en loin et


recherche désormais une véritable convergence des intérêts.

II. Vers une véritable convergence des intérêts distincts

En effet, l’intérêt des salariés est finalement que leur entreprise soit sauvée
au prix d’un certain nombre de sacrifices qui doivent être partagés. Au-delà de
l’antagonisme des intérêts se dégage un véritable intérêt commun, la pérennité
de l’entreprise malgré ses difficultés25. Mais pour aboutir à une telle solution,
encore faut-il organiser cette convergence, transformant les salariés en acteurs
de la gestion de l’entreprise.

22
L. Fin-Langer, L’obligation de reclassement est-elle appréciée plus souplement aujourd’hui par la
Chambre sociale de la Cour de cassation ?, APC 2011, n° 295.
23
CAA Bordeaux, 11 mai 2015, n° 15BX00629, RPC mars 2016, comm. 66. – CE 4 mai 2016, n°
384094, RPC 2016, comm. 144.
24
L. Fin-Langer et D. Jacotot, La loi Macron et le droit social, RPC nov. 2015, étude 17, n° 18 :
uniquement en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, la Direccte ne contrôle plus les moyens
du groupe. En revanche, les organes de la procédure ne sont pas déchargés de cette recherche.
25
B. Teyssié, L’intérêt de l’entreprise, aspects de droit du travail, D. 2004, p. 1680, n° 1.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 83

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LES SALARIÉS

A. Une convergence encouragée

Une véritable convergence des différents intérêts distincts est nécessaire


dans la recherche de la solution. Il en est ainsi lorsque le tribunal statue sur le
sort de l’entreprise à l’issue de la période d’observation. Procédant à une analyse
économique, le tribunal choisit la solution qui permette de payer les créanciers,
de redresser la situation de l’entreprise, de sauver son activité économique, et
donc de maintenir une partie des emplois. L’intérêt de l’entreprise englobe aussi
l’intérêt des salariés, envisagés dans leur globalité et non dans leur situation
personnelle.

Le choix entre les différentes offres de cession dépend également de cette


convergence d’intérêts. En effet, le tribunal retient celle qui permet dans les
meilleures conditions d’assurer le plus durablement l’emploi attaché à
l’ensemble cédé et le paiement des créanciers26. Le tribunal ne se contente pas de
regarder entre les offres le nombre d’emplois supprimés, il opère une analyse à
plus long terme et apprécie la stabilité des emplois voire la potentialité de
création d’emplois par le repreneur, tout en lui permettant de continuer l’activité
dans de bonnes conditions27. Le coût des licenciements est supporté par
l’entreprise en difficulté et en réalité avancé par l’AGS qui pourra cependant en
demander le remboursement. Le prix de cession sera donc amputé de cette
somme au profit de l’AGS bien classé. Il est donc également dans l’intérêt des
créanciers que le nombre de licenciements ne soit pas trop important, puisque
cela réduit leur quote-part sur le prix de cession. Le caractère sérieux de l’offre
doit tenir compte de tous ces paramètres28.

Allant plus loin, le législateur encourage aussi parfois une véritable


confusion des intérêts, en permettant aux salariés de reprendre leur entreprise
par le biais d’une SCOP. Ils sont alors acteurs du sauvetage de leur entreprise.

26
C. com., art. L. 642-5 : il semble poser une hiérarchie entre les différents intérêts à préserver, l’intérêt
des créanciers étant relégué à la dernière place. Cette position est cependant contestée par une partie de
la doctrine qui considère ces critères archaïques (Rizzi, La protection des créanciers à travers l’évolution
des procédures collectives, LGDJ, Bib. Dr. Privé, T. 459, 2007, n° 390, p. 384) et par certains juges du
fond, qui ont parfois retenu le plan qui désintéressait mieux les créanciers, tout en supprimant des
emplois : T. com. Paris, 20 mai 1986, RJcom. 1986, p. 265. – Versailles, 23 juill. 1986, Gaz. Pal. 1986,
2, p. 781.
27
Poitiers, 25 mars 2009, RG 09/00530, RPC 2010/6, comm. 236.
28
P. M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, 2017-2018, n° 571-51.

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Dans cette hypothèse peu fréquente, les salariés deviennent les actionnaires et
les dirigeants de l’entreprise en difficulté, les intérêts étant alors confondus. Ce
schéma encouragé par différentes réformes soulève cependant des difficultés
juridiques importantes quant au régime du transfert des contrats de travail29.
Comment organiser cette convergence ?

B. Une convergence organisée

Plusieurs mécanismes existent pour associer les salariés dans la prise de


décision relative aussi bien aux conditions de travail qu’aux aspects
économiques. Lorsque l’entreprise est in bonis, cette association passe par le
partage des bénéfices grâce par exemple à la participation ou à l’intéressement
mais aussi par des formes plus ou moins atténuées de cogestion, comme la
présence au conseil d’administration30 ou les différentes formes de dialogue
social que sont la négociation collective ou l’information-consultation des
représentants élus31. Les représentants du personnel sont de plus en plus associés
dans les décisions prises par l’employeur, qui n’a plus un pouvoir de direction
économique et personnel, absolu et unilatéral.

Ce schéma ne peut pas être transposé tel quel lorsque l’entreprise fait
l’objet d’une procédure collective. En effet, les syndicats ne jouent aucun rôle
officiel dans ce contexte, en raison de plusieurs obstacles : le temps limité pour
négocier, le climat peu serein dans un contexte de difficultés importantes et le
fait que les décisions ne sont plus prises la plupart du temps par l’employeur. En
effet, même si le débiteur n’est dessaisi que dans le cadre de la liquidation
judiciaire, son pouvoir de décision est également fortement remis en cause en
redressement et en sauvegarde pour deux raisons : la première est qu’un
administrateur intervient soit à ses côtés soit à sa place en fonction de la mission
qui lui a été dévolue et la seconde est que les décisions importantes sont prises
soit par le juge-commissaire soit par le tribunal de commerce. Cette intervention
du juge modifie le pouvoir de direction. Comment faire en sorte que la décision
29
L. Fin-Langer et D. Jacotot, Les salariés, acteurs de la reprise d’entreprise en difficulté, RPC, 2015,
dossier n° 54, p. 59 et s. – M. Keim-Bagot, Le salarié coopérateur : le modèle de la SCOP, DS 2014, p.
523.
30
Ch. Clerc et G. Bélier, Quel avenir pour une codétermination à la française ? RDT 2014, p. 600.
31
M. Despax, op. cit., n° 246 et s. Il indique que le principe hiérarchique, fondement de l’organisation
de l’entreprise est atténué grâce à ce mécanisme de coopération avec le comité d’entreprise mis en place
par l’ordonnance du 22 février 1945 et un droit de contrôle en matière économique (n° 267).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 85

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prise par l’administrateur ou le juge commercial fasse converger les différents


intérêts vers un intérêt commun, la survie de l’entreprise ? Cela implique la
participation active du comité d’entreprise, à défaut des délégués du personnel et
à défaut du représentant des salariés qui remplit leurs fonctions expressément
attribuées dans le cadre des procédures collectives. Toute la difficulté est de
savoir aujourd’hui si cette mission supplétive joue aussi dans les entreprises de
moins de 11 salariés dans lesquelles il n’est pas prévu d’avoir un délégué du
personnel, sauf accord collectif plus favorable. Ces institutions veilleront à ce
que l’intérêt de l’ensemble des salariés, et non ceux d’un salarié spécifique soit
connu et entendu par l’administrateur et le juge. En réalité, ils sont davantage
acteurs de la gestion de l’entreprise que défenseurs de l’intérêt des
salariés32.

Ainsi l’administrateur doit utiliser le mécanisme classique de


l’information-consultation sur le projet de plan de sauvegarde33 ou de
redressement34, notamment lorsqu’il propose des licenciements35, sur le bilan
économique et social36, en cas de conversion en liquidation judiciaire37, avant
que le juge-commissaire ne prenne sa décision pour autoriser les licenciements
pendant la période d’observation38 ou le maintien provisoire de l’activité39, l’avis
étant ensuite communiqué au juge. Cependant, la nécessité d’informer sans
même demander un avis a été exclue expressément par la loi justice 21 lorsque
le débiteur demande à bénéficier d’une mesure de mandat ad hoc ou de
conciliation en raison de la nécessaire confidentialité40. Cette consultation est
assez classique au regard du droit du travail. Deux questions majeures
apparaissent cependant en raison du caractère incomplet de ces dispositions.

32
D. Jacotot, Gouvernement d’entreprise et démocratie sociale, in Innovations et défis de la démocratie
sociale, sous la direction de D. Andolfatto, à paraître.
33
C. com., art. L. 626-8.
34
C. com., art. L. 631-19.
35
C. com., art. L. 631-18 et L. 631-19.
36
C. com., art. L. 631-18.
37
C. com., art. L. 622-10 et L. 631-15.
38
C. com., art. L. 631-17.
39
C. com., art. L. 641-10.
40
C. com., art. L 611-3 alinéa 3 et L. 611-6 alinéa 3. - P. Cagnoli, Adapter le traitement des entreprises
en difficulté, APC 2016, n° 267. Voir pour le débat : C. Gailhbaud, Ouverture du mandat ad hoc et de
conciliation : faut-il associer les salariés ? RPC 2014, dossier 7.

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Tout d’abord, faut-il appliquer le calendrier des consultations prévues par


l’article R. 2323-1-1 du Code du travail ? A priori, la réponse est positive faute
de disposition expresse les écartant41, mais ce calendrier est parfois en
contradiction avec les exigences de rapidité de la procédure collective. Ensuite,
est-ce que les informations-consultations prévues pour les entreprises in bonis
par le Code du travail continuent de s’appliquer, comme par exemple la
consultation du comité d’entreprise avant l’ouverture d’une sauvegarde42 ? La
nouvelle rédaction de l’article L. 2323-48 du Code du travail issu de la loi
Rebsamen du 17 août 2015 semble faire une liste exhaustive des consultations et
pourrait donc exclure cette étape43.

Ensuite, pour renforcer ce dialogue nécessaire, le Code de commerce a


prévu une audition de ces institutions44, pendant les audiences qui vont précéder
l’adoption de décisions importantes pour les salariés. La consultation dans ce cas
prend une forme particulière dans la mesure où l’avis n’est pas donné à
l’administrateur ou au débiteur mais il est délivré au juge commercial. Elle lui
permet d’entendre leur point de vue et leurs arguments. Il en est ainsi par
exemple avant d’ouvrir une sauvegarde45, l’adoption du plan de sauvegarde46, de
cession47, en cas de conversion d’une sauvegarde48 ou d’un redressement49 en
liquidation. Il s’agit d’un mécanisme particulier, qui n’existe pas lorsque
l’entreprise est in bonis, sauf le cas de l’audition par l’autorité de la concurrence
en cas de concentration50. Cette audition devrait, pour être efficace, être précédée
d’un transfert des informations nécessaires au comité d’entreprise, qui n’est pas

41
L. Fin-Langer et C. Gailhbaud, Les représentants du personnel et les plans, RPC mai 2015, dossier 47,
n° 20.
42
Q. Urban, Quelle est l’implication des institutions représentatives du personnel dans le traitement
juridique des difficultés des entreprises depuis la loi du 26 juillet 2005 ?, RPC 2008, étude 6, n° 12.
43
L’ancienne rédaction pouvait aboutir à la solution inverse, ce qui pouvait poser problème en raison
par exemple de la confidentialité des informations transmises, comme en témoignent les débats sur les
accords de conciliation : C. Gailhbaud, Ouverture du mandat ad hoc et de la conciliation : faut-il
associer les salariés ?, RPC 2014, dossier 7. – L. Fin-Langer et C. Gailhbaud, op. cit., n° 14 et s.
44
C. trav., art. L. 2323-49 fait la liste des cas.
45
C. com., art. L. 621-1.
46
C. com, art. L. 626-9.
47
C. com., art. L. 631-22 et L. 642-5.
48
C. com., art. L. 622-10.
49
C. com., art. L. 631-15, II.
50
D. Jacotot, L. Fin-Langer, Les salariés, acteurs de la reprise d’entreprise en difficulté, RPC nov. 2015,
dossier 54, n° 25 et s.

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LES SALARIÉS

toujours organisé51. Cet échange d’informations est à inventer dans ce contexte,


en tenant compte des exigences de célérité, de confidentialité, de l’opportunité et
du coût de l’expertise.

Enfin se pose nécessairement la question des voies de recours à l’encontre


des décisions du juge commercial, soit lorsque la procédure d’information-
consultation ou information-audition n’a pas été respectée soit lorsque l’intérêt
des salariés n’a pas été suffisamment pris en compte. Les représentants du
personnel ou à défaut le représentant des salariés peuvent exercer une voie de
recours à l’encontre du jugement ouvrant la liquidation judiciaire ou adoptant le
plan de sauvegarde ou de redressement52, mais non à l’encontre d’un plan de
cession. La Cour de cassation a cependant admis l’appel-nullité, voie de recours
restaurée en cas d’excès de pouvoir, qui reste à définir53. L’absence
d’information-audition par le tribunal pourrait-elle constituer un tel excès de
pouvoir ? La question reste posée, d’autant que leur audition ne suffira pas à en
faire nécessairement une partie au litige54.

Pour conclure, le statut des salariés d’une entreprise en difficulté illustre


donc que l’intérêt de l’entreprise, c’est-à-dire celui de l’ensemble des parties
prenantes, va au-delà des intérêts antagonistes et ne se réduit pas à l’intérêt de
l’employeur. Pour en tenir compte, il apparaît nécessaire d’impliquer les
salariés dans la prise de décision. La proposition de directive du 22 novembre
2016 tente aussi d’aller dans ce sens en voulant une information-consultation
appropriée et en temps utile et en autorisant les états à les placer dans une classe
de créanciers particulière disposant d’un droit de vote. Ces règles témoignent de
leur participation croissante dans l’entreprise. Sans être « citoyens de

51
Ce transfert d’information est prévu dans le cadre de la préparation du plan de sauvegarde et de
redressement par l’article L. 626-8 ou de plan de cession au profit cependant du seul représentant des
salariés, mais non du comité d’entreprise par l’article L. 642-5 du Code de commerce.
52
C. com., art. L. 661-1. – L. Fin-Langer et C. Gailhbaud, Les représentants du personnel et les plans,
RPC 2015, dossier 47. Certains juges du fond ont admis qu’il s’agissait d’une cause de nullité d’un
jugement d’ouverture que seule peut invoquer l’institution représentative du personnel : Paris 2 juill.
2003, RG 2002/12072 et Paris 15 juin 2004, n° RG 2003/22361.
53
Cass. com., 17 fév. 2015, n° 14-10.279, APC 2015-6, n° 81, Gaz. Pal. 5 mai 2015, n° 215, p. 42.
54
J. Théron, Les règles dérogatoires à la procédure, infra. – O. Staes, Procédures collectives et droit
judiciaire privé, Th. Toulouse, 1995, n° 292 et s. - P. Cagnoli, Essai d’analyse processuelle du droit des
entreprises en difficulté, LGDJ, T. 368, n° 209L. Fin-Langer, Le juge et les salariés d’une entreprise en
difficulté, in Mélanges Vallens à paraître.

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l’entreprise », ils sont en tout cas des acteurs impliqués du début à la fin de la
procédure collective.

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Le débiteur

Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND
Professeur à l’Université de Montpellier

J’avoue que pour vous présenter ce sujet1, j’ai profondément hésité entre
deux méthodes….ou plus exactement deux métiers.

J’ai d’abord été tenté par le métier de distillateur….le droit des entreprises
en difficulté ne consiste-t-il pas, à l’instar de la distillation, à séparer, par
évaporation (en l’occurrence l’évaporation de certains créanciers) puis
condensation ( le sort de certains salariés pourrait y faire penser) les éléments
contenus dans un mélange liquide ? Même si l’entreprise, creuset d’intérêts,
n’est pas ce mélange liquide, le droit des entreprises en difficulté n’est-il pas cet
alambic qui permet de sélectionner « la tête », « le cœur » et « la queue » de
distillation, pour finalement ne transférer que « le cœur » en cuve de
vieillissement. Le débiteur serait-il ce « cœur » à extraire en fonction de son
degré alcoolique (en l’occurrence, entendons par là, en fonction de son possible
degré de sauvetage) ? La comparaison était tentante, mais la distillation est un
art, et ne s’essaye pas qui veut…Plus moderne, on pouvait aussi être tenté
d’abandonner le vieil alambic au profit du très moderne extracteur de jus, qui
permet de détoxifier son corps des toxines accumulées afin de retrouver sa
vitalité. Tel ce nouvel appareil, le droit des entreprises en difficulté permettrait
de détoxifier l’entreprise pour en extraire un concentré directement assimilable
par l’organisme ? Peut-être… mais cette double tentation ne permettrait pas de
restituer la réalité dans son intégralité, si tenter que cela soit possible. La réalité
est plus complexe. Aussi, pour l’approcher, il faut être plus basique. Il nous faut

1
Le style oral de l’intervention a été conservé.

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LE DÉBITEUR

donc revenir à un simple constat : il existe une véritable sédimentation des


régimes de procédures collectives.

Aussi ai-je décidé de me tourner vers le métier de géologue. Et c’est un


scénario géologique que je vais vous proposer, option sédimentologie. Car en
effet, le droit des entreprises en difficultés nous révèle plusieurs ères. A l’instar
du trias, du jurassique, du crétacé ou du quaternaire, l’observation de l’histoire
du droit des procédures collectives témoigne de différentes couches dans
l’appréhension de la défaillance d’un débiteur. En effet, comment ne pas
évoquer qu’au commencement existait la célèbre Manus injectio permettant au
créancier d’exercer ses poursuites sur la personne même de son débiteur en
l’emprisonnant puis en le réduisant en esclavage. Cette idée du droit romain a
prévalu tout au long de la période de l’ancien droit et même au-delà : la
procédure dirigée contre le débiteur insolvable devait l’être contre sa personne,
malgré l’existence de lettres de répit2. Notre code de commerce de 1807 devait
conserver cette extrême sévérité puisqu’à l’époque le déclenchement de la
procédure de faillite commençait par l’incarcération du débiteur failli. Il fallut
attendre une loi du 4 août 1889 pour que le contexte de la défaillance du
commerçant soit pris en compte et qu’une dualité de procédures apparaisse,
distinguant le débiteur malhonnête du débiteur malchanceux. Toute l’évolution
ultérieure traduira cette volonté de mieux distinguer les procédures selon ces
circonstances de la défaillance. La loi du 13 juillet 1967 reprendra cette idée,
mais la partition entre les deux procédures ne se fera plus en fonction de la
bonne ou de la mauvaise foi du débiteur, mais au regard des perspectives de
redressement de l’entreprise. A partir de cette date, on sépare l’homme de
l’entreprise qui devient alors l’objet de toutes les attentions législatives. Il ne
s’agit plus seulement de traiter la faillite du débiteur (en le sanctionnant et en
payant les créanciers), mais de tenter de redresser son entreprise. Le droit
moderne des procédures collectives est né. Les lois du 1er mars 1984 et 25
janvier 1985 n’ont fait qu’amplifier ce mouvement. Depuis 30 ans, cette
législation volontariste, au service tantôt du redressement, de la réorganisation
ou encore de la sauvegarde de l’entreprise, invente de nouveaux outils. Même si
des rééquilibrages se sont avérés nécessaires, le but des dispositifs législatifs est
toujours de traiter la défaillance du débiteur en sauvant, autant que faire se peut,
son entreprise. Les récents prepack continuation ou prepack cession en

2
V. R. Szramkiewicz et O. Descamps, Histoire du droit des affaires, LGDJ, Domat droit privé, 2ème éd.,
2013, n° 471.

92 | IFR Actes de colloques N° 30

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MARIE-PIERRE DUMONT-LEFRAND

témoignent. Ainsi, l’entreprise est tantôt sauvée avec l’assistance du débiteur,


tantôt sans son consentement. A cet égard, il est intéressant de noter que le
législateur n’a pas versé dans l’erreur du redressement à tout prix. En effet, la
liquidation de l’entreprise n’est plus vu, aujourd’hui, comme un échec du
redressement mais comme une chance pour le débiteur. Une chance parce que le
tribunal va lui permettre de prendre conscience qu’il n’est plus en mesure de
redresser son entreprise et que la moins mauvaise des solutions est de la céder.
Une chance ensuite parce que ce débiteur va pouvoir être libéré du passif auquel
il n’arrive plus à faire face pour pouvoir rebondir plus vite. Par où l’on voit que
la distinction de l’homme et de l’entreprise, chère au professeur Brunet3,
réapparaît subrepticement.

Le rythme effréné des interventions législatives justifie absolument ce


colloque. Mais si nous en sommes aujourd’hui à la réforme de la réforme de la
réforme4, c’est justement parce que l’entreprise est un creuset d’intérêts, ceux du
débiteur naturellement, mais aussi ceux des salariés, des créanciers ou des
associés. S’agissant plus précisément du sujet qui m’a été imparti, le sort du
débiteur, j’ai donc été conduite à me poser la question suivante : en quoi les
dispositions sur le débiteur révèlent-elles l’entreprise en difficulté ? Il s’avère
que l’observation de ce droit des entreprises en difficultés révèle non seulement
la nécessaire protection de l’entreprise, mais encore celle de l’homme à la tête
de cette entreprise. En effet, si autrefois, la séparation de l’homme et de
l’entreprise était patente, un double mouvement a peu à peu vu le jour. D’une
part, la séparation de l’homme et de l’entreprise a fait place au sauvetage
conjoint de l’entreprise et de l’homme (I). Puis, lorsque la situation de
l’entreprise s’avère désespérée, la considération de l’homme tout seul, celui qui
a échoué sans être malhonnête, est également apparu comme une nécessité. Ont
alors été imaginés différents outils pour lui aménager un droit au rebond somme
toute mérité. Aussi est-il logique de se préoccuper, en second lieu, du sort de
l’homme indépendamment de celui de l’entreprise (II).

3
B. Brunet, De la distinction de l’homme et de l’entreprise, in Mélanges Roblot, 1984, p. 471 s.
4
V. F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, coll. PUF, 1ère éd., 2016, Prolégomènes, p. 25.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 93

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LE DÉBITEUR

I. L’entreprise et l’homme

On se souvient que la Cour de cassation a vu dans la procédure collective


« un bénéfice »5. Cette formule, bien que troublante, est pourtant rigoureusement
exacte. C’est une chance pour le débiteur de voir son passif traité dans le cadre
d’une procédure collective. La majorité des règles gouvernant ce traitement
collectif des difficultés, avérées ou non, d’une structure, quelle qu’elle soit,
révèle que derrière ce droit de l’insolvabilité, se cache assurément l’entreprise.
Ce droit est indéniablement révélateur de l’entreprise (A). Mais il apparaît
délicat de sauver l’entreprise contre son dirigeant, personne physique. C’est
finalement le couple entreprise-chef d’entreprise ou dirigeant qu’il faut sauver.
A cet égard, les différentes immunités accordées à cet homme, lors de certaines
phases de la procédure, révèlent ce double objectif (B).

A. Un droit révélateur de l’entreprise

Qu’il s’agisse des critères permettant de définir l’éligibilité du débiteur à


cette procédure collective, ou encore des limitations de pouvoirs du débiteur
soumis à une procédure collective, il apparaît très nettement que c’est
l’entreprise qui est au coeur des préoccupations du législateur.

1) Qui est le débiteur ?

L’énumération des personnes qui peuvent bénéficier d’une procédure


collective révèle sans équivoque que c’est l’activité et donc l’entreprise qui est
au centre du dispositif de protection organisé par la loi. Le droit des procédures
collectives s’est étendu à l’ensemble des professionnels exerçant une activité,
qu’elle soit commerciale, artisanale, agricole, ou professionnelle indépendante.
L’article L. 620-2 ne vise pas le commerçant ou l’artisan, mais bien la personne
exerçant une activité commerciale ou artisanale. De même, l’extension par la loi
du 26 juillet 2005 aux personnes exerçant une activité professionnelle
indépendante, y compris une profession libérale, révèle que le critère est devenu
celui de l’activité, et donc de l’entreprise. En effet, dès lors que les procédures
collectives sont devenues un instrument de restructuration d’une entreprise en

5
F. Pérochon, Le bénéfice de la procédure collective, Mélanges Mouly, Litec, tome 2, p. 401.

94 | IFR Actes de colloques N° 30

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MARIE-PIERRE DUMONT-LEFRAND

difficulté, il n’y a pas de raison d’en écarter celui qui exerce une activité libérale
à titre personnel et indépendant. En revanche, considérer un associé en nom
éligibles aux procédures collectives parce qu’étant commerçant6, il serait réputé
exercer une activité commerciale paraît plus douteux7. L’associé en nom
n’exerce pas d’activité professionnelle commerciale. Enfin, l’éligibilité des
personnes morales de droit privé découle aussi de cette même logique, même si,
il faut bien l’avouer, la rédaction du texte autorise une personne morale dénuée
de toute activité économique à en bénéficier comme l’affaire Cœur Défense l’a
prouvé. La procédure collective a pour sujet un débiteur personne physique ou
personne morale (ce qui justifie l’exclusion des groupements non dotés de la
personnalité juridique) et normalement pour objet une entreprise que ce débiteur
exploite.

2) Quels sont les pouvoirs du débiteur ?

En second lieu, les restrictions apportées aux pouvoirs du débiteur,


distinctes selon les procédures engagées8, révèlent également l’emprise de la
procédure collective sur le débiteur, et la préoccupation qu’a le législateur de
sauver l’entreprise. Ainsi, en procédure de sauvegarde, la gestion du débiteur
est-elle préservée9. L’administration de l’entreprise reste assurée par le dirigeant,
l’administrateur se contentant de surveiller des opérations de gestion. Compte
tenu du caractère volontaire de cette procédure, la liberté de gestion du débiteur
est normale. Toutefois, les contraintes propres à toute procédure collective
permettent de mettre en évidence que c’est naturellement l’entreprise qui est
l’objet de toutes les sollicitations. L’interdiction des paiements des créances
antérieures, l’interdiction des actes de disposition étrangers à la gestion courante
militent en ce sens. Il en va de même de la mission de préservation de
l’entreprise ou de ses capacités de production visée à l’art. L. 622-4 C. com.
même si elle est partagée avec le débiteur. En procédure de redressement
judiciaire, la gestion de l’entreprise par le débiteur est partagée avec

6
Cass. 2ème civ., 5 déc. 2013, n° 11-28092.
7
V.Q. Nemoz-Rajot, L’éligibilité affirmée des associés de SNC aux procédures collectives, Petites
Affiches, 5 fév. 2014, n° 26, p. 9.
8
V. C. Saint-Alary-Houin, La gestion de l’entreprise, in Les innovations, RTDCom. 1986, p. 37, n° 10
qui évoque la notion de « dessaisissement à la carte ».
9
L.-C. Henry et Ch.-H. Carboni, La place du dirigeant : de la liberté de gestion au dessaisissement,
Dossier « Le dirigeant de l’entreprise en difficulté », RPC juill /août 2016, n° 24, p. 55.

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LE DÉBITEUR

l’administrateur qui reçoit alors généralement une mission d’assistance, et plus


rarement de remplacement. Il n’est point besoin de s’étendre davantage sur cette
quasi cogestion nécessitant la double signature du dirigeant et de
l’administrateur. Le débiteur, rémunéré dans le cadre de cette procédure, n’est
plus véritablement maître chez lui, mais c’est encore le sauvetage de l’entreprise
qui est à ce prix. En revanche, l’entreprise n’est plus la préoccupation du
législateur en cas de liquidation judiciaire où la gestion de son entreprise est
confisquée10 au dirigeant, lequel est dessaisi de l’administration et de la
disposition de ses biens. L’éviction de l’homme exprime plus une mesure de
défiance qu’une volonté de s’intéresser à l’entreprise. D’ailleurs le liquidateur
gère les biens du débiteur et non l’entreprise. Il s’agit de sauver le gage des
créanciers en liquidant le patrimoine du débiteur.

Ce sauvetage de l’entreprise, sans l’homme au départ à sa tête, se retrouve


également en cas de préparation d’un plan de redressement. L’article L. 631-9-1
prévoit en effet la neutralisation des dirigeants sociaux, même si le texte évoque
le terme de « dirigeant d’entreprise », particulièrement lorsqu’ils sont associés
majoritaires. Cette neutralisation peut consister à leur interdire de céder leurs
titres, à les en exproprier, à les déposséder de leur droit de vote ou à les
révoquer. Il y a là une magistrale prise en compte de l’intérêt de l’entreprise, à
travers l’intérêt social en vue d’assurer le sauvetage de la personne morale au
détriment de l’intérêt des dirigeants de la société. Cela dit, pour que ces mesures
soient demandées, encore faut-il que « le redressement de l’entreprise le
requiert », ce qui justifie l’intervention, au plan procédural, du ministère public.

Si le droit des procédures collectives révèle incontestablement l’entreprise,


le sauvetage de l’entreprise ne peut se faire contre son dirigeant (sous réserve de
ce que je viens de dire). A cet égard, le droit des entreprises en difficultés n’est
plus un droit sanctionnateur. La procédure collective est un bénéfice, y compris
pour l’homme qui bénéficie désormais de procédures qui lui offrent une
véritable immunité. Aussi, ce droit révèle-t-il également, derrière l’entreprise,
l’homme qui la dirige, qu’il s’agisse d’un entrepreneur individuel ou d’un
dirigeant social.

10
V. L.-C. Henry et Ch.-H. Carboni, La place du dirigeant : de la liberté de gestion au dessaisissement,
préc.

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B. Un droit révélateur de l’homme dirigeant l’entreprise

Cette immunité du dirigeant se retrouve en procédure de conciliation d’une


part, et en procédure de sauvegarde d’autre part.

1) L’immunité en procédure de conciliation

En période de conciliation, le débiteur, qui peut être en cessation des


paiements depuis moins de 45 jours, est à la recherche d’une restructuration
négociée de sa dette sous l’égide d’un conciliateur qui apporte sa caution
judiciaire à l’opération. Cette procédure, qui, en réalité, n’est pas collective,
dépend en grande partie de la bonne volonté des créanciers qui ne peuvent se
voir imposer de délais de paiement ou de remises de dettes. En conséquence, et
sans surprise, le débiteur personne physique ou le dirigeant n’est soumis à
aucune sanction. La loi n’envisage aucune action en responsabilité ni sanction
dans le cadre de cette procédure. Non seulement, cette procédure est exclusive
de tout pouvoir sanctionnateur11, mais elle procure même au débiteur un certain
« effet bouclier » comme l’a écrit M. Deharveng12. En effet, si au cours de la
procédure de conciliation, le débiteur est poursuivi par l’un de ses créanciers,
voire s’il est juste mis en demeure, il peut solliciter des délais de grâce, que
l’article 1343-5 du Code civil permet au juge d’accorder en regard de la situation
du débiteur. Leur octroi est même facilité puisqu’ils peuvent être accordés par le
président qui a ouvert la conciliation. Comme le relève justement notre collègue
Philippe Roussel-Galle13, cet effet protecteur se révèle aussi à la lecture des
articles L. 631-5 et L. 640-5 C. com. qui établissent un dispositif favorable au
débiteur puisque ces textes paralysent les demandes d’ouverture en redressement
ou en liquidation judiciaire.

11
V. Ph. Roussel-Galle, Que reste-t-il du caractère sanctionnateur des procédures ?, Dossier, Que
reste-t-il des principes traditionnels des procédures collectives face au morcellement du traitement de la
défaillance ?, RPCmai/juin 2012, n° 17, p. 89.
12
J. Deharveng, Le bouclier de la conciliation, Entretiens de la sauvegarde, Paris, 29 janv. 2007, Dict.
perm. Diff. Entr. 2007, bull. 279, p. 4669.
13
V. Ph. Roussel-Galle, art. préc.

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LE DÉBITEUR

2) L’immunité en procédure de sauvegarde

Cette immunité de l’entrepreneur individuel ou du dirigeant de société se


révèle également en procédure de sauvegarde. En l’occurrence comme cette
procédure s’applique à un débiteur qui n’est pas en cessation des paiements et
qui a sollicité le bénéfice de l’ouverture d’une telle procédure, la réussite de
celle-ci suppose qu’il y participe activement. Cela nécessite une véritable
adhésion du dirigeant à la procédure qui a choisi la voie judiciaire préventive.
Aussi, le législateur a-t-il considérablement allégé les sanctions qui frappent le
chef d’entreprise. Il a plus précisément écarté, pendant cette phase, toutes les
sanctions pénales ou professionnelles, de même que les actions en
responsabilité. Par ailleurs, l’objectif de réorganisation de l’entreprise assignée à
cette procédure, tout en poursuivant l’exploitation, suppose que les difficultés
soient anticipées au maximum. Ainsi, la loi prend-t-elle le soin d’aménager la
protection du dirigeant personne physique qui se porte caution ou plus
généralement garant. Non seulement le jugement d’ouverture suspend toute
action contre lui, mais si un plan de sauvegarde est arrêté, « la personne
physique ayant consenti une sûreté personnelle » pourra opposer les dispositions
du plan et être partiellement libérée, tout au moins à hauteur des remises
accordées à l’entreprise débitrice.

Le droit des entreprises en difficultés révèle, sans surprise, l’entreprise qu’il


convient de sauver. Il apparaît toutefois que ce sauvetage peut difficilement se
faire contre l’homme qui l’avait créée, et dont la loi essaye au maximum de
préserver la dignité en le faisant participer à la procédure et en l’impliquant,
dans la mesure du possible, pour lui faire accepter la solution. Ce souci
d’humanisation des procédures14, et en l’occurrence, de considération de la
personne physique ayant conduit l’entreprise jusqu’aux difficultés traitées se
retrouve aussi dans les procédures liquidatives. Le législateur a même parfois
fait le choix de ne plus se préoccuper que de l’homme lorsque l’entreprise n’est
plus en état d’être secourue, si ce n’est par voie de reprise externe.

14
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficultés, éd. Domat, LGDJ, 10ème éd ., n° 54 s.

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II. L’homme sans l’entreprise

Lorsqu’il n’y a plus rien à réorganiser, il reste toujours l’homme. Le


législateur s’est préoccupé du sort de la personne qui exploitait l’entreprise en
lui permettant de rebondir une fois la procédure clôturée. Il l’a fait en allant
crescendo. La loi du 25 janvier 1985 a posé les jalons de cette culture du rebond,
avant que celle du 1er juillet 2014 n’invente une procédure au service du
débiteur.

A. Les prémices de la culture du rebond

1) La non reprise des poursuites individuelles

Les prémices de la culture du rebond, c’est d’abord et avant tout le principe


de non reprise des poursuites individuelles une fois la procédure de liquidation
judiciaire clôturée. Cette règle extrêmement innovante en 1985 signifie bien que
la clôture de la liquidation permet au débiteur personne physique d’échapper
définitivement à ses créanciers qu’elle prive de la possibilité de reprendre les
poursuites à son encontre. Les dettes non payées à l’issue de la procédure n’ont
plus vocation à l’être. Ainsi l’article L. 643-11 C. com. consacre un véritable
droit de ne pas payer ses dettes, comme le redoutait le doyen Ripert. Cela dit, la
règle n’est pas absolue et ne concerne notamment pas « la caution ou le coobligé
qui a payé au lieu et place du débiteur » sachant que cette exception à la
libération du débiteur cautionné fonctionne dans tous les cas de figure, que la
caution ait été amenée à payer avant ou après le jugement d’ouverture15. Par
ailleurs, elle n’affecte évidemment pas les actions qui n’ont pas été interrompues
ou suspendues. Les créanciers n’ont, dans cette hypothèse, pas vocation à
recouvrer la possibilité d’exercer une action qu’ils n’ont jamais perdue. C’est
ainsi qu’un créancier privilégié de la procédure, non payé par la procédure,
conserve naturellement son droit individuel contre le débiteur redevenu in bonis.
Toutefois, l’art. L. 643-11 C. com. dern. al. accorde au débiteur personne
physique la possibilité d’obtenir un délai de grâce uniforme d’un maximum de
deux ans.

15
Cass. com. 28 juin 2016, n° 14-21810, Gaz. Pal. 2016, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.

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LE DÉBITEUR

2) Les innovations ultérieures des procédures liquidatives des débiteurs


personnes physiques

Par la suite, le législateur a considérablement amélioré le sort de la


personne physique en imaginant trois séries de règles.

Les premières touchent à la durée du dessaisissement qui peut être


raccourcie dans différents cas. On pense d’abord à la clôture par anticipation en
présence d’actifs « lorsque la poursuite de la procédure est disproportionnée
par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels ». On pense ensuite
à la possibilité pour le tribunal de clôturer la liquidation judiciaire en cas
d’instances en cours. On pense enfin à la clôture de la procédure en cas d’actifs
successoraux prônée par l’art. L. 641-9-IV c. com., lequel se contente toutefois
d’interdire au liquidateur de réaliser le bien reçu par succession après la
liquidation judiciaire sans l’accord du débiteur.

En second lieu, pendant le déroulement même de la procédure, « les


créances nées des besoins de la vie courante du débiteur personne physique »
(L. 641-13-I) deviennent privilégiées. Ce paiement à l’échéance, qui peut
d’ailleurs surprendre, est certes une faveur pour le créancier, mais rend aussi la
vie du débiteur plus confortable. Il ne s’agit pas d’autoriser le débiteur personne
physique à mener grand train, mais plutôt de lui permettre d’avoir une vie
quotidienne décente en lui assurant la possibilité de continuer de régler ses
factures courantes, de subvenir aux besoins de ceux dont il a la charge, tout en
étant garanti de ne pas être expulsé de façon soudaine. Si toutefois à l’issue de la
procédure, le débiteur devait quitter son logement, par souci d’humanité, l’art. L.
642-18 C. com. étend à toutes les personnes physiques la mesure de faveur
autrefois réservée au seul agriculteur16. Le tribunal peut ainsi lui octroyer des
délais de grâce.

En troisième lieu, l’article L. 642-20 C. com. autorise, dans des conditions


complexes et extrêmement encadrées, parfaitement décrites par l’organisatrice
de ce colloque17, la possibilité pour les proches du débiteur d’acquérir l’actif
réalisable. En fait, il est possible, pour les proches du débiteur (le débiteur lui-
16
M.-P. Dumont-Lefrand, La situation personnelle du débiteur, Droit et patrimoine juin 2014, p. 44.
17
F. Macorig-Venier et J. Valansan, Les améliorations de la procédure liquidative et des cessions, in
dossier sur « Un nouveau droit des entreprises en difficulté, plus efficace, plus équilibré », RCP
juill/août 2014, n° 32, p. 58.

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même et les contrôleurs demeurent exclus) de racheter tous les biens du débiteur
sur ordonnance spécialement motivée du juge-commissaire rendue à la requête
du ministère public. Pour les biens meubles, la loi a quelque peu assoupli la
procédure. Les meubles de faibles valeurs peuvent être acquis par ces personnes
si la demande émane du liquidateur ou du débiteur, de gré à gré après avis du
ministère public, et pour les biens d’une valeur plus importante, cela est
également possible, à la requête des mêmes, mais sur adjudication. Il s’agit en
l’occurrence d’humaniser les procédures en permettant aux proches du débiteur
de l’aider à conserver d’éventuels biens de famille18.

B. Une procédure au service du débiteur

Le droit au rebond du débiteur personne physique a bien entendu été


davantage aménagé par la procédure de rétablissement professionnel19,
procédure ni collective, ni liquidative. Il ne s’agit pas ici d’en reprendre le
régime dans le détail mais de noter qu’il s’agit bien d’un nouvel instrument au
service du seul débiteur qui sera entièrement libéré, ses dettes étant purement et
simplement effacées, sans liquidation. Cette procédure propose indiscutablement
une approche sociale de la défaillance de la personne physique. Cela dit, si le
législateur français a choisi de retenir un traitement judiciaire de l’insolvabilité,
son choix n’est pas innocent. Cette procédure simplifiée à l’extrême est une
faveur pour le débiteur, mais peut aussi présenter un risque.

1) Une faveur pour le débiteur

C’est une faveur pour le débiteur de bonne foi, sans actif ni salarié. Cette
procédure qui se ramène à une simple enquête menée par un mandataire de
justice sous l’égide d’un juge a le mérite d’offrir aux créanciers un interlocuteur,
de permettre de s’interroger sur les responsabilités encourues et ensuite d’être le
seul moyen de garantir le droit au rebond du débiteur en le purgeant de son

18
F. Macorig-Venier et J. Valansan, art. préc.
19
V. J. Théron, Vers une consumérisation des procédures : la procédure de rétablissement
professionnel, in Le patrimoine de la personne physique à l’épreuve des procédures collectives : quels
nouveaux enjeux ?, Actes de colloques, Coll. actualités de Droit de l’Entreprise, LexisNexis, n° 31, p.39
s. ; F. Reille, Une nouvelle procédure qui n’en est pas une : le rétablissement professionnel, RPC mars
2014, dossier 22.

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LE DÉBITEUR

passif, l’enquête ayant démontré qu’il le méritait. Purgé de son échec


économique, le débiteur dont les dettes sont effacées peut recommencer à
nouveau une vie normale car il est rétabli dans un certain équilibre, et une non
moins certaine dignité, la seconde chance étant heureusement de ce monde.

2) Un risque pour le débiteur

Cela dit, il est à noter que seules les dettes signalées par le débiteur et
mentionnées dans le jugement de clôture sont éteintes. Il n’y a donc pas,
finalement, une purge totale et globale comme à l’issue d’une procédure de
liquidation judiciaire. Le débiteur pourrait être poursuivi après la clôture pour
des dettes qu’il n’aurait pas signalées tout simplement parce qu’il les ignorait.
Par ailleurs, une possibilité de réouverture de la procédure de rétablissement
professionnel par voie de déclenchement d’une procédure de liquidation
judicaire peut inquiéter le débiteur personne physique dont les dettes effacées
ressusciteront, mais les débiteurs de bonne foi et ayant joué la carte de la
transparence devraient être à l’abri de ce danger qui est une sanction. Le rebond
oui, mais uniquement pour le débiteur malheureux… semble vouloir dire le
législateur.

Toutefois, pour rebondir, il faut certes ne plus avoir de dettes, mais il n’est
pas certain que cela soit suffisant, surtout lorsque la personne physique se sera
par ailleurs portée caution… Sauf à se tourner vers une activité salariée, la
personne doit retrouver sa capacité d’entreprendre. Pour cela, il faudrait avoir
anticipé les éventuelles difficultés à venir en souscrivant une sorte d’assurance
chômage volontaire… ou alors créer un fonds destiné à assurer une allocation
minimum du rebond. De même, pour vraiment rebondir, il est nécessaire de
trouver de nouveaux financements… en comptant soit sur un développement des
prêts participatifs, soit en mettant en place une nouvelle catégorie de prêts, les
prêts au rebond… autant de pistes que certains juges consulaires ont déjà
proposées et qui méritent une nouvelle réflexion… afin de passer « de la culture
de l’échec à celle du rebond »20.

20
Y. Lelièvre, Comment passer de la culture de l’échec à celle du rebond ?, RPC juill/août 2014, n° 26,
p. 63.

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Les associés

Marie-Hélène MONSÈRIÉ-BON
Professeur à l’Université Paris 2 Panthéon - Assas

Un droit révélateur de l’entreprise, comme l’est assurément le droit des


entreprises en difficulté, ne pouvait rester insensible à la situation des associés
lorsque cette entreprise a adopté une forme sociétaire. En effet, si on passe de la
société à l’entreprise la prise en compte des intérêts n’apparaît plus tout à fait sur
le même plan. Si la société a pu être considérée comme la chose des
« associés », l’entreprise a toujours fédéré des intérêts plus larges, ceux des
parties prenantes selon l’expression aujourd’hui consacrée.

En trente ans, la prise en compte des intérêts des associés a évolué, surtout
récemment, ce qui démontre que les principes sociétaires ont longtemps résisté
aux assauts du droit des entreprises en difficulté. D’abord quelque peu oubliés
dans les grandes réformes des années 1980, les associés sont désormais entrés
dans la lumière, mais une lumière éblouissante puisque les dernières réformes
ont braqué les projecteurs sur eux et sur la nécessité de les impliquer
complètement dans le sauvetage des entreprises.

La situation des associés apparaît toutefois assez particulière car elle les
conduit tour à tour à prendre des qualités différentes qui mobilisent des intérêts
également différents. Il semble alors assez difficile de systématiser une réflexion
portant sur les intérêts des associés en les confrontant à une logique de primauté
des intérêts de l’entreprise, de son sauvetage. En effet, on trouvera des associés
créanciers, des associés débiteurs subsidiaires, des associés apporteurs de capital
et même des associés débiteurs cherchant à se placer sous la protection du livre
VI du code de commerce, bouclant ainsi la boucle qui va de l’associé soutien de
l’entreprise à l’associé souhaitant bénéficier de la protection du droit des

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LES ASSOCIÉS

entreprises en difficulté, ce que la Cour de cassation admet selon des variables


peu cohérentes.

Le tour d’horizon de ces « figures » de l’associé permet de retracer


l’évolution de sa place au cours des trente années qui viennent de s’écouler qui
ont vu le droit des entreprises en difficulté profondément changer sous des
influences diverses, celles notamment du droit américain, du droit européen, de
la modernisation des techniques juridiques et du changement dans
l’appréhension de la défaillance économique qui favorise aujourd’hui le rebond
après avoir signifié une perte de crédibilité de l’entrepreneur.

En dirigeant la loupe vers les associés, le constat réalisé ne sera pas


nécessairement très favorable, car l’observation conduira alors à déceler que
l’associé d’une société en difficulté a désormais des droits qui vont être
malmenés et qu’il a, en outre, des obligations, des devoirs dont la portée a été
renforcée au fil des réformes.

I. Les droits des associés malmenés

En droit des sociétés, lorsque l’on envisage la situation des associés, les
droits qui leur sont accordés dans la structure sociétaire occupent une place
primordiale. Dans le cadre d’une procédure collective, force est de constater que
ces droits sont quelque peu malmenés soit que l’associé cherche à obtenir un
paiement ou à exercer des droits plus spécifiquement liés au droit des sociétés.

A. Les associés créanciers

En premier lieu, la situation de l’associé créancier de la société peut retenir


l’attention. Comme tout créancier, l’associé pourra chercher à obtenir un
paiement au cours de la procédure collective et comme tout créancier antérieur,
ce qu’il sera le plus souvent, sa situation est précaire avec toutefois des nuances
selon que le paiement est ou non bénéfique pour l’entreprise

104 | IFR Actes de colloques N° 30

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MARIE-HELENE MONSÈRIÉ-BON

Dans un premier temps, face à des paiements qui sont dans le seul intérêt de
l’associé, la jurisprudence a adopté une position négative en limitant par
exemple, l’admission du paiement par compensation. Ainsi, la compensation n’a
pas été admise entre la créance de compte courant et la dette de libération du
capital social, ce qui aurait privé la société d’une source de financement.

Dans un second temps, lorsqu’une convergence entre les intérêts de


l’associé créancier et celui de la société a pu être décelée, le sort réservé à
l’associé s’est amélioré, même si l’intérêt de l’entreprise passe toujours au
premier plan. Ainsi, lorsque le désintéressement de l’associé n’est que la
conséquence d’un mécanisme de financement de l’entreprise, un a priori
favorable a conduit le législateur a reconnaître le jeu de la compensation lors des
augmentations de capital social dans le cadre des plans de sauvegarde ou de
redressement1. De même, toujours dans l’intérêt de l’entreprise, le législateur a
généralisé au fil des réformes, la conversion de créances en capital, ce qui là
aussi peut concerner les associés, le compte courant dont l’associé peut
demander le remboursement à tout moment en bénéficiant. Dans cette technique,
l’intérêt de la société domine doublement : elle apure son passif et elle augmente
son capital social.

B. Les droits politiques de l’associé

La seconde catégorie de droits des associés est constituée par les droits
politiques, droit de participer à la vie sociale de la société et on sait qu’en droit
des sociétés, le principe est que participer est voter. Pendant longtemps, le droit
des procédures collectives a respecté ce droit considéré comme fondamental de
l’associé ainsi que le processus sociétaire qui conduit à la décision des associés.
Une fois encore, l’intérêt de l’entreprise et de son sauvetage a fait céder la
résistance du droit des sociétés. Et comme précédemment, la finalité, à savoir le
redressement de l’entreprise, justifie des moyens plus ou moins radicaux. Deux
mesures illustrent ce propos. La première, la moins dérogatoire, touche
seulement les modalités du vote, puisque le tribunal peut modifier les règles de
majorité des assemblées générales extraordinaires lorsqu’une modification du

1
C. com. art. L. 626-17.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 105

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capital ou des statuts est nécessaire au cours de l’élaboration du plan2. Il est


intéressant de remarquer que cette décision du tribunal n’est pas assortie par le
législateur de conditions. On laisse aux tribunaux une liberté totale d’apprécier
l’intérêt de cette atteinte au droit des sociétés. Le but est de contourner
l’opposition des minoritaires sans passer par un long processus judiciaire pour
faire reconnaître l’abus de minorité. La seconde mesure est plus dérogatoire
puisqu’elle va permettre de contourner le droit de vote des associés opposants,
l’article L. 631-9-13 prévoyant que l’administrateur peut demander la
désignation d’un mandataire qui va voter à la place des opposants. Cette mesure
est étroitement encadrée par la loi, il faut d’une part, que la reconstitution des
capitaux propres n’ait pas pu avoir lieu et que « le projet de plan prévoit une
modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à
exécuter le plan ». La finalité de cette disposition réside dans la nécessité de
surmonter l’opposition des associés qui n’assument pas leur obligation d’apurer
les pertes de la société et bloquent notamment une reprise interne. En effet, dans
de telles conditions il deviendra très difficile de trouver un associé souhaitant
investir dans la société sans conditionner son entrée à la prise en charge par les
associés en place de la dégradation de la situation financière de la société. Le
même scénario ou presque se retrouve à l’article L. 631-19-2 intégré dans le
code de commerce par la loi Macron lorsque l’associé refuse de voter une
augmentation de capital dans l’intérêt de l’entreprise qui est détaillé clairement
dans l’article. On se trouve alors, au croisement des droits et des devoirs des
associés.

2
Lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital ou des statuts, l'assemblée générale
extraordinaire ou l'assemblée des associés ainsi que, lorsque leur approbation est nécessaire, les
assemblées spéciales mentionnées aux articles L. 225-99 et L. 228-35-6 ou les assemblées générales des
masses visées à l'article L. 228-103 sont convoquées dans des conditions définies par décret en Conseil
d'Etat. Le tribunal peut décider que l'assemblée compétente statuera sur les modifications statutaires, sur
première convocation, à la majorité des voix dont disposent les associés ou actionnaires présents ou
représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ou actions ayant le droit de vote.
Sur deuxième convocation, il est fait application des dispositions de droit commun relatives au quorum
et à la majorité.
3
Si les capitaux propres n'ont pas été reconstitués dans les conditions prévues par l'article L. 626-3,
l'administrateur a qualité pour demander la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer
l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par
l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit
une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan.

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MARIE-HELENE MONSÈRIÉ-BON

II. Des contraintes renforcées pour les associés

Le droit des sociétés limite les obligations des associés mais il semble
émerger en jurisprudence un mouvement d’élaboration des devoirs d’associés ou
d’actionnaires, construction à laquelle le droit des entreprises en difficulté
apporte une contribution non négligeable tout en renforçant l’efficacité des
obligations classiques pesant sur les associés.

A. Les devoir d’associés

Au titre des devoirs d’associé, l’un de ceux qui intéresse le plus le droit des
entreprises en difficulté est bien sûr le soutien financier que l’associé peut
fournir à la société. Certes, traditionnellement ce devoir est conçu comme
relativement abstrait, un simple slogan pour certains4 puisque l’article 1836,
texte d’ordre public, énonce toujours qu’il ne peut y avoir d’augmentation des
engagements des associés sans qu’ils y consentent.
Ainsi, forte de ce principe, on se souvient que la Cour de cassation a pu affirmer
peu de temps après l’adoption de la loi sauvegarde qu’une société mère,
principale associée de sa filiale, n’a pas d’obligation de la soutenir et qu’une
procédure de sauvegarde peut être ouverte car les difficultés sont bien
insurmontables. La solution est également dictée, il est vrai, par l’indépendance
des personnes morales.
Mais les diverses modifications apportées à la loi de sauvegarde depuis 2005 ont
assez sensiblement modifié le paysage et l’associé se trouve quelque peu
contraint par ce devoir de soutien financier5. Plusieurs textes attestent de cette
volonté du législateur qui s’exprime avec une intensité variable sans que
toutefois, on imagine clairement comment il sera possible de rendre effectif ce
soutien financier imposé6...

4
A. Couret, Les devoirs de l’actionnaire et le droit des sociétés, Gaz. pal. 6 juin 2016, p. 14.
5
A. Cerati-Gauthier, La promotion de la "reprise interne" dans l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars
2014 : JCP E 2014, 1435.Note 3 A. Gaudemet et M.-H. Monsèrié-Bon, Reprise interne d'une société en
difficulté : Rev. proc. coll. 2015, dossier 56.
6
M.-H. Monsèrié-Bon, La situation des associés après l'ordonnance du 12 mars 2014 : BJED 2014, p.
178.

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Il convient de s’attarder sur la nouvelle rédaction de l’article L. 631-9-1 du


code commerce issue de la loi du 18 novembre 2016 qui a substitué à la formule
« voter sur la reconstitution du capital » celle de « voter cette reconstitution ».
Une fois encore, le diable se niche dans les détails. Du fait de cette nouvelle
formule, le mandataire qui doit voter est lié, ce qui conduira à imposer aux
associés ou aux actionnaires cette opération qui est un préalable à la
modification du capital concrétisant l’opération de reprise interne. Il semble bien
que l’on ne permette plus aux associés de se soustraire à ce devoir, celui
d’assumer les conséquences financières de la gestion antérieure à l’ouverture de
la procédure.

De même, le nouvel article L. 631-19-2 du code de commerce, dont la


rédaction a été finement ciselée pour éviter une censure constitutionnelle,
renforce incontestablement l’obligation de soutien des associés puisque ceux qui
y résisteraient se verraient imposer une cession de leurs droits sociaux7. Ainsi,
les principes du droit des sociétés sont bafoués dans l’intérêt supérieur de
l’entreprise qui est précisément caractérisé dans le texte. On est alors face à une
exclusion judiciaire qui permet de sanctionner le refus de l’associé ou de
l’actionnaire de soutenir la société en difficulté. On peut donc y voir l’une des
premières manifestations des très fuyants devoirs d’associé.

Cette même idée du devoir de l’associé de soutenir la société se retrouve à


notre sens, plus indirectement certes, dans l’article L. 611-11 du code de
commerce qui exclut les apports faits par les associés ou les actionnaires dans le
cadre d’une augmentation de capital du périmètre du privilège de la conciliation.
Leur devoir de soutenir la société conduit le législateur à les laisser dans une
situation de créancier sous chirographaire.

Les dernières réformes attestent d’une entrée à pas de loup du devoir de


soutien pesant sur les associés et cela dans l’intérêt de l’entreprise, ce qui est
clairement exprimé par le législateur dans les conditions posées par les textes.
Cependant, ce focus ne doit pas occulter les obligations plus classiques
revisitées par le droit des entreprises en difficulté afin de leur conserver leur
efficacité.

7
F.-X. Lucas, Commentaire des dispositions de la loi du 6 août 2015 : BJE 2015, p. 317.

108 | IFR Actes de colloques N° 30

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MARIE-HELENE MONSÈRIÉ-BON

B. Les obligations des associés

Les obligations qui pèsent sur les associés sont parfaitement délimitées par
les codes qui imposent de libérer les apports souscrits, de contribuer aux pertes
pour tous8 et de répondre des dettes pour certains.

En premier lieu, l’obligation de libération du capital souscrit non encore


appelé au jour de l’ouverture de la procédure collective qu’il s’agisse d’une
sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires a été renforcée
par l’ordonnance du 12 mars 2014 qui n’a pas hésité à s’affranchir des règles du
droit des sociétés. D’une part, le nouvel article L. 624-20 du code de commerce
rend immédiatement exigible le capital souscrit non libéré par les associés d’une
société placée en procédure collective. D’autre part, le mandataire judiciaire
pourra demander cette libération9. Ces nouvelles règles sont doublement
dérogatoires. Au droit des entreprises en difficulté, car les associés, en tant que
débiteurs, se trouvent soumis à une situation plus sévère que celle des autres
partenaires de l’entreprise pour lesquels les délais de paiement sont maintenus.
Or, il est possible que les statuts prévoient un échéancier de libération du capital
qui ne pourra pas être opposé au mandataire judiciaire. Ensuite au droit des
sociétés, car les dirigeants se voient privés de leur pouvoir d’appeler le capital,
et si des règles statutaires existent quant aux modalités de cette libération, elles
ne s’imposeront pas dans le cadre de la procédure collective. La suprématie de
l’intérêt de l’entreprise permet de remiser le droit commun peu adapté.

En second lieu, les associés dans les sociétés à risques illimités sont les
débiteurs subsidiaires de la société en raison de la responsabilité indéfinie
solidaire ou conjointe au paiement des dettes sociales. Les associés pourront être
poursuivis par les créanciers de la société en dehors de la procédure, ce qui
allège le passif de la société et donne satisfaction aux créanciers. On aperçoit
alors une convergence des intérêts, intérêts des créanciers et de l’entreprise, ce
qui n’est pas si fréquent. Est-ce vraiment une situation idéale ? Pas tout à fait car

8
Cass. com., 27 sept. 2016, n° 15-13.348, JCP E 2016, 1621, note C. Barillon ; Act. proc. coll. 2016-18,
repère 246, Ph. Schultz ; D. actu 20 oct. 2016, obs. X. Delpech ; Rev. sociétés 2016, p. 768, note L.-
C. Henry ; BJS déc. 2016, p. 699, note F.-X. Lucas ; BJE nov. 2016, p. 412, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ;
LEDEN nov. 2016, p. 5, obs. I. Parachkévova ; F. Reille, Rev. proc.coll. 2017, comm. 2 : dans cet arrêt
la Cour de cassation, comme elle l’avait déjà fait antérieurement, affirme que le liquidateur peut agir
contre les associés pour mettre en œuvre, l’obligation aux dettes.
9
C. com. Art. L. 622-20.

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les règles du droit des sociétés entravent la mise en œuvre de cette responsabilité
des associés qui suppose de poursuivre la société avant de pouvoir se retourner
contre les associés dans le cadre de la procédure collective. Cette incompatibilité
du droit de sociétés qui impose des poursuites contre la société et du droit des
entreprises en difficulté qui les interdit a longtemps permis aux associés
d’échapper à cette responsabilité. Afin de contourner cette difficulté, la
jurisprudence a décidé que si les créanciers pouvaient établir que le patrimoine
de la société était insuffisant pour les désintéresser, ils retrouvaient leur droit
d’action contre les associés. Une telle preuve était bien sûr bien délicate à
rapporter. Cette solution est aujourd’hui abandonnée pour les sociétés civiles au
cours de la liquidation judiciaire, la déclaration de créance étant la seule
condition exigée pour pouvoir poursuivre les associés. Ainsi, la procédure
collective n’apparaît plus comme une source d’exonération de responsabilité
pour les associés. En outre, la jurisprudence a affirmé que lorsqu’un plan a été
adopté les associés ne peuvent pas être poursuivis tant que le plan est exécuté.
La situation réservée aux associés est donc assez contrastée et la mise en jeu de
leur responsabilité patrimoniale ne s’impose pas lorsque la société est en
difficulté.

Ce tour d’horizon atteste que petit à petit l’étau se resserre autour des
associés d’une société en difficulté qui ne pourront plus faire jouer à plein la
responsabilité limitée pour échapper à un devoir de soutien que le législateur
semble trouver légitime lorsque la société est en difficulté. On ne peut ignorer
que les dernières réformes ayant cherché à alléger le poids des procédures
collectives pour les créanciers, les associés se retrouvent désormais en première
ligne pour financer le redressement de l’entreprise.

110 | IFR Actes de colloques N° 30

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Les intérêts des créanciers :
quelle évolution depuis 30 ans ?

Françoise PÉROCHON
Professeur à l’Université de Montpellier

Les intérêts des créanciers : quelle évolution depuis 30 ans ?

1. Je remercie tout d’abord les directrices du CREDIF d’avoir conçu, une


nouvelle fois, dans un cadre amical et chaleureux, cette journée d’une grande
richesse scientifique et de m’y avoir invitée à intervenir sur le thème de l’intérêt
ou plutôt des intérêts des créanciers. La diversité en est grande, et le thème est
omni-présent dans le droit des entreprises en difficulté. A l’heure où sont
engagées de nouvelles réflexions sur les « mesures à prendre pour augmenter
l'efficience des procédures de restructuration, d'insolvabilité et d'apurement… »
comme y invite la proposition de Directive du Parlement et du Conseil du 22
novembre 20161, il m’a paru intéressant de retracer l’évolution depuis 30 ans de
la prise en compte des intérêts des créanciers. Un tel regard rétrospectif peut
aider en particulier à « trouver un juste équilibre entre les intérêts des débiteurs
et des créanciers, en prévoyant des mesures de sauvegarde chaque fois que les

1
Proposition de DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 nov. 2016,
COM(2016) 723 final, 2016/0359(COD), relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde
chance et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficience des procédures de restructuration,
d'insolvabilité et d'apurement et modifiant la directive 2012/30/UE, sur laquelle v. J. E. Degenhardt, Le
droit français est-il conforme à la proposition de directive européenne du 22 novembre 2016 visant à
harmoniser le droit des procédures collectives ? L’harmonisation des poires et des pommes, BJE mars
2017, p. 153 ; R. Dammann et M. Boché-Robinet, Transposition du projet de directive du 22 novembre
2016 sur l’harmonisation des procédures de restructuration préventive en Europe : une chance à saisir
pour la France, D. 2017, p. 1264.

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

mesures proposées auraient une incidence potentiellement négative sur les


droits des parties »2, comme se propose de le faire la Commission, étant précisé
que les « mesures de sauvegarde » ainsi évoquées sont ici celles des droits des
créanciers, ce qui est inhabituel pour un juriste français !
Notre droit est en effet depuis 1985 un champion européen et peut-être
mondial de la préservation des intérêts du débiteur (droit dit « debtor friendly »)
et, plus encore, de ceux des salariés… A bien des égards, il demeure
relativement généreux aussi avec les associés, bien que, comme vient de
l’expliquer Marie-Hélène Monsèrié-Bon, une évolution raisonnablement
défavorable paraisse amorcée en ce qui les concerne, que devrait accentuer la
future Directive européenne…

2. Dans un jeu à somme vraisemblablement nulle, il faut bien que quelqu’un


paie : ne cherchez pas, il s’agit des créanciers, et notre droit est depuis trente ans
clairement « creditor unfriendly » ! Vous aurez remarqué que j’interviens en
dernier ce matin, je le dis sans récrimination aucune, notre directrice scientifique
a très bien fait les choses : les créanciers viennent en dernier ce matin parce que
là est leur place depuis 30 ans, dans le droit français des procédures collectives.
Là est leur place depuis « la chute »3 qu’a constituée pour eux l’entrée en
vigueur de la loi du 25 janvier 1985 qui, soucieuse seulement de redresser des
débiteurs « qui ne le méritaient pas forcément » tous, comme le relevait Marie-
Pierre Dumont-Lefrand, a rompu avec des millénaires durant lesquels le premier
objectif du droit de la faillite était de payer le moins mal possible les créanciers
dans un contexte d’insolvabilité. Je rappelle qu’il ne s’agissait alors pour
l’essentiel que des créanciers chirographaires : les titulaires de gages,
hypothèques et autres nantissements et privilèges spéciaux pouvaient en effet les
mettre en œuvre en dépit et en dehors de la procédure collective, contre laquelle
ils étaient largement immunisés4, en France comme à l’étranger…! La loi de
1985, rompant avec l’Histoire, et plaçant au premier rang l’objectif de
redressement, a dégradé la situation des titulaires de sûretés réelles spéciales en
les soumettant, par principe et sauf exception, à la discipline collective durant
toute la procédure et souvent au-delà.

2
Proposition de Directive préc., exposé des motifs, p. 7.
3
Au sens biblique du terme.
4
Pour reprendre l’expression de R. Dammann et M. Boché-Robinet, op. cit., à paraître Dalloz, juin
2017.

112 | IFR Actes de colloques N° 30

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FRANÇOISE PÉROCHON

Le contraste alors marqué entre leur situation en France et celle à l’étranger


s’est toutefois atténué ensuite, puisque de nombreux autres pays européens et
désormais l’Union européenne ont également placé depuis au sommet de leurs
objectifs le sauvetage des entreprises…, au prix inéluctablement de sacrifices au
moins temporaires pour les créanciers, même dotés de sûretés.

3. En prenant donc pour point de départ la situation des créanciers il y a un


peu plus de trente ans, après « la chute » intervenue en 1985, j’aimerais
présenter les aspects à mes yeux les plus marquants de l’évolution de la prise en
compte de leurs intérêts, en distinguant leurs intérêts collectifs (I) de leurs
intérêts individuels (II).

I. L’évolution de la prise en compte des intérêts collectifs


des créanciers

4. S’ils ne peuvent être ici à proprement parler étudiés, deux mouvements


méritent à tout le moins d’être signalés, s’agissant des intérêts collectifs des
créanciers, c'est-à-dire ceux de l’ensemble des créanciers ou de groupes de
créanciers. Le premier a trait à l’évolution du rôle de la négociation entre le
débiteur et ses créanciers (A) ; le second est le cheminement qui mène de
l’intérêt collectif vers le gage commun des créanciers (B).

A. L’évolution du rôle de la négociation entre le débiteur et ses créanciers

5. Sauf à être entachée de quelque vice, une négociation contractuelle n’est


pas susceptible a priori de porter atteinte aux intérêts -de toute nature- des
créanciers, qui auraient beau jeu sinon de refuser l’accord proposé. Celui-ci est
donc, par construction, respectueux des intérêts des créanciers signataires. Il en
est ainsi aussi bien dans la conciliation que dans le règlement amiable du Code
rural : il y a 33 ans déjà, alors que prenait fin le vote du concordat par les
assemblées générales des créanciers, le tout nouveau règlement amiable issu de
la loi du 1er mars 1984 favorisait ainsi la conclusion d’un accord négocié entre le
débiteur et ses principaux créanciers. Ces accords se sont ensuite perfectionnés
et diversifiés (accord constaté, accord homologué, éventuellement doté du

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 113

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

privilège de l’argent frais… : art. L.611-1 C. com. et désormais L.351-6 C.


rural), mais dans le respect toujours du caractère purement contractuel de
l’accord et donc des intérêts des créanciers, à qui la jurisprudence a récemment
précisé qu’il ne peut être reproché de refuser de signer le projet d’accord
amiable, le récalcitrant serait-il isolé parmi une troupe de signataires5…

6. L’innovation a pris ici la forme d’une astuce du législateur, consistant en


2005 à restituer un « pouvoir de négociation aux créanciers » antérieurs, mais
dans le seul intérêt du sauvetage de l’entreprise du débiteur, et au mépris
éventuellement des intérêts des créanciers minoritaires. Les comités de
créanciers, fièrement brandis par la loi de sauvegarde des entreprises (l’alinéa 2
de l’article L.620-1, al. 2 les met sur le même plan -si j’ose dire- que le plan de
sauvegarde dont ils ne sont que l’un des moyens…), sont ainsi un outil, certes
efficace, mais susceptible d’être à la source d’abus au détriment des créanciers
minoritaires, risque d’autant plus grand que le traitement différencié des
créanciers est possible. Le tribunal qui statuera sur le plan est, en droit positif,
leur seul rempart, devant s’assurer « que les intérêts de tous les créanciers sont
suffisamment protégés » (art. L.626-31). Il importe donc qu’il y soit très
attentif6.

7. Dans le même cadre des comités lato sensu, un autre danger guette en outre
depuis 2014 les créanciers a priori moins exposés que les autres, parce que plus
prévoyants : en application de l’article L.626-30-2, alinéa 4 qui ne livre aucune
indication sur la méthode à suivre, l’administrateur peut en effet réduire comme
bon lui semble les droits de vote des membres des comités et obligataires7
susceptibles de bénéficier, en vertu d’une convention, du « paiement total ou
partiel de la créance par un tiers », ce qui inclut à tout le moins toutes les
garanties, tant réelles pour autrui que personnelles8… Un recours est possible

5
Com, 22 sept. 2015, n° 14-17377, FPB ; BJE nov. 2015, p. 360, note Th. Favario, et M.-H. Monsèrié-
Bon, Mandat ad hoc et conciliation : un fragile équilibre à préserver, Editorial BJE nov. 2015, p. 345 ;
APC 2015-17, n° 263, obs. B. Saintourens ; Rev. soc. 2015, 761, obs. Ph. Roussel-Galle ; RTD com,
2016, p. 189, obs. F. Macorig-Venier.
6
V. en ce sens not. M. SENECHAL et G. COUTURIER, Créanciers antérieurs : l’égalité a-t-elle
vécu ?, BJE sept. 2012, p. 328, spéc. 331.
7
Car l’art. L.626-32 in fine renvoie à l’art. L. 626-30-2, al. 4.
8
Sont également visés ceux dont le vote est soumis à une convention de vote ou dont la créance a donné
lieu à des accords de subordination. V. F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, Coll. Dr. fondamental,
PUF, 2016, n° 319.

114 | IFR Actes de colloques N° 30

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FRANÇOISE PÉROCHON

devant le président du tribunal qui statue en référé, recours dont il me paraît bien
incertain qu’il suffise à soustraire le texte à une QPC tant il est imprécis et
potentiellement attentatoire aux droits des créanciers9.

8. La proposition de Directive européenne du 22 novembre 201610 est


toutefois source d’un double espoir pour les créanciers, au moins dans les
procédures préventives. Si les orientations en sont confirmées, nos comités de
créanciers devraient en effet être remplacés à terme par des classes homogènes
de créanciers, l’homogénéité suffisant à éviter que la loi de la majorité puisse
tourner à la dictature, comme le permet notre droit. De plus, alors que celui-ci
est dépourvu de garde-fou objectif protégeant les créanciers contre le risque de
sacrifices excessifs (eu égard notamment au caractère parfois chimérique du
redressement…), la consécration suggérée du « best interest of creditors test »11,
soit en français le « critère du respect des intérêts des créanciers »12 réduira
considérablement le risque de spoliation, tout créancier ayant l’assurance de
n’être pas moins bien traité en cas de sauvetage de l’entreprise qu’il ne le serait
dans la liquidation judiciaire. La solution est heureuse, même si l’on peut
s’interroger sur les modalités concrètes de sa mise en œuvre, et espérer qu’elle
n’annonce pas d’interminables et dispendieuses batailles d’experts13.

9. Une deuxième forme d’instrumentalisation de la négociation avec les


créanciers est apparue entre 2010 et 2014, avec la création de passerelles entre la
voie purement contractuelle de la conciliation et une variante accélérée de la
sauvegarde instituée alors : le passage de la conciliation en sauvegarde
accélérée, financière ou non, à la demande exclusive du débiteur, permet de
forcer la main des créanciers qui ont refusé l’accord amiable envisagé lors de la
conciliation, s’ils sont minoritaires dans les comités. Le tribunal est là encore le

9
Comp. F.-X. Lucas, Manuel préc., n° 319.
10
Proposition de Directive préc. supra, note 1.
11
V. déjà en ce sens, la Recomm. 12 mars 2014 (2014/135/UE), consid. 19, et recomm. 22, c et 24 : 22.
En sa faveur, v. not. F.-X. Lucas et R. Dammann, Faut-il déjà réformer la réforme du 12 mars 2014 ?,
BJE mai 2014, p. 143 ; J. VALLANSAN, APC 2014-9, n° 166 ; L.-C. HENRY, R. soc. mai 2014, p.
407.
12
Proposition de Dir., art. 2 (9), définition du «critère du respect des intérêts des créanciers» : « le fait
qu’aucun créancier dissident ne doit se trouver dans une situation moins favorable du fait du plan de
restructuration que celle qu’il connaîtrait dans le cas d’une liquidation, que cette dernière se fasse par
distribution des actifs ou par la cession de l’entreprise en activité ».
13
L’exemple allemand sera, espérons-le, moins décourageant à cet égard que l’exemple américain !

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 115

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

seul garde-fou de cette coercition, en attendant la future Directive, qui devrait


généraliser la possibilité de surmonter le refus d’une ou plusieurs classe de
créanciers14 tout en plafonnant le sacrifice imposé aux créanciers récalcitrants15
(v. supra, n° 8).
On rapprochera cette contrainte de celle, plus banale, qui peut être imposée à
tout créancier autre qu’un créancier public appelé à la conciliation mais refusant
de signer l’accord amiable -ce qu’il est pourtant libre de faire a priori, on l’a
rappelé- : le président du tribunal peut l’obliger à subir des délais de grâce
plafonnés à deux ans « en prenant en compte les conditions d’exécution de
l’accord » (art. L.611-10-1, al. 2 C. com.)16.

10. Une autre évolution digne d’intérêt est le cheminement de l’intérêt collectif
vers le gage commun des créanciers (B).

B. De l’intérêt collectif vers le gage commun des créanciers

11. Pour faire court et ne pas dénaturer cette évolution tout sauf évidente à mes
yeux, j’emprunterai aux écrits de Madame le conseiller Jocelyne Vallansan qui
présentait, lors du colloque de Bordeaux organisé l’année dernière par le
professeur Laura Sautonie-Laguionie, l’évolution intervenue en matière d’intérêt
collectif des créanciers. On sait que la défense en incombe en principe
exclusivement au mandataire judiciaire, selon le monopole institué par l’article
L. 622-20 du Code de commerce, mais de quoi parle-t-on ? « Version moderne
et modifiée de la masse des créanciers », écrit Madame Vallansan17, l’intérêt

14
Sur « l’application forcée interclasse » définie par art. 2, 8 de la Proposition de Directive comme « la
validation par une autorité judiciaire ou administrative d’un plan de restructuration passant outre le
désaccord d’une ou de plusieurs classes de créanciers concernées », v. J. E. Degenhardt, op. cit., BJE
mars 2017, p. 153, spéc. p. 156 s. ; R. Dammann et M. Boché-Robinet, op. cit., Dalloz, juin 2017.
15
Au garde-fou du critère du respect des intérêts des créanciers (best interest…), devrait s’ajouter la
« règle de la priorité absolue », définie par l’art. 2, 10, comme « la règle selon laquelle une classe
dissidente de créanciers doit être intégralement désintéressée avant qu’une classe de rang inférieur ne
puisse bénéficier des répartitions ou conserver un intéressement dans le cadre du plan de
restructuration ».
16
Sort réservé au créancier appelé et récalcitrant, à la différence des délais de grâce prévus par l’art.
L.611-7 que peut avoir à subir même tout créancier du débiteur.
17
J. Vallansan, La notion d'intérêt collectif vue par la chambre commerciale de la Cour de cassation, in
Dossier 3è Rencontres jurisprudence-doctrine : échanges sur la hiérarchisation des intérêts dans les
procédures collectives, BJE mai 2016, p. 212.

116 | IFR Actes de colloques N° 30

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FRANÇOISE PÉROCHON

collectif a été défini par un arrêt du 2 juin 201518, comme « la protection et la


reconstitution du gage commun des créanciers », critère mis en lumière par
Marc Sénéchal19 et repris notamment par Pierre-Michel Le Corre20. Comme
l’explique Madame Vallansan, « Le gage collectif, c’est ce qui permet aux
créanciers qui subissent l’arrêt des poursuites, de participer aux répartitions.
L’intérêt de chacun des créanciers est alors absorbé par l’intérêt collectif qui
s’y substitue »21 et « se traduit désormais en jurisprudence par l’idée du gage
collectif »22. Cette approche « correspond aux solutions élaborées par la
jurisprudence au fil du temps, qui permet de déterminer quelle est la qualité à
agir de chacune des personnes impliquées dans une procédure collective »23.
« Au-delà du gage collectif, c’est l’intérêt de chacun qui prévaut ».

12. Il en résulte par exemple que seul le liquidateur -ou subsidiairement, en


application de l’article L.622-20, alinéa 1er, un contrôleur24- peut agir en
responsabilité contre le… liquidateur dont l’erreur avait fait perdre une chance
d’étendre la procédure à un tiers : l’action tendant à la reconstitution du gage

18
Com. 2 juin 2015, n° 13-24714, FSPBRI, Act. proc. coll. 2015-12, n° 184, repère F.-X. Lucas ; D.
2015, act. 1205, obs. A. Lienhard et p. 1970, obs. P.-M. Le Corre ; DPDE juill. 2015, bull. 372, p. 13, n.
L.-C. Henry ; JCP E 2015, 1422, n° 7, obs. Ph. Pétel, et 1489, n. Ch. Lebel ; BJE sept. 2015, p. 269,
éditorial P.M. Le Corre, et p. 313, n. A. Donnette-Boissière ; GP 22 sept. 2015, n° 265, p. 19, n. J.
Théron et GP 20 oct. 2015, n. I. Rohart-Messager ; adde BJE mai 2016, rapp. J. Vallansan, p. 212, P.-
M. Le Corre, p. 214 et F. Pérochon, p. 218 : : « l’action en réparation des préjudices invoqués par les
salariés licenciés, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne
relevait pas du monopole du commissaire à l’exécution du plan ».
19
M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des
créanciers, Litec, Bibl. dr. entr., T. 59, 2002, préf. M.-H. Monsèrié-Bon.
20
P.-M. Le Corre, La notion d'action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers, Editorial
BJE sept. 2015, p. 269 ; Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2017/2018, n° 611-
31 (et éd. précédente).
21
J. Vallansan, BJE mai 2016, p. 212.
22
J. Vallansan, BJE mai 2016, p. 213.
23
J. Vallansan, BJE mai 2016, p. 212.
24
Sur une discordance prétendue entre l’intérêt collectif et l’action en extension pour confusion de
patrimoines, v. F.-X. Lucas, La qualité à agir du contrôleur nommé à l'occasion d'une procedure
collective. Contribution à la definition des actions attitrées, Mél. D.R. Martin, LGDJ, 2015, p. 433 ;
contra, avis de la C. cass. 3 juin 2013, 13-70003, BICC 1er oct. 2013, rapp. A.S. TEXIER et concl.
R. BONHOMME (et RPC 2013-4, ét. 18) ; BJE juill. 2013, p. 197, obs. F. PEROCHON ; LEDEN
2013-7, comm. 102, obs. crit. F.-X. LUCAS ; RPC 2013, n° 117, obs. B. SAINTOURENS ; D. 2013,
pan. 2366, obs. crit. LUCAS ; Rev. sociétés 2013, p. 520, obs. L.-C. HENRY ; APC 2013, n° 167, obs.
P. CAGNOLI ; GPC 1er oct. 2013, p. 7, n. F. REILLE ; BJS 2013, 578, n. I. PARACHKEVOVA ;
RDB 2013, n° 168, obs. C. HOUIN-BRESSAND.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 117

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

commun des créanciers relevait de son monopole et un créancier ne pouvait


l’exercer à titre individuel25. L’arrêt spectaculaire dans sa forme rendu le 15
novembre 2016 l’a confirmé avec éclat, autorisant enfin un liquidateur à
combattre une déclaration d’insaisissabilité irrégulière : « les organes de la
procédure collective (ont) qualité à agir pour la protection et la reconstitution
du gage commun des créanciers », d’où il résulte que « la déclaration
d’insaisissabilité n’étant opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait
l’objet d’une publicité régulière, le liquidateur, qui a qualité pour agir au nom
et dans l’intérêt collectif des créanciers, est recevable à en contester la
régularité à l’appui d’une demande tendant à reconstituer le gage commun des
créanciers »26. De même le liquidateur peut-il, dans un cas particulier tout au
moins27, combattre sur le terrain de la fraude paulienne une déclaration
d’insaisissabilité.
« Si l’intérêt collectif se traduit désormais en jurisprudence par l’idée du
gage collectif », poursuit Jocelyne Vallansan, « la seconde question est de savoir
si, pour la chambre commerciale, ce gage commun doit être compris comme un
gage global ou comme le gage de tous les créanciers »28, et elle rappelle les
arrêts qui, depuis 1993, ont fait expressément référence à l’intérêt collectif
comme à l’intérêt de tous les créanciers29, en matière de crédit-bail par
exemple ou de responsabilité du loueur de fonds de commerce.

13. On connaît la suite de la prise en compte de l’intérêt de tous les créanciers


en matière d’insaisissabilité, celle-ci étant très répandue depuis la loi Macron
puisque de droit s’agissant de la résidence principale (art. L.526-1 C. com.) : le
liquidateur ne peut pas réaliser l’immeuble, mais ceux des créanciers qui ont
l’immeuble dans leur gage le peuvent, même pendant la procédure collective et

25
Com. 28 juin 2016, n° 14-20118, Bull., BJE nov. 2016, p. 431, n. Th. Favario.
26
Com. 15 nov. 2016, n° 14-26287, FSPBI, DPDE, déc. 2016, n° 387, p. 1, n. J.-P. Rémery ; BJE mars
2017, n. N. Borga ; JCP E 2017, 1164, n° 10, obs. Ph. Pétel ; APC 2017-1, n. V. Legrand ; GP 10 janv.
2017, p. 52, obs. P.-M. Le Corre et p. 69, obs. D. Voinot.
27
Civ. 1ère, 14 déc. 2016, n° 15-21876, NP, LEDEN 2017-3, p. 4, n. P. Rubellin ; BJE mai 2017, p. 210
et la note lumineuse de L. Sautonie-Laguionie (Déclaration d’insaisissabilité et fraude paulienne :
Succès exceptionnel de l’action du liquidateur).
28
J. Vallansan, op. cit., BJE mai 2016, p. 213.
29
V. les arrêts cités, et en ce sens, P.-M. Le Corre, L'intérêt collectif est-il l'intérêt de tous les
créanciers ?,in Dossier 3è Rencontres jurisprudence-doctrine : échanges sur la hiérarchisation des
intérêts dans les procédures collectives, BJE mai 2016, p. 214, et Droit et pratique…, n° 611-36.

118 | IFR Actes de colloques N° 30

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FRANÇOISE PÉROCHON

selon les formes du droit commun30, peu important sans doute qu’ils n’aient pas
déclaré leur créance31. Comme l’a dit Caroline Henry ce matin, il y a là une
bombe à retardement posée par le législateur, mais le détonateur a été placé par
la Cour de cassation !

14. L’étape suivante devrait logiquement permettre au débiteur, qui n’est pas
dessaisi s’agissant d’un bien hors procédure collective, de le réaliser si bon lui
semble pendant la procédure collective, indépendamment des règles de celle-
ci… Le débiteur s’en gardera toutefois si l’immeuble n’est pas, ou n’est plus, sa
résidence principale, parce que l’insaisissabilité prendra fin aussitôt…, ramenant
ainsi le prix dans l’actif de la procédure collective. En revanche, s’il s’agit de sa
résidence principale, la question est de savoir s’il peut bénéficier du report de
l’insaisissabilité sur le prix grâce à un remploi du prix durant l’année de la
vente : le problème résulte en effet du fait que, conformément aux dispositions
de l’article L.641-9, III, le débiteur en liquidation judiciaire n’exerce plus
d’activité professionnelle indépendante, comme le requiert en principe l’article
L.526-3, alinéa 1er, par renvoi à l’article L.526-1 (du moins pour l’activité
agricole ou libérale, le commerçant ou l’artisan restant généralement quant à lui
immatriculé) ; l’admission du remploi, sans doute conforme à l’intention du
législateur, suppose une lecture souple du texte, décidant par exemple que
l’exercice de la profession considérée s’apprécie au jour du jugement
d’ouverture…

15. Cette construction prétorienne, à mes yeux infondée32, est évidemment


avantageuse pour les (seuls intérêts individuels des seuls) créanciers qui ont

30
Com. 4 mai 2017, n° 15-18348, FD ; Com. 5 avril 2016, 14-24640, FSPB, D. 2016, p. 1296, n.
N. Borga et p. 1894, n. P.-M. Le Corre, et A. Lienhard, actu 12 avril ; BJE juill. 2016, p. 257, n. V.
Legrand ; Gaz. pal. 28 juin 2016, p. 54, n. P.-M. Le Corre ; R. soc. 2016, p. 393, n. L.-C. Henry ; RJC
2016, p. 268, n. Ph. Roussel Galle ; APC 2016-9, n° 120, n. J. Leprovaux ; JCP E 2016, 1442, n.
Ch. Lebel et 1465, n° 6, obs. Ph. Pétel ; JCP N 2016, 1218, n. F. Vauvillé ; RPC 2016, n° 119, n.
F. Macorig-Venier, et n° 186, p. 53, n. F. Reille.
31
Si l’on transpose la solution classiquement retenue pour les créanciers de l’indivision admis à saisir le
bien indivis pendant la procédure collective, même si la créance est éteinte, faute d’avoir été déclarée :
Com. 7 févr. 2012, n° 11-12787, B. ; BJE mai 2012, p. 137, n° 62 obs. M. SÉNÉCHAL ; DPDE, mars
2012, p. 5, obs. M. Dizel.
32
Définir l’intérêt collectif par l’intérêt de tous les créanciers en constitue la négation même, puisque, à
la suivre, le liquidateur qui ne peut pas représenter 100 % des créanciers ne devrait représenter personne,
résultat contre-productif (pour d’autres critiques, v. M. Sénéchal, op. cit., et BJE mars 2014, p. 65 ; F.
Pérochon, Entreprises en difficulté, L.G.D.J., 10è édition, 2014, n° 526, Rev. proc. coll. 2013-4, dossier
25, p. 55, et L'intérêt collectif n'est pas l'intérêt de tous les créanciers sans exception, BJE mai 2016, p.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 119

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

l’immeuble dans leur gage, libérés grâce à elle des contraintes de la procédure
collective. Elle l’est également pour les rares débiteurs qui parviendront grâce à
elle à éviter la vente de la résidence principale pendant la liquidation judiciaire,
par exemple parce que le conjoint pourra régler les dernières échéances restant à
payer, et satisfaire ainsi le créancier. En revanche, elle aboutit à une restriction
considérable des actions relevant de l’intérêt collectif, comme le soulignait
récemment le professeur Sautonie-Laguionie à propos de l’une d’elles : « Depuis
un arrêt rendu en 201333, l’exercice de l’action paulienne dans l’intérêt collectif
des créanciers a vu son périmètre considérablement réduit, puisque la Cour
avait subordonné la recevabilité de l’action du liquidateur à la condition qu’il
représente uniquement des créanciers ayant un intérêt à ce que la déclaration
d’insaisissabilité leur soit déclarée inopposable »34.

16. Les atteintes ainsi portées à l’intérêt collectif du fait de la définition


étriquée qu’en retient la Cour de cassation – par principe fâcheuses dans une
procédure encore dite « collective » – restent toutefois limitées à ce jour car,
selon une logique qui m’échappe mais dont je me réjouis en opportunité, la Cour
de cassation cantonne pratiquement son raisonnement aux biens insaisissables…
Elle ne l’étend pas, par exemple, au droit des régimes matrimoniaux (faute
d’être dans le gage de tous les créanciers, les biens propres mais parfois aussi les
biens communs devraient être soustraits à l’action du liquidateur…), pas
davantage au droit de la responsabilité (article L.651-2, alinéa 4 du Code de
commerce : le produit de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif
étant depuis 2008 soustrait par la loi au gage des dirigeants responsables35,
l’action devrait dans la logique de la Cour de cassation avoir perdu son caractère
collectif…), et pas non plus à l’ensemble des actions en inopposabilité pour
fraude paulienne. Comme l’observe Laura Sautonie-Laguionie36, « Dans le

218 ; Ph. Pétel, n. JCP E 2017. 1164, n° 10, JCP E 2013, 1380 (Irrecevabilité de l’action paulienne du
liquidateur contre une déclaration notariée d’insaisissabilité) et JCP E 2012, 1508 ; N. Borga,
Déclaration d'insaisissabilité : la Cour de cassation avance à pas comptés, D. 2015, p. 1302, n° 9,
L'insaisissabilité légale de la résidence principale, BJE nov. 2015, p. 429, et Vente d'un immeuble
déclaré insaisissable : requiem pour la déclaration notariée d'insaisissabilité, D. 2016, 1296.
33
Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-16.035 : Bull. civ. IV, n° 68 ; BJE 2013, 217, n. L. Camensuli-
Feuillard ; Rev. Proc. coll. 2013, n° 113, note Fl. Reille ; JCP E 2013, 1380, note Ph. Pétel.
34
L. Sautonie-Laguionie, n. préc., BJE mai 2017, p. 210 (arrêt qui, écrit-elle, « ne se prononce que sur le
bien-fondé de l’action, et admet une fraude par anticipation ».
35
« Double peine » discutable…
36
L. Sautonie-Laguionie, in n. préc., BJE mai 2017, p. 210.

120 | IFR Actes de colloques N° 30

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contentieux de l’action paulienne exercée en cas de procédure collective, la


Cour de cassation n’exige pas, hormis pour la déclaration d’insaisissabilité,
que le liquidateur ne représente que des créanciers victimes de la fraude, allant
même jusqu’à admettre qu’il n’en représente qu’un seul37 » ; d’où la cassation
en ces termes et au visa des articles 1167 du code civil et L. 622-20 du code de
commerce d’un arrêt qui avait cru devoir juger le contraire : « Qu’en statuant
ainsi, alors que le droit conféré aux créanciers par l’article 1167 précité peut
également être exercé, en leur nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, par
leur représentant et que la recevabilité de son action n’est pas subordonnée à la
condition que plusieurs créanciers puissent exercer l’action paulienne, la cour
d’appel a violé les textes susvisés »38.

17. Selon cette jurisprudence heureusement nuancée, il n’est pas besoin qu’une
action soit exercée dans l’intérêt de tous les créanciers pour qu’elle relève de
l’intérêt collectif… C’est donc que le gage commun n’est pas forcément celui de
tous les créanciers, mais simplement le gage de droit commun, le gage par
principe, a priori accessible à tous39, c'est-à-dire au créancier quelconque, celui
qui n’est pas (forcément) doté de prérogatives spéciales, sauf exceptions.

18. Après cette évocation de l’évolution intervenue en matière d’intérêt


collectif, j’envisagerai rapidement l’évolution de la prise en compte des intérêts
individuels du créancier confronté à la procédure collective.

II. L’évolution de la prise en compte des


intérêts individuels des créanciers

19. En quelques mots et pour finir, j’évoquerai l’évolution intervenue quant aux
intérêts individuels des créanciers en distinguant le fond, la substance du droit
du créancier, de son exercice.

37
V. Cass. civ. 1ère, 29 mai 2013, n° 12-16541 : BJE sept. 2013, p. 298, n. L. Sautonie-Laguionie :
« alors que le droit conféré aux créanciers par l’article 1167 précité peut également être exercé, en leur
nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, par leur représentant et que la recevabilité de son action
n’est pas subordonnée à la condition que plusieurs créanciers puissent exercer l’action paulienne, .
38
Cass. civ. 1ère, 29 mai 2013, n° 12-16541, BJE sept. 2013, p. 298, n. L. Sautonie-Laguionie.
39
C. civ., art. 2284 et 2285.

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

A. Evolution quant à la substance des intérêts individuels des créanciers

20. S’agissant de la substance du droit, l’évolution me paraît marquée par le


constant recul du principe d’égalité des créanciers40, principe traditionnellement
dominant en droit des procédures collectives (plutôt qu’en droit des entreprises
en difficulté, si l’on veut distinguer puisque le principe d’égalité ne régit pas le
traitement amiable41 et que, plus généralement, il n’a pas sa place en matière
contractuelle). Ce principe, d'ordre public interne et international42, « principe
vecteur de sécurité et de justice »43, continue certes à régir la matière : l’égalité
des créanciers subsiste et doit être respectée par principe, s’il n’y est pas
expressément dérogé et sauf aux intéressés à accepter un traitement différent,
comme peuvent le faire les créanciers qui acceptent44, plus ou moins
volontairement, les propositions peut-être très originales de règlement sur
lesquelles ils sont consultés (article L.626-5 du Code de commerce). L’exigence
d’égalité, qu’évoquait déjà expressément l’article 20.2 du Règlement européen
n° 1346/2000 du 29 mai 2000, est reprise dans les mêmes termes par l’article
40
Ce recul n’est pas nouveau : M. CABRILLAC, Les ambiguïtés de l'égalité entre les créanciers, Mél.
Breton et Derrida, 1991, p. 31, parlait de « mythe » et « d’égalité devant le néant » ; v. également, M.
DELMOTTE, L'égalité des créanciers dans les procédures collectives, rapp. C. cass. 2003 ;
F. POLLAUD-DULIAN, Le principe d'égalité dans les procédures collectives, JCP G 1998. I. 138 ; Ch.
Lèguevaques, L'égalité des créanciers dans les procédures collectives : flux et reflux, GP 4-6 août 2002,
p. 2 ; M. SENECHAL et G. COUTURIER, Créanciers antérieurs : l’égalité a-t-elle vécu ?, BJE sept.
2012, p. 328. Mais les illustrations s’en multiplient.
41
Plutôt qu’en droit des entreprises en difficulté, puisque le principe d’égalité ne régit pas le traitement
amiable : Com. 16 juin 1998, n° 96-15525, Bull. n° 193 ; F. Pérochon, Entreprises en difficulté, n° 183 ;
F.-X. Lucas soulignait récemment que ce principe figure à l’art. 2285 du Code civil, mais n’est pas
impératif : obs. LEDEN 2017-4, p. 1, obs. Lucas, n° 110r2 (à propos de Com. 8 mars 2017, n° 15-
20288, FD).
42
Civ. 1re, 4 févr. 1992, n° 90-12569, B. n° 38 : « Vu les articles 1504, 1502, 5°, du nouveau Code de
procédure civile, ensemble les articles 41, alinéa 2, et 74, alinéa 1er, de la loi du 13 juillet 1967 ;
Attendu que le principe de l'égalité des créanciers dans la masse, qui résulte des deux derniers de ces
textes, est à la fois d'ordre public interne et international » ; il en est de même pour le principe de
« suspension des poursuites individuelles en matière de faillite… à la fois d'ordre public interne et
international » : Civ. 1re, 6 mai 2009, n° 08-10281, B. n° 86.
43
H. Poujade, Le plan de restructuration en droit des entreprises en difficulté, déc. 2014, Toulouse, dir.
C. Saint-Alary Houin, n° 131.
44
Se plaçant ainsi hors du champ du principe et des contraintes édictées par les alinéas 4 et suivants de
l’art. L.626-18 : v. par ex. F. Pérochon et Ph. Pétel, Les délais du plan de sauvegarde ou de
redressement, Mélanges Le Cannu, 2014, Paris, p. 611, n° 4 s. ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des
entreprises en difficulté, 10e éd. 2016, LGDJ, coll. Précis Domat, n° 1032 ; P.-M. Le Corre, Droit et
pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2017/2018, n° 512.33 ; F.-X. Lucas, Manuel de droit
de la faillite, n° 321.

122 | IFR Actes de colloques N° 30

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FRANÇOISE PÉROCHON

23.2 du Règlement révisé du 20 mai 201545, qui tend à éviter que la pluralité de
procédures principale et secondaire(s) susceptibles de s’appliquer à un même
débiteur soit à l’origine d’une rupture d’égalité entre les créanciers.

21. Néanmoins, le principe d’égalité perd du terrain, au point de devenir


quasiment résiduel, tant se multiplient les dérogations qui lui sont apportées, que
celles-ci résultent de la mise en place de garanties (1) ou de traitements distincts
des créances dans le cadre du plan (2).

1) Recul lié à la mise en place de garanties

22. En premier lieu, les sûretés réelles, affaiblies en 1985 par leur soumission
générale à la discipline collective (supra, n° 2), ont repris depuis du poil de la
bête, d’abord en 1994 avec la rétrogradation, en matière immobilière, du
privilège des créances postérieures dans la liquidation judiciaire, puis au fil du
temps, au fur et à mesure du développement de nouvelles garanties, plus
résistantes à cette discipline collective que les sûretés « purement
préférentielles » auxquelles elles sont donc fréquemment substituées.

23. Il s’agit essentiellement des sûretés fondées sur la propriété, dont la plus
efficace est certainement la cession Dailly, fiducie atypique que la jurisprudence
surprotège à mon avis46. La clause de réserve de propriété est également très

45
Art. 23.2, du Règlement (UE) 2015/848 du 20 mai 2015 révisant le règlement 1346/2000, JOUE 5
juin 2015, n° L141, p. 19 « Afin d’assurer un traitement égal des créanciers, un créancier qui a obtenu,
dans une procédure d’insolvabilité, un dividende sur sa créance ne participe aux répartitions ouvertes
dans une autre procédure que lorsque les créanciers de même rang ou de même catégorie ont obtenu,
dans cette autre procédure, un dividende équivalent ».
46
En ce sens, J.-E. Kuntz et J. Cavelier, Notification d'une cession Dailly ou d'un nantissement de
créances et exécution du plan de sauvegarde ou de redressement, BJE mars 2015, p. 123 ; J.-E. Kuntz et
V. Nurit, La cession de créances Dailly à titre de garantie à l'épreuve du plan de sauvegarde, BJE janv.
2014, p. 58. La jurisprudence renforce sans cesse cette impression de faveur excessive : Com. 22 mars
2017, n° 15-15361, FSPBI, BJE mai 2017, p. 201, n. Bonhomme ; Com. 1er mars 2016, 14-20275, FD,
rejet, BJE mai 2016, p. 179, n. R. Bonhomme ; Com. 30 juin 2015, n° 14-13784, FSPB, LPA 11 sept.
2015, p. 15, n. R. Bonhomme ; LEDEN 2015-8, n° 116, n. Borga ; CA Versailles, ch. 13, 28 févr. 2013,
12/06573, Hold, LEDEN 2013-4, n° 061, obs. Lucas ; D. 2013, p. 829, obs. R. Dammann et G. Podeur,
et 1716, chron. Crocq ; BJE juill. 2013, p. 235, n. N. Borga (Quand la cession Dailly se joue des
procédures collectives) ; D. 2013, 2895, note R. Dammann et M. Boché-Robinet ; BJS mai 2013,
comm. 167, note M. Laroche.
Pour un exemple inverse de rigueur étonnante à l’égard du cessionnaire Dailly, v. Com. 19 mai 2015, n° 14-
11215, FPB, DPDE juin 2015, bull. n° 371, p. 11, obs. Ph. Roussel Galle (et Gaz. pal. 19 juil. 2015, pp. 23) ;

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 123

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

efficace parfois, pouvant (et devant) être mise en œuvre lorsque s’ouvre la
procédure collective, mais avec un résultat qui demeure assez aléatoire. Plus
lourde à constituer mais polyvalente, la fiducie-sûreté, toujours efficace face à
un constituant en liquidation judiciaire (ou soumis à un plan de cession), est
également très sûre en cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire
lorsqu’elle entraîne dépossession du constituant47, soustrayant de surcroît le
bénéficiaire au piège des comités de créanciers…

24. Par ailleurs, les sûretés assorties d’un droit de rétention effectif, notamment
le gage mobilier ou, selon les textes, immobilier, sont elles-mêmes
potentiellement efficaces, à la mesure de la gêne créée chez le débiteur ; le gage
l’est plus encore en cas de liquidation judiciaire du constituant, puisque le
gagiste peut alors exiger l’attribution judiciaire (article L.642-20-1, alinéa 2 C.
com.). Le droit de rétention fictif lui-même peut également permettre le
paiement du créancier, dans la liquidation judiciaire… C’est dire que l’arsenal
des sûretés n’a pas été démantelé, bien au contraire, restreignant d’autant la
place laissée au jeu du principe d’égalité des créanciers.

2) Recul lié à la souplesse croissante du contenu des plans

25. Hors le cadre des comités (v. supra, n° 6 s.), l’élaboration des plans a
longtemps reposé sur l’obligation faite au tribunal d’imposer des délais de
paiement uniformes et réglementés aux créanciers n’ayant pas accepté les
propositions de règlement transmises par le mandataire judiciaire, cette
uniformité – quasi-absolue puisqu’elle ne réservait au départ que les délais
contractuels plus longs – étant à certains égards tout au moins48 une expression
du principe d’égalité et en tout cas voulue et considérée comme telle.

26. C’est pourquoi les possibilités croissantes de traitement différencié entre les
créanciers, y compris dans les plans adoptés sans comités et bien que ceux-ci

BJE nov. 2015, p. 378, n. C. Lisanti ; RTD com. 2015, 588, obs. A. Martin-Serf ; RD bancaire et fin. 2015, n°
167, obs. C. Houin-Bressand ; Droit et procédure janv. 2016, p. 20, obs. Crocq ; JCP E 2015, 1504, n. S.
Moreil.
47
Et même en l’absence de dépossession, dès lors que l’assiette n’est pas un bien utile à la continuation
de l’activité du constituant.
48
A certains égards, seulement : v. sur les approximations de cette égalité légale F. Pérochon,
Entreprises en difficulté, n° 1000 et 1007 ; C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté,
n° 1032.

124 | IFR Actes de colloques N° 30

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relèvent de textes qui, à la différence des articles L.626-30-2, alinéa 2 (pour les
comités de créanciers stricto sensu) et L.626-32, alinéa 2 (pour l’assemblée des
obligataires), n’en font pas clairement mention49, manifestent à mon avis un
autre recul du principe d’égalité50. Avec l’approbation de la meilleure doctrine51,
la pratique, sensible notamment au souci d’élaboration rapide du plan, avait
d’ailleurs admis des solutions différenciées en l’absence même de texte le lui
permettant : par exemple, depuis 2005, s’il avait fallu attendre d’avoir pu
consulter tous les titulaires de créances postérieures non privilégiées (dont,
précisément pour des raisons de rapidité, il n’est pas tenu compte dans les
comités de créanciers : supra, n° 6), on aurait fortement retardé l’adoption du
plan, et il en serait de même si l’on voulait consulter les créanciers déclarant
tardivement leur créance, après avoir été relevés de la forclusion…52. D’où la
solution pragmatique préconisée notamment par le professeur François-Xavier
Lucas consistant à ne pas les consulter et à les traiter par principe comme des
récalcitrants, parmi les autres créanciers visés par l’article L.626-18, alinéa 4
(« Dans les autres cas… »), puisque par hypothèse ils n’ont pas accepté ces
propositions à eux non soumises53.

49
V. contre le raisonnement a contrario, F. Pérochon et Ph. Pétel, Les délais du plan… préc., Mél. Le
Cannu, p. 611, n° 6.
50
En ce sens, C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, n° 1032, et Com. 20 mars 2012,
n° 11-23812 (QPC non transmise), RPC 2013, comm. 20, n. J.-J. Fraimout ; BJE mai 2012, p. 146, n.
N. Tagliarino-Vignal. Comp., y voyant un renforcement de l’égalité vraie : M. SENECHAL et
G. COUTURIER, Créanciers antérieurs : l’égalité a-t-elle vécu ?, BJE sept. 2012, p. 328, spéc. p. 330
s. ; N. Ghalimi, Le traitement différencié des créanciers dans les plans de sauvegarde et de redressement,
LPA 19 déc. 2014, p. 4 ; F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, n° 322.
51
F. DERRIDA et J.-P. SORTAIS, avec la collaboration de A. HONORAT, Redressement et
liquidation judiciaires des entreprises. Cinq années d'application de la loi du 25 janvier 1985, Dalloz, 3e
éd., 1991, note 690 ; F.-X. LUCAS, in La crise du crédit, Lamy Axe droit, p. 282 s., n° 410 et LE PLAN
DE SAUVEGARDE APPRÊTÉ OU LE PREPACKAGED PLAN À LA FRANÇAISE, CDE 2009-5,
sept. 2009, art. 28 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 2017/2018, n° 512.31 ;
N. Ghalimi, op. cit., LPA 19 déc. 2014, p. 4 ; F. Pérochon et Ph. Pétel, Les délais du plan préc., Mél. Le
Cannu, p. 611, n° 4 s. ; H. Poujade, Le plan de restructuration en droit des entreprises en difficulté, déc.
2014, Toulouse, dir. C. Saint-Alary Houin, n° 110 et 126 s. qui évoque l’atomisation de l’intérêt
collectif des créanciers.
52
V. la démonstration de F.-X. LUCAS, in La crise du crédit, Lamy Axe droit, p. 282 s., n° 410 et CDE
2009-5, sept. 2009, art. 28.
53
F.-X. Lucas, in La crise du crédit, Lamy Axe droit, p. 282 s., n° 410 et CDE 2009-5, sept. 2009, art.
28, et Observations sur le volet règlementaire de la SFA, éclairage BJE mai 2011, p. 102 ; P.-M. Le
Corre, Droit et pratique des procédures collectives, n° 512. 44.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 125

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

27. La possibilité d’un traitement différencié en dehors du cadre des comités a


été confirmée dans son principe par l’alinéa final de l’article L.626-5 ajouté par
la loi n° 2010-11249 du 22 octobre 2010, aux termes duquel « Le mandataire
judiciaire n'est pas tenu de consulter les créanciers pour lesquels le projet de
plan ne modifie pas les modalités de paiement ou prévoit un paiement intégral
en numéraire dès l'arrêté du plan ou dès l'admission de leurs créances. ». On
peut se demander en revanche si ce texte ne condamne pas la pratique évoquée à
l’instant, puisqu’il paraît subordonner la dispense de consultation à la condition
que le créancier ne se voie imposer aucun délai54.
Par ailleurs, le texte ne dit rien de son domaine d’application, ni des raisons
de cette application, très favorable aux intéressés : qui sont ces créanciers dont le
plan respecte, voire dont il améliore les modalités de paiement ? Comment sont-
ils choisis ? Il semblerait en tout cas opportun de transposer ici l’exigence
minimale posée pour les comités de créanciers lato sensu : des solutions
différenciées sont possibles si et seulement « si les différences de situations le
justifient », ce qui s’entend vraisemblablement de différences objectives55. Là
encore, le rôle du tribunal est essentiel. Il lui appartient d’être attentif à ces
discriminations, de vérifier, selon le cas, l’absence de favoritisme ou de
spoliation et de veiller à une répartition adaptée – ce qui ne signifie pas
égalitaire – des sacrifices demandés aux créanciers56.

28. Je terminerai en évoquant brièvement l’évolution intervenue depuis 30 ans


concernant l’exercice individuel des droits du créancier.

54
Pour la négative, F.-X. Lucas, Observations sur le volet réglementaire de la SFA, éclairage BJE mai
2011, p. 102, spéc. 103.
55
F. Pérochon et Ph. Pétel, Les délais du plan préc., Mél. Le Cannu, p. 611, n° 25 ; F. Pérochon,
Entreprises en difficulté, n° 872 ; H. Poujade, Le plan de restructuration en droit des entreprises en
difficulté, n° 129 suggère ainsi pour le passif obligataire (même hors comités) des remises plutôt que des
délais de paiement, v. également n° 271-2 pour les prêts in fine.
56
M. SENECHAL et G. COUTURIER, op. cit., BJE sept. 2012, p. 331 : « le tribunal… doit désormais
procéder à un contrôle de l’égalité poussé, et ce au regard de la valeur de l’entreprise, les efforts les
plus importants devant être supportés par les créanciers dont les créances ne sont que partiellement,
voire aucunement, couvertes par la valeur de l’entreprise au moment où il examine l’opportunité
d’arrêter le plan » ; H. Poujade, Le plan de restructuration en droit des entreprises en difficulté, n° 265
s. sur le contrôle de la « différenciation proportionnée ».

126 | IFR Actes de colloques N° 30

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FRANÇOISE PÉROCHON

B. Evolution quant à l’exercice des intérêts individuels des créanciers57

29. 1985, année de la loi sur le redressement judiciaire des entreprises, était
aussi l’année du film Brazil de Terri Gillian, dont l’univers glauque et kafkaïen
glace durablement le spectateur en décrivant par le menu le parcours du
combattant désespérément suivi par le héros pour faire reconnaître, non pas sa
créance dans la procédure collective de son débiteur, mais l’erreur d’une
monstrueuse machinerie administrative … Que d’analogies pourtant entre ces
combats, tous deux absurdes et sanglants, pouvant aller jusqu’à la mort, pour la
créance, éteinte au bout d’un an en cas de forclusion, selon la loi de 1985… !
En 32 ans, les obstacles du parcours dressé devant le créancier désireux de
faire valoir sa créance dans la procédure collective ont certes changé, le
législateur et la jurisprudence veillant à les compliquer régulièrement, en
renouvelant certains58, en allégeant exceptionnellement d’autres. Mais en 2017,
la déclaration de la créance est encore et toujours un parcours du combattant,
impraticable par la plupart des créanciers, y inclus même les professionnels du
crédit, voire leurs avocats, parfois même spécialisés… Moi qui ne suis
qu’universitaire, après plus de 30 ans de travail en la matière, après avoir lu les
centaines de pages écrites par les meilleurs spécialistes et parcouru un nombre
incalculable de décisions sans doute très subtiles, mais souvent passablement
obscures et décourageantes pour le créancier59, je serais encore, et même de plus
en plus, en grande difficulté pour déclarer la plupart des créances et obtenir
ensuite une décision sur le fond…

57
L’espoir ici encore viendra-t-il de l’Europe ? L’exposé des motifs de la Proposition de directive, p. 23,
ne fait mention expresse que des droits fondamentaux du débiteur et des travailleurs. Mais ceux des
créanciers sont peut-être en filigrane dans les garde-fous visés ci-après : « Droit de propriété et droit à
un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial (articles 17 et 47 de la charte): bien que
certaines parties de la procédure puissent porter atteinte à ces droits, elles sont nécessaires et
proportionnées pour faciliter une mise en œuvre rapide de plans de restructuration de nature à rétablir
la viabilité des débiteurs. Des garde-fous appropriés ont été prévus dans chaque cas pour garantir la
protection des intérêts légitimes des parties contre les abus. »
58
Or il faut du temps pour être sûr de bien comprendre les nouvelles mesures, et plus encore pour
connaître et comprendre la vision qu’en retient la Cour de cassation. Qui peut affirmer en 2017 maîtriser
parfaitement la déclaration par le débiteur pour le compte du créancier instituée par l’ordonnance du 12
mars 2014 ?
59
En matière de déclaration, vérification et admission ; v. pour quelques exemples Com. 4 mai 2017, n°
15-25919, FD ; Com. 4 mai 2017, 15-23493, FD ; Com. 27 sept. 2016, n° 14-21231 et 14-18998,
FSPB ; adde¸ favorable au créancier mais complexe, Com. 31 janv. 2017, n° 15-17296, FPBI, JCP E
2017, 1164, n° 6, obs. Pétel…

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 127

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LES INTÉRÊTS DES CRÉANCIERS : QUELLE ÉVOLUTION DEPUIS 30 ANS ?

Est-ce normal ? Est-ce nécessaire ? Est-ce du bon droit ? J’en doute


furieusement !

128 | IFR Actes de colloques N° 30

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DEUXIÈME PARTIE

Le droit des entreprises en difficulté,


un droit dérogatoire et précurseur au
service de l'entreprise

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I. Au regard des règles de procédure

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« PROCÈS » ÉCONOMIQUE
Les règles dérogatoires à la procédure

Julien THÉRON
Professeur à l’Université Toulouse Capitole,
Centre de Droit des Affaires (CDA)

Déroger, à lire le dictionnaire, c’est s’abaisser, se déshonorer, contrevenir,


enfreindre, transgresser…
En somme déroger serait dépourvu de toute noblesse.

Et pourtant… Le droit des entreprises en difficulté est un droit précieux, ne


serait-ce que par les finalités nobles qu’il poursuit.
Surtout, si le droit des entreprises en difficulté connaît une procédure spécifique,
il ne s’agit pas d’un droit dérogatoire, mais d’un droit original. En somme il
s’agit de démontrer que les règles procédurales sont et doivent être des règles
propres à la matière et ne peuvent résulter d’une déformation de règles rédigées
pour d’autres domaines. Rendons en ce 30ème anniversaire du Centre de Droit
des Affaires toute la noblesse qui revient à cette matière.

La tâche n’est pas aisée. Au moment où je tentais laborieusement de


rassembler mes idées pour rédiger ces lignes, le hasard a fait qu’un éminent
collègue me faisait parvenir un article relatif à la notion de lien d’instance1. Il y
est démontré que la nature des procédures collectives est très incertaine. Il

1
P. Théry, « La notion de lien d’instance depuis 40 ans », 6ème rencontres de procédure civile, IRJS,
2016.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 133

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LES RÈGLES DÉROGATOIRES À LA PROCÉDURE

synthétise tout un courant doctrinal a priori majoritaire2 selon lequel le juge,


dans les procédures collectives, ne remplirait pas à proprement parlé la fonction
de juger, mais plutôt une fonction gracieuse3 voire administrative4. Si tel était le
cas, il faudrait à n’en pas douter considérer que la procédure en la matière est
dérogatoire. Les règles procédurales ont pour finalité d’encadrer la période entre
la saisine du juge et sa décision, de manière à s’assurer que la justice sera
remplie le mieux possible. Dès lors que la finalité de la saisine du juge n’est plus
de juger, alors cela signifie que les règles de procédures sont nécessairement
détournées de leur finalité naturelle. Ainsi, P. Cagnoli affirme que les actes du
juge en la matière constituent des actes administratifs mais qu’il faut les
soumettre au régime des jugements ordinaires5.

Surtout puisqu’il ne s’agit plus de rendre justice, puisque c’est un


phénomène d’acculturation que d’imposer des règles de procédures en ce
domaine, il importe peu qu’on les modifie, ou que l’on en écarte un certain
nombre. Il devient alors loisible au législateur ou à défaut à la jurisprudence de
déterminer quelles seront les règles qui s’appliqueront ou pas. P. Cagnoli affirme
ainsi que les jugements en la matière n’ont autorité de chose jugée que parce que
la loi en décide ainsi6.

Le danger d’une telle position peut alors être rapidement perçu. Parce
qu’aucune règle ne s’impose naturellement dans cette procédure, le législateur,
le gouvernement ou la jurisprudence pourraient à leur guise supprimer telle ou
telle garantie de procédure. Tel ne semble pourtant pas être le cas. On a même
plutôt le sentiment que les garanties deviennent de plus en plus présentes.

2
H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, T.1, Sirey 1961, n° 482 ; S. Guinchard, M. Bandrac, C. S.
Delicostopoulos, I. S. Delicostopoulos, M. Douchy, F. Ferrand, X. Lagarde, V. Magnier, H. Ruiz Fabri,
L. Sinopoli, J.-M. Sorel, Droit processuel, Droit commun et comparé, 3ème éd. 2005, n° 752 ; G.
Couchez, Procédure civile, Armand Colin 13ème éd. 2004, n° 216 ; M. Bandrac, « De l’acte
juridictionnel, et de ceux qui ne le sont pas », in Le juge entre deux millénaires, Mélanges offerts à P.
Drai, Dalloz 2000, p. 171.
3
G. Wiederkehr, « Le rôle de la volonté dans la qualification des actes judiciaires », Justice, 1996/4, 266
4
R. Martin, « La saisine d’office du juge », JCP G 1973, IV, 6316 ; J. Héron et Th. Le Bars, Droit
judiciaire privé, 5ème éd., n° 333.
5
P. Cagnoli, Essai d’analyse processuelle du droit des entreprises en difficulté, LGDJ, n° 161 et s.
6
id, n° 330.

134 | IFR Actes de colloques N° 30

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JULIEN THÉRON

A titre d’illustration, bien que la célérité soit un des objectifs du droit des
entreprises en difficultés, personne ne songe à fermer les voies de recours… La
seule difficulté en la matière est d’en déterminer les titulaires.

Surtout, au fond si le juge ne remplit pas ici l’office qui lui est propre,
qu’on lui retire le droit des entreprises en difficultés. S’il s’agit simplement de
recourir à eux en raison de leur expérience (tribunal de commerce) ou de leur
sagesse, on pourrait tout à fait réunir ce type de compétences dans le cadre
d’autres institutions… Pourtant personne n’y songe sérieusement. Surtout, le
Conseil constitutionnel à propos de la saisine d’office a qualifié la procédure de
juridictionnelle7.

Tous ces éléments tendent à considérer que la place du juge – aussi


étonnante soit-elle – est naturelle. Dans ce cadre, le tribunal ou le juge
commissaire remplit un office juridictionnel. Il tranche des contestations.
Simplement, celles-ci ne sont pas assimilables à des litiges. Le point crucial est
là. La doctrine classique limitant la fonction de juger à celle de mettre un terme
aux litiges, dès lors qu’il n’y a pas de litige, il n’y aurait plus de juge au sens
matériel du terme.
Mais une fois admis que la fonction juridictionnelle dépasse le litige, tout
s’éclaire. Il est possible d’admettre que le juge remplit ici un office
juridictionnel irréductible au litige. Il n’est plus possible d’opérer un décalque de
règles rédigées pour les litiges. Il faut analyser avec attention la contestation en
cause pour ériger une procédure « sur mesure ».

En somme, c’est en reconnaissant dans un premier temps la finalité


juridictionnelle du de la procédure en droit des entreprises en difficulté (I), qu’il
devient possible dans un second temps de démontrer l’originalité des règles
procédurales en la matière (II).

I. Une procédure juridictionnelle

La procédure est juridictionnelle dans la mesure où elle aboutit à un


jugement. En droit des entreprises en difficultés, dans la majorité des hypothèses

7
CC 7 déc. 2012, n° 2012-286, QPC et CC 6 juin 2012, n° 2014-399, QPC.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 135

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dans lesquelles il est saisi le juge tranche en effet une contestation. Encore faut-
il tout d’abord s’entendre sur la notion de contestation (A), pour pouvoir le
démontrer ensuite (B).

A. La notion de contestation juridictionnelle

Tout d’abord, commençons par arrêter la notion de contestation


juridictionnelle. C’est à dire sur la situation qui déclenche la fonction de juger.

Pourquoi la procédure en droit des entreprises en difficulté ne serait-elle pas


juridictionnelle ? La réponse apportée par une grande partie de la doctrine est
simple : parce qu’il ne tranche pas de litige en cette matière. Classiquement, il
est admis que juger consiste à trancher des litiges. Pour autant cette conception
de la fonction juridictionnelle est trop réductrice. Il ne s’agit pas ici de
déterminer le critère de la fonction juridictionnelle, mais simplement de rappeler
qu’il dépasse le seul litige8. Le juge remplit une fonction juridictionnelle dès
qu’il est saisi d’une contestation, c’est à dire d’une hypothèse dans laquelle il
existe un doute quant à la juste répartition des choses. En somme une personne
affirme avoir moins que sa part, subir une brèche dans ce qui lui est dû.
A n’en pas douter telle est la situation en présence d’un litige. Ici, une personne
(demandeur) affirme avoir moins que son dû en raison de l’attitude active ou
passive d’une autre (le défendeur). Mais il en va également ainsi en droit des
entreprises en difficulté.

B. Mise en œuvre en droit des entreprises en difficultés

Ensuite, il s’agit d’identifier la présence d’une telle contestation dans la


majorité des hypothèses dans lesquelles le juge est saisi en droit des entreprises
en difficulté. Sans être exhaustif, prenons plusieurs illustrations.

L’ouverture d’une procédure collective. La situation ici soumise au


tribunal est juridictionnelle : en conséquence des difficultés de l’entreprise une
multitude de personnes – créanciers, salariés, débiteur… – sont atteintes dans
leurs intérêts et risquent de l’être plus gravement encore à brève échéance. Le

8
Voir J. Théron, L’intervention du juge dans les transmissions de biens, LGDJ 2008, spéc. n° 198.

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tribunal informé de l’existence d’un déséquilibre existant dans la répartition de


ce qui est dû à chacun doit alors remplir la mission qui lui est propre. Il s’agit
ainsi de vérifier la réalité de ce déséquilibre puis le cas échéant d’ouvrir la
procédure idoine pour y mettre un terme. Qu'un créancier ne soit pas réglé en
raison de la mauvaise foi du débiteur (litige) ou qu'il ne le soit pas en raison des
difficultés de l'entreprise, le résultat n'est-il pas le même? Dans tous les cas, il
revient au juge de mettre fin à ce trouble.

Simplement la procédure ici ouverte est beaucoup plus dynamique qu’en


matière de litige. Il ne suffit pas de reconnaître que l’un doit à l’autre. Il importe
de régler les difficultés de l’entreprise pour qu’une juste répartition des choses
puisse être de nouveau établie. Cela prend du temps. Il faut observer, identifier
les causes du mal, avant de chercher la solution idoine. Aussi, tant la décision
d’ouverture que celle qui arrête un plan, prononce une cession d’entreprise ou la
place en liquidation judiciaire sont juridictionnelles. Dans tous les cas il s’agit de
vérifier l’existence d’un déséquilibre et le cas échéant d’ordonner en
conséquence la solution pour y mettre un terme.

L’admission ou le rejet d’une créance9. Il n’y a pas de litige ici parce que
la créance n’est formellement contestée par personne. Cependant, la loi jette un
doute quant à la réalité de la créance déclarée, puisqu’elle impose sa vérification
et son admission pour qu’elle puisse être réglée. Tant que les créances ne sont
pas vérifiées et admises, la loi les présume douteuses et les exclut. Le créancier
déclarant sa créance demande ainsi à la justice à ce que ce doute soit levé.

Les exemples pourraient être multipliés. Dans la mesure où le juge est saisi
pour juger, les procédures qui mènent à sa décision revêtent un caractère
juridictionnel. Simplement le contexte dont il est saisi n’étant pas assimilable au
litige, il importe que la procédure ait une figure propre, originale.

9
J. Théron, « Réflexions sur la nature et l’autorité des décisions rendues en matière d’admission de
créances au sein d’une procédure collective », RTD com. 2010, p. 635.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 137

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II. Une procédure originale

Une procédure originale doit régir le droit des entreprises en difficultés. Le


litige, comme cela a été souligné ne constitue qu’une forme de contestation
parmi d’autres. Aussi, il n’est pas possible de considérer que les règles
procédurales qui régissent l’instance menant à la résolution du litige sont
universelles, s’imposent à toutes les procédures. Nul n’a jamais songé à affirmer
que la procédure administrative contentieuse ou encore la procédure pénale
constituait des régimes dérogatoires. Pourquoi en irait-il autrement en matière de
droit des entreprises en difficulté ? Indéniablement le litige constitue la figure la
plus commune soumise au juge. Mais cela n’en fait pas la figure de principe.
C’est une hypothèse – certes la plus fréquente – mais parmi d’autres. Sa
récurrence n’emporte pas l’obligation de considérer que le règlement litige
constitue le procès type. La procédure civile a été pensée au regard du litige.
Aussi, il est logique que certains concepts classiques paraissent inadaptés. C’est
ici que le droit des entreprises en difficulté devient « révélateur ». Face à
l’incompatibilité de certaines notions classiques, deux attitudes sont
envisageables : l’exclusion, ou la remise en cause. L’exclusion consiste à
affirmer que le droit des entreprises en difficulté est dérogatoire, c’est une
procédure « particulière », spéciale, destinée à régler des difficultés
économiques alors que le droit n’est pas fait pour résoudre ce type de
problématique10. L’autre attitude consiste à remettre en cause le concept
classique à déceler ses incohérences pour le reconstruire. Vous l’aurez compris
c’est à cette approche dynamique que peut conduire le droit des entreprises en
difficulté. Pour y procéder il faut donc prendre en considération la spécificité du
contexte soumis et organiser les règles procédurales à partir de ce dernier. Ici, ce
sont les difficultés de l’entreprise qui sont à l’origine d’un déséquilibre dans la
répartition de ce qui est dû à chacun. Il ne s’agit plus de trancher un conflit entre
deux parties. Aussi, si des parties sont présentes au sein de cette procédure (A),
elles ne peuvent qu’avoir un rôle secondaire au sein de cette procédure (B).

10
P. Théry, op. cit. p. 19.

138 | IFR Actes de colloques N° 30

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A. L’identification des parties

Pour la doctrine classique la notion de partie serait liée à l’existence du


litige11. Cette conception explique alors les raisons pour lesquelles en droit des
entreprises en difficulté12 – contentieux objectif par essence – l’identification des
parties est aussi difficile. En l’absence de litige, il n’y aurait point de
contestation et a fortiori pas de partie à la contestation. Si des personnes sont
bien présentes à l’instance, faute de différend les opposant, il est difficile de
distinguer les parties des tiers…
Pour les identifier il suffit pourtant de se rappeler pourquoi le juge est saisi.
En conséquence des difficultés de l’entreprise une multitude de personnes –
créanciers, salariés, débiteur…– sont atteintes. Le tribunal est ainsi informé de
l’existence d’un déséquilibre existant dans la répartition de ce qui est dû à
chacun. Il lui revient alors d’y mettre un terme. Ici, tout comme dans le cadre
d’un litige les parties sont les personnes qui sont affectées par ce déséquilibre.
Simplement cette mauvaise répartition n’incombe pas à une personne qui aurait
pris plus que sa part. Elle résulte d’un élément objectif : les difficultés de
l’entreprise. Toute personne pâtissant de ce déséquilibre doit être considérée
comme partie à la contestation.

Les parties « nécessaires ». On saisit alors le contenu de la notion de


« partie nécessaire » qui a émergé en droit des procédures collectives13. Cette
notion est initialement14 apparue sous l’empire de la loi de 1967 pour qualifier le
débiteur de partie alors qu’il n’avait été ni entendu ni appelé. Puis la question fut
posée de savoir si on pouvait l’étendre à d’autres personnes à l’instar des
personnes proposant une offre de cession.

Pour résoudre ce type d’hésitation, il suffit de considérer qu’en droit des


procédures collectives, sont nécessairement parties toutes les personnes liées par
le déséquilibre. Cela correspond à la définition de « partie nécessaire » donnée
par Pierre Cagnoli : il s’agit de toute personne qui va « subir ou profiter
directement du jugement »15. En effet c’est bien parce qu’elles sont parties au
11
Op. cit.
12
P. Cagnoli, op. cit. n° 166 et s. ; O. Staes, op. cit., n° 281 et s. ; F. Derrida, op. cit.; R. Houin, op. cit.;
L. Cadiet, obs. ss. Cass. com. 22 mars 1988op. cit..
13
O. Staes, op. cit. ; P. Cagnoli, op. cit., n° 204 et s.
14
R. Houin, op. cit.
15
P. Cagnoli, op. cit., n° 210.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 139

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déséquilibre tranché par le tribunal, que ces personnes vont bénéficier ou subir
ses effets.
• Cela est évident pour le débiteur. Pour mettre un terme au déséquilibre, le
tribunal devra en effet décider soit de le laisser à la tête de son entreprise,
soit de l’exproprier. L’évidence est telle que sa qualité de partie n’est plus
aujourd’hui sujette à caution.
• Il en va de même pour les créanciers16 à l’évidence victimes du déséquilibre
dénoncé. Pareillement les salariés doivent être considérés comme parties à
ce déséquilibre.
• Enfin, dans la mesure où l’intérêt général est concerné, il est logique que le
ministère public soit considéré comme partie. Logiquement chacune de ces
parties, liées au déséquilibre doit pouvoir exercer une voie de recours dans
la mesure où elle estime que le tribunal n’a pas rétabli l’équilibre de la
meilleure manière possible17.

En revanche, toutes les personnes qui ne sont pas parties au déséquilibre,


même si elles sont auditionnées, ne peuvent se voir attribuer la qualité de partie.
Il en va notamment ainsi des repreneurs dans le cadre du plan de cession18, ou
encore des auteurs d’offres d’acquisition dans le cadre de la cession isolée des
biens du débiteur19. Aucun d’eux n’est partie à la contestation avant la saisine de
la juridiction. Ils ne pâtissent pas des difficultés de l’entreprise. Les offres qu’ils
expriment dans ce cadre ne sont que des solutions proposées au tribunal ou au
juge pour essayer de mettre un terme au déséquilibre provoqué par les difficultés
de l’entreprise. Ils ne font pas leur proposition dans le but de voir réparer une
atteinte qu’ils subissaient dans leurs droits et qu’ils espèrent voir réparer par le
jugement.

Parfois la distinction entre partie et tiers paraît plus complexe. Il en va ainsi


lorsqu’au cours d’une liquidation judiciaire est ordonnée la cession d’un bien qui

16
Représentés par le mandataire liquidateur une fois la procédure ouverte.
17
Art. L. 661-1 C. com.
18
Ce qui explique qu’ils n’aient pas la faculté d’exercer de voies de recours contre le jugement ne
retenant pas leur offre (L. 661-6 III C. com.). Seul le cessionnaire choisi peut faire appel du jugement
qui met à sa charge des obligations qui n’étaient pas contenues dans son offre (L. 661-6 III C. com.).
Mais il ne faut pas en déduire qu’il acquiert pour autant la qualité de partie. S’il peut agir contre ce
jugement c’est tout simplement qu’il lui fait grief. En somme, ce recours répond plus à la philosophie de
la tierce opposition qu’à celle de l’appel à proprement parlé.
19
Cass. com. 31 mai 2011, n° 17-774, Gaz. Pal. 8 oct. 2011, n° 281, p. 28, obs. J. Théron.

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n’appartient pas au débiteur. Le propriétaire doit-il être considéré comme un


partie ou comme un tiers ? Sa situation est en effet substantiellement affectée par
le jugement. Pour autant, l’ordonnance en cause n’a pas vocation à rétablir un
déséquilibre auquel elle était partie. Elle a pour finalité de permettre une
réalisation dans les meilleures conditions possibles dans l’intérêt des créanciers
et du débiteur. Aussi, il faut admettre que le propriétaire du bien cédé est tiers à
cette ordonnance. Sans doute est-ce la raison pour laquelle la chambre
commerciale affirme que l’ordonnance du juge-commissaire peut faire l’objet
d’un recours ouvert « aux parties et aux personnes, dont les droits et
obligations sont affectés par ces décisions »20.

Mais en la matière les parties ne peuvent qu’avoir un rôle secondaire.

B. Le rôle secondaire des parties dans l’instance

« Le procès n’est pas la chose des parties ». Si les parties à la contestation


sont ainsi parties à l’instance, il importe de souligner qu’elles ne peuvent pas
avoir le même rôle que les parties à un litige. Dans le cadre d’un litige, il n’y a
qu’un conflit mettant en scène les droits subjectifs des seuls demandeur et
défendeurs. Les deux protagonistes étant maîtres de leurs droits, il est logique
qu’on leur abandonne dans une certaine mesure la maîtrise de l’instance. En
revanche, dans le cadre d’un contentieux objectif comme le droit des entreprises
en difficulté, deux éléments diffèrent. D’abord la cause du déséquilibre est
objective. Il s’agit des difficultés d’une entreprise et non de l’attitude d’une
personne. Les parties ne peuvent par conséquent qu’avoir un rôle dans l’instance
moins actif qu’en présence d’un litige. Cela se mesure tant à l’aune du
déclenchement de l’instance (1) que de sa conduite (2) et de l’autorité de chose
jugée (3).

1) Le déclenchement

En droit des entreprises en difficulté, les parties ne peuvent maîtriser


l’initiative de l’instance. Celle-ci va être déclenchée par une des parties sans que
les autres l’aient nécessairement voulue. De ce point de vue, elles sont en
20
Cass. com. 18 mai 2016, n° 14-19.622, APC 2016-11, Alerte 155, obs. P. Cagnoli ; BJE nov. 2016, p.
429, n. J.-L. Vallens ; JCP éd E 2016, n° 1465, n° 2, obs. Pétel, et n° 1361, n. B. Brignon.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 141

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quelque sorte placées dans la même situation que le défendeur dans le cadre du
litige. Elles deviennent parties à l’instance sans l’avoir désiré. Mais à la
différence du litige, elles ne sont pas placées en position de défense. Au
contraire, chacune de ces parties est en quelque sorte créancière du jugement
attendu. Elle espère que ses intérêts seront le moins lésés possible en
conséquence des difficultés de l’entreprise. Si elles peuvent être parties à
l’instance sans l’avoir voulu, c’est tout simplement parce que la matière soumise
au juge n’est pas la leur. Dans un litige si la partie lésée décide de ne pas agir,
cela ne regarde qu’elle. Au contraire, en droit des procédures collectives, ce
n’est pas parce que le débiteur, ou les créanciers ne saisissent pas le tribunal
qu’il n’y a pas de risque de trouble à la paix sociale. Il importe dans cette mesure
de pouvoir ouvrir ce type de procédure au plus tôt pour que les intérêts en cause
subissent le moins de lésions possibles21.

2) La conduite

Dans le même sens, les parties n’étant pas en ce domaine maîtresses des
intérêts en cause, le raisonnement pour résoudre la contestation et la recherche
des preuves doit leur être retiré. En ce domaine comme en matière pénale, la
solution doit en effet être rendue de la manière la plus objective possible22. Si
dans le cadre d’un conflit intersubjectif ne mettant en cause que les droits des
parties ces dernières doivent assumer la responsabilité de leur succès ou échec,
cela ne peut être ici le cas. Le règlement de la contestation dépasse la
satisfaction directe de l’intérêt des victimes du déséquilibre. Le tribunal a
nécessairement un rôle beaucoup plus actif. Il doit disposer de tous les moyens
nécessaires dans le but de rendre la décision la plus proche de la vérité objective
sans être limité par les seuls éléments avancés par les parties. Ces dernières ont
donc nécessairement un rôle beaucoup moins important dans la conduite de
21
Il y avait là la justification de la possibilité pour le tribunal de se saisir d’office en matière de
redressement et de liquidation. Si une telle faculté a aujourd’hui disparu et avait été censurée en matière
de redressement pour violation du principe d’impartialité, il ne faut pas pour autant en déduire qu’elle
faisait du tribunal une partie. Le tribunal, non partie au déséquilibre, ne peut être considéré comme une
partie à la contestation. Il n’attend rien du jugement qui sera rendu. Dans cette mesure l’autosaisine ne
viole pas le principe selon lequel « nul ne peut être juge et partie ». Cons. const., 7 déc. 2012,. n° 2012-
286 QPC: JO 8 déc. 2012 ; D. 2012, p. 2886, obs. A. Lienhard ; D. 2013, p. 28, note M.-A. Frison-
Roche ; BJED 2013, n° 1, p. 10, note T. Favario ; JCP G 2013, 50, note N. Gerbay ; JCP E 2013, 1048,
note N. Fricero ; JCP E 2013, 48, note C. Lebel ; Gaz. Pal. 18 déc. 2012, p. 9, J1959, note G. Teboul ;
Gaz. Pal. 09 mars 2013 n° 68, p. 29, comm. J. Théron.
22
R. Martin, Théorie générale du procès, Editions juridiques et techniques, 1984, n° 87.

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l’instance qu’en matière de litige. Cette nécessité est accrue du fait que le
tribunal doit ici prendre en considération l’intérêt de l’entreprise. Cet intérêt tiers
à celui des parties, n’est représenté par aucune d’entre elles. Pour l’apprécier, le
tribunal ne peut donc s’en tenir à ce qu’elles apportent. Le traitement des
entreprises en difficulté est incompatible avec le principe par essence
individualiste et subjectif qu’est le dispositif23. Il doit disposer de tous les
moyens nécessaires dans le but de rendre sa décision la plus proche de la réalité
objective. Ici, le juge doit pouvoir modifier l’objet des demandes et retenir des
faits qui ne sont pas dans les éléments du débat24.

D’ailleurs peut-on véritablement parler de demande en la matière. Les intérêts


de l’entreprise ne pouvant véritablement être rattachés à personne, la juridiction
n’est pas saisie d’une prétention tendant à l’obtention d’un avantage particulier
au demandeur. Elle est informée de l’existence d’une situation objective : une
entreprise est en difficulté. Le contenu de la prétention dépasse largement
l’intérêt personnel de la partie qui a recours au tribunal. Elle ne peut en
conséquence limiter l’autorité judiciaire, ni dans son champ d’investigation, ni
dans les solutions qu’il peut prendre. L’objet de la demande est imposé par la
loi. En cas de cessation des paiements, la question à résoudre par le juge est
imposée par la loi. Elle est double : en premier lieu, le tribunal doit s’interroger
sur le point de savoir s’il faut ou non ouvrir une procédure de redressement
judiciaire : le cas échéant, la loi lui impose en second lieu de se prononcer sur la
modalité du redressement.

La considération en vertu de laquelle la procédure examinée n’a que le


redressement de l’entreprise comme objet conduit à considérer de manière
particulière les projets de plan déposés par le débiteur, l’administrateur, ou par
un acquéreur potentiel. Le contexte dans lequel intervient l’autorité judiciaire
n’étant pas un litige, ces projets ne peuvent pas être assimilés à des demandes.
Elles sont destinées à proposer au tribunal diverses solutions pour le
redressement de l’entreprise au même titre que les dispositions légales
constituent des outils permettant au juge de parvenir à cette fin. Ces projets font
partie de la matière du procès. Ils peuvent être utilisés par le tribunal pour
redresser l’entreprise. A aucun moment il ne doit prendre en considération
l’intérêt du débiteur ou de l’auteur de l’offre. C’est ce qui explique que le

23
O. Staes, op. cit., n° 150.
24
D. Briand, Nature du droit des entreprises en difficulté et systèmes de droit, th. Rennes, 1992, p. 361.

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tribunal puisse, dans le jugement arrêtant le plan, ordonner l’incessibilité de


certains biens qu’il estime indispensables à la continuation de l’entreprise25.
Dans la même perspective, le tribunal peut assortir le plan de cession d’une
clause rendant inaliénable tout ou partie des biens cédés pour une durée qu’il
fixe26. Le tribunal a également la faculté de décider librement des contrats qui
devront être cédés dès lors qu’ils sont nécessaires au maintien de l’activité27.

Le pouvoir d’initiative du juge dans le choix des modalités de transmission des


biens du débiteur, dans le cadre de la liquidation judiciaire des entreprises en
difficulté, est tout aussi logique. Il doit pouvoir choisir la modalité de transfert
qui sera la plus efficace. Il est alors normal qu’il ne soit pas lié par les requêtes
contenant des offres d’acquisition qui lui sont transmises. La loi lui donne la
possibilité de choisir en matière immobilière entre l’application des formes
prescrites en matière de saisie, la vente par adjudication amiable ou la vente de
gré à gré28. En matière mobilière, il opte soit pour une vente de gré à gré soit
pour une vente aux enchères29.

3) L’autorité de chose jugée indépendante de l’identité des parties

Enfin, le déséquilibre tranché par le juge étant objectif, l’identité des parties
n’a pas d’incidence quant à l’étendue de l’autorité de chose jugée. Dans le cadre
d’un litige, la chose jugée dépend inextricablement de l’identité des parties. La
juridiction va en effet se prononcer sur le point de savoir si une personne a plus
que son dû au détriment d’une autre. Lorsque le tribunal se prononce sur le point
de savoir si l’entreprise peut être sauvée, ou encore sur la modalité de ce
sauvetage, l’autorité de chose jugée ne peut alors être relative qu’à la cause du
jugement –les difficultés de l’entreprise– et à son objet –la solution arrêtée pour
y remédier. Nul ne pourra contester une fois ce type de jugement rendu que la
solution arrêtée constituait le meilleur moyen de redresser l’entreprise.

25
L. 626-14 du Code de commerce.
26
L. 621-92 C. com.
27
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, op. cit., n° 960 ; CA Aix-en-Provence, 9
décembre 1988, D. 1990, som. 3, obs. F. Derrida.
28
L. 642-18 du code de commerce.
29
L. 642-19 du code de commerce.

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Les décisions d’admission ou de rejet de créances ont pareillement une


autorité de chose jugée indépendante de l’identité des parties. Le juge-
commissaire doit dans ce cadre écarter le doute qui plane sur la réalité des
créances déclarées afin de fixer le passif du débiteur. En admettant ou rejetant
une créance, il juge donc que cette créance fait ou non partie du passif du
débiteur. Il y a là une situation objective. Le recours à la notion de partie pour
circonscrire la chose jugée n’a de sens qu’autant qu’il permet de délimiter ce qui
a été arrêté par le juge comme cela est le cas en matière de litige. Tel n’est pas le
cas ici. L’identité des parties est indifférente à la circonscription de l’autorité de
chose jugée. C’est en ce sens que l’arrêt d’assemblée plénière du 10 avril 200930
pouvait être critiqué. Pour affirmer qu’une décision prononcée dans le cadre
d’un redressement n’avait pas autorité de chose jugée dans le cadre d’une
procédure de liquidation prononcée par la suite, elle recourait au critère de
l’absence d’identité des parties entre la procédure de redressement et celle de
liquidation. Tout spécifiquement elle s’attachait au fait que le représentant des
créanciers avait changé d’une procédure à l’autre. D’abord mandataire dans la
première, il devenait liquidateur dans la seconde. Outre le fait que l’argument
paraissait purement formel -un simple changement de dénomination d’un organe
représentant le même intérêt dans les deux procédure- il était surtout fallacieux.
Le changement d’organe de représentation des créanciers ne modifie pas la
créance objet du jugement, et ne devrait même pas être susceptible d’éclairer la
situation sous un jour nouveau aux yeux du juge. En cas de rejet de la créance
dans la première procédure, l’absence d’identité des parties dans la seconde ne
devrait pas, dans cette mesure, pouvoir être invoquée par le créancier pour
écarter l’autorité de chose juge dans le but de faire admettre sa créance. A
défaut, c’est l’autoriser à contourner la chose jugée31.

En guise de conclusion, on peut constater que le contexte soumis au juge en


droit des entreprises en difficultés oblige à construire des règles idoines, des
règles qui lui sont propres. Il ne s’agit pas simplement de « déroger », de
déformer les règles applicables au litige, mais véritablement d’élaborer un
système original. Le chemin est en voie de construction. Il est fascinant, non
seulement parce qu’il s’agit d’innover mais aussi parce qu’il s’agit de démontrer

30
Ass. pl. 10 avril 2009, n° 08-10154.
31
Aujourd’hui la loi indique qu’en cas de résolution d’un plan les créances admises dans une première
procédure sont admises de plein droit dans la procédure de liquidation (L. 626-27 C. com.). En revanche
la question reste entière en cas de rejet.

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que certains concepts consubstantiels à la fonction de juger ne peuvent être


ramenés au seul litige. Il faut alors les repenser, s’interroger sur ce qui fait leur
essence.

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« PROCÈS » ÉCONOMIQUE
Les limites au caractère dérogatoire

Olivier STAES
Maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole,
Membre du Centre de Droit des Affaires (CDA)

En matière de procédures collectives, le juge n’intervenant pas pour


trancher un litige mais pour exercer une magistrature économique, le législateur
a dû adapter les règles du code de procédure civile au caractère économique et
collectif du traitement procédural de l’entreprise en difficulté1.

L’article R. 662-1 du code de commerce énonce : « A moins qu'il n'en soit


disposé autrement par le présent livre :

1° Les règles du code de procédure civile sont applicables dans les matières
régies par le livre VI de la partie législative du présent code ; (…) ».

Cette disposition prescrit une application restrictive des règles procédurales


dérogatoires au droit commun. Pour apprécier cette limite, il faut d’abord
rechercher si la règle procédurale du traitement des entreprises en difficulté
déroge au droit commun de la procédure, ce qui pose parfois difficulté2, et, dans
l’affirmative, déterminer la portée de cette dérogation. L’application subsidiaire
du code de procédure civile, auquel renvoie l’article R. 662-1 du Code de
commerce, ne permet cependant pas de tempérer ou d’écarter le caractère

1
Intervention Julien Théron, Les règles dérogatoires à la procédure, V. supra, p. 133.
2
Pour une illustration : Cass. avis. N° 16003 du 4 avril 2016 (demande n° 16-70.001).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 147

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dérogatoire des règles procédurales du livre VI. Tout au plus la Cour de


cassation peut, par une interprétation restrictive des règles de procédure propres
aux procédures collectives, circonscrire la portée de leur caractère dérogatoire.

Les limites au caractère dérogatoire des règles procédurales du traitement


de l’entreprise en difficulté procèdent des principes fondamentaux de la
procédure énoncés à l’article 6, 1° de la Convention européenne des droits de
l’homme et des garanties procédurales à valeur constitutionnelle. Le contrôle de
conventionnalité et les questions prioritaires de constitutionnalité permettent de
contrôler et d’écarter les dispositions procédurales du traitement de l’entreprise
en difficulté qui contreviennent aux principes fondamentaux de la procédure (I).
En revanche, les principes directeurs du procès civil, auxquels renvoie l’article
R. 662-1 du Code de commerce, ont une influence limitée sur les règles
dérogatoires des procédures collectives. Leur influence est d’autant plus limitée
qu’en procédures collectives certains principes directeurs du procès ont été
aménagés par la Cour de cassation et le législateur (II).

I. Le respect des principes fondamentaux du procès

Bien que le tribunal ne tranche pas un litige mais exerce une magistrature
économique, les principes fondamentaux de la procédure s’imposent au
traitement des entreprises en difficulté Dès lors le législateur doit garantir
l’impartialité du juge (A) ainsi que l’accès au juge des personnes dont les
intérêts et les droits sont affectés par le traitement économique de l’entreprise
(B).

A. L’impartialité du juge de la procédure collective

L’impartialité du juge est notamment garantie par la prohibition de la


saisine d’office (1) et l’interdiction du cumul des fonctions judiciaires (2).

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1) La prohibition de la saisine d’office

La saisine d’office du tribunal3 en ouverture d’une procédure de


redressement ou de liquidation judiciaire a été déclarée inconstitutionnelle4.
Selon le Conseil Constitutionnel, si l’ouverture est justifiée par le motif général
d'éviter l'aggravation irrémédiable de la situation de l'entreprise, les modalités
procédurales ne garantissent pas qu’en se saisissant d’office le tribunal ne
préjuge pas sa position lorsque, à l'issue de la procédure contradictoire, il sera
appelé à statuer sur le fond du dossier.

Pour éviter l’aggravation de la situation de l’entreprise, l’ordonnance n°


2014-326 du 12 mars 2014 a décidé que le président du tribunal, qui ne peut plus
se saisir d’office, informe le ministère public par une note exposant les faits de
nature à motiver la saisine du tribunal. Si le ministère public demande
l'ouverture d'une procédure à l'égard du débiteur concerné, l’exigence
d’impartialité interdit au président, à peine de nullité du jugement, de siéger
dans la formation de jugement et de participer aux délibérés5.

Dans une décision du 6 juin 2014, le Conseil Constitutionnel a considéré


que la prohibition de la saisine d’office n’interdit pas au tribunal d’ordonner
d’office la cessation partielle de l'activité ou de prononcer d’office la liquidation
judiciaire, au cours de la période d'observation, si le redressement est
manifestement impossible car le tribunal ne se saisit pas d’office mais exerce un
pouvoir d'office dans le cadre de l'instance dont il est saisi jusqu’à l'issue de la
période d'observation6. Si ce pouvoir d’office se justifie pour éviter
l’aggravation de la situation économique de l’entreprise, la justification du
Conseil Constitutionnel est discutable dans la mesure où il assimile la période
d’observation à une instance. Or l’instance en ouverture de la procédure

3
Rossi : Le pouvoir d’initiative du juge en matière de procédures collectives : BJE janv.-févr. 2015, p.
44.
4
Redressement judiciaire : Cons. Const., décision n° 2012-286 QPC du 07 déc. 2012 : Rev. sociétés
2013, p. 177, note Henry ; liquidation judicaire Cons. const., décision n° 2013-368 QPC, 7 mars 2014 :
LEDEN avr. 2014, n° 57, obs. Favario. A aussi été déclarée inconstitutionnelle, la saisine d’office en
résolution du plan et, en cas de cessation des paiements, en ouverture d’un redressement ou d’une
liquidation : Cons. const., décision n° 2013-372 QPC du 7 mars 2014.
5
C. com., art. L. 631-3-1 et L. 640-3-1.
6
Cons. const., décision n° 2014-399 QPC du 6 juin 2014 : Act. proc. coll. 2014/11, comm. 210,
Cagnoli.

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collective a pris fin par le jugement d’ouverture qui met en place le traitement
économique de l’entreprise.

C’est aussi au nom de l’exigence d’impartialité que le législateur a interdit


aux juges des procédures collectives de cumuler certaines fonctions judiciaires.

2) L’interdiction du cumul des fonctions judiciaires

Pour assurer l’exigence d’impartialité, l’ordonnance du 12 mars 2014 a


interdit au juge-commissaire, à peine de nullité du jugement, de siéger dans les
formations de jugement ou de participer au délibéré de la procédure dans
laquelle il a été désigné7. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a étendu
cette interdiction au juge-commissaire suppléant et aux juges commis chargés de
recueillir des renseignements sur la situation du débiteur pour les procédures
collectives ou de rétablissement professionnel dans lesquelles ils ont été
désignés8. Cette interdiction s’applique aussi au président du tribunal, s’il a
connu du débiteur en application de la prévention des difficultés des entreprises9,
lequel ne peut plus désormais être désigné juge-commissaire dans la procédure
collective du débiteur10.

Fondée sur l’exigence d’impartialité, l’extension des incompatibilités11


risque cependant de poser des difficultés de fonctionnement des petits tribunaux,
difficultés qui pourraient avoir des incidentes sur le droit d’accès au juge.

B. Le droit d’accès au juge

Consacré par l’article 6,1° de la Convention européenne des droits de


l’homme, le droit d’accès au juge du débiteur12 et des personnes dont les intérêts

7
C. com., art. L. 662-7, 3°.
8
C. com., art. L. 662-7, 2°, 3°et 4°.
9
C. com., art. L. 662-7, 1°. (mandat ad hoc et conciliation).
10
C. com., art. L. 621-4, al. 1er et C. com., art. L. 641-I, II.
11
Conformément au XVI de l'article 114 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, ces dispositions
ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de la publication de ladite loi.
12
Outre les restrictions légales et judiciaires de son droit d’agir en justice, l’effectivité du droit d’accès
au juge du débiteur en liquidation judiciaire pose problème en matière d’arbitrage lorsque le liquidateur

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sont affectés par le traitement de l’entreprise sont restreints par le caractère


attitré de certaines actions et la restriction de la qualité pour exercer des voies de
recours. Le droit d’accès au juge de ces personnes ne se manifeste pas de la
même manière selon leur qualité procédurale : les parties doivent être entendues
ou appelées à l’instance (1) ; la protection des intérêts des tiers est assurée par la
tierce opposition dont le régime drastique a été tempéré par la Cour de cassation
(2).

1) L’audition des parties, respect du principe du contradictoire

« Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ». Ce
principe directeur du procès énoncé à l’article 14 du code procédure civile et
consacré par l’article 6, 1° de la Convention européenne des droits de l’homme
concerne au premier chef le débiteur qui, selon la Cour de cassation, ne saurait
être qualifié de tiers au motif qu’il n’a pas été entendu ou appelé à la procédure
ouverte contre lui13. La violation de ce principe est sanctionnée par la nullité du
jugement. De même, en matière de réalisation des actifs, la Cour de cassation
annule, au visa de l’article 14 du code de procédure civile, les ordonnances du
juge-commissaire rendues sans que le débiteur ait été entendu ou appelé14.

La convocation du débiteur est impérative. A propos de la conversion


d’office du redressement en liquidation, la Cour de cassation a décidé que ni la
mention du jugement d’ouverture indiquant l’audience à laquelle l’affaire sera
rappelée ni la comparution du débiteur ne pouvait suppléer à l’absence de sa
convocation15.

L’importance de ce principe directeur ressort de la jurisprudence de la Cour


de cassation qui considère que la violation de l’article 14 du code de procédure
civile constitue un excès de pouvoir16 alors qu’elle décide que la violation par le

ne dispose pas des fonds suffisants pour payer les coûts de l’arbitrage (Cass. 1re civ., 13 juill. 2016, n°
15-19.389 : LEDEN oct. 2016, n° 146, obs. Staes).
13
Cass. com., 17 juin 1975 (deux arrêts), n° 73-14.660 et n° 73-14.661: D. 1976, 67, obs. Julien ; RTD
com. 1976, 1012, n° 21, obs. Houin ; Bull. civ. 1012, IV, 168 et 169 ; RTD civ. 1976, 404, obs. Perrot.
14
R. 642-36-1 et R. 642-37-2 : Cass. com., 8 janv. 2013, n° 11-26.059 : Bull. civ. IV, n° 2 ; Cass. com.,
8 mars 2011, n° 10-30.629.
15
Cass. com., 1er mars 2016, n° 14-21.997, P. : Leden avr. 2016, n° 66, ,obs. Staes
16
En matière de réalisation des actifs : Cass. com., 16 juin 2009, n° 08-13.565 : LEDEN sept. 2009, p.
6, obs. Staes ; Act. proc. coll. 2009, n° 209, obs. Vallansan et Cagnoli ; Rev. proc. coll. 2010, n° 1, p. 25,

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juge du principe du contradictoire n’est pas un cas d’ouverture des recours-


nullité17.

Le respect de la contradiction bénéficie aussi aux personnes qualifiées de


« parties nécessaires ». Cette qualification controversée est fondée sur la
jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans plusieurs décisions, a qualifié de
parties des personnes dont les intérêts sont affectés par l’objet de l’instance et
qui, à ce titre, doivent être entendues ou convoquées avant que le tribunal statue.
Le défaut de convocation des parties nécessaires est aussi sanctionné par la
nullité de la décision. A titre d’illustration, le conjoint du débiteur non convoqué
à l’audience devant le juge-commissaire peut demander la nullité de la vente
d’un bien commun18. En matière de plan de cession, la Cour de cassation a
reconnu au comité d’entreprise dont l’audition est imposée avant que le tribunal
statue sur le plan de cession la qualité de partie pour former un appel-nullité19.

A l’égard des tiers, la protection de leurs droits affectés par les décisions
rendues en matière de procédures collectives est assurée par la tierce-opposition.

2) La protection des tiers dont les droits peuvent être affectés par la
décision du juge de la procédure collective

En matière de tierce opposition, la chambre commerciale de la Cour de


cassation a, sur le fondement de l’article 6, 1° de la Convention européenne des
droits de l’homme, non seulement assurer l’effectivité de l’accès au juge des
tiers dont les droits sont affectés par le traitement de l’entreprise mais aussi
ouvert la tierce opposition à certaines personnes représentées.

L’accès au juge des tiers implique qu’ils disposent d’un délai raisonnable
pour contester la décision qui leur fait grief. Or en matière de procédures

comm. 5, note Gorrias et Manié ; Rev. proc. coll. 2010, n° 2, étude 8, p. 28, Rolland ; D. 2009, p. 1756,
obs. Lienhard et p. 2521, note Théron ; Cass. com., 8 mars 2011, n° 10-30.629 ; Cass. com. 8 janvier
2013, n° 11-26.059 : Bull. civ. IV, n° 2 ; Act. proc. coll. 2013, n° 55.
17
Cass. ch. mixte, 28 janv. 2005, n° 02-19.153 : Bull. civ. ch. Mixte, n° 1 ; Procédures 2005, n° 87, obs.
Perrot.
18
Cass. com. 17 févr. 2015, n° 14-10100 14-10109 : Act. proc. coll. 2015/7, n° 112 ; BJE mai 2015, p.
156, note Théron.
19
Cass. com. 17 févr. 2015, n° 14-10.279 : Bull. civ. IV, n° 36 ; Act. proc. coll. 2015/6, n° 81, obs.
Staes ; BJE juill-août 2015, p. 245, note Lajarte-Moukoko.

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collectives, lorsque la décision n’est pas soumise à publicité dans un journal


d’annonces légales ou au BODACC, les délais de recours des tiers sont brefs :
dix jours à compter du prononcé de la décision20. Avant la loi de sauvegarde, la
Cour de cassation a décidé que, lorsque l’ordonnance du juge-commissaire
affecte les droits et obligations d’un tiers, le délai de recours ne commence à
courir à son égard qu’à la notification de l’ordonnance21.

Cette solution, qui préserve le droit d’accès au juge des tiers, a été
consacrée par le décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005 pour les
ordonnances du juge-commissaire22 mais non pour la tierce opposition qui court
à compter du prononcé des décisions non soumises à publicité. Aussi, pour
garantir l’accès au juge aux tiers dont les droits sont affectés par le jugement, la
Cour de cassation a appliqué à la tierce opposition la solution qu’elle avait
imposée pour les ordonnances du juge-commissaire : la tierce opposition ne
court qu’à compter de la notification de la décision23.

La chambre commerciale de la Cour de cassation ne s’est pas limitée à


garantir l’exercice de la tierce opposition, elle a aussi, sur le fondement de
l’article 6,1° de la Convention européenne des droits de l’homme, élargi son
domaine au profit de certains créanciers et associés du débiteur qui, représentés
au sens de l’article 583 du code de procédure civile, ne pouvaient contester le
jugement qu’en cas de fraude à leur droit ou s’ils justifiaient de moyens propres.
Ainsi la chambre commerciale de la Cour de cassation a permis aux créanciers
étrangers de faire tierce opposition au jugement ouvrant une procédure
principale de sauvegarde en France24 ; elle a aussi ouvert aux associés tenus
indéfiniment du passif social la tierce opposition contre le jugement d’ouverture

20
C. com., art. R. 661-2.
21
Cass. com., 11 mars 1997, n° 94-14.437 : JurisData n° 1997-001072 ; Bull. civ. 1997, IV, n° 68 ; JCP
E 1997, I, 681, n° 6, obs. Cabrillac ; D. affaires 1997, p. 483 ; Cass. com., 30 mars 1999, n° 96-10.828 :
JurisData n° 1999-001498 ; Act. proc. coll. 1999, comm. 126 ; Cass. com., 4 janv. 2000, n° 97-10.333 :
Rev. proc. coll. 2000, p. 202, obs. Soinne ; Cass. com., 26 avr. 2000, n° 97-12.720 : JurisData n° 2000-
001785 ; Act. proc. coll. 2000, comm. 142.
22
C. com., art. R. 621-21.
23
Cass. com., 12 janv. 2012, n° 08-14.971 : LEDEN mars 2010, p. 7, obs. Staes.
24
Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-11.902 : D. 2009, p. 137, obs. Lienhard ; LEDEN n° 5, p. 1, obs. note
Lucas ; Act. proc. coll. 2009/15, n° 224, obs. Dom ; Rev. proc. coll. 2009/4, p. 1, note Menjucq ; Rev.
proc. coll. 2009.4, p. 10, no 4, concl. Av. gén., Bonhomme .

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de liquidation25. Cette dernière décision a modifié le domaine de la tierce


opposition au-delà des procédures collectives puisque ce revirement de
jurisprudence a été repris au bénéfice d’un associé d’une société civile
immobilière poursuivi en paiement d’une dette sociale26 puis de la caution
solidaire actionnée en paiement27.

Précurseur de l’élargissement de la tierce opposition, le traitement des


entreprises en difficulté est aussi révélateur des limites de l’application des
principes directeurs du procès civil aux contentieux économiques.

II. L’aménagement des principes directeurs du procès

Les principes directeurs du procès civil constituent les piliers du régime


procédural d’un contentieux destiné à trancher des litiges relatifs aux droits
subjectifs. Leur application au traitement des entreprises en difficulté ne pose
pas en principe de difficulté pour les instances statuant sur les droits des
participants à la procédure, comme la procédure de vérification et d’admission
des créances, la procédure de revendication ou de restitution ou encore les litiges
des contrats en cours. En revanche certains principes directeurs du procès,
notamment ceux relatifs à la maîtrise des parties sur la matière litigieuse, sont
inadaptés aux instances dont l’objet est le traitement économique de l’entreprise
(A). La volonté d’éviter l’aggravation de la situation de l’entreprise a d’ailleurs
conduit le législateur a conféré aux juges le pouvoir de modifier l’objet de
certaines demandes (B)

25
Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-14.816 : Bull. civ. II, n° 254 ; D. 2007, AJ, 157, obs. Lienhard ; JCP
E 2007, 1186, note Cholet ; Bull. Joly 2007, 466, note Cagnoli et Vallansan. La tierce opposition des
associés tenus indéfiniment du passif social a aussi été ouverte à l’encontre du jugement fixant une
créance au passif à l’issue d’une instance en cours interrompue par le jugement de liquidation (Cass.
com., 26 mai 2010, n° 09-14.241).
26
Cass. 3e civ., 6 oct. 2010, n° 08-20.959 : Bull. civ. III, n° 180.
27
Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-16.644 : D. act. 18 mai 2015, obs. Avena-Robardet.

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A. Le recul des parties dans la détermination de l’objet des instances

L’article 4 code de procédure civile énonce que l’objet du litige est


déterminé par les prétentions respectives des parties qui peuvent le modifier par
des demandes incidentes. Ce principe directeur, qui se justifie dans un
contentieux subjectif où le juge tranche un litige entre les parties, s’avère
inapproprié aux instances concernant le traitement économique de l’entreprise
dont l’objet est fixé par le législateur et échappe à la maîtrise des participants à
l’instance.

A titre d’illustration de ce recul, la Cour de cassation a décidé que le


tribunal, lorsqu’il donne une solution à la procédure, en arrêtant un plan de
redressement ou en prononçant la liquidation judiciaire, ne statue pas sur une
demande au sens de l’article 463 du code de procédure civile de sorte que le
mandataire ne peut pas le saisir aux fins de voir compléter le dispositif du
jugement ayant arrêté le plan de cession des entreprises par la mention du rejet
de sa demande tendant au prononcé de leur liquidation judiciaire28. La Cour de
cassation a aussi considéré que, bien que l'administrateur ait proposé deux plans
de redressement, le tribunal en arrêtant un plan de redressement commun ne
statue ultra petita29. S’inscrit aussi dans ce mouvement, le refus de la
jurisprudence de considérer que le candidat à la reprise de l’entreprise a une
prétention au sens de l’article 4 et 31 du code de procédure civile30. Ces
instances se caractérisent aussi par une immutabilité de leur objet qui interdit
aux participants de le faire évoluer par des demandes étrangères à la finalité de
l’instance. Ainsi la Cour de cassation a considéré que la caution n’a pas de
prétention à faire valoir lors de l'arrêté du plan de cession de sorte que son
intervention principale à l’instance est irrecevable31.

Le recul des parties dans la détermination et l’évolution de l’objet se


manifeste également dans les instances en opposabilité des droits à la procédure
collective. En matière de vérification des créances, la Cour de cassation a décidé
dans deux arrêts du 24 mars 2009 que « le juge-commissaire, saisi de la

28
Cass. com., 1er oct. 1997, n° 94-16.612 : Rev. proc. coll. 1998-4, p. 340, n° 10, obs. Soinne.
29
Cass. com., 12 oct. 1993, n° 89-17.509 : Bull. civ., IV, n° 334.
30
Cass. com., 22 mars 1988, nos 87-15.901 et 87-15.902 : Bull. civ., IV, n° 113.
31
Cass. com., 12 janv. 2016, n° 13-24.058, P : LEDEN févr. 2016, com. 18, obs. Pelletier ; Act. proc.
coll. 2016/3, n° 43, obs. Cagnoli ; JCP 2016, p. 227, obs. Legrand ; BJE mai-juin 2016, p. 184, obs.
Staes.

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vérification des créances, était incompétent pour statuer sur la responsabilité de


la banque et qu'une telle demande était totalement indépendante de la
vérification de la créance de celle-ci »32. Dans un arrêt postérieur, la Cour de
cassation a cependant admis que le débiteur puisse invoquer la responsabilité de
la banque, au motif qu’il ne s’agit pas d’une demande reconventionnelle mais
d’un moyen de défense au fond33. Cette décision ne revient pas sur
l’immutabilité de la vérification des créances puisque, en qualifiant la
responsabilité de la banque de moyen de défense au fond, la contestation
s’inscrit dans la finalité de cette instance.

Depuis l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, la qualification de la


responsabilité de la banque, demande reconventionnelle ou moyen de défense au
fond, ne devrait pas avoir d’incidence, le rapport fait au président de la
République décidant que « En présence d'une contestation de créance soumise
au juge-commissaire, celui-ci pourra trancher les litiges relatifs à cette créance et
à son opposabilité à la procédure, résulteraient-ils d'une demande
reconventionnelle, (…) »34.

L’absence de maîtrise des parties sur l’objet des instances statuant sur le
traitement économique de l’entreprise a pour corollaire le pouvoir reconnu au
juge de modifier l’objet de certaines demandes.

B. Le pouvoir du juge de modifier l’objet des prétentions

L’article 5 du code de procédure civile, applicable au traitement procédural


de l’entreprise en difficulté par le renvoi de l’article R. 662-1, 1° du code de
commerce, impose au juge de se prononcer sur tout ce qui est demandé et
seulement sur ce qui est demandé. Il ressort de cet article que le juge ne peut pas

32
Cass. com., 24 mars 2009, n° 07-18.927 : Act. proc. coll. 2009, n° 124, obs. Vallansan.
33
Cass. com., 27 janv. 2015, n° 13-20.463 : Bull. civ. IV, n° 9 ; Act. proc. coll. 2015-5, repère 66, obs.
Théron ; LEDEN 2015-4, p. 2, 51, obs. Rubellin ; JCP E 2015, 1204, no 9, obs. Pétel.
34
Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant
réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives : JORF n° 0062 du
14 mars 2014 page 5243, II 1. Dans un arrêt postérieur au colloque rendu le 27 septembre 2017, la Cour
de cassation a reconnu au juge-commissaire le pouvoir de se prononcer sur la demande
reconventionnelle du débiteur en responsabilité et compensation avec la créance déclarée (Cass. com.,
27 sept. 2017, n° 16-16.414).

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OLIVIER STAES

modifier l’objet du litige puisqu’il ne le détermine pas et qu’il doit le trancher en


son entier. Cette interdiction se conçoit dans un contentieux subjectif opposant
des parties maîtresses de leurs droits.

En matière de traitement des entreprises en difficulté, une application stricte


de l’article 5 du code de procédure civile peut retarder l’ouverture de la
procédure collective et aggraver sa situation dans la mesure où le tribunal, qui
constate que la situation de l’entreprise en état de cessation des paiements ne
permet pas d’ouvrir la procédure demandée, doit rejeter la demande sans
pouvoir changer d’office de procédure. Pour éviter l’aggravation de la situation
économique du débiteur qui a déclaré être en état de cessation des paiements,
l’ordonnance n° 2014-1088 du 26 septembre 2014 a reconnu au juge saisi d’une
demande de redressement judiciaire le pouvoir de prononcer la liquidation et
inversement35. Le changement de procédure n’est pas contraire à la prohibition
de la saisine d’office puisque le tribunal exerce son pouvoir au cours d’une
instance.

La question s’était aussi posée de savoir si la cour d’appel qui constate que
la situation de l’entreprise en état de cessation des paiements n’est pas
irrémédiable compromise peut, après avoir infirmé ou annulé la liquidation
judiciaire, ouvrir un redressement. En 2008, la cour d’appel de Paris a répondu
par la négative, considérant qu’elle n’avait pas le pouvoir de modifier l’objet de
la demande36. Ultérieurement la Cour de cassation a autorisé les juges d’appel à
passer du redressement à la liquidation judiciaire en l’absence de demande des
parties37. Cette jurisprudence a été consacrée par le décret n° 2009-160 du 12
février 2009 aux articles R. 631-6 et R. 640-2 du Code de commerce.

En conclusion et en réponse à la thématique du colloque « Le droit des


entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? »,
les limites au caractère dérogatoire des règles procédurales du traitement de
l’entreprise en difficulté témoignent de la complexité et de la richesse de ce
contentieux économique qui, dérogeant au droit commun de la procédure civile

35
C. com., art. L. 631-7, al 2 et L. 641-1, I, al. 2.
36
CA Paris, 3e ch. set. A, 26 févr. 2008 : Act. proc. coll. 2008, n° 142, obs. Cagnoli ; D. 2008, p. 2606,
obs. Gourdain.
37
Cass. com., 27 mai 2008, n° 07-13.131 : Bull. civ. IV, n° 107 ; JCP E 2008, 2062, 1, Pétel.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 157

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LES LIMITES AU CARACTÈRE DÉROGATOIRE

dont il révèle les limites, souligne que la fonction juridictionnelle ne se réduit


pas à trancher des litiges.

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« PROCÈS » ÉCONOMIQUE
Le rôle particulier du ministère public, droit
dérogatoire, précurseur, révélateur ? 1

Jocelyne VALLANSAN
Professeur, Conseiller à la Cour de cassation

Il est évident que le rôle du ministère public s’est considérablement accru


au gré des différentes réformes. Longtemps absent des procédures collectives,
procédure de droit privé, la présence du ministère publique devient obligatoire
avec la loi n° 81-927 du 15 octobre 1981 “relative au droit d'action du ministère
public dans les procédures collectives d'apurement du passif des entreprises”.
Cette loi va fixer comme principe que le ministère public n'est plus cantonné à
la défense de la société dans un cadre répressif. Il devient ainsi un corps de
contrôle de l'ordre public économique. En particulier lui sont ouvertes des voies
de recours.

Depuis, chacune des réformes du droit des entreprises en difficulté a


renforcé le rôle du ministère public qui est devenu un véritable organe de la
procédure.

1
Cette contribution est largement inspirée des travaux de MM. Christophe Delattre (Vice Procureur
Lille) : Fin de la saisine d’office : un nouveau rôle pour le ministère public ? Rev.proc.coll. 2013-4, Et
29.- Les avis du ministère public : Rev.proc.coll. 2014-5, Et.22.- L’intervention du ministère public dans
la loi de sauvegarde : Rev.proc.Coll 2014-6, fiche pratique 2, et Laurent Le-Mesle (Premier avocat
général à la Cour de cassation) : Quelques éléments d’actualité à propos de l’avis du ministère public en
matière de procédures collectives : Cahier de droit de l’entreprise 2015, dossier 38. V. aussi N. Fricéro,
Le ministère public, partie principale, partie jointe : CDE 2015, dossier 37.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 159

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LE RÔLE PARTICULIER DU MINISTÈRE PUBLIC, DROIT DÉROGATOIRE, PRÉCURSEUR, RÉVÉLATEUR ?

A-t-il donc un rôle si dérogatoire à celui que lui confère le droit commun ?
A tout le moins, sa place dans une procédure judiciaire est- il révélateur, voire
précurseur ? Nous verrons qu’à des degrés différents, ces trois qualificatifs
correspondent au rôle du parquet.

Et pourtant le caractère dérogatoire n’est pas si évident. En effet, que nous


enseigne le code de procédure civile à propos du ministère public dans le procès
civil ?

• Il peut agir comme partie principale ou intervenir comme partie jointe


(CPC, art 421) : en procédure collective, il peut agir ou donner son avis.

• Il agit d’office dans les cas que la loi détermine (CPC, art 422) : en
procédure collective, plusieurs dispositions l’autorisent à agir d’office.

• En dehors de ces cas, il peut agir pour la défense de l’ordre public à


l’occasion des faits qui portent atteinte à ceux-ci (CPC, art.423) : le
traitement de l’entreprise en difficulté met évidemment en jeu l’ordre
public économique.

L’affirmation d’un système dérogatoire vient malgré tout de ce même code


de procédure civile puisque l’article 424 dispose : “le ministère public a
communication des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de
liquidation judiciaire, des causes relatives à la responsabilité pécuniaire des
dirigeants sociaux et des procédures de faillite personnelle ou relatives aux
interdictions prévues par l'article L. 653-8 du code de commerce”. On voit bien
que le code de procédure civile présente lui-même les procédures collectives
comme une situation originale méritant une intervention privilégiée du ministère
public.

Ce texte est relayé par le livre VI du code de commerce: Selon l’article


L. 621-8 de ce code “l’administrateur et le mandataire judiciaire tiennent
informés le juge-commissaire et le ministère public du déroulement de la
procédure. Ceux-ci peuvent à toute époque requérir communication de tous actes
ou documents relatifs à la procédure”. Le parquet est même informé désormais
de l’ouverture de la procédure de conciliation (art. R. 611-25).

160 | IFR Actes de colloques N° 30

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JOCELYNE VALLANSAN

Le droit des entreprises en difficulté est au carrefour d’intérêts différents


(l’entreprise, les salariés, les créanciers, le chef d’entreprise, le marché, les
finances publiques). Parce que le ministère public est le garant de l’ordre public
(y compris de l’ordre public économique), il gagne une place incontournable,
non seulement dans un domaine qui lui est familier, celui des sanctions, mais
également dans tous les autres domaines de ce droit. Ceci l’oblige, en sa qualité
de professionnel habitué au procès pénal, de s’adapter et de se former.

Si le rôle du ministère public dans le droit des entreprises en difficulté est


parfois dérogatoire, c’est vrai que le développement de sa mission est avant tout
révélateur de ce qu’il peut être dans une procédure judiciaire touchant l’ordre
public, tant par ses actions (I) que par ses interventions (II).

I. L’action du ministère public : les initiatives favorisées

Les textes qui permettent au ministère public de se comporter comme partie


principale sont nombreux dans le cadre de la procédure collective. C’est vrai tant
pour les saisines que pour les voies de recours

A. Les saisines

1) La demande d’ouverture

La disposition la plus emblématique est sans doute celle qui favorise la


demande d’ouverture de la procédure par le parquet. Sans doute sa qualité à agir
n’est-elle pas récente . L’article 4 de la loi du 15 janvier 1985 prévoyait déjà que
le tribunal pouvait être saisi pour l’ouverture d’un redressement judiciaire par le
procureur de la République (La loi de 1967 ne prévoyait rien de tel). Sa mission
est aujourd’hui d’autant plus importante qu’en 2012, la saisine d’office a été
déclarée contraire au principe constitutionnel d’impartialité2. La saisine d’office
par le tribunal étant abrogée, il fallait permettre à l’intérêt général d’être
préservé par une saisine facilitée du parquet. Ce que ne peut plus faire le

2
Cons. constit. QPC n° 2012-286, du 7 décembre 2012 : JO 8 déc. 2012, p. 19279.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 161

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LE RÔLE PARTICULIER DU MINISTÈRE PUBLIC, DROIT DÉROGATOIRE, PRÉCURSEUR, RÉVÉLATEUR ?

tribunal, c’est le parquet qui le fera. L’article L.631-3-1 nouveau3 organise donc
une transmission d’informations via le greffe entre le président qui a
connaissance d’éléments faisant apparaître qu’un débiteur est en état de
cessation des paiements et le parquet. Celui-ci disposant d’éléments pourra
compléter ses recherches par d’autres informations en particulier auprès de la
banque de France (sous réserve des informations confidentielles acquises au
cours d’une éventuelle procédure préventive).

Et c’est avec toutes les preuves à l’appui qu’il pourra assigner tel débiteur
en redressement ou liquidation judiciaire. Par souci de transparence, la note du
président est jointe à l'assignation (c.com., art.R.662-3-1).

La saisine du parquet peut aussi court-circuiter certains comportements qui


s’avèrent contreproductifs pour l’intérêt général, il s’agit des assignations
pressions des créanciers, lesquels une fois satisfaits par le débiteur qui, pour
éviter l’ouverture de la procédure trouve le moyen de les régler, se désistent de
leur demande, alors que le débiteur n’en est pas forcément moins en état de
cessation des paiements.

Certains représentants audacieux du parquet (et passionnés par la matière -


que les spécialistes reconnaîtront) se substituent au créancier pour reprendre la
main sur l’instance ouverte à l’initiative du créancier. Informé de l’assignation,
il devient acteur pour reprendre l’action à son compte4. Le créancier ne veut plus
agir, c’est le parquet qui prend le relai ! Cette pratique initiée avec un gain de
temps aux fins de protéger l’ordre public économique (et l’intérêt collectif des
créanciers) n’a, à ma connaissance, pas fait l’objet de recours. Elle est en tous
les cas dérogatoire aux principes de la procédure civile. Elle peut toutefois se
justifier en ce que l’instance en redressement judiciaire ne concerne pas les
seuls rapports entre ces deux parties, elle intéresse également l’intérêt général5.
N’étant pas destinataires du procès, les parties ne peuvent, dans leur intérêt
personnel, imposer l’extinction du lien d’instance6

3
Introduit par l’ordonnance n° 2014-3 du 12 mars 2014.
4
TGI Valenciennes, 23 sept. 2009, RG n° 08/03316 : Act. proc. Coll. 2009, n° 242 ; JCP E 2016, 1663,
obs. C. Delattre.
5
P. Cagnoli, Essai d’analyse processuelle du droit des entreprises en difficulté, bibliothèque de droit
privé, t. 368, LGDJ, 2002, n° 163, p. 127.
6
O. Staes, Procédures collectives et droit judiciaire privé, th. Toulouse 1995, n° 148.

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JOCELYNE VALLANSAN

2) Les autres demandes

Ce n’est pas seulement pour déclencher une procédure collective que le


ministère a un droit d’action mais, sa qualité à agir est également expressément
prévue pour tous les moments clés de la procédure : La qualité lui est
expressément reconnue pour agir en conversion d’une sauvegarde en
redressement judiciaire que ce soit sur le fondement de l’article L.621-12 ou
celui de l’article L.622-10), en conversion d’une sauvegarde ou d’un
redressement en liquidation, en résolution du plan de sauvegarde ou de
redressement (art. L.622-27), en résolution du plan de cession (art.L 642-11). Le
ministère public peut également demander la cession forcée des actions
appartenant au dirigeant dans le cadre d’un plan de reprise interne7

C’est, bien entendu, dans le domaine des sanctions qu’on attend le plus et
de façon évidente le parquet : poursuites pénales, cela va sans dire, mais aussi
sanctions professionnelles (interdiction de gérer ou faillite personnelle). Ce qui
est pourtant tout à fait original et sans doute peut-on dire cette fois-ci
dérogatoire, c’est que le parquet peut agir en responsabilité financière contre les
dirigeants. On imagine mal un parquet autorisé à assigner en responsabilité
civile une personne responsable. D’ailleurs, si la victime d’une infraction ne
participe pas au procès pénal, le parquet ne peut de son propre chef réclamer une
indemnisation au délinquant au bénéfice de la victime. Or, en procédure
collective, c’est bien ce qui se passe puisque l’article L.651-3 donne qualité au
ministère public en concurrence avec le liquidateur pour agir contre le dirigeant
en responsabilité pour insuffisance d’actif. Or le produit de l’action sera
distribué entre les créanciers. Dans la pratique, on remarque que le parquet
laisse au liquidateur le soin d’agir en responsabilité pour insuffisance d’actif,
alors qu’il prend plus facilement l’initiative pour les sanctions professionnelles.

De manière encore plus originale, l’initiative du parquet est favorisée par


les règles qui lui ouvre, parfois en exclusivité, l’appel contre les décisions
relatives aux procédures collectives.

7
Cass. com. 11 oct. 2016, n° 14-360.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 163

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B. Les recours du parquet

Si c’est moins vrai depuis la réforme de 2008, le livre VI du code de


commerce restreint les voies de recours afin d’assurer la célérité de la procédure.
Or, chaque jugement est toujours susceptible de recours de la part du ministère
public. Les articles L.661-1 et L.661-6 qui ouvrent l’appel des décisions
principales à certaines personnes, ajoutent le ministère public aux personnes
ayant qualité. Mieux, l’article L. 661-6-I exclut tout droit de recours contre
certaines décisions, sauf de la part du ministère public. L’article L.611-11
prévoit aussi une exclusivité de la voie de recours.

Ainsi le parquet peut toujours prendre l’initiative d’un recours même


lorsqu’il n’était pas partie principale au jugement de première instance. Depuis
la réforme de 2008, il peut même faire appel du jugement d’homologation de
l’accord de conciliation (art. L.611-10). Toutes ces dispositions relatives aux
recours doivent inciter les membres du parquet à être vigilants sur le contenu des
décisions rendues par le tribunal en matière de procédure collective et de
chercher à les faire infirmer lorsqu’ils estiment que l’ordre public économique
n’a pas été respecté. Tel a été le cas à l’occasion d’une réalisation d’actif qui a
donné lieu à un arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation. C’est le
parquet, suspectant que l’auteur de l’offre d’achat d’une ligne de production
n’était d’autre qu’une personne interposée par rapport au dirigeant de la société
débitrice qui a fait appel de l’ordonnance de cession8.- C’est le parquet qui a
soulevé l’incompétence du juge-commissaire ayant ordonné la cession d’un
fonds de commerce au profit du tribunal pour l’arrêté d’un plan de cession9

Pour être complet, il faut ajouter que certains arrêts rendus sur appel de
quelques décisions (art. L.661-6-III, IV, V) ne peuvent faire l’objet d’un pourvoi
en cassation que de la part du ministère public.

Si le parquet peut prendre des initiatives, il peut également intervenir à tous


les stades de la procédure, parfois même le législateur lui en fait l’obligation.

8
Cass. com. 8 mars 2017, n° 15-22987.
9
V. J. Vallansan, Fonds de commerce et plan de cession ( à propos d’une ordonnance inédite du juge
commissaire du tribunal de commerce de Quimper du 23 juin 2012 : BJE 2013-1, p. 1.

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JOCELYNE VALLANSAN

II. Les interventions du ministère public :


les avis sollicités et encadrés

Parallèlement à son droit d’agir, le ministère public à chaque étape de la


procédure doit être informé de tout (y compris de l’ouverture d’une
conciliation), ce qui lui permet de participer à la vie de la procédure. En
particulier pour donner son avis. Il est alors considéré comme un expert,
certains le rapprochant d’un jurisconsulte10 . Ces avis ne sont pas anodins et ils
sont à l’origine d’une jurisprudence fournie. Et le moins qu’on puisse dire, c’est
que la chambre commerciale est sévère pour les juridictions qui n’ont pas
compris l’importance du parquet. Toutefois, la chambre commerciale tente
d’éviter que cette intervention soit instrumentalisée par les débiteurs et
dirigeants.

A. Les avis du parquet

1) Les avis obligatoires

Les situations. Certains avis du parquet conditionnent la validité de


certaines décisions. C’est le cas des jugements de conversion de procédure
(R621-26), d’arrêté du plan (art. R 626-9), de résolution du plan (art. L.626-27).
Depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, l’avis du parquet est obligatoire pour une
ordonnance du juge-commissaire : il s’agit de l’autorisation, pendant la période
d’observation, de passer un acte étranger à la gestion courante susceptible
d'avoir une incidence déterminante sur l'issue de la procédure (art. 622-7)11.
Pour certaines décisions, la présence d’un représentant du parquet à l’audience
est même obligatoire (par exemple en cas d’ouverture d’une sauvegarde
accélérée12.

10
E. Houlette, le rôle du ministère public dans la loi de sauvegarde : JCP E 2005, 1514, expression
reprise par C. Delattre : Les avis du ministère public Rev. proc. coll. 2016-5, ét. 22.
11
V. le tableau très complet de M. Delattre, l’intervention du ministère public dans la loi de sauvegarde :
Rev.proc.coll. 2014-6, Fiches pratiques 2.
12
Art. L. 728-2 al. 2. – V. les autres cas dans le tableau de M. Delattre précité Rev. proc. Coll 2014-6,
fiche pratique 2.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 165

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LE RÔLE PARTICULIER DU MINISTÈRE PUBLIC, DROIT DÉROGATOIRE, PRÉCURSEUR, RÉVÉLATEUR ?

Lorsque la loi impose au parquet de donner un avis, elle exige de lui qu’il
examine le dossier. L’accusé de réception de la communication du dossier ne
suffit pas : visa n’est pas avis13. Toutefois la Cour de cassation n’est pas si
exigeante puisque le terme “s’en rapporte” est suffisant pour constituer un avis14.
Mérite également d’être signalé un arrêt de la cour d’appel de Caen qui exige
qu’en cas de renvoi à des audiences successives, l’avis du parquet soit
renouvelé15. En effet, sur plusieurs mois, la situation de l’entreprise peut avoir
changé.

La sanction. Dès lors que le texte rend l’avis (ou la présence à l’audience)
obligatoire, le non-respect de la règle est sanctionné par la nullité de la décision.

En première instance, l’annulation du jugement pourra être sauvée par


l’effet dévolutif de l’appel. La cour d’appel annule le jugement, (mais n’annule
pas l’acte introductif) mais statuant au fond, elle est en mesure de prendre la
même décision similaire qui se substituera à celle des premiers juges (sans
confirmer bien entendu - puisque le jugement est nul).

Cependant, la sanction devient beaucoup plus efficace, dès lors qu’elle


s’applique également en cause d’appel. En effet, si la cour d’appel ne fait pas
respecter cette règle, l’arrêt sera annulé par la Cour de cassation. C’est le sens de
la jurisprudence. Le point de départ est un arrêt du 16 décembre 200816 qui est
davantage connu pour la solution qu’il apporte sur le fond du droit (la résolution
du plan n’emporte de plein droit liquidation que si la cessation des paiements est
constatée). En l’espèce, un pourvoi est formé contre l’arrêt qui confirme le
prononcé de la résolution du plan pour inexécution des engagements du débiteur
ainsi que sa liquidation judiciaire (sans vérifier si le redressement était
manifestement impossible). Plusieurs griefs étaient adressés à l’arrêt par le
débiteur. L’un des moyens est invoqué par le débiteur qui reproche à l’arrêt
d’avoir été rendu sans que le ministère public n’ait donné son avis.

13
Cass. com., 8 janvier 2013, n° 11-23.664 - 24 juin 2014, n° 13-14.690 : Bull. civ. IV, n° 111. - 24
mars 2015, n° 13-26.209 et 13-28.458.
14
Cass. com. 16 déc. 2008, n° 07-16.130 : Bull. civ. IV, n° 211.
15
CA Caen, 15 nov. 2015 : JCP E 2016-1001, note C. Delattre.
16
Cass. com. 18 décembre 2008, n° 07-17.130.

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JOCELYNE VALLANSAN

Le mandataire lui oppose que le moyen est irrecevable car l’article L.661-8
du code de commerce ne permet qu’au seul ministère public de se pourvoir en
cassation pour défaut de communication. L’idée est de dire qu’il appartient au
ministère public de reprocher à la cour d’appel d’avoir pris une décision sans
son avis. Or, en l’espèce, c’est le débiteur qui invoque la règle à son profit.

La chambre commerciale répond que le texte ainsi visé ne s’applique pas


lorsqu’il s’agit de réclamer la sanction de l’absence d’un avis obligatoire. Le
débiteur peut, lui aussi, se prévaloir de l’inobservation de la règle qui impose
l’avis du ministère public.

Le moyen étant recevable, il fallait examiner si l’arrêt devait être annulé.


En effet, aucune mention de l’arrêt ne précisait si la cour d'appel avait recueilli
l'avis du ministère public à qui la cause avait seulement été communiquée. Le
moyen est malgré tout rejeté car il résultait du dossier que celui-ci était côté “vu
et s’en rapporte”

Cet arrêt affirme donc trois règles :

1°.- Le débiteur (ou le dirigeant) peut se prévaloir de l’absence de l’avis du


ministère public lorsque ce dernier est obligatoire. Les annulations d’arrêts dont
il ne résulte pas l’avis du ministère public se sont multipliées17.

2°.- Lorsque le ministère public “s’en rapporte”, il donne un avis.

3°.- Lorsque l’avis n’apparaît pas dans l’arrêt, la Cour de cassation peut
aller vérifier dans le dossier s’il a ou non été donné (en pratique, le conseiller
rapporteur réclame le dossier au greffe de la cour d’appel).18 . L’arrêt de la cour
de cassation précise donc qu’il résulte (ou ne résulte pas selon le cas) des pièces
de la procédure, que l’avis a été donné (ou pas).

17
Cass. com., 22 septembre 2015, n° 14-15.452. - 29 septembre 2015, n° 14-15.639. - Cass. com., 1er
décembre 2015, n° 14-16.825. Cass. com., 11 décembre 2012, n° 11-22.459 et 11-26.555.
18
Cass. com., 5 novembre 2013, n° 12-20.134 et 11-21.716.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 167

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2) Les avis facultatifs

Si le texte n’impose pas un avis, il est toujours possible pour le parquet,


informé d’un acte de procédure, de donner son avis. S’il a choisi de donner son
avis, ce dernier aura les mêmes effets et subira les mêmes contraintes que s’il est
obligatoire.

B. Le sort de l’avis

En premier lieu, l’avis ne lie jamais le tribunal. Il se contente d’apporter au


juge un regard extérieur sur le dossier.

En second lieu, et surtout, si le ministère public donne son avis, il devient


une partie jointe à la procédure (que ce soit une obligation ou qu’il le fasse
spontanément). Les principes directeurs de la procédure civile lui sont donc
applicables, en particulier le principe du contradictoire. Il en résulte que l’avis
du parquet doit être communiqué à la partie adverse de manière à ce que celle-ci
puisse y répondre utilement19. Cette solution a incité les débiteurs et dirigeants
(condamnés à des sanctions financières ou professionnelles) à multiplier les
pourvois par simple stratégie procédurale. Les représentants du parquet émettent
fréquemment des avis (surtout en matière de sanctions), lesquels ne sont pas
circonstanciés. Le dirigeant n’en sollicite aucunement la communication. Ce
n’est qu’une fois l’arrêt rendu qu’il en demande la cassation20.

La chambre commerciale atténue les excès de cette dérive procédurale par


plusieurs précisions :

- d’abord, comme pour l’existence de l’avis obligatoire, elle scrute l’arrêt


pour vérifier les indices d’une communication. En particulier, s’il est indiqué
que le ministère public était représenté à l’audience, c’est que son avis a été

19
Cass. com., 27 janv. 2009, n° 08-10.482 : Bull. IV, n° 10. - 28 janv. 2014, n° 13-10.453. - 7 nov.
2015, n° 14-22.222 : Bull. civ. IV, n° - 27 sept. 2016, n° 14-29.620.
20
Parmi les arrêts que la Cour de cassation, toutes chambres confondues a dû rendre ces dernières
années : Cass. com., 26 novembre 2014, n° 13-22.684 ; Cass 2ème civ, 25 septembre 2014, n° 13-
23.214 ; Cass. com., 28 janvier 2014, n° 13-10.453 ; Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-11.765, Cass.
com., 22 septembre 2015, n° 14-15.452 ; Cass com., 17 novembre 2015, n° 14-17.607 et 14-22.222.-
Cass. com., 31 mai 2016, n° 14-20.447 - Cass. com., 27 septembre 2016, n° 14-29.620.

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JOCELYNE VALLANSAN

porté à la connaissance de la partie adverse. Celle-ci a-t-elle eu l’occasion d’y


répondre utilement ? La chambre commerciale répond qu’il est toujours possible
d’y répondre par une note en délibéré.21

- ensuite (et surtout), lorsque le parquet se contente de s’en rapporter à


justice, elle retient que cet avis (ainsi qu’il a été vu précédemment) n’ayant
aucune influence sur la décision, l’absence de communication à la partie adverse
n’emportera pas de sanction22 . Le représentant du parquet sera donc bien avisé,
s’il n’entend pas apporter un avis circonstancié qui aidera effectivement le juge
à trancher, alors que son avis est obligatoire, de se contenter de s‘en rapporter à
justice. En effet, contrairement au “rapport à justice”, la simple demande de
confirmation du jugement manifeste la postion du parquet et n’est donc pas de
nature à dispenser la cour d’appel de s’assurer que la communication de cet avis
a été effectué à la partie adverse23. D’après la dernière jurisprudence, il suffit
même au représentant du parquet d’apposer sur le dossier l’emprunte d’un
tampon encreur préimprimé et sa signature pour satisfaire aux exigences des
consignes législatives24.

Après toutes ces observations, il est possible de répondre à la question


posée par nos amis toulousains par l’affirmative. Comme ils l’avaient pressenti,
le rôle du ministère public dans les procédures collectives est parfois
dérogatoire aux règles du droit commun. Mais il est surtout un révélateur de la
portée que peut avoir sa mission de protection de l’ordre public (ici
économique). C’est sans doute ce rôle qui a permis aux tribunaux de commerce
de survivre à tous les coups de boutoirs qu’ils ont supportés depuis quelques
dizaines d’années. Peut-être, à ce titre, la mission du ministère public est-il enfin
précurseur de ce qu’il pourrait devenir dans d’autres disciplines.

21
Cass. com., 10 février 2015, n° 13-25.221. - Cass. civ. 3, 18 février 2015, n° 13-24.114. - Cass. com.,
18 mai 2016, n° 14-16.895.
22
Cass. com., 1er avril 2014, n° 13-13.474 : Bull. civ. IV, n° 66. - 16 juin 2015, n° 14-13.810.
23
Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-29.334 : Bull. civ. IV, n°.- 28 juin 2016, n° 14-19.160.
24
Cass. com., 28 juin 2017, n° 16-11.691 : JCP E 2017, n° 1517, note C. Delattre.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 169

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« PROCÈS » ÉCONOMIQUE
La « déjudiciarisation » du traitement des difficultés

Laura SAUTONIE-LAGUIONIE
Professeur à l’Université de Bordeaux,
Responsable du pôle droit de l'insolvabilité de Trans Europe Experts

Sans verser dans le pessimisme voire le défaitisme, il faut bien admettre


qu’en dépit des efforts – nombreux et fréquents – du législateur, le droit des
entreprises en difficulté pourrait être considéré aujourd’hui comme un droit en
échec. La proportion toujours importante des liquidations judiciaires directes –
68% des procédures ouvertes en 2016 - montre que les solutions proposées par
les instruments de prévention comme par les procédures de sauvegarde et de
redressement judiciaire ne suffisent pas à traiter efficacement les difficultés des
entreprises. Face à ce constat, que faire ? Il semble que, par un mouvement initié
par la loi du 26 juillet 2005, qui s’est accéléré peu à peu, une partie de la
solution puisse venir de la déjudiciarisation du traitement des difficultés des
entreprises.

La déjudiciarisation s’inscrit dans une évolution de la justice contemporaine


qui conduit à soustraire un contentieux à son juge naturel pour en permettre le
traitement hors du tribunal. L’exemple, longtemps discuté et aujourd’hui de
droit positif1, est celui du divorce sans juge, le juge étant remplacé par un tiers,
le notaire, après établissement de la convention de divorce par deux avocats. La
déjudiciarisation serait dotée de deux vertus : elle permettrait un gain de temps
et un gain d’argent pour la justice ; les juges, déchargés d’une partie de leur

1
V. nouvel article 229-1 C. civ. tel qu’issu de la loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 171

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LA « DÉJUDICIARISATION » DU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS

contentieux, pourraient se concentrer sur les dossiers censés constituer leur cœur
de métier. Cela permettrait de raccourcir les délais des procédures et de faire
traiter plus de demandes par des magistrats sans création de postes2.

Le droit des entreprises en difficulté marque ici son caractère dérogatoire.


S’il y a bien, un mouvement de déjudiciarisation, spécialement par l’incitation à
recourir à la procédure de conciliation, ce mouvement n’est pas dicté par une
économie de temps et d’argent pour la justice, mais par une économie de temps
et donc d’argent pour l’entreprise en difficulté. Ainsi la déjudiciarisation illustre
parfaitement la thématique du colloque. Le temps étant l’ennemi de l’entreprise
en difficulté, il faut traiter le plus tôt possible les difficultés, et ce dans un temps
le plus court possible afin que l’image de l’entreprise ne pâtisse pas de sa mise
en procédure collective et qu’aux difficultés ne s’ajoute une perte de confiance
des clients et partenaires. Dès lors, un traitement précoce et rapide des difficultés
par des voies non judiciaires offre un gain de temps mais aussi d’argent, puisque
l’entreprise préservera tout ou partie de son activité et évitera une aggravation de
son passif. En droit des entreprises en difficulté, la déjudiciarisation n’est donc
pas tant une mesure de bonne administration de la justice qu’une mesure au
service de l’entreprise en difficulté.

Répondant à un objectif qui lui est donc propre, il reste à apprécier cette
déjudiciarisation du traitement des difficultés. Dans une première approche
générale, il apparaît que le mouvement de déjudiciarisation reste mesuré. En
effet, depuis la loi du 26 juillet 2005, le traitement des difficultés des entreprises
oscille entre judiciarisation et déjudiciarisation. Mais, par une seconde approche,
fondée sur les réformes les plus récentes et à venir, il semble que la
déjudiciarisation soit encouragée par le législateur, qui y voit une clé pour
accroitre l’efficacité du traitement des difficultés des entreprises.

2
Sur les différents sens de la déjudiciarisation et l’évolution en matière d’administration de la justice, V.
L. Mayer, Les déjudiciarisations opérées par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice
du XXIe siècle, Gaz. Pal. 2017, n° 5, p. 59. - V. aussi S. Amrani-Mekki, La déjudiciarisation, Gaz. Pal.
2008, n° 156, p. 2 s.

172 | IFR Actes de colloques N° 30

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LAURA SAUTONIE-LAGUIONIE

I. Entre judiciarisation et déjudiciarisation du


traitement des difficultés

Au titre tout d’abord d’une approche générale, la modification de


l’architecture du droit des entreprises en difficulté par la loi du 26 juillet 2005 et
l’ordonnance du 12 mars 2014 a conduit à deux mouvements opposés : d’une
part, une judiciarisation du contentieux par la création de la procédure de
sauvegarde et du rétablissement professionnel, et, d’autre part, une
déjudiciarisation par la procédure de conciliation et le mandat ad hoc.

A. La judiciarisation

La judiciarisation, phénomène inverse à celui de la déjudiciarisation,


conduit à soumettre au juge des situations qui, jusque-là, ne relevaient pas de la
sphère judiciaire. En créant la procédure de sauvegarde pour le débiteur qui n’est
pas en cessation des paiements, la loi du 26 juillet 2005 a bien opéré une telle
judiciarisation puisqu’auparavant, ces situations ne pouvaient être appréhendées
par le juge et ne pouvaient que faire l’objet d’un règlement amiable. Cette
nouvelle procédure est bien une procédure judiciaire, en ce sens qu’elle est
entièrement placée sous le contrôle et l’autorité du tribunal. Le règlement
amiable n’avait pas suffi à traiter efficacement ces situations. Et, en parallèle de
la réforme de la prévention, le législateur a considéré que l’autorité du tribunal
pour imposer une solution collective était en définitive nécessaire.

La judiciarisation a connu une autre manifestation par le refus de la


déjudiciarisation du traitement des liquidations judiciaires dites impécunieuses.
Les débats qui ont précédé l’adoption du rétablissement professionnel lors de
l’ordonnance du 12 mars 2014 l’ont montré. Pendant un temps, il a été envisagé
de confier le traitement de ces procédures à une autorité administrative, à l’instar
de certains pays étrangers. Mais le pas n’a pas été franchi par le législateur. Ces
liquidations impécunieuses n’ont pas quitté le tribunal. C’est plutôt une
déformalisation qui a été opérée3. En effet, c’est surtout la procédure qui a été
allégée et le formalisme considérablement réduit. Si la procédure repose sur un

3
V. A. Jeammaud, V° Judiciarisation / Déjudiciarisation , in L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice,
PUF, 2004.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 173

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LA « DÉJUDICIARISATION » DU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS

juge unique – le juge commis – le tribunal reste présent à l’ouverture et à l’issue


de la procédure. Le risque d’une atteinte aux droits des tiers l’a ici emporté sur
l’allégement du contentieux pour les juridictions.

Face à ce mouvement qui maintient ou qui étend le domaine de compétence


de l’autorité judiciaire, une partie du traitement des difficultés s’opère
néanmoins par une déjudiciarisation.

B. La déjudiciarisation

La déjudiciarisation suppose de soustraire « du périmètre de la justice une


activité jusqu’ici confiée au juge »4. Deux types de déjudiciarisation sont
possibles : le juge est évincé, sauf à être saisi en cas de difficulté, comme dans le
cas du divorce sans juge ; ou bien le juge est concurrencé par des modes
alternatifs de règlement des litiges. C’est cette seconde voie que retient le droit
des entreprises en difficulté. Depuis la loi du 26 juillet 2005, deux procédures
collectives – la sauvegarde et le redressement judiciaire – sont concurrencées par
ces mesures non juridictionnelles que sont le mandat ad hoc et la conciliation.

L’article L. 611-3 C. com. est des plus sommaires, s’agissant du mandat ad


hoc, ce qui en fait un mécanisme des plus souples. Même le critère d’ouverture
n’est pas précisé. En comparaison avec l’article L. 611-4 et les articles L. 631- 4
et L. 641-4 C. com., il est en principe retenu que le mandat ad hoc suppose
l’absence de cessation des paiements du demandeur5. En pratique, il semble que
les solutions soient moins nettes, certains tribunaux acceptant le jeu du mandat
ad hoc alors même que le débiteur est depuis peu en cessation des paiements. La
conciliation est pour sa part dotée de règles précises. Lorsque le débiteur connaît
des difficultés ou qu’il est en cessation des paiements depuis moins de 45 jours,
il peut demander au Président du tribunal la désignation d’un conciliateur6. Si
c’est bien l’autorité judiciaire qui intervient à ce stade et fixe la durée de la
mission du conciliateur, le dispositif est avant tout fondé sur la recherche d’un
accord amiable hors le tribunal. Cette procédure présente bien des avantages par
rapport à une procédure collective : elle est rapide (quatre mois maximum cinq,

4
V. Rapport. S. Guinchard, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, 2009, p. 41.
5
V. M.H. Monsèrié-Bon, Mandat ad hoc – conciliation, Rép. dr. Com. Dalloz, 2012, n° 14.
6
Art. L. 611-4 C. com.

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sur prorogation)7, elle est en principe confidentielle8 ; elle permet un dialogue


avec les partenaires dans un contexte plus favorable que celui du tribunal, elle
évite le traumatisme d’une procédure collective pour le chef d’entreprise.

Le droit des entreprises en difficulté a sans doute été précurseur dans la


place accordée aux modes alternatifs de règlement des litiges. Mais ce qui a
changé avec la loi de 2005, c’est que la conciliation est devenue une véritable
alternative non seulement à la nouvelle procédure de sauvegarde mais aussi au
redressement judiciaire, lorsqu’il joue pour les entreprises qui sont depuis peu en
cessation des paiements. Ces techniques tendent au « redressement consensuel
sans contrainte judiciaire »9

Le droit des entreprises en difficulté marque aussi son caractère dérogatoire


car il définit ses propres règles de la conciliation, sans reprendre celles présentes
dans le code de procédure civile. Le mécanisme du code de commerce apparaît
d’ailleurs comme un hybride de la conciliation et de la médiation de droit
commun10. Plusieurs spécificités sont notables.
Tout d’abord, à la différence du droit commun, ce n’est ni le juge, ni l’ensemble
des parties en présence qui décident de recourir à la conciliation. C’est à la
demande du débiteur, seul, que le Président du tribunal11, désigne le conciliateur
et fixe la durée de sa mission. Le débiteur dispose de la faculté de proposer le
nom d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc. Une convention d’honoraires
doit même désormais accompagner la requête qu’il dépose auprès du Président
du tribunal. Si le Président peut choisir un autre professionnel, il n’en demeure
pas moins que le choix du débiteur s’accompagne en pratique d’une rencontre
préalable entre le débiteur, son conseil le cas échéant, et le futur conciliateur ou
mandataire ad hoc. Le choix d’un autre professionnel par le Président
impliquera donc une perte de temps puisqu’il faudra de nouveau que le débiteur

7
Art. L. 611-6 C. com.
8
Art. L. 611-15 C. com.
9
C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté : 10ème éd., Domat-Montchrestien, 2016, n°
254.
10
La distinction entre le rôle du conciliateur et le rôle du médiateur manque de clarté en droit commun,
certains auteurs considérant qu’il y a davantage une différence de degré que de nature entre la
conciliation et la médiation. V. not. S. Guinchard, G. Montagnier, A. Varinard et T. Debard, Institutions
judiciaires, 12e éd., Précis Dalloz, 2015, n° 44.
11
Sauf pour le règlement amiable agricole où les créanciers peuvent également saisir le juge : V. art. L.
351-2 C. rural et de la pêche maritime.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 175

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LA « DÉJUDICIARISATION » DU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS

échange avec l’intéressé et établisse un rapport de confiance. Pour l’heure, les


créanciers ne sont pas associés à ce choix du tiers habilité par le juge à mener les
négociations. Il semblerait qu’en pratique, le plus souvent, le Président nomme
le professionnel proposé par le débiteur12.

La durée des négociations est ensuite différente de celle retenue en droit


commun, où un délai initial d’un maximum de trois mois est prévu par les
textes13. Tandis que le mandat ad hoc n’est enfermé dans aucun délai, la
conciliation peut durer quatre mois, voire cinq sur prorogation. En pratique, afin
de disposer du temps nécessaire, souvent assez long, le mandat ad hoc précède
la conciliation

Autre différence encore, alors que le tiers menant les négociations est
appelé mandataire ad hoc ou conciliateur, il se rapproche en pratique davantage
du médiateur que du conciliateur de justice, puisqu’à l’instar du premier, il est
rémunéré. Plus largement, et s’agissant de la conciliation du code de commerce,
un régime précis est prévu s’agissant des effets de l’accord auquel les parties
parviendront en cas d’issue positive des négociations. Tandis qu’en droit
commun, l’homologation a vocation à donner seulement un caractère exécutoire
à l’accord des parties, en droit des entreprises en difficulté, c’est la simple
constatation par le président du tribunal de l’accord amiable qui a cet effet
réduit. L’homologation a une portée plus vaste et surtout repose sur un contrôle
au fond, par une formation collégiale, dont l’article L. 611-8 C. com. détaille
l’objet. En droit commun, les textes sont muets et les interrogations nombreuses
en doctrine pour déterminer si, lorsqu’il homologue l’accord des parties suite à
une conciliation ou une médiation, le juge opère ou non un contrôle au fond14.
Le code de commerce commande au tribunal d’apprécier la légalité et la
pertinence de l’accord amiable à l’occasion de l’homologation, ce qui s’explique
par une protection nécessaire des intérêts en présence et des droits des tiers15.

12
Sur l’ensemble de la question, V. La prévention des difficultés des entreprises, Entretien avec A.
Barriés, G. Berthelot, E. Bertrand, A. Casteu, G. Couturier, G. Delorme, D. Jabouley, B. Lacoste, G.
Réquin, P. Rubellin, P. Sabatier, M. Sénéchal, M. Thomas, et P. Veyret : Cahiers droit de l’entreprise
2016, entretien 6.
13
Art. 131-3 CPC, délai qui peut être prorogé pour la même durée, une fois, par le juge.
14
V. not. G. Deharo, Rep. Proc. civ. Dalloz, V° Contrat judiciaire, n° 63 s. et les références citées. –
Adde F. Eudier et N. Gerbay, Rep. Proc. civ. Dalloz, V° Jugement, n° 14 s. et les références citées.
15
Ce contrôle judiciaire tranche encore assez nettement avec les solutions du surendettement, pour
lesquelles la loi du 18 novembre 2016, sur la justice du 21è siècle a opéré une déjudiciarisation en ne

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Enfin, et c’est sans doute là une spécificité importante, le mandat ad hoc et


la conciliation ne jouent pas pour mettre un terme à un conflit ou à un
contentieux. Il s’agit de dispositifs d’évitement d’une procédure collective,
laquelle ne s’analyse pas vraiment en un procès au sens propre du terme. La
procédure collective n’est pas véritablement une instance qui oppose d’une part
le débiteur, et d’autre part, ses créanciers. Il s’agit d’une procédure qui, dans son
ensemble, a pour objet le traitement des difficultés d’un débiteur, soit par la
recherche d’un plan soit par la liquidation. Julien Théron, dans sa contribution, a
ainsi mis en exergue les discussions sur les spécificités d’une procédure
collective au regard de la notion de litige16. Dès lors, le mandat ad hoc et la
conciliation ne sont pas des modes alternatifs de règlement de litiges, mais bien
des mesures de prévention et d’évitement, et ont pu être qualifiées de médiations
préventives ou d’accompagnement17.

Les mesures de prévention du droit des entreprises en difficulté connaissent


de bons résultats en pratique et ne cessent de se développer. Ainsi, entre 2011 et
2016, le nombre de procédures amiables a presque été multiplié par quatre18. Et
des accords amiables sont trouvés dans plus de deux conciliations sur trois.
Néanmoins le nombre de procédures amiables engagées chaque année, qui sont
de l’ordre de 2000, mandat ad hoc et conciliation confondues, reste assez faible
au regard des 58 000 procédures collectives ouvertes en 2016. Ces bons résultats
doivent conduire à encourager le recours au traitement non judiciaire des
difficultés, et il semble que ce soit le sens des dernières réformes.

rendant plus nécessaire l’homologation des propositions de la commission de surendettement pour les
mesures touchant au capital (V. not. S. Piédelièvre, Droit du surendettement dans la loi de
modernisation de la justice du XXI siècle – Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : JCP G 2016
1329).
16
V. J. Théron, Les règles dérogatoires à la procédure, p. 133.
17
G. Bouté, La médiation préventive ou d'accompagnement – L'exemple du droit de l'entreprise en
difficulté : Cahiers droit de l’entreprise, 2016, dossier 20.
18
Source : Etude altares Deloitte, mars 2015 et mars 2017. 2467 procédures amiables en 2016, dont
65% de mandats ad hoc, pour 664 procédures amiables en 2011. Le nombre de conciliations a augmenté
de 30 % sur cette période.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 177

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LA « DÉJUDICIARISATION » DU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS

II. Une déjudiciarisation encouragée par


les dernières réformes

Une seconde approche, centrée sur les réformes les plus récentes, fait
apparaître un encouragement de la déjudiciarisation tant en droit interne qu’en
droit européen.

A. En droit interne

Un premier encouragement, certes indirect, résulte de la création des


sauvegardes accélérées. Ces procédures ne peuvent être mises en œuvre qu’en
cas d’échec de la conciliation, mais dans l’hypothèse où le projet d’accord avait
emporté l’adhésion d’une majorité de créanciers, laissant admettre un vote
favorable des comités de créanciers, après le basculement en sauvegarde19. En
pratique, cela constitue un facteur d’incitation à la réussite de la conciliation.
Dès lors que l’entreprise remplit les seuils de la sauvegarde accélérée, et qu’une
majorité qualifiée de créanciers est favorable au projet d’accord, le conciliateur
pourra prendre appui sur le risque de basculement en sauvegarde accélérée pour
conduire les récalcitrants à donner leur accord. En effet, quel intérêt de basculer
dans une procédure collective, fut-elle courte, pour être contraint par le tribunal
à ce que l’on refuse à l’amiable ? Ainsi, l’efficacité des sauvegardes accélérées
ne se mesurera pas forcément, ou pas seulement, au nombre de procédures
ouvertes à ce titre, mais également à l’augmentation du nombre d’accords
amiables trouvés.

Outre les prepack plans, auxquels on aurait pu ajouter les prepack cessions,
un second encouragement de la conciliation résulte de la réforme du 18
novembre 2016. L’article L. 621-1 C. com. dispose désormais dans son
troisième alinéa, au titre de l’ouverture de la sauvegarde, que « Lorsque la
situation du débiteur ne fait pas apparaître de difficultés que le débiteur ne
serait pas en mesure de surmonter, le tribunal invite celui-ci à demander
l'ouverture d'une procédure de conciliation au président du tribunal. Il statue
ensuite sur la seule demande de sauvegarde. » Le critère d’ouverture de la
sauvegarde étant que le débiteur justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure

19
V. art. L. 628-1 C. com.

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de surmonter, cet article vise le cas où la situation du débiteur ne fait pas


apparaître de telles difficultés. La solution naturelle supposerait que le tribunal
rejette purement et simplement la demande d’ouverture d’une sauvegarde, d’une
part, parce que les conditions n’en sont pas réunies, et, d’autre part, parce que si
les difficultés peuvent être surmontées, le débiteur doit pouvoir les traiter par
lui-même. Mais le législateur préfère que le tribunal invite le débiteur à solliciter
une conciliation, laquelle est ouverte pour toute « difficulté juridique,
économique ou financière, avérée ou prévisible »20. Cette réforme peut conduire
à durcir l’appréciation des conditions d’ouverture de la sauvegarde par le
tribunal, en renforçant l’exigence que la difficulté soit insurmontable. Le
législateur incite ainsi le débiteur à se tourner d’abord vers la conciliation, et
seulement lorsque les difficultés sont insurmontables, vers la sauvegarde.

A ce jour, l’encouragement de la déjudiciarisation s’arrête là : point de


conciliation obligatoire avant une procédure collective, sauf pour les débiteurs
agricoles, lorsqu’un créancier est à l’initiative de la demande21. Pourtant, cela
pourrait être envisagé, de façon systématique pour la sauvegarde, et lorsque
l’entreprise est en cessation des paiements depuis moins de quarante-cinq jours
pour le redressement judiciaire22. Le pas n’est pas franchi, car l’on craint une
perte de temps et donc d’efficacité de la procédure collective subséquente en cas
d’échec de la conciliation. Mais on rappellera que le délai est limité en principe
à trois voire quatre mois et surtout que le conciliateur doit demander au tribunal
de mettre un terme à sa mission s’il constate qu’aucun accord ne peut être
trouvé23. Le risque paraît donc mesuré au regard des avantages de l’accord
amiable. Peut-être le législateur européen sera-t-il celui qui incitera le législateur
français à encourager encore davantage la déjudiciarisation.

20
art. L. 611-4 C. com.
21
Art. L. 630-5 et L. 640-5 C. com.
22
Comp. Art. 56 CPC, tel qu’issu du décret du 11 mars 2015, qui prévoit que « Sauf justification d'un
motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre
public, l'assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution
amiable du litige » (nous soulignons). V. aussi, l’article 58 CPC qui prévoit la même règle pour la
requête.
23
Art. L. 611-7 C. com. dernier alinéa.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 179

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LA « DÉJUDICIARISATION » DU TRAITEMENT DES DIFFICULTÉS

B. En droit européen

Une proposition de directive a été émise le 22 novembre 2016 par la


Commission européenne dans la perspective d’une harmonisation matérielle des
droits nationaux de l’insolvabilité en Europe24. Elle contient tout un titre
consacré aux procédures préventives, qui concernent les débiteurs en difficulté
pour lesquels il y a une probabilité d’insolvabilité. Il est clairement prévu que les
mesures préventives permettant une restructuration de l’entreprise ne passent pas
nécessairement par une autorité administrative ou judiciaire25, et même que la
désignation d’un professionnel de l’insolvabilité n’est pas obligatoire26. C’est
donc la voie non judiciaire du traitement des difficultés qui est ici clairement
préconisée. A cet égard, le mandat ad hoc comme la conciliation répondent aux
objectifs de la proposition, puisqu’ils offrent des mécanismes plus ou moins
souples pour la négociation hors le tribunal. Le texte proposé ouvre la voie à des
mécanismes encore plus souples, évoquant la médiation conventionnelle.
L’adoption de la directive pourrait conduire à plusieurs évolutions de notre
législation.

Tout d’abord, le texte prévoit que, pendant les négociations, le débiteur doit
pouvoir bénéficier d’une suspension des poursuites individuelles, qui peut être
ou non générale, et dont la durée, à fixer par les textes nationaux, peut aller
jusqu’à quatre mois. La proposition prévoit aussi une prolongation de ce délai
sur décision de l’autorité administrative ou judiciaire. Actuellement, depuis
l’abrogation du dispositif de la loi du 10 juin 1994, et réserve faite du règlement
amiable agricole27, seul l’octroi de délais de grâce, dans les conditions du droit
commun, permet au débiteur d’avoir un répit ponctuel contre les poursuites dont
il est l’objet pendant les négociations. L’adoption de la directive pourrait
renforcer l’attractivité de la conciliation, si elle était assortie d’une suspension

24
Proposal for a directive on “ preventive restructuring frameworks, second chance and measures to
increase the efficiency of restructuring, insolvency and discharge procedures and amending Directive
2012/30/EU”.
25
V. art. 4. « Les États membres mettent en place des dispositions limitant l’intervention d’une autorité
judiciaire ou administrative aux cas où cette intervention est nécessaire et proportionnée, de façon à
sauvegarder les droits de toute partie concernée ».
26
V. art. 5.2 « La désignation d’une autorité judiciaire ou administrative d’un praticien dans le domaine
des restructurations n’est pas obligatoire dans chaque cas ».
27
V. déjà pour le règlement amiable agricole, art. L. 351-5 c. rural, qui prévoit une suspension des
poursuites individuelles de deux mois, et de deux mois supplémentaires sur prorogation.

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LAURA SAUTONIE-LAGUIONIE

des poursuites individuelles, spécialement lorsque le débiteur est déjà en


cessation des paiements.

L’article 18 de la proposition énonce ensuite une série d’obligations pour


les dirigeants, en rapport avec les procédures préventives, et notamment celle
« de prendre des mesures raisonnables pour éviter l’insolvabilité ». L’exposé
des motifs précise qu’il s’agit d’inciter les dirigeants à recourir à la prévention et
de les soumettre à un devoir de diligence, ce qui là encore pourrait augmenter en
pratique le nombre de conciliation28.

Enfin, la proposition prévoit la possibilité d’accords amiables par vote des


créanciers, constitués en comités, et donc par vote majoritaire. Le rôle du juge
en ce cas manque de clarté dans le texte, et il semblerait que la validation de
l’accord par l’autorité judiciaire ne soit pas toujours nécessaire, ce qui
contractualiserait encore davantage le traitement préventif des difficultés, mais
ne serait pas sans risque29.

L’ensemble de ces mesures témoigne de la volonté de la Commission


européenne de développer une culture de la prévention, et ce dans un cadre le
plus souple et le plus efficace possible.
Ainsi, la déjudiciarisation du traitement des difficultés a sans aucun doute un bel
avenir devant elle, et pourrait, conjuguée à l’action des acteurs de terrain pour
faire mieux connaître les procédures amiables aux chefs d’entreprises30,
participer à une diminution du nombre de liquidations judiciaires, quête
permanente du législateur français pour mettre le droit au service des
entreprises.

28
Rappr. En droit interne, CA Douai, 29 nov. 2012, n° 12/00803 : Rev. Proc. coll. 2013, com. 28, obs.
Ch. Delattre, sur la responsabilité du dirigeant pour défaut de recours à la prévention.
29
L’article 10 relatif à la « validation des plans de restructuration », dans son 1°, paraît laisser place à
une adoption de l’accord hors la validation d’une autorité judiciaire, puisqu’il est prévu que cette
validation ne soit impérative que dans les deux cas énumérés par le texte. L’ambiguïté persiste au 4° de
l’article. L’exposé des motifs indique dans son (28) que « bien qu’un plan de restructuration devrait
toujours être réputé adopté s’il récolte la majorité requise dans chaque classe concernée, un plan de
restructuration qui ne récolte pas cette majorité peut quand même être validé par une autorité judiciaire
ou administrative pour autant qu’il soit soutenu par au moins une classe de créanciers […] ». Le
paragraphe (30) paraît au contraire viser une validation générale des plans de restructuration par une
autorité judiciaire ou administrative.
30
Rappr. La prévention des difficultés des entreprises, entretien précité supra note 12.

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Au regard des règles d’exécution

Pierre CAGNOLI
Professeur à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC

Droit dérogatoire, précurseur, révélateur… Le droit des entreprises en


difficulté peut-il être tout cela, au regard des procédures civiles d’exécution ? La
réponse n’est sans doute pas la même, selon les qualificatifs utilisés. A vrai dire,
que le droit des entreprises en difficulté soit un droit dérogatoire aux procédures
civiles d’exécution n’appelle pas de réel commentaire. Ne disait-on pas,
autrefois, du droit des faillites qu’il constituait les voies d’exécution du droit
commercial ? L’affirmation est toujours exacte, même si les préoccupations du
législateur des « faillites » ont largement évolué et ne sont plus tournées, loin
s’en faut, vers la seule satisfaction des créanciers1. Développer le caractère
dérogatoire de l’une des matières par rapport à l’autre serait sans doute à la fois
fastidieux et peu utile. Il est assurément plus intéressant de se demander en quoi
le droit des entreprises en difficulté peut être révélateur ou précurseur du droit
des procédures civiles d’exécution.

L’évidence est ici bien moindre car on est en présence de deux matières aux
philosophies et aux techniques bien différentes. Les finalités du droit des
entreprises en difficulté sont suffisamment connues pour n’être que brièvement
rappelées. Par ordre de priorité, le législateur essaie d’assurer la poursuite de
l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif2.
1
Sur l’évolution des terminologies, comme reflet de l’évolution des préoccupations du législateur, v. C.
Saint-Alary-Houin, Le droit des entreprises en difficulté, Lextenso, 10è éd., 2016, n° 2 et s.
2
C. com., art. L. 620-1 et L. 631-1.

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AU REGARD DES RÈGLES D’EXÉCUTION

L’apurement du passif, dernier des objectifs affichés, est réalisé dans un cadre
collectif, censé assurer une égalité de traitement entre les différents créanciers. A
l’inverse, les procédures civiles d’exécution sont volontiers présentées comme
au service de l’intérêt personnel, égoïste, dit-on parfois, du créancier qui les
utilise. De plus, les deux matières semblent a priori inconciliables puisque, dès
lors qu’une procédure collective est ouverte, les créanciers antérieurs se voient
appliquer la règle de l’arrêt des poursuites individuelles et, notamment, sa
déclinaison que constitue la règle de l’arrêt des procédures d’exécution3. Dans
ces conditions, comment le droit des entreprises en difficulté pourrait-il inspirer
les procédures civiles d’exécution ?

Tel est pourtant bien le cas. Il en va peut-être ainsi, d’abord, parce que le
livre VI du Code de commerce se réfère expressément à la notion de
« procédures d’exécution ». L’article L. 622-21 du code de commerce y
renvoie… pour les arrêter en cas d’ouverture d’une procédure collective à
l’encontre du débiteur. La jurisprudence rendue sur le fondement de ce texte
peut nous renseigner sur ce qu’est une procédure d’exécution, lorsqu’il s’agit de
savoir si un mécanisme, dont la nature n’est pas clairement déterminée, doit ou
non être arrêté. Une fois la qualification retenue, elle peut naturellement être
réutilisée pour résoudre d’autres problématiques4. Toutefois, une certaine
prudence est ici de mise car la réponse fournie, au regard d’une règle
déterminée, peut parfaitement ne l’être que pour les besoins de la cause5.

Si le droit des entreprises en difficulté peut inspirer les procédures civiles


d’exécution, c’est aussi, ensuite, parce que l’opposition que l’on fait entre les
matières est certainement exagérée. La plupart des procédures d’exécution ont
une dimension collective, en ce sens qu’il est possible, pour les créanciers qui

3
C. com., art. L. 622-21.
4
Par exemple, pour déterminer si la partie générale du Code des procédures civiles d’exécution est
applicable audit mécanisme ; soulignant cet enjeu dès la loi du 9 juillet 1991, v. P. Delebecque, « Les
nouvelles procédures d’exécution », RTD civ. 1993, p. 15, spéc. n° 36 et s.
5
Le paiement direct des pensions alimentaires a ainsi pu être qualifié d’action directe par la Cour de
cassation, pour permettre au créancier alimentaire d’échapper à la règle de l’arrêt des voies d’exécution
(Cass. com. 15 juil. 1986, Bull. civ. IV, n° 158). A juste titre, la qualification a ensuite été abandonnée.

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PIERRE CAGNOLI

n’ont pas initié la saisie, de se joindre à la procédure6. Ce qui est dit dans l’une
des matières ne peut laisser indifférent les spécialistes de l’autre.

Enfin, il faut observer que les procédures d’exécution ne sont pas absentes
dans le contexte du droit des entreprises en difficulté. Il suffit de songer aux
créanciers postérieurs privilégiés, qui peuvent pratiquer des mesures d’exécution
sur les biens du débiteur, s’ils ne sont pas payés à l’échéance7. Il faut encore
penser encore aux créanciers alimentaires qui, quelle que soit la date de
naissance de leur créance, pourront mener certaines mesures d’exécution forcée
contre le débiteur sous procédure collective. On peut encore songer aux
créanciers antérieurs, titulaires d’une sûreté réelle spéciale, dans le contexte
d’une liquidation judiciaire ; en cas d’inaction prolongée du liquidateur, ils
pourront reprendre leurs poursuites individuelles8. Le droit des entreprises en
difficulté est ainsi un terrain d’élection possible des procédures civiles
d’exécution. La jurisprudence nous rappelle ainsi, à propos de l’insaisissabilité
des fonds déposés à la caisse des dépôts et consignations, qu’une insaisissabilité
doit être édictée par le législateur et non par le pouvoir réglementaire9.

Pour ces raisons, le droit des entreprises en difficulté a nécessairement une


influence sur les procédures civiles d’exécution. S’il est parfois une source
d’inspiration du droit des procédures civiles d’exécution (I), il est, souvent, un
banc d’essai des mécanismes et raisonnements de cette même matière (II).

6
Par exemple, le créancier qui n’aura pas initié la saisie-vente pourra s’y associer par la technique d’une
opposition ; sur cette question, v. L. Camensulli-Feuillard, La dimension collective des procédures
civiles d’exécution - contribution à la définition de la notion de procédure collective, Dalloz, 2008, t. 73.
7
M.-H. Monsèrié-Bon, « Les créanciers postérieurs méritants et l’exécution », in Mesures d’exécution
et procédures collectives, Bruylant, 2012, p. 29.
8
C. com., art. L. 643-2.
9
CE, 9 févr. 2000, n° 192271 ; JCP éd. G. 2000, II, 10314, note H. Croze et T. Moussa ; sur l’historique
de l’actuel article L. 662-1 du Code de commerce, v. J. Vallansan et alii ; Difficultés des entreprises,
LexisNexis 6ème éd. 2012, obs. sous l’article.

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I. Le droit des entreprises en difficulté comme source


d’inspiration des procédures civiles d’exécution

Le droit des entreprises en difficulté est parfois un modèle avéré du droit


des procédures civiles d’exécution (A). Il est aussi une source possible
d’inspiration de cette même matière (B).

A. Une source d’inspiration avérée

Deux exemples peuvent ici être proposés. Le premier concerne la


réalisation de l’actif du débiteur (1) ; le second, la liste des biens insaisissables
(1).

1) La réalisation des actifs du débiteur

Les modes de réalisation des actifs, tels qu’on les connaît aujourd’hui dans
le livre VI du Code de commerce, datent de la loi du 25 janvier 1985. Pour les
immeubles, le juge-commissaire choisit entre l’adjudication judiciaire,
l’adjudication dite amiable, c’est-à-dire devant notaire ou la vente de gré à gré10.
Sous l’empire de législation de 1967, il n’existait que l’adjudication judiciaire,
ou presque ; la vente amiable n’était qu’une faculté tout-à-fait exceptionnelle11.
Quant à la réalisation des meubles, le choix existait déjà entre la vente amiable
ou la vente aux enchères publiques mais il était effectué par le syndic, sans
l’autorisation du juge-commissaire. Depuis 1985, la décision du juge-
commissaire est une nécessité, du moins dans le régime général de la liquidation
judiciaire12.

S’agissant des procédures civiles d’exécution, et concernant les meubles


autres que les créances, c’est la loi du 9 juillet 1991 qui a autorisé le débiteur à
vendre à l’amiable ses biens saisis, tant pour la saisie-vente que pour la saisie

10
C. com., art. L. 642-18.
11
Décr. 67-1120 du 22 déc. 1967 art. 82, al. 2. La faculté n’existait qu’en cas de carence d'enchères, et à
défaut d’organisation d’une nouvelle adjudication après baisse de la mise à prix.
12
C. com., art. L. 642-19 ; pour les liquidations judiciaires simplifiées, apparues avec la loi de
sauvegarde des entreprises, v. C. com., art. L. 644-2.

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PIERRE CAGNOLI

des valeurs mobilières et droits d’associés, nouvellement instituée13. L’ancienne


saisie-exécution ne permettait qu’une vente par adjudication des meubles
corporels, à l’initiative du créancier poursuivant. Cette modification a, pour
partie, été dictée par des considérations d’humanité14. Plus encore, c’est le
souhait de limiter les frais et d’obtenir le meilleur prix qui explique le
changement15. Le droit des entreprises en difficulté a ici indéniablement
constitué un modèle de choix.

La même chose peut encore être dite s’agissant de la saisie immobilière,


même s’il faut attendre plus longtemps pour observer la transformation. Avant
l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006, la saisie immobilière ne débouchait,
potentiellement, que sur une adjudication à la barre du tribunal de grande
instance. Aujourd’hui, le choix existe entre la vente forcée à la barre du juge de
l’exécution et la vente amiable sous son contrôle16. Ici également, il est certain
que le droit des entreprises en difficulté a pu constituer une source d’inspiration.
Observons d’ailleurs que le droit des procédures civiles d’exécution est allé plus
loin que le droit des entreprises en difficulté. La vente amiable sous le contrôle
du juge entraîne purge des inscriptions, dès lors que le prix est consigné17, ce
qui n’est pas le cas de la vente de gré à gré des immeubles du débiteur en
liquidation judiciaire18.

2) La liste des biens insaisissables

Parmi les biens mobiliers insaisissables, figurent les « biens nécessaires à


la vie et au travail du saisi »19. Concernant les biens nécessaires au travail du
saisi, il s’agit des « instruments de travail nécessaires à l’exercice personnel de
l’activité professionnelle »20. Ces formulations datent d’une loi du 5 juillet 1972

13
L. 91-650 du 9 juil. 1991 et décr. 92-755 du 31 juil. 1992 ; la vente amiable est même la règle,
puisque le débiteur dispose, par principe, d’un mois pour y procéder, v. CPCE, art. L. 221-3, R. 221-30 ;
R. 233-3 et R. 233-5.
14
M. Donnier et J.-B. Donnier, Voies d’exécution et procédures de distribution, LexisNexis, 8ème éd.,
2008, n° 807.
15
N. Catala, rapport Ass. nat. 1202, 9ème législature, p. 67.
16
CPCE, art. L. 322-1.
17
CPCE, art. L. 322-14.
18
C. com., art. R. 643-3.
19
CPCE, L. 112-2, 5°.
20
CPCE, art. R. 112-2, 16°.

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et d’un décret du 18 mars 197721. Il est également acquis, depuis ces textes, que
l’insaisissabilité de ces biens cesse dans un certain nombre de cas, notamment
lorsque ces biens « constituent les éléments corporels du fonds de commerce »22.
Une question se pose alors : pourquoi le commerçant est-il potentiellement privé
de son outil de travail23, alors que le salarié, qui serait propriétaire de ces mêmes
outils, ne peut en être privé ?

Il y a là, peut-on penser, une influence du droit des procédures collectives.


Certes, l’influence n’est pas celle des textes, qui sont en l’occurrence muets. Elle
est davantage celle de l’esprit de la matière. Par hypothèse, la liquidation
judiciaire - à l’époque, la liquidation des biens - entraîne l’arrêt de l’activité. Dès
lors que l’on accepte qu’une procédure puisse mettre fin à l’activité du
commerçant, il est cohérent d’accepter le sacrifice des biens qui lui permettent
d’exercer cette même activité. Cette idée nous semble la seule à même
d’expliquer la possibilité, hors procédure collective, de saisir l’outil de travail du
commerçant. Quel que soit le contexte, l’idée reste la même : le paiement du ou
des créanciers s’accommode du sacrifice de l’outil de travail du commerçant24.

Modèle avéré, le droit des entreprises en difficulté constitue aussi une


source possible d’inspiration des procédures civiles d’exécution.

B. Un modèle possible

Les textes actuels du Code des procédures civiles d’exécution souffrent


quelques lacunes, qui pourraient opportunément être comblées sur le modèle du
droit des entreprises en difficulté. Là encore, deux situations peuvent être
21
Ces textes ont inséré dans le Code civil un article 2092-2, fixant les catégories de biens insaisissables
et renvoyant au Code de procédure civile pour ce qui est des limites (ACPC, art. 592 à 592-3) ; sur leur
apport, v. P. Bertin, Les nouvelles règles de l’insaisissabilité, Décr. 77-273 du 24 mars 1977 ; Gaz. Pal.
1977, doctr. p. 311.
22
ACPC, art. 592-1 ; aujourd’hui, CPCE, art. L. 112-2, 5°.
23
Pour reprendre l’exemple cité par P. Bertin, tel est le cas de l’hôtelier, dont on pourra saisir les lits, les
draps, les armoires... Il n’y a en effet aucune raison de réduire l’expression aux stocks du débiteur.
24
Il serait intéressant de réfléchir à l’actualisation de la disposition. A l’époque où les textes sont édictés,
le droit des procédures collectives ne concerne, pour ce qui est des personnes physiques, que le
commerçant, d’où la seule mention des « éléments du fonds de commerce ». L’évolution ultérieure des
textes pourrait permettre de soutenir le même raisonnement pour le fonds artisanal, agricole, voire
libéral.

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invoquées : celle de la saisie-vente effectuée sur un bien, objet d’un gage sans
dépossession (1) et celle des mesures conservatoires (2).

1) La saisie-vente d’un bien faisant l’objet d’un gage sans dépossession

Tandis que la dernière grande réforme en matière d’exécution mobilière


date des textes de 1991-1992, celle concernant les sûretés mobilières date, pour
sa part, de l’ordonnance du 23 mars 2006. Cette dernière réforme a généralisé la
possibilité d’effectuer des gages sans dépossession. De cette chronologie résulte
une lacune du droit des procédures civiles d’exécution. Rien n’est dit, dans les
textes, pour le cas où une saisie-vente (L. 91) serait pratiquée par un créancier
sur un bien meuble, faisant l’objet d’un gage sans dépossession de droit
commun, régulièrement constitué au profit d’un autre créancier (ord. 2006)25. À
suivre les textes, le créancier qui veut s’associer à une saisie-vente déjà initiée
doit nécessairement former une opposition à la saisie-vente. Il le peut jusqu’au
procès-verbal de vérification des biens saisis mais, passé ce moment butoir, il ne
participe pas à la procédure de distribution du prix26. Aucun traitement de faveur
n’est prévu pour le créancier, bénéficiaire d’un gage sans dépossession de droit
commun. De même, il n’est nullement prévu que l’huissier de justice, lorsqu’il
pratique la saisie, ait à questionner le débiteur sur l’existence d’un éventuel gage
sans dépossession ; il doit juste poser la question d’éventuelles saisies
antérieures27. La chronologie des réformes explique sans doute cette lacune28.

Ces oublis sont extrêmement fâcheux. Le gagiste, non informé de la saisie


pratiquée par un autre créancier, court le risque ne pas pouvoir faire valoir ses
prérogatives. Une seule certitude existe en la matière. Si la saisie débouche sur
une vente, le créancier gagiste pourra exercer son droit de suite contre
l’acquéreur de bonne foi, lorsque le bien saisi sera vendu. L’article 2276 du
Code civil est ici neutralisé par l’article 2337 du même code. Autant dire que la
responsabilité des professionnels de l’exécution risque fort d’être engagée, s’ils
n’ont pas vérifié l’existence d’un tel gage… Là encore, le modèle du droit des

25
La situation du gagiste qui désire réaliser sa sûreté a, elle, été prévue, v. CPCE, art. R. 222-6.
26
CPCE, art. L. 221-5.
27
CPCE, art. R. 221-15 et R. 221-21.
28
A l’inverse, lorsque l’huissier pratique l’une des saisies spécifiques aux VTAM, son réflexe naturel
est de vérifier si le véhicule est l’objet d’un gage sans dépossession ; l’habitude ne semble pas avoir été
prise, s’agissant des gages sans dépossession de droit commun.

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AU REGARD DES RÈGLES D’EXÉCUTION

entreprises en difficulté, et spécialement celui de la liquidation judiciaire,


pourrait utilement être retenu. Les droits du gagiste y sont respectés29. Il
incombe aux liquidateurs de vérifier les registres de publicité et d’informer le
gagiste d’avoir à déclarer sa créance30. Les textes du droit des procédures civiles
d’exécution pourraient utilement être modifiés sur ce modèle.

2) Les mesures conservatoires

La loi n° 2012-346 du 12 mars 2012, dite loi Pétroplus, a profondément


innové en instaurant un régime spécifique de mesures conservatoires, propre au
droit des entreprises en difficulté31. Outre le cas déjà existant des mesures prises
sur les biens des dirigeants, en garantie de leur éventuelle dette de comblement
de l’insuffisance d’actif32, cette loi a aussi permis de prendre de telles mesures
dans le cadre d’une action en responsabilité contre les dirigeants ayant contribué
à la cessation des paiements de la personne morale en redressement judiciaire33
et dans celui d’une action en extension de procédure, sur les biens du tiers
soupçonné d’avoir confondu son patrimoine avec celui du débiteur sous
procédure collective34. La loi a aussi précisé, dans toutes ces hypothèses, que si
les biens sur lesquels portent ces mesures sont des « biens dont la conservation
ou la détention génère des frais ou qui sont susceptibles de dépérissement », la
vente pourra en être autorisée, par le juge-commissaire.

Cette dernière possibilité a été vivement critiquée35. Elle est assurément


contraire aux mécanismes classiques des mesures conservatoires, la réalisation
du bien supposant, par principe, une conversion de la mesure en saisie
d’exécution, impliquant elle-même l’obtention d’un titre exécutoire. Pourtant, la
nouvelle technique légale n’est peut-être pas si absurde que cela, du moins pour

29
C. com., art. L. 641-3 et L. 642-20-1.
30
C. com., art. L. 622-24, al. 1er et L. 641-3, al. 4.
31
M.-P. Dumont-Lefrand et C. Lisanti, Le législateur des cas particuliers, Act. proc. coll. 2012, comm.
96 ; P. Roussel Galle, La loi du 12 mars 2012 : Halte au pillage des entreprises en difficulté, JCP E.
2012, act. 192 ; F. Pérochon, De la mesure dite conservatoire à l’exécution sommaire anticipée ? BJE
2012, p. 73, n° 72.
32
C. com., art. L. 651-4, al. 2.
33
C. com., art. L. 631-10-1.
34
C. com., art. L. 621-2, al. 4.
35
F. Pérochon, art. préc.

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les biens soumis à dépérissement36, pour peu que soient posés les garde-fous
adéquats. La consignation des fonds dégagés par la vente est l’un de ces garde-
fous. De même, l’ordonnance du 12 mars 2014 a opportunément supprimé la
possibilité d’utilisation de ces fonds, aussi longtemps que l’on est pas fixé sur le
sort de l’action, au service de laquelle ces mesures sont prises. L’autorisation du
juge-commissaire est une autre précaution utile et on peut en imaginer encore
d’autres37.

Concrètement, hors procédures collectives, si le créancier ne trouve que des


biens soumis à dépérissement entre les mains du débiteur, il ne prendra pas le
risque d’exécuter des mesures conservatoires sur eux. Le temps passé à obtenir
un titre exécutoire entraînera la perte totale de la valeur des biens, sans profit
pour personne. Cette situation n’est guère satisfaisante. La possibilité d’une
vente anticipée est peut-être, finalement, une idée qui mérite d’être développée,
également hors procédures collectives, à condition d’y mettre les mettre les
garde-fous suffisants38.

S’il constitue une source possible d’inspiration des procédures civiles


d’exécution, le droit des entreprises en difficulté est aussi, et avant tout, un
redoutable banc d’essai de cette même matière.

II. Le droit des entreprises en difficulté comme banc d’essai


du droit des procédures civiles d’exécution

Le droit des entreprises en difficulté met à l’épreuve tant les raisonnements


habituellement tenus en droit des procédures civiles d’exécution (A) que les
procédures elles-mêmes, qui constituent la matière (B).

36
Comme cela a été relevé, la catégorie des biens dont la conservation ou la détention génère de frais est
au contraire trop floue ; tout bien, si on veut l’assurer, génère des frais…
37
Des garanties de restitution, ou des actions à ouvrir au saisi, en cas de vente à prix médiocre.
38
Sur les conditions d’obtention des mesures conservatoires, v. infra n°.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 191

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AU REGARD DES RÈGLES D’EXÉCUTION

A. La mise à l’épreuve des raisonnements des procédures civiles d’exécution

Trois exemples seront ici relevés : la chronologie des opérations


d’exécution forcée (1), les conditions d’obtention des mesures conservatoires (2)
et le caractère limitatif des titres exécutoires (3).

1) Les étapes de l’exécution forcée

Classiquement, pour pratiquer des procédures civiles d’exécution, il faut


justifier d’un titre exécutoire, constatant une créance liquide et exigible39. La
récente jurisprudence rendue en matière de saisie d’un immeuble objet d’une
déclaration notariée d’insaisissabilité, s’insère dans ce schéma. Dans les deux
arrêts rendus en 2016 par la Cour de cassation, permettant au créancier à qui la
déclaration est inopposable de saisir l’immeuble, les créanciers étaient déjà
titulaires d’un titre exécutoire40. Qu’en est-il des créanciers, à qui la déclaration
est inopposable, mais n’ayant pas déjà un tel titre ? Peuvent-ils agir en justice
pour obtenir le titre qui leur fait défaut ? La rédaction ciselée de ces arrêts ne
permet pas de répondre, d’emblée, par l’affirmative. Comme cela a été relevé ce
matin, une telle demande se heurte à l’interdiction d’agir en justice pour obtenir
une condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent41. En outre, si
on admet une telle possibilité, on bouleverse totalement la logique des voies
d’exécution. Classiquement en effet, avant de pratiquer une saisie d’exécution, il
faut justifier d’un titre exécutoire. Ici au contraire, il faudrait affirmer le droit de
saisir pour justifier le droit d’agir ! Ce serait pour le moins révolutionnaire et,
selon nous, difficilement concevable.

En effet, si l’on veut entrer dans cette logique, la demande du créancier


devra nécessairement être adaptée, puisqu’il ne peut solliciter une condamnation
au paiement d’une somme d’argent42. Au mieux, il ne pourrait s’agir, selon nous,

39
CPCE, art. L.111-2.
40
Cass. com. 5 avril 2016, n° 14-24.640 ; Act. proc. Coll. 2016, comm. 120, obs. J. Leprovaux ; D.
2016, p. 835, obs. A. Lienhard ; LEDEN mai 2016, p. 3, obs. P. Rubellin ; Cass com., 12 juillet 2016, n°
15-17.321 ; Act. proc. coll. 2016-15, comm. 203, obs. L. Camensuli-Feuillard ; Rev. proc. coll. 2016-6,
comm. 187, note F. Reille ; JCP E 2016, 1661, n° 22, obs. P. Pétel ; D. 2016, p. 1894, obs. P.-M. Le
Corre.
41
L.-C. Henry, intervention préc.
42
En ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2017-2018, n°
562-13-3.

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que d’une demande d’autorisation de saisir l’immeuble, jointe à une demande de


détermination de l’existence de la créance et de fixation de son montant. Mais,
outre des difficultés pratiques certaines43, cette possibilité se heurte à un obstacle
théorique essentiel. En effet, dans tout titre exécutoire, la force exécutoire n’est
qu’un remède à l’absence d’exécution volontaire de l’ordre qui est porté par le
titre44. Or ici, non seulement il n’y a aucune place à l’exécution volontaire45
mais, plus fondamentalement, il ne peut y avoir d’ordre délivré par le juge. Un
constat, - celui d’une créance liquide et exigible - ne constitue pas un ordre.
Dans ces conditions, à notre sens, le tribunal ne peut pas délivrer le titre qui
permettrait la saisie de l’immeuble. En l’état actuel du droit positif, les
autorisations de saisie n’existent que pour les saisies conservatoires ; elles
n’existent pas pour les saisies d’exécution. C’est au législateur qu’il appartient,
le cas échéant, d’établir une nouvelle catégorie de titre exécutoire46.

2) Les conditions d’obtention des mesures conservatoires

On retrouve ici un autre raisonnement classique, largement perturbé par le


droit des entreprises en difficulté. A propos des mesures conservatoires, prises
sur les biens des dirigeants sociaux, en prélude à une action en comblement de
l’insuffisance d’actif, la Cour de cassation a considéré qu’il n’était pas
nécessaire de justifier d’une créance paraissant fondée en son principe, ni de
circonstances faisant planer une menace sur son recouvrement. Il suffit, selon la
Haute juridiction, que la mesure paraisse utile47. En bref, c’est ici le droit

43
Si on entre dans cette voie, il faudra bien fixer la mesure de ce qui peut être attribué au créancier
saisissant, ce qui ne va pas sans difficulté : quid si le créancier souhaite déclarer sa créance pour
participer aux répartitions sur les autres biens ? C’est bien le juge-commissaire qui, seul, a compétence
pour apprécier une telle demande…
44
C. Bléry, L’efficacité substantielle des jugements civils, LGDJ, 2000, n° 261 et s. ; H. Péroz, La
réception des jugements étrangers dans l’ordre juridique français, LGDJ, 2005, n° 257 et s. Pour les
décisions de justice, cela se traduit notamment par la nécessité de les notifier au débiteur, préalablement
à l’exécution forcée (CPC, art. 503). Seules les ordonnances sur requête dérogent à ce schéma, parce
que le législateur l’a précisé mais, même en cette hypothèse, un ordre d’exécution est bien délivré (sans
choix).
45
Interdiction des paiements (C. com., art. L. 622-7 et L. 641-3), dessaisissement du débiteur sur les
fonds qui permettraient le paiement (C. com., art. L. 641-9).
46
Sur le caractère limitatif des titres exécutoires, v. infra.
47
Cass. com., 31 mai 2011, n° 10-18.472 : Bull. civ. 2011, IV, n° 89 ; Act. proc. coll. 2011-13, comm.
194, obs. C. Delattre ; D. 2011, p. 1613, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2011, p. 522, obs. P. Roussel-
Galle.

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AU REGARD DES RÈGLES D’EXÉCUTION

commun des mesures conservatoires qui se trouve écarté, de façon bien


discutable selon nous. Les conditions d’obtention des mesures conservatoires
font partie des garde-fous que l’on évoquait à l’instant, rendant acceptable la
mise en œuvre des mesures conservatoires. Au demeurant, il n’est pas certain
que cette jurisprudence sera maintenue. L’article R. 662-1-1 du Code de
commerce, issu du décret n° 2012-1190 du 25 octobre 2012 opère un renvoi au
droit commun des mesures conservatoires qui, s’il vise essentiellement les textes
réglementaires, pourrait bien également concerner l’article L. 511-1 du Code des
procédures civiles d’exécution48.

3) Le caractère limitatif des titres exécutoires

La liste des titres exécutoires est fixée de façon limitative par l’article L.
111-3 du Code des procédures civiles d’exécution. En réalité, on sait qu’il en
existe d’autres. Le droit des entreprises en difficulté en fournit précisément une
illustration, avec le titre délivré par le président du tribunal, suite à une
liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif. Un tel titre peut être
sollicité par le créancier admis au passif, qui n’a pas été intégralement
désintéressé et qui souhaite reprendre ses poursuites individuelles, dans le cas où
cela est possible49. Par ailleurs, la matière fourmille d’autres décisions, pour
lesquelles on se demande si elles constituent ou non de tels titres. Le cas de la
saisie des rémunérations peut ici être rappelé. Si le liquidateur souhaite capter
les rémunérations du débiteur liquidé, qui a retrouvé un emploi salarié, il doit
recourir à la procédure de saisie des rémunérations. L’effet réel de la procédure
collective, récemment retenu par la Cour de cassation, ne suffit pas ! Encore
faudra-t-il, pour le liquidateur, justifier d’un titre exécutoire, ce que ni le
jugement d’ouverture50 ni l’état des créances51 ne constituent, selon la Haute
juridiction.
On le voit, le droit des entreprises en difficulté met régulièrement à
l’épreuve les raisonnements et principes des procédures civiles d’exécution ; on

48
P. Cagnoli, La loi Pétroplus a son décret d’application, Act. proc. coll. 2012-18, n° 227.
49
C. com., art. L. 643-11, V.
50
Cass. civ. 2ème, 7 janv. 2016, n° 14-24.508 ; Act. proc. coll. 2016, comm. 38, obs. L. Fin-Langer ;
Rev. Proc. coll. 2016, comm. 31, obs. P. Cagnoli.
51
Cass. com., 2 mai 2001, n° 97-19536 ; Bull. civ., n° 82 ; RTD com. 2001, p. 773, obs. J.-L. Vallens.

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peut encore observer le même phénomène, s’agissant des techniques de saisies


composant la matière.

B. La mise à l’épreuve des techniques de procédures civiles d’exécution

C’est peut-être le point le plus connu. Le droit des entreprises en difficulté a


servi de banc d’essai à l’efficacité de la saisie-attribution, dans un mouvement
de flux (1) et de reflux (2).

1) La saisie-attribution des créances à exécution successive

Les textes reconnaissent une pleine efficacité à la saisie-attribution,


effectuée avant le jugement d’ouverture52. Hors procédures collectives, ils
prévoient également qu’un créancier muni d’un titre exécutoire peut pratiquer
une saisie-attribution sur des créances à exécution successive53.

La jurisprudence complète le dispositif en précisant que la saisie attribution,


pratiquée avant le jugement d’ouverture, est pleinement efficace même
lorsqu’elle porte sur des créances à exécution successive54. Cela n’avait rien
d’une évidence, au regard des logiques opposées des deux matières. La logique
civiliste de la date de naissance des créances l’emporte ici sur celle, plus
économique, que retient habituellement le droit des entreprises en difficulté. Ce
dernier donne ici sa pleine efficacité au droit des procédures civiles d’exécution.

2) Les nullités facultatives de la période suspecte

Lorsque le créancier qui a pratiqué une saisie-attribution au cours de la


période suspecte de son débiteur avait connaissance de la cessation des
paiements de celui-ci, le tribunal peut annuler la saisie55. Cette faculté date de la
loi de sauvegarde des entreprises ; elle a été l’objet de vives critiques des

52
CPCE, art. L. 211-2, al. 2.
53
CPCE, art. R. 211-14 et s.
54
Cass. mixte, 22 nov. 2002, n° ; Bull. mixte n° ; RTD civ. 2003, obs. R. Perrot ; RTD com. 2003, p.
367, obs. A. Martin-Serf.
55
C. com., art. L. 632-2. Les mêmes règles existent pour l’avis à tiers détenteur et pour les oppositions
que peuvent pratiquer certains créanciers publics ou assimilés.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 195

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AU REGARD DES RÈGLES D’EXÉCUTION

spécialistes de l’exécution forcée56. La logique du droit des entreprises en


difficulté est modifiée car ce n’est pas un acte du débiteur que l’on sanctionne,
mais une voie d’exécution, unilatéralement pratiquée par un créancier. Celle des
procédures civiles d’exécution l’est encore davantage : on sanctionne un
plaideur vigilant à ses intérêts, qui aura parfois effectué un parcours du
combattant pour obtenir son titre exécutoire. Son seul tort est d’être informé de
la situation du débiteur. Dans le même temps, une voie d’exécution considérée
comme achevée est susceptible d’être anéantie.

On le voit, les exemples ne manquent pas. Le droit des entreprises en


difficulté enrichit la connaissance des procédures civiles d’exécution, tout
comme il peut en être une source d’inspiration.

Toulouse, le 16 mars 2017

56
L. Lauvergnat, L’annulation de la saisie-attribution pratiquée en période suspecte, Dr. et proc. 2007,
254 ; R. Perrot et P. Théry, L’épée de Damoclès à propos des mesures d’exécution pratiquées en
période suspecte, D. 2005, 1842.

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II. Au regard des règles du droit civil :
Droit dérogatoire puis devenu aussi droit précurseur

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DROIT DES OBLIGATIONS
L'influence du droit des entreprises en difficulté
sur le droit des obligations :
Droit dérogatoire puis droit précurseur

Nicolas BORGA
Professeur à l’Université Jean Moulin - Lyon

1. Observé de manière superficielle, le droit des entreprises en difficulté


semble presque tout entier conçu comme un droit dérogatoire, un droit
d’exception. En bien des cas, il déroge au droit commun des obligations, mais
également à beaucoup de solutions habituellement observées en droit des
sûretés1, ou en droit des sociétés2 pour ne citer que quelques exemples.
Naturellement, une étude approfondie peut tout à fait conduire à un résultat plus
nuancé, au point de se demander s’il ne lui arrive pas d’être inféodé à certaines
disciplines3. Mais si l’on s’en tient simplement à la façon dont il est perçu dans
l’imaginaire collectif des juristes, il est assimilé à un droit charriant
inéluctablement son lot de solutions particulières, solutions que la plupart des
auteurs tendent à tolérer en raison des objectifs qui les fondent : assurer la survie
de l’entreprise en difficulté et des emplois qui y sont attachés et, lorsque c’est
impossible, réaliser dans un cadre collectif les actifs encore présents dans son
patrimoine.
1
V. sur cette question, la contribution dans cet ouvrage de P.-M. Le Corre.
2
V. par ex. G. Couturier, Droit des sociétés et droit des entreprises en difficulté, LGDJ, 2013, préf. J.-P.
Haehl, spéc. la 2ème partie de la thèse intitulée « La soumission du droit des sociétés au droit des
entreprises en difficulté dans le règlement judiciaire des difficultés », p. 293 et s.
3
V. not. les contributions dans cet ouvrage de G. Jazottes, D. Voinot et E. Fabriès-Lecéa.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 199

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DROIT DES OBLIGATIONS

2. Se pourrait-il qu’à force de dérogations ce droit ait, comme par un choc en


retour, fini par ouvrir la voie à une évolution des disciplines avec lesquelles sa
relation a souvent été perçue comme conflictuelle ? On pourrait avoir du mal à
le concevoir en observant l’actualité récente, par exemple au regard des
standards du droit de la responsabilité civile. Dans sa rédaction issue de la loi du
9 décembre 2016, dite loi Sapin II4, l’article L. 651-2 du Code de commerce
écarte la responsabilité pour insuffisance d'actif en cas de « simple négligence »
du dirigeant. En principe, toute faute est de nature à engager la responsabilité de
son auteur. Et l’on se souvient qu’une question comparable s’était posée au sujet
de l’article L. 650-1 du Code de commerce, puisque la constitutionnalité du
texte avait été contestée au motif que le principe même de responsabilité civile
aurait été méconnu5. Au-delà, pour revenir à la responsabilité pour insuffisance
d’actif, l’approche retenue par la Cour de cassation du lien causal est parfois
critiquée, au motif qu’elle serait trop lâche puisque le dirigeant peut être
condamné à supporter l’intégralité de l’insuffisance d’actif quand bien même il
est établi que sa faute n’y a contribué que pour partie6. Mais ce dernier exemple
permet déjà d’observer qu’il n’est pas sûr que le droit des entreprises en
difficulté soit, à cet égard, si dérogatoire que cela vis-à-vis du droit commun. En
effet, une approche fondée sur la coresponsabilité7, ou sur ce que les spécialistes
de la matière appellent la causalité alternative8, peut permettre de justifier la
solution. Et l’on peut encore souligner que l’on retrouverait là certaines
fonctions assignées à la responsabilité civile : une fonction préventive, destinée
à normer les comportements ; et une fonction répressive, évidemment présente
s’agissant de l’article L. 651-2 du Code de commerce.

3. Une approche tout en nuance serait donc de mise. Mais si l’on envisage le
droit des contrats, domaine auquel nous nous cantonnerons compte tenu du
caractère limité de cette contribution, la dimension dérogatoire du droit des
entreprises en difficulté est ancrée plus profondément encore dans les esprits. On
le comprend, puisqu’il suffit de songer, entre autres exemples, au régime des
contrats en cours, à la transmission forcée de certains contrats en cas de cession

4
Loi n° 2016-1691.
5
Cons. const., 22 juill. 2005, no 2005-522 : JO 27 juill. 2005, p. 12225.
6
Françoise Pérochon, Entreprises en difficulté, 10ème éd., LGDJ, n° 1708.
7
V. not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 10ème éd., 2009, Précis Dalloz,
n° 864.
8
Sur laquelle, v. not. C. Quézel-Ambrunaz, « La fiction de la causalité alternative », D. 2010, 1162.

200 | IFR Actes de colloques N° 30

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de l’entreprise, ou encore à l’approche particulière de la date de naissance des


créances. La thèse de Marie-Hélène Monsèrié-Bon sur « Les contrats dans le
redressement et la liquidation judiciaires des entreprises »9 peut paraître
confirmer l’analyse. Il y est évoqué un effacement du rôle de la volonté dans le
processus contractuel10, la dénaturation de certains contrats11, le caractère
artificiel du processus contractuel préalable à la cession12 … La cause semblerait
donc entendue. Mais ce serait faire injure à l’auteure que de laisser croire que
son travail se limitait à une telle présentation. Et Corinne Saint-Alary-Houin,
dans sa préface, lui rend justice. Elle y souligne que l’un des mérites de la thèse
est d’avoir fait pièces de cette approche habituelle, tendant à voir le droit des
entreprises en difficulté comme étant uniquement un droit dérogatoire et
perturbateur, et que les choses ne sauraient être appréhendées de manière
« monolithique ».

4. Ici, il ne s’agit toutefois pas d’examiner dans quels cas le droit des
entreprises en difficulté et le droit commun convergent ou s’éloignent l’un de
l’autre, mais d’envisager en quoi le premier a pu jouer un rôle précurseur à
l’égard du second. Le sujet est donc très différent et invite à nouveau à se
pencher sur le jeu d’influences qui peut s’exercer entre droit commun et droit
spécial13.

5. L’émergence des droits spéciaux, au détriment du droit commun pense-t-on


le plus souvent14, suscite parfois la critique. Oppetit estimait que ce « recul du
droit commun, en toutes matières, sous la forme de prolifération de statuts
spéciaux […] opère une régression certaine »15, conduisant à un « droit en

9
M.-H. Monsèrié, Les contrats dans le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, Litec,
1994 préf. C. Saint-Alary-Houin.
10
M.-H. Monsèrié, thèse préc., p. 595 et s.
11
M.-H. Monsèrié, thèse préc., p. 443 et s.
12
M.-H. Monsèrié, thèse préc., p. 280 et s.
13
Sur ce thème, v. not. N. Balat, Essai sur le droit commun, LGDJ, 2016, préf. M. Grimaldi ; C. Goldie-
Genicon, Contribution à l’étude des rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats,
LGDJ, 2009, préf. Y. Lequette.
14
C. Goldie-Génicon, thèse préc. n° 228 « L’interaction des deux droits, leur influence respective,
s’effectuent souvent au détriment du premier et au bénéfice du second ».
15
B. Oppetit, « L’apparition de tendances régressives », in Droit et modernité , PUF, 1998, p. 113 s.,
spéc. p. 116.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 201

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miettes » pour reprendre les mots de Tunc16. L’émergence de droits spéciaux est
toutefois inéluctable et peut constituer un progrès. Et si l’on sait que le droit
commun peut jouer un rôle à l’égard des droits spéciaux, l’inverse est tout aussi
vrai17. Comme le soulignait Charlotte Goldie-Génicon dans sa thèse, « il existe
un mouvement naturel de réception du droit spécial par le droit commun »18, le
droit spécial servant en quelque sorte de « laboratoire d’expérimentation
juridique »19. Qui niera, par exemple, que le droit de la distribution ou le droit de
la consommation ont considérablement influencé le droit commun des contrats ?

6. Le droit des entreprises en difficulté a-t-il pu jouer un tel rôle notamment à


l’égard de l’ordonnance du 10 février 2016 réformant le droit des contrats ?
C’est peut-être moins immédiatement perceptible mais, à la réflexion, il nous
semble qu’une réponse positive s’impose. Le droit des entreprises en difficulté
peut être considéré comme précurseur vis-à-vis du droit des obligations à deux
égards. En premier lieu, il a pu l’être de façon assez directe quant à certaines
notions emblématiques. En second lieu, de manière plus diffuse, le droit des
entreprises en difficulté nous paraît avoir joué un rôle précurseur sur le terrain
des pratiques.

I. L’influence sur les notions emblématiques

7. Il est peu d’hypothèses dans lesquelles on peut considérer que le droit des
obligations a purement et simplement reproduit une solution s’étant auparavant
imposée sur le terrain du droit des entreprises en difficulté. On peut néanmoins
citer le cas de la compensation des créances connexes. Depuis l’ordonnance du
10 février 2016, elle est consacrée à l’article 1348-1 du Code civil, texte qui
l’envisage comme une variété de compensation judiciaire. Le droit spécial a ici
indiscutablement devancé le droit commun puisque cette forme de compensation
y est connue depuis longtemps et consacrée à l’article L. 622-7, I, du Code de
16
A. Tunc, « Le droit en miettes », APD 1977, t. 22, La responsabilité, p. 31 et s., reprod. in Jalons -
Dits et écrits d’André Tunc, SLC, 1991, p. 205 et s.
17
V. C. Goldie-Génicon, thèse préc., p. 281 et s. ; D. Mazeaud, « L’imbrication du droit commun
et des droits spéciaux », in Forces subversives et forces créatrices en droit des obligations, Dalloz,
2005, p. 73 s.
18
C. Goldie-Genicon, thèse préc. n° 259.
19
C. Goldie-Génicon, thèse préc. n° 260.

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commerce. Au-delà, l’influence du droit des entreprises en difficulté est


généralement moins directe, mais néanmoins certaine. D’une part, il a préfiguré
une altération des rapports contractuels qui fait son chemin en droit commun.
D’autre part, il a, très tôt, objectivé le rapport contractuel, mettant en évidence la
valeur économique de certains contrats et la nécessité de les préserver.

A. L'altération des rapports contractuels

8. Nul n’est surpris à l’idée que le jeu classique des rapports contractuels soit
altéré sous l’effet de l’ouverture d’une procédure collective, alors que la volonté
contractuelle est en principe préservée en droit commun. Ainsi, alors que la
rescision des contrats lésionnaires est supposée exceptionnelle20, l’article L. 632-
1, 2° du Code de commerce répute nul, lorsqu’il a été conclu en période
suspecte, « Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur
excèdent notablement celles de l'autre partie »21. Si le concept de lésion
qualifiée n’a pas été repris à son compte par le législateur pour appréhender un
déséquilibre économique au sein du contrat22, le droit commun s’est néanmoins
rapproché du droit des entreprises en difficulté. L’article 1143 dispose en effet
qu’il « y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de
dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un
engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en
tire un avantage manifestement excessif ». Loin de nous l’idée que le droit des
entreprises en difficulté a ici servi de source d’inspiration. Mais soulignons tout
de même la proximité potentielle des situations visées. Si les articles L. 632-1 et
L. 632-2 du Code de commerce permettent d’appréhender des actes tout à fait
volontaires du débiteur, ils sont également susceptibles de fonder l’annulation de
gestes inconsidérés qu’il n’aura effectués qu’en raison d’une situation de
dépendance vis-à-vis de tel ou tel créancier. On peut d’ailleurs penser que
certains plaideurs pourraient être tentés de mobiliser l’article 1143 du Code civil

20
V. l’art. 1168 C. civ.
21
Art. 1143 C. civ. Le législateur a certes consacré à l’article 1171 un dispositif de lutte contre les
clauses créant un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », mais
son inspiration est à l’évidence consumériste et le texte ne permet pas de contrôler l’adéquation du prix à
la prestation fournie.
22
Sur ce concept, v. not. J.-P. Chazal, « Théorie de la cause et justice contractuelle », JCP G, 1998, n° 29,
doctr. 152. Sur cette question v. également A. Maymont, « La violence économique : une réalité
consacrée ? » RLDC nov. 2014, n° 5597, p. 8 et s.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 203

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pour remettre en cause des actes accomplis lors de la négociation d’un accord
amiable.

9. De façon plus probable, il est possible que le droit des entreprises en


difficulté ait inspiré le droit commun à l’égard de l’imprévision. La rupture avec
le refus de la révision pour imprévision constitue à n’en pas douter l’une des
innovations les plus remarquées de l’ordonnance du 10 février 2016. Le nouvel
article 1195 du Code civil rend possible, à des conditions strictes, la révision du
contrat par le juge, révision qui est envisagée comme un dernier recours face à
une convention déséquilibrée. On le sait, en 1876, la Cour de cassation avait
reproché aux juges aixois d’avoir élevé à 30 centimes par carteirade une
redevance d’arrosage fixée trois cents ans plus tôt à trois sols, au motif solennel
que « dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que
puisse leur paraître leur décision, de prendre en considération le temps et les
circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses
nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants »23.

10. Si la solution a perduré, malgré certains arrêts où l’on a cru percevoir


l’amorce d’une évolution à travers une obligation de renégocier24, on peut
considérer que le droit des entreprises en difficulté, suivant sa propre logique, a
largement encouragé une évolution du droit commun, voire l’a presque rendu
inéluctable. C’est Jacques Mestre qui, nous semble-t-il, a le plus nettement fait
le lien entre les évolutions touchant chacune des matières. Comme il le
soulignait, dès lors que l’on quittait les rivages du droit civil, où le refus de la
révision pour imprévision était solidement amarré, on ne pouvait qu’être frappé
par le fait que le droit des entreprises en difficulté se montrait beaucoup plus
accueillant avec l’idée d’une adaptation du contrat à un contexte économique
modifié. Car, comme il l’a écrit, « qui dit bouleversement des circonstances
économiques dit le plus souvent difficultés financières, et qui dit difficultés
financières dit inévitablement, dès lors que l’un des contractants est un
professionnel, procédures collectives stricto ou largo sensu »25. Or, le
rétablissement de la situation de l’entreprise passe bien souvent par la

23
Cass. civ. 6 mars 1876, commenté in H. Capitant, F. terré, Y. Lequette, F. Chénedé, Les grands arrêts
de la jurisprudence civile, Dalloz, 13ème éd. 2015, p. 172 et s.
24
V. not. les arrêts Huard (Cass. com. 3 nov. 1992, n° 90-18547, JCP G 1993, II, 22164, note G.
Virassamy) ou Chevassus Marche (Cass. com. 24 nov. 1998, n° 96-18357, Defrénois 1999, p. 371, obs.
D. Mazeaud).
25
J. Mestre, « Au cœur de la défense … de la révision des contrats », RLDC avril 2011, p. 3.

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renégociation de certains accords. Surtout, il n’y a qu’à comparer l’attendu de


l’arrêt Canal de Craponne avec celui de l’arrêt Cœur défense rendu le 8 mars
2011. La cour y soulignait que « hors le cas de fraude, l’ouverture de la
procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu’il
chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu’il
justifie, par ailleurs, de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter et qui
sont de nature à le conduire à la cessation des paiements »26. Quoi que l’on
pense de la légitimité de la solution, certains pouvant considérer qu’elle permet à
un débiteur in bonis de s’affranchir à très bon compte de ses obligations
contractuelles, elle devait tôt ou tard être intégrée par le droit commun. Pouvait-
on encore refuser par principe toute révision du contrat alors qu’un débiteur in
bonis relevant du Livre VI du Code de commerce peut, en demandant
l’ouverture d’une sauvegarde, échapper au cours normal de ses obligations ?
Certes, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde n’offre pas un éventail de
possibilités d’adaptation du contrat aussi large que l’article 1195 du Code civil.
Mais, d’un autre côté, les conditions d’ouverture d’une sauvegarde sont à
certains égards moins draconiennes.

11. Le droit des entreprises en difficulté a donc précédé le droit commun dans
le sens d’une altération des rapports contractuels, mais il a surtout été le fer de
lance d’une nouvelle façon d’envisager le rapport contractuel, beaucoup plus
objective, dans laquelle les liens interpersonnels perdent de leur importance.

B. L'objectivation du rapport contractuel

12. Le droit des entreprises en difficulté tend à percevoir le contrat comme une
valeur plutôt qu’un lien d’obligation entre deux individus, cette dimension,
classique étant reléguée au second plan. Si le contrat ne saurait être envisagé
comme un bien au sens technique, la valeur patrimoniale qu'il peut représenter
en certains cas est indiscutable. Le meilleur exemple à cet égard résulte bien sûr
de l’article L. 642-7 du Code de commerce, qui rend possible une cession forcée
de certains contrats en cas de cession de l’entreprise. Dans le même esprit, la
continuation des contrats en cours obéit à une approche objective du contrat,
largement détachée des considérations personnelles. Peu importe les

26
Cass. com. 8 mars 2011, n° 10-13988, 10-13989, 10-13990 : JCP E 2011, 1263, n° 1, obs. Ph. Pétel ;
BJS 2010, p. 211, obs. F.-X. Lucas ; BJE mai 2011, p. 97, obs. R. Dammann et G. Podeur.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 205

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DROIT DES OBLIGATIONS

inexécutions passées, le contrat sera poursuivi s’il est considéré comme utile et
important pour le redressement de l’entreprise. Au sujet de la loi du 25 janvier
1985, Marie-Hélène Monsèrié-Bon évoquait en ce sens une vision
« renouvelée » du contrat « par la prééminence accordée à sa fonction
économique sur sa fonction juridique classique de création des obligations »27.
Elle évoquait même un « instrument au service du redressement », assumant
« une véritable mission qualifiée « d’intérêt général » supplantant les intérêts
particuliers des cocontractants et les règles qui les protègent »28.

13. On retrouve là certaines des tendances désormais présentes au sein du droit


commun des contrats. L’ordonnance du 10 février 2016 s’est naturellement
inspirée de textes de dimension internationale29, mais on peut observer qu’il
s’agit là d’un mouvement plus général d’évolution du droit des contrats, guidé
par une vision matinée d’analyse d’économique du droit. Et, très tôt, beaucoup
plus tôt, le droit des entreprises en difficulté s’est appuyé sur cette idée : le
contrat est représentatif d’une valeur, et il faut en principe la préserver tant que
l’utilité du contrat perdure. La révision pour imprévision, évoquée
précédemment, participe de cette idée. La révision du contrat assure sa pérennité
là où la résiliation n’a parfois aucun intérêt économique30. Dans le même ordre
d’idée, et sans prétendre à l’exhaustivité, le nouvel article 1223 du Code civil
permet d’éviter la résolution en offrant la possibilité au créancier, après mise en
demeure, d’accepter une exécution imparfaite du contrat en sollicitant une
réduction proportionnelle du prix.

14. Surtout, après bien des hésitations, le droit français admet désormais
pleinement la cession de contrat. Certes, cette cession de contrat n’est encore en
rien comparable à celle organisée par le droit des entreprises en difficulté.
L’accord du cédé est indispensable dans un cas31, indifférent dans l’autre. Mais
27
M.-H. Monsèrié, thèse préc. n° 147.
28
Ibid.
29
V. clairement en ce sens le rapport au Président de la République.
30
N. Molfessis, « Le rôle du juge en cas d’imprévision dans la réforme du droit des contrats » : JCP G
2015, 1415 : « Lorsque le juge se voit accorder un pouvoir de révision qui vise à restaurer l’équilibre
voulu par les parties, que des circonstances extérieures ont remis en cause, il contribue à servir le
contrat. Il en assure également la pérennité, là où la résiliation n’a assurément pas d’intérêt
économique ». V. aussi, Principes du droit européen du contrat, art. 8 : 117 ; Principes Unidroit relatifs
aux contrats du commerce international, art. 6.2, 1, 2, 3.
31
Sur la portée de l’accord, v. L. Aynès, « La cession de contrat », Dr. & Patr., juillet-août 2016,
n° 260.

206 | IFR Actes de colloques N° 30

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qui doute que l’article L. 642-7 du Code de commerce a préparé les esprits à une
telle évolution ? Soulignons d’ailleurs que le rapport au Président de la
République souligne bien que la cession de contrat ne se résume pas à l’addition
d’une cession de créances et d’une cession de dettes. C’est ainsi la conception
moniste de cette opération qui l’a emporté et, comme le souligne Laurent Aynès,
la cession de contrat est donc ramenée à l’aptitude du contrat « à perdurer en
dépit du changement de l’une des parties »32. On relèvera d’ailleurs qu'elle prend
place au sein de la section dévolue aux effets du contrat, entre les dispositions
relatives à sa durée et celles relatives à son inexécution, puisqu'elle a justement
pour objet de permettre le maintien du contrat, voire d'en prévenir l'inexécution.
C’est le droit des entreprises en difficulté qui nous semble avoir accoutumé les
esprits à une approche plus objective du contrat, son axe de gravité se déplaçant
de l’accord de volontés vers son utilité économique.

15. D’un autre côté, l’essor de l’unilatéralisme en droit commun des contrats
est fréquemment souligné, mouvement dont l’ordonnance du 10 février 2016
témoigne assurément. Désormais, la volonté d’un seul est parfois apte à produire
des effets que seule la volonté commune pouvait autrefois engendrer. Cela
surprend toutefois peu les spécialistes du droit des entreprises en difficulté,
l’option offerte à l’administrateur judiciaire de poursuivre ou non l’exécution
des contrats en cours en étant le meilleur exemple. Ce développement de
l’unilatéralisme ne s’oppose pas au mouvement d’objectivation du contrat, bien
au contraire. Les deux tendances vont de pair et correspondent toutes deux à une
recherche d’efficacité économique en droit des contrats33. On doit pouvoir se
libérer d’un contrat inutile pour l’entreprise (continuation ou non d’un contrat en
cours) ; mais on doit également pouvoir se libérer d’un contrat dont on peut
présumer qu’il ne sera pas exécuté par son partenaire et donc qu’il est devenu
inutile (avec notamment l’exception d’inexécution anticipée34 ou la résolution
par notification35). Des différences subsistent malgré tout entre le droit commun
et le droit des entreprises en difficulté. L’appréciation de l’utilité du contrat est
offerte aux parties dans le premier cas alors qu’elle est le fait d’un tiers dans le
second. Par ailleurs, le droit des entreprises en difficulté va beaucoup plus loin
32
L. Aynès, « La cession de contrat », Dr. & Patr., juillet-août 2015, n° 249, p. 73.
33
V. not. S. Bros, RDC 1/10/2012, p. 1452 : « Le développement de l'unilatéralisme apparaît comme
une conséquence logique de la recherche de l'amélioration de l'efficacité économique du droit et en
particulier du contrat. L'unilatéralisme facilite l'élaboration du contrat et surtout sa destruction ».
34
Art. 1220 C. civ.
35
Art. 1226 C. civ.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 207

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que le droit commun puisque les cocontractants de l’entreprise s’exposent à la


rupture des contrats en cours quand bien même leur comportement serait
irréprochable.

16. Si le droit des entreprises en difficulté s’est montré précurseur quant au


mouvement d’objectivation du contrat, le phénomène n’a probablement pas
encore atteint son acmé. Cette relégation de la volonté au second plan est
actuellement très présente au sein de ce que l’on appelle les smarts contracts,
l’un des aspects marquants de la blockchain. Ces contrats sont conçus pour que
leurs termes s’exécutent de façon automatique lorsque certaines conditions sont
réunies. Le caractère numérique et automatisé du contrat permet en théorie à
deux partenaires de nouer une relation commerciale sans qu’ils aient besoin de
se faire confiance au préalable, sans autorité ou intervention centrale. La bonne
exécution de la transaction repose alors sur le système lui-même et non sur ses
agents. Inéluctablement, la dimension personnelle du contrat décline.

17. Le droit des entreprises en difficulté paraît bien exercer une influence plus
ou moins diffuse sur certaines notions emblématiques du droit commun même si
son rôle exact, comparativement à d’autres facteurs, est difficile à mesurer. Mais
un autre phénomène, très différent, est à l'œuvre. Le droit des entreprises en
difficulté conduit en effet les opérateurs à modifier leurs pratiques
contractuelles. Il donne donc à observer de nouvelles pratiques et joue donc, là
encore, un rôle précurseur.

II. L’influence sur les pratiques contractuelles

18. La perspective de défaillance du partenaire contractuel est une donnée très


présente à l’esprit des professionnels. Cela les pousse à s’adapter et, parfois, à
imaginer de nouveaux types contractuels plus à même de préserver leurs intérêts
en cas de procédure collective. C’est une évidence en matière de sûretés, mais
on peut également l’observer au-delà. Les pratiques contractuelles évoluent sous
l’effet du droit des entreprises en difficulté, de nouvelles clauses émergeant soit
pour anticiper l’ouverture de la procédure collective, soit pour y résister tant
bien que mal.

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A. L'anticipation

19. Il est fréquent, notamment dans les contrats de financement, qu’un


cocontractant soit soumis à des obligations accessoires offrant au créancier un
meilleur contrôle de la situation. Ces clauses sont désignées sous le terme de
« covenant ». Comme l’écrit Thierry Favario, « le covenant impose, en
substance, une contrainte au débiteur de nature à lui faire correctement
exécuter son obligation de remboursement. L’originalité du covenant réside
ainsi dans la nature de la contrainte qu’il fait peser sur la gestion de la société.
Alors que les sûretés réelles et personnelles limitent le risque du prêteur ex post
en cas de défaillance, le covenant influe ex ante, sur les conditions de la
gouvernance de la société »36. Il s’agira très fréquemment d’anticiper un risque
d'insolvabilité en imposant certains ratios financiers à l’emprunteur. Tant que les
ratios sont respectés, la situation du débiteur est a priori saine. Tout au contraire,
le non-respect des ratios attirera l’attention du créancier sur un risque accru
quant au recouvrement de sa créance. Les covenants permettent en quelque la
contractualisation d’un droit d’alerte37.

20. Plus spécifiquement, au sein des contrats de financement, la pratique use


parfois des clauses MAC (material adverse change) et des clauses de défaut
croisé (cross default clause). Comme le souligne un auteur, « loin de permettre
la renégociation du contrat de financement, ces clauses introduisent dans notre
droit ce que les droits anglais et américains connaissent sous l'expression
d'anticipatory breach. Ces stipulations tendent à protéger les prêteurs contre le
risque d'une procédure collective en réclamant le remboursement des fonds
prêtés avant que les conditions d'ouverture d'une telle procédure soient
remplies »38. Les circonstances entourant la mise en œuvre de ces clauses vont
toutefois différer. Les clauses MAC, ou clause d’événement défavorable,
pourront être invoquées face à un risque de défaillance dans l’exécution du
contrat de financement au sein duquel elles sont insérées. A l’opposé, les clauses
de défaut croisé pourront être opposées au débiteur au regard d’une inexécution
propre à un autre contrat, voire d’une inexécution qui sera le fait d’un autre
débiteur vis-à-vis du même créancier, notamment dans le cas d’un groupe de

36
T. Favario, « Les covenants bancaires, un bref aperçu sur une pratique », Mélanges Blanche Sousi.
37
Th. Favario, art. préc. n° 8.
38
R. Marty, « Les clauses d'événements défavorables et de déchéance du terme dans les contrats de
financement », JCP E, 24 mars 2011, n° 12, 1250, spéc. n° 1.

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sociétés. Les clauses de défaut croisé vont donc conduire à la mise en place d’un
ensemble contractuel indivisible permettant au prêteur de se prévaloir de la
rupture anticipée d’un contrat pourtant convenablement exécuté. La validité de
ces clauses est parfois discutée39, et il est fort probable que le nouvel article 1171
du Code civil introduisant en droit commun un dispositif de lutte contre les
clauses créant « un déséquilibre significatif » soit mobilisé à leur encontre.
Indiquons au sujet de ces clauses que la Cour de cassation a récemment eu à en
connaître en droit des entreprises en difficulté et cela sous un angle quelque peu
inattendu. Elle a en effet considéré que « l’existence d’une clause de défaut
croisé dans un protocole transactionnel unique conclu entre deux sociétés et un
créancier commun participe à un ensemble concordant d’indices caractérisant
l’existence de relations financières anormales constitutives d’une confusion des
patrimoines entre les deux sociétés »40.

21. A priori, les clauses MAC ou de défaut croisé ne visent pas la renégociation
du contrat mais bel et bien sa rupture anticipée, sachant que ces stipulations
n’ont de sens que si elles s’accompagnent de garanties efficaces face à la
perspective d’une procédure collective. Le créancier pourrait préférer profiter de
la menace planant ainsi sur le débiteur pour lui imposer une rémunération du
crédit supérieure ou l’octroi de nouvelles garanties, mais on peut penser qu’une
telle attitude est susceptible de tomber sous le coup du nouvel article 1143 du
Code civil. Par ailleurs, si ces clauses sont nées pour anticiper l’ouverture d’une
procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, elles sont mises à mal
par la facilité qu’a le débiteur d'obtenir l’ouverture d’une procédure de
sauvegarde. L’arrêt Cœur défense l’a parfaitement illustré. On comprend donc
que certains soient parfois tentés d’aménager le contrat afin qu’il résiste à
l’ouverture de la procédure collective.

39
Sur leur caractère abusif en droit de la consommation, v. Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, n° 07-15226 :
RTD com. 2009, p. 190, obs. D. Legeais ; RTD civ. 2009, p. 116, obs. B. Fages. La validité de ces
clauses pourrait également être discutée sur le terrain de L. 442-6, I, 2°, C. com., v. B. Fages, obs. sous
Cass. 1re civ., 27 nov. 2008, n° 07-15226 : RTD civ. 2009, p. 116. Comp. Cass. com., 22 mars 2005,
n° 01-01677, qui ne voit pas dans l’application d’une telle clause une rupture fautive de crédit ; dans le
même sens, Cass. com., 24 janv. 2006, n° 02-11989.
40
Cass. com. 2 nov. 2016, n° 15-10727, BJS 2017 p. 43, note J. Heinich ; BJE mars 2017, p. 96 note T.
Favario.

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B. La résistance

22. La loi, on le sait, interdit toute stipulation ayant pour effet de mettre fin à un
contrat en cours à raison de l’ouverture d’une procédure collective41 ou dont
l’objet serait de rendre exigibles les créances non échues à la date de ladite
ouverture42. L’ordonnance du 12 mars 2014 a complété le dispositif en réputant
non écrite toute clause qui modifie les conditions de poursuite d’un contrat en
cours en diminuant les droits ou en aggravant les obligations du débiteur du seul
fait de la désignation d’un mandataire ad hoc ou de l’ouverture d’une
conciliation ou d’une demande formée à cette fin43. Ces règles doivent bien sûr
être présentes à l’esprit lorsque l’on songe aux clauses évoquées précédemment.

23. Le créancier s’en trouve-t-il pour autant démuni ? Il cherchera parfois dans
le droit des obligations de quoi résister aux effets de la procédure collective, par
exemple en agissant sur le moment du transfert de propriété afin qu’il
n’intervienne pas au jour de la conclusion du contrat. A cet égard, c’est le droit
des entreprises en difficulté qui a révélé tout l’intérêt de la clause de réserve de
propriété. Elle a d’ailleurs été règlementée par le Code de commerce bien avant
que le Code civil ne s’en saisisse à l’occasion de l’ordonnance du 23 mars 2006.
Désormais, le nouvel article 1196 du Code civil prévoit de manière générale que
le transfert de propriété peut être différé par la volonté des parties.

24. On peut encore évoquer l’aménagement par le contrat de la compensation.


Il n’est pas ici question de la compensation conventionnelle stricto sensu. Dans
ce cas-là, les parties décident simplement, en présence de créances réciproques,
de se libérer mutuellement de leurs obligations. Ce type de convention n’est pas
à même de faire naître la connexité entre les deux créances et ne permet donc
pas d’échapper à une interdiction des paiements. Mais la pratique bancaire
cherche parfois à aller plus loin, en organisant la compensation entre des
comptes différents. Car si la compensation produit classiquement ses effets entre
des créances issues d’un même contrat44, la Cour de cassation admet également
qu’elle opère entre des créances procédant de contrats juridiquement distincts

41
Art. L. 622-13 al. 1er C. com.
42
Art. L. 622-29 C. com. (sauvegarde) et par renvoi : art. L. 631-14 al. 1er C. com. (redressement
judiciaire).
43
Art. L. 611-16 C. com.
44
Cass. com. 11 mai 1960, D. 1960, jur. 573.

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DROIT DES OBLIGATIONS

mais économiquement liés45. Il s’agit là de ce que l’on a pu appeler une


connexité naturelle « au second degré »46. Cette expression vise à illustrer le fait
que la connexité touche ici non pas directement des créances mais des contrats
distincts.

25. Des doutes sont parfois exprimés quant à l’efficacité de ces accords
destinés à organiser la compensation, et l’on a évoqué que les clauses de défaut
croisé ne résisteront peut-être pas au nouvel article 1171 du Code civil. Mais
l’essentiel est ailleurs, dans le constat indéniable d’une évolution des pratiques -
et indirectement du droit commun - sous l’effet du droit des entreprises en
difficultés, quand bien même toutes les tentatives ne sont pas couronnées de
succès.

45
Voir : Cass. com. 5 avr. 1994, D. 1995, Somm., p. 215, obs. A. Honorat ; JCP éd. E, 1994, I,
397, no 20, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Cass. com. 9 mai 1995, D. 1996, Jur., p. 322, note G.
Loiseau ; JCP éd. E, 1995, I, 487, no 14, obs. M. Cabrillac ; Cass. com. 15 mars 2005, D. 2005,
AJ, p. 1025, obs. A. Lienhard. V. plus récemment, Cass. com. 9 avril 2013, n° 12-14356, BJE
sept. 2013, p. 293 et nos obs.
46
G. Duboc, La compensation et les droits des tiers, LGDJ, 1989, Bibl. dr. privé, T. 202, préf. J.-L.
Mouralis, n° 345.

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DROIT DES SÛRETÉS
L’évolution du droit des sûretés dans sa
confrontation au droit des entreprises en difficulté

Pierre-Michel LE CORRE
Professeur à l’Université Côte d’Azur,
Membre du CERDP

Chacun connaît la summa divisio du droit des sûretés : les sûretés


personnelles et les sûretés réelles. Ce que tout le monde ne sait peut-être pas,
c’est que jusqu’en 2008, cette distinction avait pure valeur académique,
permettant aux enseignants de droit des sûretés, de faire deux parties dans leur
cours. Mais, en pratique, cette distinction ne servait à rien ou presque, jusqu’à ce
que l’ordonnance du 18 décembre 2008 vienne attribuer un corps de règles
particulier aux personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle.
L’occasion était alors donnée aux civilistes d’exercer leur talent, pour répondre
aux besoins du droit des entreprises en difficulté. Une fois de plus, les plus
belles questions de droit civil trouvaient leur siège dans notre droit des
entreprises en difficulté. On mesure ici le caractère précurseur de cette noble
matière.

Pour traiter le sujet qui nous a été donné par nos savants organisateurs
toulousains, il semble cependant qu’il faille dépasser cette distinction des sûretés
réelle et des sûretés personnelles. Le parti a été pris de se mettre dans la peau des
créanciers titulaires de sûretés, afin de voir comment ils se positionnent face au
droit des entreprises et comment ils peuvent bien ressentir cette matière
effrayante pour le créancier lambda.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 213

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DROIT DES SÛRETÉS

Ce qu’ambitionne le créancier, c’est de se faire payer et si possible toute sa


créance. Pourtant, il sait que dans l’immense majorité des cas, il devra se
contenter du paiement d’une partie de sa créance et il s’estimera heureux. A la
vérité, ce sentiment de devoir abandonner une fraction de sa créance n’existe
que pour autant que le créancier raisonne en termes de droit de préférence. Et
qu’il doit se poser la question : qui passe avant qui ? Quels sont les créanciers
qui vont me primer, se dira le créancier un peu au fait du droit des entreprises en
difficulté ?

Depuis la loi du 25 janvier 1985, le droit des sûretés a bien évolué, à la


recherche d’un renouveau d’efficacité, laquelle avait été atteinte par cette
emblématique loi. Un mouvement de balancier assez évident s’est produit, au
lendemain de cette loi, qui a consacré le droit à la maltraitance des créanciers
pour tenter de sauver à tout prix des entreprises qui ne le méritaient pas toujours.
Tous les moyens apparaissaient bons pour tenter le sauvetage des entreprises.
L’un d’eux a consisté à réduire au maximum les droits des créanciers, fussent-ils
titulaires de sûretés.

La réaction ne s’est pas faite attendre. Il a fallu retrouver rapidement de


sûretés plus sûres, celles permettant de s’émanciper de la discipline collective
imposée par le droit des entreprises en difficulté et d’éviter la dure loi du
concours. On pense à la fiducie-sûreté, au gage immobilier, au droit de rétention
fictif accordé à tout gagiste sans dépossession ou encore au mécanisme de
l’attribution judiciaire de l’immeuble hypothéqué.

Mais le droit des entreprises en difficulté a, de son côté, également réagi


contre ces tentatives, qu’il a parfois analysées comme des entreprises de
contournement de régimes contraignants. La chose a été spécialement
remarquable en matière de sûretés personnelles.

Il a également freiné les ardeurs du droit des sûretés, reconstruit par un


législateur enclin à redonner aux créanciers des sûretés efficaces, dans une
vision mondialiste du droit où l’attractivité des pays se fait notamment par le
système juridique. Le législateur du droit des entreprises en difficulté a su
modeler les sûretés nouvelles pour les besoins du sauvetage des entreprises en
difficulté.

214 | IFR Actes de colloques N° 30

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PIERRE-MICHEL LE CORRE

Pour modérer les ardeurs du droit des sûretés, le droit des entreprises en
difficulté a parfois démontré un certain dogmatisme. La remarque se vérifie sous
l’empire de la loi du 25 janvier 1985. Mais, force est d’admettre aujourd’hui
que, dans sa réaction face aux dangers potentiels induits par le droit des sûretés,
le droit moderne des entreprises en difficulté a su faire preuve de beaucoup de
pragmatisme. C’est, nous semble-t-il, sa marque de fabrique, depuis une
vingtaine d’années, qui tranche de manière nette avec le dogmatisme de la loi du
25 janvier 1985.

Le droit des entreprises en difficulté, s’il reste muet face au droit des
sûretés, le respecte. C’est le lot d’un droit spécial face au droit commun. Mais
souvent, notre droit des entreprises s’exprime et trouve à redire face au droit des
sûretés. Alors, il hypnotise, façonne en déformant ou en uniformisant, met à mal
et même écrase les sûretés.
Ces observations pourront être vérifiées tant à propos du créancier non exposé à
la discipline collective (I) qu’au sujet du créancier titulaire d’une sûreté lui
conférant une situation d’exclusivité (II).

I. Le créancier non exposé à la discipline collective

Le propre d’une procédure collective est de soumettre ses acteurs à une


discipline collective, qui repose sur l’idée de protection du gage commun. Nul
ne doit par ses agissements diminuer le gage commun.

Pourtant, l’une des grandes préoccupations du créancier désireux d’obtenir


un paiement rapide et intégral est d’éviter de se soumettre à la discipline
collective.

S’il y parvient, la situation d’un tel créancier apparaît confortable. Cela est vrai
en principe, mais la réalité du droit des entreprises en difficulté nous offre un
tout autre paysage. C’est ce que nous pourrons observer en envisageant
successivement la question des sûretés personnelles (A), puis celle des sûretés
réelles reposant sur l’exclusivité (B).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 215

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DROIT DES SÛRETÉS

A. Les sûretés personnelles

La sûreté personnelle offre au créancier un débiteur de substitution,


l’intensité de la subsidiarité dépendant de la sûreté choisie. Par principe, le
créancier peut demander le paiement à une personne ayant consenti une sûreté
personnelle sans se préoccuper des règles de la procédure collective.

La loi de sauvegarde a supprimé le principe d ‘extinction des créances non


déclarées, ce qui autorise la poursuite d’un garant alors même que la déclaration
de créance n’a pas été effectué.

De façon générale, on observe que le droit des entreprises en difficulté


observe un principe de neutralité face aux sûretés personnelles, lorsqu’elles ont
été consenties par une personne morale. Le droit des sûretés sera respecté.
En revanche, le législateur s’est employé, depuis la loi du 10 juin 1994, et de
manière plus large avec toutes les modifications subséquentes du droit des
entreprises en difficulté, à protéger les garants personnes physiques.

Le périmètre de la protection s’est d’abord accru quant aux garants


concernés puisque sont désormais visés quatre catégories de garants et non plus
seulement les cautions et codébiteurs.

Le périmètre de la protection a également été étendu quant aux mesures de


protection accordées. Le plus souvent, la protection n’intéresse que la
sauvegarde : bénéfice de l’arrêt du cours des intérêts, bénéfice des remises et
délais du plan, inopposabilité de la créance non déclarée.
Parfois, la protection existe tant en sauvegarde qu’en redressement judiciaire :
suspension des poursuites pendant la période d’observation.

Trois grandes idées ont présidé à ces mesures de protection.

D’abord, le législateur a décidé » de placer les garants personnes physiques


sous un même régime protecteur. Pourquoi : pour éviter les stratégies de
contournement, en faisant comprendre aux créanciers institutionnels et
notamment aux établissements de crédit, qu’il ne servirait à rien d’inventer des
sûretés personnelles car toutes seront traitées comme le cautionnement. Le
pragmatisme est ici évident, qui consiste à gommer toutes les différences qui
existent entre des sûretés accessoires et des sûretés autonomes, en introduisant

216 | IFR Actes de colloques N° 30

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PIERRE-MICHEL LE CORRE

de l’accessoire dans de l’autonome lorsque le débiteur est en sauvegarde, ou en


introduisant de l’autonome dans de l’accessoire, lorsque le débiteur est en
redressement judiciaire. Ainsi, le garant autonome d’un débiteur sous
sauvegarde bénéficie-t-il des délais du plan. La caution d ‘un débiteur en
redressement n’en bénéficiera pas. L’instrumentalisation du droit des sûretés par
le droit des entreprises en difficulté est ici assez évidente.

Ensuite, il s’est agi d’assurer une tranquillité au garant personne physique


pendant la période d’observation. Pourquoi ? Parce que ce dernier est le plus
souvent le dirigeant social de la société débitrice. En lui laissant le temps de
répit de la période d’observation, il va pouvoir concentrer ses efforts sur le
sauvetage de l’entreprise sans être angoissé de perdre sa maison d’habitation du
jour au lendemain, alors même que le débiteur personne physique n’encourt plus
ce risque avec l’insaisissabilité légale de la résidence principale. La Cour de
cassation a ensuite dû reconstruire un régime compatible avec la protection du
créancier, autorisé à pratiquer des mesures conservatoires pendant la période
d’observation. S’il l’a fait, il pourra obtenir son titre exécutoire pour le tout,
alors même que sa créance n’est pas encore exigible contre le garant. C’est à
notre connaissance un cas unique où le créancier pourra prendre un titre
exécutoire alors que le débiteur ne doit pas encore.

Enfin, le législateur assure un traitement différent aux garants selon que le


débiteur est en sauvegarde ou en redressement judiciaire. On fait clairement
comprendre l’intérêt qu’il y a à anticiper, à utiliser par conséquent la
sauvegarde, voire la procédure de conciliation, plutôt que le redressement
judiciaire et c’est pourquoi le législateur s’emploie ici à discriminer
positivement en faveur de la sauvegarde. C’est la fameuse prime à la
sauvegarde.

En interdisant au créancier de poursuivre les garants personnes physiques


pendant la période d’observation, en faisant bénéficier ces mêmes garants des
délais du plan de sauvegarde, le législateur complique singulièrement la tâche
des créanciers, à tel point que l’impression générale qui se dégage de l’examen
de la situation est celle d’un créancier confronté à une sorte d’arrêt des
poursuites individuelles contre les garants personnes physiques. La chose est
singulière dès lors que l’arrêt des poursuites individuelles est la règle phare de la
discipline collective, laquelle ne concerne que les rapports des créanciers avec
leur débiteur.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 217

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DROIT DES SÛRETÉS

On mesure combien le législateur du droit des entreprises en difficulté a


finalisé le droit des sûretés personnelles, en le malmenant parfois, pour parvenir
à ses résultats. Le caractère dérogatoire du cette discipline est ici patent.
Si par principe, le créancier échappe à la discipline collective lorsqu’il s’adresse
à un garant personnel, il en est de même en présence d’un créancier titulaire
d’une sûreté lui conférant une situation d ‘exclusivité.

B. Le créancier titulaire d’une sureté réelle conférant une situation


d’exclusivité

Il existe deux types de sûretés réelles qui confèrent à leur titulaire une
situation d ‘exclusivité : le droit de propriété et le droit de rétention.

Globalement, le droit des entreprises en difficulté respecte ces sûretés.

Tout au plus, il enferme le propriétaire de meubles dans l’obligation de


revendiquer s’il n’est pas titulaire d’un contrat publié. Il contraint le titulaire
d’un droit de rétention à déclarer sa créance, sauf à rendre le droit de rétention
inopposable à la procédure collective. Il ne peut donc être totalement affirmé
que propriétaires et retenteurs sont émancipés de la discipline collective. En
revanche, il est certain que ces créanciers sont placés dans une situation
d’exclusivité qui leur évite la loi du concours. Cela est donc particulièrement
intéressant pour ce type de créancier, assuré de recevoir en paiement
l’équivalent de la valeur du bien dont ils sont propriétaires ou rétenteurs.

L’ordonnance du 18 décembre 2008 s’est toutefois employée à réduire


l’efficacité des sûretés reposant sur la propriété ou sur le droit de rétention, dans
deux situations, lorsque le sauvetage de l’entreprise est en jeu. Il ne s’agit pas de
réduire le droit à paiement du créancier, mais d’empêcher sa satisfaction
immédiate, du moins a priori.

On s’est familiarisé depuis 2007 avec la fiducie-sûreté qui repose sur un


transfert de propriété du patrimoine du constituant vers le patrimoine du
fiduciaire afin d’assurer la satisfaction du bénéficiaire. Il existe deux types de
fiducie-sureté : avec ou sans dépossession.
S’il y a dépossession, la sûreté reste pleinement efficace quelle que soit la
procédure ouverte.

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PIERRE-MICHEL LE CORRE

S’il n’y a pas dépossession, il est possible de conclure une convention de


mise à disposition, soumise aux règles de la continuation des contrats en cours.
Cette solution a pour effet de paralyser la mise en œuvre de la garantie pendant
la période d’observation et celle d ‘exécution des plans. Le législateur a ainsi
mis au point un système de paralysie d’une sureté pourtant a priori
particulièrement efficace.

La seconde neutralisation des suretés conférant une situation d’exclusivité


concerne le droit de rétention fictif du gagiste sans dépossession conféré par
l’article 2286-4° du code civil. L’article L 622-7-I, alinéa 2 du code de
commerce prévoit l’inopposabilité à la procédure collective de ce droit de
rétention fictif pendant la période d’observation et celle d ‘exécution des plans.
L’efficacité est restaurée en liquidation, cependant que si les biens objets du
gage ont été vendus en période d’observation, les textes ne prévoient pas que le
créancier sera payé par le report du droit de rétention sur la quote-part du prix
correspondant à la créance garantie, placée à la Caisse des dépôts et
consignations, en application de l’article L 622-8. Cet oubli législatif pourrait
être fatal au gagiste, qui pourrait alors n’être payé sur les sommes placées qu’en
étant classé, comme un simple créancier bénéficiant d’un droit de préférence, et
non par le report du droit de rétention sur le prix. Il est urgent que le législateur
intervienne sur cette question délicate.

Nous avons vu que le long fleuve tranquille du créancier évitant la loi du


concours connaît parfois des rapides, qui ne seront parfois négociés qu’après un
certain temps, voire ne le seront pas du tout. La situation sera cependant moins
assurée encore pour les créanciers confrontés à la règle du concours.

II. Les créanciers titulaires de sûretés réelles confrontés au


concours

Les créanciers dont la sûreté repose sur l’attribution d’un droit de préférence
sont nécessairement dans une situation compliquée lorsque s’ouvre une
procédure collective, pour deux raisons essentielles : la première tient à la
multiplication des privilèges généraux du droit des entreprises en difficulté (A).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 219

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DROIT DES SÛRETÉS

La seconde a trait au fait que le droit des entreprises en difficulté connaît des
mécanismes d’écrasement du droit des sûretés (B).

A. La multiplication des privilèges généraux du droit des entreprises en


difficulté

Depuis 1985, les privilèges absolument généraux du droit des entreprises en


difficulté se sont multipliés. Et leur octroi n’est pas toujours très sélectif.

Chacun connaît d’abord l’efficacité redoutable du super privilège des


salaires, qui prime toute autre sûreté. Dans une moindre mesure, le privilège des
salaires a vocation à amputer singulièrement les répartitions. N’oublions pas
qu’il est de rang préférable aux privilèges spéciaux immobiliers et aux
hypothèques.

Il existe ensuite depuis 1985 un privilège des façonniers (C. trav., art.
L. 3253-5), que quasiment personne n’a rencontré dans les procédures
collectives, car il est des privilégiés qui s’ignorent.
La loi J 21 du 18 novembre 2016 a créé le privilège des producteurs agricoles,
qui est prévu à l’article 2332-4 du code civil. Ce privilège s’exerce au profit des
producteurs agricoles dans la procédure collective de leurs acheteurs, pour les
sommes dues par ces derniers, à due concurrence du montant total des produits
livrés par le producteur agricole, au cours des quatre-vingt-dix jours précédant
l’ouverture de la procédure.

Ces deux privilèges prennent rang immédiatement après le super privilège


des salaires.

Il y a ensuite le privilège de la conciliation prévu par l’article L 611-11 du


code de commerce, qui a vocation à s’exercer dans le cadre d’une procédure
collective subséquente à un accord de conciliation homologué.

Il faut encore faire état du privilège des créanciers postérieurs méritants des
articles L 622-17 et L 641-13 du code de commerce, privilège dont le périmètre
avait été réduit par le législateur en 2005, mais qui a été ensuite progressivement
élargi. Précisons que, au sein de ce privilège, les frais de justice utiles au
déroulement de la procédure connaissent un surclassent, pour être positionnés
juste après les privilèges du façonnier et du producteur agricole

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PIERRE-MICHEL LE CORRE

Tous ces privilèges, qui n’ont jamais aussi été nombreux que depuis la nuit
du 4 août 1789, qui raconte-t-on dans les livres d’histoire, a décidé de les abolir,
impression que ne partagent pas nécessairement les spécialistes du droit des
sûretés, contribuent à placer le créancier titulaire d’une sûreté spéciale ne
conférant qu’un droit de préférence dans une situation délicate ; il y aura
toujours quelques créanciers mieux placés.

B. L’écrasement des attributs des sûretés spéciales par le droit des


entreprises en difficulté

Commençons par une observation importante. L’écrasement du droit des


sûretés n’existe que pour autant que la sûreté ne confère pas à son titulaire une
situation d’exclusivité. En effet, cet écrasement a vocation à se rencontrer dans
le cadre des plans de cession d’entreprise. Or le plan de cession ne peut
méconnaître le droit de propriété d’un créancier, pas plus qu’il ne peut porter
atteinte au droit de rétention du gagiste. La solution, d’abord d’origine
jurisprudentielle, est aujourd’hui solennellement affirmée par l’alinéa 5 de
l’article L 642-12 du code de commerce.

Sous réserve de cette importante précision, le créancier titulaire d’une


sûreté spéciale constatera combien il est douloureux de se faire écraser ses
attributs. De quels attributs est-il question ?

Il s’agit d’abord de l’assiette de la sûreté. Alors que, en droit commun, le


droit de préférence du créancier titulaire d’une sûreté spéciale a vocation à
s’exercer sur le prix de vente, en cas de plan de cession, le tribunal est tenu
d’affecter une quote-part du prix de cession pour l’exercice du droit de
préférence de chaque créancier titulaire d’une sûreté spéciale (C. com., art. L
642-12, al. 1). L’assiette du créancier est par conséquent réduite à une simple
quote–part du prix de cession, sur laquelle s’exercent les droits de préférence des
créanciers de rang préférable. Assez souvent, le créancier titulaire de la sûreté
spéciale s’exposera ainsi à ne rien percevoir du prix de cession.

Le second attribut du créancier titulaire de sûreté spéciale mis à mal par le


plan de cession est le droit de suite. En effet, le principe est que par l’effet du
complet paiement du prix de cession, il y purge des inscriptions ( C. com., art. L
642-12, al. 3), ce qui a pour effet d’interdire au créancier d’exercer son droit de

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DROIT DES SÛRETÉS

suite sur le repreneur et de former surenchère. Le créancier sera satisfait par


l’attribution d’une quote-part du prix de cession, sans pouvoir considérer comme
un obligé réel à la dette celui qui va désormais détenir le bien initialement grevé
au profit du créancier, à savoir le repreneur. Ce dernier n’est en effet pas tenu
des dettes du débiteur. Une seule exception est posée à ce principe : celle du
transfert de la charge de la charge de la sûreté dont les conditions d’attribution
sont strictement réglementées par l’article L 642-12, alinéa 4 du code de
commerce.

Au terme de cette étude, il a été possible d’apercevoir que tous les


créanciers, même ceux que l’on pensait à l’abri, peuvent être amenés à subir les
contraintes de la procédure collective, lorsque l’heure est au sauvetage. Certains
s’en tirent tout de même mieux que d’autres. On conservera à l’esprit qu’il est
globalement préférable pour un créancier titulaire d’une sûreté d’éviter la loi du
concours en préférant les sûretés conférant une situation d’exclusivité. Le
débiteur, pour sa part, aura compris qu’il dispose de moyens juridiques pour
faire céder au moins temporairement les créanciers titulaires de sûretés, et que sa
situation est d’autant plus assurée qu’il aura su anticiper. La prime à
l’anticipation est aussi une prime à un traitement plus favorable des garants et à
un tempérament apporté à l’efficacité des sûretés.

C’est aujourd’hui ainsi que le droit des entreprises en difficulté a modelé à


son image le droit des sûretés, en lui imposant sa loi. Mais c’est toujours parce
qu’il est question de sauver l’entreprise, que le plan soit de sauvegarde, de
redressement ou de cession. S’il n’est question de que liquider pour répartir,
alors le droit des sûretés continue à imposer sa loi au droit des entreprises en
difficulté, qui contraindra à répartir ainsi que cela lui est dicté par le droit des
sûretés.

L’équilibre trouvé par le législateur, tout spécialement avec l’ordonnance du 18


décembre 2008, nous semble un exemple de ce que doit être un bon droit des
entreprises en difficulté : pas de dogmatisme, mais du pragmatisme et la
recherche de l’équilibre dans les intérêts en présence. In medio, stat virtus !

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III. Au regard des autres droits :
Droit inféodé aux autres droits

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DROIT DE LA CONCURRENCE
Un droit inféodé aux autres droits
Droit de la concurrence

Gérard JAZOTTES
Professeur à l'Université Toulouse Capitole,
Centre de Droit des Affaires (CDA)

Pour confronter le droit des entreprises en difficulté au droit de la


concurrence la période, trente ans, est particulièrement bien choisie. En effet, la
loi du 25 janvier 1985, qui refonde le droit de la défaillance des entreprises a été
suivie par l’ordonnance du 1 er décembre 1986 qui a, également, refondé le droit
français de la concurrence, ordonnance inspirée par une philosophie libérale et
une volonté de s’harmoniser avec le droit européen de la concurrence.

Les finalités différentes, voire contradictoires1, de ces deux droits ont été
souvent relevées. Le droit des entreprises en difficulté cherche à préserver
l’entreprise, en dépit et en raison de ses difficultés, alors que le droit de la
concurrence a pour but la protection du libre jeu de la concurrence, « d’une
concurrence par les mérites dans l’intérêt du consommateur »2, laissant jouer « le
processus de sélection naturelle, sorte de Darwinisme économique, qui s’opère

1
L. Arcelin, L’entreprise en difficulté face au droit de la concurrence, Rev. Lamy de la concurrence,
2004, n° 1 ; J.-Ph. Kovar, Droit de la concurrence et droit de l’insolvabilté, Rev. Lamy Droit des
affaires, 2010, n° 45.
2
J.-Ph. Kovar, op. cit..

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DROIT DE LA CONCURRENCE

sur le marché » 3. La confrontation des deux droits s’apparenterait à un « procès


Colbert versus Adam Smith »4.

Cependant, au-delà de ces différences, des points de convergence existent.


Ainsi, il a été montré que le droit des entreprises en difficulté exerçait une
fonction concurrentielle, d’une part, parce qu’il organise l’élimination des
entreprises économiquement malades5 et, d’autre part, parce qu’il offre un
instrument de restructuration des entreprises dans un contexte concurrentiel,
notamment par le régime des offres de reprise6. Cette fonction concurrentielle a
été indirectement reconnue par la Commission européenne dans ses lignes
directrices concernant les aides d’Etat au sauvetage et à la restructuration
d’entreprises en difficulté7. En outre, ces deux matières relèvent du droit
économique et traduisent le choix d’une économie de marché régulée,
« l’initiative privée et la compétition économique » étant « le moteur du
développement » alors que la « maîtrise des dysfonctionnements est confiée à
une autorité judiciaire »8.

Mais, au regard du thème proposé, il ne s’agit pas d’apprécier les


distorsions de concurrence que peut introduire l’existence même du droit des
entreprises en difficulté9, ou sa fonction concurrentielle, mais d’appréhender les

3
L. Arcelin, op. cit..
4
C.Champaud, Rapport de synthèse, Colloque Entreprises en difficulté et concurrence, RIDE 1995-2, p.
343.
5
Pour Y. Chaput, le droit de la faillite pourrait être présenté comme « le prolongement naturel de la
concurrence », « le constat, l’acte de décès, de l’entreprise vaincue par « la loi du marché » …», L’ordre
concurrentiel et le désordre du droit des défaillances d’entreprises », dans L’ordre concurrentiel,
Mélanges en l’honneur d’Antoine Pirovano, Ed. Frison-Roche, 2003, p. 269.
6
En ce sens, C. Saint-Alary Houin, La prise en compte de la concurrence par le droit des procédures
collectives, DGCCRF, Atelier de la concurrence, 23 juin 2004, Rev. conc. consom., n° 143, juill-sept.
2005, p ; Entreprises en difficulté et concurrence, RIDE 1995-2, p. 176 et s.
7
Communication de la Commission relative à la notion d’aide d’Etat visées à l’article 107, paragraphe
1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE n° 262/1 du 19.07.2016, §° 7 : « Les
procédures d’insolvabilité peuvent aussi se solder par le retour d’une entreprise viable sur le marché, à la
faveur de l’acquisition, par des tiers, soit de l’entreprise en question poursuivant normalement ses
activités, soit des divers biens de production».
8
C.Champaud ; op. cit., p. 354.
9
Sur ce point voir : C.Saint-Alary Houin, La prise en compte de la concurrence par le droit des
procédures collectives, DGCCRF, Atelier de la concurrence, 23 juin 2004, Rev. conc. consom., n° 143,
juill-sept. 2005, p. 3, spéc. p. 3 où l’auteur montre que le droit des procédures collectives rétablit la
concurrence et exerce une fonction de concurrence.

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GERARD JAZOTTES

rapports qu’entretient ce droit avec le droit de la concurrence pour constater que


le premier est inféodé au second.

L’emploi du terme « inféodé » peut, de prime abord, paraître excessif.


Mais, le retour au sens premier du mot convainc de la pertinence de son emploi.
Il est possible d’imaginer, même si la vérité historique doit en souffrir, le droit
de la concurrence en suzerain qui donne une terre à un vassal, le droit des
entreprises en difficulté, pour qu’il administre ces entreprises sans que ne soit
porté atteinte à ses intérêts de suzerain. Ce n’est que dans cette hypothèse, une
atteinte à ses intérêts, que le droit de la concurrence intervient, pour que règne
son ordre. L’ordre concurrentiel s’impose, en effet, au droit des entreprises en
difficulté10. Ainsi, il apparaît que le droit de la concurrence s’applique aux
entreprises en difficulté comme aux autres, indifférent au particularisme du droit
des entreprises en difficultés (I). Cependant, le droit de la concurrence daigne
parfois tourner son regard vers l’entreprise en difficulté et, de manière
ponctuelle, mais toujours dans sa logique, prendre en considération l’entreprise
en difficulté (II).

I. L’indifférence de principe au particularisme du droit des


entreprises en difficulté

Ce n’est pas la « tendre indifférence du monde » dont parle Camus11.


Certes, le droit de la concurrence admet la légitimité du droit des entreprises en
difficulté, mais à la condition que son ordre ne soit pas troublé (A). Si tel est le
cas, il s’applique sans un quelconque infléchissement dû à l’ouverture ou à
l’existence d’une procédure collective, indifférent aux particularités de cette
situation (B).

10
Sur le concept d’ordre concurrentiel, voir : L. Boy, L’ordre concurrentiel : essai de définition d’un
concept, dans L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’Antoine Pirovano, Ed. Frison-Roche,
2003, p.23 et s. Pour l’auteur, l’ordre est concurrentiel « en ce qu’il implique une rationalité, un
paradigme … et une logique fondée sur les préceptes de la concurrence. Nous sommes confrontés à un
ordre invasif, expansionniste qui imprègne les actions et structure les pensées ainsi que le contenu du
droit positif », op. cit. ; p. 23.
11
L’étranger, éd. Gallimard.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 227

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DROIT DE LA CONCURRENCE

A. La légitimité sous condition du droit des entreprises en difficulté

La question de la compatibilité du droit interne des entreprises en difficulté


avec le droit européen de la concurrence pouvait légitimement se poser, tout
particulièrement avec les règles applicables aux Etats et prohibant les aides
d’Etat. En effet, cette législation nationale confère nécessairement un avantage
concurrentiel aux entreprises qui en bénéficient. Il ne s’agit pas ici d’envisager
l’hypothèse d’une remise de dette fiscale ou d’une aide directe sous forme de
subvention, mais de l’effet inhérent à la procédure collective. La Cour de justice
de l’Union européenne a eu l’occasion de se prononcer sur la qualification
d’aide appliquée aux effets d’une procédure collective12. Dans cette affaire, la
Commission européenne, pour établir l’existence d’une aide, invoquait
« l’éventuelle perte de ressources fiscales » subies par l’Etat « en raison de
l’interdiction absolue des voies d’exécution et de la suspension des intérêts sur
toutes les dettes de l’entreprise concernée, ainsi que de la diminution corrélative
des bénéfices des créanciers »13. Mais, pour la Cour, « une telle conséquence est
inhérente à tout régime légal fixant le cadre dans lequel s’organisent les relations
entre une entreprise insolvable et l’ensemble de ses créanciers sans qu’il puisse
en être déduit automatiquement l’existence d’une charge financière
supplémentaire supportée directement ou indirectement par les pouvoirs publics
et destinée à accorder aux entreprises concernées un avantage déterminé » 14. La
qualification d’aide ne peut donc pas être déduite « automatiquement » de cet
effet, ce qui assure la légitimité du droit des entreprises en difficulté. En outre, la
condition de sélectivité pourrait faire défaut, ce qui s’oppose à la qualification
d’aides15. En effet, les conditions d’ouverture des procédures reposent sur des
critères objectifs, d’application générale et non-discrétionnaires, justifiés par
l’objectif de ces procédures.

12
CJCE, 1er décembre 1998, aff. C-200/97, Rec. I-7926.
13
Arrêt précité, pt. 36.
14
Arrêt précité, pt. 36.
15
En ce sens : L. Idot, La prise en compte de la procédure collective dans la mise en œuvre des règles de
concurrence : l’articulation des procédures, dans Entreprises en difficulté et application du droit de la
concurrence, DGCCRF, Atelier de la concurrence, 23 juin 2004, Rev. conc. consom., n° 143, juill-sept.
2005, p. 18. Pour relever du régime des aides d’Etat l’aide doit favoriser certaines entreprises ou
certaines productions. Voir : Communication de la Commission relative à la notion d’aide d’Etat visées
à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE n° 262/1 du
19.07.2016, § 117 et s..

228 | IFR Actes de colloques N° 30

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Mais l’absence d’automaticité dans la qualification n’exclut pas tout risque et


l’un des modes de traitement des difficultés de l’entreprise peut relever de
qualifications propres au droit de la concurrence.

B. Les manifestations de l’indifférence

Les modes de traitement des difficultés de l’entreprise peuvent, tout


d’abord, relever de qualifications propres au droit de la concurrence. Si les
conditions sont remplies, ces qualifications vont s’appliquer sans que le
particularisme du droit des entreprises en difficulté n’exerce une influence. Puis,
s’agissant de l’imputabilité de l’infraction, le droit de la concurrence raisonne à
partir de la notion d’entreprise et non de débiteur.

1) L’application des qualifications du droit de la concurrence

Les qualifications en cause sont celles d’entente, d’aides d’Etat ou


d’opération de concentration.
En premier lieu, il n’est pas exclu d’appliquer la qualification d’entente à un
accord de conciliation, sous réserve, notamment, d’établir un effet
anticoncurrentiel, ce qui supposerait qu’un créancier partie à l’accord soit
concurrent du débiteur. L’homologation de cet accord ne devrait pas paralyser
cette qualification16. En effet, les conditions de l’homologation ne portent pas sur
la neutralité des effets sur la concurrence de l’accord17.

En second lieu, le soutien de l’Etat, par des remises de dettes ou des aides à
la restructuration, est susceptible de relever de la qualification d’aide. Cette
qualification d’aide (il n’est pas encore question de leur compatibilité, qui peut
être appréciée au regard des lignes directrices concernant les aides d’Etat au
sauvetage et à la restructuration d’entreprises en difficulté18) est indépendante

16
En ce sens Y. Chaput, L’office du juge dans le traitement précoce des difficultés, dans Le nouveau
droit des défaillances d’entreprises, Coll. Thèmes et Commentaires, Dalloz, 1995, p. 100.
17
L’article L. 611-8 du Code de commerce vise l’absence de cessation des paiements, la pérennité de
l’activité de l’entreprise et l’absence d’atteinte aux intérêts des créanciers.
18
Lignes directrices concernant les aides d’Etat au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en
difficulté autres que les établissements financiers, communication précitée.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 229

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DROIT DE LA CONCURRENCE

des finalités poursuivies19. Un des critères de qualification est celui de


l’opérateur privé. Si l’Etat se comporte comme l’aurait fait un opérateur privé, le
soutien ne sera pas qualifié d’aide. C’est pourquoi la loi de sauvegarde a
souhaité conforter la validité des remises de dettes fiscales en exigeant qu’elles
soient accordées « dans des conditions similaires à celles que lui octroierait,
dans des conditions normales de marché, un opérateur privé placé dans la même
situation »20. La recherche du comportement de l’opérateur privé dans des
conditions normales de marché a conduit à distinguer le créancier privé de
l’investisseur privé.

La distinction n’est pas toujours aisée à effectuer, étant précisé que, pour la
Cour de justice de l’Union européenne, « l’applicabilité du critère de
l’investisseur privé à une intervention publique dépend non pas de la forme sous
laquelle l’avantage a été octroyé, mais de la qualification de ladite intervention
en tant que décision prise par un actionnaire de l’entreprise en question »21. Si le
critère s’applique, il convient alors de rechercher si un investisseur privé d’une
taille comparable opérant dans des conditions normales de marché aurait pu être
amené à réaliser l’investissement en cause22. Dans son comportement,
l’investisseur privé vise « à maximiser la rentabilité des fonds qu’il peut investir
où il le souhaite »23. A titre d’exemple, ne répond pas à cette finalité une
recapitalisation qui, bien que prévue dans un plan de développement
stratégique24, avait pour objectif d’éviter l’insolvabilité de l’entreprise
bénéficiaire en couvrant le manque de liquidité et les pertes de cette entreprise,
alors qu’aucun associé privé n’avait collaboré à cette recapitalisation25.

19
« Seul l’effet de la mesure sur l’entreprise est pertinent, non la raison ni l’objectif de l’intervention de
l’Etat », Communication de la Commission européenne précitée, § 67.
20
Article L. 626-6 du Code de commerce. Condition applicable aux remises de dettes réalisées dans la
procédure de conciliation par renvoi de l’article L.611-7, alinéa 3, du même code.
21
CJUE, 3 avril 2014, aff. C-224/12, Commission c/ Pays-Bas et ING Groep, pt. 31.
22
Communication de la Commission relative à la notion d’aide d’Etat … , précitée, § 74.
23
Trib. UE 15 sept. 2016, aff. T-386/14, pt. 64 ; H.Aubry, Aides d’Etat : critère du créancier privé en
économie de marché, D.2017, 42 et s.
24
Etait en cause une aide de 10 M. € accordée par des entreprises publiques actionnaires de la société
en difficulté.
25
Trib. UE, 28 janv. 2016, aff. T-507/12, Slovénie c/ Commission, pt. 40 et svts ; L.Idot, observation,
Rev. Europe, 2016-3, comm. 115.

230 | IFR Actes de colloques N° 30

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Le créancier privé, quant à lui, « escompte maximiser ses chances de recouvrer


sa créance ou, à tout le moins, la plus grande partie de cette créance… »26. Ainsi,
pour se conformer au comportement du créancier privé, le créancier public doit
apprécier la procédure la plus avantageuse pour lui, un concordat ou une
liquidation, en examinant les chances de redressement de l’entreprise et le
bénéfice retiré en cas de liquidation27.

Enfin, le « prepack cession », la restructuration, le plan de cession, peuvent


comporter une prise de contrôle au sens du droit des opérations de concentration,
pour autant que les seuils du contrôle national ou européen soient dépassés.
L’analyse de l’opération de concentration est menée indépendamment de
l’existence d’une procédure et, comme cela a été relevé, elle « ne prend pas en
compte les exigences du droit des entreprises en difficulté »28 . Cette
« indifférence » est clairement affirmée par l’Autorité de la concurrence dans ses
lignes directrices relatives au contrôle des opérations de concentration29. En
conséquence, lorsque les seuils caractérisant l’opération soumise à contrôle sont
franchis, il appartient au repreneur de notifier l’opération. A cet égard, l’Autorité
relève qu’il appartient aux candidats à la reprise d’entreprises en difficulté de
prendre en compte « dès le début de leur réflexion, les conséquences
procédurales et de fond du contrôle des concentrations»30. L’administrateur
judiciaire peut « jouer un rôle proactif très utile », mais il n’a pas d’obligation
légale ou règlementaire de saisir la Commission européenne ou l’Autorité si
l’opération doit être notifiée31. Il est à noter que ce contrôle présente un risque de
contrariété de décisions dans l’hypothèse où la cession serait autorisée par le
tribunal et interdite par l’autorité de concurrence compétente. Pour éviter un tel

26
Trib. UE, 16 mars 2016, aff. T-103/14, Frucona, pt. 251 ; .G.Decocq, Contrats, conc. ; consomm.
2016-5 comm. 123.
27
Trib. UE, 16 mars 2016, aff. T-103/14, Frucona. G.Decocq, Contrats, conc. ; consomm. 2016-5
comm. 123. Voir également, H.Aubry, Aides d’Etat : critère du créancier privé en économie de marché,
note sous Trib. UE 15 sept. 2016, aff. T-386/14.
28
L.Idot, La prise en compte de la procédure collective dans la mise en œuvre des règles de
concurrence : l’articulation des procédures, op. cit., p. 18.
29
Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations
(10/07/2013), pt 680 : « le fait qu’une opération de concentration se déroule dans le cadre d’une décision
de justice, telle que l’adoption d’un plan de reprise, ne fait pas obstacle aux compétences respectives de
la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence de se prononcer sur la compatibilité d’une
telle reprise avec le droit de la concurrence ».
30
Ibid, pt. 682.
31
Ibid, pt. 683.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 231

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DROIT DE LA CONCURRENCE

risque, l’adoption du plan devrait être subordonnée à la condition suspensive


d’une décision positive à la suite du contrôle. Cette coordination des procédures
avait été prévue dans l’avant-projet de loi de sauvegarde mais cette disposition
n’a pas été retenue32.

2) L’imputabilité de l’infraction liée un comportement antérieur à la


cession

Dans l’hypothèse où une entreprise soumise à la procédure collective fait


l’objet de poursuites devant l’Autorité de la concurrence ou devant la
Commission européenne et que sa cession survient avant la décision de
condamnation, l’infraction peut être imputée au cessionnaire. Cette
imputabilité suppose que deux conditions soient remplies33. D’une part,
l’entreprise auteur des actes anticoncurrentiels doit avoir cessé d’exister
juridiquement. D’autre part, le cessionnaire doit avoir reçu les droits et
obligations du cédant ou, à défaut, doit assurer, en fait, sa continuité
économique et fonctionnelle. L’application de cette solution à l’hypothèse de la
reprise d’une entreprise en difficulté est remarquable parce qu’elle est contraire
au principe selon lequel le repreneur ne peut se voir imposer d’autres
engagements que ceux qu’il a acceptés dans le plan de cession34. Mais
l’Autorité de la concurrence ne paraît pas vouloir prendre en considération cette
particularité, même lorsque les poursuites ne reposent que sur les dispositions du
droit français de la concurrence. En effet, la notion de l’imputabilité doit être
interprétée de façon à préserver la cohérence avec la conception européenne35.

32
L. Idot, op.cit., p. 19
33
Pour un rappel de ces solutions par l’Autorité de la concurrence, voir : décision Aut. conc. n° 14-D-
20 du 22 déc. 2014, pt 201 et décision Aut. conc n° 16-D-14 du 23 juin 2016. Sur l’imputabilité dans
l’hypothèse d’une entreprise en difficulté voir : L. Idot, Reprise d’entreprises en difficulté et droit de la
concurrence, Rev.proc.coll. 2015-6, dossier 57, § 30 et s. Sur l’ensemble de la question : L. Vogel,
Traité de droit économique, T1, Droit de la concurrence, Droits européens et français, LawLex,
Bruylant, 2015, p. 463 et s.
34
Article L. 626-10 du Code de commerce, applicable à la procédure de redressement par renvoi de
l’article L. 631-19. En liquidation judiciaire, le même principe doit s’appliquer, les engagements du
débiteur trouvant ses limites dans l’offre retenue et dans le prix de cession.
35
Décision Aut. conc. n° 16-D-14 du 23 juin 2016, pt. 935.

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II. Une prise en consideration ponctuelle de


l’entreprise en difficulte

Si le droit de la concurrence est indifférent au particularisme du droit des


entreprises en difficulté, il ne s’interdit pas une prise en considération des
difficultés de l’entreprise, dans l’analyse concurrentielle de la pratique litigieuse
(A), ou au moment d’infliger la sanction (B).

A. A l’occasion de l’analyse concurrentielle de la pratique prohibée

1) En application de l’interdiction des aides d’Etat

En application de l’article 107, paragraphe 3, du traité sur le


fonctionnement de l’Union européenne, certaines catégories d’aides peuvent être
considérées comme compatibles. Le point c) de ce paragraphe vise notamment
les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités. Sur le
fondement de cette disposition la Commission a adopté des lignes directrices
pour les aides d’Etat au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en
difficulté, les premières en 1994, celles en vigueur datant de 201436.

Mais l’entreprise en difficulté au sens de ces lignes directrices ne se limite


pas à l’entreprise qui fait l’objet d’une procédure collective d’insolvabilité. Une
définition générale est donnée, précisée par certaines conditions, la présence de
l’une d’elles suffisant à caractériser l’entreprise en difficulté. Une entreprise est
« considérée en difficulté lorsqu’il est pratiquement certain qu’en l’absence
d’intervention de l’Etat elle sera contrainte de renoncer son activité à court ou à
moyen terme »37. Tel est le cas d’une entreprise qui « fait l’objet d’une
procédure collective d’insolvabilité ou remplit, selon le droit national qui lui est
applicable, les conditions de soumission à une procédure collective
d’insolvabilité à la demande de ses créanciers »38. En droit français, l’état de
cessation des paiements constitue cette condition. Il apparaît que la référence au

36
Lignes directrices concernant les aides d’Etat au sauvetage et à la restructuration d’entreprises en
difficulté précitées.
37
Lignes directrices précitées, § 20.
3838
Ibid., point c). D’autres hypothèses sont visées.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 233

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DROIT DE LA CONCURRENCE

droit des entreprises en difficulté n’est que ponctuelle et très partielle, la notion
d’entreprise en difficulté n’étant utilisée, avec une acception plus large, que pour
délimiter le champ d’application des lignes directrices. Les conditions de
compatibilité de l’aide vont au-delà des finalités poursuivies par le droit des
entreprises en difficulté, même si des points communs peuvent être décelés.

Ainsi, la compatibilité des trois catégories d’aides visées, les aides au


sauvetage, les aides à la restructuration et les mesures de soutien temporaire à la
restructuration, est subordonnée au respect de nombreuses conditions. L’aide
doit, notamment, poursuivre un objectif d’intérêt commun, ce qui exclut le
simple fait d’empêcher une entreprise de sortir du marché. Plus précisément,
l’aide doit avoir pour objet d’éviter des difficultés sociales ou de remédier à la
défaillance du marché en rétablissant la viabilité à long terme de l’entreprise39.
Sur ce point, de nombreux paragraphes sont consacrés au plan de
restructuration40, qui ne peut se limiter « à combler les pertes antérieures, sans
s’attaquer aux causes de ces pertes ». Il doit être « réaliste, cohérent et de grande
envergure », « destiné à rétablir la viabilité à long terme du bénéficiaire ». En
outre, l’intervention de l’Etat doit être nécessaire, appropriée et proportionnée.
La logique est ici celle du droit de la concurrence : l’entreprise en difficulté ne
doit « pouvoir bénéficier d’une aide d’Etat qu’une fois toutes les options offertes
par le marché épuisées et à condition que cette aide soit indispensable pour
atteindre un objectif d’intérêt commun »41.

2) En application du contrôle des opérations de concentration42

Deux aspects du contrôle des opérations de concentrations révèlent des


points de rencontre43.

Le premier point réside dans une possible dérogation à l’effet suspensif du


contrôle. En principe, le contrôle préalable de l’opération de concentration

39
Ibid, § 43.
40
Ibid, § 45 et s.
41
Ibid, § 8.
42
Sur l’ensemble de la question, voir : L.Idot, Reprise d’entreprises en difficulté et droit de la
concurrence, Rev.proc.coll. 2015-6, dossier 57.
43
L.Idot, op. cit., § 12 et s.

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suspend sa réalisation effective44. Mais l’alinéa 2 de l’article L .430-4 du Code


de commerce permet une dérogation « en cas de nécessité particulière dûment
motivée ». Cette dérogation est exceptionnelle mais, dans ses lignes directrices
relatives au contrôle des concentrations, l’Autorité de la concurrence
indique que « les offres de reprise sur des entreprises en liquidation ou en
redressement judiciaire en bénéficient couramment ». Ces demandes bénéficient
d’un « a priori favorable »45 pour autant que le repreneur s’abstienne de tout acte
qui ferait obstacle à la prise de mesures destinées à remédier à un risque
d’atteinte à la concurrence46. L’objectif est de concilier la réalisation d’une
opération de reprise avec la finalité du contrôle.

Le second point de rencontre peut se manifester lors de l’appréciation de


l’effet de l’opération de reprise d’une entreprise en difficulté, lorsque l’argument
de l’entreprise défaillante est invoqué. L’opération sera autorisée en dépit
d’effets anticoncurrentiels, lorsqu’il apparaît que « les effets de l’opération ne
seraient pas plus défavorables que ceux qui résulteraient de la disparition de
l’entreprise en difficulté »47. Cette situation particulière est caractérisée
lorsqu’en l’absence de reprise la société disparaîtrait, sans qu’existe une autre
offre de reprise moins dommageable pour la concurrence, la disparition de
l’entreprise en difficulté n’étant pas moins dommageable pour les
consommateurs que la reprise48.

B. A l’occasion de la sanction

En matière d’aides d’Etat, le droit européen est indifférent à la situation de


l’entreprise, notamment s’agissant de l’obligation de restituer le montant d’une
aide illicite49. L’ouverture ou le risque d’ouverture d’une procédure ne
paralyse pas l’obligation de restitution. L’Etat doit se comporter comme un

44
L. 430-4 C. com. al. 1.
45
Pt. 686.
46
Ibid.
47
Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, précitée, §
561.
48
Ibid, §° 561 et s.
49
Sur la question, voir : Olivier BILLARD, Les mesures de soutien public aux entreprises en difficulté
au regard de la prohibition des aides d’Etat, Rev. Lamy Concurrence, n° 38, 1er/01/2014.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 235

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DROIT DE LA CONCURRENCE

créancier privé, mettre en œuvre les procédures de recouvrement : déclarer sa


créance ou demander l’ouverture d’une liquidation judiciaire. La seule limite,
appréciée restrictivement, résulte de l’impossibilité absolue de recouvrer.
Cependant, pour des pratiques anticoncurrentielles, la situation financière de
l’entreprise peut être prise en considération pour déterminer le montant de la
sanction pécuniaire. Le critère est celui de la capacité contributive.

En droit européen, dans ses lignes directrices pour le calcul des amendes50,
la Commission indique vouloir, « dans des circonstances exceptionnelles »,
« tenir compte de l’absence de capacité contributive d’une entreprise, dans un
contexte social et économique particulier »51. Mais une « situation financière
défavorable ou déficitaire » est insuffisante à caractériser l’absence de capacité
contributive. Un état de cessation des paiements n’est donc pas suffisant, de
même qu’un risque de faillite52. Le demandeur doit établir que l’amende
« mettrait irrémédiablement en danger la viabilité économique de l’entreprise et
conduirait à priver ses actifs de toute valeur »53.

En droit français, l’Autorité de la concurrence prend également en


considération les difficultés financières particulières affectant la capacité
contributive de l’entreprise54. L’entreprise doit en faire la demande selon des
modalités qui sont précisées dans le communiqué du 16 mai 201155. Les preuves
doivent attester « l’existence de difficultés réelles et actuelles empêchant
l’entreprise ou l’organisme en cause de s’acquitter, en tout ou partie, de la
sanction pécuniaire pouvant lui être imposée »56. Afin de faciliter la tâche des
entreprises, un questionnaire est mis à leur disposition57. Si l’ouverture d’une
procédure collective n’est pas expressément mentionnée, elle relève
incontestablement des « éléments de contexte » envisagés par le questionnaire.
De manière expresse, sont visés au titre de ces éléments de contexte « la

50
JOUE n° 210/2 du 01/09/2006.
51
Ibid., §° 35.
52
L.Vogel, op. cit. p. 500 et note 2366.
53
Ibid.
54
Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, §
62 et s.
55
Communiqué précité.
56
Communiqué précité, §° 65.
57
Questionnaire relatif à la capacité contributive des entreprises et des organismes consultable sur le site
de l’Autorité de la concurrence.

236 | IFR Actes de colloques N° 30

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procédure d’alerte déclenchée par le commissaire aux comptes, le comité


d’entreprise ou le président du tribunal de commerce » ou encore une procédure
« conciliatoire ». La liquidation judiciaire justifie que la sanction ne soit pas
infligée, « conformément à la pratique constante de l’Autorité »58. Lorsque
l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés invoquées peuvent être
appréciées au regard des ressources financières dont ce groupe dispose59.

Ces différents exemples montrent que si le droit de la concurrence n’ignore


pas l’entreprise en difficulté, la prise en considération de cette situation est
ponctuelle et s’insère dans la logique de ce droit. Ainsi, le particularisme du
droit des entreprises en difficulté n’infléchit en rien l’analyse concurrentielle
menée en application du droit de la concurrence qui impose ses qualifications et
techniques.

58
Décision Aut. conc. n° 16-D-09 du 12 mai 2016, pt. 555.
59
Cass.com. 22 oct. 2013, n° 12-23486 et Cass. com. 18 février 2014, n° 12-27643. Pour une
application : Décision Aut. conc.n° 15-D-04 du 26 mars 2015.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 237

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DROIT DE L’ENVIRONNEMENT
Le droit de l’entreprise en difficulté : un droit inféodé
au droit de l’environnement ?

Denis VOINOT
Professeur à l’Université de Lille 2

Plus que d’autres disciplines, le droit des entreprises en difficulté est au


croisement de plusieurs branches du droit. Cela tient à son objet, l’entreprise en
difficulté, qui est au coeur d’intérêts souvent divergents (créanciers, salariés,
administration, etc.). Ces conflits d’intérêts nécessitent de coordonner les
différents régimes juridiques concernés (droit du travail, droit des obligations,
droit des sociétés, etc.) avec le droit des entreprises en difficulté. Ainsi, la
confrontation avec le droit de l’environnement n’est pas surprenante. Elle est
même récurrente depuis une trentaine d’années. L’ampleur de l’opposition est
telle que le droit de l’environnement peut apparaître comme une sorte d’obstacle
au déroulement normal des procédures applicables au débiteur défaillant. D’où
l’impression que le droit des entreprises en difficulté serait inféodé au droit de
l’environnement. Qu’en est-il en réalité ? Il est certain que le contexte plaide en
faveur de cette conclusion.

Le contexte factuel, d’abord, dans la mesure où, en présence d’une


entreprise en difficulté, il y a une probabilité plus forte que des atteintes soient
portées à l’environnement. Il suffit d’évoquer les cas où, l’activité ayant cessé, la
nécessité d’avoir à remettre en état les sites exploités se fait jour. A cela s’ajoute
le coût de dépollution qui peut se révéler trop élevé pour permettre la réalisation
des actifs. Cela peut générer des craintes chez les professionnels confrontés à

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des sites invendables ou à une incompréhension de l’administration. A l’inverse


les pouvoirs publics seront préoccupés par l’existence de friches industrielles, de
sites orphelins faisant peser un risque sur les finances publiques.

Le contexte juridique, ensuite, n’est pas moins éprouvant. Cela tient à une
caractéristique commune aux deux branches du droit. Le droit des entreprises en
difficulté et le droit de l’environnement sont des matières d’ordre public ce qui
impose de respecter des obligations diverses pour répondre à des objectifs
distincts. Or, comment concilier l’ordre public écologique avec l’ordre public
économique lorsque des règles impératives contradictoires existent ? Faut-il
hiérarchiser les intérêts en présence, par exemple en faisant primer un ordre
public sur un autre ? Et si cet arbitrage se fait au profit de la protection de
l’environnement ne peut-on considérer, en effet, que le droit des entreprises en
difficulté est inféodé au droit de l’environnement ?

Une réponse aussi tranchée ne reflèterait pas, en réalité, l’état du droit


positif qui est plus nuancé. D’un côté il est vrai d’affirmer que le droit des
entreprises en difficulté ne saurait ignorer le droit de l’environnement ce qui, dès
lors, le fait apparaître comme un droit non dérogatoire (I.). Néanmoins, et d’un
autre côté, l’application du droit des entreprises en difficulté aux contraintes
environnementales a conduit à des évolutions qui permettent aujourd'hui de
défendre l’opinion selon laquelle le droit de l’entreprise en difficulté n’est pas
inféodé mais, au contraire, novateur (II.) au regard du droit de l’environnement.

I. Un droit non dérogatoire

La question de savoir si le droit des entreprises en difficulté déroge au droit


de l’environnement n’est ni théorique, ni nouvelle. Il suffit pour s’en convaincre
de se remémorer une décision de 1997 dans laquelle un juge-commissaire
ordonnait à un liquidateur de «résister aux injonctions de l’autorité
administrative tendant à le contraindre à procéder à l’évacuation en centre
autorisé à les accueillir, de tous les liquides potentiellement polluants présents

240 | IFR Actes de colloques N° 30

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dans l’usine »1. Derrière une telle motivation se cache un argument plus général,
parfois exprimé, selon lequel le droit de l’environnement mettrait à la charge des
professionnels des obligations contraires « aux dispositions du code de
commerce »2. La réalité est plus nuancée. Si à l’ouverture d’une procédure
collective le droit de l’environnement doit bien sûr être respecté (A.), il est plus
délicat de déterminer les personnes qui devront respecter les obligations
environnementales pendant le déroulement de la procédure (B. ).

A. Obligation de respecter le droit de l’environnement à l’ouverture de la


procédure collective

Il n’y a pas d’exception d’insolvabilité qui permettrait, à l’ouverture d’une


procédure collective, d’évincer le droit de l’environnement. La solution inverse
s’impose et ceci pour au moins deux raisons.

La première tient au fait que les obligations environnementales, très


diverses, peuvent viser des situations qui se révéleront souvent en présence
d’une entreprise en difficulté. On peut ainsi évoquer, à titre d’illustration et sans
être exhaustif, l’obligation de remise en état des anciennes installations classées
soumises à autorisation (C. env. art. R. 512-39 et s), à enregistrement (C. env.
art. R. 512-46-25 et s.) ou à déclaration (C. envir. Art. R. 512-66-1 et s.). Ce cas
peut ainsi correspondre à l’entreprise en liquidation judiciaire dont l’activité a
cessé. De même, l’exploitant dont l’installation a fait l’objet d’une mesure de
suppression, de fermeture ou de suspension par l’administration est tenue « de
prendre toutes dispositions nécessaires pour la surveillance de l'installation, la
conservation des stocks, l'enlèvement des matières dangereuses, périssables ou
gênantes ainsi que des animaux se trouvant dans l'installation » (C. env. art. R.
512-73). On ne peut aussi ignorer l’important article L. 514-20 du Code de
l’environnement qui édicte une obligation d’information à la charge du vendeur
d’un terrain sur lequel a été exploitée une installation classée. Ce texte devrait
avoir vocation à s’appliquer en cas de réalisation d’actifs. La diversité de ces
obligations révèlent aussi leur nature juridique différentes. Si certaines sont des

1
TGI Béthune, ord., 15 oct. 1997, inédite ; pour la suite réservée à cette ordonnance, V. TGI Béthune,
13 mai 1998 : Rev. proc. coll. 5/1999, n° 6, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Act. proc. coll. 7/1999, n° 95,
obs. D. Voinot.
2
CE 28 septembre 2016, 384315, Act. Proc. Coll. 2016, obs. D. Voinot.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 241

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obligations de verser une somme d’argent, comme, par exemple, l’obligation de


consignation exigée pour l’Administration, d’autres sont des obligations de faire
telle la remise en état d’un site ou encore, et plus simplement, le fait de
permettre aux inspecteurs de l’environnement d’exercer des contrôles sur place.
Il est important de bien souligner la diversité de ces obligations et surtout, de
leur nature, afin d’éviter de réduire le débat à la seule question de savoir si
l’entreprise en difficulté dispose de fonds suffisants pour faire face aux
contraintes environnementales.

L’autre raison justifiant l’application du droit de l’environnement résulte du


caractère impératif des obligations environnementales. On peine en effet à
imaginer une autorité qu’elle soit administrative ou judiciaire renonçant à faire
application du droit de l’environnement aux motifs que le droit des entreprises
en difficulté serait plus impératif. La jurisprudence n’est, de toute évidence, pas
orientée en ce sens. Ainsi, le Conseil d’Etat a eu, à plusieurs reprises, l’occasion
de rappeler que les dispositions du droit des entreprises en difficulté « ne font
pas obstacle à ce que l'administration fasse usage de ses pouvoirs, notamment de
police administrative, qui peuvent la conduire, dans les cas où la loi le prévoit, à
mettre à la charge de particuliers ou d'entreprises, par voie de décision
unilatérale, des sommes dues aux collectivités publiques »3. Cette position a
parfois été relayée par la jurisprudence judiciaire. C’est ainsi que la Cour
d’appel de Grenoble a jugé que l’objectif de la liquidation judiciaire est
« d’abord de mettre fin à l’activité de l’entreprise dans des conditions et selon
des modalités nécessairement conformes aux prescriptions d'intérêt général du
code de l'environnement, qui doivent prévaloir sur les intérêts particuliers en
présence »4. Cette même position permet d’expliquer la portée limitée de
certains aménagements contractuels. Ainsi à l’argument d’un liquidateur qui
invoquait le respect d’un protocole d’accord réglant la question « des frais de
désamiantage et de dépollution », la Cour de cassation a opposé celui selon
lequel «la société locataire était tenue, en sa qualité de dernier exploitant,
indépendamment de tout rapport de droit privé, d'une obligation légale de remise
en état du site pollué (…) »5.

3
CE 28 septembre 2016, 384315, Act. Proc. Coll. 2016, obs. D. Voinot ; AJDA 2016. 1839 ; Dr. envir.
2016. 331; Énergie-Env.-Infrastr. 2016, no 83, note Fichet ; BDEI déc. 2016, no 2152, concl. de
Lesquen. ; CE 29 septembre 2003 240938.
4
CA Grenoble, 31 mai 2012, RG 2011JC1854.
5
Cass. 3 civ. 8 juillet 2015, 13-25223.

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B. Personnes tenues de respecter le droit de l’environnement à l’ouverture


de la procédure collective

Désigner les personnes chargées de respecter le droit de l’environnement


suppose, d’une part, de déterminer si l’entreprise en difficulté est tenue de
certaines obligations environnementales et, si tel est bien le cas, d’autre part, de
délimiter la mission des organes de la procédure pour satisfaire à ces obligations.

S’agissant, en premier lieu, des obligations auxquelles serait tenue


l’entreprise en difficulté, il n’y a évidemment pas de corrélation automatique
entre le droit de l’environnement et le fait qu’un débiteur soit placé en procédure
collective. Le lien entre le droit des entreprises en difficulté et le droit de
l’environnement dépendra, en réalité, du type d’activité exercée (ou qui l’a été)
et des éventuelles nuisances en résultant. Si, par exemple, l’entreprise cesse
d’exercer une activité relevant de la qualification d’Installation classée pour la
protection de l’environnement (ICPE)6 elle devra remettre en état le site pollué
en tant que dernier exploitant7. A l’inverse, si le débiteur en procédure collective
est propriétaire d’un site sur lequel un tiers a exploité une ICPE, l’entreprise en
difficulté ne sera, dès lors, pas en charge de cette même obligation. Parfois le
régime juridique applicable dépendra soit de l’activité exercée, soit d’une
situation de fait, soit du comportement du débiteur. Il en est ainsi en matière de
déchets, le détenteur, c’est-à-dire, « le producteur des déchets ou toute autre
personne qui se trouve en possession des déchets »8 est tenu de les éliminer ou
de les valoriser9 et, en l’absence de détenteur connu, cette obligation sera
imputée au propriétaire du terrain de stockage « à moins qu'il ne démontre être
étranger au fait de leur abandon et ne l'avoir pas permis ou facilité par
négligence ou complaisance »10. On peut donc observer que, pour déterminer le

6
v. art. L. 511-1 et s. c. envir et la nomenclature des ICPE correspondante.
7
Pour une application en cas de confusion de patrimoine, v. TA Versailles, 22 juin 1999, SCI Essonne
c/ Préfet de l'Essonne: Mon. TP 3 déc. 1999, p. 111; RJ envir. 3/2000, p. 498. Seul le débiteur
exploitant peut être tenu de l’obligation de remise en état, v. CE 23 mars 2011, SA Progalva: req. no
325618 ; CE 8 sept. 1997, SARL Serachrom: Dr. adm. 1997, no 347; RJ envir. 1998. 416.
8
Art. L. 541-1-1 c. env.
9
Art. L. 541-2 c. env.
10
Civ. 3e, 11 juill. 2012, pourvoi n° 11-10.478, RTDI 2012, no 3, p. 29, obs. Billet ; AJDA 2012. 1436,
obs. Grand; D. 2012. 2182, obs. Parance; D. 2012. 2208, obs. Boutonnet; Envir. 2012. Fiche pratique 1,
par Herrnberger; Dr. envir. 2013. 60, note Borel; BDEI nov. 2013, no 1674, obs. Boutonnet. V. aussi,
CE 26 juill. 2011, Cne de Palais-sur-Vienne, req. no 328651: Envir. 2011, no 131, note Billet; AJDI
2012. 362, obs. Wertenschlag et Geib; RJEP 2012, no 26, p. 18, concl. Guyomar; RJ envir. 2012. 133,

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débiteur d’une obligation environnementale, il convient de se référer au droit de


l’environnement notamment aux concepts relevant de cette matière (exploitant,
détenteur, etc.). S’il apparaît que l’entreprise en difficulté est bien débitrice
d’une telle obligation à l’ouverture de la procédure collective se pose, ensuite, la
question de savoir quel doit être le rôle des organes de la procédure.

La réponse à cette question dépend bien sûr du type de mission confiée au


professionnel. Elle a été apportée à l’occasion du contentieux relatif aux arrêtés
préfectoraux enjoignant les entreprises en liquidation judiciaire de se conformer
à certaines mesures comme, par exemple, consigner une somme d’argent en vue
de la remise en état du site. Le Conseil d’Etat a rappelé récemment que que
«lorsque les biens du débiteur comprennent une installation classée pour la
protection de l'environnement dont celui-ci est l'exploitant, il appartient au
liquidateur judiciaire qui en assure l'administration, de veiller au respect des
obligations découlant de la législation sur les installations classées pour la
protection de l’environnement »11. Il en résulte que l’arrêté préfectoral de
consignation doit être adressé au liquidateur, une solution qui est conforme à la
règle du dessaisissement qui frappe le débiteur en liquidation judiciaire12. On
peut même ajouter que la notification au liquidateur de la mesure administrative
est une condition de son opposabilité à la procédure collective. Il a ainsi été jugé
que « l'arrêté de fermeture du site emportant obligation de dépolluer, intervenu
postérieurement à la mise en liquidation judiciaire de la société, n'avait pas été
notifié au liquidateur, la cour d'appel en a exactement déduit que l'obligation de
faire résultant de cet arrêté lui était inopposable »13. C’est aussi fort
logiquement que la jurisprudence a précisé que, lorsque l’administration met en
cause un liquidateur, elle se doit de respecter une procédure contradictoire14. De

obs. Jayat ; CE 25 sept. 2013, Sté Wattelez et a., req. no 358923 : AJDA 2013. 1887, note Poupeau ;
Envir. 2013, no 81, note Guérin; Dr. envir. 2014. 145, note Hedary; BDEI nov. 2013, no 1666 ; ibid.
févr. 2014, no 1712, concl. de Lesquen; ibid. févr. 2014, no 1713, note Le Roy-Gleizes ; CE 24 oct.
2014, Sté Unibail-Rodamco, req. no 361231: BDEI nov. 2014, no 1839 ; BDEI févr. 2015, no 1866,
concl. de Lesquen ; AJDA 2014. 2093 ; Dr. envir. 2014. 428 ; Énergie-Env.-Infrastr. 2015, no 19, note
Boda ; RJ envir. 2015. 506, note Audrain-Demey.
11
CE 28 septembre 2016, 384315, précit.
12
Art. L. 641-9 c. com.
13
Cass. com., 19 nov. 2003, n° 00-16.802 : D. 2004, p. 629, note D. Voinot.
14
CAA Bordeaux, 16 juin 2008, n° 06BX02039, qui annule un arrêté de consignation pour violation de
l’article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations
avec les administrations, texte qui organise une procédure contradictoire entre l’administration et
l’administré visé par une décision administrative individuelle.

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même, il a été admis que la décision administrative peut être adressée à


l’administrateur lorsque celui-ci exerce une mission d’administration. La
solution doit être bien sûr différente si l’administrateur n’a reçu qu’une mission
de surveillance et, sans doute aussi, de simple assistance15 et, a fortiori, s’il a
terminé sa mission16. D’une manière générale, la position de la jurisprudence a
conduit les professionnels de la procédure collective à une prise de conscience à
l’égard de la protection de l’environnement, leurs diligences en ce domaine
pouvant avoir une incidence sur leur responsabilité. A titre d’illustration on peut
citer un arrêt qui, pour écarter la responsabilité civile du liquidateur, relève qu’il
« avait exécuté en totalité les obligations particulières pesant sur lui aux termes
de l'arrêté préfectoral du 28 décembre 2010 et qu'il avait, conformément à
l'article R. 512-66-1 du code de l'environnement, réalisé la mise en sécurité du
site d'un point de vue environnemental et qu'aucune faute n'était établie à son
encontre »17. Dans une autre décision en revanche un administrateur a été
reconnu responsable en raison d’un défaut d’information sur la « législation
pertinente ». Il aurait dû « indiquer au repreneur potentiel l'irrégularité de la
situation de l'exploitation au regard de la législation relative aux installations
classées pour la protection de l'environnement »18. Il reste une question délicate
celle de la marge de manœuvre des professionnels en cas de d’impécuniosité ou
même de rareté des fonds disponibles dans le cadre de la procédure. Si
l’argument d’impécuniosité n’est pas opposable à l’administration quant à
l’existence de sa créance19, la jurisprudence administrative décide, avec
constance, «qu’il appartient à l’administration, pour obtenir le paiement des
sommes qui lui sont dues, de suivre les règles relatives à la procédure judiciaire

15
CAA Douai, 17 mars 2005, req. no 03DA00214 : Envir. 2005, no 60, obs. Gillig; JCP E 2006, no
1257, chron. Trébulle.
16
CAA Paris, 22 mars 2007, SCP Laureau-Jeannerot: Envir. juin 2007, no 125, obs. Gillig ; RJ envir.
2008. 476, chron. Schneider.
17
Cass. 3 civ. 23 février 2017 15-26101.
18
Cass. com., 30 novembre 2010, n° 09-71.954.
19
CAA Paris, 23 sept. 1999, Delestrade : Mon. TP 17 mars 2000, p. 87. Le mandataire liquidateur, mis
en demeure ès qualités de remettre un site en état, ne peut pas invoquer le caractère insuffisant de l'actif
de la liquidation pour supporter le coût de cette remise en état. V. cependant, CA Paris, 28 mars 2006,
RG 05/12523, « si le liquidateur était bien tenu du respect des dispositions du Code de l'environnement
lui imposant d'éliminer les déchets entreposés et de répondre à l'injonction préfectorale de remise en état
du site, son abstention ne peut être qualifiée de fautive, quand bien même il n'aurait pas satisfait à des
injonctions de l'administration, dès lors que cette abstention s'explique par la totale impécuniosité de la
procédure (…) ».

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applicable au recouvrement des créances »20. Cette position montre ainsi que le
droit des entreprises en difficulté n’est pas inféodé au droit de l’environnement.
En revanche l'ampleur des conséquences financières de cette opposabilité a
conduit à repenser le droit des entreprises en difficulté à la lumière du droit de
l’environnement montrant ainsi que le premier, loin d’être inféodé au second,
s’est plutôt révélé novateur.

II. Un droit novateur

Face aux problèmes liés à la protection de l’environnement le droit des


entreprises en difficulté s’est montré novateur à deux égards. D’une part il a fait
apparaître une nouvelle créance, la « créance environnementale » dont la
qualification est toujours discutée. D’autre part, les réformes successives ont
progressivement introduit des solutions nouvelles permettant ainsi de prendre en
compte les enjeux environnementaux tout en maintenant les objectifs du droit
des entreprises en difficulté.

A. Apparition de la créance environnementale

L’apparition de la créance environnementale est, sur un plan juridique, un


fait marquant de l’évolution du droit des entreprises en difficulté de ces trente
dernières années. Son apport à cette branche du droit des affaires doit être
souligné tant au plan pratique que théorique.

Sur un plan pratique, d’abord, la créance environnementale soulève la


question de sa qualification juridique. La réponse à cette interrogation n’est pas
simple en raison même de la diversité des créances environnementales21 :
créance de nature contractuelle lorsque le contractant s’engage à prendre en
charge la remise en état d’un site pollué22, créance de nature délictuelle lorsque,

20
CE 29 septembre 2003, 240938, précit.
21
C. Saint-Alary-Houin, La nature juridique de la créance environnementale : Rev. proc. coll. 2004,
p. 146. – D. Voinot, Le sort des créances dans la procédure collective, l’exemple de la créance
environnementale : RTD com. 2001, p. 581.
22
M. Boutonnet, Le contrat et le droit de l’environnement : RTD civ. 1/2008, p. 1.

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par exemple, un dirigeant n’a pas pris les mesures préventives nécessaires et
cause un dommage à autrui, créance de nature légale lorsque la loi exige du
dernier exploitant d’un site qu’il procède à la remise en état23. On aura bien
compris que si la créance environnementale a pour objet les atteintes à
l’environnement, ces sources sont diversifiées. C’est donc une certaine variété
qui caractérise cette créance même si, la plupart du temps, c’est l’administration
chargée de faire respecter le droit de l’environnement qui tente de faire valoir
ses droits en cours de la procédure collective. Ses demandes connaîtront des
issues variables selon que l’activité de l’entreprise en difficulté a cessé ou se
poursuit.

Lorsque l’activité cesse, laissant un site pollué, se pose évidemment la


question du financement de la dépollution et ce d’autant que les sommes issues
des réalisations d’actifs pourront se révéler insuffisantes pour désintéresser tous
les créanciers. D’où la question du caractère prioritaire ou non du paiement des
créances. Dans un premier temps, c’est-à-dire avant la réforme du droit des
procédures collectives par la loi du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des
entreprises, la Cour de cassation s’est prononcée sur la date de naissance de la
créance environnementale. Elle l’a fait à propos de la notification d’un arrêté
préfectoral de consignation d’une somme d’argent adressé à un liquidateur à qui
il était demandé une remise en état des sites. C’est dans ce contexte que la
juridiction régulatrice a été amenée à juger que la créance environnementale
« naît des arrêtés préfectoraux intervenus postérieurement à l'ouverture de la
procédure collective, obligeant la société à consigner les sommes répondant du
montant des travaux à réaliser »24. La solution retenue aboutissait, en l’espèce, à
qualifier la créance environnementale comme étant postérieure à l’ouverture de
la procédure ce qui, par suite, lui faisait bénéficier du privilège de la procédure
collective25. Dans un deuxième temps, c’est-à-dire après la réforme du droit des

23
« La charge de la dépollution d’un site industriel incombant au dernier exploitant et non au
propriétaire d’un bien pollué, la remise en état d’un site résultant d’une obligation légale particulière
dont la finalité est la protection de l’environnement et de la santé publique, est à la charge de la
locataire », Cass. 3e civ., 2 avr. 2008, n° 07-12.155 : Bull. civ. III, n° 63 ; D. 2008, p. 2472, obs. F.-
G. Trébulle. – V. Vidalens, Droit des affaires et développement durable : Rev. Lamy dr. aff. 11/2008,
repère 32-72.
24
Cass. com., 17 sept. 2002 : D. 2002, p. 2735, obs. A. Lienhard ; LPA 6 août 2003, p. 15, note
B. Rolland ; Act. proc. coll. 2002, comm. 221, obs. J. Vallansan ; JCP E 2003, n° 5, 197, note
D. Voinot. – Cass. com., 28 sept. 2004, n° 02-19348 : Environnement 2005, comm. 5, obs. D. Gillig.
25
Art. 40 L. 25 janv. 1985.

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entreprises en difficulté entrée en vigueur au 1er janvier 2006, il est apparu


nécessaire de tenir compte du nouveau critère d’attribution du privilège de la
procédure collective tel qu’il est prévu par l’article L. 622-17, I° du Code de
commerce. Selon ce texte,« les créances nées régulièrement après le jugement
d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période
d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant
cette période, sont payées à leur échéance »26. On peut ainsi observer que, si la
jurisprudence sur la date de notification de l’arrêté préfectoral n’a pas perdu de
son intérêt, elle est aujourd’hui insuffisante à qualifier la créance
environnementale en créance privilégiée. Pour bénéficier du privilège de la
procédure, cette créance doit aussi être née pour « les besoins du déroulement de
la procédure ou de la période d’observation ». Compte tenu de cette évolution,
on a pu se montrer plutôt réservée à l’idée que la créance environnementale
puisse bénéficier du privilège des procédures collectives même si certains
auteurs ont émis ce vœu27. L’hypothèse n’est toutefois pas complètement exclue.
C’est l’opinion du professeur Françoise Pérochon, pour qui il semble que « la
créance environnementale liée à la cessation de l’activité consécutive à la
liquidation naisse pour les besoins de la procédure puisqu’elle est issue
d’opérations dictées par ces besoins »28.

De même encore, on ne peut écarter cette qualification si, au cours de la


période d’observation, il apparaît que le respect des règles environnementales est
nécessaire à la poursuite de l’entreprise29. Dans ce cas le bénéfice du privilège ne
devrait être admis que pour l’activité poursuivie postérieurement à l’ouverture
de la procédure collective et, comme le propose le professeur Gérard Jazotte,
« au prorata de la durée de cette exploitation »30. En droit des procédures
collectives, la poursuite de l’exploitation peut aussi résulter soit de l’adoption

26
Pour la liquidation judiciaire, v. art. L. 641-13 c. com.
27
Pour une admission généralisée du privilège, V. L. Neyret et N. Reboul, Déclaration pour la
sauvegarde et la protection juridique de l'environnement : LPA 21 juin 2008, n° 168, p. 10. – Art. 8 :
« En cas de procédure collective, toute créance environnementale est assimilée à une créance postérieure
privilégiée et bénéficie donc d’un paiement prioritaire ».
28
F. Pérochon, Les créanciers postérieurs et la réforme du 26 juillet 2005 : Gaz. Pal. 8 sept. 2005,
n° 251, p. 57 ; v. égal. G. Jazotte, Le privilège des créanciers postérieurs. Quel périmètre ?, RLDA
suppl. mars 2005, p. 136 ; cpr. C. Saint-Alary Houin, Droit des entreprises en difficulté, 10ème éd. LGDJ,
2016, p. 417.
29
T. Soleihac et G. Legrand, Entreprises en difficulté et droit de l’environnement : une délicate
articulation : Rev. Lamy dr. aff. 3/2009, n° 36.
30
G. Jazotte, Le privilège des créanciers postérieurs. Quel périmètre ?, op. cit. p. 136.

248 | IFR Actes de colloques N° 30

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DENIS VOINOT

d’un plan de sauvegarde ou de redressement, soit du prononcé de la cession de


l’entreprise. Dans ces deux hypothèses, la position de la créance
environnementale est susceptible d’être confortée. Lorsqu’un plan de sauvegarde
ou de redressement est adopté, le débiteur redevient « maître de ses biens »31,
c’est donc à lui qu’incombe de satisfaire aux obligations environnementales,
mais c’est aussi à lui que doit s’adresser l’administration pour exiger le respect
de la réglementation32. S’agissant de la créance environnementale, il se peut
aussi que le préfet subordonne la poursuite de l’activité à la mise en conformité
aux règles du droit de l’environnement33. Dans ce cas, la pérennité du plan
dépend du respect de la mesure administrative et le juge doit en tenir compte
avant de prendre sa décision. Dans le cas d’une cession d’entreprise, la Cour
d’appel de Grenoble a jugé que la créance environnementale est utile à la
procédure collective « dès lors que les travaux de dépollution sont
incontestablement de nature à faciliter la cession totale ou partielle de
l'entreprise »34 ce qui rejoint l’opinion du professeur Corinne Saint-Alary-Houin
pour qui cette créance droit être privilégiée « dans le cas où la dépollution est le
préalable nécessaire à la cession de l’entreprise et peut être utile au déroulement
de la procédure »35. Il convient aussi d’observer que l’obligation
environnementale, en tant qu’obligation légale, continue ne cesse pas du jour où
l’entreprise est cédée, d’où la question cruciale de savoir qui se verra imputer le
passif environnemental. On sait que la cession d’entreprise est une opération
aléatoire36, il n’en reste pas moins que le cessionnaire ne saurait se voir imposer
plus de charges qu’il n’en a souscrit. Cette règle, qui est la conséquence normale
d’une opération forfaitaire, nécessite donc d’examiner les informations faites
préalablement à l’offre et la précision des engagements pris par le candidat à la
reprise et, selon les cas, cela permettra de mettre au compte du cessionnaire ou
du cédant le passif environnemental37. Quant à la question de savoir si pèse une

31
Cass. com., 16 sept. 2008, n° 07-13713.
32
B. Rolland, Procédures collectives et sites contaminés : Environnement oct. 2006, n° 10, 16.
33
D. Voinot, Colloque « Droit des entreprises en difficulté et protection de l'environnement », Univ.
Lyon II, 24 oct. 2003 : Rev. proc. coll. 2004, p. 141.
34
CA Grenoble, 31 mai 2012, RG n° 11/02571, Gaz. Pal. 12-13 oct. 2012, p. 24, obs. L. C. Henry.
35
C. Saint-Alary Houin, op. cit. n° 658, p. 401.
36
Cass. com., 22 oct. 1996 : D. 1997, somm. 5, obs. F. Derrida.
37
Cass. 3e civ., 18 juin 2008, n° 07-12.966, FS-P+B, arrêt n° 672, FS-P+B : D. 2008, act. jurispr. 1822,
obs. G. Forest, et chron. C. cass. 2742, spéc. 2746, obs. F. Nési ; RTD com. 2008, obs. C. Saint-Alary-
Houin ; Gaz. proc. coll. 2008, n° 3, p. 39, obs. D. Voinot.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 249

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DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

obligation d’information sur le mandataire, la réponse doit être nuancée. Il est


évident que le liquidateur ne saurait échapper à une obligation d’information en
application de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement dès lors que
l’activité de l’entreprise a cessé38. Ce texte ne paraît en revanche pas applicable
en cas de cession d’entreprise39.

Sur un plan théorique, ensuite, l’apparition de la créance environnementale,


a mis au jour une question intéressante et qui, à elle seule, mériterait une
recherche approfondie. Il s’agit de l’émergence au sein des procédures
collectives de « créances nommées » qui, à l’instar des contrats spéciaux,
relèverait d’un régime particulier. Outre les créances environnementales, on
pourrait y adjoindre les créances salariales, les créances fiscales ou encore les
créances alimentaires. Le point commun entre toutes ces créances est lié à leur
« qualité »40 particulière qui les fait relever d’un droit des créances spéciales
signe peut être d’une évolution de la notion de créance au sein du droit des
entreprises en difficulté.

B. Nouvelles solutions face aux questions environnementales

Le droit des procédures collectives est une branche du droit volontariste qui
a su évoluer en tenant compte des nouveaux impératifs liés à la protection de
l’environnement et ceci de deux manières.

A l’instar d’autre branches du droit, où la technique du soft law s’est


développée, cette évolution est d’abord venue de la pratique, et notamment des
administrateurs judiciaires et des mandataires à la liquidation des entreprises qui
ont pris conscience des enjeux cruciaux posés par la protection de
l’environnement. Cela a conduit les professionnels des procédures collectives à
collaborer avec l’administration à une meilleure compréhension et appréhension

38
Sur l’application de ce texte, v. D. Voinot, Cession de sites pollués, Rev. Proc. coll. 2015, p. 56.
V. cependant, CA Dijon, 22 avr. 2008, EURL Dex et SARL Sté Tancarville Sté Nouvelle et Didier
X., no 07-01552. AJDI 2009. 566, obs. Trébulle.
39
Puisque l’exploitation est en cours : V. Cass. 3e civ., 9 avr. 2008, n° 07-10795. L'alinéa 1er de
l'article L. 514-20, qui dispose que lorsqu'une installation classée soumise à autorisation a été exploitée
sur un terrain, le vendeur est tenu d'en informer par écrit l'acheteur, ne s'applique pas à la vente d'un
terrain sur lequel l'exploitation est en cours.
40
V. art. 2324 c. civ.

250 | IFR Actes de colloques N° 30

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DENIS VOINOT

des difficultés environnementales. Cette collaboration s’est traduite


concrètement par la rédaction d’un Guide à l’attention des mandataires
judiciaires et de l’inspection des installations classées41, élaboré conjointement
par le ministère de l’Écologie et du Développement durable et par le Conseil
national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires au
redressement et à la liquidation des entreprises. Le respect de ce guide n’a pas
d’incidence juridique particulière mais constitue, en quelque sort, un guide des
bonnes pratiques en ce domaine.

L’évolution est ensuite venue du pouvoir normatif qui a introduit des


dispositions environnementales au sein même du Code de commerce, dans le
livre VI consacré aux entreprises en difficulté. C’est ainsi qu’est apparue
l’obligation d’élaborer le bilan environnemental42 que « L'administrateur fait
réaliser » au cas « où l'entreprise exploite une ou des installations classées au
sens du titre Ier du livre V du Code de l'environnement (…) »43. Ce document est
utile pour l’élaboration du projet de plan qui doit tenir compte des « travaux
recensés dans le bilan environnemental »44. Des dispositions ont aussi été
introduites pour permettre de toucher au patrimoine d’un tiers en cas d’atteinte
portée à l’environnement. Ce fut le cas avant la réforme du 12 mars 2014
lorsque des mesures conservatoires étaient ordonnées en cas d’extension de
procédure pour confusion de patrimoine ou fictivité de la personne morale 45, ou
encore en cas de responsabilité du dirigeant de l’entreprise en redressement
judiciaire pour faute ayant conduit à la cessation des paiements46 ou encore pour
insuffisance d’actif en cas de redressement ou de liquidation judiciaires47. Le
Code de commerce prévoyait ainsi que si ces mesures « portent sur des biens
dont la conservation ou la détention génère des frais ou qui sont susceptibles de
dépérissement, le juge-commissaire peut en autoriser la cession (…) et
l’affectation des sommes (…) y compris pour assurer le respect des obligations

41
Ce guide a été réédité en 2012. Il comporte en annexe 2 un questionnaire à remplir en cas de
procédure collective. Une nouvelle version est en voie de finalisation.
42
B. Rolland, Les nouvelles incidences du droit de I'environnement sur le droit commercial (après la loi
n° 2003-699 du 30 juillet 2003) : JCP E 2004, 333. – D. Voinot, Le bilan environnemental dans la
procédure collective : Dr. env. déc. 2004, p. 280.
43
Art. L. 623-1 et L. 631-18 c. com ; Art. R. 623-2 et R. 631-18 c. com.
44
Art. L. 626-2 et L. 631-19 c. com.
45
Art. L. 621-2 c. com.
46
Art. L. 631-10-1 c. com.
47
Art. L. 651-4 c. com.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 251

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DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

sociales et environnementales résultant de la propriété de ces biens, si les fonds


disponibles du débiteur n'y suffisent pas »48. Cette mesure doit être rapprochée
des dispositions légales qui permettent une prise en charge du passif
environnemental pour une société mère soit de manière volontaire49, soit par le
biais d’une action spéciale en responsabilité dans le but de financer tout ou
partie des mesures de remise en état du ou des sites en fin d'activité50. Enfin, il
est encore possible d’évoquer le cas de clôture d’une procédure de liquidation
judiciaire « lorsque l’intérêt de [la] poursuite [de la procédure] est
disproportionné par rapport aux difficultés de réalisation des actifs résiduels »51.
L’actif résiduel pourrait correspondre à un terrain pollué dont le coût de
dépollution empêcherait la cession et, donc, la clôture de la procédure. En
définitive toutes ces avancées normatives illustrent un mouvement visant à
rendre compatibles entre eux les objectifs du droit des entreprises en difficulté et
du droit de l’environnement.

48
Art. L. 663-1-1 c. com.
49
Art. L. 233-5-1 c. com.
50
Art. L. 512-17 c. env.
51
Art. L. 643-9, c. com. Sur cette question, v. D. Voinot, Cession de sites pollués, précit.

252 | IFR Actes de colloques N° 30

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DROIT DU TRAVAIL
Le droit des entreprises en difficulté, droit
inféodé au droit du travail

Eugénie FABRIÈS-LECEA
Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole,
Centre de Droit des Affaires (CDA)

1. Une fois n’est pas coutume, le droit des entreprises en difficulté subit la loi
d’autres branches du droit. Il en va tout particulièrement ainsi du droit du travail
qui impose, depuis plus de trente ans, dans sa rencontre avec les entreprises en
difficulté, toute l’autorité de sa règlementation.

2. Pour comprendre la relation qui s’est tissée ces dernières années entre le
droit du travail et le droit des entreprises en difficulté, il faut remonter à la loi n°
85-98 du 25 janvier 1985. Le législateur de l’époque a souhaité intégrer à la
procédure collective tous ceux qui sont intéressés à son déroulement, et tout
particulièrement les salariés, rompant de la sorte avec une perception purement
financière de la faillite. Ce renouveau est présent dès le premier article de la loi
qui énonçait, dans sa rédaction d’origine, qu’ « il est institué une procédure de
redressement judiciaire destinée à permettre la sauvegarde de l’entreprise, le
maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement du passif ». La disposition
est importante car non seulement elle officialise la rencontre du droit des
entreprises en difficulté avec le droit du travail, mais fait du maintien de

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LE DROIT DU TRAVAIL

l’emploi le deuxième objectif poursuivi par le droit des entreprises en difficulté1.


A partir de là, la prise en compte des intérêts des salariés ne quittera plus le
déroulé et l’issue de la procédure collective2.

3. Parler de droit social dans un contexte de difficultés de l’entreprise, c’est


s’intéresser à la rencontre de deux droits protecteurs de la partie faible- le salarié
pour l’un, l’entreprise malade pour l’autre. De celle-ci, est née, non pas une
coordination des droits, mais une soumission du droit des entreprises en
difficulté au droit commun du travail. En effet, depuis la loi de 1985, c’est le
même droit du travail qui s’applique à l’entreprise, quelle que soit sa situation
économique et financière. De la sorte, les finalités de la loi sociale priment la
santé de l’entreprise. Depuis lors, aucune législation ultérieure, que ce soit en
droit du travail ou en droit des entreprises en difficulté, n’a remis en cause cette
vision, laissant penser que les contraintes imposées par le droit du travail
n’apparaissent pas comme impossibles à tenir, même en période de procédure
collective3.

4. Aujourd’hui encore, nombre d’auteurs considèrent que la vision unique qui


anime le droit du travail – que l’entreprise soit in bonis ou non – doit être
préservée4. La crainte de voir des opérateurs économiques tentés par des
comportements d’évitement si le droit des entreprises en difficulté leur offrait un
régime social sur mesure, et la crainte qui s’en suivrait d’un dumping social,
justifient pour beaucoup une telle approche5.

1
R. Houin, Rapp. Introductif, « Les innovations », RTD com. 1986, p. 11.- J. Cl. May, « La triple
finalité de la loi sur le redressement judiciaire », LPA 1987, n° 141, p. 18.- A. Lyon-Caen, Rapp.
Introductif, Toulouse, 1986, p. 1, fasc. J. Cl., n° 2710-3.
2
Envisagés comme une composante de l’entreprise, et intéressés à son maintien, la prise en compte des
intérêts des salariés est présente à tous les stades de la procédure collective : un représentant des salariés
est institué, un système de consultation et d’information des représentants du personnel est organisé, les
créances salariales sont privilégiées et super-privilégiées, et leur paiement est garanti par l’AGS, le
ministère public est, par son rôle accru, un défenseur des intérêts des salariés, et puis les salariés peuvent
se présenter en qualité de repreneur de l’entreprise en difficulté.
3
L. Driguez, « Licenciements économiques et procédures collectives : une nouvelle articulation gage de
sécurisation ? », Dr. soc. 2013, p. 995.
4
Op. cit.
5
Pour ces partisans, se placer « sous-main de justice » ne doit pas être vécu comme un moyen
d’échapper à ses obligations sociales, et notamment aux exigences de la procédure de grand
licenciement économique. Sur les aspects anticoncurrentiels de l’entreprise en difficulté, v. D. Fasquelle,
« L’incidence des difficultés des entreprises sur l’application des règles de concurrence », in Mélanges

254 | IFR Actes de colloques N° 30

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EUGENIE FABRIES-LECEA

5. Or, cette vision unique du droit du travail appliquée à l’entreprise, sans


distinction selon son état de santé, occulte une réalité, celle de la nécessité, pour
l’entreprise en difficulté, de procéder à des restructurations et donc à des
licenciements pour lui permettre de se redresser de manière pérenne6. Aussi, face
à l’urgence de la situation, certains auteurs jugent le droit commun du travail
inadapté à l’entreprise en difficulté, voire contreproductif7. Seule l’élaboration
d’un droit social spécifique aux entreprises en difficulté permettrait de répondre
aux finalités des procédures collectives, et aux exigences de célérité et de
sécurité qu’imposent de telles procédures8.

6. Dès lors, la question se pose de savoir si l’état de santé de l’entreprise


autorise une entorse à la loi sociale. A plusieurs reprises, le législateur a répondu
par la négative, n’opérant aucune distinction, en la matière, entre les entreprises
in bonis ou insolvens. Certes, il a pu être constaté, à une période, un
infléchissement de la loi sociale, autorisant notamment une adaptation de
certaines procédures et de certains délais, mais, à l’analyse, ces quelques
mesures demeurent insuffisantes, voire imparfaites. Aussi, c’est à une véritable
aliénation du droit des entreprises en difficulté à laquelle continue de s’adonner,
plus de trente ans après, le droit du travail.

7. Pourtant, l’enjeu est de taille. D’une part, l’application de la loi sociale sans
prise en compte de l’état de santé de l’entreprise, porte atteinte à l’effectivité
même du droit du travail. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les délais
imposés au liquidateur qui doit essayer de reclasser les salariés avant de les
licencier dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu’un plan de sauvegarde

Y. Serra, Dalloz, 2006, p. 159 ; J. Paillusseau, « Les effets anticoncurrentiels de la dette », RDIID éco.
1995, p. 237.
6
Lorsqu'une entreprise connaît des difficultés, l'expérience montre qu'elle dispose toujours d'un effectif
surdimensionné, avec bien souvent des salariés aux qualifications obsolètes. Les licenciements
deviennent alors inévitables, voire impératifs, pour permettre le redressement.
7
Table ronde « Les procédures collectives et les droits des salariés », Rev. proc. coll. 2011, n° 5,
Entretien 3.
8
V. « Droit social et procédures collectives », Actes du colloque organisé par l’AJDE le 14 octobre
2011, Rev. proc. coll. 2012, n° 1 ; C. Saint-Alary-Houin, « Le droit social dans les procédures
collectives : entre inadaptation, idéalisme et dévoiement ! », in « Droit social et procédures collectives »,
op. cit. ; A. Donnette, « Un pas de plus en faveur d’un droit du travail des entreprises en difficulté »,
Rev. proc. coll. 2013, étude 21.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 255

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LE DROIT DU TRAVAIL

de l’emploi est élaboré, suivant le jugement d’ouverture9, et qui se révèlent en


pratique impossibles à respecter10.

8. D’autre part, à l’heure où la Cour de justice de l’Union européenne permet


à un travailleur de se prévaloir de l’institution de garantie des salaires du lieu
d’ouverture de la procédure collective, à titre complémentaire ou substitutif, par
rapport à celle offerte par l’institution compétente, c’est-à-dire celle du lieu
d’exercice de l’activité salariale, la législation française risque fort de n’attirer
que les entreprises désireuses de se délester à bas coût de leur masse salariale, et
non, faute d’une législation sociale adaptée, les entreprises soucieuses de se
restructurer. Au-delà des enjeux financiers considérables que représente la
garantie des créances salariales, c’est l’attractivité de notre système juridique
même qui est en jeu.

9. Aussi, nombre d’auteurs appellent aujourd’hui de leurs vœux l’élaboration


d’un droit social spécifique aux entreprises en difficulté11. Or, d’aucuns diront
que les mesures sociales récemment adoptées et appliquées aux entreprises en
difficulté sont l’occasion manquée d’une réforme en profondeur du droit du
travail de l’entreprise en difficulté. Pourtant, l’on ne saurait ignorer les quelques
dispositions sociales qui font leur entrée en droit des entreprises en difficulté, ni
celles qui font l’objet d’un infléchissement au contact des procédures
collectives. Outre qu’elles sont prometteuses de l’émergence d’un droit social
des entreprises en difficulté en devenir, elles sont annonciatrices des nouvelles
orientations d’un droit du travail en quête d’identité.

10. Plan. A l’analyse, les exigences sociales sont maintenues à la hausse,


même dans un contexte de difficultés pour l’entreprise. Il en résulte que la loi
sociale continue de s’imposer avec toute son autorité, quel que soit l’état de
santé de l’entreprise (I). Pour autant, l’on ne saurait passer sous silence les

9
C. trav., art. L. 3253-8.
10
V. « Droit social et procédures collectives », op. cit., sp. A. Arseguel, « Droit du travail, droit
décapant : à propos du co-employeur », n° 6 ; E. Gall-Heng, « Une « subtilité complémentaire » dans
l’analyse de l’obligation de reclassement : la théorie du co-employeur », n° 8.
11
V. les différentes contributions in « Droit social et procédures collectives », op. cit. ; A. Donnette, « Un
pas de plus en faveur d’un droit du travail des entreprises en difficulté », Rev. proc. coll. 2013, étude 21 ;
D. Jacotot et L. Fin-Langer, « La naissance d’un droit social des entreprises en difficulté ? », Rev. proc.
coll. 2014, n° 2, dossier 24.

256 | IFR Actes de colloques N° 30

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EUGENIE FABRIES-LECEA

nouvelles mesures sociales modelées au contact des difficultés de l’entreprise,


qui témoignent d’une adaptation, certes encore à la marge, de la loi sociale (II).

I. De l’autorité de la loi sociale

11. Depuis plus de trente ans, le droit des entreprises en difficulté subit
l’autorité de la loi sociale. Cette approche n’est pas remise en cause par le
législateur contemporain qui continue d’affirmer, au fur et à mesure de ses
réformes, l’aliénation du droit des entreprises en difficulté (A). Cette rigueur
législative n’est pas sans susciter parfois une réaction du droit des entreprises en
difficulté, qui face aux distorsions de procédures engendrées, cherche à
s’émanciper (B).

A. L’aliénation pour principe du droit des entreprises en difficulté

12. De tout temps, le droit du travail s’est imposé à l’entreprise, sans distinguer
selon sa situation économique ou financière. Cette ignorance de l’état de santé
de l’entreprise a pour effet de soumettre celle-ci au respect des exigences
sociales de droit commun. Il en va ainsi notamment de la procédure des
licenciements économiques, voire des grands licenciements, qui s’appliquent au
cours d’une procédure de sauvegarde12. Il en va également de la compétence du
Conseil des prud’hommes qui est maintenue, malgré l’ouverture d’une
procédure collective, en cas de contestation par le salarié du relevé des créances
salariales établi par le mandataire judiciaire13, du non-paiement par l’AGS des
sommes dues, des critères d’ordre, du reclassement, de l’indemnisation ou de la
motivation de la lettre de licenciement14. Il en va aussi du sort des créances

12
La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 n'avance aucun traitement dérogatoire.
13
C. com., art. L. 625-1. C'est une différence majeure par rapport aux autres créanciers qui, lorsqu'ils
souhaitent contester la décision rendue par le juge-commissaire, doivent exercer la voie de recours
ordinaire que constitue l'appel devant la cour d'appel (C. com., art. L. 624-3).
14
La Cour de cassation juge que le Conseil des prud'hommes reste compétent en application de l’article
L. 1411-1 du Code du travail, pour les demandes formées par les salariés contre leur employeur, fût-il en
redressement ou en liquidation judiciaire, au regard de leur situation individuelle (Cass. soc., 3 oct.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 257

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LE DROIT DU TRAVAIL

salariales qui, par exception à l’article L. 622-7, I, du Code de commerce, ne


subissent pas l’arrêt des paiements, et doivent être payées immédiatement sur les
fonds disponibles. Il en va enfin des instances prud’homales en cours qui, par
dérogation aux articles L. 622-21 et L. 641-3 du Code de commerce, ne sont ni
suspendues ni interrompues en raison de l’ouverture de la procédure collective15.
Tout se passe donc comme si l’entreprise n’était pas économiquement
défaillante.

13. Cette vision unique du droit du travail, que l’entreprise soit in bonis ou non,
est encore aujourd’hui partagée par le législateur contemporain. En effet, la loi
du 8 août 2016, dite « loi Travail », ainsi que nombre de réformes avec elle, ont
été élaborées sur le seul paradigme de l’entreprise in bonis, sans se préoccuper
de l’entreprise en difficulté. Ainsi, la définition du motif économique ignore
toujours l’état de cessation des paiements de l’entreprise en procédure collective,
et les mesures sur la fermeture d’entreprise oublient l’éventuelle existence d’une
procédure collective16. Au-delà, la « loi Travail » fournit de nouveaux outils
pour les entreprises in bonis tels les accords de préservation ou de
développement de l’emploi17 qui viennent compléter les accords de maintien de
l’emploi, instaurés par la loi Sapin du 13 juin 2013, qui ne disparaissent pas. Or,
bien qu’ils ne soient pas destinés à l’entreprise en difficulté, ces nouveaux
accords offrent des perspectives intéressantes en matière de prévention ou de
traitement amiable des difficultés de l’entreprise. Ils permettent, en contrepartie
de l’engagement de l’employeur de ne pas licencier, de modifier non seulement
le salaire et la durée du travail, mais aussi les conditions de travail. L’intérêt de
ces accords est qu’ils peuvent être conclus en période de mandat ad hoc, de

1989, n° 88-42835). Cependant, le juge prud’homal ne peut apprécier le caractère économique du


licenciement dès lors que l'ordonnance du juge-commissaire est devenue définitive et que
l'administrateur y fait référence dans la lettre de notification de licenciement.
15
C. com., art. L. 625-3.
16
L. Fin-Langer et D. Jacotot, « La loi Travail et le droit des procédures collectives », Dr. soc. 2016, n°
121, Etude 17.
17
Ces accords doivent renfermer un préambule qui devra mentionner les objectifs à atteindre en matière
de préservation ou de développement de l'emploi, son absence étant sanctionnée par la nullité de
l'accord, à la différence des autres accords d'entreprise. Ces accords doivent prévoir les modalités
d'information des salariés sur leur application et celles prenant en compte la situation des salariés
invoquant une atteinte disproportionnée à leur vie. Pour être valables, ils doivent être signés par les
organisations représentatives ayant obtenu 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières
élections, le droit d'opposition étant supprimé. A défaut de délégué syndical, ils peuvent être négociés
par des salariés mandatés ou non, élus ou non.

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conciliation et de sauvegarde. En outre, en cas de refus du salarié de modifier


son contrat de travail18, l'employeur peut engager une procédure de licenciement,
qui reposera alors sur un motif spécifique, constituant une cause réelle et
sérieuse19, et la procédure à suivre sera celle du licenciement individuel pour
motif économique, quel que soit le nombre de salariés licenciés, sans qu'un Plan
de sauvegarde de l’emploi ne soit élaboré, ce qui peut se révéler très avantageux
pour une entreprise en difficulté20. Mais là s’arrête le parallélisme des situations-
in bonis ou insolvens- puisqu’en prévoyant une publicité de ces accords dans
une base de données, la « loi Travail » oublie de prendre en compte le caractère
confidentiel du mandat ad hoc et de la conciliation.

14. Si la plupart des mesures sociales adoptées pour l’entreprise in bonis sont
viables lorsque l’entreprise connaît des difficultés, un certain nombre d’entre
elles sont en revanche inadaptées aux finalités des procédures collectives, et aux
impératifs de temps imposés par de telles procédures. Le droit des entreprises en
difficulté laisse alors parfois nombre d’exigences sociales inappliquées. Aussi,
ponctuellement, le droit des entreprises en difficulté s’émancipe de l’autorité de
la loi sociale.

B. L’émancipation pour exception du droit des entreprises en difficulté

15. Le choix législatif de ne pas tenir compte des difficultés des entreprises
pour édicter la loi sociale, conduit souvent à des distorsions de procédures
dénoncées par les praticiens et la doctrine21. Il en résulte que, dans ces cas-là, les
mesures sociales sont malmenées, soit qu’elles sont en pratique peu respectées,
faute de pouvoir être correctement mises en œuvre, soit qu’elles sont
expressément écartées par une mesure législative.

18
La loi exige un écrit, sans fixer de délai, ce qui ne manquera pas de soulever des difficultés en
pratique.
19
Cette précision évacue le contentieux de la cause réelle et sérieuse, la loi posant son existence.
20
De plus, lors de l'entretien, l'employeur doit proposer le dispositif d'accompagnement personnalisé, et
non le congé reclassement.
21
Sur ces dysfonctionnements, v. « Droit social et procédures collectives », op. cit. ; Table ronde « Les
procédures collectives et les droits des salariés », op. cit.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 259

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16. C’est ainsi, d’abord, qu’en pratique, la loi sociale reste parfois inappliquée.
Il suffit de songer à la situation du liquidateur qui doit procéder aux
licenciements dans les quinze jours suivant le jugement d’ouverture de la
liquidation judiciaire22. L’une des difficultés consiste alors à respecter, dans ce
délai, les délais légaux de convocation et l’obligation de reclassement23, ce qui
se révèle dans les faits presque impossible. Une autre difficulté est de
déterminer, dans le même temps, l’effectif présent dans l’entreprise24 pour
permettre une prise en charge des salariés licenciés par l’AGS. Là encore les
professionnels se heurtent au bref délai imparti, et exposent fréquemment leur
responsabilité en cas de non-respect. Dans le même sens, il est possible de
rappeler la situation du repreneur qui se manifesterait tardivement, soit en
période de liquidation judiciaire, à la fin de la poursuite de l’activité. Ici, la
reprise d’entreprise sera soumise aux dispositions légales de la vente de gré à
gré, et, dans ce cas, le repreneur devra reprendre tout le personnel, toute
dérogation à l’article L. 1224-1 du Code du travail sur le maintien de plein droit
des contrats de travail au profit de l’acquéreur de l’entreprise, devenant alors
impossible25. De telles obligations risquent fort de décourager le repreneur, et
resteront à n’en pas douter lettres mortes.

17. C’est ainsi, ensuite, que la loi sociale est parfois expressément écartée. A
cet égard, il est possible de mentionner la mise à l’écart, dans les plans de
cession organisés par le Code de commerce, de l’article L. 1224-1 du Code du
travail, ce qui permet au repreneur de choisir le nombre de salariés repris, selon
les qualifications, en respectant la procédure d’ordre. De même, peut être
évoquée l’exclusion pour les grandes entreprises en redressement ou liquidation
judiciaire, de l’obligation de proposer à chaque salarié dont le licenciement

22
C. trav., art. L. 3253-8. En présence d’un PSE, le délai est porté à 21 jours.
23
Dans le prolongement, la loi Macron du 6 août 2015, qui aménage la règle relative au reclassement à
l'étranger, ne distingue pas selon la santé économique de l’entreprise, la difficulté résidant alors dans la
recherche de reclassement dans des délais contraints.
24
Parfois le dirigeant est persuadé d’avoir rompu un contrat de travail par le fait d’avoir indiqué au
salarié qu’il ne faisait plus partie de l’entreprise, mais juridiquement il est toujours lié à l’entreprise
même s'il ne se présente plus au travail. Parfois encore le dirigeant n’a pas pensé aux salariés qui ne sont
pas présents physiquement, mais qui font partie de l'effectif, soit qu’ils sont en congé parental ou en
disponibilité.
25
La situation est ici différente de celle prévue dans le cadre des plans de cession.

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économique est envisagé, un congé de reclassement26. Enfin, peut être citée


l’éviction, en cas de procédure collective, de la sanction de la nullité du
licenciement économique pour absence ou insuffisance du PSE27. Cette mesure
dérogatoire pour l’entreprise en difficulté porte cependant en germe une
aberration, celle de rendre ipso facto inapplicable le délai de prescription de 12
mois dans lequel est désormais enfermé ce contentieux en droit commun du
travail lorsque la notification du licenciement le mentionne28, et de soumettre
l’action du salarié au délai de prescription de 5 ans en application de l’article
2224 du Code civil, ce qui est source de grande insécurité.

18. A n’en pas douter, c’est à l’émergence d’une véritable exception de


l’entreprise en difficulté à laquelle est aujourd’hui confrontée la loi sociale. Une
telle orientation sous-entend que le droit commun du travail constituerait un
obstacle au sauvetage de l’entreprise en difficulté, et devrait s’effacer au nom
des finalités du droit des entreprises en difficulté. Il y aurait alors là une
inversion des rapports : le droit des entreprises en difficulté serait érigé en
« droit primaire », accompagné d’un « droit spécial du travail » devenu un
« droit secondaire »29. Or, la loi ne saurait placer les justiciables dans une telle
situation qui engendre une érosion de la protection sociale à laquelle ils peuvent
aujourd’hui prétendre. Aussi, c’est une autre voie, ouverte par des réformes
législatives récentes, qui doit être préférée, celle d’une adaptation de la loi
sociale à la santé de l’entreprise30.

26
C. trav., art. L. 1233-75. Sont visées les entreprises employant au moins 1 000 salariés ou qui
appartiennent à un groupe soumis à l'obligation de mettre en place un comité de groupe ou un comité de
groupe européen.
27
C. trav., art. L. 1235-10. Faute de pouvoir demander leur réintégration, les salariés ne percevront que
des dommages-intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse.
28
C. trav., art. L. 1235-7.
29
V. Leloup-Thomas et D. Jacotot, « Le droit social des entreprises en difficulté ? », Rev. proc. coll.
2014, n° 4, dossier 38.
30
C'est un vœu qui rejoint la demande des employeurs exprimée lors du Pacte de
responsabilité : « Assouplissons notre Code du travail dont la lourdeur et la complexité sont devenues
des obstacles à la mobilité sociale et à la croissance d'une société innovante, sécurisons enfin la vie des
entreprises, apportons des mesures de simplifications concrètes ».

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 261

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II. À l’adaptation de la loi sociale

19. Certaines réformes législatives récentes- loi Sapin du 13 juin 2013,


ordonnance du 12 mars 2014, loi Macron du 6 août 2015- ont élaboré des
dispositions sociales spécifiques à l’entreprise en difficulté. Ces dernières ne
font pas du droit des entreprises en difficulté un droit dérogatoire à la loi sociale,
mais adaptent les mesures de cette dernière aux exigences des difficultés de
l’entreprise, dans le respect de l’esprit protecteur des droits des salariés. Bien
qu’en gestation, ce droit social de l’entreprise en difficulté ne saurait être ignoré
(A). De là, la question se pose de savoir si cet événement restera isolé, ou s’il est
annonciateur d’une ère sociale nouvelle pour l’entreprise en difficulté (B).

A. La gestation d’un droit social de l’entreprise en difficulté

20. Le législateur contemporain a récemment ouvert la voie à l’élaboration


d’un droit social adaptée aux difficultés de l’entreprise. C’est ainsi, qu’à tour de
rôle la loi Sapin du 13 juin 2013, l’ordonnance du 12 mars 2014 et la loi Macron
du 6 août 2015, ont modelé la loi sociale aux exigences de célérité et de sécurité
qu’imposent les procédures collectives. Bien qu’insuffisantes, et encore
imparfaites, ces mesures n’en présentent pas moins un grand intérêt pour
l’entreprise en difficulté.

21. D’une part, la loi sociale a été adaptée aux impératifs de temps dictés par la
procédure collective. C’est ainsi que certains délais ont été raccourcis, d’autres
instaurés. De la sorte, la procédure d'information et de consultation des
institutions représentatives du personnel a été adaptée pour s'inscrire dans le
calendrier fixé par le tribunal de la procédure collective. Ainsi, l'avis du comité
d'entreprise et, le cas échéant, du CHSCT est rendu au plus tard le jour ouvré
avant l'audience qui statue sur le plan de redressement ou de cession incluant des
licenciements31. En liquidation judiciaire, la consultation doit être menée dans
les douze jours du jugement de liquidation32. De plus, en redressement ou

31
C. com., art. L. 631-19, III, et art. L. 642-5.
32
C. com., L. 641-4.

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liquidation judiciaire, l’exigence de deux réunions des IRP passe à une seule33.
Au-delà, le délai dont dispose la DIRECCTE pour notifier à l’employeur sa
décision34 - soit quinze jours pour la validation de l’accord collectif et vingt et un
jours pour l’homologation de l’acte unilatéral de l’employeur- est ramené à huit
jours dans le cadre d’un plan de sauvegarde ou de redressement35, et à quatre
jours lors d’un plan de cession ou d’une liquidation judiciaire36. Il est regrettable
que les brefs délais retenus soient identiques qu’il s’agisse d’examiner un accord
collectif ou un document unilatéral, alors même que le contrôle est plus
substantiel dans ce dernier cas37. En outre, un délai de 1 mois pour licencier,
inexistant en droit commun, est instauré en procédure collective, lequel
correspond à celui de la garantie de l'AGS38. Enfin, une disposition spécifique a
été insérée permettant non seulement à l’employeur de modifier le contrat de
travail pour motif économique lorsque l’entreprise est en redressement ou
liquidation judiciaire, mais surtout de réduire le temps imparti laissé au salarié
pour se prononcer qui passe de 1 mois à 15 jours39.

22. D’autre part, la loi sociale a été adaptée aux finalités des procédures
collectives, et aux impératifs de sécurité qu’elles imposent. C’est ainsi
notamment que la rupture du contrat d’apprentissage a été modifiée.
Auparavant, celle-ci ne pouvait, une fois les 2 premiers mois écoulés, qu’être
judiciaire et pour certains motifs énumérés par la loi, ce qui en période de
liquidation judiciaire sans poursuite d'activité, contraignait le mandataire à
désobéir à la loi. Désormais, le législateur autorise une rupture anticipée du
contrat et le versement pour l’apprenti de dommages-intérêts d’un montant au

33
C. trav., art. L. 1233-58. Mais, si ce dernier entend être assisté par un expert, deux réunions devront
être organisées.
34
La décision de la DIRECCTE doit intervenir avant la notification des licenciements, sinon ces
derniers sont irréguliers, et non nuls ; le salarié a droit à une indemnité au moins égale aux six derniers
mois de salaires et ne peut demander sa réintégration.
35
C. com., art. L. 626-1 et art. L. 631-19. Contrairement au droit commun, ce délai ne commence à
courir qu’à compter de la réception de la demande qui est postérieure au jugement arrêtant le plan de
sauvegarde (L. 1233-58, III, du Code du travail et L. 631-19 du Code de commerce) ou de cession (C.
com., art. L. 642-5).
36
C. com., art. L. 642-5, et C. trav., art. L. 1233-58, II.
37
Egalement en ce sens, L. Driguez, « Licenciements économiques et procédures collectives : une
nouvelle articulation gage de sécurisation ? », op. cit.
38
C. trav., art. L. 3253-8. Le délai court à compter du jugement.
39
C. trav., art. L. 1233-60-1.

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moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat40.
C’est ainsi encore que la récente obligation d’information des IRP en procédures
préventives41 s’infléchit à l’aune de l’impératif de confidentialité qu’impose la
réussite de ces procédures. En effet, en procédure de conciliation, l’information
sur le contenu de l’accord ne s’impose qu’au moment où le débiteur demande
l’homologation de l’accord, soit lorsqu’il est en passe de sortir de la
confidentialité42. Et récemment, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de
la justice du XXIe siècle, précise que le débiteur n’est pas tenu d’informer les
IRP de la désignation d’un mandataire ad hoc ou de l’ouverture de la procédure
de conciliation. Bien que soucieuses des finalités des procédures amiables, ces
restrictions n’en demeurent pas moins imparfaites. Ainsi, eu égard aux missions
du conciliateur, une information du comité d’entreprise sur sa désignation
devrait s’imposer43. Plus largement, en présence d’un accord simple ou constaté,
ou d’un mandat ad hoc, l’exigence d’information du comité d’entreprise issue
du Code du travail devrait pouvoir être assurée au moyen de l’obligation de
confidentialité imposée à toute personne appelée à la procédure de conciliation
ou à un mandat ad hoc44, et de l’obligation de discrétion qui s’impose à lui pour
toutes informations revêtant un caractère confidentiel, et présentées comme
telles par le chef d’entreprise45. Ainsi, seulement, pourrait être atteinte une
association permanente des salariés au sort de l’entreprise, et une protection
accrue de leurs droits.

23. Malgré les interventions législatives qui placent les mesures sociales sous le
temps de la procédure collective, et en adaptent les mesures, les contours d'un
véritable droit social de l’entreprise en difficulté sont encore mal dessinés. Au-
delà, leur insertion tantôt dans le Code de commerce, tantôt dans le Code du
travail, voire dans les deux corpus, nuit à leur accessibilité et intelligibilité.
Aussi, la question se pose de savoir si ces quelques mesures sociales, souvent

40
C. trav., art. L. 6222-18. Le domaine de cette disposition spéciale est néanmoins source
d'interrogations : pourquoi ne s'applique-t-elle qu'en liquidation judiciaire ? Pourquoi des « dommages-
intérêts » (qui traditionnellement réparent un manquement ayant causé des préjudices) alors que la
rupture est légalement autorisée ?
41
C. com., art. L. 611-8-1.
42
Cette mesure devrait permettre aux IRP de formuler toutes remarques sur le contenu de l’accord lors
de leur audition par le tribunal en vue de l’homologation.
43
E. Fabriès-Lecea, « Quels nouveaux droits pour les salariés ? », Droit et Patrimoine 2014.
44
C. com., art. L. 611-15.
45
C. trav., art. L. 2325-5.

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imparfaites, resteront un phénomène sans suite ou si elles annoncent une ère


sociale nouvelle pour l’entreprise en difficulté.

B. Une nouvelle ère sociale pour l’entreprise en difficulté ?

24. Alors que certaines réformes ont ouvert la voie à l’élaboration d’un droit
social de l’entreprise en difficulté, d’autres l’ont refermée. Pourtant, un tel droit
pourrait prendre appui sur la position unanime de la Cour de cassation et du
Conseil constitutionnel, propices à son développement. Surtout, il serait
l’occasion de penser l’adoption de mesures sociales spécifiques à chaque stade
des difficultés de l’entreprise.

25. Par deux décisions46, la chambre sociale refuse de transmettre la question


prioritaire de constitutionnalité au motif que la question posée ne présente
pas un caractère sérieux, et juge ainsi acceptable l’obligation de reclassement
préalable au licenciement d’un salarié pour motif économique, tout en obligeant
le liquidateur à procéder au licenciement du salarié dans un délai de 15 jours à
compter du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire. En outre, par une
décision du 28 mars 201347, le Conseil constitutionnel déclare l'alinéa 3 de
l'article L. 1235-10 du Code du travail conforme à la Constitution, et ce faisant
considère que les obligations de l’employeur peuvent être autres et les droits des
salariés limités, dès lors que ce choix est dicté par une situation différente, telle
que le redressement ou la liquidation judiciaires ou l’intervention de l’AGS. Il
en résulte que l’absence de présentation du PSE aux représentants du personnel
sanctionnée par la nullité du plan, laquelle entraîne la nullité des licenciements,
ne s’applique pas aux entreprises en redressement ou liquidation judiciaire. Les
salariés ne peuvent donc pas demander leur réintégration et ne pourront
prétendre qu’à une indemnité. Cette différence de traitement est, pour le Conseil
constitutionnel, acceptable dès lors que ces différences sont en rapport direct
avec l’objet de la loi. Sur ce point, la situation des entreprises en cessation des
paiements apparaît comme un critère objectif et rationnel en lien direct avec la
mesure sociale. En outre, l’encadrement judiciaire des licenciements prononcés

46
Cass. soc., 6 oct. 2011, n° 11-40.057 ; Cass. soc., 19 avr. 2013, n° 13-40.006.
47
Cons. const., 28 mars 2013, n° 2013-299 QPC, D. 2013, p. 925 ; Constitutions 2013, p. 238, obs.
C. Radé et P. Gervier.

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en procédure collective constitue une garantie susceptible de préserver les


intérêts des salariés.

26. Fort de ces solutions, l’élaboration d’un droit social de l’entreprise en


difficulté pourrait trouver ici la légitimité à son développement. Ce dernier
permettrait de maintenir les exigences sociales à la hausse tout en prenant en
compte les impératifs de célérité et de santé financière de l’entreprise. Surtout,
les exigences sociales pourraient être modulées en fonction des difficultés de
l’entreprise. Ainsi, l’adoption d’une procédure de licenciement, voire de grand
licenciement, adaptée à la procédure de sauvegarde de l’entreprise, sur un
modèle proche de celle pratiquée en redressement ou liquidation judiciaire48,
pourrait voir le jour. Le critère à prendre en compte ne serait plus comme
aujourd’hui l’état de cessation des paiements, mais le caractère judiciaire de la
procédure ouverte et l’ampleur des difficultés rencontrées par l’entreprise49. De
la même manière, il serait possible d’adapter la procédure de licenciement du
salarié protégé, tant réclamée par les professionnels. Si le maintien de
l’autorisation de l’inspecteur du travail pour licencier un salarié protégé peut se
comprendre en redressement judiciaire50, une telle exigence apparaît
inappropriée en liquidation judiciaire avec arrêt total de l’activité, dès lors
qu’elle conduit à faire perdurer l’entreprise. Enfin, ce serait l’occasion d’affiner
les finalités du droit social de l’entreprise en difficulté qui, dans son esprit
protecteur des droits des salariés, devrait permettre une indemnisation du salarié
lorsque la réintégration du salarié ou le maintien du contrat de travail serait
impossible.

27. En conclusion, après plus de trente ans de relation, le droit commun du


travail continue d’imposer toute l’autorité de sa règlementation à l’entreprise en
difficulté. Pourtant, les récentes avancées sociales vers la prise en compte de la
réalité des difficultés de l’entreprise et des spécificités de la procédure
collective, ne sauraient être passées sous silence. Outre qu’elles sont
prometteuses d’un droit social adapté à l’entreprise en difficulté, d’autant plus
souhaitable que la protection sociale à laquelle les salariés peuvent aujourd’hui

48
Il s’agit d’une procédure simplifiée qui repose sur l’autorisation du juge-commissaire.
49
L’entreprise en sauvegarde est celle qui « sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés
qu’elle n’est pas en mesure de surmonter » (C. com., L. 620-1).
50
Le contrôle de l'inspecteur du travail demeure ici nécessaire pour éviter des "règlements de comptes"
au sein de l'entreprise, dès lors qu’une partie des salariés va être conservée et une partie va être licenciée.

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prétendre doit demeurer à la hausse, ici sans doute plus qu’ailleurs, elles sont,
peut-être, annonciatrices d’une nouvelle ère sociale pour les entreprises
défaillantes économiquement. Il en va de la finalité même du droit du travail
appliqué à l’entreprise.

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L’essor de la prévention

Hélène POUJADE
Maître de conférences à l'Université Toulouse Capitole,
Centre de Droit des Affaires (CDA)

La prévention. Emprunté au latin praeventio, le terme de prévention


désigne l’ensemble « des mesures et institutions destinées à empêcher – ou au
moins à limiter – la réalisation d’un risque, la production d’un dommage,
l’accomplissement d’actes nuisibles, etc, en s’efforçant d’en supprimer les
causes et les moyens »1. Par métonymie, il désigne l’ensemble des organismes
chargés de concevoir et de mettre en oeuvre ces mesures. Ce « concept
moderne »2 trouve à s’appliquer dans de nombreux domaines. Ainsi, la
prévention apparaît notamment dans le lexique médical, militaire, mais encore
en matière de protection de la nature, de la santé, de la sécurité du travail. En
revanche, il apparaît délicat de l’accommoder du carcan juridique qu’on lui
prête. Bien qu’elle soit l’enjeu d’une considération constante du législateur,
comme en témoignent les nombreux intitulés de loi qui y renvoient3, la
prévention n’est en effet l’objet d’aucune définition de nature à la faire accéder
au rang de notion. Ce silence a d’ailleurs conduit certains auteurs à prétendre
qu’elle ne serait « guère l’affaire des juristes », dans le sens où elle dépendrait
« plus de la prudence, que de la loi »4.
1
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association H. CAPITANT, PUF, 2016.
2
J.-B. DRUMMEN, « L’intervention du juge de la prévention : conflits et autres difficultés », Gaz. pal.
mai-juin 2008, spéc. p.1735.
3
Voir not. : Arrêté du 10 mai 2017 définissant les zones géographiques dans lesquelles le transport ou
l'utilisation des appelants pour la chasse au gibier d'eau sont autorisés ; Décret n° 2017-780 du 5 mai
2017 relatif aux plans de prévention des risques technologiques ; Arrêté du 5 mai 2017 portant
nomination au conseil d'administration du fonds chargé du financement des droits liés au compte
personnel de prévention de la pénibilité.
4
Y. GUYON, Droit des affaires 2, Entreprises en difficultés, 6e éd., Economica, p. 147.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 271

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L’ESSOR DE LA PRÉVENTION

Pourtant, du moment que l’idée de prévention, dont l’anticipation est le


synonyme, devient le moyen de s’emparer de l’écoulement du temps pour mieux
le dominer, elle interpelle le droit en tant que « science d’organisation »5. Il n’est
dès lors guère surprenant que la technique juridique la convoque en son sein.

Or, si l’émergence d’un concept en droit est dictée par un besoin, c’est à la
fonction de la prévention qu’il convient de s’intéresser.

La prévention des difficultés des entreprises. Ce n’est pas un hasard si la


percée conceptuelle de la prévention dans l’antre de l’activité économique
accompagne le passage « du droit de la faillite au droit des entreprises en
difficulté »6 pour en devenir l’une des caractéristiques essentielles. Certes, elle
n’avait pas sa place dans le traditionnel droit des faillites, dont la visée
principale était d’organiser la liquidation d'entreprises moribondes. Au contraire,
parce qu’il incarne des objectifs ambitieux, en faisant du redressement des
entreprises la clé de voûte de son système, le droit contemporain des entreprises
en difficulté a été conduit à repenser les moyens de sa mise en œuvre. Changeant
de trajectoire, l’accent a alors été mis sur l’anticipation.
Cette idée de prévenir la faillite trouve ainsi sa raison d’être dans les motivations
du débiteur, du créancier et du législateur, lesquelles ont été largement relayées
par des initiatives privées auprès de certains tribunaux de commerce7. Tous sont
unanimes pour reconnaître ses mérites malgré le constat d’échec qui accable la
matière8. La meilleure façon de résoudre les difficultés des entreprises n’est-elle
pas « de les tuer dans l’œuf »9 ? La prévention s’est alors imposée comme une
évidence. Elle n’a jamais été démentie depuis lors, jusqu’à faire de la France un
« pays modèle » en ce domaine10.

5
J. PAILLUSSEAU, « Le droit est aussi une science d’organisation », RTD com. 1989, n° 1, p.5.
6
Ibid., « Du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté (ou quelques réflexions sur la
renaissance (?)... d’un droit en dérive) », in Études offertes à R. HOUIN, D. Sirey, 1985, p.109.
7
Sur la mise en place de cellules de détection des difficultés des entreprises, voir : P.-M. LE CORRE,
Droit et pratique des procédures collectives, D. Action, 2017-2018, spéc. n° 120.09.
8
Ph. PETEL, Procédures collectives, Dalloz, 8ème éd., 2014, p.11 et s.
9
F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, LGDJ, 10ème éd., n° 38, spéc. n° 41.
10
J. ERNST DEGENHARDT, « Le droit français est-il conforme à la proposition de directive
européenne du 22 nov. 2016 visant à harmoniser le droit des procédures collectives ? », BJE 1er mars
2017, n° 2, p.153, I. A. Sur les exemples étrangers, voir not. : le « company voluntary arrangement », le
« scheme of arrangement » au Royaume-Uni, le « concurso » en Espagne, l’« administrazione
controllata » en Italie.

272 | IFR Actes de colloques N° 30

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Ainsi, à la veille d’une nouvelle réforme inspirée par le droit européen, il


est permis de s’interroger sur l’essor de la prévention en droit des entreprises en
difficulté.

L’émergence de la prévention en droit des entreprises en difficulté. A


l’échelle du droit des faillites, son essor est relativement récent. Issue de la loi
n°84-148 du 1er mars 1984 et de son décret d’application n°85-295 du 1er mars
1985, la prévention des difficultés procède cependant d’une lente gestation.
Contenue dans les lettres de répit et les défenses générales inscrites au Titre IX
de l’ordonnance de 1673, perceptible dans les différentes dispositions
transitoires qui ont occupé la première moitié du XXème siècle11, la prévention
des difficultés des entreprises s’est faite plus visible dans l'ordonnance n°67-820
du 28 septembre 196712. A l’appui d’un intitulé prometteur, ce dispositif
« tendant à faciliter le redressement économique et financier de certaines
entreprises » consacre une procédure de suspension provisoire des poursuites
réservée à celles qui, bien qu’étant dans une situation financière difficile, n’est
pas « irrémédiablement compromise ». Est ainsi amorcée la première procédure
« de type préventif »13, puisqu’intervenant en amont de la cessation des
paiements. Quoiqu’elle ait été un échec, cette tentative n’en demeure pas moins
riche d’enseignements. Elle a notamment offert aux rédacteurs de la réforme
menée en 1984 un terreau fertile pour repenser les enjeux de la prévention.

Car, loin de se fondre dans le creuset originel des instruments de détection


ou de traitement amiable de ces difficultés, la prévention a investi un champ
d’action plus vaste. Assurément, l’expansion de son domaine oblige à en
redessiner les contours en interrogeant les classifications préétablies (I). Au-
delà, elle invite à rendre compte de l’instrumentalisation qui en est faite dès lors
que les solutions qu’elle promeut n’ont de cesse d’être repensées,
perfectionnées, au service du traitement de la défaillance des entreprises (II).

11
Sur les précédents, voir not. : J.-L. VALLENS, Lamy droit commercial, L’entreprise en difficulté, éd.
Lamy, 2017, spéc. n° 2722.
12
(art. 14) A. MARTIN-SERF, « L’évolution législative et les conflits », Gaz. pal. mai-juin 2008,
p.1696.
13
F. PEROCHON, op. cit. spéc. p.23 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté,
LGDJ, coll. Domat, 10ème éd., spéc. n° 36, p.34.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 273

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I. L’expansion de la prévention

Le bornage. Malgré des intitulés riches de sens, aucune des réformes qui se
sont succédées depuis la loi n°84-148 du 1er mars 1984 « relative à la prévention
et au règlement amiable des difficultés des entreprises »14 n’a pris soin de définir
la prévention. C’est donc admettre que, par elle-même, la prévention ne produit
aucun effet. Elle caractérise seulement certaines techniques pouvant être mises
en œuvre afin de prévenir, organiser, sécuriser la situation juridique des
entreprises en difficulté. Or, ces techniques n’ont cessé de se diversifier,
notamment depuis qu’elles accueillent la procédure de sauvegarde autour de
laquelle se cristallise la plupart des préoccupations, y compris européennes15.
Pour autant, les espoirs que porte la prévention en tant qu’« horizon à
atteindre »16 ne doivent pas conduire à son hypertrophie. De même que la nature
a horreur du vide, le juriste doit légitimement se méfier des trop-pleins. Dans ce
but, « il faut tâcher de lui poser d’avance des bornes extrêmes, qu’on ne lui
permettra jamais de franchir ; mais on doit se garder de trop gêner son essor
dans l’intérieur des limites permises »17. Car définir avec précision les critères de
son accessibilité, en plus de rassurer un chef d’entreprise peu enclin à solliciter
l’aide du tribunal, répond en outre au souci européen d’harmonisation des
procédures préventives18 afin de rendre les droits nationaux plus prévisibles pour
les créanciers et investisseurs.

14
Ordonnance n° 2014-1088 du 26 septembre 2014 ; Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 ;
Décret n° 2005-747 du 1er juillet 2005 ; Circulaire du 26 novembre 2004 ; Loi n° 94-475 du 10 juin
1994 ; Loi n° 84-148 du 1 mars 1984.
15
Elle semble conforme aux mesures de « restructuration préventive » avancées dans la proposition de
directive (Prop. Dir. (UE), 22 nov. 2016, COM (2016) 723 final – art. 4 et s.), comme aux mesures de
« pré-insolvabilité » (Recommandation du 12 mars 2014 relative à une nouvelle approche en matière de
défaillances et d’insolvabilité des entreprises C (2014) 1500 final) et reprises par le Règlement UE
2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité.
16
M. MENJUCQ, « L’instrumentalisation de la procédure de sauvegarde est-elle frauduleuse », BJE
2016, n° 3, p.201, spéc. I.
17
A. de TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, T. 4, spéc. p.173.
18
J. ERNST DEGENHARDT, « Le droit français est-il conforme à la proposition de directive
européenne du 22 novembre 2016 visant à harmoniser le droit des procédures collectives ? », BJE 1er
mars 2017, n° 2, p.153, spéc. I. A.

274 | IFR Actes de colloques N° 30

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A. La prévention stricto sensu

Il suffit d’observer le contenu de la loi du 1er mars 1984, considérée comme


« l’étape la plus marquante dans cette recherche de solutions préventives »19,
pour se persuader de l’ampleur de la tâche assignée à la prévention. Conçue dans
un ensemble plus vaste, elle convoque, en amont, les différents vecteurs de
l’information d’entreprise et interpelle, en aval, différents outils de négociation.
La prévention s’ordonne ainsi classiquement autour de deux axes : d’une part, la
détection des difficultés et, d’autre part, leur traitement.

La « prévention-détection »20. Première phase de la prévention, la


détection, telle qu’inspirée du rapport de la commission Sudreau déposé en
1975, vise « par une meilleure connaissance de la situation financière de
l'entreprise, (à) l'adoption précoce de mesures efficaces de redressement»21. Il
n’est donc point question de divination. La prévention se nourrit de
l’information, dont, principalement, l’information comptable22.
Mais il ne suffit pas de concentrer les efforts sur l’amélioration de l’information,
sa teneur, sa fiabilité, ses canaux. Encore faut-il que ceux qui l’ont reçue
puissent en faire « un usage qui serve la prévention »23 en mettant les dirigeants
face à leurs responsabilités pour les inciter à prendre toute mesure utile avant
que la situation ne se dégrade. Cet avertissement explique d’ailleurs le récent
attrait européen pour les mécanismes d’alerte24 que le droit français exploite de
longue date.
Initialement réservée à trois acteurs25 : le commissaire aux comptes26,
l’actionnaire ou l’associé ainsi que les institutions représentatives du personnel,
la loi du 10 juin 1994 a élargi l’alerte en consacrant la pratique de certains

19
M.-H. MONSÈRIÉ-BON, Entreprises en difficulté (Mandat ad hoc - Conciliation), Rep. soc., Dalloz,
spéc. n° 2.
20
C. SAINT-ALARY-HOUIN, op. cit. spéc. n° 129.
21
M.-H. MONSÈRIÉ-BON, op. cit., spéc. n° 2.
22
Sur la prévention par l’information comptable, voir : P.-M. LE CORRE, Droit et pratique des
procédures collectives, D. Action, 2017-2018, spéc. n° 121.00 et s. Sur le développement d’une
« information économique », voir : C. SAINT-ALARY-HOUIN, op. cit., spéc. n° 131.
23
J.-L. VALLENS, Lamy droit commercial, L’entreprise en difficulté, éd. Lamy, 2017, spéc. n° 2739.
24
Prop. Dir. (UE), 22 nov. 2016, COM (2016), 723, art. 3 : 1.
25
Sur « l’alerte » confiée au groupement de prévention agréé et les « indices de difficultés » (C.com.,
art. L. 611-1 voir : F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, LGDJ, 10e éd., spéc. n° 67.
26
C.com., art. L. 234-1, al. 2 et 4 (Mod. par Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 - art. 99 (V)).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 275

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tribunaux de commerce consistant à confier à leurs présidents un rôle singulier.


Ce qu'il est coutume de désigner comme « l'alerte » du président du tribunal, et
qui consiste en une convocation à un entretien adressée au chef d'entreprise, n’a
eu de cesse d’être renforcée. Il en a notamment été ainsi lorsque la loi n° 2005-
845 du 26 juillet 2005 lui a accordé la possibilité d’enjoindre sous astreinte les
dirigeants de sociétés de déposer leurs comptes s’ils ne l’ont pas fait dans les
délais légaux27, sans que cette auto-saisine ne méconnaisse pour autant
l’impartialité que requiert l’article 6 de la CEDH28. Néanmoins, les prérogatives
confiées aux divers présidents de juridictions, y compris au Tribunal de Grande
Instance29, se limitent à cette étape de détection des difficultés. Cette procédure,
menée au visa de l’article L. 611-2, II du Code de commerce, ne peut plus
déboucher sur l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire depuis que
l’article L. 631-5 dudit code a été censuré30. Corrélativement, ceci invite à
repenser l’implication du ministère public dans le cadre de la prévention à partir
du moment où il lui revient d’assumer cette saisine31.
Egrainer cette liste des personnes habilitées expose toutefois à un regret ;
l’extension de l’alerte aux experts comptables n’ayant pas abouti. Les réticences
exprimées par la profession n’y sont pas étrangères32. Ici, l’inspiration viendra
peut-être du droit européen33.

La « prévention-traitement »34. Une fois les difficultés des entreprises


détectées, il convient d’y remédier. Lors de cette seconde phase de prévention, le
législateur a mis à la disposition du débiteur différents outils juridiques propres à
répondre à différentes situations économiques et financières. La variété des
réactions à la défaillance s’exprime alors tant par les acteurs appelés à intervenir
que par les solutions prévues dans ce cadre. D’ailleurs, il ne faut pas écarter trop

27
C.com, art. L. 611-2, II.
28
Dès lors qu’elle est justifiée par le constat, de nature purement objective, de l’absence de dépôt des
comptes par la société : CE, 6e et 1re ch., 22 févr. 2017, n° 396364 : Gaz. pal. 2017, n° 11, p.41, obs. Ph.
GRAVELEAU (Cons. const. 1er juill. 2016, n° 2016-548 QPC).
29
C.com, art. L. 611-2-1.
30
Cons. const. 7 déc. 2012, n° 2012-286 QPC, Sté Pyrénées services et a. (JO 8 déc. 2012, p.19279).
31
Ibid. L. ROBERT, « Incidence de la disparition de la saisine d’office sur l’implication du ministère
public dans la prévention des entreprises en difficulté », Gaz. pal. 27 déc. 2012, n° 362, p.14.
32
Sur ce point, voir : F. MACORIG-VENIER, « La réforme de la prévention par l'ordonnance n° 2014-
326 du 12 mars 2014 », RTD com. 2014, p. 395, spéc. I.A.
33
Prop. Dir. (EU), 22 nov. 2016, COM (2016) 723, (16).
34
C. SAINT-ALARY-HOUIN, op. cit., spéc. n° 254.

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hâtivement les solutions de droit commun. Pour faire face aux difficultés, le
débiteur peut ainsi décider de négocier un accord avec l’ensemble de ses
créanciers, sinon avec certains d’entre eux, en vertu duquel ceux-ci consentiront
des délais de paiement ou l’abandon de toute ou partie de leurs créances. Cette
solution, déconnectée de toute intervention judiciaire souffre cependant de
nombreuses imperfections et prête le flanc aux agissements frauduleux35. Au-
delà, la situation des créanciers, déjà peu enviable au plan économique et
financier, se révèle en outre juridiquement risquée en cas d’ouverture ultérieure
d’une procédure collective : soutien abusif, action en responsabilité, annulation
des garanties prises en période suspecte sont autant de risques à considérer36.
Aussi, est-il apparu nécessaire de placer le déroulement de cette
négociation sous la surveillance discrète de la justice, alors appelée à intervenir
en tant que tiers impartial. Tel était l’enjeu poursuivi par la loi du 1er mars 1984
qui, ayant déplacé le lieu de la prévention devant les juridictions consulaires, a
consacré le « règlement amiable » des difficultés37, lequel a par ailleurs permis
de coordonner l’effort des créanciers avec l’aide apportée par les différents
organismes institutionnels38. Sur ce modèle ont été bâtis, d’une part, le règlement
amiable agricole, institué par la loi du 30 décembre 198839 et dont l’originalité
persiste malgré les efforts du droit contemporain pour en gommer les
spécificités40 et, d’autre part, celui introduit par la loi du 31 décembre 1989 dans
le cadre du surendettement des particuliers. Ce n’est en effet que dans un second
temps que la loi de 199441, mais surtout celle de 2005 ont assis, en se contentant
de l’évoquer, le mandat ad hoc42.

Jusqu’alors, les contours de la prévention étaient fort simples à tracer,


bornés par l’infranchissable édifice réputé stable de la cessation des
paiements. Soit le débiteur, « sans être en cessation des paiements, éprouv(ait)
une difficulté juridique, économique ou financière ou des besoins ne pouvant
être couverts par un financement adapté aux possibilités de l’entreprise »: il

35
B. SOINNE, Traité des procédures collectives, Litec, 2e éd., spéc. p.85, spéc. 97-102.
36
Ph. PETEL, Procédures collectives, Dalloz, 8ème éd., p.15, spéc. n° 32.
37
Y. CHAPUT, « Le règlement amiable. À propos de la loi n° 84-148 du 1er mars 1984 et du décret n°
85-295 du 1er mars 1985 », JCP E 1985. II. 14455.
38
Sur le traitement administratif des difficultés, voir : C. SAINT-ALARY-HOUIN, op. cit., n° 255 et s.
39
Art. 22 à 28. Comp. : D. n° 89-339 du 29 mai 1989.
40
Voir infra II. B.
41
Loi n° 94-475 du 10 juin 1994 - art. 4.
42
C.com., art. L. 611-3 (créé par Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 – art. 5).

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relevait du règlement amiable43. Soit le débiteur était dans l’impossibilité de


faire face à son passif exigible avec son actif disponible : il était soumis au
redressement, voire à la liquidation judiciaire lorsque l’entreprise avait en outre
cessé toute activité ou lorsque son redressement était « manifestement
impossible »44. La prévention se satisfaisait alors d’un strict cadre amiable,
volontaire et confidentiel, opposé en chacun de ces points aux procédures
collectives.

B. La prévention lato sensu

Or, en rompant avec la traditionnelle clé de répartition des procédures


relevant de la « prévention-traitement », la loi du 26 juillet 2005 opère une
double révolution. Après avoir admis la possibilité d’un traitement amiable des
difficultés alors que l’entreprise a cessé ses paiements (la conciliation), elle
renouvelle « l’architecture des procédures »45 en déconnectant le traitement
judiciaire de la constatation de cet état et conçoit l’ouverture d’une procédure
d’un genre nouveau : collective, mais préventive (la sauvegarde).

Prévention / cessation des paiements. Faut-il regretter le temps jadis où le


législateur était plus simple, lorsqu’il ventilait les procédures préventives et
curatives en fonction du seul critère de la cessation des paiements ? Les critiques
adressées à la métamorphose opérée sous la plume du législateur de 200546, alors
que le « règlement amiable » se muait en « procédure de conciliation »47, invitent
à le croire. Certes, le véritable critère de la prévention reste celui d’une absence
de cessation des paiements. Pour autant, elle n’y est pas totalement rétive. En
témoigne ce leurre des « quarante-cinq jours » qui, offert par l’article L. 611-4
du Code de commerce, permet au débiteur sollicitant une conciliation de glisser
de manière mesurée sur l’axe des difficultés. Calquée sur le délai offert à ce

43
Loi n° 84-148 du 1er mars 1984 (art. 34).
44
Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 (art. 1er, al. 2 : Mod. Loi n° 94-475 du 10 juin 1994 – art. 11).
45
Y. CHAPUT, « Une nouvelle architecture du droit français des procédures collectives », JCP 2005.
I. 184.
46
G. TEBOUL, « La cessation des paiements, convergence des intérêts contraires ?», Gaz. pal. mai-juin
2008, p. 1703 et s.
47
Sur la question, voir not. : F. MACORIG-VENIER, « Du règlement amiable à la conciliation », rev.
proc. coll. 2005, p.352 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, « La conciliation », in Droit des procédures
collectives, les dernières réformes, Rev. proc. coll. 2006, p.169.

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dernier pour se mettre à l’abri des sanctions en déposant son bilan48, cette
acclimatation de la prévention amiable à la cessation des paiements vise
seulement à le rassurer tout en offrant aux praticiens une certaine souplesse.

Surtout, la loi prolonge ici l’effort accompli en jurisprudence, lequel avait


déjà permis « de construire la prévention en marge des textes »49. Le butoir
constitué par la cessation des paiements avait en effet été largement adapté par
les juges afin d’ajuster son carcan à la palette des instruments de prévention50.
Entre autres, les ressorts contenus dans les notions de « passif exigé » comme
dans la théorie de la « réserve de crédit » ont ainsi conduit à déplacer son
curseur dans le temps avant que l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre
2008 ne consacre ces solutions51. Partant, c’est le spectre de la cessation des
paiements qui s’éloigne, tandis que l’horizon de la prévention s’éclaircit. La
jurisprudence continue d’ailleurs d’explorer l’élasticité de chacune de ces
notions52.

Prévention / traitement judiciaire. Au-delà de ce décloisonnement, la loi


de 2005 inscrit un nouvel outil dans cette « dynamique de l’anticipation »53.
Alors que l’on opposait traditionnellement la prévention au traitement, au
collectif, au caractère public, voici qu’elle s’arroge chacune de ces
caractéristiques pour se couler dans le moule de la sauvegarde. Sacrée
« première procédure collective à visée préventive de notre droit »54, cette
« procédure collective anticipée »55, véritable « technique de traitement préventif

48
C.com., art. L. 631-4 (en redressement) ; L. 640-4 (en liquidation).
49
G. TEBOUL, op. cit.., spéc. pp.1703-1704 ; « Un critère malmené mais vivace », Rev. proc. coll.
2015/1, p.13.
50
B. GRELON, « Prévention et cessation des paiements », in Mélanges D. Tricot, D 2011, p.422.
51
C.com., art. L. 631-1. Comp. Cass. com., 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 193 : D. Aff. 1997, p.903.
52
Doit ainsi être écartée du « passif exigible » toute dette contestée puisqu’au-delà de son caractère
échu, encore faut-il que la créance soit certaine. De même, la « disponibilité » de l’actif doit être
appréciée avec souplesse dès lors que les circonstances conduisent à y inclure les sommes dont on est
certain d’un « encaissement à très court terme » (Com., 29 nov. 2016, n° 15-19474, Sté Léo Niel : Gaz.
pal. 2017, n° 13, p.57, obs. F. REILLE).
53
Ph. ROUSSEL-GALLE, « Prévention, dynamique de l’anticipation : le mandat ad hoc et la
conciliation après le décret du 28 décembre 2005 », LPA 12 juill. 2006, n° 138, p.10 et s.
54
F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, LGDJ, 10e éd., p.31, spéc. n° 25.
55
Ph. PETEL, Procédures collectives, Dalloz, 8ème éd., p.11, spéc. n° 23.

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et judiciaire des difficultés d’entreprise »56, provoque l’alliance des prétendues


inconciliables au service de la prévention. C’était sans compter, du reste, sur
l’œuvre du législateur57 comme de la jurisprudence58 qui, ayant assoupli
l’éligibilité à cette procédure, ont poursuivi l’extension de son domaine.

Ce même espoir anime ses deux variantes que sont, d’une part, la
sauvegarde accélérée et, d’autre part, la sauvegarde financière accélérée59. Avec
elles, le législateur tire les enseignements des arbitrages précédents. De la
conciliation, sur laquelle l’une et l’autre de ces procédures reposent, il affirme
leur compatibilité avec l’état de cessation des paiements, pourvu qu’il soit
récent. De la sauvegarde, dont elles sont issues, il confirme que la prévention
peut aussi être de nature judiciaire.

C’est dire si la prévention s’est renouvelée ! Alors qu’un à un, ses attributs
classiques cédaient, celui tenant à son initiative devenait déterminant.
Nonobstant sa nature amiable ou judiciaire, la prévention reste animée par une
philosophie volontariste qui transcende chacun des outils façonnés par un
législateur soucieux de l’encourager. Mandat ad hoc, conciliation, sauvegarde de
droit commun, comme ses variantes, reposent tous sur l’hypothèse d’un débiteur
in bonis, resté « maître de ses biens »60. C’est d’ailleurs ce critère qui permet de
tenir à l’écart l’hypothèse visée à l’article L. 622-10 §3 du Code de commerce
d’un redressement judiciaire ouvert en l’absence de cessation des paiements...
De surcroît, cet exemple démontre encore l’imperfection du critère de la
cessation des paiements à définir la prévention puisqu’ici, bien qu’absente, il ne
saurait pour autant en être question !

56
C. SAINT-ALARY-HOUIN, « Entreprises en difficulté : un droit enfin arrivé à maturité », Dr. et
patrimoine 1er mars 2009, n° 179, spéc. I.
57
C.com., art. L. 620-1 (Mod. Ord n° 2008-1345 du 18 déc. 2008).
58
Voir not. : Com., 26 juin 2007, n° 06-17.821, Photo service (sur la date d’appréciation des
difficultés) ; Com., 26 juin 2007, n° 06-20.820, Schlumberger : (sur les modalités d’appréciation des
difficultés au sein d’un groupe) ; Com., 8 mars 2011, Cœur Défense, n°s10-13.988 / 10-13.989 / 10-
13.990, (sur l’appréciation stricte des conditions légales). Comp. : CA Lyon, 3e ch. civ., 31 mai 2006 :
RG n° 06/02245. Ph. DELEBECQUE, « Le risque de détournement de la procédure de sauvegarde »,
BJE 2016, n° 3, p.209 et s.
59
C.com., art. L. 628-1, in fine (sauvegarde accélérée) ; L. 628-9 (sauvegarde financière accélérée).
60
F. PEROCHON, Entreprises en difficulté, op.cit., spéc. n° 268.

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HELENE POUJADE

II. L’instrumentalisation de la prévention

L’attractivité. Le terme « instrumentalisation » n’est pas neutre. Il suggère


au contraire un risque de détournement des règles. Appliqué à la prévention des
difficultés des entreprises, il fait craindre l’utilisation par le débiteur des mesures
mises à sa disposition dans un but autre que celui de détecter, sinon de traiter les
difficultés. D’ailleurs, une fois admise l’idée que la procédure de sauvegarde en
est l’une des composantes, la suspicion se concentre sur cette dernière.
Toutefois, ces craintes s’apaisent rapidement, tant cette « perspective se heurte
d’une part à la réalité judiciaire et économique et, d’autre part, au contrôle du
juge tant lors de la demande d’ouverture qu’en cours de procédure »61.
Rompant avec cette idée d’abus ou de fraude, l’instrumentalisation de la
prévention procède donc d’une autre démarche. Il s’agit davantage de déceler en
quoi l’objet de cette étude, à travers les mesures qu’elle promeut, devient un
moyen d’améliorer le traitement judiciaire des difficultés avant d’en tester les
mérites au regard des solutions notamment prônées par d’autres disciplines.

A. L’antichambre de la prévention

Examiner l’articulation des procédures préventives régies par le Livre VI


du Code de commerce suppose que l’attention soit principalement portée sur la
conciliation. Elle est en effet celle qui a subi les transformations les plus
marquantes. Car, en plus des qualités qui lui sont intrinsèquement attachées -
qu’il s’agisse d’inciter le dirigeant d’entreprise à traiter ses difficultés le plus en
amont possible62, sauf à lui reprocher sa passivité63, ou d’encourager le créancier
à remettre tout ou partie de sa dette au prix d’un privilège enfin « sanctuarisé »64,
sauf à subir des délais de paiement65 - elle permet incontestablement d’améliorer
les résultats du traitement judiciaire.

61
M. MENJUCQ, op. cit., p. 201 et s.
62
C.com., art. L. 611-16 (Créé par Ord. n° 2014-326 du 12 mars 2014 - art. 14).
63
Même si la négligence n’est plus suffisante pour engager sa responsabilité : C.com., art. L. 651-2
(Mod. Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 - art. 146).
64
Ph. PETEL, « Les dispositions relatives aux entreprises en difficulté de la loi de modernisation de la
justice du XXIe siècle », JCP E 19 janv. 2017, n° 3, act. 46 - C. com., art. L. 626-30-2 mod.
65
C.com., art. L. 611-7, alinéa 5 (Mod. par Ord. n° 2014-326 du 12 mars 2014 - art. 14).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 281

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L’ESSOR DE LA PRÉVENTION

Ainsi, s’il est acquis de longue date que les procédures collectives peuvent être
l’objet d’un « chantage »66 à même de vaincre les résistances exprimées dans le
cadre amiable, lorsqu’est notamment brandie la menace de la sauvegarde, il
convient de rendre compte du phénomène inverse.

Le « pre-pack plan ». Forte des enseignements révélés par les affaires


Autodistribution67 et Thomson-Technicolor68, la conciliation n’est-elle pas,
d’abord, devenue un préalable obligatoire au traitement des difficultés dans le
cadre rénové de la sauvegarde financière accélérée, en 2010, ou de la sauvegarde
accélérée, en 201469 ? L’influence de ces dossiers est évidente dans la genèse de
ces procédures. Selon un schéma conforme à la pratique anglo-saxonne du
prepackaged plan, le projet d’accord amiable élaboré dans l’antichambre de la
conciliation sert de base au plan proposé à la validation des comités de
créanciers, puis du tribunal70.

Le « pre-pack cession ». Que dire, ensuite, lorsqu’elle est devenue un


prélude utile à la cession de toute ou partie de l’entreprise ? Or, en diversifiant
les missions du conciliateur pour consacrer cette fois-ci la pratique du prepack
cession71, il ne faut pas se méprendre. Lorsque la mission porte sur la cession de
l’entreprise, elle ne peut évidemment se dénouer que dans le cadre d’un
redressement ou d’une liquidation judiciaire, puisqu’en sauvegarde, l’entreprise
n’est pas à vendre. Dans ce cas, seule l’antichambre de la conciliation ressort du
domaine la prévention. Il est néanmoins certain que le cadre dans lequel la
cession est façonnée a une influence sur le déroulement de l’opération elle-
même.
En atteste notamment l’adaptation des règles de confidentialité dont l’ambiguïté
qui consistait « à préparer de manière confidentielle une opération qui doit être
66
F. PEROCHON, op. cit. n° 373.
67
T.com. Evry, 6 avr. 2009 : LEDEN juill. 2009, p. 1, obs. F.-X. LUCAS ; R. COURTIER et N.
LAURENT, « Analyse de l’opération autodistribution : premier « pre-pack » à la française, Cah. dr.
entr. 2009, n° 5, p.26.
68
T.com., Nanterre, 30 nov. 2009 : D. 2009, p. 2929, A. LIENHARD.
69
C.com., art. L. 628-1, in fine (sauvegarde accélérée) ; L. 628-9 (sauvegarde financière accélérée)
Comp. Sur l’élargissement des critères, voir : Ord. n° 2014-1088 du 26 sept. 2014. Com., 12 juill. 2016,
n° 14-27.983 : Act. proc. coll., oct. 2016, n°15, alerte 206, obs. L. FIN-LANGER.
70
H. POUJADE et S. VIGREUX, « Le montage des plans », BJE 2016, n° 1, p. 78 et s.
71
C.com., art. L. 611-7 (Mod. Ord. n° 2014-326 du 12 mars 2014 - art. 5). Comp. : M.-H. MONSERIE-
BON, B. AMIZET, G. AZAM, C. CAVIGLIOLI, « Le prepack cession FRAM : expériences et
enseignements », BJE 2016, n° 2, p. 69.

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transparente »72 vient fort heureusement d’être corrigée ! Surtout, l’hypothèse


s’accorde avec la philosophie volontariste caractérisant les outils de la
prévention73, puisqu’en plus d’associer le chef d’entreprise, lui seul peut l’initier.
Assurément, la cession de l’entreprise s’éloigne de toute idée d’expropriation.

B. La rivalité des préventions

Après avoir écarté la prétendue concurrence portée par d’autres branches du


droit, il convient d’observer celle qui s’organise au sein des techniques régies
par le droit des entreprises en difficulté.

La concurrence externe. Longtemps, le droit civil et le droit des


entreprises en difficulté se sont ignorés. Ces rapports pacifiés reposaient sur la
mise à l’écart, en droit des procédures collectives, de la fameuse jurisprudence
Canal de Craponne74 interdisant au juge de s’immiscer dans la sphère
contractuelle. Il semblait en effet maladroit de prétendre à son application dans
une matière prônant depuis 1985 l’intervention judiciaire au chevet des
entreprises défaillantes, quitte, pour ce faire, à confier au juge le pouvoir de
repenser le rapport d’obligation75. Mais depuis que la réforme du droit des
contrats a entériné la théorie de l’imprévision76, comment comprendre
l’articulation de ces deux disciplines ?

Avant de s’interroger sur leur combinaison, encore faut-il en préalable


s’assurer de la coexistence de la voie civile de révision contractuelle avec les
techniques de prévention commerciales, dont la sauvegarde. Avec Philippe
Delebecque77, il est permis de douter que cette dernière ait résisté aux assauts du
droit civil. Par sa seule existence, la théorie de l’imprévision ne condamne-t-elle
pas le caractère « insurmontable » des difficultés, tel qu’il est requis pour ouvrir
une sauvegarde ? Ces inquiétudes doivent être tues car ce n’est que

72
C. com., art. L. 642-2, I, mod. L. n° 2016-1547, art. 99, VI, 2°.
73
Voir supra : I.B.
74
Civ. 6 mars 1876 : DP 1876, I, 193, note GIBOULOT.
75
A. DIESBECQ et Ph. ROUSSEL GALLE, « La prévision et le droit des entreprises en difficulté »,
Gaz. pal. 30 déc. 2010, n° 364, p.8 et s.
76
C.civ., art. 1195 (Créé par Ord. n° 2016-131 du 10 février 2016 - art. 2).
77
Ph. DELEBECQUE, op. cit., loc. cit.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 283

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« virtuellement » que l’application du texte réformé « conduit à rendre les


difficultés surmontables »78. Ce d'autant qu’il n’est pas certain que l’intéressé
s’engage dans cette procédure de révision contractuelle, ni même qu’elle
aboutisse.

Assuré de leur coexistence, encore faut-il en suivant s’interroger sur les


moyens de leur conciliation. Surgit alors l’argument tendant à démontrer que
leurs enjeux diffèrent. La révision contractuelle serait appropriée pour résoudre
une difficulté purement financière, tandis que la sauvegarde répondrait à une
ambition autrement plus grande, conforme à ses finalités légales79. Mais que
penser de cet argument alors que la Cour de cassation vient d’admettre la
recevabilité d’un plan de redressement pourtant réduit à son volet financier80,
sans égard ni pour la « poursuite d’activité » ni pour le « maintien de
l’emploi » ? Est-ce à dire que la compétition des voies civiles et commerciales
de prévention renaît lorsque la demande de l’intéressé s’inspire d’une difficulté
strictement financière ? Cette thèse doit être balayée dans la mesure où la
sauvegarde, seule procédure collective préventive, ne connaît pas de l’hypothèse
d’une cessation d’activité ayant fondé l’analyse de la Cour dans cette espèce. Il
faut admettre que les finalités des procédures préventives continuent de diverger,
de telle sorte que la pluralité des options offertes au débiteur continue de
procéder de choix raisonnés. Ce n’est donc pas parce que le droit commun lui
offre une nouvelle solution préventive, qu’il ne sera pas séduit par la discipline
et la rigueur du cadre que lui offre la procédure collective81, sinon par d’autres
procédures régies au Livre VI du Code de commerce.

La concurrence interne. Reste alors à observer la concurrence qui sévit en


son sein. En effet, toute tentative consistant à opposer le Code de commerce au
Code rural serait vaine. Malgré les rapprochements opérés par la loi Warsman II
du 22 mars 2012, l’ordonnance du 12 mars 2014, et, plus récemment, la loi du
18 novembre 201682, l’agriculteur obéit, en raison de son statut, à une procédure
singulière : le règlement amiable agricole, hérité de la loi du 22 juillet 1993.

78
Ibidem.
79
C.com., art. L. 620-1.
80
Com., 4 mai 2017, n° 15-25046 : D. Actualités, 9 mai 2017, obs. A. LIENHARD ; BJE 2017, n° 4, p.
258, obs. H. POUJADE.
81
C.com., art. L. 622-1 et s.
82
C.rur., art. L. 351-4 et 6 (Mod. par Loi n° 2016-1547 - art. 99 (V)).

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HELENE POUJADE

Certes, l’agriculteur peut parfois devenir une notion à géométrie variable83. Pour
autant, en l’état actuel du droit de la prévention des difficultés, la clé de
répartition émerge au croisement des articles L. 351-1 du Code rural et L. 611-5
du Code de commerce.

Toute autre est en revanche la tâche consistant à observer la concurrence


qui s’anime au sein des procédures préventives répertoriées dans le Code de
commerce84. Certes, qu’elles soient amiables ou judiciaires, leur choix relève du
monopole du débiteur. Pour autant, l’exercice de cette option ne peut résulter
que de l’analyse objective des difficultés. Ainsi, sans égard pour leur
coordination éventuelle, laquelle oblige au respect de règles procédurales
spécifiques85, il convient de sonder leurs critères d'ouverture. Si la répartition des
procédures amiables ne souffre pas de discussion tant il semble inconfortable de
nommer un mandataire ad hoc lorsque le débiteur a cessé ses paiements, plus
délicat est en revanche l’arbitrage à mener entre conciliation et sauvegarde. Les
formules légales86 laissent au débiteur une latitude telle qu’il convient alors de
s’interroger sur les stratégies qu’il entend mener. Bien évidemment, pour que la
concurrence opère, le débat doit être resserré sur l’hypothèse d’une prévention
stricto sensu, d’une conciliation réduite à son plus petit dénominateur commun :
celle d’un débiteur « éprouv(a)nt une difficulté juridique, économique ou
financière, avérée ou simplement prévisible ». Inversement, la sauvegarde oblige
en sus à vérifier que le débiteur ne soit « pas en mesure de surmonter » ces
difficultés. Or on sait l’effort accompli en jurisprudence pour assouplir cette
exigence d’intensité dès lors qu’il est davantage craint un risque de « sous-
utilisation » de la sauvegarde que celui de son instrumentalisation frauduleuse87.
En ce sens, la récente formule introduite par la loi du 18 novembre 2016 à
l’article L. 621-1 du Code de commerce opère un mouvement inverse. Afin de
corriger une erreur d’aiguillage, le texte prévoit que « lorsque la situation du
débiteur ne fait pas apparaître de difficultés qu'il ne serait pas en mesure de
surmonter, le tribunal invite celui-ci à demander l'ouverture d'une procédure de
conciliation au président du tribunal »88. C’est donc reconnaître que le départ
83
Cons. const., 28 avr. 2017, n° 2017-626 QPC. Sté La Noé Père et fils.
84
F. VINCKEL, « L'option entre les procédures préventives du nouveau droit des entreprises en
difficulté : analyse des risques », LPA 12 juin 2006, no 116, p. 7, 1.
85
Voir not. : C.com., art. 621-1, al. 4 et 5.
86
C.com., art. L. 611-4 (conciliation) ; L. 620-1 (sauvegarde).
87
Voir sur ce point : M. MENJUCQ, op. cit., loc. cit.
88
C.com., art. L. 621-1, al. 3 (Modifié par Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 - art. 99 (V)).

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 285

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L’ESSOR DE LA PRÉVENTION

entre les procédures préventives, selon leur nature amiable ou judiciaire, doit
être respecté89. En plus d’en finir avec cette confusion des genres, ce texte
consacre le caractère subsidiaire de la procédure judiciaire préventive, car ce
n’est qu’ « ensuite » que le tribunal statuera sur la demande de
sauvegarde90. Une nouvelle fois, la conciliation en sort renforcée !

Certes, l’essor de la prévention des difficultés des entreprises est caractérisé


par son expansionnisme quitte, pour ce faire, à composer avec sa nature
profonde en se judiciarisant. Pour autant, c’est dans son berceau originel,
amiable, confidentiel, volontariste, qu’elle se renouvelle et puise un nouvel élan
susceptible de combler les aspirations nationales et, le cas échéant, européennes
même si, à cet échelon, il reste encore à la consacrer…

89
En ce sens : F. MACORIG-VENIER, « Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle : incidence
sur le dispositif de prévention des difficultés des entreprises », RTD com. 2017. 175, spéc. I. B.
90
Ibid.

286 | IFR Actes de colloques N° 30

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L’intérêt collectif des créanciers

Mathilde DOLS-MAGNEVILLE
Maître de conférences à l’Université de Montpellier,
Labex Entreprendre, Chaire d'excellence Prévention et
traitement des difficultés des entreprises

« Il n’y avait plus de destins individuels, mais une histoire collective »1.

1. La considération d’un intérêt collectif, au sens d’un avantage concernant un


groupe d’individus2, est une notion ancienne et fréquente en droit français3. Elle
se meut notamment en intérêt social4, en intérêt commun des indivisaires5, en
intérêt collectif des consommateurs6, en intérêt collectif de la profession7 ou
encore en intérêt collectif des créanciers8 dont le débiteur est placé sous le coup
d’une procédure collective.

2. A l’occasion des arrêts Laroche9 en 1976 et Chaix10 en 1978, la Cour de


cassation, sans la nommer, a dégagé cette notion. Puis en 1993, réitérant sa

1
Albert Camus, La peste, 1947.
2
Voir respectivement sous chacun des mots « intérêt » et « collectif », Dictionnaire Le robert, 2014
3
Hassler (T.), L’intérêt commun, RTDCom. 1984, p. 581, p. 594.
4
C.civ Art. 1832 ; Le Cannu (P.), Donderro (B.), Droit des sociétés, Domat, LGDJ, 6° éd. 2015, n°
279 ; Cozian (M.), Viandier, Deboissy (F.), Droit des sociétés, Litec, 2016, n° 490.
5
C.civ Art. 815-6 ; Leroy (M.), Intérêt commun de l’indivision, in Lamy Droit des régimes
matrimoniaux, successions et libéralités, 2016, n° 246-21.
6
C.Cons. Art. L.621-1 et L.621-9.
7
C.Trav. Art L. 2132-3 Cass. Ch. Réunies, 5 avril 1913, Syndicat national de défense de la viticulture
française c. Perreau.
8
C.com Art. L. 622-20.
9
Cass. Com. 7 janv. 1976, n° 72-14029, Bull. Civ. IV, n° 6.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 287

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L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS

position11, elle a offert à l’intérêt collectif des créanciers une certaine autonomie,
l’abandon de la masse et sa personnalité juridique apparaissant comme
indifférente à l’existence et la défense de cet intérêt12. Enfin, la loi de
Sauvegarde des entreprises du 26 juillet 200513 a consacré cette notion14.

3. Depuis les années 1970, la jurisprudence n’a cessé de bâtir cette notion
centrale du droit des entreprises en difficultés15. Parfois décrite comme une
notion atomisée ou moribonde16, elle demeure au cœur d’un contentieux
dynamique et foisonnant. En outre, la loi continue d’en confier la défense à une
personne déterminée.
L’intérêt collectif des créanciers est profondément lié au principe d’égalité des
créanciers. Au fil des réformes, ce dernier a évolué. Il ne réside plus aujourd’hui
en une égalité mathématique17 mais en une discipline collective18, imposant aux
créanciers l’interdiction des poursuites et des paiements ainsi que l’arrêt du
cours des intérêts19. Bien que cette discipline collective cède de plus en plus de
terrain20, elle perdure. Ainsi, face à ce traitement collectif des créanciers, il
apparaît nécessaire de préserver leur intérêt collectif.
10
Cass. Com. 31 mars 1978, n° 78-15067, Bull Civ. IV, n° 100.
11
Cass. Com, 16 nov. 1993 n° 90-20188, Bull Civ. IV, n° 106 décision rendue sous l’empire de la loi de
1985. L’article 46 ne qualifiait pas de collectif l’intérêt des créanciers.
12
Crit. Martin-Serf (A.), L’intérêt collectif des créanciers ou l’impossible adieu à la masse, Mélanges
Honorat, éd. Frison Roche, 2000, p. 143 ; Cabrillac (M.), L’impertinente réapparition d’un condamné à
mort ou la métempsychose de la masse des créanciers, Propos impertinents de droit des affaires,
Mélanges en l’honneur de Christian Gavalda, Dalloz 2001, p. 69.
13
Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises – Ccom. Art.L.622-20.
14
Pour une présentation de l’évolution de la notion et de la représentation voir : Martin-Serf (A.),
L’intérêt collectif des créanciers ou l’impossible adieu à la masse, Mélanges Honorat, éd. Frison Roche,
2000, p. 143, spéc. p. 145 ; Texier, Rapp sous Cass. Avis, 3 juin 2013, n° 13-70003, RPC 2013-4 étude
18.
15
Le Corre (P.-M.), La notion d’action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers, BJE
2015, n° 5, p. 269.
16
Poujade (H.), op.cit, n° 123 ; Frison-Roche (M.-A.), Le caractère collectif des procédures collectives,
RJCom. 1996, p. 298 n° 31 et s.
17
Poujade (H.), Le plan de restructuration en droit des entreprises en difficultés, Th. Toulouse 2014, n°
123.
18
Leguevaques (C.), L’égalité des créanciers dans les procédures collectives, flux et reflux, Gaz. Pal.
2002, n° 218, p. 2.
19
Delmotte (P.), L’égalité des créanciers dans les procédures collectives, Rap. annuel de la Cour de
cassation Etudes, 2003, p. 106 ; Pérochon (F.), Entreprises en difficulté, 10e éd. 2015, n° 512.
20
Elle s'efface notamment lorsque l'insaisissabilité de l'immeuble est inopposable au créancier. La Cour
de cassation a accordé à ce créancier la faculté de poursuivre l'exécution forcée de sa créance sur le bien

288 | IFR Actes de colloques N° 30

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MATHILDE DOLS-MAGNEVILLE

4. Et, alors que la loi de 1985 a fêté ses trente ans, il semble pertinent de
dresser un bilan des évolutions de cette notion.
La notion d’intérêt collectif des créanciers nécessite donc d’être explicitée (I) et
la défense de cet intérêt, précisée (II).

I. Les contours de la notion insaisissable


d’intérêt collectif des créanciers

5. Malgré l’absence de définition générale de l’intérêt collectif, l’étude des


divers intérêts collectifs reconnus par la loi et la jurisprudence permet de
dégager les traits communs de cette notion.
L’intérêt collectif apparaît en premier lieu, comme l’intérêt d’un groupe de
personnes qui se situe « à mi-chemin entre l’intérêt individuel de chaque
[membre] et l’intérêt général de l’ensemble des citoyens »21. Il ne se confond ni
avec l’intérêt général22, ni avec la somme des intérêts individuels des membres
du groupes qu’il « transcende »23.
En second lieu, l’intérêt collectif semble être une notion hétérogène, chaque
intérêt collectif se caractérisant par sa singularité, son propre contenu.
L’intérêt collectif des créanciers suit le même schéma, s’émancipant des intérêts
individuels des créanciers (A), il les transcende et repose sur « le gage commun
des créanciers » (B).

mais aussi d’agir contre le débiteur en vue de l'obtention d'un titre exécutoire dont il ne disposait pas
avant l'ouverture de la procédure (Cass. Com. 13 sept. 2017, n° 16-10.206).
21
Calais-Auloy (J.), Temple (H.), Droit de la consommation, Dalloz, Précis, 9° éd. 2015, n° 556.
22
Au sujet de l’action collective du syndicat professionnel voir not :Cass. Ch. Réunies, 5 avril 1913, D.
P. 1914, 1. 65, Rec. Sirey, 1920. 1. 49, note Mestre ; Dupeyron (H.), L’action collective, D. 1952. 2.
Chron.p.153, spéc. p.155 ; sur l’action collective des consommateurs, voir not : Cass. Crim., 20 mai
1985, Bull. Crim. p. 485 ; Franck (J.), Pour une véritable réparation du préjudice causé à l’intérêt
collectif des consommateurs, Etudes Calay-Auloy, Dalloz, 2003 ; Bore (L.), La défense des intérêts
collectifs des associations, Th. LGDJ, 1997.
23
Cabrillac (M.), op.cit,. n° 9, Sénéchal (M.), L’effet réel de la procédure collective, Th., Litec, 2002,
spéc. n° 67.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 289

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L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS

A. L’intérêt collectif des créanciers distinct de leurs intérêts individuels

6. L’étude des divers intérêts collectifs précités montre que l’intérêt collectif
est rarement l’intérêt commun, à savoir la somme de leurs intérêts individuels24
voire « qu’il gomme les conflits d’intérêts »25. Par exemple, l’article 815-6 du
code civil permet au tribunal d’autoriser l’un des indivisaires à agir seul et à
outrepasser le refus de l’un de ses coindivisaires, au nom de l’intérêt commun de
l’indivision26. De même, lorsqu’une décision sociale est adoptée par les associés
à la majorité, cela montre leur divergence d’intérêts tout en les atténuant. La
sanction de l’abus de majorité ou de minorité permet de rejeter une décision qui
nuit à l’intérêt collectif, à l’intérêt social27. L’association de consommateurs,
quant à elle, peut agir pour la défense des intérêts individuels des
consommateurs sous la forme de l’action de groupe, ou agir pour la défense de
l’intérêt commun des consommateurs, la satisfaction individuelle des
consommateurs étant alors indifférente28.
L’intérêt collectif peut même aller à l’encontre de l’intérêt de chacun des
membres du groupe. Ainsi, à l’occasion d’une affaire portant sur le travail
dominical, malgré l’accord de l’ensemble des salariés, la Cour de cassation a
admis que le syndicat professionnel puisse se prévaloir d’un préjudice porté à
l’intérêt collectif de la profession29.

7. Quant à l’intérêt collectif des créanciers antérieurs ayant déclaré leur


créance, la doctrine affirme unanimement que l’intérêt collectif se distingue de
l’intérêt commun30, c’est-à-dire obtenir paiement de leur créance31. Mais la Cour
de cassation a longtemps adopté une position complexe. Tout en affirmant que

24
Sur la définition de l’intérêt commun, voir Hassler (T.), op.cit. p. 637.
25
Cabrillac (M)., op.cit. , spéc. n° 9.
26
Cass. Civ. 1er, 6 novembre 1990, n° 89-13.220 en cas de refus de vente d’un bien indivis ; Cass. Civ.
er
1 , 21 mars 2000, n° 99-14.069 au sujet de la résiliation d’un bail pour défaut de paiement des loyers.
27
Le Cannu (P.), Donderro (B.), Droit des sociétés, Domat, LGDJ, 6° éd. 2015, n° 279 ; Cozian (M.),
Viandier, Deboissy (F.), Droit des sociétés, Litec, 2016, n° 490.
28
C.cons. Art. L. 423-1 ; Douchez (G.), Lagarde (X.), procédure civile, Dalloz, 17° éd. 2013.
29
Cass. Soc., 22 janv. 2014, n° 12-27.478, Bull. n° 237.
30
Not. Derrida (F.), Godé (P.), Sortais (J.-P.), Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, D.
n° spéc. hors série, 1986, p. 119 ; Soinne (B.), Traité des procédures collectives, Litec 2° ed. n° 1008 ;
Pérochon (F.), L’intérêt collectif n’est pas l’intérêt de tous les créanciers sans exception, BJE 2016, n° 3,
p. 218, n° 1.
31
Théron (J.), L’intérêt collectif des créanciers enfin défini !, Gaz. Pal. - 22/09/2015 – n° 265 – p. 19.

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l’intérêt collectif était l’intérêt de tous les créanciers du débiteur32, elle


reconnaissait au mandataire judiciaire la qualité à agir contre l’un des créanciers
du débiteur33. De même, elle admettait parallèlement à la réparation du préjudice
collectif celle du préjudice personnel distinct du tiers34.
Néanmoins, depuis un arrêt en date du 2 juin 2015, la Cour a adopté une position
plus cohérente définissant l’action assurant la défense de l’intérêt collectif
comme celle tendant « à la préservation et la reconstitution du gage commun
des créanciers »35. Ce faisant, la Cour distingue, nous l’espérons définitivement,
l’intérêt collectif de l’intérêt individuel des membres du groupe.

Cependant, distinguer l’intérêt collectif des intérêts individuels ne suffit pas à en


dégager la teneur.

B. La substance de l’intérêt collectif des créanciers, le gage commun

8. De façon globale, l’intérêt collectif apparaît comme l’« intérêt


transcendant »36, « un dénominateur commun »37. Toutefois, chaque intérêt
collectif a sa propre singularité. L’intérêt collectif des consommateurs ou
l’intérêt commun des indivisaires ne sauraient être les mêmes que l’intérêt
collectif des créanciers dont le débiteur est placé sous le coup d’une procédure
collective.
Le changement de critère d’identification de l’action intentée dans l’intérêt
collectif opéré par l’arrêt du 2 juin 2015, donne un éclairage nouveau aux
notions d’intérêt et de préjudice collectif.

9. Depuis cette décision, relèvent de la défense de l'intérêt collectif les actions


qui tendent à « la préservation et la reconstitution du gage commun des

32
Com. 31 mars 1978, n° 75-16.067, Bull. Civ. IV, n° 100 ; Cass. Com. 14 déc. 1999, n° 97-14500,
Bull. Civ IV, n° 230 ; Cass. Com. 13 mars 2012, n° 11-15438, Bull. Civ. IV.
33
Cass. Com. 7 janv. 1976, n° 72-14029, Bull. Civ IV, n° 6 ; Cass. Ass Plen. 9 juil. 1993, n° 89-19211.
34
Com. 31 mars 1978, n° 75-16.067, Bull. Civ. IV, n° 100.
35
Cass. Com. 2 juin 2015, n° 13-24714. Cass. Com. 28 juin 2016, n° 14-20118 au sujet du préjudice
collectif, Cass. Com. 15 nov. 2016 au sujet de l’action en inopposabilité d’une déclaration notariée
d’insaisissabilité ;
36
Cabrillac (M.), op.cit, n° 9.
37
Le Roy (M.), Intérêt commun de l’indivision, in Lamy droit des régimes matrimoniaux, successions
et libéralités, 2016, n° 246-21.

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L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS

créanciers ». L’intérêt collectif protégé et réparé constitue donc le gage commun


des créanciers. La Cour semble adopter ainsi une vision unitaire de l’intérêt
collectif38.

10. Néanmoins, elle n’a pas précisé le domaine de ce gage.


La doctrine se divise. Le gage commun est pour certains auteurs le gage
« théoriquement accessible à tous » 39, celui sur lequel tous les créanciers peuvent
prétendre au paiement. Pour d’autres, il s’agit du gage par principe commun à
tous les créanciers40, sauf exception, comme en matière en déclaration notariée
d’insaisissabilité41. Il appartiendra aux juges de se prononcer sur la question.

11. L’identification du but poursuivi par l’action en défense de l’intérêt


collectif a aussi permis de clarifier la notion de préjudice collectif comme
l’atteinte portée au gage commun des créanciers, et la Cour de cassation dans un
arrêt du 23 juin 2015, reprenant le texte de l’arrêt Laroche, est venu rappeler que
le préjudice réparé est « l’aggravation du passif ou une diminution de l’actif »42.
Parallèlement, la notion de préjudice individuel distinct a elle aussi été précisée.
Il reste constant que ce préjudice individuel des tiers n’est réparable que s’il est
distinct du préjudice collectif43 ou qu’il n’en constitue pas une fraction. Ne sont
pas des préjudices distincts, l’immobilisation de la créance44, la perte de son
apport pour l’associé45, ou la perte d’une chance de vendre ses parts à l’amiable
à un prix réel46. Mais l’abandon du critère large du préjudice inhérent à la
procédure collective47 au profit du critère de la finalité de l’action a élargi le

38
Contra voir note 22.
39
Le Corre (P.-M.), L’intérêt collectif est-il l’intérêt de tous les créanciers ?, BJE 2016, n° 3, p. 214 ;
Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 8 éd. 2015/2016, n° 611.36.
40
Sénéchal (M.), L'effet réel de la procédure collective : Litec, 2002, n° 67.
41
Pérochon (F.), L'intérêt collectif n'est pas l'intérêt de tous les créanciers sans exception, BJE 2016, n°
3, p. 218 ; Borga (N.), obs sous Cass. com., 15 nov. 2016, n° 14-26287, BJE mars 2017 p. 107.
42
Cass. Com. 7 janv. 1976, n° 72-14029, Bull. Civ. IV, n° 6.
43
Cass. Com. 23 juin 2015, n° 14-4001, Cass. Com. 31 mars 1978, n° 76-15067, Bull. Civ. IV, n° 100,
Com. 2 juin 1997, n° 95-18844, Bull. Civ. IV, n° 163; Cass. Ass Plén, n° 89-19211; Saint Alary-Houin
(C.), Droit des entreprises en difficultés, 10° éd. 2016, Domat, n° 860.
44
Cass. Ass. Plén, 9 juil. 1993, n° 89-19211, Bull. A. P. n° 13.
45
par exemple : Cass. Com. 14 déc. 1999, n° 97-14500, Bull. Civ. IV, n° 230 ; Cass. Com. 29 sept.
2015, n° 13-27.87.
46
Cass. Com., 18 janvier 2017, n° 15-13392, 15-14661, inédit.
47
Cass. Ass. Plén 9 juillet 1993, n° 89-19211.

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domaine des préjudices individuels distincts48. Les salariés souffrant d’une perte
de chance de ne pas avoir pu faire valoir leur droit à la formation ou d’avoir
perdu leur emploi49 ou le dirigeant subissant la perte d’une rémunération future50
souffrent de préjudices individuels distincts.
Cependant, ce nouveau critère de distinction ne semble pas avoir suffi à trancher
toutes les situations. Par exemple, la nature du préjudice que subit un associé du
fait de la perte de ses futurs dividendes reste en suspens. Constitue-t-il un
préjudice individuel distinct ou une fraction du préjudice collectif ?51. La
distinction entre l’intérêt collectif des créanciers et l'intérêt individuel distinct
montre ici ses limites52.

12. Définir l’intérêt collectif comme le gage commun des créanciers, c’est en
adopter une conception unitaire large qui montre que l’intérêt collectif ne
s’exprime pas seulement dans les actions en paiement. Il irradie toute la
procédure collective et il constitue le guide de l’ensemble des actions effectuées
par les organes chargés de sa défense53.

II. La défense attitrée de l’intérêt collectif

13. La défense de l’intérêt collectif des créanciers, comme en matière de


défense de l’intérêt collectif des consommateurs ou de l’intérêt professionnel est
confiée à une personne spécialement désignée.

48
Jacotot (D.) note sous Cass. Com. 2 juin 2015, RPC 2016, n° 2, comm. 73, pour une critique du
domaine large du préjudice collectif. Pérochon (F.) Entreprises en difficulté, 10e éd. 2015, n° 515.
49
Cass. Com., 2 juin 2015, n° 13-24714.
50
Ex : Cass. Com. 29 sept. 2015, n° 13-27.87.
51
Théron (J.), note sous Cass. Com. 29 sept 2015, n° 13-27.87, Gaz. Pal. 22 dec. 2015, n° 356, p. 17 ;
Pagnucco (J.-C.), Les doutes sur le préjudice personnel du dirigeant-associé d’une société en liquidation
judiciaire victime d’actes de concurrence déloyale, Act. Proc. Coll. 2015, n° 287.
52
Perruchot-Triboulet (V.), obs. sous Cass. Com. 21 juin 2016, n° 15-10028, BJE 2016, n° 6, p. 421 ;
Parachkevova (I.), note sous Cass. Com. 29 sept 2015, n° 13-27.87, BJE 2015, n° 12, p. 661. Cet auteur
propose l’abandon de la distinction.
53
Bonhomme (R.) conl. Sur Cass. Avis. 3 juin 2013, n° 13-70002, RPC 2013-4 étude 18 , n° 55 ;
Honnorat (A.),obs. sous Cass. Com. 16 mars 1999, D. 1999, p. 349.

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L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS

Sous l’empire de la loi de 1967, cette défense était assurée par le syndic,
représentant de la masse des créanciers. Toutefois, la loi et la jurisprudence
admettaient l’exercice, par les créanciers, de l’action ut singuli. La loi de 1985
en supprimant la masse des créanciers et sa personnalité juridique a procédé à un
grand bouleversement. Si la loi a maintenu le monopole du « représentant des
créanciers » dans la défense de l’intérêt des créanciers, la jurisprudence a refusé
aux créanciers d’agir ut singuli54.
Lors de l’adoption de la loi de sauvegarde, le législateur a fait œuvre de
compromis55. Tout en maintenant le monopole du mandataire judiciaire dans la
défense de l’intérêt collectif (A), il a ouvert une action ut singuli subsidiaire aux
créanciers contrôleurs (B).

A. Le monopole réaffirmé et prolongé

14. Selon l’article L. 622-20 du Code de commerce, le mandataire judiciaire


« a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers ».
Toutes les actions qu’il mène au nom de cet intérêt collectif sont des actions
attitrées au sens de l’article 31 du code de procédure civile56.
Le mandataire judiciaire57 et le liquidateur58 sont investis d’un monopole. Ni un
créancier59, ni l’administrateur judiciaire60 ne peuvent agir pour la défense de cet
intérêt.

Le mandataire judiciaire doit agir au nom et dans le respect du caractère collectif


de l’intérêt qu’il défend. Ainsi, il n’a pas à indiquer le nom des créanciers pour
lesquels il agit61. De même, il engage sa responsabilité professionnelle
« lorsqu’il confond intérêt collectif et intérêt personnel d’un créancier ou d’un

54
Cass. Ass. Plén, 9 juil. 1993, n° 89-19211, Bull. A. P. n° 13.
55
Lienhard (A.), Code des entreprises en difficultés, 2017, sous article L. 622-20 C.com.
56
« L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention,
sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie
pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. ».
57
C.com. art. 631-14.
58
C.com. art. 641-4.
59
Cass. Ass. Plén, 9 juil. 1993, n° 89-19211, Bull. A. P. n° 13.
60
Cass. Com. 5 janv. 1999, n° 96-20591, Bull. Civ. IV, n° 3.
61
Cass. Com. 16 mars 1993, n° 90-20188.

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groupe de créanciers »62 . Par exemple, le mandataire judiciaire commet une


faute s’il impose l’admission d’une créance dont la déclaration a été tardive63. Il
ne peut pas davantage, en cas de location gérance du fonds de commerce, agir en
paiement contre le bailleur sur le fondement de la solidarité des six premiers
mois entre le bailleur et le locataire gérant64 ou réaliser l’immeuble objet d’une
déclaration notariée d’insaisissabilité si cette déclaration est opposable à la
procédure65.

15. La défense de l’intérêt collectif justifie l’ensemble des pouvoirs et actions


octroyées au mandataire judiciaire. Et, définir ces actions comme celles ayant
pour but de « préserver ou reconstituer le gage commun » le confirme66.
L’intérêt collectif guide le mandataire judiciaire dans tous les actes qu'il
accomplit et qui relèvent de la constitution ou de la préservation du gage
commun.

Sont comprises dans la mission de la reconstitution du gage commun les actions


en paiement telles que les actions en recouvrement des créances du débiteur, les
actions en responsabilité contre les tiers, le dirigeant67, un créancier68 ou encore,
les actions en libération des apports sociétaires69. Sont aussi incluses des actions
qui n’ont pas pour objectif premier d’obtenir le paiement d’une somme d’argent
telles que les nullités de période suspecte, l’action en extension et en réunion des
patrimoines car elles « permettent d’obtenir un élargissement de l’assiette du
gage » 70.

La protection du gage commun comprend, quant à elle, tous les actes


conservatoires ainsi que toutes les actions en inopposabilité d’un acte à la

62
Delmotte (P.), op. cit, p.106.
63
Com. 7 janvier 2003, n° 99-10781, Bull. Civ. IV n° 1.
64
Cass. com., 4 nov. 2004, n° 02-13685 – Cass. com., 13 déc. 2005, n° 04-18567.
65
Cass. Com. 28 juin 2011, n° 10-15482, Bull. Civ Iv, n° 109 ; Cass. Com. 22 mars 2016, n° 14-21267.
66
Bonhomme (R.) conl. Sur Cass. Avis. 3 juin 2013, n° 13-70002, RPC 2013-4 étude 18 , n° 55 ;
Honnorat (A.),obs. sous Cass. Com. 16 mars 1999, D. 1999, p. 349.
67
C.Com. Art. L. 651-3, L. 653-7, L. 654-17.
68
Par exemple une action en responsabilité pour rupture abusive de concours financier Cass. com., 18
janv. 2017, n° 15-13392.
69
C.com. art. L. 622-20.
70
Bonhomme (R.) conl. Sur Cass. Avis. 3 juin 2013, n° 13-70002, RPC 2013-4 étude 18 , n° 43 et s. ;
Pérochon (F.), Entreprises en difficulté, 10e éd. 2015, n° 329.

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procédure collective, comme la déclaration notariée d’insaisissabilité71, les


actions obliques72 et pauliennes73. Eu égard au nouveau critère de « la protection
du gage commun », la Cour de cassation devrait revenir sur sa jurisprudence
privant le mandataire ou le liquidateur judiciaire de l’exercice de l’action
paulienne à l’encontre d’une déclaration notariée d’insaisissabilité74.
Indirectement, cette protection inclut aussi toutes les opérations d’établissement
et de vérification du passif ainsi que celles qui ont pour but de le diminuer. Par
exemple, le mandataire judiciaire en demandant une conversion en liquidation
judiciaire évite au débiteur des dépenses inutiles en frais de procédures ou liées
au maintien de l’activité. Agissant avec diligence, le mandataire judiciaire
permet indirectement de préserver le gage commun75.

Le mandataire judiciaire n’agit que dans l’intérêt collectif. Le tiers dispose


seulement des actions en réparation du préjudice propre, personnel, distinct du
préjudice collectif dont il se prévaut, tel que le préjudice moral lié à une
infraction de banqueroute76.

16. Le législateur a prolongé le monopole de l’action pendant l’exécution du


plan en le confiant au commissaire à l’exécution du plan77 qui prend « le
relais »78 du mandataire judiciaire. En sus de missions spécifiques qui entrent
dans la défense de l’intérêt collectif comme la poursuite des actions auxquelles
était partie le mandataire judiciaire avant le jugement arrêtant le plan de cession,
ou encore le pouvoir de procéder à l’exécution forcée du plan79, l’article L. 626-
25 du code de commerce lui confie « la défense des intérêts collectifs » 80.

71
Cass. Com. 15 nov. 2016, n° 14-24287, Bull. Civ. IV, n° 53.
72
Cass. Com. 3 avril 2001, Bull. Civ., n° 71.
73
Cass. Civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-16541; Martin-Serf (A), op. cit. p. 148.
74
Décision de refus : Cass. Com.23 avril 2013, n° 12-16035, Bull. Civ. IV, n° 68.
75
Bonhomme (R.) op.cit. , n° 39.
76
Cass. Crim. 30 mai 1994, n° 93-83933.
77
Si le mandataire judiciaire est maintenu dans ses fonctions, sa mission se cantonne aux opérations de
vérification du passif et d’établissement de l’actif, si bien qu’il ne dispose plus du monopole à agir dans
l’intérêt collectif des créanciers.
78
Houin-Bressand (C.), Saint Alary-Houin (C.), J-Cl. Fasc. 2238, Sauvegarde et redressement judiciaire
– Organes- Commissaire à l’exécution du plan , n° 37.
79
C.com. art. 626-27 et L. 626-25.
80
C.com. art. 626-25 ; Houin-Bressand (C.), Saint Alary-Houin (C.), op. cit, n° 37.

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La généralité du texte semble autoriser le commissaire à l’exécution du plan à


exercer toute action en justice poursuivant l’objectif de protection et de
reconstitution du gage commun. La jurisprudence l’autorise à agir en
recouvrement de créances nées antérieurement au jour du jugement d’ouverture81
ou encore à exercer une action paulienne82. Dans le prolongement de cette
jurisprudence, le commissaire à l’exécution du plan devrait être habilité à
demander la libération intégrale du capital aux associés ou à intenter des actions
contre les tiers cocontractants du débiteur83. Or, la jurisprudence refuse de lui
octroyer de telles prérogatives sous couvert de la protection du droit du débiteur
d’ester en justice84. Il en ressort que la séparation entre les pouvoirs du débiteur
et ceux du commissaire à l’exécution du plan ne se fait pas au regard du
caractère collectif ou non de l’action85. Le commissaire à l’exécution du plan
partage avec le débiteur la mission de protection de l’intérêt collectif des
créanciers.
Qu’en est-il lorsque le débiteur n’agit pas alors que l’action servirait l’intérêt
collectif ? En l’absence de disposition légale, Madame Poujade suggère de
confier au commissaire à l’exécution du plan une action subsidiaire attitrée,
selon les mêmes modalités que pour les créanciers contrôleurs86.

17. Le monopole conféré tantôt au mandataire judiciaire ou au liquidateur


tantôt au commissaire à l’exécution du plan rend irrecevable toute action ut
singuli initiée par un créancier. Leur monopole est si fort qu’en dépit de la
cessation de le leur fonctions, seuls les organes sus visés ont qualité à agir et il
appartient à tout intéressé de demander la nomination d’un mandataire ad hoc87
afin par exemple d’engager la responsabilité civile du mandataire ou d’agir en
recouvrement. Cette mesure est critiquable car elle prive le créancier de
l’exercice d’un droit dont il a en principe recouvré l’exercice. Toutefois, elle a

81
Cass. com., 20 mai 1997, n° 93-20.861 et 93-20.862.
82
Cass. crim., 28 mai 2008, n° 07-87.350 ; Houin-Bressand (C.), Saint Alary-Houin (C.), op.cit, n° 39.
83
Cette faculté lui a été déniée par la jurisprudence : Cass. Com. 12 oct. 2004, n° 02-16762, Bull. Civ
IV, n° 184 ; RTDCom. 2005, p. 592, note Saint Alary-Houin (C.).
84
Par exemple, Cass. Com. 4 juin 2013, n° 12-16366.
85
Lucas (F.-X.), obs sous Cass. Com. 4 juin 2013, D. 2013, p. 2263. ; l'Auteur propose de retenir que le
commissaire à l’exécution du plan dispose de la qualité à agir en matière délictuelle mais pas en matière
contractuelle ; celle-ci étant réservée au débiteur. Poujade (H.), op.cit, n° 145-146.
86
Poujade (H.), op.cit. , n° 145-146.
87
Ccom. Art. L. 626-27 I.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 297

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L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS

pour avantage d’éviter une dilution des recours et peut apparaître en ce sens
comme une mesure de bonne administration de la justice88.

B. Le monopole partagé

La loi de sauvegarde a fait œuvre de synthèse entre les lois de 1967 et 1985 en
maintenant le monopole de l’action au bénéfice du mandataire judiciaire et en
réintroduisant une action ut singuli subsidiaire89 réservée aux créanciers
contrôleurs90.

18. Les articles L. 651-3, L. 653-7, L. 654-17 du code de commerce autorisent


les contrôleurs à agir en responsabilité pour insuffisance d’actif, à demander le
prononcé d’une faillite personnelle ou à se constituer partie civile en cas de la
banqueroute.
L’article L. 622-20 du même code de commerce prévoit, sans autre précision,
que le créancier contrôleur pallie la carence du mandataire judiciaire dans les
actions qui relèvent de la protection de l’intérêt collectif comme les actions en
responsabilité civile contre les tiers. La question du domaine de l’action ut
singuli du créancier contrôleur a été posée au sujet de l’action en extension91.
Malgré des travaux parlementaires favorables92, le débat a divisé la doctrine93. A
l’instar de la Cour de cassation, il convient d’adopter une vision large de l’intérêt
collectif et de considérer que tous les actes du mandataire judicaire, même lorsque
leur initiative est partagée avec un autre organe de la procédure 94 comme l’action
en extension, en nullité de la période suspecte, sont effectués dans l’intérêt

88
Vinckel (F.), l’exécution forcée du plan de sauvegarde, RPC 2009-3, p. 26, n° 3 ; Pérochon (F.),
Entreprises en difficulté, 10e éd. 2015, n° 1034.
89
Staes (O.), Aspects procéduraux de la réforme, Dr et Patr. Mars 2006-60,spéc. 70 ; Vallens (J-L.),
Voies de recours et procédure de sauvegarde, RTDCom. 2006, p. 219.
90
Sous l’empire de la loi de 1967, le créancier pouvait exercer l’action ut singuli et obtenir réparation du
préjudice qu’il subissait.
91
Jazottes (G.), Les innovations de la procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, RPC. Déc.
2005, n° 4, p. 358.
92
De Roux (X.), Rapp. N° 1035, au nom de la commission des lois du Sénat, p. 200 ; Montebourg (A),
2° séance, AN, 3 mars 2005, JO Débats, p. 1652.
93
Pour not : Roussel-Galle (P.), Les contrôleurs, gardiens de l’intérê collectif, Gaz.Pal. 10 sept. 2005,
n° 253, n° 5 et 26 ; Jeantin (M.), Le Cannu (P.), Droit commercial, Dalloz, Précis, 7° éd. 2006, n° 456 ;
Bonhomme (R.)conl. Sur Cass. Avis. 3 juin 2013, n° 13-70002, RPC 2013-4 étude 18 ; Contra : Lucas
(F.-X.) obs. sous Cass. Avis. 3 juin 2013, n° 13-70002, D. 2013, p. 2366.
94
Maréchal (C.), L'intérêt collectif des créanciers, RPC n° 3, Mai 2014, étude 10, n° 11, 12.

298 | IFR Actes de colloques N° 30

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collectif des créanciers. Ce faisant, le contrôleur est admis exercer à titre


subsidiaire tous les recours95 et actions, y compris l’action en extension96
relevant de la compétence du mandataire ou du liquidateur judiciaire.
En revanche, la loi ne prévoit aucune action subsidiaire du créancier contrôleur
en cas de carence du commissaire à l’exécution du plan. La doctrine propose de
remédier à ce problème en étendant l’action subsidiaire attitrée des contrôleurs à
la carence du commissaire à l’exécution du plan97 voire à tout créancier98.

19. Les actions des contrôleurs sont soumises à la caractérisation d’une carence
du mandataire ou du liquidateur. Ainsi, en échos aux propositions doctrinales99,
l’article R. 622-18 du code de commerce prévoit que le contrôleur n’a qualité à
agir qu’après avoir mis en demeure le mandataire judiciaire d’agir, restée
infructueuse pendant au moins deux mois. A cause semble-t-il d’un oubli,
aucune disposition applicable à la liquidation judiciaire ne revoie à ce texte. Or,
afin que le régime de l’action subsidiaire des contrôleurs soit uniforme, il
convient de considérer ce texte applicable en liquidation judiciaire100 comme en
redressement ou en sauvegarde.

La loi vise « la carence » du mandataire judiciaire sans en donner de critère


d’indentification. S’agit-il de l’absence de réponse ou de l’absence d’action101 ?
Les deux critères semblent se combiner. La carence est constituée lorsque le
mandataire judiciaire ne répond pas à la sollicitation des contrôleurs et qu’il
n’agit pas, ou qu’il promet d’agir mais ne s‘exécute jamais102. En revanche, il
n’y a pas carence si le mandataire judiciaire agit selon la demande des
contrôleurs sans leur répondre.

95
Le Corre (P.-M.), Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 8 éd. 2015/2016, n°
611.31, Pérochon (F.), Entreprises en difficulté, 10e éd. 2015, n° 511.
96
Cass. Avis. 3 juin 2013, n° 13-70002, rapp Teixier, concl. Bonhomme (R.), RPC 2013-4 étude 18.
97
Le Corre (P.-M.), op. cit. , n° 611.31.
98
Pérochon (F.), op. cit. , n° 1034.
99
Montéran (T.), Observations sur l'avant-projet de loi de sauvegarde des entreprises, Gaz. Pal. 10-11
déc. 2003, p. 2 préconisait une mise en demeure demeurée infructueuse pendant quatre mois.
100
Lienhard (A.), op. cit.
101
Dans ce sens voir Dammann (R)., Réforme de la loi de sauvegarde : vers un renforcement du rôle
des contrôleurs ?, BJE mars 2014, p. 75, Reille (F.), JCL procédures collectives, fasc. 2236, n° 36.
102
Le Corre (P.-M.) Droit et pratique des Procédures collectives, Dalloz action, 2015-2016, n° 612-23,
p. 1182.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 299

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L’INTÉRÊT COLLECTIF DES CRÉANCIERS

Quant à la réponse négative du mandataire judiciaire dans le temps imparti, elle


ne saurait automatiquement constituer une carence103 . En effet, le refus est une
réponse et l’inaction volontaire peut s’avérer être l’attitude la plus protectrice de
l’intérêt collectif 104. Toutefois, pour parfaire l’édifice, il semble, malgré le
silence de la loi, nécessaire d’accorder un recours aux créanciers contre le refus
d’agir du mandataire judiciaire. Ce recours parait pouvoir être porté devant le
juge commissaire qui appréciera la pertinence de la décision du mandataire
judiciaire et sa conformité avec la défense de l’intérêt collectif105.

20. La carence est constituée si la mise en demeure d’agir reste infructueuse


pendant au moins deux mois. Si la mise en demeure préalable est une condition
indispensable106 , le contrôleur devrait pouvoir agir avant l’expiration du délai de
deux mois. Cette transgression parait s’imposer lorsque le délai de prescription
de l’action arrive à son terme avant l’expiration du délai de deux mois. Au plan
procédural, une fin de non-recevoir est susceptible de régularisation107. Ainsi, le
contrôleur qui, avant l’expiration du délai de deux mois, assigne un tiers à une
date ultérieure à l’expiration de ce délai, dispose de la qualité à agir au jour où le
juge statue sur sa demande, sauf réponse négative ou inaction du mandataire
judiciaire.

21. L’action subsidiaire en insuffisance d’actif108 tendant au prononcé d’une


faillite personnelle109 ou la constitution de partie civile dans le cadre de
poursuites sur le fondement de la banqueroute110 est soumise à une condition
supplémentaire. Elle doit être décidée par la majorité des contrôleurs. L’action
exercée par un seul contrôleur est irrecevable, sauf régularisation111 .
Si un auteur112 semble regretter que cette solution n’ait pas été généralisée à
l’ensemble des actions subsidiaires des contrôleurs, il apparait que la loi contient

103
CA Comar, Ch 1, s A, 8 nov. 2011, 10/05697, jurisdata 2011-025082.
104
Vallens (J-L.), Voies de recours et procédure de sauvegarde RTDCom. 2006, p. 219.
105
Lienhard A., code des entreprises en difficultés, Dalloz,2017, sous article L. 622-20 du Code de
commerce, Vallens (J-.L.), op.cit.
106
CA. Lyon, Ch. 3 (A), 10 déc. 2015, n° 15/06668 ; CA Paris Pole 5, Ch. 9, 18 sept. 2014, n° 13/11596.
107
Conformément aux dispositions de l’article 126 du CPC. Lienhard (A.), op. cit.
108
C.com. Art. L. 651-3.
109
C.com. Art. L. 653-8.
110
C.com. Art. L. 654-17.
111
CA Colmar, Ch. 1, 26 oct 2016, n° 15/05558 ; CA Paris, Pole 5. Ch. 8, 17 juin 2014, n° 13/24177.
112
Cagnoli (P.), La qualité pour agir, questions procédurales, Rev. proc. coll. 2006. 209, spéc. 210.

300 | IFR Actes de colloques N° 30

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suffisamment de « garde-fous »113 permettant d’éviter les abus et incitant les


contrôleurs à agir avec raison et prudence114.
En dehors de l’action en responsabilité pour insuffisance d'actif, où « les dépens
et frais irrépétibles auxquels a été condamné le dirigeant sont payés par priorité
sur les sommes versées pour combler le passif »115, faute de texte spécial, les
contrôleurs supportent personnellement les frais de procédure116 . De plus, les
contrôleurs, en cas de faute grave engagent leur responsabilité civile.

22. Pour conclure, l’intérêt collectif des créanciers pris dans une acception
large qui transcende leurs intérêts individuels, loin de disparaître, continue de
susciter des interrogations. Il appartient désormais à la jurisprudence de
continuer à écrire l’histoire collective des créanciers.

"Ce travail a bénéficié d'une aide de l'Etat gérée par l'Agence nationale de la
recherche au titre du programme "investissements d'Avenir", portant la
référence ANR-10-LABX-11-10".

113
Pérochon (F.), Entreprises en difficulté, 10e éd. 2015, n° 511.
114
Dammann (R)., Réforme de la loi de sauvegarde : vers un renforcement du rôle des contrôleurs ?,
BJE mars 2014, p. 75.
115
C.com Art. L. 651-3.
116
Roussel Galle (P.)., Les contrôleurs, gardiens de l'intérêt collectif, préc., p. 3, no 27.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 301

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Contrats bancaires et
droit des entreprises en difficulté

Sophie SABATHIER
Maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole,
Centre de Droit des Affaires (CDA)

Qu’ils constituent des opérations de crédit sous forme de concours ou qu’ils


soient support du crédit sous forme de compte, les contrats bancaires sont au
cœur du dispositif mis en place par le droit des entreprises en difficulté pour
favoriser le sauvetage de l’entreprise. Le sort du banquier oscille entre celui
réservé à un créancier qui a pu contribuer à un endettement qui pèse sur le
redressement et celui accordé au partenaire financier qu’il faut préserver pour
assurer le financement de la période d’observation. Parmi les contractants de
l’entreprise, le banquier dispose néanmoins d’un statut particulier. Les
différentes réformes, depuis 1994, ont tâché d’offrir aux pourvoyeurs de crédit
des incitations, sous la forme de privilège ou encore d’exonération de
responsabilité, afin de favoriser une politique de crédit plus ambitieuse. D’un
point de vue conceptuel, si l’on analyse comment les objectifs assignés au droit
des procédures collectives ont façonné les relations entretenues par les banques
et l’entreprise en difficulté, force est de constater que le contrat bancaire,
considéré comme une valeur à protéger en vue de la sauvegarde, du
redressement ou de la cession de l’entreprise, et mis à son service, se voit priver
de certaines de ses caractéristiques essentielles. Un phénomène d’objectivation
du contrat altère l’un des traits fondamentaux de la convention bancaire,
l’intuitus personae, dans un mouvement qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui (I).
Patrimonialisé, le contrat de prêt voit sa nature estompée par une appréhension

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 303

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CONTRATS BANCAIRES ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

du contrat en cours qui gomme les conséquences du caractère consensuel ou réel


de la convention.

I. L’objectivation du contrat ou le recul de l’intuitus


personae de la convention bancaire

Le contrat de compte comme le contrat de crédit reposent sur la confiance


du banquier envers son client. Les contrats bancaires sont conclus intuitu
personae, en ce sens que la personne du contractant, du client, y joue un rôle
déterminant1 . Les évènements qui la concernent, son décès, une incapacité, la
modification de sa forme ou la dissolution s’il s’agit d’une personne morale,
sont des causes de résiliation de telles conventions. On en déduit aussi qu’ils ne
peuvent être transmis2. Or le droit des entreprises en difficulté a mis en place un
régime de continuation des contrats en cours : le législateur, prenant conscience
de la richesse du réseau contractuel, a réduit les prérogatives du contractant de
l’entreprise en difficulté pour donner à l’administrateur judiciaire une option en
faveur du maintien de la convention. Ce dispositif, qui contribue à détacher le
contrat de la volonté des parties a été maintenu par la loi de sauvegarde et par
l’ordonnance de 2014 soucieuses de restaurer les droits des créanciers3 tout en
préservant les solutions antérieures. Il a été maintes fois souligné combien ce
régime est dérogatoire au droit commun en ce que l’administrateur peut imposer
la continuation du contrat sans que le contractant puisse lui opposer le non-
paiement des créances antérieures. L’ordonnance de 2008 a encore renforcé cet
aspect dérogatoire en octroyant à l’administrateur la possibilité de mettre fin au

1
Ch. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire : Litec, 8e éd. 2010, n° 523. - Th. Bonneau, Droit
bancaire : Montchrestien, 9e éd. 2011, n° 16. - V. également, N. Mathey, Par le contrat mais
au-delà du contrat. Le particularisme de la relation bancaire au fondement d'un nouveau droit
commun : Les concepts émergents en droit des affaires : LGDJ, 2010, E. Le Dolley (dir.), p. 336, n° 13
et s.) ; J-cl. Contrat-distribution, Fasc. 200 : Contrat- Intuitu personae ", par Ph. le Tourneau et D.
Krajeski.
2
Pour un exemple récent : Cass. Com. 15 mars 2011, n° 10-11.650.
3
Revue des procédures collectives n° 2, Mars 2014, dossier 18 « Qu'est-ce qui change pour les
partenaires de l'entreprise en difficulté ? », Etude par F. Legrand, M-N. Legrand et M- H. Monsèrié-
Bon.

304 | IFR Actes de colloques N° 30

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contrat s’il juge la résiliation nécessaire à la sauvegarde du débiteur4. Cette


double entorse au droit des contrats heurte également de plein fouet l’esprit de la
convention bancaire qui est l’expression d’une certaine souveraineté du
banquier, maître d’apprécier le degré de confiance qui justifie le risque pris dans
le choix de ses clients ; elle a pourtant dû se plier aux contraintes imposées par
le législateur des entreprises en difficulté.

Le caractère personnel de la convention avait un temps constitué un


obstacle à sa continuation. Rappelons que sous l’empire de la loi de 1967, les
contrats conclus intuitus personae n’étaient pas concernés par la faculté d’option
de l’administrateur en raison de l’existence de la masse des créanciers, qui
conduisait à admettre que l’ouverture de la procédure collective entraînait une
modification de la personne du contractant. Une fois qu’il fut admis, avec la loi
de 1985, que le contrat est continué par le débiteur lui-même, il n’y avait plus de
fondement en faveur d’une résiliation par la banque. Et aux lendemains de la loi
du 25 janvier 1985 une jurisprudence audacieuse a décidé que « l’administrateur
avait la faculté d’exiger la continuation des contrats en cours lors du prononcé
du redressement, sans qu’il puisse être fait de distinction selon que les contrats
ont été conclu ou non en considération de la personne ». Dans cette décision
amplement commentée, étaient visées les conventions de compte courant,
d’ouverture de crédit, de découvert et d’autorisation d’escompte5. Les raisons de
ce recul de l’intuitus personae pouvaient résider dans le rôle conféré à
l’administrateur par la loi du 25 janvier 1985, qui « remplace » le débiteur : ce
dernier s’efface au profit de la notion d’entreprise6. Il s’agissait surtout, le
législateur étant resté silencieux sur le sort de ces contrats pourtant essentiels au
maintien de l’activité et au redressement, d’aligner cette catégorie de convention
sur le sort réservé aux autres contrats et de généraliser ce principe conçu comme
une pièce maîtresse de la poursuite de l’activité. Les créances nées de la
continuation bénéficiaient en contrepartie du privilège de procédure.

4
En ce sens, Ph. Roussel-Galle, « les nouveaux régimes des contrats en cours et du bail », RPC 2009, n°
1, dossier 7, n° 12, qui souligne qu’avant l’ordonnance de 2008 le contrat ne pouvait être résilié sans une
volonté directe ou indirecte du contractant.
5
Cass. Com. 8 déc. 1987, D. 1988. 52, note Derrida ; JCP 1988. II. 20927, note Jeantin ; Banque 1988.
96, obs. Rives-Lange ; RD bancaire 1988. 60, obs. Crédot et Gérard et 69, obs. Dekeuwer-Défossez ;
cette Revue 1988. 97.
6
M-H.Monsérié-Bon, M.-H. Monserié-Bon, Les contrats dans le redressement et la liquidation
judiciaires des entreprises, Litec, 1994, préface de C. Saint-Alary-Houin.
n° 177 ; B. Soinne, n° 1329, p. 1001.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 305

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CONTRATS BANCAIRES ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

Les solutions inaugurées sous l’empire de la loi de 1985 se sont maintenues


et révèlent même une certaine intensité des conflits entre la banque et
l’entreprise en difficulté, au vu d’une jurisprudence assez abondante des juges
du fond sur le maintien des conventions de compte7. La Cour de cassation a eu
plusieurs occasions de rappeler que la banque ne peut se désengager en
invoquant une cause antérieure à l’ouverture de la procédure8. Et les clauses de
résiliation de plein droit en raison de l’ouverture d’une procédure de
redressement judiciaire ou de la cessation des paiements seront sans effet,
comme toute autre clause tendant à la déchéance des délais de paiement
consentis et emportant exigibilité immédiate de la créance considérée9. Cette
jurisprudence de 1987 a aussi inauguré un mouvement qui a touché de
nombreux contrats intuitu personae, contrats de crédit-bail, de franchise, de
location-gérance, révélant que le caractère personnel de ces conventions est
balayé au profit d’une vision économique du contrat10.

Un nouveau recul de l’intuitus personae pourrait résulter du traitement


réservé au compte courant en phase liquidative. Dans cette convention, les
parties affectent leurs futures créances réciproques dans un compte pour leur
faire subir un règlement simplifié et global par une fusion dans un solde. Les
créances se servent mutuellement de garantie, ce qui révèle que le
fonctionnement du compte repose sur une étroite relation de confiance entre les

7
Pour la jurisprudence des juges du fond qui tendent à assurer l’efficacité de la règle de maintien des
conventions de compte : Ch. Delattre, le maintien des relations bancaires en cours, de gré ou de force,
Bull. Joly Entreprises en difficulté -01/05/2012 - n° 03 - page 198.
8
Cass. Com. 1er juillet 1997, n° 95-15.440, Bull. Civ. IV, n° 214 ; Rev. proc. coll. 1998, 277, n° 1, obs.
J. Mestre et A. Laude ; Cass. Com. 4 juin 2013, n° 12-17203, Rev. sociétés 2013, 523 L-C.Henry ; Bull.
Joly Entreprises en difficulté 2013, p. 278, note S. Benilsi ; Gaz. pal. 29 sept. 2013, p. 18, obs. Ch.
Bidan; Chr. Lebel, Étendue de la mission de l'administrateur et fonctionnement des comptes en banque,
Rev. proc. coll. n° 3, Mai 2014, comm. 57 : la banque ne peut opposer à l’administrateur qui entend
poursuivre la convention d’ouverture de compte des prétextes tirés d’une impossibilité
organisationnelle, liée à l’intervention de la double signature de l’administrateur et de la société
débitrice, dissimulant la volonté de la banque de cesser tout concours avec une entreprise en
redressement judiciaire.
9
Pour l’inefficacité d'une clause résolutoire de plein droit en cas de cessation des paiements, Cass. Com.
2 mars 1993, Bull. Civ. IV, n° 87 D. 1993. 77 ; pour l’interdiction de la clause de déchéance du terme
fondée sur la cessation des paiements, Cass. Com., 21 févr. 2012, n° 11-33077, D. 2012. 607, obs. A.
Lienhard ; Rev. sociétés 2012. 399, obs. L.-C. Henry I. Parachkevova, LEDEN 2012, n° 65 ; Fx.Lucas,
D. 2012, 2196.
10
Cf. Sur ce point, C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 10e ed. , n°
618.

306 | IFR Actes de colloques N° 30

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parties. Certes, ni l’ouverture de la sauvegarde, ni celle du redressement


judiciaire n’entraîne la clôture des comptes bancaires dont est titulaire le
débiteur11. Leur survenance n’est pas neutre mais l’incidence de ces procédures
sur le compte courant est davantage liée à des considérations techniques issues
du fonctionnement du compte, et à la nécessité d’établir un solde provisoire et
un compte bis pour respecter l’interdiction de paiement des créances antérieures
plutôt qu’à une manifestation de l’intuitus personae12. En liquidation judiciaire,
la perspective de remises futures et la confiance qui sous-tendent le
fonctionnement du compte ont nécessairement disparu ce qui explique qu’une
jurisprudence constante décide que le compte courant d'un débiteur mis en
liquidation judiciaire est clôturé par l'effet de cette mesure13. Cette règle paraît
cohérente dans la mesure où la liquidation conduit à la cessation d’activité et que
le débiteur est dessaisi.

Cette solution classique pourrait être revue à la lumière du nouveau régime


des contrats en cours issue de l’ordonnance de 2014 qui prévoit que ces
conventions sont continuées en phase liquidative, et ce même en l’absence de
maintien de l’activité. Cette évolution pourrait ainsi contribuer à la remise en
cause d’une règle classiquement attribuée à l’intuitus personae du compte
courant. Et la règle selon laquelle le liquidateur peut faire fonctionner pendant 6
mois et au-delà en cas de maintien de l’activité, les comptes existants14 prendrait
alors plus de sens et ne pourrait être réduite à une survie provisoire. La question
est pour le moment non résolue. Certes, la Cour de cassation a récemment
rappelé la règle classique dans un arrêt aux termes duquel elle affirme que le
11
J. Stoufflet, compte bancaire, Généralités, J-Cl. Banque, crédit, bourse, 200, n° 40.
12
Le compte fonctionne postérieurement à l’ouverture de la procédure sous la forme d’un compte bis
soumis aux mêmes termes contractuels que le compte qui fait l’objet de la continuation. Cette
jurisprudence constante relative au maintien du compte a suscité des réactions contrastées, une partie de
la doctrine s’attachant à démontrer que le compte courant ne fonctionne plus normalement ; O. Lutin, La
compensation en droit des procédures collectives, Etude, JCP, éd. E, 6 février 2003, 230, n° 16. ; cf.
aussi R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ , 11e éd , n° 499; il avait même été
soutenu que le redressement judiciaire était incompatible avec les règles de fonctionnement du compte :
M.-J. Campana, De la continuation du compte courant en cas de redressement judiciaire du remettant :
Banque 1986, p. 952-958 ; O. Anselme-Martin, Pour un retour à la clôture du compte courant bancaire
en cas de redressement judiciaire du client : RD bancaire et bourse mars-avr. 1997, p. 55-64.
13
Cass. com., 20 janv. 1998 : RTD com. 1998, p. 393, obs. Cabrillac; - 14 mai 2002 : Banque et dr.
juill.-août 2002, p. 52 ; Com. 14 mai 2002 : Bull. civ. IV, n° 83 ; n° 98-21.521, Act. proc. coll. 2002, n°
155, obs. Boulay, Rev. Proc.coll 2003, obs. Ph. Roussel-Gall ; Cass.com. 9 mai 2004, n° 02-18.570, D.
2004, AJ, 1813, obs. A Lienhard ; Act. Proc.coll. 2004/13, n° 163, obs. J-Ch. Boulay.
14
Aux termes de l’article R. 641-37 C. Com.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 307

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CONTRATS BANCAIRES ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

compte courant est clôturé par l’effet de la liquidation judiciaire, pour décider
que le solde du compte est exigible immédiatement à l’égard de la caution15 mais
la solution est rendue sous l’empire du droit antérieur à 2014. Et il n’en reste pas
moins que la liquidation judiciaire n’est plus synonyme de cessation d’activité et
que le principe de continuation des contrats pourrait ici avoir les mêmes
conséquences que dans le redressement judiciaire ou la sauvegarde. La poursuite
de l’activité en vue d’un plan de cession pourrait conduire à différer cette
exigibilité… et la clôture automatique du compte pourrait être remise en cause16,
marquant un certain recul des effets de l’intuitus personae.

Droit dérogatoire, c’est certain, mais le droit des entreprises en difficulté,


pour répondre au thème proposé est-il précurseur ? On ne peut s’empêcher de
faire le lien avec une autre limite portée à la souveraineté du prêteur, instaurée
par la loi bancaire de 1984, mais constamment renforcée depuis, et connue sous
la dénomination de « droit au compte »17 ; l’esprit est proche : bénéficier d’un
compte bancaire est une nécessité, justifiée par des impératifs sociaux et
économiques, qui légitiment une atteinte à la liberté du banquier18. Ce concept a
été relayé par l’émergence, beaucoup plus timide, d’un « droit au crédit », dont
le droit des entreprises en difficulté aurait été une première expression. Restons
prudent. Le droit au crédit n’a pas trouvé sa place dans notre législation, la Cour
de cassation ayant exprimé avec force le pouvoir discrétionnaire du banquier de
consentir ou non un crédit19. Surtout, il faut reconnaître que le droit des
entreprises en difficulté laisse subsister le droit spécial : l’article L. 313-12 du

15
Cass. Com. 13 décembre 2016, n° 14-16037 ; Gaz. Pal 21 févr. 2017, p. 32, obs. M-P. Dumont-
Lefrand ; RTDCiv 2017, note P. Crocq ; Act. Proc.coll. 2017, comm. 30, obs. F. Petit ; Ch. Gijsbers,
RPC n° 2 mars 2017, comm. 27. « Clôture automatique du compte courant en cas de liquidation
judiciaire : la caution doit payer immediatement ».
16
En ce sens, Ph. Roussel-Gall, le nouveau régime des contrats en cours et le bail, Rev. Proc.coll., n°
1, janv 2009, dossier 7.
17
Renforcé par une loi de lutte contre les exclusions de 1998, puis par une loi de 2008 mettant l’accent
sur l’accessibilité bancaire et enfin par une Charte de l’accessibilité bancaire, cf. A-C. Dufour, La
charte d’accessibilité pour renforcer l’effectivité du droit au compte, RDSS 2017, p. 24.
18
C. Husson-Rochongar, Le droit au compte, un instrument de régulation, RDSS 2017, p. 39, qui
identifie un impératif social, faciliter l’inclusion bancaire et un impératif économique, améliorer la
bancarisation et le fonctionnement du marché intérieur.
19
Le pouvoir discrétionnaire du banquier de consentir ou non un crédit (Cass. ass. plén., 9 oct. 2006, n°
06-11.056 : JurisData n° 2006-035300 ; Bull. civ. ass. plén., n° 11 ; JCP E 2006, act. 440 ; JCP E 2006,
2618 ; JCP G 2006, II, 10175, note Th. Bonneau ; D. 2006, p. 2933, note D. Houtcieff ; RTD civ. 2007,
p. 115, obs. J. Mestre et B. Fages et p. 145, obs. P.-Y. Gautier.

308 | IFR Actes de colloques N° 30

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Code monétaire et financier, qui encadre la rupture des concours non


occasionnels accordés à une entreprise, et qui fait du respect du préavis de
soixante jours un principe, reste applicable pendant la période d’observation20 ;
la situation irrémédiablement compromise permet quant à elle de rompre
brutalement les concours. La perte de confiance légitime une rupture21, ce qui est
une belle illustration de la force de l’intuitus personae et un important bémol au
maintien du contrat à l’ouverture de la procédure. Chassez le « personnel », et il
reviendra au galop !

II. La patrimonialisation du contrat et le recul de la nature


réelle ou consensuelle du contrat de prêt

Le dispositif central que constitue la continuation des contrats destiné à


préserver les potentialités de l’entreprise22 est analysé comme l’expression
d’une patrimonialisation du lien contractuel, le contrat étant considéré comme
un bien au service du redressement de l’entreprise23. Le contrat en cours n’a pas
été défini par le législateur et la doctrine a dégagé deux critères de qualification.
Il doit s’agir d’un contrat en cours d’existence et en cours d’exécution24. Le
terrain d’élection du dispositif réside dès lors dans les contrats à exécution
successive. Les contrats instantanés, par nature, ne sont pas des contrats en cours
mais la Cour de cassation admet que le contrat est en cours dès lors que la
principale prestation n’a pas été exécutée avant le jugement. Ce critère de
qualification a donné lieu à un abondant contentieux, la distinction entre les
prestations principales et accessoires étant délicate. Comme le souligne Corinne
Saint-Alary-Houin, pour que le mécanisme de l’option fonctionne, il est
nécessaire que le débiteur ou l’administrateur puisse exiger une prestation de la

20
Cass. Com. 8 déc. 1987 préc. ; Cass. Com. 1er oct. 1991, n° 89-13127 ; D. 1993 somm. 10, obs F.
Derrida ; JCP 1992, II, 21854, note Jeantin ; 2 mars 1993, n° 91-10.181, Rev.proc. coll. 1993, 532, obs.
J. Mestre et A. Laude.
21
V. Th. Bonneau, Droit bancaire : Lextenso, 11e éd., 2015, n° 852 ; A. Albarian, Le droit de rupture
unilatéral des contrats bancaires pour cause de perte de confiance, l’exemple de l’ouverture de crédit
LPA 30 déc. 2010, n° 260 , p. 3.
22
P-M. Le Corre et E. Le Corre-Broly, Droit des entreprises en difficulté, n° 159.
23
M-H. Monsèrié-Bon, Thèse préc. n° 147.
24
A. Martin-Serf, RJ com. n° spé. 1992, p. 9.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 309

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CONTRATS BANCAIRES ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

part du débiteur. La difficulté est accentuée s’agissant du contrat de prêt, par le


débat entre sa nature réelle ou consensuelle.

Traditionnellement, le contrat de prêt, conçu comme un contrat réel est


conclu au moment par la mise à disposition des fonds à l’emprunteur. La
restitution est de l’essence de l’opération de crédit, et l’obligation de rembourser
naît de la remise des fonds. Dès lors, l’absence de remise des fonds au jour de
l’ouverture de la procédure collective était de nature à faire considérer que le
contrat était bien un contrat en cours alors que le prêt consenti par un
professionnel du crédit et dont les fonds ont été entièrement remis au débiteur au
jour du jugement d’ouverture ne l’était pas25.

Or la nature du contrat de prêt a changé ; en effet, la Cour de cassation a


affirmé que le prêt consenti par un professionnel du crédit n'est pas un contrat
réel26 afin d'obliger le prêteur à exécuter la promesse qu'il avait consentie.
Désormais, la remise de la chose ne participe plus dans les contrats de prêt
conclus avec un professionnel de la formation d'un contrat réel unilatéral ne
faisant naître d'obligations qu'à la charge de l'emprunteur. Par l’effet de l’accord
de volontés, le prêteur est obligé au paiement de la somme convenue et « la
remise des fonds cesse d’être le moment fort du contrat27 ». En revanche, les
contrats de prêt consentis par des personnes n'ayant pas la qualité
d'établissement de crédit demeurent des contrats réels28.

Cette nouvelle qualification était-elle de nature à aplanir définitivement la


difficulté ? Une fois que le contrat devient consensuel, le contrat existe dès
l’accord de volonté, qui fait naître l’obligation de délivrer les fonds. N’est-il
pour autant plus jamais un contrat en cours? Certains affirmaient que la question
n’aurait plus à être posée. La Cour de cassation a rejeté la qualification de
contrat en cours pour un prêt à versement échelonné, c’est-à-dire dont la

25
Devésa, Dalloz 1993, p. 572 sous Cass. Com. 2 mars 1993.
26
Cass. Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 97-21.422, Bull. civ. IV, n° 105 ; D. 2000. 482, note S. Piedelièvre,
239, obs. J. Faddoul, 358, obs. P. Delebecque, 2001. 1615, obs. M.-N. Jobard-Bachellier, et 2002. 640,
obs. D. R. Martin ; RTD com. 2000. 991, obs. M. Cabrillac ; JCP E 2000. 898, concl. M. Sainte-Rose, et
1383, note L. Leveneur.
27
F. Grua, Le prêt d’argent consensuel, D. 2003, Chron. p. 1492.
28
Cass. Civ. 1re, 7 mars 2006, n° 02-20.374, Bull. Civ. I, n° 138 ; D. 2006, 753, note D.R. Martin ; JCP
éd. E, 2006, 2195, note S. Piedelièvre.

310 | IFR Actes de colloques N° 30

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prestation caractéristique intervenait en partie après le jugement d’ouverture29 .


On pouvait y voir l’influence de la nature consensuelle du prêt dont les
prestations fractionnées ne prennent pas naissance lors de chaque versement,
mais lors du contrat initial. En revanche, une ouverture de crédit est un contrat
en cours lorsque son bénéficiaire n’a pas encore utilisé le crédit qui lui était
accordé30. L’ouverture de crédit constitue en effet une promesse de prêt, qui
donne naissance à un prêt : elle rend le banquier débiteur d’une obligation de
faire, répondre aux appels de fond du bénéficiaire, et l’obligation de rembourser
naît au fur et à mesure de la remise des fonds. La jurisprudence présente dès
lors une certaine cohérence.

Les difficultés ne sont pas totalement aplanies pourtant et le contentieux a


ressurgi dans le cadre de la cession de l’entreprise en difficulté et du transfert
judiciaire des contrats nécessaires à la poursuite de l’activité. La question était
de savoir si la caution garantissant l’exécution d’un prêt consenti au débiteur et
repris par le cessionnaire pouvait bénéficier du régime prévu à l’article 642-7 du
Code de commerce, aux termes duquel le jugement de plan emporte cession des
contrats nécessaires au maintien de l’activité. Les juges du fond avaient
condamné la caution au paiement des échéances du prêt nées avant le prononcé
du plan de cession, en jugeant que le transfert du contrat de prêt consenti par la
banque au profit du cessionnaire avait entraîné la novation par changement de
débiteur. La banque, dans son pourvoi, faisait valoir que le contrat n’étant pas
en cours n’avait pu être cédé et que la caution des engagements de l’emprunteur
demeure tenue après un plan de cession des engagements de rembourser
l’intégralité de l’emprunt dont les échéances constituent des créances nées avant
l’ouverture de la procédure collective.

La cession d’un contrat est subordonnée par l’article L. 642-7 Code de


commerce au fait qu’il soit en cours d’exécution et qu’il n’ait pas épuisé ses
effets fondamentaux au jour de l’ouverture de la procédure. La Cour de
cassation a décidé que l’engagement de rembourser un prêt par le repreneur
d’une entreprise en difficulté n’emporte pas novation de la dette en affirmant

29
Com. 16 juin 2004, n° 01-17.030.
30
Com. 21 janv. 2004, n° 01-01.129, JurisData n° 2004-022000 ; D. 2004. 1149, note C. Jamin ; ibid.
498, obs. V. Avena-Robardet ; RDI 2004. 367, obs. H. Heugas-Darraspen ; RTD com. 2004. 352, obs.
D. Legeais ; Act. proc. coll. 2004, n° 74, obs. C. Regnaut-Moutier ; JCP E 2004. 649, note O. Salvat ;
adde déjà F. Derrida, La notion de contrat en cours à l'ouverture de la procédure de redressement
judiciaire, RJDA 1993/6, chron. p. 399, spéc. n° 27.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 311

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CONTRATS BANCAIRES ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

que le prêt consenti par un professionnel du crédit avant l’ouverture du


redressement judiciaire de l’emprunteur n’est pas un contrat en cours et ne peut
donc être cédé au repreneur31. Elle en déduit que l’engagement pris par le
cessionnaire de payer, après arrêté du plan de cession de l’emprunteur, les
mensualités à échoir du prêt ne vaut pas sauf accord exprès du prêteur novation
par substitution de débiteur, de sorte que la caution solidaire des engagements de
l’emprunteur demeure tenue de garantir l’exécution de ce prêt32.

Dans cette décision, la référence à la remise des fonds, élément essentiel à


la détermination du contrat en cours a disparu. Cet effacement de la prestation
essentielle serait-il le reflet d’une volonté de tirer son plein effet du caractère
consensuel du prêt consenti ? La généralité de la formulation de la Cour de
cassation surprend, comme l’affirmation dans un tout autre cas d’espèce que la
conclusion d’un contrat de prêt par un professionnel du crédit entraîne
immédiatement un transfert de propriété des fonds prêtés33. L’affirmation est
contestée. La reconnaissance du caractère consensuel du prêt ne devrait pas
permettre de s’affranchir de la remise des fonds qui doit rester le moment du
transfert de propriété34. Il n’est pas nécessaire de dénaturer davantage le contrat
de prêt et le retour à la prestation caractéristique dans l’identification du contrat
en cours doit être espéré afin de maintenir la cohérence de la jurisprudence
antérieure et ne pas dénaturer ce contrat.

Le droit des entreprises en difficulté en s’attachant à la prestation


essentielle du contrat participe au débat sur la nécessité de maintenir une
certaine réalité du contrat de prêt 35 et continuera d’alimenter la réflexion sur les
raisons et les conséquences de la double nature de cette convention qui est une
excellente illustration de la particularité du contrat bancaire.

31
Cass. Com. 9 févr. 2016, n° 14-23219, D. 2016, 423, obs. A. Lienhard.
32
Cass. Com. 16 juin 2004, n° 01-17030.
33
Cass., avis, n° 16011, 28 nov. 2016, n° 16-70.009, RTDCiv. 2017, D. 2016. 2516 ; AJ Contrat 2017.
29, obs. J. Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal. 31 janv. 2017, p. 15, note G. Poissonnier et 21 févr. 2017, p.
68, obs. M. Bourassin ; D. 2017. 419, note E. Le Corre-Broly (il s’agissait ici de sanctionner des clauses
abusives relatives à la réserve de propriété insérée dans un contrat de crédit).
34
P. Crocq, préc ; M. Latina, « L’instant du transfert de propriété dans le prêt d’argent consensuel », AJ
contrat 2017, p. 209.
35
D. Deroussin, les contrats réels, Rev. Des contrats, 1er sept. 2015, n° 3, p. 734 ; F. Chénédé, la
classification des contrats, Rev. Droit et pat. 1er mai 2016, n° 258, p. 480.

312 | IFR Actes de colloques N° 30

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Les relations du droit des entreprises en
difficulté et du droit du surendettement

Sophie ATSARIAS
Maître de conférences à l’Université de Corte

Depuis presque trente ans, la coexistence du droit des entreprises en


difficulté et du droit du surendettement éveille la curiosité et l’imagination des
juristes. En effet, ces deux mécanismes sont en perpétuelle mutation. Le thème
étudié est donc destiné à se renouveler toujours sous un nouveau jour1. Le
présent colloque est l’occasion d’examiner, à la lumière de l’actualité juridique,
la nature de leurs relations et d’analyser leurs effets sur le droit et la pratique.

Si l’on reproduit la généalogie, les deux visages de l’insolvabilité ne sont


pas issus de la même lignée. Le droit des entreprises en difficulté, ayant vu le
jour à l’occasion de la réforme du 25 janvier 19852, est le descendant de l’ancien
droit de la faillite qui sanctionnait le commerçant failli réputé de mauvaise foi.
De son côté, le droit du surendettement des particuliers est un dispositif
contemporain, dont les fondements ont été posés par la loi du 31 décembre
19893, afin de protéger le particulier présumé de bonne foi. Ainsi, le droit
français a donné naissance à deux régimes de traitement de l’insolvabilité qui
n’ont cessé d’être confrontés, et ce encore aujourd’hui. L’un, appliqué aux

1
Cagnoli P. et Salhi K., « La répartition des procédures de surendettement et des procédures collectives
d’entreprises », Rev. proc. coll. juill.-août 2009, p. 16, spéc. 10 et s.
2
Loi n° 85-99 du 25 janvier 1985, JORF du 26 janvier 1985 p.1097.
3
Loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989, JORF n° 1 du 2 janvier 1990 p.18.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 313

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LES RELATIONS DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ET DU DROIT DU SURENDETTEMENT

« entreprises4 », réside dans le Code de commerce. L’autre, propre aux


difficultés d’un particulier surendetté, siège dans le Code de la consommation.
Les lignes de partage des procédures sont déjà connues5. Les modes de
traitement des difficultés de l’entreprise et de l’homme sont a priori distincts.

Pourtant, le lien de parenté apparaît comme une évidence à travers leur


structure et la même cause qui les anime. Chaque dispositif recense une gamme
de procédures hiérarchisées permettant aujourd’hui de sauver un débiteur
confronté à des difficultés économiques. A l’appui des mêmes outils, ils se
rejoignent au confluent de la défaillance économique, dont ils définissent eux-
mêmes les contours, et ont été chacun à leur tour à la source de nombreuses
influences réciproques. Une relation de mimétisme entre ces deux socles de
règles s’est instaurée au fil des années, tant et si bien qu’un rapprochement est
notable au regard de leur contenu et de leurs finalités6. En 1936, Georges Ripert
ne croyait pas si bien dire lorsqu’il annonçait l’avènement d’un « droit de ne pas
payer ses dettes ». Désormais, l’homme, comme son entreprise, si petite soit-
elle, peuvent espérer un nouveau départ7.

Si ce couple peut « vivre ensemble » - l’EIRL en est un exemple - la


cohabitation devient difficile quand les tourments de la vie privée se mêlent aux
difficultés de la vie professionnelle, autrement dit, lorsque les deux passifs d’un
même débiteur sont en situation d’insolvabilité. Quel droit a la priorité sur
l’autre ? Et doit-il y avoir « priorité » ? En l’état actuel du droit positif, le droit
des entreprises en difficulté et le droit du surendettement fonctionnent en
parallèle, mais ne s’accordent pas toujours. Certains vont même jusqu’à affirmer
qu’ils représentent « deux systèmes normatifs qui s’ignorent8». Ainsi, ce couple
entretient des relations dissonantes (I) mais pourrait parvenir, dans une
dimension prospective, à une certaine harmonie (II).
4
De l’entreprise individuelle à la personne morale de droit privé.
5
Regnaut-Moutier C. et Vallansan J., « Le périmètre d’application des procédures collectives : la
répartition entre la procédure commerciale et la procédure consumériste », Rev. proc. collectives n° 1,
janvier 2011, dossier 2.
6
D’une part, les règles protectrices édictées participent d’un ordre public économique. D’autre part, si le
dispositif consumériste tend à lutter contre la marginalisation, le livre VI du code de commerce revêt
également une dimension sociale et humanitaire (ex : facilités de paiement accordées au débiteur).
7
La « séparation de l’homme et de l’entreprise, a fait place au sauvetage de l’entreprise et de
l’homme », P. Roussel Galle, « Que reste-t-il du caractère sanctionnateur des procédures ?, Rev. proc.
coll. mai-juin 2012, p. 89 et s., spéc. n° 7.
8
Regnaut-Moutier C. et Vallansan J., art. préc.

314 | IFR Actes de colloques N° 30

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SOPHIE ATSARIAS

I. Des relations dissonantes

Les relations de ce duo révèlent des problèmes d’orchestration et


démontrent que les deux types de procédure en présence n’ont pas toujours été
pensés à l’unisson, alors qu’ils ne sont pas si différents. Ce manque de
corrélation se manifeste à travers une relation hiérarchique au profit des
procédures du Code de commerce, source d’ambiguïtés (A), et une symétrie
imparfaite des deux techniques, renforcée par les dernières réformes (B).

A. Une hiérarchie source d’ambiguïtés

Dès la loi du 31 décembre 1989, le législateur a exprimé la volonté d’établir


une scission entre le droit du surendettement et le droit des entreprises en
difficulté. Cette démarche se saisit, en sus de leurs domaines respectifs à
l’évidence très différents, au moyen de critères de distributivité, et se confirme
avec une hiérarchie suggérée par le Code de la consommation. Les relations du
droit des entreprises en difficulté et du surendettement ont été ab initio
« accordées », dans le respect d’un rythme binaire.

Si le législateur a pris le soin d’ériger des critères de répartition des


procédures, l’articulation des règles est en réalité gouvernée par un seul et même
texte, issu de la législation consumériste. L’actuel article L.711-3 al. 1 énonce
que les dispositions du Code de la consommation ne s'appliquent pas lorsque le
débiteur relève des procédures instituées par le livre VI du Code de commerce.
L’éligibilité du débiteur aux procédures collectives écarte la possibilité d’ouvrir
une procédure de surendettement9. Ainsi, l’initiative du législateur a été celle de
parvenir à une hiérarchie entre les procédures et de ne placer le droit de
surendettement qu’à titre subsidiaire, lorsque les procédures du livre VI sont
inapplicables.

A l’époque, ce principe de subsidiarité a pu être accueilli comme le remède


à certaines difficultés, telles que le manque d’étanchéité du patrimoine de
l’entrepreneur individuel10, sans pouvoir toutefois mettre fin à tous les écueils11.

9
Rép. min. n° 622494, JOAN Q 6 avr. 2010.
10
Dont les dettes liées à sa vie privée peuvent venir s’ajouter aux dettes professionnelles.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 315

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LES RELATIONS DU DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ET DU DROIT DU SURENDETTEMENT

Le principe de subsidiarité a fourni une « clé de répartition » afin d’éviter toute


collision entre le droit des entreprises en difficulté et le droit du
surendettement12. De leur côté, les critères d’éligibilité aux procédures
commerciales ont fait l’objet d’un changement sémantique qui est venu
bouleverser l’étendue des domaines respectifs des deux types de procédures. Le
critère de l’exercice de l’activité, sauf à l’égard de l’agriculteur, s’est substitué à
celui du statut du débiteur. De lege lata, les agriculteurs, les personnes exerçant
une activité commerciale, artisanale ou indépendante, et bien sûr les personnes
morales de droit privé sont assujetties aux procédures relevant du livre VI du
Code de commerce, ce qui exclut toute interférence du droit du surendettement.

Si le législateur a tenté de tracer une frontière franche à travers cette


hiérarchie, la pratique et la jurisprudence révèlent les faiblesses de la mécanique
insufflée. Les problèmes d’articulation concernent la situation de certaines
personnes physiques : celles intégrées de droit dans le livre VI du Code de
commerce et qui pourraient se rapprocher du domaine du surendettement en
raison de dettes privées, et celles qui n’entrent pas a priori dans le domaine du
droit des entreprises en difficulté et qui ne sont pas non plus justiciables du
surendettement.

Le premier résultat de cette hiérarchie demeure l’exclusion arbitraire, des


procédures de surendettement, des entrepreneurs individuels visés par les textes
du Code de commerce, même si l’origine des dettes est de nature privée. La
combinaison des textes appliquée mécaniquement a fait ressortir dernièrement
des difficultés pratiques. Dans une décision du 18 février 2016 rendue par la
deuxième chambre civile13, une personne physique, exerçant une activité de
conseil en auto-entreprise sous forme libérale, a sollicité l’ouverture d’une
procédure de surendettement en raison d’un endettement exclusivement causé
par des dettes non professionnelles. Ce schéma est assez classique14. Les
personnes physiques vont préférer se détourner des procédures commerciales au
profit de leurs concurrentes, beaucoup moins onéreuses. Dans la décision
précitée, la Cour de cassation rejette, sans surprise, la demande du débiteur en se
11
Pétel P., « La procédure de rétablissement professionnel et les procédures collectives du Code de
commerce », CCC, n° 10, octobre 2005, 15.
12
Sur ce point, cf. Cagnoli P. et Salhi K., art. préc.
13
Cass. civ. 2e, 18 févr. 2016, n° 14-29.223, Rev. proc. coll. n° 5, septembre 2016, comm. 132, comm.
B. Saintourens.
14
V. aussi, Cass. civ. 2e, 18 févr. 2016, n° 15-10.876.

316 | IFR Actes de colloques N° 30

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fondant sur la hiérarchie posée par les textes, avant de rappeler les conditions
objectives d’ouverture du redressement judiciaire. Cet arrêt, pourtant non publié
au bulletin, apporte un éclairage quant à la position de la Cour de cassation sur
la question. En effet, la deuxième chambre civile, compétente en matière de
surendettement, énonce ici la primauté des procédures commerciales, en
précisant qu’il n’y pas lieu de distinguer « suivant la nature de l'endettement
invoqué »15.

Cette relation hiérarchique ne règle pas non plus le sort de certains acteurs
de la vie économique, inéligibles a priori aux procédures commerciales, et qui
peinent à trouver leur place sous la protection du Code de la consommation, tels
les dirigeants et certains associés. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une seule et
même personne physique cumule ces deux qualités, comme ce fut le cas dans
une espèce datant du 13 octobre 2016, dont la solution résume assez bien les
propos à venir. La Cour de cassation a considéré, dans l’exacte conformité des
textes, que « la seule qualité d'associé unique et de gérant d'une entreprise
unipersonnelle à responsabilité limitée ne suffit pas à faire relever la personne
concernée du régime des procédures collectives et à l'exclure du champ
d'application des dispositions du Code de la consommation relatives au
surendettement des particuliers ».

La qualité de dirigeant ou d’associé ne permet pas de soumettre la personne


concernée au droit des entreprises en difficulté. Cette solution, qui n’est pas
nouvelle, ne peut être qu’approuvée dans son principe, au regard des textes mais
aussi d’une certaine logique juridique. N’exerçant pas d’activité commerciale,
ou plus largement, d’activité professionnelle indépendante16, c’est de façon
pragmatique que la jurisprudence a exclu à plusieurs reprises le dirigeant17 et
certains associés18 du domaine d’application des procédures collectives. Les
dirigeants de SA ou gérants de SARL sont en principe exclus des procédures du

15
Le recours à l’EIRL, qui conjugue les deux procédures, pourrait être conseillé à l’entrepreneur qui
veut lancer son activité.
16
Au sens des articles L. 620-2, L. 631-2 ou L. 640-2 du Code de commerce.
17
Cass. civ. 2e, 12 nov. 2008, n° 07-16.998 ; Cass. 2e civ., 21 janv. 2010, n° 08-19.984.
18
Sur l’associé unique d’une EURL, V. Cass. civ. 2e, 18 févr. 2016, préc. Les associés professionnels
libéraux sont exclus des procédures du livre VI, sauf si le passif professionnel était antérieur à
l’association, V. Cass. com., 9 févr. 2010, n° 08-15191 ; Cass. com., 9 févr. 2010, n° 08-17144, Bull.
2010, IV, n° 36 ; Cass. com., 9 févr. 2010, n° 08-17.670.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 317

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livre VI, dès lors qu’ils ne justifient pas de l’exercice d’une activité
indépendante parallèle19.

Mais ce n’est pas pour autant que ces deux acteurs sont accueillis
chaleureusement par le droit du surendettement. Le dirigeant (ou l’associé) ne
remplit pas toujours les critères d’application des procédures de surendettement,
en raison de la nature des dettes contractées. En effet, il peut avoir accumulé un
passif professionnel important en lien avec l’exercice de sa profession, sans pour
autant que la société qu’il dirige subisse des difficultés justifiant l’ouverture
d’une procédure collective.

Toutefois, les associés ne sont pas tous « logés à la même enseigne ». La


deuxième chambre civile de la Cour de cassation a écarté l’application du droit
du surendettement à l’égard de l’associé en nom collectif20. Le statut de
commerçant de droit, attribué de facto à l’associé en nom, confère la priorité à la
procédure commerciale. Cependant, l’approche adoptée est discutable en ce
qu’elle créée une présomption irréfragable selon laquelle l’associé en nom, en
tant que commerçant, exerce une activité commerciale21. La jurisprudence
réussit ici un tour de force en permettant aux associés en nom de conserver
l’accès à la procédure, acquis sous la loi du 26 juillet 2005 grâce à leur statut de
commerçant, alors que ce critère a disparu du Code de commerce.

Cette forme d’emprise du droit des entreprises en difficulté fait du


surendettement, un droit optionnel dont les critères d’application demeurent
superfétatoires, comme la nature de l’endettement et la bonne foi du débiteur.
De plus, cette répartition des places entraîne une différence de traitement de
certaines personnes physiques qui n’est pas forcément justifiée.

19
Cass. com., 20 sept. 2017, n° 15-24.644 ; Cass. com., 15 novembre 2016, n° 14-29.043 ; ou si aucune
procédure collective n'a été ouverte à leur égard ou s’ils n’ont fait l'objet d'aucune mesure de faillite
personnelle, V. Cass. civ. 2e, 8 juillet 2004, n° 02-04.212. Depuis la loi du 26 juillet 2005 sur la
sauvegarde, les hypothèses d’extension de procédure à l’encontre du dirigeant sont devenues
extrêmement limitées.
20
Cass. civ. 2e, 5 déc. 2013, n° 11-28.092.
21
La solution a vocation à s’étendre ratione personae aux associés commandités, également
commerçants.

318 | IFR Actes de colloques N° 30

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En outre, les deux versants du droit de la défaillance économique dévoilent,


lorsqu’elles sont placées sur un même niveau, une symétrie qui présente
quelques imperfections.

B. Une symétrie imparfaite

Dès le début de leur relation, le droit des entreprises en difficulté et le droit


du surendettement ont développé des « atomes crochus ». Les deux mécanismes
se sont articulés autour d’un même objet, le traitement préventif et curatif des
difficultés, grâce à une structure analogue. Aujourd’hui, ils tendent aux mêmes
finalités22. Ces deux modes de traitement de l’insolvabilité présentent des
similitudes incontestables, alors qu’ils répondent à des logiques initialement
différentes. Cette symétrie se dessine tant au regard de la procédure elle-même,
que des effets provoqués à l’égard des créanciers et du débiteur. Elle mérite que
l’on revienne, à l’aune des récentes évolutions, sur certains points de
comparaison.

Tout d’abord, les deux branches du droit de la défaillance économique font


état d’une gradation des procédures, selon le degré de gravité des difficultés et
dévoilent une architecture identique qui n’a cessé de se consolider au fil des
réformes. Chacune recèle des modes anticipatifs des difficultés, des procédures
curatives, et des procédures liquidatives, ce qui démontre que leurs dialectiques
respectives ne sont pas si opposées. La dernière ordonnance du droit des
entreprises en difficulté23 est même allée jusqu’à créer une véritable confusion
des genres en empruntant au droit du surendettement l’effacement des dettes qui
lui est propre, et ce, afin d’instaurer une nouvelle procédure à caractère
professionnel. Au regard des règles de procédure, les deux droits confrontés ont
fait l’objet d’une « déjudiciarisation » des traitements des difficultés24.

22
Ils n’ont pas seulement pour but d’apurer le passif mais aussi de redresser la situation du débiteur, et,
plus récemment, de lui permettre un nouveau « rebond ».
23
Ord. n° 2014-326 du 12 mars 2014, JORF n° 0160 du 12 juillet 2014 p.11650.
24
En droit du surendettement, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a renforcé les pouvoirs de la
Commission, instance compétente en matière de surendettement, au détriment de ceux du juge. Pour
une étude en droit des entreprises en difficulté, V. Sautonie-Laguionie L., « La « déjudiciarisation » du
traitement des difficultés », in colloque Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans, le 16 mars
2017, Toulouse.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 319

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Ensuite, la mise en œuvre des procédures entraîne des effets parfois


similaires : arrêt des poursuites, suspension et interdiction des procédures
d’exécution, interdiction du paiement des créanciers antérieurs, délais de paiement
etc25. Les dernières réformes ont d’ailleurs rapproché les deux mécanismes en ce
qui est de l’établissement du passif. En principe, en matière de surendettement,
un état provisoire du passif est dressé par la Commission à partir des données du
débiteur. Dans le même esprit, l’ordonnance du 12 mars 2014 réformant les
procédures collectives a levé l’obligation pour les créanciers antérieurs de
déclarer leur créance, en laissant la possibilité au débiteur de procéder à cette
opération. De même, l’ordonnance du 14 mars 2016 applicable au
surendettement a affaibli les droits des créanciers, ce qui rappelle la démarche
adoptée par les réformes respectives de 1967 et 1985 en droit des procédures
collectives. Les créanciers n’ont plus à avaliser l’état du passif déclaré par le
débiteur. La situation des créanciers d’un débiteur surendetté devient
sensiblement proche de celle des créanciers d’un débiteur en procédure
collective.

Dernièrement, la nouvelle procédure de rétablissement professionnel,


inspirée du rétablissement personnel du Code de la consommation26, tend à
éviter au débiteur impécunieux les effets contraignants d’une procédure
collective et à lui permettre un nouveau rebond27. Cette confusion des genres en
fait une procédure hybride offrant une protection ultime au débiteur
« professionnel ». La ressemblance avec le rétablissement personnel est
manifeste, ne serait-ce qu’en raison de l’issue de la procédure qui peut consister
en un effacement des dettes. Même si plusieurs techniques du droit des
entreprises en difficulté parvenaient déjà aux mêmes effets28, l’ordonnance du 12
mars 2014 a introduit pour la première fois le terme même d’« effacement des
dettes », au sein du livre VI du Code de commerce. Dès lors, cette symétrie
s’illustre globalement à travers un renforcement parallèle de la protection du
débiteur au détriment des intérêts des créanciers.

25
Saint-Alary-Houin C., « Propos introductifs », in colloque Le périmètre de la défaillance économique,
Rev. proc. coll, n° 1, janvier 2011, dossier 1, 2010.
26
V. rapport remis au Président de la république relatif à l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014.
27
V. l’intervention de Madame Francine Macorig-Venier et de Me Brenac, mandataire judiciaire, à
l’occasion du colloque sur « L’ordonnance du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des
difficultés des entreprises et des procédures collectives », tenu à Toulouse le 22 mai 2014.
28
V. Monsérié-Bon M.-H., « L’effacement des dettes dans le droit des entreprises en difficulté », Dr. et
patr. 2009, n° 184, dossier.

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Une relation symétrique peut devenir conflictuelle du moment où l’un des


deux prend le dessus sur l’autre. L’appréhension de l’endettement est ici un
« facteur de perturbation29 ». Le traitement des difficultés via le droit du
surendettement est fondé sur la dichotomie « dettes professionnelles/dettes non
professionnelles », ignorée par le droit des entreprises en difficulté. A priori, le droit
du surendettement ne s’ouvre qu’aux débiteurs en raison de leur passif non
professionnel. Pourtant, si cette exigence apparaît lors de l’examen du profil du
débiteur, elle disparaît au moment de la détermination des mesures, et peut
réapparaître ensuite30. Le passif non professionnel, présenté comme critère
d’éligibilité au surendettement, est quelque peu illusoire et sème la confusion au
sein des prétoires. La loi « LME31 » a d’ailleurs ouvert le droit du
surendettement à certaines dettes professionnelles. Par exemple, en permettant
au dirigeant caution ou coobligé d’être éligible aux procédures de
surendettement, elle a étendu le champ d’application au-delà de la sphère
privée32. La frontière avec le droit des entreprises en difficulté n’est donc plus
très claire.

La mise en perspective des deux branches du droit de la défaillance, sur un


plan hiérarchique et symétrique, a fait émerger des incohérences et des
incompatibilités, qui ne paraissent pas pour autant irréductibles.

L’équilibre n’étant pas encore atteint, leurs relations sont en quête


d’harmonie.

29
Sander E., « Surendettement et droit des entreprises en difficulté », in l’ouvrage Entreprises en
difficulté, sous la direction de P. Roussel-Galle, Lexis Nexis, 2012.
30
V. aussi, Borga N., « Livre VI du Code de commerce et surendettement des particuliers : concurrence
ou complémentarité », BJE, 1er sept. 2012, n° 5.
31
L. n° 2008-776 du 4 août 2008, JORF n° 0232 du 4 octobre 2008 p.15306.
32
Si les juges du fond sont confrontés à des difficultés d’appréciation du surendettement, la Haute-
Juridiction fait désormais une application stricte des nouvelles solutions en vigueur en validant
l’ouverture de la procédure à l’égard des cautions de dettes professionnelles, cf. Cass. 2e civ., 5 janv.
2017, n° 15-27.909 ; Cass. 2e civ., 27 sept. 2012, n° 11-23.285.

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II. Des relations en quête d’harmonie

Les relations entre le droit des entreprises en difficulté et du droit du


surendettement demeurent complexes à certains égards et nécessitent un
renouveau afin de protéger plus efficacement les personnes endettées. A ce titre,
la jurisprudence et la pratique ont souligné un besoin de clarifier leurs relations
(A). En parallèle, les propositions doctrinales et l’actualité juridique appellent à
s’interroger sur une future union des mécanismes autour d’un seul droit de
l’insolvabilité (B).

A. Un besoin de clarification

Les relations du droit du surendettement et du droit des entreprises en


difficulté pourraient être clarifiées en assurant la lisibilité de leurs domaines
d’application respectifs et en renforçant la cohérence de leurs effets. Seules
certaines pistes de réflexion seront envisagées dans le cadre de cette
contribution. Les éléments qui suivent doivent être appréhendés a minima dans
une optique autre que celle de la construction d’un droit de l’insolvabilité, qui
sera abordée ensuite.

La mise en exergue du principe de subsidiarité a témoigné de l’emprise du


droit des entreprises en difficulté sur le droit du surendettement, qui n’emporte
pas toujours satisfaction. Il n’est pas juridiquement cohérent que le dirigeant,
notamment d’une société commerciale, soit exclu du livre VI du Code de
commerce alors que l’associé en nom collectif, qui n’exerce pas stricto sensu
d’activité commerciale, en soit justiciable. A l’inverse, il n’est pas justifié que
l’associé en nom, caution qui plus est, soit écarté du droit du surendettement,
surtout dans le cas où son passif est exclusivement composé de dettes
personnelles. Le dirigeant et l’associé, quelle que soit leur qualité, devraient être
placés sur un même pied d’égalité. L’accès au surendettement pourrait être
privilégié, comme tel est désormais le cas pour le dirigeant caution ou coobligé.
De surcroît, les autres conditions d’ouverture des procédures de surendettement
sont examinées à titre subsidiaire, une fois qu’il est décidé que la procédure
commerciale ne s’appliquera pas. De facto, l’exercice de l’activité (ou le statut
du débiteur) prend le pas sur la nature de l’endettement. Pourtant, en matière de
surendettement, la nature des dettes est un critère d’éligibilité au moment de la
saisine de la Commission. Elle en devient source de difficultés, puisqu’elle n’est

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pas appréhendée de la même manière aux différents stades de la procédure.


Peut-être faudrait-il redonner un certain impérialisme à cet endettement en
clarifiant sa nature. A ce titre, la doctrine semble privilégier une approche
patrimoniale plus extensive de la situation du surendettement en intégrant à la
fois les dettes professionnelles et non-professionnelles33. Un premier pas a été
franchi avec l’éligibilité du dirigeant caution à la procédure de surendettement,
impliquant de prendre en considération tout son passif. Cette voie aurait le
mérite d’harmoniser les solutions et de mettre fin aux hésitations des praticiens
quant à l’orientation procédurale du débiteur.

Enfin, leur relation pourrait atteindre une meilleure cohérence si le


législateur venait à parfaire l’alignement de certains effets, notamment à
l’égard des tiers garants. Le droit du surendettement pourrait considérer, de
façon plus large, la situation des garants qui ont payé la dette à la place du
débiteur. En l’occurrence, l’ordonnance du 12 mars 2014 a étendu le recours
après clôture pour insuffisance d’actif à l’ensemble des garants, en matière de
liquidation judiciaire. La question d’un déploiement similaire en droit du
surendettement se pose, alors que seuls la caution et le coobligé en sont
créanciers. De même, l’accès au surendettement devrait être facilité à l’égard
du garant autonome (dirigeant a minima), débiteur d’un engagement plus
dangereux que celui de la caution.

Si une première étape vers l’harmonie pourrait être ainsi engagée, un


second palier a été envisagé autour d’un unique droit de l’insolvabilité.

B. Une future union autour d’un unique droit de l’insolvabilité ?

En 2010, à l’issue du colloque inaugural de l’AJDE, Monsieur Alain Couret


a clôturé les débats en affirmant que l’on ne saurait parler d'un droit unique de la
défaillance mais plutôt d’un droit dans lequel dominent deux branches. Mais cet
unique droit pourrait-il accueillir une seule logique34 ? En droit français, la fusion

33
Regnaut-Moutier C. et Vallansan J., art.préc. in Mélanges dédiés à la mémoire du Doyen J. Héron,
LGDJ, 2008, p. 443 et s. ; Borga N., art. préc.
34
Cela revient à se demander « s’il est légitime de traiter distinctement les particuliers surendettés et les
entreprises en difficulté », cf. colloque éponyme, Gaz. pal. 26 févr. 2003, n° 57, p. 51.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 323

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des mécanismes ne semble pas être encore à l’ordre du jour, tant à l’échelle
nationale qu’européenne.

La proximité entre le droit des entreprises en difficulté et le droit du


surendettement a conduit une partie de la doctrine à proposer une refonte de la
matière au profit d’une seule procédure sous la même désignation de « droit de
l’insolvabilité », conformément à certains droits étrangers35. En France,
l’Alsace-Moselle connaît déjà d’un régime unique, la faillite civile, dont
l’extension à l’ensemble du territoire français a été fermement rejetée36. Au
regard des propositions d’harmonisation évoquées en doctrine, deux grandes
orientations, intimement liées, pourraient être considérées. La première, réside
dans la suppression des deux dispositifs existants afin de créer un nouveau droit
de l’insolvabilité. L’idée serait de rétablir tout débiteur en difficulté, quel que
soit son profil, tout en tenant compte du particularisme de l’entreprise à travers
des dispositions spécifiques37. Elle aurait le mérite d’établir des principes
communs paralysant certains obstacles énoncés et d’aligner le droit français sur
le droit européen de l’insolvabilité. Toutefois, plusieurs barrières devraient être
franchies : la réticence des pouvoirs publics, des frais de procédure onéreux (qui
pourraient aggraver la situation d’un débiteur déjà en difficulté) ou une
éventuelle déresponsabilisation du débiteur concomitante à l’affaiblissement des
droits des créanciers. De plus, comme tout remaniement d’envergure, il
nécessiterait d’importants moyens d’adaptation, tenant au lissage des conditions
de fond et de forme des procédures. La seconde voie, plus facilement
envisageable à court terme, propose d’élaborer un droit commun des « petits »
acteurs de la vie économique38. En effet, c’est bien la situation des entrepreneurs
individuels et micro-entrepreneurs qui posent difficulté, et non celle des

35
Tel l’exemple du droit américain des faillites. Cependant, les législations américaine et française sont
bien différentes sur le plan philosophique, cf. Steff A., « La philosophie des procédures de
surendettement des particuliers : l'exemple américain », RDBF mai 2012, dossier n° 25.
36
Regnaut-Moutier C. et Vallansan J., « Faillite des entreprises et surendettement des particuliers –
Etude comparative et prospective », in Mélanges dédiés à la mémoire du Doyen J. Héron, LGDJ, 2008,
p. 443 et s.
37
Regnaut-Moutier C. et Vallansan J., art. préc.
38
Cette option avait déjà été amorcée par la proposition d’un élargissement de la notion du
surendettement et de son domaine d’application ratione personae , V. Regnaut-Moutier C. et Vallansan
J., art. préc.

324 | IFR Actes de colloques N° 30

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personnes morales sociétaires. Reste à savoir si une application distributive des


procédures serait privilégiée39.

Une harmonisation peut aussi s’envisager à l’échelle européenne40. A


l’inverse de certains pays limitrophes41, les procédures de surendettement des
particuliers issues du droit français ne sont pas intégrées dans le champ
d’application du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif
aux procédures d'insolvabilité. Pourtant, la reconnaissance des mesures de
surendettement, au sein du règlement d’insolvabilité, permettrait un traitement
plus cohérent du patrimoine du débiteur surendetté dont la situation est affectée
par un élément d’extranéité. Une décision récente rendue par la deuxième
chambre civile du 17 mars 201642 constitue une parfaite illustration de cet écueil.
Il n’est pas nouveau que le droit français du surendettement s’applique a priori
au débiteur qui, domicilié en France, a contracté des dettes personnelles auprès
de créanciers étrangers43. En l’occurrence, un débiteur résidant en Alsace, qui ne
s’était pas orienté vers la procédure de faillite civile, avait sollicité l’ouverture
d’une procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire et avait
reproché par la suite aux juges du fond de ne pas avoir appréhendé son cas au
regard du règlement européen. Cependant, « les procédures de traitement du
surendettement des particuliers ne sont pas au nombre de celles auxquelles
s'applique le règlement (insolvabilité) », ce qui a conduit les juges du fond à
considérer le sort de la demande selon les textes du Code de la consommation, et
d’orienter ledit débiteur, dont la situation n’était pas in fine irrémédiablement
compromise, vers un plan de désendettement. L’inscription de la procédure de
surendettement dans l’annexe A du règlement de 2000 aurait eu pour effet
d’imposer les mesures issues du plan de désendettement aux créanciers
allemands44.

39
Madame Françoise Pérochon suggère l’application simultanée du droit du surendettement pour le
patrimoine personnel et le droit des entreprises en difficulté pour le patrimoine professionnel.
40
Voire internationale, V. Jobard-Bachelier, M.-N., « Les procédures de surendettement et de faillite
internationales ouvertes dans la Communauté européenne », Rev. crit. DIP, 2002, p. 491.
41
Comme la Belgique ou l’Allemagne.
42
Cass. civ., 2e, 17 mars 2016, n° 14-26.868, obs. Mouial-Bassilana E. et Lasserre-Capdeville J. LPA
2016, n° 17.
43
Cass. 1re civ., 30 janv. 2002, n° 01-04.064.
44
Au contraire, en l’espèce, les créanciers sont en droit de poursuivre le consommateur endetté, tant
qu’une décision d’exéquatur n’a pas été prononcée en Allemagne. En effet, le débiteur ne peut pas se
fonder sur le règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 dit « Bruxelles I » qui exclut la

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Il est regrettable que la France n’ait pas saisi l’occasion de l’harmonisation avec
le nouveau règlement (UE) n°2015/848 du 20 mai 2015, qui est entré en vigueur
le 26 juin 201745.

En définitive, un équilibre pourrait s’envisager, tant dans la redéfinition des


domaines de compétence que dans la recherche de principes communs46. Si en
2017 l’harmonisation n’est pas encore d’actualité, espérons que dans les trente
prochaines années le droit des entreprises en difficulté et le droit du
surendettement atteignent l’accord parfait.

reconnaissance des décisions relatives aux faillites, aux concordats et aux autres procédures analogues,
V. Kessler G., « Le surendettement en droit international privé », RDBF 2012, dossier 26.
45
Gjidara-Decaix S., « Procédures de surendettement et règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000
relatif aux procédures d'insolvabilité », Revue des procédures collectives, n° 4, juillet 2016, comm. 102 ;
Legrand V., La procédure de surendettement n’est pas visée par le règlement (CE) n° 1346/2000 du
Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, Act. Proc. coll. 2016-8, alerte 99.
46
V. aussi, Borga N., art. préc.

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Variations sur les rapports entre le droit des
entreprises en difficulté et le droit fiscal

Gilles DEDEURWAERDER
Maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole,
Centre de Droit des Affaires (CDA)

1. Le choc de deux lois d’ordre public. – La rencontre du droit des


entreprises en difficulté et du droit fiscal présente ceci d’intéressant qu’elle est la
rencontre de deux lois d’ordre public1 : deux lois qui prétendent chacune, pour
reprendre la définition du Vocabulaire Juridique de Gérard Cornu, « s’impose[r]
avec une force particulière » parce qu’elles se recommandent d’« exigences
fondamentales »2. Or, les exigences fondamentales poursuivies de part et d’autre
s’opposent : d’un côté, l’intérêt du Trésor, peut-être un peu trop immédiatement
compris ; de l’autre, la survie de l’entreprise en difficulté, le maintien des
emplois et l’intérêt de l’ensemble des créanciers. D’où un affrontement, dont ni
le droit des entreprises en difficulté ni le droit fiscal ne sort indemne.

2. Ligne de démarcation ambiguë. – La résolution de ce conflit fait


apparaître une grande ligne de démarcation. S’agissant, d’un côté, du paiement
de la dette fiscale, c’est-à-dire du recouvrement de l’impôt, le droit des
procédures collectives apparaît comme le grand vainqueur, soumettant le Trésor

1
Pour le droit des entreprises en difficulté, v. p. ex. : Cass., 1ère civ., 28 septembre 2011, n° 10-18.320 :
Bull. civ. I, n° 152. – Pour le droit fiscal, v. not. : Cass., 1ère civ., 7 octobre 1998, n° 96-14.359 : Bull.
civ. I, n° 285 ; Dalloz 1998, p. 563, concl. J. Sainte-Rose.
2
G. Cornu [sous la dir.], Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadrige », 11e édit., 2016, v° Ordre
public, p. 720.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 327

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VARIATIONS SUR LES RAPPORTS ENTRE LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ET LE DROIT FISCAL

public à sa loi. En revanche, et d’un autre côté, en ce qui concerne la


détermination l’impôt dû par les entreprises en difficulté, dans son principe et
dans son montant, le droit fiscal entend conserver une pleine et entière maîtrise.
Mais comment ne pas voir qu’elle serait bien vaine, cette maîtrise du montant de
l’impôt dû par les entreprises en difficulté, si les perspectives de son
recouvrement étaient anéanties par le droit des procédures collectives. Tel n’est
pas le cas, en réalité, loin s’en faut. Car l’apparent triomphe du droit des
entreprises en difficulté dans le domaine du paiement de l’impôt se heurte
encore à une coriace résistance du Trésor (I), qui prolonge la réticence du droit
fiscal à accueillir les préoccupations du droit des entreprises en difficulté en ce
qui concerne la détermination du montant de l’impôt dû par ces entreprises (II).

I. Droit des entreprises en difficulté et paiement de l’impôt

3. Sur la question première et décisive du paiement de l’impôt, c’est le droit


des entreprises en difficulté qui, à première vue, a triomphé sur le droit fiscal, en
abaissant le Trésor au rang de créancier comme les autres. Ce principe
d’assimilation du Trésor aux autres créanciers, s’il n’est pas douteux (A), n’est
pas non plus absolu. Il présente un certain nombre de limites, qui relativisent le
triomphe du droit des procédures collectives sur le droit fiscal dans le domaine
du recouvrement de l’impôt (B).

A. Le principe d’assimilation du Trésor aux autres créanciers

4. Evolution saluée par la doctrine. – A l’origine, le Trésor public a joui


d’une position très avantageuse dans les procédures collectives. Comme le
rappelle M. Guy Amlon, « sous l'empire des textes antérieurs à 1967, à la
différence de la quasi-totalité des créanciers titulaires de privilèges généraux, le
Trésor public était dispensé des formalités de production et de vérification de
ses créances privilégiées et conservait son droit de poursuite individuelle sur
l'ensemble de l'actif mobilier du contribuable en difficulté, en dépit du jugement
prononçant la faillite ou la mise en règlement judiciaire de ce dernier (cf. CGI,

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art. 1908 ancien) »3. On mesure ainsi le chemin parcouru, le Trésor public ayant
vu, au fil des réformes, sa situation se banaliser, à telle enseigne qu’un auteur
pouvait écrire à l’aube de notre siècle que « les principes généraux du droit des
procédures collectives ont rabaissé le Trésor au rang […] de créancier comme
les autres. Le Trésor est, comme les autres créanciers, sacrifié sur l’autel du
redressement des entreprises »4, tandis qu’un autre s’exclamait quelques années
plus tard : « Les administrations financières : des créanciers enfin comme tous
les autres ! »5.

5. Principales manifestations. – De fait, les créances fiscales suivent


aujourd’hui, par principe, le même traitement que les autres créances. Elles sont,
en particulier, soumises à la dualité de traitement des créances établie par le
droit des procédures collectives. Comme toute autre créance, les créances
fiscales ne sont payées à l’échéance ou, à défaut, de manière prioritaire, que si
elles sont à la fois postérieures au jugement d’ouverture de la procédure
collective et « utiles », selon le critère téléologique introduit par la loi de
sauvegarde de 2005 (C. com., art. L. 622-17, I, et L. 641-13). Si ces deux
critères chronologique et téléologique ne sont pas cumulativement satisfaits, ce
qu'il appartient au seul juge de la procédure collective d'apprécier6, le Trésor est
soumis aux règles de l’interdiction des paiements (C. com., art. L. 622-17, I) et
de l’arrêt des poursuites et des procédures d’exécution (C. com., art. L. 622-21).
Il doit alors, sous peine de forclusion, déclarer sa créance au passif de la
procédure collective (C. com., art. L 622-24), et il peut se voir imposer, comme
tout autre créancier, les délais de paiement fixés par le tribunal de la procédure
collective (C. com., art. L. 626-18).

3
G. AMLON, « Conciliation, sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires. – Trésor public. –
Droits, privilèges et hypothèque légale », JurisClasseur Procédures collectives, Fasc. 2384, sept. 2016, §
2.
4
P. SERLOOTEN, « Le Trésor public, créancier de l’entreprise en difficulté », JCP E 2000, n° 1, p. 24
et s.
5
B. LAGARDE, « Les administrations financières : des créanciers enfin comme tous les autres », Gaz.
Pal. 19 mars 2009, p. 5.
6
V. not. : Cass. com. 28 avr. 2004, n° 01-01.649, Bull. civ. IV, n° 77 ; RJF 8-9/2004, n° 947.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 329

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VARIATIONS SUR LES RAPPORTS ENTRE LE DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ ET LE DROIT FISCAL

B. Les limites du principe d’assimilation aux autres créanciers

6. Particularisme irréductible, parfois en défaveur du Trésor. – Il reste


que, si l'affirmation d'un principe d'assimilation du Trésor aux autres créanciers
n'est pas douteuse, elle doit être relativisée par l'existence probablement
irréductible de solutions particulières. Au demeurant, il importe de relever que
ce particularisme de la situation du créancier fiscal ne joue pas toujours en sa
faveur. Ainsi, le système singulier de la déclaration à titre provisionnelle, qui
s’applique aux créances publiques antérieures non couvertes par un titre
exécutoire au jour de la déclaration (C. com., art. L. 622-24, al. 4), n’est pas un
régime de faveur pour les créanciers publics, mais bien un régime de rigueur en
ce qu’il leur impose une double obligation de déclaration7.

7. Des perspectives de recouvrement préservées. – Cela étant, il faut bien


reconnaître que la plupart des mesures particulières réservées au Trésor tendent
à préserver les perspectives de recouvrement de l’impôt dû par les entreprises en
difficulté. Brevitatis causae, on en donnera ici trois importantes manifestations8.

1°/ La première réside dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui


a ouvert les portes du traitement préférentiel du paiement à l’échéance aux
créances fiscales postérieures au jugement d’ouverture, au motif que ces
créances procèdent d’« une obligation légale et sont inhérentes à l’activité
poursuivie après le jugement d’ouverture », dès l’instant qu’elles sont nées
pendant l’activité poursuivie en procédure collective et que l’impôt est
calculé sur des éléments en lien avec ladite activité 9. Au vu de cette
motivation, la solution apparaît malaisément transposable aux créances
privées : l’expression « obligation légale » bannit les créances contractuelles,
tandis que les termes « inhérentes à l’activité » semblent bien exclure les
créances de dommages-intérêts nées à l’occasion de l’activité, qui lui sont

7
Cf. notre étude, « Le traitement des créances fiscales », BJE 1/2017, p. 57 et s.
8
Sur d’autres mesures en ce sens introduites par l’Ordonnance du 12 mars 2014, cf. p. ex. notre étude,
« L’ordonnance du 12 mars 2014 et le Trésor public », BJE 3/2014, p. 189 et s.
9
Cass. com., 22 février 2017, n° 15-17.166 F-P+B+I : Act. proc. coll. 2017, n° 99, obs. R. VABRES ;
Journ. sociétés avr. 2017. 68, obs. A. Cerati-Gauthier; BJE 2017. 204, avec nos obs. – V. déjà, à propos
de prélèvements obligatoires non fiscaux : Cass. 2e civ., 16 sept. 2010, n° 09-16182 : JCP E 2011, 1030
(n° 11), obs. P. PETEL – Cass. com., 15 juin 2011, n° 10-18726, FS-PB : D. 2011, p. 1677, obs. A.
LIENHARD ; BJE nov. 2011, n° 143, p. 312, note S. BENILSI.

330 | IFR Actes de colloques N° 30

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simplement « contingentes » 10. C’est dire que la jurisprudence semble bien


avoir découvert, au sein de l’article L. 622-17, I, du Code de commerce
(« pour les besoins […] de la procédure d’observation »), un critère d’utilité
spécifiquement dédié (ou presque) aux créanciers publics, marquant ainsi
leur particularisme.

2°/ Quant aux créances antérieures au jugement d’ouverture, une deuxième


illustration de solution favorable au Trésor est fournie par cette arme redoutable
que constitue l’avis à tiers détenteur, qui permet au créancier fiscal de saisir
entre les mains de tiers les sommes dont ils sont débiteurs envers le contribuable
(LPF, art. L. 262 et s.). La notification de l’avis à tiers détenteur, dès l’instant
qu’elle intervient avant le jugement d’ouverture, emporte transfert immédiat de
la créance au profit du Trésor, lequel acquiert ainsi un droit acquis au paiement
par le tiers saisi, effet qui non seulement n’est pas remis en cause par le
jugement d’ouverture11, mais qui plus encore se poursuit pour les créances à
exécution successive sur les sommes venant à échéance après ledit jugement12.

3°/ Enfin, comme troisième et dernière (mais non la moindre !)


manifestation de la position de faveur de l’administration fiscale, il faut signaler
la possibilité qu’elle a d’exercer des poursuites contre de nombreux tiers tenus
solidairement du paiement des impôts et pénalités du débiteur, en particulier,
lorsque celui-ci est une personne physique, contre son ou sa conjoint(e) ou son
ou sa partenaire lié par un pacte civil de solidarité (CGI, art. 1723 ter-00 B et
1691 bis) et, s’il s’agit d’une personne morale, contre son dirigeant (LPF, art. L.
267). A suivre un auteur, grâce à (ou à cause de ?) tous ces dispositifs de
solidarité fiscale, « la règle de l’arrêt des poursuites a une incidence très limitée
sur le recouvrement des créances fiscales »13.

10
Selon la grille de lecture proposée par F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10e édit. LGDJ, 2014,
§ 799. – D’après Le Petit Robert, inhérent signifie « qui appartient essentiellement à un être, à une
chose, qui lui est joint inséparablement (essentiel, immanent, inséparable, intrinsèque) ».
11
Même si la créance fiscale en cause a été soumise aux dispositions du plan de continuation : Cass.
com., 14 novembre 2000, n° 97-19.798, RJDA 2/2001, n° 183.
12
Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-13.309, Bull. civ. IV, n° 132 ; Act. Proc. Coll. 2003, comm. 185, obs.
C. REGNAUT-MOUTIER ; RD banc. et fin. 2003, comm. 234, obs. F.-X. LUCAS ; RTD com. 2004,
p. 371, obs. A. MARTIN-SERF.
13
Même si, comme le précise cet auteur, « hors liquidation judiciaire, [l]es coobligés bénéficient
désormais de la suspension des poursuites tout au moins pendant une partie de la procédure » : G.
AMLON, « Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires – Trésor public – Actions en

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 331

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II. Droit des entreprises en difficulté et montant de l’impôt

8. Les perspectives de son recouvrement étant assez largement préservées, on


conçoit l’attachement du droit fiscal à conserver la pleine maîtrise de la
détermination de l’impôt dû par les entreprises en difficulté, dans son principe et
dans son montant. Cet attachement se traduit par un principe d’application de la
loi fiscale commune, qui se montre traditionnellement très réfractaire à toute
prise en compte des difficultés de l’entreprise (A). Pareille prise en compte ne
peut dès lors se faire que par l’introduction de mesures dérogatoires, de faveur,
hélas encore timides et, surtout, pas toujours absolument conformes aux
préoccupations du droit des entreprises en difficulté dont elles se recommandent
(B).

A. Le principe de l’application de la loi fiscale commune

9. Application à l’entreprise en difficulté. – Sauf mesure de faveur, les


entreprises en difficulté sont, en ce qui concerne la détermination de l’impôt
dont elles sont redevables, soumises à la loi fiscale commune. Or, cette loi
fiscale commune est sourde aux difficultés de l’entreprise : les compteurs
fiscaux poursuivent leur course imperturbable pour l’entreprise, en dépit de ses
difficultés. Qu’elle poursuive son activité, qu’elle fasse l’objet d’une reprise ou
qu’elle soit liquidée, toutes les opérations qu’elle effectue ou qui l’affectent
donnent prise aux règles fiscales de droit commun. Par exemple, pour
l’entreprise en difficulté comme pour toute autre entreprise, une remise de dette
s’analyse comme un profit imposable. À l’égard de l’entreprise en difficulté,
l'impôt est par principe calculé dans les conditions du droit commun, sans que,
de jurisprudence bien établie, n'y fassent obstacle :

• ni sa situation de fait, le juge de l'impôt considérant que le moyen tiré des


difficultés financières du contribuable ne peut être utilement invoqué pour
contester le bien-fondé d'une imposition régulièrement établie14 ;

recouvrement et obligations légales », JurisClasseur Procédures collectives, Fasc. 2385, janv. 2017,
point-clé n° 2.
14
CE 14 nov. 1924, 7e esp., Lebon T. 1253. - CAA Paris, 23 avr. 1991, req. n° 89-2842, Rochas, Dr.
fisc. 1994, n° 11, comm. 518. – CAA Lyon, 10 mars 1999, req. n° 96-717, Chanut : RJF 11/1999, n°
1358).

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• ni sa situation juridique car, selon une jurisprudence constante, le débiteur


qui fait l'objet d'une procédure collective demeure redevable de l'impôt
même quand, en liquidation judiciaire, il est dessaisi de l’administration et
de la disposition de ses biens15.

L’application de la loi fiscale commune à l’entreprise en difficulté peut dès


lors aboutir à des solutions qui peuvent parfois paraître sévères. Ainsi,
lorsqu’une entreprise individuelle est en liquidation judiciaire, l’exploitant
individuel dessaisi est imposé à raison des revenus dont il n’a pourtant pas la
disposition effective du fait de leur affectation à l’extinction des dettes envers
ses créanciers16.

10. Application aux « partenaires » de l’entreprise en difficulté. – Hors


mesure de faveur, cette loi fiscale commune s’applique également et de manière
tout aussi inflexible aux « partenaires » de l’entreprise en difficulté. Un exemple
particulièrement draconien : le dirigeant méritoire qui abandonne une créance
qu’il détient sur sa société en difficulté est imposable au titre de l’impôt sur le
revenu sur le montant de la créance abandonnée, le Conseil d’Etat voyant là un
emploi de son revenu par le dirigeant17.
Quant aux aides accordées par les entreprises partenaires de l’entreprise en
difficulté, elles font aujourd’hui l’objet de règles de faveur (v. infra, n° 13).
Mais il est intéressant, d’un point de vue théorique comme pratique (v. infra, n°
13), de rappeler les solutions qui prévalaient avant l’introduction de ces règles
spéciales. Sur le fondement de la théorie générale de l’acte anormal de gestion,
qui veut que l’entreprise agisse dans son intérêt propre, le Conseil d’Etat
admettait assez facilement la déductibilité fiscale des aides consenties à une
entreprise en difficulté, soit pour préserver un débouché ou une source

15
Cf. not. Cass. com., 11 mars 2008, Sté Art Finance Ltd : Act. Proc. Coll. 10/2008, n° 153, obs. P.
Serlooten : jugeant qu’une société étrangère en liquidation judiciaire demeure redevable de la taxe de
3% sur les immeubles possédés par certaines sociétés (CGI, art. 990 D).
16
CE Plén., 18 juin 1984, req. n° 10.548 et 22.019, Darrousez : Dr. fisc. 1984, n° 45-46, comm. 2004 ;
RJF 8-9/1984, n° 1005, concl. P. BISSARA, p. 460. – CE 18 mars 2005, req. n° 242.640, Bettex : Dr.
fisc. 2005, n° 25, comm. 482 ; RJF 2005, n° 523.
17
CE 31 juill. 2009, n° 301.191, M. Salas : Dr. fisc. 2009, n° 43, comm. 510, concl. J. BURGUBURU ;
RJF 11/2009, n° 905 ; Bull. Joly sociétés 1/2010, p. 93, note A. DE BISSY : le dirigeant est également
imposable à raison des sommes qu’il laisse à la disposition de la société, dans la mesure où la situation
de trésorerie de cette dernière n’empêche pas le dirigeant de les prélever.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 333

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d’approvisionnement –c’est l’hypothèse de l’aide à caractère commercial18–, soit


pour venir en aide à une filiale en difficulté, ne serait-ce que pour sauvegarder
son renom –c’est l’hypothèse de l’aide à caractère financier19–. Cette apparente
générosité ne doit toutefois pas tromper, tant elle est étrangère à un quelconque
souci de promouvoir la sauvegarde des entreprises en difficulté. Le critère de la
théorie jurisprudentielle de l’acte anormal de gestion réside en effet dans
l’intérêt propre de l’entreprise ; s’agissant des remises de dettes, il implique
donc que l’entreprise qui en est l’auteur en retire une contrepartie pour elle-
même, trahissant ainsi une glaciale indifférence à l’égard des éventuelles
difficultés de l’entreprise qui en bénéficie. Pour preuve : le Conseil d’Etat a pu
refuser, sur le fondement de la théorie de l’acte anormal de gestion, la
déductibilité d’un abandon de créance pourtant consenti dans le cadre d’un plan
de continuation, au motif que l’entreprise en difficulté bénéficiaire dudit
abandon avait vocation à devenir la filiale d’une société autre que celle qui
l’avait consenti, laquelle n’en retirait dès lors aucun avantage pour elle-même20.

B. Les mesures de faveur

11. Problèmes de cohérence. – D’où l’importante question de savoir si les


préoccupations du droit des entreprises en difficulté seront davantage prises en
compte dans l’interprétation des mesures fiscales dérogatoires, visant
précisément à favoriser le redressement des entreprises en difficulté. Pareille
approche serait légitime, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de prendre en
considération la ratio legis des mesures en cause. Elle serait en outre bien utile
car, si ces mesures se sont développées au cours des dernières années, elles
souffrent trop souvent d’un défaut de cohérence –entre elles ou par rapport aux
préoccupations dont elles se recommandent–, qui pourrait être corrigé par la
jurisprudence dans les limites de son office.

18
P. ex. : CE 26 juin 1992, req. n° 68.646, SA Bisch-Marley : RJF 8-9/1992, n° 1116. – CAA
Versailles, 4 novembre 2014, JCP E 2015. 1202, note R. VABRES.
19
Pour une illustration : CAA Versailles, 29 juin 2010, Société Générale : RJF 4/2011, n° 284.
20
CE 30 mai 2007, n° 285.575, SA Peronnet (1re esp.) et n° 285573, SARL Peronnet et a. (2e esp.) :
Dr. fisc. 2007, n° 46, comm. 958, concl. F. SENERS, note A. BONNET ; RJF 10/2007, n° 1012 ; RJF
4/2008, p. 331, chron. J. BURGUBURU.

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12. Mesures en faveur de l’entreprise en difficulté. – Des incohérences


peuvent d’abord être relevées au niveau des mesures de faveur s’adressant
directement à l’entreprise en difficulté. Ces mesures sont, pour l’essentiel, de
trois ordres.

1°/ Une première forme réside dans la remise de la dette fiscale de


l’entreprise en difficulté. Mais elle est caractérisée par la coexistence de deux
dispositifs : d’un côté, un dispositif archaïque de remise automatique des frais de
poursuite et des pénalités fiscales dus à la date du jugement d’ouverture d’une
procédure de sauvegarde ou d’une procédure de redressement ou de liquidation
judiciaires (CGI, art. 1756, I) ; et, de l’autre côté, un dispositif plus moderne de
nature à servir beaucoup plus étroitement l'objectif de sauvegarde des entreprises
en difficulté (C. com., art. L. 626-6). Ce dispositif de remise est en effet
facultatif, permettant ainsi un examen de la situation de l’entreprise, « la remise
de dettes n’[étant] pas justifiée dès lors que l’entreprise n’est plus viable » (C.
com., art. D. 626-15) ; en outre, la remise peut porter non seulement sur les frais
de poursuite ou majorations mais également sur l’impôt lui-même ; enfin, le
dispositif s’applique non seulement aux entreprises faisant l’objet d’une
procédure sauvegarde ou de redressement judiciaire, mais aussi à celles qui font
l’objet d’une procédure de conciliation, pertinemment préférées à celles qui sont
en liquidation judiciaire…

2°/ Une seconde série de mesures de faveur accordées aux entreprises en


difficulté réside dans le remboursement immédiat d’un certain nombre de crédits
d’impôt ou de créances sur le Trésor, en particulier du crédit d’impôt
compétitivité emploi (CGI, art. 199 ter C, II-4°), du crédit d’impôt recherche
(CIR : CGI, art. 199 ter B, II-2°) et de la créance née du report en arrière des
déficits (« carry-back » : CGI, art. 220 quinquies, al. 6). Mais ici encore, à la
différence ce qui est prévu pour les deux premiers, le remboursement immédiat
de la créance de carry-back n’est pas accordé aux entreprises qui font l’objet
d’une procédure de conciliation, selon une regrettable omission que le
législateur tarde à réparer.

3°/ Une troisième mesure de faveur consiste dans le relèvement du plafond


du report en avant des déficits en cas d’abandon de créance consenti à une
entreprise faisant l’objet d’une procédure de conciliation ou d’une procédure
collective. Mais précisément, il peut être reproché au législateur d’avoir réservé
ce dispositif à l’entreprise en difficulté qui bénéficie de l’abandon de créance

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 335

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(CGI, art. 209, al. 4, mod. loi de finances pour 2017, n° 2016-1917 du 29
décembre 2016, art. 17) : n’eût-il pas été plus judicieux d’inciter en amont ses
partenaires à lui accorder lesdits abandons de créances ?

13. Mesures en faveur des « partenaires » l’entreprise en difficulté. – Les


mesures de faveur accordées aux « partenaires » de l’entreprise en difficulté,
hélas, ne brillent pas davantage par leur cohérence. On a déjà eu l’occasion de
critiquer le régime fiscal de la reprise d’une entreprise en difficulté, dont
l’intérêt pratique est ruiné par des conditions d’application beaucoup trop
restrictives21. Quant aux régimes visant à encourager les abandons de créances
au profit des entreprises en difficulté, coexistent (ici encore…) deux régimes
dont le champ d’application diverge piteusement : d’un côté, l’article 39, 1, 8°,
du CGI, qui prévoit la déductibilité des abandons de créance à caractère
commercial en présence d’une procédure de sauvegarde ou de redressement
judiciaire ; de l’autre, l’article 39, 13, du CGI qui admet la déductibilité des
aides autre qu’à caractère commercial en présence d’une procédure de
conciliation ou d’une procédure collective, en ce compris la liquidation
judiciaire. En outre, l’Administration considère que la déductibilité de ces
dernières aides (autre qu’à caractère commercial) suppose respectée la théorie
générale de l’acte anormal de gestion22, dont on a vu qu’elle fait peu de cas du
souci de redressement de l’entreprise en difficulté … C’est dire la réticence du le
législateur fiscal et, plus encore, de l’Administration à accueillir les
préoccupations du droit des entreprises en difficulté ; gageons que le juge de
l’impôt sera plus hospitalier23.

21
V. notre étude, « Les habits neufs du régime fiscal de la reprise d'une entreprise en difficulté », Rev.
Proc. Coll. 6/2015, p. 76-79 ; Dr. fisc. 2015, n° 49, p. 31-34.
22
V. BOI-BIC-BASE-50-20-10, §§ 30 et 63.
23
V., s’inscrivant dans cette perspective : CAA Lyon, 7 mai 2013, n° 12LY02242, SARL Sobral : BJE
1/2014, p. 13, avec nos obs.

336 | IFR Actes de colloques N° 30

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Fonctionnement de l’AGS depuis 1974 :
Bilan et projection

Albert ARSEGUEL
Professeur à l'Université Toulouse Capitole

Thierry MÉTEYÉ
Directeur de l’AGS

Les entreprises françaises se sont dotées depuis 1973 d’un mécanisme de


protection des salariés confrontés à la défaillance de leur employeur, qui est
efficace et performant.

Il a également fait la preuve de sa constante adaptabilité à un


environnement en perpétuelle mutation.

L’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des salariés) est


une association de droit privé constituée dans le prolongement de la loi du 27
décembre 1973 qui a en charge la mise en œuvre du régime de garantie des
salariés.

Son originalité par rapport aux structures existantes dans les autres Etats de
l’Union européenne est qu’elle émane de la solidarité des employeurs. En effet,
ce sont les principales organisations d’employeurs (MEDEF, CPME,
CNMCCA) qui ont en charge l’exercice de cette mission.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 337

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FONCTIONNEMENT DE L’AGS DEPUIS 1974 : BILAN ET PROJECTION

Il est nécessaire d’offrir aux salariés titulaires de créances salariales


impayées la perspective d’être remplis de leurs droits dans des délais
extrêmement rapides et sur des bases très favorables.
Lorsque l’on examine l’évolution de la garantie AGS depuis 1974, il est
manifeste que de profondes transformations sont intervenues qui se sont
traduites par un renforcement continu de l’étendue de celle-ci.

Plusieurs explications peuvent permettre de comprendre les raisons de cet


approfondissement des objectifs initiaux. Elles proviennent :

Des réformes successives du droit des entreprises en difficulté ;

De l’accroissement des droits reconnus aux salariés par le code du travail ;

Des effets de la jurisprudence sociale.

Au départ, la loi a créé le régime de garantie des salariés pour améliorer la


situation de ceux-ci dès lors qu’ils étaient souvent privés de ressources en cas de
mise en procédure collective de leur employeur.

Jusque-là les mandataires de justice ne pouvaient compter que sur les fonds
de l’entreprise pour indemniser les salariés. Deux difficultés principales se
posaient alors : l’insuffisance des disponibilités et les délais de réalisation des
actifs appréhendés.

Depuis lors, le contexte des faillites s’est heureusement modifié. L’AGS est
en capacité de répondre aux attentes des professionnels en vue de procéder le
plus rapidement possible au versement des sommes dues aux salariés.

Par sa grande réactivité, l’AGS contribue au redressement et au sauvetage


de nombreuses entreprises en difficulté, en aidant à préserver la paix sociale et
en évitant tout arrêt de l’activité qui pourrait provenir d’une démobilisation du
personnel. C’est cette dimension qui fait aujourd’hui de l’AGS un acteur
incontournable des procédures collectives.

La réussite incontestable de l’AGS doit cependant être préservée.

338 | IFR Actes de colloques N° 30

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ALBERT ARSEGUEL ET THIERRY MÉTEYÉ

A ce propos, la finalité sociale de l’AGS ne doit pas être détournée de sa


vocation initiale par un alourdissement inconsidéré de ses charges, notamment à
travers une jurisprudence sociale exponentielle, trop souvent ignorante des
enjeux économiques.

Ce n’est qu’au prix d’une maîtrise permanente de ses charges que l’AGS
pourra conserver sa remarquable efficacité et sa contribution au redressement
des entreprises en difficulté.

Dès l’origine, une convention de gestion a été conclue entre l’AGS et


l’Unédic qui confie à cette dernière la gestion opérationnelle du régime de
garantie des salariés.

L’Association AGS a l’entière maîtrise de la fixation du taux de la


cotisation AGS supportée par les employeurs assujettis. Tous les employeurs de
droit privé (à l’exception des employeurs de gens de maison) sont dorénavant
assujettis à l’AGS, mais cette couverture a eu lieu progressivement au rythme
des réformes successives du droit des entreprises en difficulté.

Le CA de l’AGS est très attentif au contrôle du poids de la cotisation AGS


et c’est tout le sens du pilotage très fin de ses ressources. L’objectif est de
maintenir un équilibre satisfaisant entre d’une part les ressources de l’AGS et
d’autre part ses dépenses.

L’intervention de l’AGS repose sur la règle de la subsidiarité. Ce n’est


qu’à défaut de fonds disponibles que l’AGS est susceptible d’être sollicitée pour
procéder à des paiements.

Il convient également de souligner que les textes de 1973 n’ont pas bougé
en ce qui concerne la définition du champ des créances garanties par l’AGS. Il
s’agit des seules créances résultant de l’exécution du contrat de travail.
Nous savons d’expérience que cette définition légale a été fortement interprétée
et sans doute dévoyée par la jurisprudence sociale au profit de la notion plus
floue de créance née à l’occasion du contrat de travail.

A partir de cette construction jurisprudentielle audacieuse et critiquable, la


jurisprudence sociale n’a pas hésité à mettre à la charge de l’AGS toutes sortes

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 339

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FONCTIONNEMENT DE L’AGS DEPUIS 1974 : BILAN ET PROJECTION

de dommages-intérêts, dont certains n’ont qu’un très lointain rapport avec la


notion de créance due en exécution du contrat de travail.

Nous sommes en présence d’une jurisprudence ouvertement « contra


legem » et parfaitement assumée.

Il est important de souligner que l’intervention de l’AGS est indépendante


de la situation de l’employeur défaillant en tant que cotisant. C’est le principe de
solidarité des employeurs qui s’applique et les salariés ne sont aucunement
pénalisés du fait du retard accumulé par leur employeur dans le paiement de la
cotisation AGS. L’AGS maintient le bénéfice de sa garantie aux salariés dans
une telle hypothèse.

Ce point est aussi la démonstration que l’AGS n’est pas une assurance,
mais un régime de garantie institué par la loi. Il en résulte que les conditions
d’intervention de l’AGS sont définies dans le code du travail, l’AGS pouvant
légalement décider de rejeter tout ou partie des créances pour quelque motif que
ce soit.

Bien entendu, la garantie de l’AGS s’exerce dans le cadre de plafonds afin


d’éviter des abus, voire des débordements. Il y a lieu de rappeler que le plafond
maximum de la garantie se situe en 2017 à plus de 78 000€ alors que dans les
autres Etats de l’Union Européenne, la moyenne est de 25 000€.

La loi du 25 Janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation


judiciaires des entreprises qui est entrée en vigueur le 1er Janvier 1986, a
profondément transformé les conditions du recours à la garantie de l’AGS.

Bien entendu, la pratique avait introduit au fil du temps des constructions


juridiques exclusivement prétoriennes pour traiter un certain nombre de
situations et faciliter la recherche d’issues positives aux procédures collectives.

Dans tous les cas, il s’agissait de solutions ne figurant pas dans le texte de
loi.

L’AGS est également devenue au fil du temps un partenaire des Universités


en participant à de nombreux colloques consacrés au Droit des entreprises en
difficulté et notamment par le Centre de droit des affaires et de recherche sur les

340 | IFR Actes de colloques N° 30

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ALBERT ARSEGUEL ET THIERRY MÉTEYÉ

entreprises en difficulté (CREDIF) créé par Madame Corinne Saint-Alary


Houin.

Avec l’élaboration du projet de loi sur le redressement et la liquidation


judiciaires des entreprises, les Pouvoirs Publics se sont attachés à inclure les
dispositions relatives au régime de garantie des salariés dans les différents stades
des nouvelles procédures collectives.

Il existe bien dans la loi du 25 Janvier 1985 une articulation entre le


mécanisme de l’AGS et les procédures collectives.

C’est ainsi que la garantie de l’AGS s’est appliquée dans les redressements
et liquidations judiciaires non seulement au profit des sommes dues à la date du
jugement d’ouverture, mais également aux indemnités de rupture résultant des
licenciements pour motif économique prononcés pendant la période
d’observation qui s’ouvre à la date du jugement d’ouverture.

Dans le cas des redressements judiciaires, cette garantie est maintenue


pendant le mois qui suit la date du jugement arrêtant le plan de continuation ou
le plan de cession.

Pour ce qui est de la liquidation judiciaire, cette garantie des indemnités de


rupture se prolonge pendant les quinze jours suivant le prononcé du jugement de
liquidation judiciaire ou pendant la durée du maintien provisoire d’activité dans
la limite de 3 mois.

Toujours dans le cadre de la liquidation judiciaire, en cas de jugement de


conversion d’un redressement judiciaire en liquidation judiciaire, l’AGS prend
en charge les salaires dans une limite calculée en durée (45 jours) et en montant
(3 plafonds mensuels de Sécurité sociale).

Il faut également citer le cas du représentant des salariés instauré par la loi
du 25 Janvier 1985. Comme il s’agit d’un salarié protégé, la garantie des
indemnités de rupture a été allongée à 30 jours pour permettre au mandataire
judiciaire de solliciter l’autorisation de licencier le représentant des salariés
auprès de l’Inspection du Travail. Dès lors que ce délai est respecté, la garantie
des indemnités de rupture est maintenue jusqu’à la décision de l’Inspection du
Travail d’autoriser le licenciement du représentant des salariés.

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 341

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FONCTIONNEMENT DE L’AGS DEPUIS 1974 : BILAN ET PROJECTION

Pour les autres salariés protégés, l’expression de l’intention de licencier et


la saisine de l’Inspection du Travail doivent être effectuées dans les quinze jours
suivant la date du jugement de liquidation judiciaire.

Comme on le voit, la loi du 25 Janvier 1985 a marqué une rupture avec le


passé en permettant aux entreprises faisant l’objet d’une procédure collective de
procéder à une véritable restructuration sociale, en effectuant les ajustements
d’effectifs salariés nécessaires à la poursuite de leur activité lorsque les
conditions d’un redémarrage étaient réunies.

Pour les entreprises dont la situation était irrémédiablement compromise,


les mandataires judiciaires disposaient d’un délai suffisant pour mettre en place
les procédures de licenciement.

Dans cette organisation, l’AGS occupe une place centrale puisque la loi
fixe le cadre dans lequel les créances du salarié peuvent être garanties.

Pour les professionnels, il s’agit d’une sécurité en ce qui concerne la


certitude que les créances dues aux salariés licenciés seront bien prises en charge
par l’AGS, dans le cadre des périodes garanties.

La loi du 25 Janvier 1985 a eu également pour effet de prévoir la mise en


cause systématique de l’AGS dans les instances contentieuses engagées par les
salariés.

Cette mise en cause systématique de l’AGS est à l’origine du très


volumineux contentieux prud’homal dans lequel elle est appelée à intervenir
depuis 1986.
L’approche adoptée par la loi du 25 Janvier 1985 reste valable aujourd’hui
malgré les réformes successives qui ont été réalisées et qui touchent au droit des
entreprises en difficulté.

L’intervention de l’AGS reste la même en ce qui concerne d’une part les


sommes garanties à la date du jugement d’ouverture et d’autre part
l’allongement des périodes de garantie au-delà du jugement d’ouverture.

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 Juillet 2005, entrée en vigueur le


1er Janvier 2006 n’a pas fondamentalement remis en cause cet édifice.

342 | IFR Actes de colloques N° 30

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ALBERT ARSEGUEL ET THIERRY MÉTEYÉ

La seule innovation notable a été la création de la procédure de sauvegarde qui a


constitué un nouveau type de procédure collective, autorisant l’intervention de
l’AGS, pour une entreprise ne se trouvant pas en état de cessation des paiements,
même si elle rencontrait des difficultés sérieuses.

En fonction de cette situation nouvelle, la règle de subsidiarité qui est à la


base de l’intervention à l’AGS sur un plan général, s’est trouvée encore
renforcée dans le cas de la procédure de sauvegarde.
Il en résulte que l’AGS ne garantit pas par exception à la règle, les sommes dues
aux salariés antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de
sauvegarde. A l’inverse, l’AGS garantit les indemnités de rupture dues en raison
des licenciements pour motif économique prononcés pendant la période
d’observation et pendant le mois suivant le jugement ayant arrêté le plan de
sauvegarde.

Depuis 2006, la situation est restée inchangée en ce qui concerne la garantie


de l’AGS dans les procédures de sauvegarde.
Lorsqu’elle garantit des créances salariales, l’AGS se trouve subrogée dans les
droits des salariés bénéficiaires. Cette subrogation légale concerne la fraction
superprivilégiée des créances des salariés. Cette particularité va de pair avec la
qualification juridique des sommes garanties qui sont des avances. Elle permet à
l’AGS d’obtenir des remboursements dans les dossiers de procédures
collectives, selon la consistance des actifs existants et réalisables.

Toutes créances confondues, le taux moyen de remboursement de l’AGS


atteint en moyenne 35% du montant des avances effectuées. La proportion des
affaires impécunieuse ne cesse d’augmenter et agit négativement sur le taux de
récupération de l’AGS.

En fonction de ce qui précède, les sources de financement de l’AGS sont de


deux ordres :
• Les cotisations provenant des entreprises pour les 2/3 ; (1.400M€ en 2016).
• Les récupérations obtenues dans les entreprises en procédure collective :
1/3. (715M€ 2016).

Ces développements démontrent que l’AGS constitue pour les entreprises


en difficulté et leurs salariés un dispositif de protection sociale complet et
pertinent. Les délais de traitement des demandes d’avances ne dépassent pas 5

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 343

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FONCTIONNEMENT DE L’AGS DEPUIS 1974 : BILAN ET PROJECTION

jours et ils sont en moyenne plus courts, surtout s’il existe une urgence sociale
dans un dossier à fort enjeu. L’AGS sait mobiliser ses moyens pour répondre
aux circonstances exceptionnelles qui peuvent survenir.

A ce stade, il était capital que l’AGS soit capable de s’adapter en


permanence aux modifications de l’environnement des procédures collectives.
Depuis sa création, l’AGS a su faire preuve de souplesse et de réactivité pour
répondre aux défis qui sont apparus.

Aujourd’hui, l’AGS est solidement installée dans le paysage des procédures


collectives. Elle est effectivement devenue un acteur incontournable dans ce
domaine et les mandataires de justice insistent sur les difficultés qu’ils
rencontreraient s’ils ne pouvaient pas compter sur le soutien de l’AGS pour la
gestion de leurs dossiers.

Depuis l’origine, l’AGS n’a jamais manqué à ses obligations. Les


entreprises françaises peuvent se féliciter d’avoir à leur disposition un
mécanisme de solidarité de ce type, dont la solvabilité est assurée dans la durée
et qui repose sur une gestion équilibrée.

La présence de l’AGS dans l’environnement des procédures collectives


depuis tant d’années s’est traduite au cours des dernières années par un certain
renforcement de son statut, soit comme acteur, soit comme créancier.

Des textes de loi sont ainsi entrés en vigueur qui donnent de nouvelles
prérogatives à l’AGS dans les domaines suivants :

A partir d’un certain seuil les articles L.621-4 et R.621-2-1 du code de


commerce imposent la consultation de l’AGS par les tribunaux de commerce
pour émettre un avis sur la désignation du mandataire judiciaire ou de
l’administrateur judiciaire lors du jugement d’ouverture de la procédure.

A partir d’un certain seuil les articles L.621-10 et R.621-24 du code de


commerce prévoient la désignation de droit de l’AGS par les tribunaux de
commerce en qualité de contrôleur lorsqu’elle en fait la demande.

La consécration légale de rôle de l’AGS en tant que contrôleur révèle que


les autres acteurs des procédures collectives sont attentifs aux avis qu’elle

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ALBERT ARSEGUEL ET THIERRY MÉTEYÉ

formule dans les dossiers avec de forts enjeux économiques, sociaux et


financiers.

L’AGS exerce son rôle de contrôleur en tant que créancier de la procédure


collective mais également en l’absence de toute demande d’avance, dès
l’ouverture de celle-ci. Cette spécificité renforce la crédibilité et la pertinence de
ses interventions qui permettent souvent d’anticiper très en amont l’apparition
des difficultés.

Elle bénéficie également de l’autorisation d’accès au RNCPS (répertoire


national commun de la protection sociale) permettant à l’AGS de disposer
d’informations indispensables à la lutte contre la fraude aux côtés des autres
organismes de la protection sociale. La problématique est la même et cette
coopération par l’échange d’informations est indispensable.

Par son pragmatisme et sa proximité, le rôle de l’AGS est très apprécié.

Dans le cadre de la relation partenariale avec l’AGS, les mandataires de


justice expriment leur satisfaction de pouvoir s’appuyer sur l’expérience de
l’AGS comme contrôleur. L’implication de l’AGS apporte une aide dans la
recherche et l’adoption des solutions socialement les mieux-disantes et
économiquement les plus adaptées.

Cette force et cette reconnaissance de l’AGS sont un atout majeur qui doit
être préservé à tout prix.

D’éminents commentateurs ont déjà fait valoir que le droit du travail et


notamment ses dispositions relatives à la procédure de licenciement pour motif
économique n’étaient pas adaptées à la situation des entreprises en liquidation
judiciaire, qui sont les plus nombreuses.

Ces mêmes spécialistes appellent de leurs vœux la création d’un droit social
dérogatoire répondant mieux aux spécificités des entreprises en liquidation
judiciaire.

En allant plus loin encore, ne faudrait-il pas confier à la Chambre


Commerciale de la Cour de Cassation la compétence exclusive pour statuer sur
les recours se rapportant aux entreprises en procédure collective compte tenu de

Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans : droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ? | 345

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FONCTIONNEMENT DE L’AGS DEPUIS 1974 : BILAN ET PROJECTION

la forte imbrication dans ces contentieux du droit commercial et du droit social.


La réflexion mériterait d’être lancée sur cette question majeure.

Dans ce contexte, il est nécessaire de fixer le cadre des missions attendues


de l’AGS dans les procédures collectives. En aucun cas, il ne peut incomber à
l’AGS de réparer financièrement tous les désaccords qui ont jalonné la durée des
relations de travail entre le salarié et son employeur.

Le régime de solidarité n’a pas cette vocation. Dans une optique de


renforcement de l’approche économique, allant dans le sens de la flexi-sécurité,
tout doit être mis en œuvre pour favoriser le rebond professionnel du salarié
dans l’hypothèse où la rupture du contrat de travail n’a pu être évitée.

Au contraire, les juridictions sociales donnent trop souvent l’impression de


privilégier le volet indemnitaire de la réparation du préjudice invoqué par le
salarié au détriment du retour à l’emploi.

Tous les moyens disponibles doivent tendre aujourd’hui vers la recherche


de l’efficacité dans le traitement des procédures collectives. L’AGS est un des
rouages de cette démarche globale. Elle est prête à occuper toute sa place mais
elle n’est pas seule.

Dans tous les cas, il est essentiel de ne pas se tromper de cible. En effet, la
solidarité des employeurs a un coût et elle n’est pas sans limites.

En conclusion, il est de l’intérêt de tous les acteurs concernés de savoir


utiliser avec modération et de façon optimale un mécanisme de garantie qui a
fait ses preuves depuis sa création et dont la souplesse de fonctionnement est
enviée par beaucoup d’autres pays au sein de l’U.E. et au-delà.

346 | IFR Actes de colloques N° 30

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Ouvrages déjà parus dans la Collection de l'IFR


Actes de Colloques

N° 32 - 2017
L'Entreprise et l'Art
sous la direction de Alexandra MENDOZA-CAMINADE

N° 31 - 2017
La laïcité à l'œuvre et à l'épreuve
sous la direction de Hiam MOUANNÈS
Préface de Corinne MASCALA

N° 29 - 2017
Vanuatu : oscillation entre diversité et unité
sous la direction de Michèle BOUBAY-PAGÈS

N° 28 - 2017
Le phénomène constituant :
un dialogue interdisciplinaire
sous la direction de
Aurore GAILLET, Nicoletta PERLO et Julia SCHMITZ

N° 27 - 2017
Grève et droit public - 70 ans de reconnaissance
sous la direction de Florence CROUZATIER-DURAND et
Nicolas KADA

N° 26 - 2017
Le droit d’accès à la justice en matière
d’environnement
sous la direction de Julien BÉTAILLE

N° 25 - 2016
Les rythmes de production du droit
sous la direction de Marc NICOD

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N° 24 - 2016
La famille mutante
sous la direction de Solange MIRABAIL

N° 23 - 2015
La recherche juridique vue par ses propres acteurs
sous la direction de Bertrand SERGUES

N° 22 - 2015
Les affres de la qualification juridique
sous la direction de Marc NICOD

N° 21 - 2015
Variations juridiques sur le thème du voyage
sous la direction de Lycette CONDÉ

N° 20 - 2014
La (dis)continuité en Droit
sous la direction de Hélène SIMONIAN-GINESTE

N° 19 - 2013
Tolérance & Droit
sous la direction de Xavier BIOY, Benjamin LAVERGNE et
Marc SZTULMAN

N° 18 - 2013
Égalité-parité, une nouvelle approche de la
démocratie ?
sous la direction de Xavier BIOY et Marie-Laure FAGES

N° 17 - 2013
Le don en droit public
sous la direction de Nathalie JACQUINOT

N° 16 - 2013
Les patrimoines affectés
sous la direction de Jérôme JULIEN et Muriel REBOURG

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N° 15 - 2012
Regards sur le droit au procès équitable
sous la direction de Benjamin LAVERGNE et Mehdi MEZAGUER

N° 14 - 2012
La spécialisation des juges
sous la direction de Catherine GINESTET

N° 13 - 2012
La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les
administrations... Dix ans après
sous la direction de Sébastien SAUNIER

N° 12 - 2011
Image(s) & Environnement
sous la direction de Marie-Pierre BLIN-FRANCHOMME

N° 11 - 2011
Les métamorphoses de la marque
sous la direction de Jacques LARRIEU

N° 10 - 2011
La pédagogie au service du droit
sous la direction de
Maryvonne HECQUARD-THÉRON et Philippe RAIMBAULT

N° 9 - 2011
L’identité du droit public
sous la direction de Xavier BIOY

N° 8 - 2011
L’accès aux soins - Principes et réalités
sous la direction de Isabelle POIROT-MAZÈRES

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N° 7 - 2010
Juges et apparence(s)
sous la direction de Nathalie JACQUINOT
N° 6 - 2009
Solidarité(s). Perspectives juridiques
sous la direction de Maryvonne HECQUARD-THÉRON

N° 5 - 2007
Les influences de la construction européenne sur
le droit français
sous la direction de Joël MOLINIER

N° 4 - 2007
Demain la sixième République ?
Sous la direction de Henry ROUSSILLON
Organisé par Stéphane MOUTON

N° 3 - 2006
Journées Michel Despax « L’emploi »
sous la direction de Jean PELISSIER et Albert ARSEGUEL

N° 2 - 2006
Les décisions juridictionnelles atypiques
sous la direction de Maryvonne HECQUARD-THÉRON

N° 1 - 2006
La liberté personnelle.
Une autre conception de la liberté ?
sous la direction de Henry ROUSSILLON et Xavier BIOY

HORS-SÉRIE
2010
Regards sur le droit des étrangers
ADOC (Association des doctorants en droit et en science politique)

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Dépôt légal : décembre 2017 www.corep-imprimerie.com

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2021-10-06 15:05:01 +0200

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