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Aurélien Colson
ESSEC - Ecole Supérieur des Sciences Economiques et Commerciales
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Aurélien Colson
Chef du groupe de projet Ariane
n° 13 – Septembre 2005
AVANT-PROPOS Depuis quelques années, la réforme dispositif. Quand nous construisons
de l’État est programmée par tous les des scénarios sur les rôles à venir de
gouvernements de notre pays. Elle a l’État, chaque groupe de projet, quel
même droit à un ministère, ce qui qu’en soit l’objet, doit intégrer la
n’était guère le cas dans notre Répu- réforme de l’État dans sa manière d’en
blique. Elle fait l’objet de déclara- concevoir les rôles.
tions résolues, d’engagements fermes
et d’approches multiples. Personne, Le groupe Ariane devait donc fournir à
ni à droite ni à gauche, ne s’oppose à chaque groupe du Plan un fil rouge
l’idée. Quelques exemples étrangers pour élaborer ses plans d’action. À
laissent penser que la France a pris cette fin, il déplaça la question coutu-
du retard. Ils sont souvent sollicités mière en la formulant autrement. Il ne
pour dénoncer telle résistance des s’agit plus de réformer l’État en géné-
syndicats attachés aux acquis sociaux ral, ni même de concevoir une réfor-
dans la fonction publique ou telle me en particulier, mais nous devons,
reculade des décideurs politiques plus modestement, comprendre com-
attachés à calmer le jeu. ment et pourquoi des changements
réussissent. Le problème pratique
Le sens du mot réforme n’est certaine- n’est pas de réformer mais de condui-
ment pas identique dans tous les cas. re le changement.
Les uns veulent améliorer le fonction-
nement du service public ; d’autres Ainsi le groupe Ariane examine-t-il le
désirent réduire le nombre de fonc- problème central de toute réforme et
tionnaires ; pour les uns, il faut décen- de tout changement, ce problème qui
traliser ; pour d’autres, seule la Répu- a réduit à néant les efforts de tous les
blique une et indivisible garantit ses utopistes, qu’ils soient les concep-
propres principes, etc. Tous sont néan- teurs constructivistes d’une société
moins troublés par les résistances idéale, ou les porteurs plus modestes
qu’ils rencontrent en voulant appli- d’un projet de société séduisant. Dans
quer une réforme localisée. La puis- la sphère politique, il ne s’agit pas
sance des syndicats dans la fonction d’avoir les meilleures idées, il
publique a souvent démontré aux convient de savoir les mettre en
décideurs publics qu’ils avaient tort œuvre, c’est-à-dire de penser le temps
d’avoir raison. de la transition entre l’état présent, cri-
tiqué ou déploré, et l’état futur
On évoque alors sans cesse, pêle- meilleur et souhaité. La pensée pri-
mêle, la peur du changement, les cor- mordiale concerne la transition entre
poratismes, la coalition des conserva- les deux états.
tismes, etc. La stabilité de ces argu-
ments et leur distribution politique Tel est le sens du travail effectué par le
convenue rendent sceptiques les ana- groupe Ariane, en étayant son appro-
lystes et découragent les réforma- che sur des analyses de cas convain-
teurs : notre pays serait impossible à cantes. Cette approche empirique per-
réformer ! met de dégager une sorte de guide
dont peuvent s’inspirer tous ceux qui
Le groupe de projet Ariane a décidé sont soucieux de réformer leur admi-
d’aborder cette question essentielle nistration sans se contenter des effets
d’une autre manière. Ce n’est pas un d’annonce. Ce n’est pas un hasard si
hasard car la nouvelle identité du Plan le temps prend une telle importance
– prospective de l’État stratège – met dans les analyses d’Ariane. Une réfor-
évidemment Ariane au cœur de notre me, un changement ne s’effectuent
que dans le temps compris avec toutes Je tiens donc particulièrement à
ses dimensions : temps de décider, remercier Aurélien Colson pour la
temps de convaincre, temps d’exécu- qualité de ces textes qui sont en phase
ter, temps d’évaluer, etc. avec la qualité du management pro-
posé à son groupe de projet.
Nous percevons bien dans ces textes
toutes les dimensions qu’implique une
réforme de l’État : le politique, le
temps, l’humain, la connaissance. Alain Etchegoyen
RÉSUMÉ OPÉRATIONNEL La réforme de l’État est une priorité pour réussir le changement ? Quels
affirmée par le gouvernement actuel, sont les blocages à surmonter, les
comme elle le fut par ses prédéces- erreurs à ne pas commettre, et com-
seurs et comme elle le sera vraisem- ment ? Quelles méthodes ont fait leur
blablement par ses successeurs. Il est preuve dans de récentes réformes
peu discutable, en effet, que “la” réfor- administratives en France ? Peut-on
me, ou plutôt “les” réformes de l’État, apprendre des expériences passées ?
forment une ambition de longue halei-
ne. Ses justifications sont aussi nom- Pour trouver des éléments de réponses
breuses qu’impérieuses : la nécessité opérationnels à ces questions, l’appro-
de proposer un meilleur service public che ne pouvait qu’être inductive : par-
aux citoyens ; l’impératif rétablisse- tir du terrain et de l’expérience des
ment des finances publiques ; tout acteurs ayant directement contribué à
comme le légitime besoin d’améliorer la mise en œuvre de changements dans
les conditions de travail et les perspec- le secteur public, pour essayer d’en
tives de carrière des agents de l’État. dégager certains principes concrets
d’action, assortis de recommandations
En matière de réforme de l’État, les plus générales susceptibles de confor-
objectifs et les contenus des multiples ter, à l’avenir, les démarches de réforme
changements en cours ou à conduire de l’État.
sont, dans l’ensemble, bien connus. En
revanche, le processus concret de mise À cet effet, sept études de cas ont été
en œuvre de ces changements reste, menées : les Douanes et la Direction
lui, moins étudié. Or le processus ne des relations économiques extérieures
va pas de soi. Une première série d’in- (DREE) au ministère de l’Économie,
dications en ce sens est donnée par des Finances et de l’Industrie ; la
notre histoire administrative. Celle-ci Délégation générale pour l’armement
ne manque pas de tentatives avortées (DGA) et la Direction des construc-
de réformes, non pas tant parce que le tions navales (DCN) au ministère de la
fond du projet était contestable – cer- Défense ; enfin, l’Agence nationale
tes, il arrive qu’il le soit – mais surtout pour l’emploi (ANPE). À titre compa-
parce que le processus de mise en ratif, afin d’avoir un aperçu de la
œuvre n’était pas à la hauteur de l’en- conduite du changement dans le sec-
jeu. Souvent, même, et c’est la secon- teur privé, deux études de cas ont été
de série d’indications, la question du ajoutées : le fabriquant de tabac
processus ne se pose pas car il n’y a Altadis, issu de l’entreprise publique
pas de passage à l’acte : nombreuses Seita, et le constructeur automobile
sont les idées de réformes, pourtant Nissan depuis son alliance avec
développées par de prestigieuses com- Renault. Ont également été consultées
(1) Ce difficile passage à l’acte trou- missions mandatées par les plus hautes des personnalités étrangères pouvant
ve en France une illustration supplé- autorités, qui n’ont jamais franchi le rendre compte de l’expérience d’au-
mentaire, dans un autre registre, cap de la mise en œuvre 1. Cela ren- tres pays en matière de conduite du
avec la forte proportion de lois qui force l’hypothèse selon laquelle les changement.
n’ont jamais été mises en vigueur, conditions de mise en œuvre des réfor-
leurs décrets d’application mes posent problème et méritent, à ce Au total, 65 personnalités ont été
n’ayant pas été rédigés. auditionnées au Plan ou interviewées
titre, d’être explorées.
lors de visites dans leurs organisations,
D’où le champ spécifique abordé par à différents niveaux hiérarchiques :
ce Cahier du Plan : comment condui- ancien ministre, directeur d’adminis-
re le changement dans le secteur tration centrale, directeur d’établisse-
public ? Quels sont les points clefs ment public, chef de service, sous-
directeur, membre de cabinet ministé- exhaustive, souligne la difficulté de la
riel, membre des états-majors des tâche) et les préconisations de métho-
armées, responsable syndical, mem- de telles qu’elles résultent des entre-
bre de la direction d’entreprise privée, tiens menés.
consultant dans des cabinets de
conseil, chercheur. La troisième contribution comprend
dix propositions de réforme que ces
Les témoignages et les analyses ainsi entretiens ont permis de faire émerger.
recueillis ne sauraient à eux seuls défi- Axées sur l’amélioration des mécanis-
nir une méthode imparable de condui- mes de réforme dans le secteur public,
te du changement. Qui le pourrait, si elles visent à l’instauration d’un cadre
tant est qu’une telle méthode existe ? stable et prévisible pour la réforme de
Mais, ancrés dans des pratiques admi- l’État. Elles corroborent souvent, mais
nistratives et managériales, forts de parfois aussi contredisent, les mouve-
changements réussis, ils concourent à ments actuels. Ces propositions sont
une réflexion tournée vers l’action, synthétisées ci-après.
dont ce Cahier tente de synthétiser les
principaux aspects, après avoir briève- • Instituer un ministre délégué auprès
ment décrit dans sa première partie les du Premier ministre, chargé de la
études de cas réalisées. Modernisation de l’État. La réforme de
l’État est un enjeu transversal, qui souf-
Cette réflexion tournée vers l’action fre de n’être porté que par un ministè-
comporte quatre contributions : re sectoriel, quel qu’il soit. Outre le
regain d’interministérialité qu’il géné-
La première, analytique, décrit les rerait, le rattachement direct au
composantes clefs de tout change- Premier ministre conférerait au dossier
ment. Les études de cas font apparaî- un surcroît de légitimité administrative
tre systématiquement six composantes et d’autorité politique.
dont la maîtrise s’avère décisive pour
la réussite du changement : un projet, • Stabiliser la structure gouvernemen-
un terrain, un moment, une volonté tale autour d’un nombre restreint de
politique, des hommes et des femmes, départements et créer, dans les minis-
enfin un pilotage. Le succès d’un tères où ce n’est pas encore le cas, un
changement réside dans la conjonc- poste de secrétaire général rassem-
tion – qui tient plus de l’alchimie que blant les fonctions transverses, notam-
de la logique pure – de ces six com- ment budgétaires et de ressources
posantes. S’il est impossible d’affecter humaines, qui sont essentielles à la
à chacune une pondération, reste que modernisation.
toutes ont leur pertinence pour éclai-
rer les mécanismes de mise en mou- • Assurer une interministérialité réelle
vement d’un changement. de la modernisation publique, en par-
ticulier le travail collectif des secrétai-
La deuxième contribution, prescripti- res généraux, réunis sous la présidence
ve, découle de la précédente. Elle pré- du ministre délégué auprès du Premier
sente, à l’attention des responsables ministre, chargé de la Modernisation
publics chargés de conduire un chan- de l’État.
gement, des facteurs d’échec et de
succès. Les encadrés qui émaillent la • Engager la réforme des corps de la
seconde partie comprennent à la fois fonction publique d’État au début de la
les erreurs typiques à ne pas commet- prochaine législature. Comme la LOLF
tre (cette liste, déjà impressionnante aujourd’hui, la réforme du système des
bien qu’elle ne prétende pas être corps constituerait non seulement une
modernisation de grande ampleur, entre praticiens, chercheurs français et
mais aussi le levier pour faciliter, experts étrangers. S’en servir pour
demain, d’autres réformes et l’instaura- développer la formation des cadres
tion d’une culture du changement. publics à la conduite du changement, à
la gestion de projet et à la négociation
• Développer la pluriannualité budgé-
dans le réseau des écoles du service
taire afin de donner à ceux qui
public, les instituts d’études politiques,
conduisent le changement la visibilité
les instituts régionaux d’administration
nécessaire, souvent supérieure à une
ainsi qu’en formation permanente.
année. Assortir cette pluriannualité de
contrats de progrès, ou équivalents, • Valoriser vraiment celles et ceux qui
permettant à l’organisation qui se conduisent le changement et contri-
réforme de récupérer une partie des buent, à tous les échelons, à son suc-
gains de productivité qu’elle génère. cès, à travers des possibilités élargies
• Instaurer, pour les nominations aux de promotion interne et d’intéresse-
postes de direction d’administration ment aux fruits de la réforme.
centrale, une procédure transparente
La dernière contribution consiste in
de dépôt de candidatures permettant
fine à éclairer certains paradoxes qui
aux intéressés de présenter, devant un
accompagnent la réforme de l’État
collège à définir, leur projet, leur pro-
dans notre pays. Elle invite à construi-
fil et leurs engagements.
re un mouvement continu de moder-
• Maîtriser et évaluer le recours à des nisation de l’État, dans lequel les réfor-
consultants extérieurs. L’évaluation ex- mes réussies aident à bâtir les réformes
post de la contribution des consultants suivantes.
doit être rendue systématique. Ces
évaluations doivent abonder une base Cela suppose une conception élargie
de données interministérielle. À l’oc- de ce qu’est un changement réussi,
casion de chaque mission confiée à lequel est considéré comme tel lors-
des cabinets extérieurs, le transfert de qu’il vérifie les dix critères suivants :
compétences vers les administrateurs
1. sur le fond, naturellement, ce chan-
en place doit être assuré ; la capitalisa-
gement satisfait les motivations pro-
tion du savoir-faire au sein de l’admi-
fondes de la réforme (contra : le nou-
nistration doit être recherchée.
veau dispositif, bien que formellement
• Encourager la constitution, au sein de mis en place, n’est pas plus efficace
l’administration, d’équipes d’appui en que le précédent) ;
conduite du changement : des “consul-
tants” internes à l’administration, 2. il aboutit à une situation d’ensemble
cumulant connaissance fine du secteur plus satisfaisante que le statu quo ex-
public et ayant capitalisé en techniques ante (contra : l’amélioration constatée
de changement, susceptibles de prêter sur les objectifs fixés se fait au détri-
main forte de façon ponctuelle. Cette ment d’autres objectifs que ne concer-
évolution ne doit pas être circonscrite nait pas la réforme, selon le principe
aux grands corps de l’État. des vases communicants) ;
• Développer une base de données sur 3. il ne s’en tient pas à une approche
les expériences de changement au sein a minima mais a su intégrer le maxi-
du secteur public, pour servir de sup- mum d’idées innovantes (contra : le
port à l’échange de bonnes pratiques. changement, défini par en haut, n’a
Créer, par exemple à l’ENA, un centre intégré aucune des idées émergeant
permettant de capitaliser l’expertise en en cours de processus, en provenance
la matière, en organisant le dialogue de tous les niveaux de la hiérarchie) ;
4. il est ancré dans des critères de légi- réalisé à la faveur d’ambiguïtés et de
timité et de justification (contra : le malentendus qui, lorsqu’ils se révéle-
changement a été mis en œuvre par la ront, nourriront blocages et conflits) ;
seule contrainte, ou en invoquant uni-
quement des pressions extérieures : 9. il a suivi un processus ayant permis
“Bruxelles”, “les déficits”, etc.) ; tout ce qui précède et qui, désormais
validé par les parties prenantes, pour-
5. il maintient, et si possible améliore,
ra être reproduit ultérieurement
les relations entre les acteurs de l’or-
(contra : le processus suivi n’a pas
ganisation (contra : traumatisée par le
donné satisfaction et ne peut servir
déroulement brutal de la réforme, l’or-
d’inspiration pour un prochain chan-
ganisation est désormais figée par des
gement) ;
relations exécrables entre les acteurs
qui la composent) ;
10. il diffuse ailleurs dans l’administra-
6. il respecte le mandat fixé par l’auto- tion des leçons et des bonnes pratiques
rité de tutelle (contra : à la faveur du (contra : il reste confiné dans un espa-
jeu d’acteurs internes, le changement a ce segmenté de l’administration).
été détourné des intentions initiales) ;
7. il tient compte des intérêts des par- Les enjeux et les difficultés propres à la
ties prenantes qui, bien qu’absentes du conduite du changement dans le sec-
champ immédiat, sont intéressées à la teur public dépassent de beaucoup les
réforme : typiquement, les usagers, les dimensions de ce Cahier du Plan. Il ne
organismes partenaires, etc. (contra : prétend pas en traiter toutes les dimen-
le changement s’est accompli sur le sions, ni surtout de façon définitive.
dos de partenaires extérieurs qui, lors- Mais il aura atteint son but s’il
qu’ils s’en rendront compte, auront les concourt, avec d’autres initiatives pas-
moyens de se faire entendre) ; sées, présentes et à venir, à souligner
que la réforme de l’État a besoin, outre
8. il est fondé sur une communication de projets solides sur le fond, de volon-
claire (contra : le changement a été té affirmée et de méthode éprouvée.
SOMMAIRE
INTRODUCTION 13
PREMIÈRE PARTIE
Partir du terrain : sept études de cas 19
SECONDE PARTIE
Tirer les leçons du terrain : six composantes clefs
pour réussir le changement 33
ANNEXE 1
Liste des personnalités rencontrées 65
ANNEXE 2
Bibliographie 69
INTRODUCTION “Nous n’avons que le choix entre les changements
dans lesquels nous serons entraînés,
et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir”.
Jean Monnet
13
Introduction
14
Introduction
15
Introduction
16
Introduction
17
Introduction
18
PREMIÈRE PARTIE Pour analyser la conduite du change- l’extension du marché à travers l’im-
ment dans le secteur public, ses pact grandissant des règles de concur-
Partir du terrain : écueils comme les facteurs qui favori- rence, l’ouverture sur le monde et en
sent sa réussite, la méthode fut induc- particulier à l’Europe communautaire.
sept études de cas tive : partir du terrain afin de dégager La pression budgétaire et les attentes
certains principes concrets d’action. des usagers constituent les deux autres
principaux facteurs de changement.
Dans cet esprit, sept études de cas ont
été menées à bien : les Douanes et la Le second critère fut d’avoir une diver-
Direction des relations économiques sité de terrains à étudier. L’échantillon
extérieures (DREE) au ministère de d’études de cas, s’il ne prétend bien
l’Économie, des Finances et de l’Indus- sûr pas être représentatif au sens statis-
trie, la Délégation générale pour tique, propose une diversité suffisante
l’armement (DGA) et la Direction des pour illustrer une large proportion des
constructions navales (DCN) au minis- situations possibles au sein de l’État.
tère de la Défense ; enfin, l’Agence Les études de cas rassemblent à la fois
nationale pour l’emploi (ANPE). À titre des administrations très anciennes (les
comparatif, afin d’avoir un aperçu de Douanes) ou au contraire récentes
la conduite du changement dans le (ANPE) ; des administrations centrales
secteur privé, deux études ont été ajou- (DGA) comme des établissements plus
tées : le fabriquant de tabac Altadis, autonomes (ANPE) ; des structures de
issu de l’entreprise publique Seita, et le taille réduite (la DREE) ou plus impor-
constructeur automobile Nissan depuis tante (Seita) ; comptant (DREE) ou non
son alliance avec Renault. (DCN) une proportion forte de
contractuels ; des structures franco-
Après avoir brièvement rappelé les rai- françaises (DCN) comme d’autres
sons pour lesquelles ces choix ont été disposant d’un réseau à l’étranger
faits, une synthèse présente les princi- (DREE) ou d’un important maillage en
paux traits de chaque étude de cas. régions (ANPE) ; des activités adminis-
tratives et de services (DREE) face à des
1. Le choix des études de cas : activités à dominante industrielle
éclairer l’État en mouvement (DCN, Seita) ; des administrations en
contact direct avec le public (ANPE)
Deux critères principaux ont été utili- ou non (DGA) ; sans compter le cas,
sés. volontairement à part, de Nissan.
Le premier fut le souhait d’éclairer Cette dernière étude de cas est justifiée
l’État en mouvement. Partant du car la conduite du changement forme
constat, un peu déprimant, que les un champ exploré de longue date dans
réformes réussies sont toujours moins le secteur privé. Elle n’est pas spéci-
connues que les réformes avortées, ce fique à l’administration et les questions
sont des changements menés à bien de processus sont inhérentes à toute
qui ont en priorité été étudiés, afin de organisation. Il faut naturellement évi-
souligner la capacité effective du sec- ter la confusion des genres, mais sans
teur public à se transformer. L’État s’interdire l’échange de bonnes pra-
semble changer le plus à ses frontiè- tiques. Une entreprise qui fusionne
res. Il voit son périmètre évoluer et en deux de ses établissements ou en
tout cas ses missions être modifiées déplace un de Paris en région fait face
sous l’influence de trois dynamiques : à des problématiques de pilotage du
la décentralisation et la territorialisa- changement qui restent proches de cel-
tion accrue des politiques publiques, les à l’œuvre dans le secteur public
19
Première partie
20
Partir du terrain : sept études de cas
21
Première partie
des et les nouvelles formes de crimina- vre en fait une évolution constante
lité s’est traduite par la création d’une faite de multiples modifications. En
Douane judiciaire, exercée par des outre, le cas de la DREE est pertinent
officiers de douane judiciaire (ODJ). dans la mesure où il rassemble, parmi
Ses compétences en matière d’enquête les facteurs qui “poussent à la réfor-
se sont également élargies avec la créa- me,” beaucoup de ceux qui concer-
tion du TRACFIN (traitement du rensei- nent d’autres administrations de l’État.
gnement et action contre les circuits
financiers clandestins), soumis à l’au- La question budgétaire, tout d’abord :
torité du DGDDI. la diminution des budgets disponibles
imposait une rationalisation des outils
4. D’une manière générale, la DGDDI et des moyens. La perspective de la
a rationalisé son fonctionnement : mise en place de la LOLF, ensuite,
modernisation du fret et de la garantie encourageait l’identification des mis-
des métaux précieux, fusion du labo- sions, des moyens afférents et des
ratoire des Douanes et de celui de la résultats attendus.
Direction générale de la concurrence,
Autre facteur poussant au changement,
de la consommation et de la répres-
la mise en concurrence de la DREE
sion des fraudes (DGCCRF), etc.
avec d’autres acteurs, tant publics que
Pour consolider leur avenir, les privés. En effet, les trois métiers de la
Douanes ont su faire évoluer leurs mis- DREE pouvaient être exercés – et de
sions (lutte contre le terrorisme, rôle fait l’étaient de plus en plus – par d’au-
lors des crises sanitaires comme celle tres acteurs : l’information économi-
de la “vache folle”). Au total, pour que (par les chambres de commerce et
Michel Charasse, ancien ministre du d’industrie, voire par des entreprises
spécialisées), le soutien financier aux
Budget, les réformes des Douanes ont
entreprises (par le Trésor et la Coface)
permis à “la plus vieille administration
et les négociations commerciales mul-
du monde” d’être “également aujourd’-
tilatérales (par la Commission de
hui la plus jeune et la plus dynamique,
Bruxelles). En particulier, le développe-
à la pointe au niveau mondial” ; de fait,
ment de l’expertise économique dans
les Douanes jouent un rôle clef à l’é-
les grandes entreprises et d’une offre
chelle internationale, au sein de
de consultants spécialisés obligeait la
l’Organisation mondiale des douanes.
DREE à évoluer vers une véritable
Les Douanes illustrent en outre le “entreprise de production de services”
caractère continu du changement, en direction des entreprises, d’où l’im-
portance nouvelle accordée à la factu-
puisque cette administration est désor-
ration, aux délais de traitement des
mais engagée dans le programme
demandes et à l’évaluation des servi-
“Douanes 2010”.
ces fournis.
2.2. Une décennie
Enfin, là comme ailleurs, l’introduc-
de changements à la Direction tion des nouvelles technologies de
des relations économiques l’information, en transformant les
extérieures (DREE) métiers, appelait à une refonte des
façons de travailler, à la suppression
Le processus de réforme à la DREE a des tâches répétitives et à la réorgani-
démarré en 1992 et s’est poursuivi jus- sation des structures.
qu’à ce jour : c’est ce changement
continu qui est analysé, soulignant Ces changements ont été menés selon
bien que “la” réforme de l’État recou- les grandes étapes suivantes. Dans un
22
Partir du terrain : sept études de cas
23
Première partie
24
Partir du terrain : sept études de cas
25
Première partie
En 2000, la DCN fut transformée en Le 26 mai 2003 fut signé le traité d’ap-
service à compétence nationale, déta- port, qui détermine les actifs apportés
chée de la DGA et placée sous l’auto- par l’État à la société DCN. Les pre-
rité directe du ministère de la Défense. miers clients de DCN restent la Marine
La séparation de la DCN de la DGA nationale et la DGA. Depuis le 30 mai
fut un début de solution au problème 2003, DCN est une société de droit
mais ne résolvait pas tout. Le Rapport privé à capitaux publics. Les effectifs
sur l’avenir de DCN réalisé par Marcel sont passés de 21.700 agents en 1995
Roulet – qui avait connu le change- à 17.500 agents fin 1998 puis à
ment de statut de France Telecom en 15.600 fin 2000, grâce surtout à des
1992 – acheva de convaincre le gou- mesures d’âge concernant les ouvriers
vernement. sous statut dont le départ en retraite a
été autorisé, jusqu’à la fin de 2000,
Le 6 juillet 2001, l’État prit publique- dès l’âge de 52 ans. Ses effectifs sont
ment la décision de modifier le statut en 2005 de 12 200 salariés.
de DCN. La transformation de la DCN
en société anonyme permettait d’em- 2.5. La prise en compte
baucher du personnel avec des contrats de l’usager à l’Agence nationale
de droit privé, nettement plus adaptés à pour l’emploi (ANPE)
une activité industrielle. En contrepar-
tie, les personnels présents pouvaient À la fin des années 1980, l’organisa-
conserver leur statut, et l’État garantis- tion et le fonctionnement de l’ANPE
sait à la DCN qu’il continuerait de lui n’avaient que peu changé depuis sa
confier l’entretien de la Marine, création par l’ordonnance du 13 juillet
moyennant des gains de productivité. 1967, alors même que ses attributions
n’avaient cessé d’augmenter et que le
Une société dédiée, DCN Dévelop- contexte économique et social s’était
pement, fut alors mise en place afin profondément transformé. L’Agence
que la conduite de la réforme soit faci- fonctionnait selon un modèle d’organi-
litée par les règles des sociétés de droit sation très hiérarchisée et spécialisée,
privé (“ne serait-ce que pour l’achat avec un rapport lointain entre les diffé-
des ordinateurs des membres de l’équi- rents échelons. En 1990, ce fonction-
pe”). Cette structure ad hoc permit de nement était devenu inadapté pour
fédérer des compétences indispensa- répondre aux attentes des demandeurs
bles (notamment juridiques, financiè- d’emploi comme aux besoins des
res, de management) que l’administra- entreprises.
tion ne pouvait pas fournir dans les
temps. DCN Développement s’est La satisfaction des usagers, deman-
appuyée sur des moyens internes à deurs d’emploi et entreprises, a consti-
DCN (siège) et sur des consultants exté- tué une pression extérieure essentielle
rieurs d’Accenture (aujourd’hui pour déclencher et mener les réfor-
BearingPoint). La société est aujourd’- mes. Côté demandeurs d’emploi, les
hui dissoute et intégrée à la société files d’attente s’étaient considérable-
anonyme DCN. Mais elle a réalisé un ment allongées en raison de la hausse
considérable travail juridique et finan- brutale du taux de chômage. Dans
cier pour traiter des conséquences de certaines agences, les premières mani-
26
Partir du terrain : sept études de cas
festations de violence avaient fait leur ont été supprimés et remplacés par un
apparition. Le personnel de l’ANPE espace ouvert, réunissant l’ensemble
put prendre conscience par lui-même du personnel de l’agence. Désormais
de la nécessité d’une réforme en étant les demandeurs d’emploi seraient
confronté quotidiennement à une reçus dans un espace public et ouvert,
situation devenue intenable. L’orga- afin d’établir un nouveau rapport
nisation des agences n’était plus adap- direct avec eux.
tée pour accueillir et prendre en char-
ge ces flux massifs de demandeurs Une fois l’impulsion donnée en 1990,
d’emploi. De leur côté, les entreprises, encore a-t-il fallu la maintenir pour
n’étant pas obligées de déposer leurs poursuivre durablement le mouvement
offres à l’Agence, imposaient à celle-ci engagé. La nécessité de réformer
de sans cesse démontrer son efficacité. l’Agence a été entretenue par la pers-
pective de l’ouverture à la concurren-
Les différentes réformes ont été orien- ce. Celle-ci apparaît depuis longtemps
tées vers la satisfaction de l’usager, dés- pour l’Agence comme un horizon
ormais considéré comme un “client”. incontournable, notamment sous l’in-
Derrière ce changement de vocabulai- fluence du droit communautaire de la
re, c’est toute l’organisation de l’Agen- concurrence (l’arrêt Höffner de la CJCE
ce et sa manière de travailler qui ont en 1991, considérant l’ANPE alleman-
été bouleversées. “L’approche client” a de comme une entreprise, l’oblige à se
impliqué des transformations radi- soumettre aux règles de la concurren-
cales : “ce n’est plus l’Agence qui déci- ce). Le placement est en réalité ouvert
de ce qui est bon pour l’usager, mais le de longue date à certaines formes de
client qui fait valoir ce qui est bon pour concurrence, dans le cadre ou en
lui” (Michel Bernard). marge des textes en vigueur (par exem-
ple l’Association pour l’emploi des
Les réformes ont commencé avec la cadres-APEC, les cabinets de recrute-
signature du premier contrat de pro- ment privés et de “chasseurs de têtes”).
grès en 1990, dans lequel les grandes L’abolition du monopole, qui existe
lignes étaient fixées (satisfaire davan- déjà dans les faits et qui est program-
tage d’offres d’emploi dans des délais mée depuis plusieurs années, a ainsi
raccourcis, instaurer de nouvelles exercé une pression sensible sur
méthodes pour lutter contre la sélecti- l’Agence, l’amenant à prouver son effi-
vité du marché du travail...). Le cœur cacité tout en conservant les exigences
du changement a reposé sur deux de service public.
bouleversements très concrets du
métier des agents et du cadre dans L’enjeu européen, intégré par les
lequel il est exercé : l’instauration de ministères successifs, a joué un rôle
la pluricompétence des agents et l’ou- dans la poursuite du changement. Lors
verture de l’espace dans les agences du sommet de Luxembourg, en 1997,
locales. En instaurant la pluricompé- des lignes directrices pour l’emploi
tence des agents, les différentes fonc- ont été adoptées et traduites en objec-
tions ont été décloisonnées. L’ensem- tifs quantifiables. Leur application fait
ble du personnel devait être capable l’objet d’une surveillance par la
de s’occuper des relations avec les Commission européenne, sur la base
entreprises comme de faire face à l’af- de rapports annuels des États memb-
flux croissant des demandeurs d’em- res. Dès lors, les réformes menées par
ploi. En matière d’organisation spatia- l’ANPE depuis 1997 ont été en partie
le, les bureaux, où étaient reçus orientées par les dispositions euro-
jusque-là les demandeurs d’emploi, péennes en matière de politique de
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SECONDE PARTIE Les études de cas et les entretiens ont missions, ses façons de les accomplir
permis d’identifier six composantes et l’environnement dans lequel elles
Tirer les leçons récurrentes et déterminantes pour la s’insèrent.
du terrain : conduite d’un changement : un projet,
six composantes clefs un terrain, un moment, une volonté Mais le projet de changement, aussi
politique, des hommes et des femmes, solide soit-il dans son contenu, ne
pour réussir enfin un pilotage. Le succès de tout peut pas être qu’une affaire de tech-
le changement changement semble résider dans la niques, de procédures, de mécanis-
conjonction – qui tient plus de l’alchi- mes. Il doit être porté par une vision,
mie que de la logique pure – de ces six qui fondera sa légitimité et lui donne-
composantes. S’il est impossible d’af- ra sa force. La vision est d’autant plus
fecter à chacune une pondération, nécessaire que “la réforme de l’État,”
reste que toutes ont leur pertinence en tant que telle, se heurte à une
pour éclairer les mécanismes de mise forme de désillusion.
en mouvement d’un changement.
L’absence de vision, condition réso-
À chacune de ces six composantes
clefs correspondent des écueils et des lutoire de l’échec selon Michel
facteurs d’échec, mais aussi des outils Rocard – “Trop souvent des minis-
et des préconisations qui forment tres, sur une pression indéterminée
autant de facteurs de réussite. Cette (…), sont embarqués dans des inten-
partie entreprend de présenter les uns tions réformatrices qui n’ont d’autre
et les autres, toujours en s’appuyant origine que l’air du temps, sans que
sur les entretiens réalisés. l’objectif précis, délimité et fonda-
mental de la réforme à laquelle il faut
parvenir dans ce secteur de l’adminis-
1. Un projet,
tration publique, soit clair. C’est évi-
c’est-à-dire une vision demment une condition résolutoire
de l’échec programmé” (Michel
Sur le fond, et d’évidence, un projet Rocard, “Oser la réforme de l’État,”
de réforme doit remplir certaines Lettre du Management public, mai-
conditions incontournables : il doit juin 2002).
être au point dans ses différentes
dimensions, techniques, juridiques,
financières, etc. (a contrario, la ques- De l’avis de toutes les personnes inter-
tion de la mise en œuvre d’un projet rogées, on ne réussit pas le change-
qui ne tient pas debout ne se pose ment si l’on ne sait pas où l’on va, ni
même pas). Ces dimensions sont d’or- pourquoi, et si l’on ne sait pas com-
dinaire les mieux approfondies : les muniquer à toutes les parties prenan-
projets de réforme sont, sur le fond, tes le sens de cette direction. Les
travaillés et mûris au fil des rapports et échecs soulignent en général l’incapa-
des commissions. cité des responsables à construire une
vision compréhensible et à la partager.
C’est dire l’importance de la prépara- Pour le dire autrement, on ne change
tion, laquelle requiert du temps, ingré- pas des habitudes, on ne heurte pas
dient qui fera l’objet d’un développe- des traditions, on ne déplace pas des
ment infra. L’anticipation est une hommes et des femmes, sans le
façon de se garantir ce temps de pré- moteur qu’offre une vision motivée et
paration : toute organisation publique motivante (1.1.), laquelle doit être par-
devrait périodiquement consacrer un tagée aussi largement que possible
moment à un exercice collégial de (1.2.), voire coproduite (1.3.) et en tout
réflexion prospective, portant sur ses cas adossée au dialogue social (1.4.).
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1.2. Cette vision doit être partagée des dirigeants, et surtout être décen-
tralisé à tous les échelons de l’organi-
Une vision ne porte ses effets favora- sation.
bles au changement que si elle est par-
tagée avec toutes les parties prenantes.
Communication en direction des sala-
Cette aptitude de la vision à être diffu- riés : le cas d’Altadis – Selon des son-
sée et comprise marque d’ailleurs sa dages effectués dans l’entreprise, 3
qualité. Un changement dont on ne salariés sur 4 s’informaient en priorité
peut, en quelques minutes, exposer la auprès des syndicats plutôt qu’auprès
vision qui le justifie est déjà mal parti. de la hiérarchie ; 4 sur 5 jugeaient
cette information plus crédible que
Le défaut de communication interne celle de la direction ; les tracts de la
– Selon Bernard Brunhes, “les réfor- CGT faisaient de facto office de note
mes pensées en haut ne sont pas de service. Pour répondre à cette
appropriées par le terrain parce que situation, l’encadrement de l’usine de
les hauts fonctionnaires, brillants Riom a cherché à améliorer les
concepteurs de la réforme, n’ont pas moyens de communiquer directement
assez de considération à l’égard des avec les salariés. Un mensuel (Riom-
cadres qui vont la traduire et la réali- point-com) a été créé. La direction
ser sur le terrain, pour accepter de entretient un dialogue régulier avec
passer des heures et des jours à tra- les représentants syndicaux. Comités
vailler avec eux, à les écouter, à leur d’établissement et réunions de la
faire partager les projets, à adapter les direction donnent lieu à un compte
idées aux réalités qu’eux seuls rendu à destination du personnel
connaissent” (in Futuribles, juin d’encadrement, y compris les chefs
2003). d’atelier. Les UEP (unités élémentaires
de production) sont des organisations
de travail autonomes réunissant des
Les enjeux de la réforme doivent donc cadres, des agents de maîtrise et des
faire l’objet d’une pédagogie, laquelle ouvriers. Elles constituent des encein-
passe par une communication en tes de dialogue entre l’encadrement et
interne. Communiquer, ce n’est pas la base. Lors de la privatisation, des
réformer : mais réformer sans com- groupes d’information d’une trentaine
muniquer, c’est courir à l’échec. de personnes ont été réunis pour
expliquer la réforme et se faire enten-
L’expérience des personnes interro- dre ainsi directement par la base.
gées le souligne : la diffusion de l’in-
formation relative à un changement
est systématiquement surestimée. Un 1.3. Cette vision gagne
chercheur américain a calculé que le à être “coproduite”
discours d’un chef d’entreprise consa-
cré à un plan de réforme représente… La définition du changement à condui-
0,005 % du flot d’informations que re ne gagne pas à rester un exercice
(10) KOTTER (J. P.), “Leading traite chaque année un de ses d’état-major. Le choix d’en “co-pro-
Change : Why Transformation Efforts employés 10. Le contexte a beau être duire” une partie au moins, selon des
Fail,” Harvard Business Review, différent, le problème n’en est pas méthodes participatives, apporte un
mars-avril 1995, p. 59-67. moins semblable dans le secteur bon retour sur investissement. Non
public. Le souci de communiquer la seulement des idées nouvelles appa-
vision doit donc être constant, utiliser raissent, mais cette “co-production”
tous les canaux possibles, bénéficier favorise l’appropriation du change-
de l’engagement direct et personnel ment à venir et donc son acceptation.
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D’autres caractères sont pertinents. La • Ne pas tirer les leçons des tentatives
taille compte : la complexité semble pro- précédentes.
portionnelle à la taille de l’organisme
considéré et du nombre de ses agents. Facteurs de succès
Cela plaide pour la décomposition d’une • Connaître intimement son terrain, ce
réforme globale en système de réformes qui exige de s’y rendre et d’en rencont-
sectorielles. Par exemple, la DGA et la rer personnellement les acteurs.
DREE constituent des sous-ensembles de
• Préparer le terrain et accepter de pren-
taille réduite au sein de leur ministère
dre le temps de le faire.
respectif. Lorsqu’un changement est
nécessairement global, cela invite en • Appliquer le principe de subsidiarité
tout cas à instiller une forte dose de sub- et scinder un changement en sous-
sidiarité dans sa mise en œuvre. Dans ensembles adaptés à des organisations
cet esprit, à l’ANPE, si un cadre de réfor- de tailles plus réduites.
me fut défini au niveau national, sa mise
en œuvre a reposé sur la responsabilisa- Ce terrain n’est pas immuable : il chan-
tion personnelle des directeurs régio- ge en fonction des moments. C’est le
naux et sur l’engagement de tous les moment le plus favorable au change-
échelons jusqu’au directeur d’agence. ment qu’il faut savoir saisir – ou susciter.
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Entre 1984 et 1993, douze plans suc- gers concernant la qualité des servi-
cessifs de lutte contre les déficits ces publics remontaient de 38 % à
avaient échoué. Mais, en 1994, la 59 %. Et Franco Bassanini de
crise devint imminente – le FMI pré- conclure : “Plus un État est délabré,
parait une intervention – et les atten- plus il est facile de trouver le consen-
tes du public basculèrent au point sus social nécessaire pour une réfor-
que le gouvernement de Jean me radicale”…
Chrétien put engager une exigeante
“revue des programmes budgétai-
“Quand il est urgent, c’est déjà trop
res”. Encore fallait-il avoir la lucidité
tard,” prévenait Talleyrand. La condui-
de reconnaître la crise et le courage
te du changement semble lui donner
politique d’y répondre. Un plan de
tort : l’urgence est un moteur fonda-
réforme fut animé par le plus haut mental du changement ; mais tort en
fonctionnaire fédéral, Mme Jocelyne partie seulement : le changement
Bourgon. Trois ans plus tard, un pre- conduit sous le seul aiguillon de l’ur-
mier budget équilibré était voté. gence, sans vision ni moyens, ne tien-
Depuis, le Canada n’a connu que dra pas sur le long terme.
des budgets excédentaires et le
débat consiste à savoir à quels pro- Ce dernier type de cas souligne le
grammes consacrer ces surplus. risque qui accompagne la recherche
Et en Italie – Au milieu des années du moment le plus propice : celui de
1990, la situation de l’administration toujours remettre à demain les chan-
italienne était, selon Franco gements qui s’imposent. Mais on ne
Bassanini, ancien ministre de la peut pas toujours se permettre d’at-
Fonction publique et de la réforme tendre une crise ou le délabrement
de l’État (1996-2001) “tout à fait dés- général. Et sans doute ne peut-on plus
astreuse : un État délabré, bureau- se permettre de changer à la faveur de
cratique, interventionniste, centrali- crises, toujours coûteuses. Aussi faut-
sé, et une administration obsolète, il convaincre que le moment est venu.
inefficace et coûteuse” (in Lacasse et
3.2. Susciter le moment favorable
Verrier, 2003). En quatorze ans, la
dette publique était passée de 58 % Cela ne va pas de soi. À cela, une
à 125 % du PIB. Convaincue que explication revient : “Au sein des
l’on avait touché le fond, la coalition structures publiques, la pression en
de l’Olivier (centre gauche) a engagé faveur du changement n’existe pas, ou
en 1996 une réforme globale de l’É- du moins est bien distincte de ce
tat italien, conjuguant modernisa- qu’elle signifie dans le privé : la failli-
tion des structures gouvernementa- te ou la disparition. Dans le public, si
les, décentralisation, réorganisation une structure ne se réforme pas, elle
des services déconcentrés, bascule- fonctionnera un peu moins bien et en
ment de 85 % des fonctionnaires coûtant un peu plus cher, mais conti-
vers le régime normal du droit du nuera de fonctionner”. Pour le dire
travail, simplifications administrati- autrement : “dans le public, on vit
ves massives, certification de la qua- dans l’éternité”.
lité du service rendu, administration
électronique, etc. En moins de dix Sur quels leviers peut-on compter ?
ans, pour ne prendre que deux indi- Les entretiens réalisés mettent l’accent
cateurs, la dette publique a décru de sur trois en particulier : la force d’un
125 % à 106 % du PIB, tandis que diagnostic objectif, l’appel aux usa-
les appréciations positives des usa- gers et l’existence d’une date-butoir.
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était écartée d’office”) et venir de chez moins bien à une notation “scolaire,”
Renault (“il était indispensable que les impliqueraient que l’ENA soit libérée
gens qui venaient chez Nissan de la contrainte du classement. Afin
connaissent bien Renault”). Une fois d’en dédramatiser l’importance, le
la liste arrêtée, l’équipe a suivi un recrutement dans les grands corps
séminaire intensif de 48 heures consa- gagnerait à n’intervenir que dans un
cré à la découverte du Japon et desti- second temps, par exemple au retour
né à souder ses membres. Une fois sur de la mobilité, et sous la forme d’un
place, l’adaptation de chacun n’a pas concours interne.
été facile, d’autant moins qu’il fallait
La constitution de l’équipe soulève
éviter de créer un “clan de Français,”
aussi la question de son lien avec l’or-
distinct des autres salariés. Carlos
ganigramme habituel de l’organisa-
Ghosn réunissait son équipe deux fois
tion à transformer. Il n’y a pas de règle
par an dans un endroit discret pour
absolue, mais le fonctionnement “en
“soutenir le moral des troupes”.
mode projet,” pour gagner en rapidité
d’exécution, semble privilégié.
La constitution de l’équipe pose la
question de la formation intellectuelle
Des structures ad hoc pour conduire
de ses membres. En dépit de lieux d’ex-
le changement – En 1995, la SEITA a
cellence, la conduite du changement
mis en place des “task forces” pour
dans le secteur public ne bénéficie pas
préparer la privatisation dans trois
en France d’un réseau suffisamment
domaines précis : la communication,
étoffé où échangeraient chercheurs et
les ressources humaines et les ques-
praticiens. Un modèle abouti est celui
tions financières. Les trois cellules se
de la Kennedy School of Governement
réunissaient pour traiter des sujets
de l’université de Harvard, aux États- transversaux. Il s’agissait de petites
Unis. Cette institution remplit simulta- équipes (pour éviter “la tour de
nément les fonctions d’institut de Babel”), composées de membres de la
recherches – avec des publications –, direction et de leurs proches collabo-
de centre de formation initiale et sur- rateurs. Ces personnes ont été choisies
tout permanente, enfin de fondation pour leur expérience dans l’entreprise
disposant de moyens financier permet- (carrière longue à différents postes, y
tant d’encourager directement des compris dans les usines). Elles s’étaient
innovations sur le terrain. imprégnées des réactions et des atten-
tes des personnels sur le terrain. Ces
La réforme de l’ENA est à cet égard
groupes avaient toute liberté pour faire
prometteuse. Sous la houlette de son
appel à des consultants extérieurs ou
directeur, Antoine Durlemann, le nou-
interroger le personnel de l’entreprise.
veau cursus, inauguré par la promo-
tion 2006-2008, établit un lien plus Pour préparer les Douanes à l’ouvertu-
fort entre pratiques administratives et re des frontières en 1993, une équipe
enseignements, au sein desquels l’ap- interne ad hoc fut montée à la
proche théorique et magistrale clas- DGDDI, composée de personnes
sique recule au profit des mises en dédiées à la réforme, avec un mandat
situation et des études de cas. Sans clair fixé par le directeur général. Cette
doute faut-il aller plus loin pour déve- équipe “projet” ne dépendait pas d’un
lopper la part, dans le cursus, des service, mais était rattachée auprès de
outils de management public et des la direction.
techniques de GRH, de négociation,
de communication, de gestion de pro- La continuité de ces équipes s’avère
jet ; mais ces enseignements, se prêtant essentielle à la constance de l’action,
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évoquée supra. C’est là un des princi- “Donner envie” de changer : cela peut
paux facteurs de réussite du change- renvoyer aux opposants à la réforme,
ment. Or, remaniements ministériels qui sont en fait moins nombreux
et alternances politiques se traduisent qu’on ne le pense. Ils sont d’ailleurs
souvent par des changements de divisés en groupes aux motivations
direction, rompant la continuité des distinctes : (a) ceux qui estiment que
équipes et des réformes en cours. Il est le changement n’est pas nécessaire,
légitime qu’un nouveau pouvoir sou- (b) ceux qui se sentent menacés par le
haite imprimer sa marque et choisir sa changement prévu et (c) ceux qui crai-
direction. Mais trop de changements gnent de ne pas être capables de met-
engagés et bénéficiant d’un soutien tre en œuvre ce que leur confie le pro-
non partisan souffrent de ces ruptures. gramme de changement. Il faut surtout
C’est vrai en particulier en France, donner envie de changer aux scep-
estiment les experts étrangers interro- tiques, finalement les plus nombreux :
gés, en raison d’une part de la faible agents de la fonction publique et
longévité des gouvernements depuis citoyens devant lesquels on brandit de
1981 (hormis la période 1997-2002) façon récurrente le talisman de la
et, d’autre part, du rôle que les cabi- réforme de l’État, mais qui tardent à
nets ministériels occupent au détri- voir celle-ci se traduire dans les faits.
ment des directions permanentes des Le scepticisme est proportionnel à la
ministères. quantité de discours rabâchés sur “la
(15) Ce travers n’est d'ailleurs pas réforme de l’État” 15.
nouveau : André Tardieu, auteur 5.3. Motiver tous les agents
en 1934 d’un ouvrage remarqué
appelés à mettre en œuvre En amont, comment motiver, et ce
sur la réforme des institutions de la
Troisième République, L’heure de la la réforme dans les deux sens du terme ? Motiver
décision, le reconnaissait lui-même : la réforme : en faire partager les motifs,
quand un ministre veut être applaudi “Il faut donner aux gens envie de chan- mais aussi motiver concrètement ceux
à bon compte, il lui suffit d’annoncer ger, et maintenir cette envie” : tel est un qui devront la traduire en actes. Il a
“la réforme administrative”. des leitmotiv des entretiens. La ques- déjà été souligné combien il est impor-
tion centrale est celle de la motivation. tant de partager la vision qui justifie le
Sans motivation à tous les niveaux de la changement à venir. Cela se fait, rap-
structure, le changement sera très diffi- pelle un ancien ministre, “en mouillant
cile. Le problème est plus compliqué sa chemise : il faut parler aux direc-
encore : le changement prend du teurs, parler aussi aux troupes, et mon-
temps, mais il est difficile de maintenir trer l’exemple, car vous nettoyez un
un niveau élevé de motivation sur le escalier en commençant par la marche
long terme. C’est pourtant ce qu’il faut du haut”. De ce point de vue, il “faut
réussir, en amont, pendant puis en aval faire prendre conscience aux gens que
du changement. le changement ne signifie pas qu’avant,
‘ce n’était pas bien’”. Le changement
doit regarder de l’avant, non attribuer
La motivation et ses conditions –
des responsabilités sur ce qui ne fonc-
“Partout, si le cap, la destination, est
tionne pas bien.
simple, si les objectifs sont précis et
quantifiés, si la reconnaissance des
résultats obtenus est réelle, les gens “Donner constamment du positif et
vous croiront, et vous donneront un des perspectives aux agents” : le cas
de vos meilleurs atouts : leur motiva- des Douanes – En 1985, le Livre
tion” ; Carlos Ghosn, conférence à Blanc de la Commission européenne
l’IFRI, 5 mars 2004. sur l’achèvement du marché intérieur
s’opposait sans nuance à la présence
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durée (plus de dix ans) a permis d’évi- instauré une fongibilité des crédits et
ter le recours à des lois de dégage- de mettre en regard objectifs et
ment des cadres. Au total, la réforme a moyens, ce qui était en quelque sorte
été coûteuse car longue, mais le fait une préfiguration de la LOLF.
de la conduire dans la durée a permis
de la rendre moins brutale qu’ailleurs. Les contrats de progrès passés entre
D’où un dilemme dont il faut peser l’État et l’ANPE – Ils ont servi d’outil
chaque branche avec soin, précisé- de négociation avec le ministère des
ment dans la phase de préparation. Finances et contribué à garantir la
continuité des réformes. En contre-
Au moins faut-il que cette longue partie des engagements pris par
durée ne se mue pas en horizon incer- l’Agence pour se réformer et prendre
tain : elle doit être balisée, rythmée, en charge de nouvelles prestations,
d’échéances intermédiaires. Certains l’État assurait son soutien financier,
cabinets de conseil, sollicités par des au-delà du principe de l’annualité
administrations en réforme, ont mis au budgétaire, pour des périodes de
point des systèmes de planification de quatre ans. Les contrats ont été “sour-
la conduite du changement, étape par ces de stabilité” (S. Clément) en assu-
étape (“time boxing”). rant un cadre fixe au changement. Ils
n’ont pas seulement bénéficié à
6.2. Un cadre budgétaire l’ANPE, mais ont représenté un inté-
offrant une visibilité suffisante rêt pour toutes les parties prenantes
de la réforme : Bercy a pu suivre l’u-
Pour gérer cette durée, il faut disposer sage qui était fait des augmentations
d’une visibilité suffisante, souvent de crédits et, en tenant la DGEFP
supérieure à une année. C’est ce que informée des évolutions de l’Agence,
doit offrir le cadre budgétaire, notam- ils lui ont permis de jouer réellement
ment à travers les contrats de perfor- son rôle de tutelle. Par ailleurs, les
mance ou de progrès. Ceux-ci per- engagements pris de part et d’autre
mettent d’organiser une visibilité sur ont été soumis à des comités d’éva-
les moyens à venir pour la structure en luation, dont la composition garantit
phase de changement et d’assurer l’objectivité.
celle-ci de bénéficier d’une partie des
gains de productivité obtenus. Tout
effort de réforme est profondément La même visibilité doit être accordée
dissuadé si ses résultats sont accaparés aux acteurs clefs de la réforme, mieux
par le Budget ; il est indispensable assurés de la durée de leur mandat.
qu’un contrat négocié en amont fixe le On pourrait imaginer, comme en
partage des gains de productivité entre Suède, que les directeurs d’adminis-
la structure qui les réalise et le Budget tration centrale ou les préfets soient
qui les reversera au “pot commun”. nommés pour une durée déterminée,
correspondant à un contrat fixant leurs
La pluriannualité budgétaire est souli- objectifs et leurs moyens.
gnée par tous les acteurs comme
indispensable. La DREE a négocié une Le pilotage des réformes en Suède :
contractualisation budgétaire sur trois priorité au temps long – Les direc-
ans qui lui permettait de conserver les teurs généraux d’administrations cen-
mêmes moyens sous réserve d’une trales, d’ailleurs choisis selon une
réduction d’effectifs, et de bénéficier procédure assurant une grande sélec-
des gains de productivité obtenus. Ces tivité, disposent en général d’un
contrats triennaux de performance ont contrat d’emploi de six ans renouve-
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CONCLUSION “Il n’est pas vrai que les Français soient plus difficiles à gouverner que d’autres
– à condition qu’ils soient loyalement informés, qu’on les associe à l’action et que leur
volonté ne soit pas continuellement ignorée ou bafouée par ceux qui les gouvernent”.
Pierre Mendès France
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Conclusion
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Conclusion
En dernier lieu, il arrive qu’une admi- guant nettement les étapes et en amé-
nistration se soit tellement bien réfor- nageant des temps de pause ou de “di-
mée… qu’elle disparaisse, happée ou gestion” entre les réformes successives.
récupérée par d’autres : ce fut le cas de
la DREE, désormais fondue dans la Pour y parvenir, il faut que chaque
nouvelle direction générale du Trésor changement réussi rende le change-
et de la politique économique. Une ment suivant moins difficile à condui-
manifestation plus extrême de ce para- re. Encore faut-il dépasser une appro-
doxe serait que les services de l’État che formaliste et évoluer vers une
qui se réforment le mieux soient voués conception élargie de ce que signifie
à quitter le périmètre public. un changement réussi. Dans cette
optique, le changement n’est pas réus-
Il y a là un obstacle diffus mais poten- si s’il se contente d’atteindre les objec-
tiellement puissant face à la dyna- tifs qui, sur le fond, étaient fixés (par
mique de changement, qu’il convient exemple améliorer la qualité du servi-
au contraire de rendre perpétuelle. ce rendu d’un facteur X, ou réduire les
coûts d’un facteur Y). Car cet objectif
2. Du changement ponctuel est peut-être atteint au détriment d’un
au mouvement continu autre aspect, ou au prix de la margina-
lisation d’un acteur.
(17) Ces dix points sont inspirés Annoncer sans fin “la réforme de
d’une typologie devenue classique l’État,” l’ériger en moment drama- Selon cette conception élargie, un
dans les théories de la négociation ; tique, en proclamer “l’an I” tous les changement est réussi lorsqu’il vérifie
cf. PEKAR LEMPEREUR (A.) dix-huit mois, ce n’est pas la servir. les dix critères suivants 17 :
et COLSON (A.), Méthode de négo- Ce qu’il faut, au contraire, c’est
ciation, Paris, Dunod, 2004. dédramatiser et “routiniser” le chan- 1. sur le fond, naturellement, il satisfait
gement, l’installer en quelque sorte les motivations profondes de la réfor-
dans le logiciel permanent de l’État. me (contra : le nouveau dispositif, bien
Les seuls modèles d’organisations que formellement mis en place, n’est
pérennes sont ceux capables de remi- pas plus efficace que le précédent) ;
ses en cause permanentes, spontané-
ment ouverts à de nouvelles formes 2. il aboutit à une situation d’ensemble
d’action et d’administration, capables plus satisfaisante que le statu quo ex-
de détecter les meilleures pratiques et ante si le changement n’avait pas été
de les diffuser largement. opéré (contra : l’amélioration constatée
sur les objectifs fixés se fait au détri-
Tous les acteurs rencontrés évoquent ment d’autres objectifs que ne concer-
ainsi “un cercle vertueux du change- nait pas la réforme, selon le principe
ment” dans lequel les réformes réus- des vases communicants) ;
sies aident à conduire les suivantes. Le
changement ne s’apparente donc pas à 3. il ne s’en tient pas à une approche a
un moment, borné dans le temps par minima mais a su intégrer le maximum
un début et une fin. Il a vocation à d’idées innovantes (contra : le change-
devenir un processus permanent. ment, défini par en haut, n’a intégré
Plutôt qu’une fin, c’est un point d’irré- aucune des idées émergeant en cours
versibilité qu’il faudrait atteindre afin de processus, en provenance de tous
d’enclencher une dynamique d’amé- les niveaux de la hiérarchie) ;
lioration continue, à la condition de
veiller à la cohérence d’ensemble du 4. il est ancré dans des critères de légi-
processus de changement, en distin- timité et de justification (contra : le
63
Conclusion
changement a été mis en œuvre par la 8. il est fondé sur une communication
seule contrainte, ou en invoquant uni- claire, exempte de malentendus
quement des pressions extérieures : (contra : le changement a été réalisé à
“Bruxelles,” “les déficits,” etc.) ; la faveur d’ambiguïtés et de malenten-
dus qui, lorsqu’ils se révéleront, nour-
5. il maintient, et si possible améliore, riront blocages et conflits) ;
les relations entre les acteurs de l’orga-
9. il a suivi un processus ayant permis
nisation (contra : traumatisée par le
tout ce qui précède et qui, désormais
déroulement brutal de la réforme, l’or-
validé par les parties prenantes, pour-
ganisation est désormais plombée par
ra être reproduit ultérieurement
des relations exécrables entre les
(contra : le processus suivi n’a pas
acteurs qui la composent : par exemple
donné satisfaction et ne peut servir de
entre dirigeants / dirigés, centre / servi-
feuille de route pour un prochain
ces déconcentrés, directions opé-
changement) ;
rationnelles / services communs, etc.) ;
10. il diffuse ailleurs dans l’administra-
6. il respecte le mandat fixé par l’auto- tion des leçons et des bonnes pratiques
rité de tutelle (contra : à la faveur du (contra : il reste confiné dans un espa-
jeu d’acteurs internes, le changement a ce segmenté de l’administration).
été détourné des intentions initiales) ;
C’est en tâchant de respecter ces dix
7. il tient compte des intérêts des par- critères qu’une conduite raisonnée
ties prenantes qui, bien qu’absentes du du changement permettra de faire
champ immédiat, sont intéressées à la vivre, en lui rendant sa modernité, le
réforme : typiquement, les usagers, les principe d’adaptabilité qui est au fon-
organismes partenaires, etc. (contra : le dement du service public. Avec l’éga-
changement s’est accompli sur le dos lité et la continuité, l’adaptabilité – ou
de partenaires extérieurs qui, lorsqu’ils mutabilité – restent plus que jamais
s’en rendront compte, auront les trois principes essentiels à conforter
moyens de se faire entendre) ; dans les faits.
64
ANNEXE 1 Direction générale des douanes et des Jean-François Stoll, trésorier-payeur
droits indirects (DGDDI) général, ancien directeur de la DREE
Liste des personnalités Francis Bonnet, sous-directeur des François Villeroy de Galhau, ancien
rencontrées Ressources humaines, des Relations directeur général des Impôts, prési-
sociales et de l’Organisation, DGDDI dent-directeur général de CETELEM
Le titre indiqué est celui en vigueur
Michel Boudet, chef du bureau Orga-
lors de l’entretien ou de l’audition ; Défense nationale, Direction des
nisation, DGDDI
est ajoutée, le cas échéant, une constructions navales (DCN) et Délé-
responsabilité passée au titre de Michel Charasse, ancien ministre du gation générale pour l’Armement
laquelle la personnalité était sollici- Budget, sénateur du Puy-de-Dôme (DGA)
tée. Le contenu de ce Cahier du
Plan n’engage aucunement la Jean-Dominique Comolli, ancien Louis Gautier, conseiller-maître à la
responsabilité des personnes inter- directeur général des Douanes et des Cour des comptes, ancien conseiller
rogées. Droits indirects du Premier ministre pour la Défense
Anne Kletzen, chercheuse, Centre de Philippe Magnien, secrétaire général,
recherches sociologiques sur le droit DCN
et les institutions pénales (CESDIP,
Vice-amiral d’escadre Alain Oudot de
CNRS)
Dainville, major général de la Marine
François Mongin, directeur général
Yves Reymondet, commissaire-colonel
des Douanes et des Droits indirects
de l’armée de l’Air, conseiller au
Jean-Claude Saffache, ancien chef de Cabinet militaire du Premier ministre,
service à la DGDDI, trésorier-payeur puis à l’état-major de l’armée de l’Air
général de la région Nord–Pas-de-
Alain Richard, ancien ministre de la
Calais
Défense
Direction des relations économiques Capitaine de vaisseau Anne-François
extérieures (DREE) de Saint-Salvy, adjoint au sous-chef
d’état-major Programmes de la Marine
François Benaroya, conseiller tech-
nique au Cabinet du ministre des Michel Scialom, conseiller pour les
Affaires européennes, ancien conseiller Affaires industrielles auprès du chef
économique à la Direction, DREE d’état-major de la Marine
Philippe Delleur, chef de service, DREE Jacques Tournier, délégué général
adjoint pour l’Armement
Jean-Marie Demange, sous-directeur
Analyse financière et Information, Hughes Verdier, directeur exécutif,
DREE responsable du Secteur public, Bearing
Point
Jean-Daniel Gardère, ancien directeur
général du CFCE, conseiller écono-
Agence nationale pour l’emploi (ANPE)
mique à Bruxelles
Evelyne Antonio, ancienne directrice
Clara Gaymard, présidente de l’Agen-
d’agence, à la Direction de l’audit,
ce française pour les investissements
Direction nationale de l’ANPE
internationaux
Michel Bernard, directeur général de
Christophe Lecourtier, directeur de
l’ANPE
cabinet adjoint du ministre délégué au
Commerce extérieur Michel Bon, ancien directeur général
de l’ANPE
Philippe Moraillon, directeur de la
DREE Françoise Bouygard, chef de service à
65
Annexe 1
66
Liste des personnalités rencontrées
67
68
ANNEXE 2 Sur la conduite du changement et la HUREAUX (R.), “Le bêtisier de la réfor-
réforme de l’État en général me de l’État,” Commentaire, n° 107,
Bibliographie ADAM (G.), REYNAUD (J.-D.), Conflits du
automne 2004, p. 757-764
travail et changement social, PUF, LACASSE (FR.), VERRIER (P.-E), 30 ans de
1978 réforme de l’État. Expériences françai-
ses et étrangères : stratégies et bilans,
ALBERTINI (J.-B.), Réforme administrati-
Dunod, 2005, notamment la contribu-
ve et réforme de l’État en France : thè-
tion de F. BASSANINI sur les leçons de
mes et variations de l’esprit de réforme
l’expérience italienne, p. 57-82
de 1815 à nos jours, Economica, 2000
MARINI (Ph.), dir., Services publics :
BLANC (C.), L’État stratège, garant de
réussir le changement, Prélude et
l’intérêt général, rapport du groupe de
Fugue, 2004
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Plan, 1993 MONTBRIAL (T. DE), dir., Réformes-révo-
BRUNHES (B.), “Moderniser l’État, lutions – Le cas de la France, actes du
moderniser le service public”, colloque de l’Académie des sciences
Futuribles, n° 287, juin 2003, p. 29-39 morales et politiques, PUF, 2003
FRANÇOIS (J.-J.), Des services publics ROUBAN (L.), “Quelle réforme pour
performants, c’est possible !, First, l’État en France ?”, Futuribles, n° 263,
2004 avril 2001, p. 5-22
GUILLAUME (H.), DUREAU (G.) et SILVENT SCHMID (L.), “Crise et réforme de la
(F.), Gestion publique : l’État et la per- haute fonction publique”, Notes de la
formance, Dalloz, 2002 Fondation Saint-Simon, 1997
GUYON (C.) et ALII, Moderniser les ser- THOENIG (J.-Cl.), “La réforme de l’État,
vices publics : mission possible, Les ou comment s’en débarrasser ?”,
Éditions d’organisation, 1998 Pouvoirs locaux, n° 55, décembre 2002
69
Annexe 2
TROSA (S.), Moderniser l’administration KETTL (D. F.), The Global Public Mana-
– Comment font les autres ?, Les Édi- gement Revolution – A report on the
tions d’Organisation, 1995 Transformation of Governance,
Washington, DC, Brookings Institution,
TRUCHET (D.), “Unité et diversité des
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grands principes du service public”,
AJDA, numéro spécial, juin 1997 MEININGER (M.-C.), dir., et PAUZIES (J.-
VALLEMONT (S.), Gestion dynamique de C.), collab., La modernisation des ser-
vices publics dans cinq pays d’Euro-
la fonction publique : une méthode,
pe : étude comparative. Introduction
rapport du Commissariat général du
générale, Institut international d’admi-
Plan, 2000
nistration publique, mai 1999
TENZER (N.), France : la réforme impos-
sible ?, Flammarion, 2004 OCDE, “Construire aujourd’hui l’ad-
ministration de demain. La réforme de
“Moderniser les administrations publi- la gestion publique : un objectif com-
ques”, Cadres CFDT, n° 399, mai mun”, PUMA, note de synthèse, n° 9,
2002, p. 3-62 juin 2001
70
Bibliographie
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Annexe 2
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