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Reconnaître et prendre en charge


une coxarthrose
T. Conrozier

La coxarthrose est une affection fréquente touchant de 2 % à 4 % de la population au-delà de 40 ans sans
prédominance de sexe et responsable de douleurs et de handicap à la marche. Elle est à l’origine de la
mise en place de 25 000 prothèses totales de hanche par an. La découverte de la maladie est
habituellement liée à l’apparition progressive de douleurs mécaniques du pli de l’aine, de la face
antérieure de la cuisse ou de la fesse. Le diagnostic est essentiellement clinique (limitation douloureuse des
amplitudes de la hanche) et radiologique (pincement de l’interligne coxofémoral et ostéophytose capitale
et/ou acétabulaire). Une malformation architecturale (dysplasie, protrusion acétabulaire, conflit
antérieur) doit être systématiquement recherchée. Les examens complémentaires (essentiellement
arthroscanner et imagerie par résonance magnétique) ne sont nécessaires que dans les cas douteux pour
éliminer un autre diagnostic. Il ne sont jamais indiqués pour poser l’indication chirurgicale. Le traitement
médical repose sur l’association de moyens orthopédiques (kinésithérapie, perte pondérale, matériel
d’aide à la marche) et médicamenteux. Ces derniers (antalgiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens,
infiltrations intra-articulaires, traitements antiarthrosiques d’action lente) ont pour but de soulager la
douleur. L’échec du traitement médical bien conduit aboutit, sauf contre-indication, à l’implantation
d’une prothèse. Le délai entre l’apparition des symptômes et l’arthroplastie est extrêmement variable (de
quelques mois à plus de 20 ans) et dépend essentiellement de la vitesse de progression du pincement
articulaire.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hanche ; Coxarthrose ; Coxométrie ; Traitement ; Arthroplastie ; Recommandations de l’EULAR

Plan

¶ Introduction 1
“ Points importants
¶ Reconnaître une coxarthrose 1
Critères de diagnostic de la coxarthrose selon
Diagnostic positif 1
Diagnostic étiologique 3 l’American College of Rheumatology.
Diagnostic différentiel 3 Douleur de la hanche et au moins deux des trois critères
suivants (sensibilité 89 %, spécificité 91 %) :
¶ Prise en charge 4
Prévoir l’évolution 4 • vitesse de sédimentation < 20 min ;
Traitement 4 • ostéophytose fémorale ou acétabulaire radiologique ;
• pincement radiologique de l’interligne.

■ Introduction
Symptômes
La coxarthrose est une affection fréquente atteignant, en
France, entre 2 % et 4 % de la population de 40 à 70 ans, sans Le patient consulte habituellement pour une douleur de pli
prédominance de sexe. Son coût économique est élevé, de l’aine irradiant souvent à la face antérieure de la cuisse et au
puisqu’elle est à l’origine de la mise en place d’environ genou, donnant parfois au malade l’impression d’une douleur
25 000 prothèses totales de hanche par an en France, de musculaire. Elle peut être localisée à la face externe ou à la face
130 000 aux États-Unis. interne de la cuisse, à la fesse ou encore se traduire par une
douleur isolée du genou. Sa topographie fait souvent évoquer
■ Reconnaître une coxarthrose une névralgie crurale. C’est une douleur de type mécanique,
aggravée par l’appui prolongé, le port de charges, et calmée par
le décubitus. L’existence de douleurs nocturnes ou de décubitus
Diagnostic positif témoigne d’une poussée congestive ou d’un stade très avancé.
Comme en attestent les critères de diagnostic retenus par Le dérouillage matinal est habituellement bref, inférieur à un
l’American College of Rheumatology [1] , le diagnostic de quart d’heure. L’intensité de la douleur n’est pas proportion-
coxarthrose est strictement radioclinique. nelle à la gravité des lésions radiologiques. En effet, si les

Traité de Médecine Akos 1


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Tableau 1.
Indice algofonctionnel des coxopathies de Lequesne.
Douleur ou gêne
La nuit ?
Non 0
Seulement en remuant ou selon la posture 1
Même immobile 2
Lors du dérouillage matinal ?
Moins de 1 minute 0
De 1 à 15 minutes 1
Plus de 15 minutes 2
Lors de la station debout ou s’il faut piétiner une demi-heure ?
Non 0
Oui 1
Lorsque vous marchez ?
Non 0
Seulement après une certaine distance 1
Très rapidement 2
Lorsque vous restez assis longtemps (2 heures) et avant de vous relever ?
Non 0
Oui 1
Périmètre de marche maximal en acceptant d’avoir mal
Aucune limitation 0 Figure 1. Coxarthrose supéroexterne.
Limité mais supérieure à 1 km 1
Environ 1 km (15 minutes) 2
500 à 900 m (8 à 15 minutes) 3 supéroexternes peuvent rester peu enraidissantes, même à un
300 à 500 m 4 stade très avancé. La limitation des amplitudes peut être
100 à 300 m 5 appréciée en degré, ce qui est souvent difficile et approximatif,
Moins de 100 m 6 ou plus simplement en mesurant avec un mètre-ruban les
Une canne ou une béquille nécessaire +1 distances intermalléolaire et intercondylienne. Une amyotrophie
Deux cannes ou deux béquilles nécessaires +2 quadricipitale doit être recherchée systématiquement, car elle
apparaît précocement et témoigne de façon objective de la
Difficultés dans la vie quotidienne ? souffrance de l’articulation. Le réflexe rotulien est toujours
Avez-vous des difficultés pour : conservé, ce qui la distingue de l’amyotrophie survenant au
Mettre des chaussures par devant ? 0à2 cours de la cruralgie.
Ramasser un objet à terre ? Comme dans toute arthrose, il n’y a bien sûr jamais d’altéra-
Monter ou descendre un étage ? tion de l’état général, ni de syndrome inflammatoire biologique.
Sortir d’une voiture ou d’un fauteuil profond ? Néanmoins, au cours de certaines coxarthroses destructrices
rapides (CDR), la protéine C réactive peut être modérément
augmentée (toujours inférieure à 15 mg/l).

symptômes surviennent le plus souvent plusieurs années après Examens complémentaires


l’apparition des lésions radiologiques, parfois seulement à un
stade radiologique très avancé, il est des cas où la douleur se La radiographie conventionnelle est l’examen de référence.
Elle est indispensable et suffisante dans la grande majorité des
manifeste avant même l’apparition d’un pincement d’interligne.
cas, et aucun autre examen n’est alors nécessaire. La radiogra-
Ceci est particulièrement fréquent au cours des dysplasies
phie du bassin de face est réalisée en position debout ou
subluxantes ou des formes destructrices rapides.
couché, les membres inférieurs en rotation interne de 20°. Un
La gêne fonctionnelle est variable, liée à l’enraidissement de cliché en faux profil de Lequesne [3] doit systématiquement lui
la hanche ou secondaire à la douleur. Elle se traduit par une être associé. Il permet de visualiser les pincements antérieurs ou
limitation plus ou moins douloureuse des gestes de la vie postéro-inférieurs mal perçus sur les clichés de face, ainsi que les
courante, appréciée de façon chiffrée par l’indice algofonction- insuffisances de couverture antérieure de la tête fémorale. Le
nel de Lequesne [2] (Tableau 1). Ce dernier permet de coter de profil chirurgical est intéressant en cas de conflit antérieur
façon reproductible la douleur et la gêne fonctionnelle au cours (cf. infra). Il met en évidence l’absence de sillon à la face
de diverses activités de la vie quotidienne. Cet indice est de antérieure du col et/ou montre la tuméfaction ou l’augmenta-
réalisation facile en consultation (2 à 3 minutes) et très adapté tion du rayon de courbure de la tête du fémur à la jonction
à la pratique pour évaluer l’aggravation d’une coxarthrose et tête/col ainsi que la rétroversion du fémur qui est un facteur de
pour déterminer le choix de la thérapeutique. conflit.
Les ostéophytes et le pincement de l’interligne sont habituel-
Examen clinique lement les premiers signes à apparaître. Leur survenue, tout
comme leur progression, se fait de manière indépendante et très
L’examen clinique doit être pratiqué en décubitus dorsal puis variable selon les sujets. Le pincement de l’interligne, témoin de
ventral, en appréciant la mobilité articulaire des deux hanches la destruction du cartilage, est le plus souvent localisé à sa partie
de manière comparative. Un flexum doit être recherché de supéroexterne (Fig. 1), mais peut tout aussi bien être supéro-
façon systématique. Le premier signe d’examen est souvent une interne, axial, inférieur ou global. C’est le critère le plus fiable
limitation et/ou une douleur au cours de la « flexion croisée », pour le suivi de l’arthrose. Certaines coxarthroses se limitent
combinant flexion et adduction. L’abduction et les rotations longtemps radiologiquement à un ostéophyte sans pincement
sont les amplitudes les plus rapidement limitées. Les coxarthro- de l’interligne. D’autres formes dites « atrophiques » sont
ses internes protrusives sont souvent responsables d’une caractérisées par l’absence d’ostéophyte, ce qui pose un pro-
limitation importante des rotations, alors que les arthroses blème de diagnostic différentiel avec une coxite. Les ostéophytes

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siègent sur la tête fémorale, formant une collerette à la frontière fémorale et la paroi antérieure du cotyle lors de la flexion de
cervicocéphalique, au niveau de la fovea ainsi que sur le cotyle hanche. Cela va entraîner des lésions cartilagineuses sur la
prolongeant le toit et le seuil. La condensation osseuse et les partie antérieure du cotyle. L’évolution naturelle se fait vers la
géodes, généralement d’apparition plus tardive apparaissent coxarthrose précoce à moyen ou long terme. Le conflit peut être
dans les zones d’hyperpression. Lorsqu’elles sont très volumi- de deux types : conflit par « effet came » (dont l’évolution finale
neuses, les géodes peuvent faire évoquer une tumeur osseuse ou est une coxarthrose avec pincement polaire supérieur et une
synoviale, mais elles s’en distinguent par le fait qu’elles sont subluxation antérieure) et conflit par « effet pince » à l’origine
toujours localisées en regard des zones de pression. de lésions précoces du labrum. Dans les deux cas le conflit est
La radiographie permet par ailleurs de diagnostiquer les de type dynamique, ne survenant qu’aux mouvements et se
dysplasies, les luxations et autres anomalies architecturales manifeste le plus souvent chez des patients jeunes qui prati-
pouvant être à l’origine de coxarthrose. quent des sports où l’articulation est soumise à de grandes
Les autres techniques d’imagerie (tomodensitométrie couplée amplitudes en flexion (arts martiaux, danse, football, etc.).
ou non à une arthrographie imagerie par résonance magnétique
[IRM], et scintigraphie) ne sont d’aucune utilité, que ce soit Autres anomalies acquises
pour le diagnostic ou pour un suivi d’une coxarthrose. Elles Elles sont liées à des séquelles d’ostéochondrite juvénile,
n’ont d’intérêt que dans les cas difficiles, en particulier dans les d’épiphysiolyse, de luxation ou de subluxation congénitale, de
formes précoces (arthroscanner), les conflits antérieurs (arthro- fracture de l’extrémité supérieure du fémur ou du cotyle.
IRM) et pour éliminer un autre diagnostic (cf. infra). Une L’ostéonécrose aseptique de hanche, les coxites septiques ou
échographie, examen peu coûteux et non traumatisant, peut inflammatoires, de même que certaines grandes inégalités de
être proposée si l’on soupçonne un épanchement qui justifierait longueur des membres inférieurs peuvent aussi se compliquer
alors une ponction à visée diagnostique ou thérapeutique. secondairement d’une coxarthrose.
La chondrocalcinose articulaire est fréquemment associée à
une polyarthrose. Les coxarthroses présentées sont alors plus
Diagnostic étiologique
volontiers de forme atrophique et d’évolution rapide, alors
On a l’habitude de distinguer schématiquement les coxarth- qu’au cours de l’hyperostose ankylosante vertébrale, elles sont
roses primitives, pour lesquelles aucun facteur de risque souvent protrusives, de forme hypertrophique et de progression
particulier ne peut être mis en évidence, des coxarthroses habituellement lente. Une chondromatose synoviale doit être
secondaires à des anomalies structurales congénitales ou évoquée devant une coxarthrose unilatérale débutant chez un
acquises ou à des contraintes mécaniques exogènes. sujet jeune sans facteur prédisposant particulier.
Un traumatisme violent peut parfois être incriminé (coxarth-
Coxarthroses primitives rose post-traumatique). On retrouve très fréquemment la notion
d’un traumatisme modéré, souvent passé inaperçu, quelques
Elles surviennent habituellement au-delà de 50 ans et sont semaines avant le développement d’une CDR. Le rôle des
caractérisées par l’absence d’étiologie décelable et une habituelle microtraumatismes répétés et du surmenage articulaire, en
bilatéralité. Si l’âge est un facteur prédisposant certain, le terrain particulier sportif, est plus discutable car volontiers associé à
familial arthrosique semble lui aussi prédominant. En effet, les d’autres facteurs de risque. Pratiqué avec modération, le sport
arguments se multiplient en faveur d’une origine génétique ne semble pas accroître le risque de développer une coxarthrose.
dans diverses formes d’arthrose. L’existence de l’altération d’un Plusieurs études ont, en revanche, suggéré que le port répété de
gène du collagène de type II est bien démontrée dans certaines charges lourdes ainsi que certaines professions (agriculteur en
arthroses familiales généralisées, et le caractère héréditaire de la particulier) étaient des facteurs de risque d’arthrose de la
digitarthrose et de la gonarthrose vient d’être prouvé grâce à hanche, alors que l’obésité, dont le rôle est déterminant dans le
une étude réalisée chez des sœurs jumelles.
développement de la gonarthrose, ne paraît pas être un facteur
de risque important d’arthrose de la hanche.
Coxarthroses secondaires
Elles représentent plus de la moitié des coxarthroses. Diagnostic différentiel
Les malformations architecturales constitutionnelles sont les
causes les plus fréquentes. Elles doivent être recherchées sur les Devant une douleur de la région inguinale et de la fesse, il
radiographies standards du bassin de face et sur un cliché de faut penser à une pathologie radiculaire (cruralgie ou sciatique),
hanche en faux profil par la mesure des angles de coxométrie. une tendinite des pelvitrochantériens, une sacro-iliite ou une
pathologie du petit bassin.
Dysplasies de hanches
Devant un pincement isolé de l’interligne coxofémoral, il faut
Elles sont liées à un défaut de couverture de la tête fémorale éliminer une coxite infectieuse (pyogènes, brucellose, tubercu-
(ouverture excessive de l’angle cervicodiaphysaire [CCD] au-delà lose) ou inflammatoire (polyarthrite rhumatoïde, spondylarth-
de 135°, obliquité exagérée du cotyle HTE au-dessus de rite ankylosante). Le pincement de l’interligne est alors global,
10° [angle d’obliquité du toit du cotyle], hypoplasie externe ou sans ostéophyte ni condensation osseuse sous-chondrale. Le
antérieure du toit du cotyle angle de couverture de la tête contexte clinique et le syndrome inflammatoire biologique et la
fémorale ou angle de VIBERG [VCE] ou angle de couverture formule du liquide prélevé par arthrocentèse orientent le
antérieure de la tête fémorale [VCA] inférieur à 25°), sont à diagnostic.
l’origine de coxarthroses précoces débutant souvent entre 40 et L’ostéonécrose aseptique de hanche, dont la symptomatologie
50 ans, parfois avant. est identique à celle de la coxarthrose, est de diagnostic facile
.

lorsqu’elle est évoluée ou quand elle se traduit radiologique-


Protrusions acétabulaires
ment par la classique image en « coquille d’œuf » du pôle
Elles s’observent habituellement chez les femmes, le plus supérieur de la tête fémorale, sans pincement de l’interligne au
souvent de manière bilatérale, et sont au contraire longtemps début de l’évolution. À un stade très précoce, le diagnostic est
bien tolérées. Elles se caractérisent par un cotyle de profondeur parfois impossible sans le recours à des examens complémentai-
excessive et par une coxa vara. Le diagnostic se fait sur la radio res (IRM, scintigraphie, scanner). L’algodystrophie de hanche est
de face, où l’arrière-fond cotyloïdien déborde la ligne elle aussi de diagnostic facile lorsqu’elle est évoluée et qu’elle se
ilio-ischiatique. manifeste par une déminéralisation diffuse touchant les deux
berges de l’articulation. Elle ne s’accompagne jamais de pince-
Conflit antérieur de hanche [4]
ment de l’interligne. Le diagnostic est plus difficile à un stade
Le conflit antérieur de hanche se caractérise par l’existence précoce, et est affirmé par l’IRM ou la scintigraphie osseuse. Une
d’une zone de conflit entre la partie antéro-inférieure de la tête synovite villonodulaire se traduit par des géodes en dehors des

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zones de pression. Le diagnostic est orienté par l’IRM et Traitement [5, 6]


confirmé par la biopsie. L’ostéochondromatose est de diagnostic
facile lorsque les chondromes sont calcifiés, mais elle nécessite Le traitement repose en premier lieu sur les mesures orthopé-
le recours à un arthroscanner en cas de chondrome radiotrans- diques médicales et les médicaments à visée antalgique. Les
parent. La maladie de Paget, qui se complique souvent de principes du traitement sont développés dans les recommanda-
tions de la Ligue Européenne contre le Rhumatisme (EULAR).
coxarthrose lorsqu’elle intéresse le cotyle ou en cas de déforma-
tion en coxa vara (classique coxopathie pagétique), ne pose
habituellement pas de difficulté diagnostique du fait du rema-
niement caractéristique de la trame osseuse et de l’hypertrophie
des corticales. “ Points importants
Recommandations de l’EULAR (European League
■ Prise en charge Against Rheumatism) sur le traitement de la
coxarthrose.
1. La prise en charge optimale de la coxarthrose repose sur
Prévoir l’évolution une combinaison de traitements non pharmacologiques
La prise en charge d’un patient coxarthrosique dépend de et pharmacologiques.
multiples facteurs : l’âge, le degré d’activité, l’importance de la 2. Le traitement de la coxarthrose doit être adapté en
gêne fonctionnelle, la sévérité des lésions anatomiques et le fonction :
profil évolutif. Ce dernier est l’élément le plus difficile à • des facteurs de risque de coxarthrose (obésité,
apprécier. Or, l’une des premières questions que ne manque pas paramètres mécaniques délétères, activité physique,
de poser le patient à qui l’on vient de découvrir une coxarthrose dysplasie) ;
est celle du délai avant le recours à la prothèse. Au cours des • de facteurs de risque généraux (âge, sexe,
dernières années, les études sur la mesure de l’interligne comorbidités, traitements et maladies associées) ;
coxofémoral radiologique ont permis d’avancer dans la • du niveau de la douleur ou du handicap ;
connaissance de l’histoire naturelle de la coxarthrose, bien • de la localisation et du degré de dégradation
qu’elle reste encore imparfaitement connue.
articulaire ;
L’évolution est en règle générale lente, aboutissant à la
• des désirs et attentes du malade.
destruction plus ou moins complète du cartilage. L’aggravation
3. Les traitements non pharmacologiques de la
peut être progressive ou émaillée de poussées congestives,
coxarthrose devraient inclure des mesures d’éducation
entrecoupées de plus ou moins longues périodes de stabilité
des patients, des exercices physiques, des aides
clinique. L’âge moyen au moment du diagnostic se situe vers la
soixantaine, mais tous les intermédiaires peuvent se rencontrer, techniques (cannes, semelles), et une réduction du poids
depuis les formes à début très précoce (avant 30 ans), habituel- en cas d’obésité ou de surpoids
lement liées à un défaut architectural congénital, jusqu’à celles 4. En raison de son efficacité et de sa tolérance, le
du grand vieillard, évoluant volontiers sur un mode rapidement paracétamol (jusqu’à une dose de 4 g/jour) est
destructeur. L’âge moyen au moment de l’opération est de l’antalgique oral de premier choix pour les douleurs
70 ans, témoignant d’une évolution moyenne de 5 à 10 ans. La légères à modérées et, en cas de succès, l’antalgique oral à
plupart des études concluent à une vitesse moyenne de pince- long terme de préférence
ment de l’interligne entre 0,20 et 0,40 mm/an. Toutefois, les 5. Les AINS, à la dose efficace la plus faible possible,
variations interpatients sont considérables (0,05 à 3 mm/an) peuvent être associés ou substitués chez les malades ne
allant de la classique coxarthrose destructrice rapide où l’inter- répondant pas au paracétamol.
ligne disparaît en moins de 2 ans, aux formes ultralentes Chez les patients à risque digestif, une association AINS
pouvant évoluer sur plus de 30 ans. non sélectif avec gastroprotecteur ou un inhibiteur sélectif
La vitesse de pincement de l’interligne n’est toutefois pas le de la COX2 (ou coxib) peuvent être utilisés.
seul facteur de la décision chirurgicale, puisque celle-ci doit 6. Les antalgiques à bases d’opioïdes, avec ou sans
toujours être prise sur des arguments cliniques et après échec paracétamol, sont des alternatives utiles pour les patients
d’un traitement médical correctement conduit. chez qui les AINS, y compris les inhibiteurs sélectifs de la
Les principaux facteurs prédictifs d’un recours rapide à la COX2 (ou coxib), sont contre-indiqués, inefficaces et/ou
chirurgie ont pu être identifiés : âge de début tarif, aggravation mal tolérés.
rapide des douleurs, vitesse de pincement rapide, absence 7. Les antiarthrosiques d’action retardée (glucosamine,
d’ostéophyte. Le surpoids et le sexe féminin pourraient être des
chondroïtine sulfate, diacerhéine, extraits d’insaponifiable
facteurs favorisants, mais leur influence n’a pas été retrouvée
d’avocat et acide hyaluronique) ont un effet
dans toutes les études. La topographie supéroexterne du
symptomatique et une faible toxicité. Les modifications
pincement semble également être corrélée à une évolution plus
rapide. En revanche, un faible degré de dysplasies ne paraît pas structurales restent modérées et les aspects
être un élément péjoratif. pharmacoéconomiques ne sont pas établis.
Enfin, il est bien démontré qu’il n’existe pas de parallélisme 8. Les injections intra-articulaires de corticoïdes (sans
entre l’évolution anatomique et la symptomatologie doulou- guidage ou radio- voire échoguidées) peuvent être
reuse. En effet, chez un même patient, la gêne fonctionnelle envisagées chez les patients souffrant d’une poussée
peut diminuer alors que le pincement s’est aggravé. Toutefois, évolutive ne répondant pas aux antalgiques ou aux AINS.
il semble que, plus que l’importance du pincement, ce soit sa 9. L’ostéotomie ou les mesures de chirurgie préventive
vitesse de progression qui influence le degré de douleur, peuvent être envisagées chez les adultes jeunes souffrant
expliquant en particulier le caractère très algique des CDR. d’une coxarthrose, en particulier en cas de dysplasie ou de
En pratique, cela incite donc à intensifier la surveillance coxa vara/valga.
radiologique (une radio tous les 6 mois, voire tous les 3 mois, 10. La mise en place d’une prothèse de hanche peut être
en cas de suspicion de CDR) chez les patients qui, malgré un envisagée chez les patients avec une coxarthrose
interligne peu pincé, souffrent beaucoup, alors qu’un cliché tous radiologiquement évidente qui souffrent d’une douleur
les ans ou tous les 2 ans peut être suffisant en cas de coxarth- rebelle ou d’un handicap.
rose peu symptomatique.

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Tableau 2. l’autorisation de mise sur le marché, les AASAL ne doivent être


Antiarthrosiques symptomatiques d’action lente (AASAL : médicaments utilisés que dans le but d’améliorer les manifestations algofonc-
ayant démontré un effet antalgique retardé dans l’arthrose lors d’études tionnelles d’arthrose et de diminuer la prise d’antalgiques ou
contrôlées en double aveugle contre placebo. d’AINS, comme cela a été démontré par les médicaments qui
DCI Nom commercial Posologie ont obtenu « antiarthrosique » (diacerhéine, chondroïtine
sulfate, insaponifiables d’avocat et de soja). Ces médicaments
Diacerhéine Art50 Zondar 2 gélules/j
ont pour caractéristiques d’être des antalgiques spécifiques de
Chondroïtine sulfate sodique Chondrosulf 400 mg 3 gélules/j
l’arthrose, d’avoir un effet retard (6 à 8 semaines en moyenne)
Insaponifiables d’avocat et de soja Piasclédine 300 1 gélule/j
et rémanent (2 mois). On peut les utiliser seuls ou en associa-
Sulfate de chondroïtine sodique Structum 500 mg 2 gélules/j tion avec un antalgique ou un AINS. Dans ce cas, la poursuite
de l’AASAL se justifie à long terme s’il a permis de réduire
significativement leur consommation. Un AASAL doit logique-
Traitement orthopédique médical ment être prescrit pour une durée de 3 à 6 mois afin de juger
de son efficacité. En cas d’échec, on peut en essayer un autre,
Il est essentiel et souvent négligé. Son but est de réduire les mais il n’y a actuellement aucun élément permettant de justifier
pressions supportées par l’articulation et de maintenir sa l’association de plusieurs AASAL ou leur prescription en alter-
fonction. En dehors des poussées congestives, la marche nance. La durée optimale du traitement n’est définie pour
quotidienne est conseillée, pour maintenir une fonction aucun d’entre eux, pas plus que l’intérêt de cures discontinues.
musculaire et lutter contre l’amyotrophie quadricipitale. Il est L’utilisation à chaque consultation de l’indice chiffré (échelle
toutefois conseillé d’éviter la marche et la station debout trop visuelle de la douleur et du handicap, indice algofonctionnel de
prolongées, le port de charges lourdes. La réduction de l’excès Lequesne) permet d’apprécier de façon quantitative l’efficacité
pondéral est bien sûr nécessaire (la pression sur une hanche lors du traitement, et par conséquent de justifier sa poursuite ou son
de la marche est de quatre fois le poids du corps à chaque pas, interruption.
jusqu’à six fois en cas de dysplasie). Le port d’une canne tenue Le terme de « chondroprotection » ou de « structuromodula-
du côté sain allège considérablement les pressions exercées sur tion » est souvent employé à propos des AASAL. Actuellement,
la hanche. Parallèlement, les mobilisations (kinésithérapie, même si certains résultats expérimentaux permettent d’espérer
bicyclette, piscine) sont destinées à maintenir une bonne que certains d’entre eux possèdent un éventuel pouvoir struc-
fonction articulaire en assouplissant l’appareil capsuloligamen- turomodulateur, aucune étude clinique n’a encore pu prouver
taire. On peut éviter l’apparition d’attitudes vicieuses, en
formellement qu’il était possible de ralentir l’évolution de la
particulier d’un flexum de hanche, par des séances quotidiennes
coxarthrose par l’utilisation d’AASAL.
de postures à plat ventre et par la kinésithérapie. La prescription
de cures thermales peut s’envisager dans ce cadre, la crénothé- Traitement chirurgical [8]
rapie ayant par ailleurs des vertus antalgiques et myorelaxantes
souvent utiles. Il repose, sauf cas exceptionnel, sur l’arthroplastie. Il est à
l’origine des grands progrès apportés dans le confort des
Traitement médicamenteux à visée antalgique patients atteints de coxarthrose.
Les méthodes conservatrices (butée ostéoplastique, ostéoto-
Il est presque toujours nécessaire à partir d’un certain stade mies de Pauwels, de MacMurray ou de Chiari) ne s’appliquent
d’évolution. Dans la mesure où il n’y a pas de preuve formelle qu’à des cas de coxarthroses liées à d’importantes dysplasies
d’efficacité supérieure des anti-inflammatoires non stéroïdiens chez des sujets jeunes. Leur indication est donc limitée aux
(AINS) sur les antalgiques, ces derniers doivent toujours être
sujets de moins de 50 ans dont l’arthrose n’est pas trop évoluée
envisagés en première intention compte tenu de leur faible
(pincement inférieur à 50 %), dont la hanche est régulièrement
toxicité, mais ils doivent être utilisés à dose suffisante avant de
douloureuse et qui présentent un vice architectural corrigeable.
conclure à leur efficacité (4 g/j de paracétamol, par exemple).
Quelle que soit la technique choisie, la reprise de l’appui n’est
Lors des poussées congestives, l’utilisation d’un AINS ou d’un
possible qu’après 6 à 12 semaines et celle de la marche en
inhibiteur sélectif de la cyclo-oxygénase 2 est logique, puisqu’ils
moyenne après 3 à 6 mois. Si l’interligne n’est pas pincé sur les
s’opposent à l’inflammation synoviale, responsable de la
différentes incidences, on peut envisager un traitement chirur-
douleur. Le choix et le rythme d’administration de l’AINS
gical conservateur du conflit antérieur (création d’un sillon à la
dépendent de l’âge et de la préférence du patient. On évite au
jonction tête col, correction de la rétroversion du cotyle ou
maximum les AINS après 70 ans et en cas de fonction rénale
altérée. Si la prescription d’AINS apparaît indispensable, on opte traitement arthroscopique de la lésion labrale).
pour un AINS à demi-vie courte, à la dose minimale efficace, en La prothèse de resurfaçage est une technique nouvelle
cures brèves, associé le cas échéant à un protecteur gastrique. En consistant en l’insertion d’une cupule cotyloïdienne et d’une
revanche, les AINS à demi-vie longue et à monoprise sont coque (couple métal/métal) recouvrant la tête, qui à la diffé-
souvent préférés par les patients jeunes et actifs. rence de la prothèse totale de hanche (PTH) ne sacrifie pas le
Les injections intra-articulaires de corticoïdes retard (Hexa- col, ni la tête fémorale. Les résultats sont encourageants chez les
trione®, Diprostène®, Altim®, DépoMédrol®) calment générale- sujets jeunes (nécessité d’un os de bonne qualité) mais le recul
ment bien la douleur réduisant la congestion synoviale. est encore limité.
Toutefois, elles doivent être strictement réservées aux poussées L’arthroplastie totale de hanche reste donc la principale
congestives et réalisées par un praticien entraîné, en intra- indication en cas d’échec du traitement médical chez les sujets
articulaire strict, sous contrôle radioscopique, et dans des de plus de 50 ans. Deux grands principes se distinguent : les
conditions d’asepsie rigoureuses (risque d’arthrite septique). Les prothèses totales de hanche scellées par un ciment de polymé-
risques d’aggravation de l’arthrose et d’infection postopératoire thylmétacrylate et les PTH non scellées, où les pièces prothéti-
sont généralement avancés mais n’ont jamais été formellement ques peuvent être vissées dans l’os ou constituées d’un matériau
démontrés. L’acide hyaluronique intra-articulaire [7] semble poreux réhabilitable par l’os spongieux (surfaces grillagées ou
intéressant dans les formes peu évoluées, en réduisant durable- enduites d’hydroxyapatite). Le modèle, le matériau (métal ou
ment la douleur, mais les études contrôlées restent encore trop céramique) dépendent essentiellement des habitudes du chirur-
peu nombreuses pour conclure formellement. gien, et la supériorité de l’un ou l’autre des modèles n’est pas
Un traitement antiarthrosique symptomatique d’action lente démontrée. Quelle que soit la méthode utilisée, l’indolence de
(AASAL) (Tableau 2) peut être logiquement entrepris, même si la mobilité articulaire est obtenue dans près de 90 % des cas,
actuellement aucun médicament n’a fait la preuve de son permettant une vie active normale, en évitant toutefois les
pouvoir chondroprotecteur. Dans les conditions actuelles, de activités sportives violentes.

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7-0720 ¶ Reconnaître et prendre en charge une coxarthrose

Les avantages de l’arthroplastie sont donc évidents, mais il [3] Lequesne MG, Laredo JD. The faux profil (oblique view) of the hip in
convient de toujours envisager les incidents possibles (compli- the standing position: Contribution to the evaluation of osteoarthritis of
cations thromboemboliques, descellement, luxation, infection), the adult hip. Ann Rheum Dis 1998;57:676-81.
il paraît donc logique de ne proposer un geste chirurgical [4] Lebrun C, Vanhoenacker FM, Willemen D.Anterior femoro-acetabular
qu’après échec d’un traitement médical correctement conduit. impingement of the left hip. JBR-BTR 2007;90:196-7.
Là encore, le recours à l’indice algofonctionnel est précieux [5] American College of Rheumatology subcommittee on osteoarthritis
pour la décision chirurgicale. En règle générale, celle-ci se guidelines. Recommendations for the medical management of
justifie lorsque le score atteint 10 à 12 points sous traitement osteoarthritis of the hip and the knee. 2000 update. Arthritis Rheum
médical, en tenant compte bien sûr du désir du patient, de son 2000;43:1905-15.
âge et de son degré d’activité. [6] Zhang W, Doherty M, Arden N, Bannwarth B, Bijlsma J, Gunther KP,
.
et al. EULAR Standing Committee for International Clinical Studies
Including Therapeutics (ESCISIT). EULAR evidence based
■ Références recommendations for the management of hip osteoarthritis: report of a
task force of the EULAR Standing Committee for International Clinical
[1] Altman R, Alarcon D, Appelrouth D, and the American College of Studies Including Therapeutics (ESCISIT). Ann Rheum Dis 2005;64:
Rheumatology subcommittee on criteria for osteoarthritis. The 669-81.
American College of Rheumatology criteria for the classification and [7] Conrozier T, Vignon E. Is there evidence to support the inclusion of
reporting of osteoarthritis of the hip. Arthritis Rheum 1991;34: viscosupplementation in the treatment paradigm for patients with hip
505-11. osteoarthritis? Clin Exp Rheumatol 2005;23:711-6.
[2] Lequesne MG. The algofunctional indices for hip and knee [8] Lequesne M. Coxarthrose. In: Bardin T, Kuntz D, editors. Thérapeuti-
osteoarthritis. J Rheumatol 1997;24:779-81. que rhumatologique. Paris: Flammarion; 1995. p. 567-76.

T. Conrozier (thierry.conrozier@chu-lyon.fr).
Service de rhumatologie, Centre hospitalier Lyon-Sud, 165, chemin du grand Revoyet, 69395 Pierre-Bénite cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Conrozier T. Reconnaître et prendre en charge une coxarthrose. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité
de Médecine Akos, 7-0720, 2009.

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